N° 1997
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juin 2014.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge,
PAR M. Gilles LURTON,
Député.
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Voir les numéros :
Sénat : 640 (2011-2012), 430, 431 et T.A. 122 (2012-2013).
Assemblée nationale : 846.
SOMMAIRE
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Pages
A. PRINCIPE ET MODALITÉS 5
1. Une intervention centrée sur l’intérêt de l’enfant 5
2. Le placement en dehors du foyer familial 6
B. UNE ORGANISATION COMPLEXE 9
1. Une dualité de compétence 9
a. Une intervention administrative prioritaire en amont du placement judiciaire… 9
b. … et indispensable en aval 10
2. Un seul financeur 11
II. UNE PROPOSITION DE LOI À LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE ENTRE PRÉSERVATION DES LIENS FAMILIAUX ET JUSTE ALLOCATION DES RESSOURCES 12
A. LA DIFFICILE DÉTERMINATION DU BÉNÉFICIAIRE DES ALLOCATIONS FAMILIALES EN CAS DE PLACEMENT D’UN ENFANT 13
1. Le principe du versement des allocations familiales au service de l’aide sociale à l’enfance 13
2. Une mise en œuvre qui ne reflète pas l’intention initiale du législateur 14
a. Les chiffres 14
b. Un enjeu insuffisamment pris en compte 15
c. Des sommes importantes dont il convient de s’assurer de l’utilisation dans l’intérêt des enfants 17
B. L’ALLOCATION DE RENTRÉE SCOLAIRE, UNE PRESTATION INDIVIDUELLE TOUJOURS VERSÉE À LA FAMILLE 18
C. UNE IMPOSSIBLE RÉFORME ? 21
1. Un équilibre à trouver dans l’intérêt de l’enfant 21
2. Un rejet du texte et des propositions du rapporteur par la commission 22
EXAMEN EN COMMISSION 25
Article 1er(art. L. 521-2 du code de la sécurité sociale) : Réaffirmation du principe du versement des allocations familiales au service d’aide sociale à l’enfance et limitation de la part susceptible d’être maintenue au profit de la famille en cas de placement d’un enfant 45
Article 2 (art. L. 543-1 du code de la sécurité sociale) : Instauration du principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire au service de l’aide sociale à l’enfance en cas de placement d’un enfant 55
Aux termes de l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, issu de l’article 1er de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, celle-ci a « pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ».
Comme le souligne le rapport 2011 du Défenseur des droits consacrés aux droits de l’enfant (1), l’objectif de la protection de l’enfance consiste donc à maintenir, autant que faire se peut, l’enfant dans son milieu familial. C’est pourquoi la protection de l’enfance passe en premier lieu par des mesures d’accompagnement de l’enfant et de la famille en difficultés. Une grande variété d’« aides à domicile » peuvent ainsi être mises en œuvre :
– suivi par un technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF) ou une aide-ménagère pour faciliter l’organisation de la vie quotidienne,
– accompagnement en économie sociale et familiale,
– versement d’aides financières,
– mise en œuvre d’actions éducatives à domicile (AED), décidées par le président du conseil général, visant à apporter un soutien éducatif et psychologique au mineur et à sa famille ou d’actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), décidées par le juge des enfants, poursuivant le même objectif que les AED, mais avec une portée contraignante à l’égard des familles.
D’après les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), sur près de 300 000 mesures d’aide sociale à l’enfance dénombrées en métropole au 31 décembre 2011, 148 700 étaient constituées d’actions éducatives (2). Celles-ci sont majoritairement décidées par le juge (les deux tiers sont des actions éducatives en milieu ouvert), même si les AED ont connu sur la période 2007-2011 une augmentation importante (+ 15 % de bénéficiaires).
Comme le souligne le rapport de notre collègue Catherine Deroche au nom de la commission des affaires sociales du Sénat (3), ces interventions sont destinées à éviter le placement hors du milieu familial et la rupture radicale qu’il occasionne dans la vie de la famille.
Il arrive néanmoins que l’enfant fasse l’objet d’une mesure de placement à l’extérieur de sa famille, pour son propre bien. L’article L. 112-4 du code de l’action sociale et des familles précise ainsi que « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant ». Cette notion d’intérêt de l’enfant a été intégrée par la loi du 5 mars 2007 au cœur du dispositif de la protection de l’enfance, en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France le 7 août 1990. Rappelons que pour la Convention, qui elle-même évoque « l’intérêt supérieur de l’enfant », la famille est le cadre idéal pour favoriser l’épanouissement d’un enfant. S’il est toutefois nécessaire de l’en soustraire, la Convention prévoit que l’État veille au maintien des contacts entre l’enfant et sa famille et fait en sorte que les mesures de placement fassent l’objet d’un réexamen régulier.
Aujourd’hui, environ 148 500 enfants et adolescents sont hébergés en famille d’accueil ou en établissements (4). Ces mesures d’éloignement du foyer familial sont prises lorsqu’il apparaît urgent de soustraire ces mineurs à leur milieu naturel, source de dangers auxquels ils peuvent être exposés. La notion d’« enfant en danger ou en risque de l’être » a également été introduite par la loi du 5 mars 2007 qui l’a substitué à celle de maltraitance qui prévalait jusqu’alors. En effet, dans la réalité, les situations rencontrées en protection de l’enfance sont majoritairement les conséquences de carences ou de négligences éducatives et non de maltraitances intentionnelles. Ainsi, d’après les informations transmises à votre rapporteur par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), les causes les plus fréquentes de placement sont les carences éducatives (environ 80 %), suivis de la maltraitance (20 %, dont en premier lieu les violences physiques). Le danger est donc devenu l’unique critère que l’on retrouve aussi bien dans le code de l’action sociale et des familles que dans le code civil pour justifier une intervention.
● Le placement à la suite d’une mesure administrative
Le placement administratif d’un mineur résulte d’une démarche des parents avec leur accord écrit ; il est mis en œuvre au nom du président du conseil général par le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Celui-ci détermine, en accord avec les parents, le type de placement puis le type d’établissement approprié aux besoins de l’enfant.
Le code de l’action sociale et des familles parle d’« enfant accueilli » : aux termes du 1° de l’article L. 222-5, sont ainsi pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil général « les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un [centre d'action médico-sociale précoce] ».
La décision d’accueil en fixe la durée, qui ne peut excéder un an renouvelable et peut être modifiée à tout moment, à la demande des parents ou de l’ASE (article L. 223-5 du même code).
● Le placement dans le cadre d’une mesure judiciaire
Le placement judiciaire intervient à la suite d’une décision du juge des enfants. En principe d’une durée maximale de deux ans, le placement consiste à retirer un enfant du milieu familial pour le remettre à un tiers (membre de la famille ou tiers digne de confiance, service départemental d’aide sociale à l’enfance, service ou établissement spécialisé).
Le code civil parle d’« enfant confié » à un tiers : ainsi, aux termes de l’article 375-3, « si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : 1° À l’autre parent ; 2° À un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ; 3° À un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ; 4° À un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ; 5° À un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé (…) ».
Si le magistrat doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion des parents (article L. 375-1 du même code), il peut imposer sa décision, tout en l’assortissant d’un droit de visite et d’hébergement dont les modalités évoluent en fonction de la situation, voire prendre une ordonnance provisoire de placement (OPP) qui permet de se passer de l’accord de la famille, lorsque l’enfant court un grave danger.
D’après les données précitées de la Drees, au 31 décembre 2011, 89 % des enfants placés l’étaient auprès du service de l’aide sociale à l’enfance, dont 74 % confiés à la suite d’une mesure d’assistance éducative prononcée par le juge des enfants en application de l’article 375-3 du code civil. Dans un faible nombre de cas, ces mesures de placement s’inscrivaient dans le cadre :
– d’une délégation d’autorité parentale à l’ASE prononcée par le juge aux affaires familiales sans limitation de durée sur la base de l’article 377 du code civil). Un peu plus de 3 000 enfants seraient concernés ;
– d’une tutelle déférée à l’ASE par le juge des tutelles, en application de l’article 433 du code civil (sans limitation de durée lorsque la tutelle est vacante). Près de 4 000 enfants feraient l’objet d’une mesure de ce type.
Plus de la moitié des enfants placés à l’ASE est hébergée en famille d’accueil et 38 % en établissement public relevant de l’ASE ou du secteur associatif habilité et financé par elle. 9 % des jeunes bénéficient d’autres modes d’hébergement (adolescents autonomes en appartement indépendant, avec des visites régulières d’instructeurs, internats scolaires, placements auprès d’un village d’enfants, etc.).
Toujours d’après l’enquête de décembre 2012 de la Drees, les enfants confiés à l’ASE sont, en moyenne, âgés de douze ans. La moitié de ces enfants sont des préadolescents et adolescents âgés de onze à dix-sept ans, 14 % des enfants ont moins de six ans et 14 % sont majeurs.
Quelques années auparavant, une étude rétrospective portant sur les dossiers, dans deux départements, de près de 1 000 jeunes sortis de la protection de l’enfance (5), avait dressé un portrait des jeunes placés.
Ceux-ci étaient pour 45 % des filles et 55 % des garçons, majoritairement issus de familles nombreuses, séparées et recomposées. 43 % ont au moins un demi-frère ou sœur, 5 % seulement sont des enfants uniques.
13 % avaient un père ou une mère qui a lui-même vécu des situations difficiles dans son enfance (maltraitance ou placement). Un sur dix avait un parent incarcéré. 20 % avaient perdu un de leurs parents, soit trois fois plus que dans la population générale.
Un jeune sur cinq était né à l’étranger : parmi ceux-ci, la moitié était des garçons adolescents pris en charge au titre des mineurs isolés étrangers.
D’après une autre enquête de la Drees publiée en 2011 (6), le nombre d’enfants bénéficiant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) a cru de plus de 6 % entre 2005 et 2008. Sur la période récente, entre fin 2010 et fin 2012, le nombre de mesures d’aide sociale à l’enfance aurait quant à lui progressé plus de 2 % selon les données fournies par la DGCS à votre rapporteur.
La politique française de protection de l’enfance a la particularité de reposer sur une dualité de compétence : judiciaire et administrative. Ce système résulte de l’ordonnance du 23 décembre 1958 sur la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger qui a créé l’assistance éducative et de deux décrets du 7 janvier 1959 qui ont donné compétence au directeur départemental de l’action sanitaire et sociale en matière de protection de l’enfance. L’aide sociale à l’enfance (ASE) et la protection maternelle et infantile (PMI) ont ensuite été confiées, par la loi du 22 juillet 1983 au président du conseil général.
Le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) a pour mission d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille et à tout détenteur de l’autorité parentale confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation et leur développement ainsi qu’aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles).
De son côté, l’assistance éducative a pour but de venir en aide aux parents qui ne peuvent ou ne souhaitent pas bénéficier de l’intervention sociale et qui, momentanément, sont défaillants pour remplir leurs devoirs éducatifs à l’égard de leurs enfants. Elle est mise en œuvre sous le contrôle du juge des enfants dans le cadre de règles de procédure précises pour garantir les droits respectifs des mineurs et des parents.
Pour clarifier les relations entre la protection administrative et judiciaire, il est prévu que la mise à l’abri provisoire du mineur, lorsqu’elle est nécessaire et qu’elle est possible, doit être envisagée prioritairement dans le cadre de la protection administrative. Le caractère subsidiaire de la protection judiciaire des mineurs a d’ailleurs été réaffirmé par la loi du 5 mars 2007. Un circuit des signalements est ainsi organisé par les textes dans le but de limiter l’intervention judiciaire aux situations les plus graves, en cas d’échec ou de refus des mesures administratives.
Le président du conseil général doit ainsi saisir sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est en danger au sens de l’article 375 du code civil et :
– qu’il a déjà fait l’objet d’une ou de plusieurs actions mises en œuvres par les services de l’ASE qui n’ont pas permis de remédier à la situation (action d’un technicien de l’intervention sociale et familiale ou d’une aide-ménagère, intervention d’un service d’action éducative, versement de secours exceptionnels, mesures de prise en charge de l’enfant par le service de l’ASE dans le cadre d’un accueil à temps partiel ou complet, ou d’un accueil à la journée) ;
– que, bien que n’ayant fait l’objet d’aucune de ces actions, celles-ci ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d’accepter l’intervention du service de l’ASE ou de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service.
Si la protection du mineur l’exige, le juge des enfants peut confier celui-ci au service de l’aide sociale à l’enfance (article 375-3 du code civil). Des mesures d’assistance éducative peuvent ainsi être ordonnées à la demande du ministère public, des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, voire du mineur lui-même. Le juge peut également se saisir d’office à titre exceptionnel.
Soulignons que l’assistance éducative est une procédure de contrôle de l’exercice de l’autorité parentale qui ne porte pas atteinte, sauf exceptions, aux attributs de celle-ci. Aux termes de l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles, le placement d’un enfant n’a pas pour effet de priver ses parents de leurs droits d’autorité parentale. Néanmoins, si les mesures d’aide ordonnées par le juge des enfants ne paraissent pas suffisamment protectrices, des mesures de délégation ou de retrait de l’autorité parentale peuvent être envisagées.
La mise en œuvre des mesures d’assistance éducative repose sur le service de l’aide sociale à l’enfance, qui acquiert alors la qualité de gardien et devient une des parties dans la procédure d’assistance éducative. Il doit également rendre compte de la mission confiée par le juge dans des délais fixés par celui-ci, au moins une fois par an. Il assiste aux audiences où il fait valoir son point de vue et dispose des voies de recours.
Les services de l’ASE doivent établir au moins une fois par an un rapport sur la situation de tout enfant accueilli ou faisant l’objet d’une mesure éducative. Ce rapport est établi après évaluation pluridisciplinaire et concerne les enfants confiés sur décision judiciaire et tous ceux accueillis sous la responsabilité de l’ASE quel que soit le type de protection. Il doit être transmis à l’autorité judiciaire si l’enfant a été confié au service de l’ASE sur décision judiciaire dans le cadre de la procédure d’assistance éducative ou de la prise en charge des mineurs délinquants.
Le contenu et les conclusions de ce rapport sont portés à la connaissance du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l’autorité parentale, du tuteur et du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité.
Aux termes de l’article L. 226-11 du code de l’action sociale et des familles, les dépenses relatives à la protection des mineurs en danger constituent des dépenses obligatoires pour le département, qu’il s’agisse des dépenses résultant des mesures administratives prises par le président du conseil général ou des mesures judiciaires. En effet, à l’exception des mesures d’investigation (enquêtes sociales, observations, examens psychologiques ou expertises) et des mesures confiées aux services de la protection judiciaire de la jeunesse, le département doit prendre en charge les mesures éducatives ordonnées par le juge des enfants (article L. 228-3 du code de l’action sociale et de la famille). Ces dépenses, tout en ayant un caractère obligatoire, sont, par définition, imprévisibles puisque « l’ordonnateur », le juge, est indépendant.
En 2011, la dépense directe consacrée à l’aide sociale à l’enfance représentait une charge nette de l’ordre de 6,7 milliards d’euros, ce qui en fait la dépense la plus importante parmi l’ensemble des dépenses d’action sociale. Ces dépenses augmentent en outre à un rythme à la fois régulier et soutenu.
Ainsi, dans son rapport public thématique de 2009 sur la protection de l’enfance, la Cour des comptes soulignait déjà que les dépenses de protection de l’enfance étaient en accroissement régulier depuis au moins 10 ans : elle estimait, en euros constants, l’augmentation de la dépense brute totale à 9 % depuis 2002 et 24 % depuis 1996. La Cour indiquait également que la dépense relative aux placements, qui représentait en 2007 près de 80 % de la dépense totale d’aide sociale à l’enfance, enregistrait la progression la plus rapide, sans qu’il soit possible de distinguer, dans cette augmentation globale, la part liée au nombre des bénéficiaires et celle tenant au coût unitaire des mesures (7). Enfin, la Cour insistait sur les efforts consentis par les départements pour intégrer en peu de temps, dans leur stratégie et leur organisation interne, l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), du revenu minimum d’insertion (RMI), la création des maisons départementales du handicap et les évolutions de la réglementation de la protection de l’enfance. Elle remarquait que, parallèlement, l’effort de l’État en faveur de la protection administrative et judiciaire des mineurs en danger était environ vingt fois inférieur à celui des départements, appelés à financer l’essentiel des prises en charge.
À cet égard, plusieurs institutions se sont interrogées ces dernières années sur la mise en œuvre de la réforme de 2007, en particulier sur son financement et la charge nouvelle que celle-ci faisait peser sur les départements. L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), dans le cadre de son enquête quinquennale sur les stratégies de l’action départementale en matière de soutien à l’enfance et à la famille, a ainsi fait le point sur la mise en œuvre de la réforme de 2007 en s’inquiétant du contexte financier difficile pour les départements (8). Plus récemment, l’Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) mais aussi la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) ou encore la Défenseure des enfants ont soulevé la question des moyens alloués à la réforme, estimant que leur faiblesse, dans un contexte financier contraint, avait pu avoir un impact négatif (9).
II. UNE PROPOSITION DE LOI À LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE ENTRE PRÉSERVATION DES LIENS FAMILIAUX ET JUSTE ALLOCATION DES RESSOURCES
C’est dans ce contexte budgétaire difficile pour les départements, alors que ceux-ci doivent faire face à un nombre malheureusement croissant de placements, qu’ont été déposées consécutivement deux propositions de loi au Sénat :
– la première, en juillet 2012, émanait du groupe UMP et avait comme premiers cosignataires M. Christophe Béchu et Mme Catherine Deroche,
– la seconde, déposée au mois d’octobre de la même année, émanait du groupe PS et avait pour auteur M. Yves Daudigny.
Les deux propositions de loi poursuivaient un objectif identique :
– d’une part, renforcer le principe posé à l’article L. 521-2 de la sécurité sociale selon lequel la part des allocations familiales correspondant à un enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance est versée, non plus à la famille, mais à ce service ;
– et, d’autre part, instaurer un principe identique s’agissant de l’allocation de rentrée scolaire.
En outre, si le texte transmis à notre assemblée est formellement issu de la proposition de loi n° 640 de M. Christophe Béchu et Mme Catherine Deroche, celui-ci a été néanmoins largement modifié lors de son examen au Sénat afin de reprendre les dispositions prévues par la proposition de loi de M. Yves Daudigny. Il s’agit donc là d’un texte consensuel, voté in fine par la quasi-totalité des sénateurs, dont l’actuelle secrétaire d’État à la famille, Mme Laurence Rossignol.
Rappelons à cet égard que des initiatives similaires avaient déjà été portées par des parlementaires, dont Yves Bur à l’Assemblée nationale, dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 et 2012 mais avaient été finalement censurées par le Conseil constitutionnel ou supprimées en cours de discussion en tant que cavaliers sociaux.
A. LA DIFFICILE DÉTERMINATION DU BÉNÉFICIAIRE DES ALLOCATIONS FAMILIALES EN CAS DE PLACEMENT D’UN ENFANT
Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, « les allocations [familiales] sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant ».
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sociale à la décentralisation, le versement des allocations familiales tient compte de la situation concrète de l’enfant et doit en principe s’effectuer au profit, non plus de la famille, mais du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) lorsque celui-ci a été retiré à sa famille et placé par décision judiciaire (première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 521-2).
Les débats parlementaires de l’époque témoignent du consensus qui a entouré l’introduction d’un tel principe, tant l’Assemblée nationale que le Sénat ayant voté dès le stade de la première lecture la disposition proposée dans le projet de loi alors défendu par Mme Georgina Dufoix, ministre des affaires sociales et de la solidarité nationale.
Dès 1986, le principe du transfert des allocations familiales à l’ASE est toutefois assorti d’une dérogation permettant de maintenir le versement à la famille de l’intégralité de la part des allocations afférente à l’enfant placé « lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l'enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer » (dernière phrase du quatrième alinéa de l’article L. 521-2).
Toujours d’après les travaux parlementaires de l’époque, il s’agissait là de formaliser une pratique des caisses d’allocations familiales prévue uniquement dans le cadre d’une circulaire (10), dont la mise en œuvre était néanmoins contestée car s’appuyant sur la notion de « liens entre la famille et l’enfant ». En effet, comme le soulignait M. Charles Descours dans son rapport de première lecture au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, « dans la pratique, il [était] apparu très difficile d’avoir une interprétation cohérente et harmonieuse de cette notion de lien ; dans certains cas il suffisait de constater le maintien de liens affectifs, mais dans d’autres ceci devait être assorti de retours réguliers dans la famille ».
Soulignons enfin que dans la rédaction initiale du texte, qui prévaudra de 1986 à 2006, la décision de maintien appartient à la caisse d’allocations familiales (CAF) compétente, sur demande du président du conseil général ou de la juridiction. Elle ne sera transférée au juge qu’en 2006, à l’occasion d’un amendement adopté au Sénat dans le cadre du débat sur le projet de loi relatif à l’égalité des chances. Depuis lors, il appartient au juge de décider du maintien ou non de la part des allocations familiales afférente à l’enfant placé à la famille, dans le cadre d’une saisine d’office ou sur demande du président du conseil général.
En l’absence d’examen exprès de cette question, le principe demeure néanmoins celui d’un transfert du versement à l’ASE lors du placement de l’enfant.
D’après les informations transmises à votre rapporteur par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), le versement des allocations familiales serait maintenu à la famille dans 55 % des cas (chiffres 2011). La dérogation a donc en quelque sorte pris le pas sur le principe.
51 000 familles environ seraient concernées par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire 51 000 familles éligibles aux allocations familiales dans lesquelles au moins un enfant a été placé sur décision du juge (pour un total d’environ 79 000 enfants confiés à l’ASE).
● Près de 55 % de ces familles continuent de percevoir la totalité des prestations familiales sur décision du juge, soit environ 27 900 familles (pour un total de 44 800 enfants environ confiés à l’ASE). Les caisses d’allocations familiales versent, en tout, 6,5 millions d’euros mensuels à ces familles, indépendamment du placement d’un ou plusieurs enfants. Dans la mesure où, dans ce cas de figure, les allocations sont maintenues en totalité, la part afférente à l’enfant placé n’est pas calculée par les caisses : il est donc malaisé d’extraire de ce chiffre global la somme qui pourrait correspondre à l’ensemble de ces parts individuelles agrégées.
Sur les 27 900 familles qui continuent à percevoir les allocations familiales, près de 13 000 bénéficient du revenu de solidarité active (RSA). Plus de la moitié de ces familles sont en outre des familles monoparentales.
● Environ 45 % de ces familles ne perçoivent plus la part des allocations familiales afférente à l’enfant ou aux enfants placés sur décision du juge. Parmi elles, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) identifie :
– 18 460 familles maintenant un lien affectif avec le ou les enfants placés (pour un total de 27 000 enfants confiés à l’ASE) ;
– 4 500 familles ne maintenant plus aucun lien avec l’enfant (pour un total de 6 800 enfants placés à l’ASE).
La part des allocations familiales afférentes aux enfants placés hors de ces familles est versée à l’ASE pour un total de 2,55 millions d’euros mensuels.
Si elles ne permettent pas tout à fait d’avoir une vision complète de la situation, les données de la CNAF sont à ce jour les seules données exploitables. En effet, comme l’a souligné la Défenseure des enfants lors de son audition, le ministère de la Justice n’opère pas de suivi statistique des décisions prises par les juges en matière de maintien des allocations familiales dans le cadre des mesures de placement judiciaire. D’une manière générale, la portée à la fois symbolique et financière de ces décisions ne semble pas aujourd’hui bien mesurée.
Si la présidente de l’association française des magistrats de l’enfance et de la famille a indiqué en audition que le maintien des allocations familiales pouvait constituer un outil de négociation avec la famille susceptible d’étayer les exigences formulées par le juge en vue d’un retour de l’enfant dans son foyer, elle a également reconnu que cette question n’était vraisemblablement pas abordée de manière systématique par les juges dans le cadre des mesures de placement judiciaire.
Elle a également souligné que le maintien des allocations familiales pourrait faire l’objet, de la part des juges, d’un meilleur suivi notamment au travers des mesures d’aide à la gestion du budget familial susceptibles d’être ordonnées en application de l’article 375-9-1 du code civil, tout en estimant que les deux procédures étaient très rarement liées. Elle rejoint en cela les remarques formulées par une autre juge dans le cadre des travaux préparatoires du rapport 2010 de Mme Dominique Versini, alors Défenseure des enfants, sur le thème « Précarité et droits de l’enfant ».
Extraits du témoignage de Laurence Bellon, vice-présidente du tribunal pour enfants de Lille, dans le rapport 2010 de la Défenseure des Enfants
« La troisième approche de l’institution judiciaire est celle qui incombe au juge des enfants dans le cadre de la tutelle de prestations sociales, qui désormais s’appelle « l’aide à la gestion du budget », et l’assistance éducative auprès des enfants. Je prendrai comme exemple une histoire concrète qui mêle mon intervention en matière de tutelles et en assistance éducative. Voilà un couple qui a quatre enfants. (…) Le père est en dépression depuis longtemps avec une forte propension à l’alcoolisme.
J’ai commencé à les connaître en 2004 dans le cadre d’un dossier de tutelle aux prestations sociales liée à des dettes de loyer et à un risque d’expulsion de la famille avec les quatre enfants. La tutelle de prestations sociales consiste, si je le décide, à ce que les allocations familiales soient versées à un service éducatif qui va les gérer au nom des parents et normalement avec une aide aux parents.
Je les revois régulièrement et au printemps 2008 je leur donne une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert pour les aider dans l’éducation des enfants car la mère était dépassée. (…) À l’automne 2008, elle s’est suicidée et j’ai dû placer en catastrophe les quatre enfants à l’Aide sociale à l’enfance. (…).
Je les ai placés à l’Aide sociale à l’enfance dans l’urgence parce que le père était hors d’état de s’en occuper. J’ai fixé dans un premier temps des droits de visite médiatisée parce qu’avec le suicide et l’alcoolisation, la dépression s’était aggravée. De toute façon, les enfants refusaient de retourner à la maison où la mère s’était suicidée et je ne voulais pas le leur imposer. Je les ai revus cet été, les enfants sont toujours confiés à l’Aide sociale à l’enfance. En revanche, des droits de visite on est passé au droit d’hébergement. Le père a un nouveau logement, les enfants y vont en week-end et ça se passe bien. S’il a des problèmes d’alcoolisation, c’est pendant la semaine et le week-end il fait attention. Les travailleurs sociaux s’organisent pour qu’il puisse aller au zoo, faire des choses avec les enfants. (…)
Quelles ont été à travers mon intervention les réponses de la société à la précarité et aux difficultés matérielles ? J’ai répondu par une mesure de tutelle, c’est-à-dire par un contrôle des allocations familiales destiné à assainir la situation matérielle. Au bout de quelques années, il n’y a plus eu de dettes, la famille a changé de logement et la mère a appris à gérer « en bonne mère » – auparavant on lui reprochait parfois des cadeaux de 150 euros.
Quelques mots sur la tutelle. Le contentieux de la tutelle est né en 1946 et l’idée de l’État était « on verse des allocations familiales, mais on veut contrôler dans certains cas » ; dans les situations dans lesquelles les parents buvaient ou détournaient les allocations pour le jeu, etc. À partir des années 90, la tutelle n’a plus du tout servi à cela, elle a servi de garantie lorsqu’il y avait des dettes importantes et des risques d’expulsion de la famille.
D’une certaine manière, on est passé d’un mécanisme de sanctions des parents défaillants à un système de caution pour les créanciers.
La loi du 5 mars 2007 a remis de l’ordre dans tout cela en y introduisant la subsidiarité judiciaire. Dans ces situations financières, c’est le conseil général qui doit monter au créneau le premier en instaurant une mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale. Le texte est symboliquement passé du Code de la sécurité sociale au Code civil.
Autant la subsidiarité en matière de danger grave a toujours posé question, autant celle-ci ne me pose aucun état d’âme, je trouve que c’est une très bonne chose de la défendre.
Comment ai-je répondu, et à travers moi la société, aux difficultés éducatives de cette famille ? Au bout d’un moment, grâce aux rapports éducatifs qui m’étaient envoyés des tutelles je me suis rendu compte que cela se jouait aussi sur le plan éducatif. J’ai donc ordonné une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert. Le jour du suicide, j’ai été obligée de passer à la vitesse supérieure, à la mesure de placement avec bien sûr des aménagements pour garantir ce lien avec le père qui, au départ, était beaucoup plus intermittent.
Au-delà de l’aménagement et du droit de visite, il y a eu un montage financier très particulier. (…) J’ai décidé un dispositif doublement exceptionnel, c’est-à-dire que j’ai restitué les allocations au père mais avec une tutelle aux prestations (GBF) pour contrôler l’usage qu’il allait en faire. Je ne voulais pas qu’il utilise l’argent pour l’alcool etc. Cet argent devait lui permettre d’aménager les moments où il recevait ses enfants.
L’économie générale de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale repose sur un équilibre, qu’il appartient aujourd’hui au juge de faire respecter. La législation prévoit en effet le versement des allocations familiales à qui a la charge, certes effective, mais aussi permanente de l’enfant. Or, les décisions de placement sont censées être provisoires et si le placement judiciaire vise à protéger l’enfant, l’intervention du juge et des travailleurs sociaux doivent tendre à créer les conditions d’un rétablissement ou d’un renforcement du lien entre les parents et l’enfant et d’un retour au foyer, lorsque celui-ci est possible.
La question du maintien ou non des allocations familiales dans le cadre des mesures de placement judiciaire semble toutefois aujourd’hui largement sous-estimée, alors que d’aucuns s’accordent à reconnaître que ces sommes doivent être utilisées dans l’intérêt de l’enfant.
● Le texte adopté par le Sénat
L’objectif de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui est simple, il vise à s’assurer, d’une part, que le principe posé à l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est respecté et, d’autre part, que la part des allocations familiales correspondant à un enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance bénéficiera avant tout à cet enfant, que cette part soit versée à l’ASE ou maintenue à la famille.
Ainsi, alors que le juge peut aujourd’hui décider, soit d’office soit sur saisine du président du conseil général, de maintenir le versement des allocations à la famille lorsqu’un enfant ou plusieurs enfants font l’objet d’un placement judiciaire, il est proposé, à l’article 1er, de limiter cette possibilité à un maintien partiel de la part des allocations relative à l’enfant placé. Le texte fixe en outre un pourcentage maximal de cette part susceptible d’être maintenue au bénéfice de la famille à compter du quatrième mois suivant la décision de placement prise par le juge. Ce pourcentage est fixé à 35 %, le service de l’aide sociale à l’enfance devenant ainsi destinataire d’au moins 65 % de la part des allocations familiales due pour l’enfant placé. Enfin, le dispositif introduit la production d’un rapport établi par le service d’aide sociale à l’enfance pour éclairer le juge dans sa décision.
● Les propositions de votre rapporteur
En dépit de l’introduction en séance au Sénat d’une période d’observation de trois mois au bénéfice de la famille, il a paru à votre rapporteur que la suppression de toute possibilité de maintien intégral des allocations à la famille que ce soit avant ou après la période d’observation ne pouvait être considérée comme conforme à l’intérêt de l’enfant quelles que soient les situations rencontrées.
Il a par ailleurs souhaité tenir compte des remarques formulées en audition, d’une part, par la CNAF concernant la difficulté de mise en œuvre du dispositif et, d’autre part, par les juges, s’agissant de la création d’une audience ad hoc à trois mois, uniquement pour statuer sur le bénéficiaire des allocations familiales.
Dans cette perspective, s’il lui a paru intéressant de conserver, d’une part, l’idée d’une première période dite « d’observation », et, d’autre part, le principe d’une répartition ultérieure de la part des allocations familiales dues pour l’enfant entre la famille et le service d’aide sociale à l’enfance, en fonction du comportement de la famille pendant la période d'observation, il estime en revanche souhaitable :
– de fixer à six mois la période d’observation, de manière à ce que la fin de celle-ci coïncide avec une audience déjà programmée du juge (les mesures de placement sont en effet généralement des mesures provisoires revues au bout de six mois) ;
– de permettre le maintien total ou la suppression complète des allocations familiales à la famille pendant cette période ;
– de prévoir un réexamen de la situation à six mois et la possibilité, pour le juge, outre de maintenir ou de supprimer en totalité les allocations à la famille, de décider de répartir la part des allocations dues pour l’enfant placé entre la famille et le service d’aide sociale à l’enfance, sur la base d’un taux fixe. Plusieurs personnes auditionnées, dont la Défenseure des enfants, très opposées à une automaticité de la réduction de la part des allocations familiales susceptible d’être maintenue à la famille, se sont en revanche félicitées de la possibilité qui pourrait être laissée au juge de répartir, sur la base d’un taux fixe, ces allocations entre la famille et l’ASE.
● L’allocation de rentrée scolaire vise à aider les familles à faire face aux dépenses occasionnées par la scolarité des enfants, notamment au moment de la rentrée scolaire. L’ARS est ainsi versée par la caisse d’allocations familiales (11), à partir de la fin du mois d’août (12), aux familles ayant au moins un enfant scolarisé âgé de 6 à 18 ans, sous réserve que les ressources du foyer soient inférieures à un certain plafond, qui dépend du nombre d’enfants à charge. Ce plafond est en revanche identique quelle que soit la situation de la famille bénéficiaire (double activité professionnelle au sein du couple, une seule activité ou personne isolée).
PLAFOND DES RESSOURCES À NE PAS DÉPASSER
POUR BÉNÉFICIER DE L’ARS À LA RENTRÉE SCOLAIRE 2014
Nombre d'enfants à charge |
Ressources 2012 |
Pour 1 enfant |
24 137 euros |
Pour 2 enfants |
29 707 euros |
Pour 3 enfants |
35 277 euros |
Par enfant supplémentaire |
+ 5 570 euros |
Source : www.service-public.fr.
Il convient toutefois de noter qu’en cas de léger dépassement du plafond, une allocation dégressive appelée « allocation différentielle » et calculée en fonction des revenus peut être versée (13).
Pour la rentrée scolaire 2014, l’allocation sera versée pour chaque enfant né entre le 16 septembre 1996 et le 31 décembre 2008 inclus inscrit soit dans un établissement ou un organisme d’enseignement public ou privé soit auprès d’un organisme d’enseignement à distance. En revanche, les enfants instruits au sein de leur famille n’ouvrent pas droit à l’ARS, ainsi que les jeunes de moins de 18 ans en apprentissage dont la rémunération dépasse un certain plafond (14).
Le montant de l’allocation versée dépend de l’âge de l’enfant ; il est fixé par décret et revalorisé par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité sociale, du budget et de l’agriculture.
MONTANTS DE L’ALLOCATION POUR LA RENTRÉE SCOLAIRE 2014
(par enfant)
Âge de l’enfant |
Montant |
de 6 à 10 ans |
362,63 euros |
de 11 à 14 ans |
382,64 euros |
de 16 à 18 ans |
395,90 euros |
Source : www.service-public.fr.
● Le régime de l’allocation de rentrée scolaire est fixé par l’article L. 543-1 et les articles R. 543-1 et suivants du code de la sécurité sociale. L’article L. 543-1 précise notamment que le niveau du plafond de ressources pris en compte pour l’attribution de l’ARS varie conformément à l’évolution des prix à la consommation des ménages hors les prix du tabac, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État.
Aux termes de l’article R. 543-1, l’allocation de rentrée scolaire est attribuée, pour chaque enfant, « aux ménages ou personnes qui en ont la charge au jour de la rentrée scolaire dans l’établissement qu’il fréquente ».
En revanche, aucune disposition ne prévoit explicitement le versement de l’ARS au service de l’aide sociale à l’enfance lorsqu’un enfant a été confié à ce service.
D’après les informations fournies par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) à votre rapporteur, le versement de l’ARS à la famille est toutefois interrompu lorsque l’enfant est placé et que les services de la protection de l’enfance indiquent à la caisse compétente qu’aucun lien matériel ou affectif ne subsiste avec la famille. Le montant de l’ARS non versée dans ces cas de figure représenterait ainsi 45 000 euros ; ce chiffre ne permet toutefois pas d’anticiper quel pourrait être le montant récupéré par l’ASE si un versement systématique de l’allocation devait être institué à son profit en cas de placement d’un enfant, les familles ayant rompu tout lien avec leurs enfants ne constituant qu’un pourcentage très faible des foyers concernés.
● Le texte adopté par le Sénat
L’article 2 de la proposition de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, de mettre en place, pour le versement de l’ARS, un dispositif identique à celui prévu pour le versement des allocations familiales par l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la proposition de loi (principe du versement de l’ARS au service de l’aide sociale à l’enfance lorsque l’enfant est placé, sauf décision de maintien total ou partiel à la famille par le juge sur saisine du président du Conseil général et au vu d’un rapport établi par l’ASE).
La Commission des affaires sociales du Sénat a finalement adopté un dispositif beaucoup plus simple, supprimant toute intervention du juge et prévoyant simplement le principe d’un versement de l’ARS à l’ASE en cas de placement de l’enfant, que ce soit dans le cadre d’une mesure administrative ou judiciaire. La rapporteure, Mme Catherine Deroche, souligne à cet égard dans son rapport que « contrairement aux allocations familiales, l’ARS ne constitue pas, pour le juge, un outil de ‘négociation’ avec les parents. Il n’est donc pas utile que celui-ci intervienne dans le processus d’attribution de cette allocation, comme l’ont indiqué les représentants des juges des enfants ».
Le présent article se borne en conséquence à insérer un dernier alinéa au sein de l’article L. 543-1 du code de la sécurité sociale précisant qu’en cas de placement judiciaire (lorsque l’enfant est « confié » à l’ASE), « l’allocation de rentrée scolaire due à la famille est versée à ce service ».
● Les propositions de votre rapporteur
Votre rapporteur approuve l’économie générale de ce dispositif, qui porte sur une prestation individuelle (et non familiale) répondant à un objet précis, pour laquelle on observe aujourd’hui un réel vide juridique. La solution proposée par le Sénat a en outre le mérite de la simplicité et ne devrait en conséquence poser aucun problème de mise en œuvre aux caisses d’allocations familiales.
Il considère néanmoins, comme pour les allocations familiales, que l’automaticité de ce versement pourrait s’avérer contraire à l’intérêt de l’enfant, dans la mesure où elle ne permet pas de tenir compte de l’implication de la famille dans le maintien d’un lien avec l’enfant et la préparation de son retour au foyer. Il est donc proposé pour l’ARS de prévoir un dispositif similaire à celui prévu pour les allocations familiales
● Comme l’ont souligné lors de leur audition par votre rapporteur les représentants de l’association des départements de France (ADF), la situation actuelle soulève à la fois un problème d’équité et un problème financier :
– un problème d’équité vis-à-vis des familles dont les enfants ne sont pas placés et qui perçoivent les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire en contrepartie de la charge réelle que représente l’entretien quotidien de leurs enfants ;
– un problème financier pour les conseils généraux qui ne perçoivent pas ni l’intégralité des allocations familiales afférentes aux enfants dont ils ont pourtant la charge ni l’allocation de rentrée scolaire due pour ces derniers, ce qui les empêche, très concrètement, d’augmenter les frais d’habillement, de loisirs ou de rentrée versés aux assistants familiaux, de satisfaire les revendications salariales de ces derniers, de renforcer l’accompagnement des familles par les travailleurs sociaux, etc.
C’est pourquoi la présente proposition de loi vise en premier lieu à préciser la portée de la dérogation prévue à l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale et en second lieu, à introduire un principe identique à l’article L. 543-1 du même code.
● Si votre rapporteur approuve l’objectif affiché par la proposition de loi, il a tenu à examiner la pertinence de ses dispositions du seul point de vue de l’intérêt de l’enfant, qui consiste, en-dehors des cas de violence ou de maltraitance volontaires, à ne pas obérer toute possibilité de retour du ou des enfants placés, voire toute possibilité de maintien du lien familial grâce à un accueil de l’enfant le week-end et pendant les vacances, en supprimant des ressources parfois cruciales au maintien du logement ou de l’entretien général du foyer.
L’automaticité d’une réduction des allocations familiales maintenue au bénéfice de la famille au-delà des trois premiers mois de placement ainsi que du versement de l’allocation de rentrée scolaire au service de l’aide sociale à l’enfant ne lui a pas semblé satisfaire pleinement à cet objectif.
Il a en outre considéré que les dispositions prévues étaient susceptibles de générer un fort contexte d’incertitude pour les caisses d’allocations familiales qui versent les allocations : en effet, là où elles effectuent aujourd’hui un choix binaire entre versement de l’intégralité des allocations à la famille ou versement de la part relative à l’enfant placé à l’ASE, elles devront désormais calculer au cas par cas la part respective de la famille et du service de l’aide sociale à l’enfance en fonction des taux de répartition arrêtés par le juge, taux appelés en outre à évoluer au bout de trois mois. La CNAF craint donc la multiplication d’erreurs de calculs et de rappels d’indus. Quant aux juges, ils ne sont pas favorables à la création d’une audience ad hoc à trois mois, là où il ne s’en tient pas systématiquement aujourd’hui.
Votre rapporteur a donc estimé que si un rééquilibrage de la répartition des allocations familiales en faveur des services de l’aide sociale à l’enfance et un meilleur contrôle de l’utilisation de ces allocations, lorsqu’elles sont maintenues au profit de la famille, paraissent nécessaires, de même qu’une meilleure allocation de l’ARS, il est également important de proposer un dispositif juste et opérationnel qui ne se révèle pas, par sa complexité, plus coûteux et moins efficient que le dispositif actuel.
Votre rapporteur regrette profondément les conditions dans lesquelles s’est déroulé le débat en commission, qui n’ont pas permis d’instaurer un véritable dialogue entre majorité et opposition, la perspective d’aboutir à un texte de compromis ayant d’emblée été balayée par le groupe majoritaire, manifestement peu désireux d’examiner au fond les amendements déposés par votre rapporteur.
Aucune des avancées proposées n’ont ainsi été acceptées, bien que la plupart d’entre elles aient reçu l’assentiment des personnes auditionnées, y compris celles initialement opposées à la proposition de loi telle qu’elle résultait des débats du Sénat. Avaient notamment été salués par ces dernières :
– l’allongement à six mois de la période d’observation et le rétablissement de la possibilité de maintenir le versement de l’intégralité des allocations familiales à la famille pendant cette période ;
– le rappel de la possibilité pour le juge, lorsqu’il décide du maintien, d’ordonner également une mesure d’aide à la gestion du budget familial en application de l’article L. 375-9-1 du code civil afin de s’assurer de la bonne utilisation des fonds et d’accompagner les familles dans l’apprentissage de la gestion d’un budget. De nombreux députés de la majorité ont estimé cette précision redondante et inutile, voire vexatoire pour les travailleurs sociaux qui soutiennent déjà ces familles dans leurs difficultés quotidiennes. Faut-il cependant rappeler que ce texte s’inscrit dans le seul cadre de mesures de placement judiciaire, qui interviennent précisément en cas d’échec ou de refus par les familles des mesures d’accompagnement social qui leur ont déjà été proposées par les services de l’aide sociale à l’enfance ? À cet égard, la Défenseure des enfants a notamment souligné en audition qu’une fois les enfants placés sur décision du juge, le sort de la famille n’était plus une question pertinente pour les services sociaux qui avaient tendance à s’en désintéresser, ce qui ne facilitait pas le retour des enfants au foyer. Elle a ainsi considéré que maintenir le versement des allocations familiales tout en ordonnant une mesure d’aide à la gestion du budget familial serait doublement bénéfique pour la famille et l’enfant. L’objectif poursuivi par l’amendement était donc simplement de tenir compte des nombreuses remarques émises en audition sur la nécessité de renforcer ces mesures, en incitant les juges à recourir plus systématiquement à cette procédure lorsqu’ils statuent sur le bénéficiaire des allocations familiales ;
– la possibilité d’une répartition de la part des allocations familiales afférente à l’enfant placé entre la famille et le service de l’aide sociale à l’enfance avait également été jugée positivement par plusieurs intervenants, la Défenseure des enfants considérant notamment que cela pouvait constituer un outil de négociation supplémentaire avec la famille pour le juge ;
– enfin, l’instauration d’un ou plusieurs taux fixes pour mettre en œuvre cette modulation, en lieu et place, de taux variables selon les décisions des juges avait été saluée par la Caisse nationale d’allocations familiales pour laquelle la succession de deux décisions, susceptibles des taux de répartition différents, à trois mois d’intervalle, était susceptible de créer de très nombreuses difficultés d’application et surtout générer des coûts de gestion très importants.
La Commission des Affaires sociales examine, sur le rapport de M. Gilles Lurton, la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge lors de sa séance du mercredi 4 juin 2014.
Mme la présidente Catherine Lemorton. La proposition de loi que nous examinons ce matin sera débattue en séance publique le jeudi 12 juin, dans le cadre de la niche du groupe UMP.
M. Gilles Lurton, rapporteur. Cette proposition de loi résulte d’une collaboration fructueuse entre les groupes UMP et socialiste du Sénat sur un sujet de préoccupation commun, la prise en charge des enfants confiés par le juge au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Comme vous le savez sans doute, notre dispositif de protection de l’enfance repose sur une compétence partagée entre, d’une part, le département, chargé, via le service de l’ASE, d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux enfants et aux familles confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité de ces enfants ou de compromettre gravement leur éducation et leur développement, et, d’autre part, l’autorité judiciaire, chargée d’ordonner des mesures d’assistance éducative pour les parents qui ne peuvent ou ne souhaitent pas bénéficier de l’intervention sociale, et qui sont momentanément défaillants pour remplir leurs devoirs éducatifs.
Les mesures judiciaires ne sont donc en principe mises en œuvre que de manière supplétive, en cas d’échec des mesures administratives ou si les parents refusent de coopérer. Ce principe a été réaffirmé par la loi du 5 mars 2007, qui a également rappelé le caractère obligatoire du financement par le département des mesures décidées par le juge, en sus de celles relevant de sa compétence propre. Ainsi, en 2011, la dépense directe consacrée à l’ASE a représenté une charge nette de 6,7 milliards d’euros pour les conseils généraux, ce qui en fait leur principal poste de dépenses d’action sociale.
C’est dans ce contexte budgétaire difficile pour les départements, qui doivent de surcroît faire face, malheureusement, à un nombre croissant de placements, qu’ont été déposées deux propositions de loi au Sénat : la première, en juillet 2012, émanait du groupe UMP et avait comme premiers cosignataires M. Christophe Béchu et Mme Catherine Deroche ; la seconde, déposée au mois d’octobre de la même année, émanait du groupe socialiste et apparentés et avait pour auteur M. Yves Daudigny. Ces deux textes poursuivaient les mêmes objectifs : d’une part, renforcer le principe posé à l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel la part des allocations familiales correspondant à un enfant confié au service de l’ASE est versée, non plus à la famille, mais à ce service ; de l’autre, instaurer un principe identique s’agissant de l’allocation de rentrée scolaire (ARS).
Des initiatives similaires avaient été prises par d’autres parlementaires – dont Yves Bur à l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 –, mais elles avaient été rejetées.
La proposition que nous examinons est formellement issue du texte rédigé par M. Béchu et par Mme Deroche, mais a été modifiée en commission pour reprendre les dispositions de la proposition de loi de M. Daudigny. Alors que le juge peut aujourd’hui décider, soit d’office, soit sur saisine du président du conseil général, de maintenir à la famille le versement des allocations familiales lorsqu’un ou plusieurs enfants font l’objet d’un placement judiciaire, l’article 1er ne prévoit qu’un maintien partiel de la part des allocations relative à l’enfant placé ; il plafonne en outre à 35 % le montant total du versement au bénéfice de la famille à compter du quatrième mois suivant la décision de placement prise par le juge, de sorte que le service de l’ASE deviendrait alors le destinataire d’au moins 65 % de la part. Un rapport devrait en outre être produit par le service d’ASE pour éclairer la décision du juge.
S’agissant de l’ARS, l’article 2 introduit le principe d’un versement au service de l’ASE pour tout enfant placé dans le cadre d’une mesure judiciaire, sans que le juge soit appelé à intervenir.
Les dispositions de cette proposition de loi sont motivées par deux principes. Le premier est l’équité sociale : comment justifier le maintien des allocations familiales à des familles qui n’ont plus la charge effective de leurs enfants, alors que les autres familles pourvoient réellement aux besoins quotidiens des leurs grâce à ces mêmes allocations ? L’autre principe est la juste allocation des ressources : dans la mesure où l’ASE finance la prise en charge matérielle des enfants placés, il est logique que la part des allocations dont ces derniers sont censés bénéficier au sein de leur famille lui revienne.
Dans mon travail sur ce texte, j’ai tenu à fonder ma réflexion sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément aux termes de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. C’est à la lumière de cette exigence mais aussi de nombreuses auditions préparatoires que j’ai analysé la mise en œuvre concrète des dispositions proposées par le Sénat.
La Convention internationale des droits de l’enfant rappelle que la famille reste le cadre idéal pour favoriser l’épanouissement de l’enfant, et pose que les éventuels placements ont vocation à être provisoires. Quand cela est possible, comme cela semble l’être dans l’immense majorité des cas, les mesures de protection de l’enfance doivent donc contribuer à favoriser le retour de l’enfant au foyer. L’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale dispose, quant à lui, que les allocations familiales sont versées à celui qui a la charge « effective et permanente » de l’enfant. Si les services de l’ASE assument une telle charge pour les enfants placés, celle-ci ne saurait être considérée comme permanente que dans une minorité de cas. Selon la Caisse nationale d’allocations familiales, la CNAF, dans 5 % seulement des placements, il n’existe plus de lien affectif ou matériel entre les parents et l’enfant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, aux termes du même article L. 521-2, le juge peut maintenir le versement des allocations familiales à la famille « lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer ». Toujours d’après les données de la CNAF, le versement des allocations à la famille serait ainsi maintenu dans 56 % des cas.
En revanche, comme l’ont souligné en audition les représentants de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), mais aussi la présidente de l’Association nationale des magistrats de l’enfance et de la famille, la déléguée interministérielle à la famille ou encore la Défenseure des enfants, le maintien du versement des allocations familiales est rarement assorti d’un contrôle de leur utilisation ; or ce maintien constitue, d’après la Défenseure des droits, un instrument de négociation entre le juge des enfants et la famille dans la mise en œuvre des exigences que le premier peut formuler en vue de la création ou du rétablissement d’un environnement familial propice au retour de l’enfant dans son foyer.
Les cas de violence ou de maltraitance volontaires mis à part, bien entendu, l’intérêt de l’enfant exige donc à mes yeux de ne pas obérer la possibilité d’un retour, ou tout simplement d’un maintien du lien familial grâce par exemple à un accueil le week-end ou pendant les vacances scolaires, ce qui pourrait être le cas si l’on supprimait des ressources parfois indispensables au maintien du logement ou à l’entretien général du foyer. Aussi le Sénat a-t-il prévu, lors de l’examen en séance, une période d’observation de trois mois au bénéfice de la famille ; la pertinence de cette disposition est toutefois amoindrie par celles qui suppriment toute possibilité de maintien intégral des allocations à la famille, que ce soit avant ou après ladite période.
Ces dispositions sont de surcroît sources de fortes incertitudes pour les caisses d’allocations familiales, qui nous ont alertés sur les problèmes que poserait le calcul d’un taux susceptible de varier d’un cas à l’autre durant les trois premiers mois : le nombre d’indus risque d’être très élevé et, compte tenu du contexte, les récupérer ne serait pas chose simple.
Il m’apparaît donc difficile d’adopter tel quel le texte qui nous vient du Sénat. Si un rééquilibrage de la répartition des allocations familiales en faveur des services de l’ASE et un meilleur contrôle de l’utilisation de ces allocations, lorsqu’elles sont maintenues au profit de la famille, paraissent nécessaires, il n’est pas moins nécessaire que le dispositif soit opérationnel et ne se révèle pas, par sa complexité, plus coûteux et moins efficient que le dispositif actuel. Aussi vous proposerai-je un certain nombre d’amendements inspirés par les auditions que j’ai menées, afin de trouver une voie de compromis.
S’agissant des allocations familiales, il me paraît intéressant de conserver, d’une part, l’idée d’une première période dite d’« observation » et, d’autre part, le principe d’une répartition ultérieure de la part des allocations familiales dues pour l’enfant entre la famille et le service de l’ASE, en fonction du comportement de la famille pendant cette période d’observation.
Je propose en revanche de fixer celle-ci à six mois, de façon que sa fin coïncide avec une audience programmée par le juge. En effet, les mesures de placement, en règle générale, sont provisoires et revues au bout de six mois et la magistrate que nous avons auditionnée estime peu raisonnable l’ajout d’une deuxième audience au bout de trois mois.
Je propose également de permettre le maintien total ou la suppression complète des allocations familiales à la famille pendant cette période, et de prévoir un réexamen de la situation à son terme avec la possibilité pour le juge, outre de maintenir ou de supprimer les allocations, de les répartir entre la famille et le service de l’ASE, sur la base d’un taux fixe - qui serait de 35 % pour la famille et de 65 % pour l’ASE si l’on en reste à la proposition du Sénat, mais qui pourrait se faire à parts égales si vous le jugez préférable. Je précise que plusieurs personnes auditionnées – dont la Défenseure des enfants –, très opposées à une réduction automatique de la part des allocations familiales susceptible d’être maintenue à la famille, se sont en revanche félicitées d’une telle possibilité offerte au juge.
Pour ce qui est de l’ARS, visée à l’article 2, il me paraît plus cohérent de revenir à l’esprit du texte initial de M. Béchu et Mme Deroche, qui renvoyait, comme pour les allocations familiales, à une décision du juge. L’automaticité d’un versement à l’ASE ne paraît pas plus justifiable dans ce cas que dans celui des allocations familiales, dans la mesure où elle ne permet pas de tenir compte de l’implication de la famille dans le maintien d’un lien avec l’enfant et dans la préparation de la rentrée scolaire. Il est donc proposé d’appliquer à l’ARS un dispositif similaire à celui prévu pour les allocations familiales.
En conclusion, je rappelle que le présent texte a été adopté à la quasi-unanimité au Sénat, avec 329 voix pour, dont 123 du groupe socialiste, et seulement 16 voix contre. Ces chiffres témoignent d’un constat partagé quant à la nécessité d’améliorer la prise en charge des enfants placés auprès des services de l’ASE et de garantir une utilisation efficiente des fonds censés pourvoir à leurs besoins, tout en trouvant une solution équilibrée à une situation qui, aujourd’hui, ne l’est pas. Je pense néanmoins que nous pouvons améliorer le texte en adoptant les amendements que je vous propose ; aussi j’espère que l’esprit constructif qui a prévalu jusqu’à présent permettra d’aboutir, dans notre assemblée, à un consensus entre la majorité et l’opposition.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Je veux d’abord saluer la qualité du travail de Gilles Lurton, tant lors des auditions qu’il a menées qu’à travers ses amendements pour améliorer la proposition de loi afin de mieux servir l’intérêt de l’enfant. Toutefois, je propose le rejet de ce texte : au mieux, il est inutile ; au pire, il fragilise le lien entre les enfants placés et leur famille.
Sur la forme, les sénateurs se sont prononcés en l’absence de données fiables autres que celles extrapolées à partir de leur propre département, imaginant ainsi des montants d’économies pour les services de l’ASE, qu’ils président souvent, sans aucune consolidation nationale. D’autre part, il a été dit que les juges maintenaient systématiquement le versement des allocations aux familles alors que les chiffres recueillis lors des auditions révèlent que, sur les 50 000 d’entre elles dont un enfant est placé, 28 000, soit 57 %, continuent à percevoir les allocations familiales, qui sont donc versées directement à l’ASE dans 43 % des cas. On est donc loin de la généralité alléguée et force est de constater que les juges font en réalité leur travail d’expertise et d’appréciation.
Pour ce qui est du fond, sur l’article 1er relatif aux allocations familiales, les sénateurs se sont prévalus du « bon sens » ; mais le bon sens plaide pour une prise en compte des situations particulières, non pour des décisions automatiques et formatées. En l’espèce, c’est bien au juge qu’il revient d’examiner la situation de chaque famille afin d’individualiser sa décision de maintenir ou non les allocations familiales.
Le « bon sens », rappelle le Défenseur des droits dans son rapport de 2011 sur les droits de l’enfant, est d’« organiser l’implication et la participation effectives des parents » et d’« anticiper la fin du placement ». Les juges et les travailleurs sociaux comme la Défenseure des enfants ont souligné que les allocations familiales sont des outils de négociation avec les familles, des moyens de retisser le lien de l’enfant avec elles et de les responsabiliser.
Le bon sens exige de tout faire pour maintenir ce lien. L’exercice de l’autorité parentale, dans l’esprit même de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance, suppose que les parents puissent participer à l’achat de vêtements, mais aussi contribuer aux dépenses de transport pour les visites pendant le placement, payer des activités partagées de loisirs ou encore la réorganisation matérielle de l’appartement en vue du retour – car, ne l’oublions pas, 95 % des enfants placés reviennent dans leur famille.
L’article 2 concerne l’ARS, versée sous conditions de ressources et en fonction du nombre d’enfants à charge : au vu de ces conditions, quel sens y aurait-il à la verser à une institution publique, en l’occurrence le département ? De plus, le versement complet à l’ASE serait injuste si le placement est de courte durée. En effet, une fois l’enfant revenu, la famille ne percevrait pas cette allocation alors qu’elle aurait à assumer des frais scolaires, qui ne sont pas tous engagés au premier jour de classe.
J’ajoute que cet article ne vise pas que les seuls enfants placés sur décision de justice, mais tous les enfants confiés à l’ASE, y compris donc ceux placés sur la demande de familles désireuses de maintenir un lien avec eux, et auxquelles on supprimerait l’ARS quand même.
Enfin, le placement d’un enfant imposerait-il un nouveau calcul du montant de l’ARS pour les autres enfants à charge, qui seraient donc un de moins ? Autrement dit, pour les fratries, les allocations devront-elles être recalculées en fonction du nombre d’enfants restant au foyer ?
Cette dernière remarque m’incite à appeler votre attention sur les difficultés de mise en œuvre, car il est trop souvent reproché au législateur de prendre des décisions « hors sol ». La gestion d’une quotité d’allocations familiales serait source de multiples retards de paiement, d’indus et d’erreurs. La modification de cette quotité au bout de trois mois implique une transmission et un traitement des informations sans faille ni délai entre la justice et les caisses d’allocations familiales ; or la Cour des comptes a déjà refusé de certifier, en 2011, les comptes de la branche famille en raison d’un nombre trop élevé d’erreurs et d’indus, et ce en l’absence de fraude avérée.
De plus, les familles concernées sont en situation de précarité, voire de grande précarité, et dans de telles situations, il est difficile de récupérer les indus : pour rendre le dispositif gérable, il faudrait probablement ignorer les situations réelles, ce qui va à l’encontre du bon sens affiché. Mais le texte soulève quantité d’autres difficultés. Comment, par exemple, garantir que les recettes nouvelles perçues par les départements seraient bien consacrées aux seuls enfants auxquels sont destinées les aides ? L’ample réécriture proposée par le rapporteur est une dernière preuve de la mauvaise qualité du texte, dont elle n’entame malheureusement pas le principe.
Je vous propose donc de rejeter cette proposition de loi, d’abord parce qu’elle fragiliserait les familles en réduisant leurs moyens d’exercer l’autorité parentale. Ces familles, d’ailleurs, doivent aussi faire face à des charges fixes, comme le loyer, même avec un enfant en moins à leur charge. Il convient de réfléchir à des alternatives au placement, solution la plus coûteuse ; or ce travail ne pourra se faire que sur la base de l’évaluation, en cours, de la loi de 2007 par les inspections des ministères des affaires sociales et de la justice, évaluation dont nous aurons les premiers résultats cette année. Les enfants placés sur décision de justice étant souvent issus de familles, parfois monoparentales, très précaires, il y a un risque de vases communicants : ce qui serait supprimé du côté des allocations familiales serait demandé, de l’autre, aux centres communaux d’action sociale ou au revenu de solidarité active (RSA). Enfin, si la suppression des allocations familiales peut faire faire des économies, elle n’a jamais servi à faire prendre conscience aux parents de leurs responsabilités.
Mme Marie-Christine Dalloz. Cette proposition de loi se fonde sur une réalité : dans notre pays, près de 150 000 enfants sont placés dans des services de l’ASE gérés par les conseils généraux. Pour ces enfants, les départements prennent donc le relais des familles et assument, en lieu et place des parents, l’ensemble des responsabilités et des frais liés à l’exercice de la parentalité.
Le texte pose la question de savoir qui doit bénéficier des allocations familiales et de l’ARS lorsque l’enfant est confié au service de l’ASE sur décision du juge. Les conseils généraux paient les établissements et les familles d’accueil, financent les frais de scolarité, les déplacements, les activités culturelles ou sportives, les vêtements, les repas, etc. – bref, couvrent l’ensemble des frais inhérents à l’éducation d’un enfant. Pourtant, alors que les familles biologiques n’ont plus aucune charge, elles continuent, pour 85 à 90 % d’entre elles, de percevoir des allocations familiales, en totalité ou en partie, et la totalité de l’ARS.
L’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est très clair : la part des allocations familiales due à la famille pour un enfant confié au service de l’ASE est versée à ce service. Cependant, le même article réserve la possibilité pour le juge de décider de maintenir le versement des allocations à la famille et, d’exception, ce maintien est devenu la règle. La jurisprudence l’a voulu ainsi : dans la majorité des cas, la famille continue de percevoir l’intégralité des allocations.
Sur le plan des principes, il est difficilement concevable que des familles qui n’assument plus la charge effective et permanente d’un enfant continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales au même titre que celles dont les enfants ne sont pas placés : cela contrevient à la justice et à l’équité dont vous vous faites, chers collègues de la majorité, les fervents défenseurs.
La proposition de loi poursuit un double objectif : revenir à la volonté initiale du législateur, selon laquelle les allocations familiales doivent bénéficier à la personne, physique ou morale, qui assume la charge effective de l’enfant ; laisser la possibilité au juge de maintenir la part d’allocations due au titre de l’enfant placé à la famille, tout en l’autorisant à la répartir entre cette dernière et l’ASE.
L’article 1er prévoit, d’une part, de réserver en priorité le bénéfice des allocations familiales au service qui prend en charge l’enfant placé – à savoir le service de l’ASE – en supprimant la saisine d’office du juge et, d’autre part, de laisser le juge décider, après qu’il aura été saisi par le président du conseil général, soit du versement de la totalité de la part des allocations familiales due au titre de l’enfant placé – selon les termes de la législation actuelle –, soit d’une répartition de cette part entre la famille et l’ASE. L’article 2, quant à lui, tend à octroyer le versement de l’ARS au service de l’ASE, au titre des enfants qui lui sont confiés.
Mes chers collègues, il n’est pas éthique qu’une famille qui assume pleinement la charge de ses enfants soit placée sur un pied d’égalité avec une autre dont un ou plusieurs enfants sont placés par l’ASE en famille d’accueil ou en établissement. Il n’est pas éthique non plus que l’ARS continue d’être versée à la famille biologique alors même que ce sont les départements qui supportent la totalité des dépenses de scolarisation de l’enfant.
D’après la Caisse nationale des allocations familiales, en 2011, l’ARS a bénéficié à 2,8 millions de foyers, pour un coût de 1,5 milliard d’euros ; l’an dernier, son montant s’est élevé à 300 euros en moyenne, et elle a été versée aux parents de 4,8 millions d’enfants. En l’état actuel du droit, cette allocation, seulement destinée à couvrir les frais de rentrée scolaire, continue d’être entièrement versée à la famille alors que les départements assument l’intégralité de ces frais – et, en outre, versent aux familles d’accueil un montant forfaitaire variant en fonction du niveau scolaire de l’enfant. Comment justifier une telle situation quand l’enfant n’habite plus chez lui et est entièrement pris en charge par les services de l’ASE ?
Cette question a fait l’objet d’une proposition de loi similaire de Valérie Pécresse, ainsi que d’amendements que j’ai déposés à l’occasion de l’examen inachevé de la proposition de loi socialiste relative à l’autorité parentale. Le groupe SRC ne souhaite pas adopter le présent texte en l’état, puisqu’il a demandé un vote solennel, qui devrait avoir lieu dans la semaine du 17 juin. Pourtant, cette proposition de loi n’est pas partisane : elle est de simple bon sens et a pour seule ambition de renforcer la cohérence de l’ASE. Elle ne réduit en rien les moyens consacrés à l’éducation des enfants confiés à la puissance publique. Le groupe UMP soutient donc ce texte, qui nous donne l’occasion d’instaurer la justice et l’équité entre les familles, sans toucher, bien évidemment, aux droits de l’enfant.
Nos collègues de l’opposition ont-ils rencontré les familles d’accueil et leurs représentants ? Celles-ci sont profondément choquées du traitement qui leur est réservé, notamment du versement de l’ARS aux familles biologiques alors que celles-ci ne voient leurs enfants qu’une journée par mois.
M. Francis Vercamer. Cette proposition de loi requiert toute l’attention du groupe UDI pour trois raisons.
Tout d’abord, elle intéresse un public particulièrement fragilisé : les enfants qui ont été retirés à leur famille sur décision judiciaire pour être placés en famille d’accueil ou en établissement dans le cadre de l’ASE.
Ensuite, elle obéit à une démarche pragmatique, fondée sur l’écoute des services départementaux, des professionnels des structures et des familles d’accueil. Intervenant dans un contexte délicat, puisqu’il importe de prendre en compte à la fois l’intérêt de l’enfant et celui de la famille autour de l’enfant, ce texte s’efforce de proposer des mesures sans parti pris idéologique, fondées sur le respect de l’enfant, de ses parents et des acteurs sociaux qui suppléent ceux-ci dans leur rôle éducatif.
Enfin, ces mesures prennent en compte l’objectif ultime, à savoir, chaque fois que les circonstances le permettent, la reconstitution durable de la cellule familiale.
Le texte pose pour règle que celui qui assume de façon effective la responsabilité de la vie sociale et éducative de l’enfant bénéficie du versement des allocations familiales et de l’ARS. Or, lorsqu’il y a placement, cette responsabilité incombe aux services de l’ASE. Il ne s’agit donc pas d’une sanction à l’égard des familles : celle-ci consiste dans le placement de l’enfant. Il s’agit, je le répète, d’appliquer un principe simple : celui qui assure l’entretien de l’enfant perçoit les ressources qui permettent cet entretien, comme le prévoit d’ailleurs l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale.
L’examen du texte au Sénat a permis de construire un dispositif équilibré, puisque le juge – saisi d’office ou à l’initiative du président du conseil général – conserve la prérogative de décider du maintien ou non du versement des allocations à la famille. Le montant versé à celle-ci est alors partiel, et ne peut dépasser un plafond fixé à 35 % des allocations familiales normalement perçues.
Les familles qui maintiennent un lien moral ou matériel avec l’enfant peuvent donc, à l’appréciation du juge et au regard des circonstances propres à chaque cas particulier, continuer à bénéficier d’une partie des allocations familiales. Encore une fois, nous sommes face à un texte qui fait la juste part entre l’intérêt de l’enfant et le respect des familles et de leur volonté éducative.
Ce texte constitue aussi, à certains égards, la reconnaissance de l’action conduite par les services sociaux du département chargés de l’accueil et de l’éducation des enfants ainsi accompagnés. Je pense aux personnels des établissements, mais aussi aux familles d’accueil et aux assistantes familiales, qui réclament depuis longtemps ces dispositions.
Il y avait une réelle incompréhension, chez les dernières, vis-à-vis de situations paradoxales où elles assuraient pleinement la responsabilité de l’entretien de l’enfant placé alors que les allocations familiales ou de rentrée scolaire continuaient d’être versées aux familles qui n’entretenaient plus de lien avec l’enfant. Or c’est souvent de l’incompréhension que naît le sentiment d’injustice.
L’examen de ce texte pourrait être l’occasion de soulever la question des conditions d’exercice de leurs missions par les assistants familiaux. L’accueil à domicile d’un enfant placé par les services de la protection de l’enfance est en effet une lourde responsabilité. Cette profession supporte une lourde exigence, celle d’assurer aux enfants un accueil de qualité et d’organiser concrètement leur parcours en tenant compte de leur état d’esprit et de la psychologie de leur âge. L’accompagnement de ces assistants familiaux dans l’exercice de leurs missions, les conditions de leur rémunération, les modalités de révision de leur agrément, leur suivi par la médecine du travail, les échanges qu’ils ont avec l’ASE à propos du parcours de l’enfant sont autant de sujets qu’il conviendrait de traiter pour leur ménager une juste place dans le dispositif de protection de l’enfance. Ce travail pourrait être mené dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur la législation relative à la protection de l’enfance. L’examen et l’adoption de cette proposition de loi ne sauraient en effet exonérer le Gouvernement et la représentation nationale de cette approche globale.
Cependant, quoique parcellaire, le présent texte s’inscrit dans une démarche pragmatique qui vise à dissiper, par des mesures concrètes, le sentiment d’injustice né de la législation actuelle et de son application. Il est de nature à assurer une répartition plus équitable des ressources entre les services sociaux des départements et les familles des enfants placés. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI le votera.
M. Christophe Cavard. Le groupe écologiste ne saisit pas vraiment l’objectif recherché avec ce texte. Soit il s’agit d’améliorer l’accompagnement des enfants confiés au service de l’ASE, soit il s’agit d’aider les familles qui subissent pour la plupart, mais accompagnent aussi parfois le placement de leurs enfants, soit il s’agit simplement de répondre à un problème d’ordre budgétaire, soulevé par les collectivités et par les familles d’accueil.
En vérité, nous peinons à comprendre en quoi cette proposition de loi améliore le sort des enfants et de leurs familles, qui sont le plus souvent meurtries par les situations en cause.
Derrière la suppression pure et simple de l’accès aux allocations familiales et à l’ARS, n’y a-t-il pas la volonté – qui s’est déjà exprimée à l’occasion d’autres débats – de culpabiliser les parents, en leur donnant à penser qu’ils ne seraient pas de bons parents parce que leurs enfants sont placés ? Supprimer le versement des allocations aux familles, n’est-ce pas aussi remettre en cause, même de façon symbolique, la fonction parentale elle-même ? Cela me semble très dangereux, quand on sait que les services sociaux travaillent justement à maintenir un lien permanent entre les enfants qui font l’objet d’une mesure de protection et leurs familles, dans l’objectif de favoriser le retour des premiers au sein des secondes.
Se pose aussi le problème de l’aggravation de la situation économique des familles concernées. Que vous le vouliez ou non, la suppression d’une partie de leurs revenus – qui contribue à leur permettre d’assumer leur rôle – aboutira pour la plupart d’entre elles à ajouter la précarité à la précarité, mettant en péril la possibilité de voir ces enfants revenir dans leur foyer.
Ces placements vont coûter de plus en plus cher aux collectivités qui en assurent le financement. Nous savons qu’une réflexion est en cours dans les départements sur l’accompagnement dit en milieu ouvert, c’est-à-dire sur un suivi social assuré au sein même des familles. Je ne comprends donc pas que l’on puisse revenir sur cette volonté quasi unanime de privilégier le maintien de l’enfant dans sa famille – avec, le cas échéant, un accompagnement social renforcé.
Vous savez aussi, monsieur le rapporteur, qu’à travers l’enfant, on travaille avec toute la famille, c’est-à-dire avec les enfants qui restent au foyer lorsque c’est le cas, mais aussi avec les parents. Privilégier une logique de séparation, dans laquelle les parents n’auraient presque plus la charge de leurs enfants puisqu’on leur en ôterait les moyens, remet en cause ce travail indispensable.
Vous comprendrez donc que, conformément à ce qui s’est passé au Sénat, le groupe écologiste appelle au rejet de ce texte. Néanmoins, il s’agit d’un vrai problème, qui mérite sans doute une réflexion plus large.
Mme Dominique Orliac. Permettez-moi d’abord de remercier M. le rapporteur pour sa présentation.
Cette proposition de loi a le mérite d’être simple : elle ne comporte que deux articles. Elle a aussi le mérite de soulever une vraie question concernant les allocations familiales, question souvent agitée à tort et à travers pour faire le lit du populisme dans notre pays.
Actuellement, les allocations familiales et l’ARS peuvent être versées à la famille d’un enfant placé si le juge en décide ainsi, lorsque cette famille « participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer ». Le débat sur le sujet a été lancé il y a quelque temps par les présidents de conseils généraux, confrontés à des difficultés budgétaires : à cette occasion, on a notamment mis en avant le fait qu’il pouvait exister des inégalités entre familles à revenus modestes, du fait que certaines continuaient de toucher des allocations pour des enfants qu’elles n’avaient plus à charge, ce qui crée un problème d’indus.
Le groupe RRDP constate que la proposition de loi vient renforcer les dispositions actuelles. En effet, l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale dispose que « les allocations sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant » et que « lorsqu’un enfant est confié au service de l’ASE, les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’ASE. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet enfant est versée à ce service. »
Le même article prévoit toutefois – comme je l’ai dit tout à l’heure – que le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, de maintenir le versement des allocations à la famille lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer.
Aux termes de la proposition de loi, le service de l’ASE, qui a la charge effective de l’enfant, recevra en toutes circonstances une part égale à au moins 65 % du montant des allocations familiales. Le droit de saisine d’office du juge serait maintenu, et porterait sur une part n’excédant pas 35 % du montant total de l’allocation. En outre, l’ARS serait versée au département, qui supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation de l’enfant.
Lors des débats au Sénat, nous avons entendu parler de « double peine » et, de fait, je suis consciente des difficultés rencontrées par des familles qui perdent à la fois la garde de leur enfant et les revenus qui pourraient les aider à vivre mieux. Mais ce qui importe avant tout à mes yeux est le bien-être de l’enfant. Or un enfant séparé de ses parents ne se trouve pas dans une situation idéale, même lorsque sa garde est confiée aux autorités pour des raisons de sécurité et de bien-être. Dans ce cas, il est normal que les services qui le prennent en charge afin de lui offrir un meilleur avenir puissent bénéficier de l’argent nécessaire pour cela, mais j’attendrai la fin de nos débats en commission pour me prononcer définitivement sur la proposition de loi, étant entendu que le groupe RRDP est a priori réservé sur ce texte.
Mme Jacqueline Fraysse. Je ne mets en cause ni le travail ni le sérieux du rapporteur, mais je ne puis approuver le contenu de la présente proposition de loi.
Alors que nous sommes face à des situations complexes et douloureuses, qui devraient appeler aide et générosité, la démarche qui sous-tend ce texte est à la fois accusatrice, culpabilisante et moralisatrice.
Au nom de l’éthique, et en vertu d’une logique mathématique implacable, il pose que les allocations familiales et l’ARS versées à sa famille pour un enfant confié à l’ASE doivent revenir au service social. Vous évoquez dans l’exposé des motifs des raisons de justice et d’équité entre les familles, et de moralisation de nos dispositifs. Ce n’est pas le cœur du sujet. Si, dans certains cas, ces sommes doivent revenir au service social, cela ne doit pas être automatique : chaque situation est particulière, complexe et toujours douloureuse.
Vous invoquez l’application d’un principe simple : celui qui assume l’entretien de l’enfant reçoit les allocations familiales. Les situations ne sont malheureusement jamais simples, d’où la nécessité d’un examen au cas par cas. Le traitement des dossiers de ces enfants et de leurs familles ne peut relever ni de l’automaticité, ni de la moralisation. Comme tout ce qui touche à l’humain, il exige une étude précise de chaque cas, avec pour fil conducteur l’intérêt du ou des enfants concernés, dans la perspective d’un retour le plus rapide possible dans leur milieu familial. Il faut donc créer les conditions de ce retour. C’est ce travail que nous devons engager plutôt que de nous en remettre à des règles ou à des principes qui peuvent paraître de bon sens. Il s’agit de prendre les mesures nécessaires pour concrétiser cette perspective de retour, que le juge intervienne ou non. La législation actuelle nous semble donc raisonnable. C’est parce que le groupe GDR en est convaincu qu’il ne soutiendra pas ce texte.
Mme Véronique Louwagie. Merci, monsieur le rapporteur, pour toutes les explications que vous nous avez données sur cette proposition de loi déposée par le sénateur Christophe Béchu. Pour avoir rencontré des familles d’accueil, nous savons que le versement des allocations familiales et de l’ARS suscite de vraies interrogations sur le terrain.
En ce qui concerne les allocations familiales, le principe d’équité sociale est de bon sens. Ces allocations doivent être versées à la personne qui assume la charge effective et permanente de l’enfant. Mais si le principe paraît logique, force est de constater qu’en pratique, il n’est pas appliqué. Je reconnais que la situation n’est pas simple, mais ce n’est pas une raison pour ne pas prendre le problème en compte et tenter d’y trouver une solution.
En ce qui concerne l’ARS, nous constatons une incohérence. Alors que le département assume la totalité des dépenses liées à la rentrée scolaire d’un enfant confié à l’ASE, les dispositions en vigueur prévoient le versement de cette allocation à sa famille. Dans la mesure où les allocations doivent bénéficier aux enfants et où l’intérêt supérieur de l’enfant prime, les enfants doivent être les premiers et les seuls bénéficiaires des allocations. Au nom de l’équité, de l’égalité, de la justice, cette proposition de loi – conforme en outre au bon sens – devrait donc être pour nous l’occasion de dépasser les clivages partisans, comme cela a été le cas au Sénat.
Mme Linda Gourjade. Ce texte nous est présenté comme susceptible de conduire à une meilleure maîtrise de la dépense de protection sociale de l’enfance à la charge des départements. Or il n’en est rien. Les allocations familiales et l’ARS, versées par les caisses d’allocations familiales, sont ici considérées comme une manne financière. La proposition de loi ne vise ni l’intérêt de l’enfant, ni celui de sa famille. Comme vous le savez, les prestations familiales sont indispensables aux familles les plus modestes et les plus démunies pour prendre leurs enfants en charge, même si cette prise en charge et le temps de l’accueil paraissent minimes dans le cadre de l’ordonnance de placement provisoire. Les magistrats et les services de l’ASE connaissent cette problématique et en tiennent compte. Les allocations familiales ne peuvent être versées de manière partielle ; toutefois, une telle disposition pourrait parfois permettre d’affiner les dispositifs d’accompagnement.
L’ARS, versée aux seuls parents en fonction de leurs revenus, ne peut être détournée de son objectif par le magistrat au profit de l’ASE. Faire évoluer ce dispositif permettrait d’ajuster les mesures d’accompagnement budgétaire bénéficiant aux familles, mais affecter aux conseils généraux l’ARS – versée comme je l’ai dit aux parents sous conditions de ressources – lorsque l’enfant est confié à l’ASE constitue une absurdité et un détournement du dispositif.
Le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pourrait être l’occasion d’améliorer les dispositions en vigueur et de faire en sorte que ces prestations soient utilisées au mieux, dans l’intérêt de l’enfant ou du jeune.
Mme Isabelle Le Callennec. Cette proposition de loi a été déposée par le sénateur Christophe Béchu, qui a été président du conseil général du Maine-et-Loire et connaît donc parfaitement les difficultés auxquelles sont confrontés les départements en matière de protection de l’enfance. Elle dispose que dans le cas où un enfant est confié à l’ASE, les allocations familiales et l’ARS sont versées au « service gardien » qui assume la charge effective de l’enfant, à savoir le centre d’hébergement ou – pour 60 % des cas dans mon département de l’Ille-et-Vilaine – la famille d’accueil. Son objet est simplement d’assurer l’application de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale. Personnellement, je la soutiens.
Si le maintien des allocations familiales aux familles est décidé dans 56 % des cas, leur utilisation n’est pas contrôlée. J’estime que le service de l’ASE est le mieux placé pour savoir comment gérer ces allocations. Ce sont les travailleurs sociaux qui sont en contact permanent avec les enfants et les familles, et non le juge. Ils travaillent autant que faire se peut au maintien d’un lien affectif, dans l’espoir de favoriser le retour de l’enfant au foyer dans les meilleures conditions possibles. Je crois donc en la capacité d’initiative des services de l’ASE des départements. Ce texte confirme la gestion des allocations familiales par les services de l’ASE ; c’est pour eux un outil supplémentaire de soutien à la parentalité. Rien ne les empêche d’ailleurs d’associer les familles à cette gestion et à celle de l’ARS. Dans mon département, par exemple, des travailleurs sociaux font les achats de la rentrée scolaire avec la famille biologique et la famille d’accueil, pratique qui mériterait d’être généralisée.
M. Michel Liebgott. De deux choses l’une : ou il s’agit d’une sanction à l’encontre des parents, auquel cas le dispositif n’est pas approprié, ou il s’agit de l’intérêt de l’enfant, auquel cas les allocations familiales doivent rester un droit. L’enfant ayant vocation à retourner dans sa famille, celle-ci et la société doivent pouvoir créer les conditions de ce retour.
Ce texte répond à une vieille rengaine. Mme Nadine Morano, alors secrétaire d’État à la famille, en avait repoussé le principe – proposé par le groupe UMP – lors de la discussion du PLFSS pour 2011. C’est dire si nous sommes nombreux à être opposés à une telle évolution. J’ai d’ailleurs bien compris que M. le rapporteur avait été sensible aux arguments qui démontrent que ce texte est très contestable.
Les allocations familiales pourraient à terme être supprimées à bien d’autres parents que ceux à qui leurs enfants ont été retirés. Le texte ouvre donc la porte à une remise en cause de ce qui est un des éléments constitutifs d’une politique concourant largement au maintien du taux de natalité en France. Le Sénat lui-même, à travers l’amendement du sénateur Yves Daudigny, a instauré une période d’observation de trois mois, que le rapporteur propose de porter à six mois. Cela montre que le texte a été conçu avec des arrière-pensées, sans doute pour récupérer de l’argent pour les départements ou pour faire un peu de morale. Nul n’est en tout cas vraiment convaincu de sa pertinence dans l’intérêt de l’enfant, qui doit être notre seul souci.
M. Bernard Perrut. Ce texte se fonde sur un double constat : l’absence de respect de la loi s’agissant des allocations familiales, puisque l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale prévoit que les allocations sont versées à la personne qui assume la charge de l’enfant, et que dans les faits, le juge décide presque systématiquement de leur versement à la famille ; et l’incohérence de la loi s’agissant de l’ARS.
Pour des raisons d’équité et d’égalité, il est difficile d’accepter que des parents n’assumant plus la charge effective de leur enfant continuent de bénéficier des allocations familiales ou de l’ARS au même titre que les familles élevant leurs enfants. Mais il est tout aussi difficile de faire abstraction du rôle que doivent jouer les parents. L’essentiel est en effet que ces enfants puissent retourner dans leur famille, et que celle-ci retrouve son rôle d’éducation et de prise en charge des enfants. Les parlementaires qui sont maires peuvent juger presque chaque semaine des difficultés sur le terrain. C’est dire combien ce texte est utile, d’autant que le rapporteur va l’amender pour simplifier et rendre plus opérationnel le dispositif prévu par le Sénat, notamment s’agissant de la première période dite d’observation et du principe d’une répartition ultérieure de la part des allocations familiales entre la famille et l’ASE en fonction du comportement de la famille pendant cette période d’observation. Bref, il s’agit d’une proposition équilibrée et responsable.
M. Denys Robiliard. Ce n’est pas une décision facile à prendre que celle de retirer un enfant à sa famille pour le confier à l’ASE.
Je partage assez l’avis de M. Liebgott. En outre, cette proposition de loi ne changera rien pour les familles d’accueil. N’allons pas croire qu’elle permettra aux conseils généraux de les rémunérer bien davantage – l’état de leurs finances ne le leur permet pas.
J’en viens au problème d’éthique. Le texte se place dans une logique financière, alors que nous devrions privilégier l’intérêt de l’enfant. Nous sommes tous d’accord pour considérer que la famille est le cadre souhaitable pour l’éducation des enfants et que, lorsqu’on enlève un enfant de sa famille, il faut travailler à ce qu’il puisse y revenir et à ce que le droit de visite et d’hébergement puisse être exercé. La coupure totale du lien entre l’enfant et sa famille ne survient d’ailleurs que dans 5 ou 6 % des cas. Ce lien, maintenu donc la plupart du temps, doit impérativement être préservé.
Rappelons enfin que c’est l’opposition d’aujourd’hui qui a créé la situation actuelle lorsqu’elle détenait la majorité, puisque c’est la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances qui a parachevé le système en vigueur et donné un rôle central au juge – à bon escient, d’ailleurs. Si je m’oppose à la présente proposition de loi, c’est précisément parce que le juge doit conserver ce rôle, plutôt que les services sociaux qui, quels que soient leurs mérites, n’ont pas assez de distance pour veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est de revenir in fine dans sa famille.
M. Dominique Tian. Je remercie et je félicite notre rapporteur, qui ne mérite pas l’avalanche de critiques quelque peu expéditives qui lui ont été adressées. Ce texte n’est ni inhumain, ni culpabilisateur, ni moraliste : il est simplement logique. Et si nos collègues sénateurs l’ont adopté à la quasi-unanimité, c’est bien qu’il est utile.
Quand un enfant est placé – décision lourde de conséquences –, c’est parce que ses parents sont défaillants. Dès lors, ceux-ci auraient-ils bien utilisé l’argent ? Évidemment non ! Les services du conseil général l’emploieront bien mieux, dans l’intérêt de l’enfant.
Ne versons pas dans la fausse polémique. Nous ne remettons rien en cause, nous ne proposons rien d’inhumain. Il s’agit simplement de veiller à la bonne gestion de l’argent public, celui des contribuables et des conseils généraux. La mesure, qui ne sera pas d’application systématique, relève du bon sens et de la morale.
Madame Clergeau, la Caisse nationale d’allocations familiales se réjouit de la hausse de 18 % du nombre de fraudes décelées en 2012, qui a permis aux caisses d’allocations familiales (CAF) d’économiser 119 millions d’euros. Merci d’en prendre bonne note !
Mme Françoise Dumas. Soit ce texte est démagogique, soit il ne vise qu’à réaliser des économies, soit il sert l’assistance éducative. Or, dans ce dernier domaine, c’est l’intérêt de l’enfant qui doit guider les décisions des services sociaux comme celles des magistrats. Quand un enfant est placé, provisoirement ou non, il n’en conserve pas moins un lien avec sa famille d’origine. En la matière, les questions d’argent doivent être traitées avec doigté, compte tenu de leur portée symbolique. Je le sais bien pour avoir été moi-même travailleuse sociale : les allocations familiales constituent un moyen de maintenir le lien entre l’enfant et sa famille, où son intérêt commande qu’il puisse retourner dans les meilleures conditions.
L’assistance éducative ne constitue qu’un moment dans un parcours de vie, pendant lequel, sans se substituer à la tutelle, on peut, comme les travailleurs sociaux le font déjà, mettre à profit tous les moyens disponibles pour accompagner les familles, y compris l’utilisation des allocations familiales et de rentrée scolaire.
N’allons donc pas plus loin que la loi actuelle : faisons confiance aux magistrats et aux services sociaux pour décider au cas par cas du meilleur emploi de ces ressources et pour travailler avec les familles de manière fine et différenciée. La mesure proposée ne peut pas être érigée en principe.
M. Élie Aboud. Sur le fond, je salue un texte juste, à propos duquel les postures adoptées par certains collègues sont bien regrettables.
S’agissant toutefois des amendements du rapporteur, censés rendre le dispositif plus opérationnel, je m’interroge sur plusieurs points.
D’abord, que penser, du point de vue non de la décision judiciaire mais de la bonne administration des CAF, de la répartition des allocations entre la famille et l’ASE ? Le dispositif ne va-t-il pas être difficile à appliquer ? Sur quel fondement les taux proposés, de 35 et 65 %, ont-ils été fixés ?
Ensuite, lorsque les allocations sont versées ou reversées à la famille, comment contrôler concrètement que celle-ci les emploie bien dans l’intérêt de l’enfant placé ?
Enfin, pourquoi le dispositif de répartition des allocations familiales n’est-il pas étendu à l’ARS ?
M. Olivier Véran. Le sujet dont nous parlons est sensible et complexe, comme en atteste le vote du Sénat, qui transcendait les clivages politiques traditionnels. Des situations difficiles, voire conflictuelles, sont en jeu. Évitons donc les formules simplistes et les postures caricaturales, de part et d’autre.
La proposition de loi part d’un constat : il peut être problématique de verser des allocations à des familles qui n’ont plus la charge de leur enfant dès lors que celui-ci a été confié à l’ASE. Mais ce constat demeure très parcellaire. D’abord parce que le maintien des prestations sociales peut contribuer de manière décisive à préparer le retour de l’enfant dans sa famille, objectif fondamental. Ensuite parce que, en l’état du droit, il appartient au juge de décider, guidé par sa connaissance du dossier – raisons du placement, conditions de vie de la famille naturelle, etc. –, si les allocations doivent continuer d’être versées à la famille ou lui être retirées. Cela me paraît suffisant. Faisons donc confiance aux services sociaux et aux magistrats sur ce point.
M. Jean-Pierre Barbier. Je salue à mon tour un texte simple, gouverné par une logique de justice et d’équité. Sans oublier l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel commande que celui-ci grandisse au sein de sa famille dès lors que ses parents ne sont pas défaillants, la proposition de loi a le mérite de rappeler les familles à leurs responsabilités, par un levier financier qui fait partie de l’arsenal dont nous pouvons légitimement user.
Plusieurs de nos collègues ont contesté l’automaticité de la mesure. L’objection me paraît dangereuse : en toute cohérence, ne conduit-elle pas à remettre en cause l’automaticité de l’attribution des allocations elles-mêmes, dues dès lors qu’une famille a des enfants à charge ? Pour ma part, n’ayant pas l’intention de contester l’automaticité de l’attribution, je ne vois aucun inconvénient à l’automaticité de la suppression
M. le rapporteur. Je remercie ceux qui ont salué mon travail. J’espère vous convaincre tous que, depuis le début des auditions – auxquelles Mme Clergeau a d’ailleurs participé –, celui-ci n’a été guidé que par une préoccupation : l’intérêt supérieur de l’enfant. Le texte ne vise nullement à sanctionner, mais à permettre le retour de l’enfant dans sa famille dès que possible, objectif sur lequel nous devrions tous tomber d’accord ; et, ce faisant, de permettre aux départements de réaliser des économies, car le coût d’un placement est élevé, même avec l’apport des allocations familiales.
Madame Clergeau, le texte du Sénat ne résulte pas de l’impulsion de quelques membres ou présidents de conseils généraux préoccupés par la situation particulière de leur département. Les chiffres sur lesquels s’appuie le rapport de Mme Deroche sont issus d’une enquête nationale de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
En outre, les allocations familiales peuvent être un outil de négociation. L’un des amendements que je vais vous présenter tend ainsi à assortir le maintien par le juge du versement des allocations à la famille d’une mesure d’aide à la gestion du budget familial. En effet, comme l’a dit la Défenseure des enfants lors de son audition, le maintien de ce versement va rarement de pair avec un contrôle de son utilisation alors que, trop souvent, ces sommes ne servent pas à ce à quoi elles sont destinées.
Vous considérez enfin que les modifications proposées ne portent pas sur le fond ; mais le fond, c’est le principe défini depuis 1986 à l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale : les allocations familiales doivent aller à la personne qui a la charge effective de l’enfant.
Madame Dalloz, le Sénat a rétabli la saisine d’office du juge ; c’était essentiel.
Monsieur Vercamer, je vous confirme que l’objectif ultime est la reconstruction de la cellule familiale lorsqu’elle est possible.
Le dispositif adopté par le Sénat, certes équilibré, pourrait être difficile à appliquer par les CAF. Vous ne pouvez qu’y être sensible, vous qui présidez la mission d’information sur les conditions d’exercice par les caisses d’allocations familiales de leurs missions. Les CAF auront en effet bien du mal à calculer le montant des allocations familiales à verser dès lors que le dossier pourrait être revu au bout des trois mois d’observation et que, dès avant cette échéance, le juge pourrait appliquer un taux de répartition variant de 0 à 99,9 %. Voilà pourquoi je propose de recourir à des taux fixes et de porter à six mois la durée de la période d’observation.
Monsieur Cavard, l’objectif n’est ni de sanctionner ni de culpabiliser, mais de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant qui, je le répète, devrait retrouver sa famille le plus rapidement possible.
Vous proposez que nous y revenions ultérieurement. Rappelons que lorsque nous avons examiné l’amendement de Mme Dalloz à la proposition de loi sur l’autorité parentale, la rapporteure, Mme Chapdelaine, a reconnu la réalité du problème mais nous a renvoyés à la présente proposition de loi. De texte en texte, on peut ainsi aller très loin – sauf à imaginer que le Gouvernement ait l’intention de déposer très vite un projet sur la famille, ce dont vous me permettrez de douter.
Je ne le dirai jamais assez, Madame Orliac : c’est à mes yeux l’intérêt de l’enfant qui prime ; de ce point de vue, mes amendements vont dans votre sens.
Madame Fraysse, cette proposition de loi n’a rien de moralisateur. Il s’agira simplement d’aider la famille à assurer à l’enfant le bénéfice des allocations familiales, en donnant aux travailleurs sociaux les moyens de suivre la gestion du budget familial lorsque le juge a décidé que la famille continuerait de percevoir les allocations.
Tel est, madame Le Callennec, le sens de mon deuxième amendement. Cette mesure d’aide à la gestion du budget familial pourrait par exemple être appliquée soit par les travailleurs sociaux des conseils généraux, ou par les conseillers en économie sociale et familiale de l’UNAF, cette dernière s’étant déclarée favorable à une telle évolution.
Monsieur Robiliard, l’Association des départements de France, qui approuve le retour des allocations familiales à l’ASE, estime que les conseils généraux sauraient parfaitement utiliser ces nouvelles ressources au bénéfice des enfants placés, par exemple par le biais d’une augmentation des frais d’habillement ou de loisirs accordés aux familles d’accueil.
Monsieur Aboud, mes amendements visent précisément à répondre aux difficultés d’application que vous avez soulevées. Nous ne proposons pas de répartition de l’ARS compte tenu du faible niveau des sommes en cause. Par ailleurs, l’annualité de leur versement ne permet pas une révision à six mois de la décision du juge.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur le rapporteur ; vous avez bien parlé, mais je ne sais si vous avez été bien entendu, étant donné le brouhaha continu qui règne dans la salle. Mes chers collègues, je suis assez surprise, voire choquée, de votre comportement. Les uns quittent la séance sans écouter la réponse à la question posée, les autres restent, n’interviennent pas, mais discutent. Je trouve cette attitude méprisante vis-à-vis du rapporteur, de ceux de vos collègues qui voudraient écouter nos débats, comme des fonctionnaires de l’Assemblée qui s’efforcent d’en établir le compte rendu. (M. Guaino proteste.) Monsieur Guaino, ce n’est pas vous qui présidez cette commission, c’est moi ! Vous partez : je vous en remercie !
J’en appelle à plus de sérénité. Je vous ai délibérément laissés faire pour que vous preniez conscience de ce brouhaha. Soyez rapporteurs et vous mesurerez tout l’effet de tels comportements ! Et ensuite, on va s’émouvoir, sur les plateaux de télévision et à la radio, du résultat des élections européennes ! La retenue demandée par le président Bartolone lors des questions au Gouvernement est également de mise ici.
Et puisque vous parlez de morale et de bonne conduite, donnons l’exemple avant de faire la leçon à certaines familles.
Article 1er
(art. L. 521-2 du code de la sécurité sociale)
Réaffirmation du principe du versement des allocations familiales au service d’aide sociale à l’enfance et limitation de la part susceptible d’être maintenue au profit de la famille en cas de placement d’un enfant
Cet article modifie l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale afin de limiter le montant de la part des allocations familiales afférente à un enfant confié au service d’aide sociale à l’enfance (ASE) susceptible d’être versée à la famille de celui-ci. L’objectif poursuivi est de réaffirmer le principe du versement des allocations à l’ASE en cas de placement d’un enfant, principe qui n’est aujourd’hui appliqué que dans 44 % des cas (15).
1. Le versement des allocations familiales au service d’aide sociale à l’enfance en cas de placement d’un enfant : un principe assorti d’une dérogation
● Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, « les allocations [familiales] sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant ».
Le quatrième alinéa du même article précise à cet égard que, lorsqu’un enfant est confié au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sur décision judiciaire, le versement de la part des allocations familiales due pour cet enfant doit s’effectuer au profit, non plus de la famille, mais du service de l’ASE (16) (première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 521-2).
Le principe du transfert des allocations familiales à l’ASE est toutefois assorti d’une dérogation permettant de maintenir le versement à la famille de l’intégralité de la part des allocations afférente à l’enfant placé « lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l'enfant ou en vue de faciliter le retour de l'enfant dans son foyer » (dernière phrase du quatrième alinéa de l’article L. 521-2). La décision de maintien a longtemps appartenu à la caisse d’allocations familiales (CAF) compétente, sur demande du président du conseil général ou de la juridiction, avant d’être transférée au juge (dans le cadre d’une saisine d’office ou toujours sur demande du président du conseil général) en 2006 (17).
● En l’absence d’auto-saisine du juge ou de saisine du président du Conseil général, le principe appliqué est donc bien le transfert des allocations familiales à l’ASE lors du placement de l’enfant. Toutefois, d’après les informations transmises à votre rapporteur par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), le versement des allocations familiales serait maintenu à la famille dans 55 % des cas (18).
Si l’objectif poursuivi au travers de ce maintien est de favoriser la conservation des liens affectifs et matériels avec l’enfant placé et ne pas compromettre son retour au foyer, en aggravant, le cas échéant, les conditions de subsistance de la famille, force est néanmoins de constater que le principe initialement prévu par le législateur n’est pas respecté, les exceptions étant désormais plus nombreuses que la règle. Il convient donc de veiller au respect de l’équilibre prévu par l’article L. 521-2 en encadrant le pouvoir laissé aujourd’hui au juge de décider du maintien de l’intégralité des allocations familiales.
2. Un encadrement de l’intervention du juge afin de mieux faire respecter le principe posé par le législateur
● La rédaction du présent article résulte à la fois du texte initial de la proposition de loi n° 640 de M. Christophe Béchu et Mme Catherine Deroche et de plusieurs amendements adoptés par la commission des affaires sociales du Sénat afin de rapprocher les dispositions du texte de celles figurant dans la proposition de loi n° 100 de M. Yves Daudigny et des membres du groupe socialiste et apparentés ayant le même objet (19).
Dans sa rédaction initiale, le présent article prévoyait :
– de supprimer la saisine d’office du juge,
– d’introduire la production d’un rapport de l’ASE pour décider de l’opportunité du maintien des allocations familiales à la famille (20),
– et d’ouvrir la possibilité d’un maintien seulement partiel des allocations pour la famille.
Ces dispositions ont été en grande partie modifiées par la commission des affaires sociales sur proposition de sa rapporteure, Mme Catherine Deroche afin :
– de conserver la possibilité pour le juge de se saisir d’office (a) du 1°), la rapporteure estimant que la question du maintien ou non des allocations familiales aux parents était « la conséquence directe de la décision de placement judiciaire et qu’à ce titre, le juge devait pouvoir se saisir d’office » ;
– et de ne plus prévoir qu’un maintien partiel des allocations familiales au profit de la famille (c) du même 1°), maintien limité initialement à 35 % de la part des allocations familiales dues pour l’enfant (2°).
Toutefois, suite à l’adoption en séance d’un amendement de M. Yves Daudigny, il a été précisé que cette limitation à 35 % ne s’appliquait qu’à compter du quatrième mois de placement, instaurant ainsi une « période d’observation de trois mois de nature à éviter une déstabilisation de la famille et permettant d’amorcer, pour certaines situations, un retour rapide de l’enfant ou des enfants » dans leur famille (21). Votre rapporteur s’interroge toutefois sur la portée de cet argument qui n’est pertinent que si l’intégralité des allocations familiales est maintenue au profit de la famille pendant ladite période d’observation : or, tel ne saurait être le cas, puisque le texte ne prévoit plus qu’un maintien partiel des allocations, selon un pourcentage défini par le juge.
● Le présent article modifie et complète le quatrième alinéa de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale sur plusieurs points :
– tout d’abord, au 1°, la dernière phrase dudit alinéa, qui prévoit la possibilité pour le juge de décider, soit d’office soit sur saisine du président du conseil général, de maintenir le versement des allocations à la famille est amendée, d’une part, afin d’introduire la production d’un rapport établi par le service d’aide sociale à l’enfance pour éclairer le juge dans sa décision (b)) et, d’autre part, afin de ne prévoir que la possibilité d’un maintien partiel (et non plus total) de ce versement (c)) ;
– ensuite, l’alinéa lui-même est complété par une nouvelle disposition prévoyant un pourcentage maximal de la part des allocations familiales dues pour l’enfant confié à l’ASE susceptible d’être versée à la famille à compter du quatrième mois suivant la décision de placement prise par le juge (2°). Ce pourcentage est fixé à 35 %.
Le juge dispose donc désormais de la possibilité de moduler la part des allocations familiales versées à la famille et celle versée à l’ASE, alors qu’il ne pouvait auparavant que maintenir ou retirer en intégralité à la famille la part des allocations afférente à l’enfant placé. Son intervention est toutefois doublement limitée :
– d’une part, le maintien de l’intégralité des allocations à la famille est désormais exclu (même si le juge peut décider, dans un premier temps, d’en laisser 99,9 % à la famille) ;
– d’autre part, à compter du quatrième mois de placement, le pourcentage des allocations familiales susceptible d’être octroyé à la famille est strictement contenu dans une enveloppe comprise entre 0 % et 35 % de la part afférente à l’enfant.
Le dispositif ainsi proposé n’est pas sans soulever un certain nombre d’interrogations sur sa mise en œuvre concrète, qui risque de se traduire, dans les faits, par une complexité accrue, à la fois pour les juges et les caisses d’allocations familiales. La présidente de l’AFMJF, Mme Hourcade, a indiqué à votre rapporteur qu’il ne serait pas aisé pour les juges de procéder à une répartition des allocations entre la famille et l’ASE, et a regretté que ces derniers soient en outre contraints par le texte à réexaminer cette répartition au bout de trois mois, et donc à prévoir une audience supplémentaire à un moment où il ne s’en tient pas aujourd’hui (22). Quant aux caisses d’allocations familiales, elles vont devoir appliquer des pourcentages différents selon les jugements et opérer des doubles versements (à la fois aux familles et à l’ASE), et ce sans aucune prévisibilité, la part maintenue au profit de la famille pouvant en effet varier dans les trois premiers mois entre 0 et 99,9 % puis entre 0 et 35 %. Ces multiples calculs ainsi que les délais de transmission des décisions de justice sont susceptibles de générer des erreurs de calcul et des rappels d’indus problématiques. La complexité du dispositif va donc nécessairement se traduire par des coûts supplémentaires pour la justice et pour la branche famille, là où les auteurs de la proposition de loi entendaient promouvoir une meilleure allocation des ressources et une plus grande efficacité de l’intervention publique.
*
La Commission examine l’amendement AS1 du rapporteur.
M. le rapporteur. Pour les raisons que j’ai précédemment évoquées, je propose de porter de trois à six mois la durée au terme de laquelle a lieu le réexamen de la situation, et de permettre alors au juge d’attribuer ou de retirer à la famille la totalité des allocations, ou encore de les répartir entre la famille et l’ASE selon des taux fixes : 35 % pour la famille, 65 % pour l’ASE.
M. Élie Aboud. Le juge aura-t-il vraiment les moyens de contrôler l’emploi des allocations ? En d’autres termes, le dispositif pourra-t-il être opérationnel ? J’en ai parlé avec des travailleurs sociaux, et il y a ici des experts de ces questions : c’est mission quasi impossible !
Mme Marie-Françoise Clergeau. Le délai de six mois, s’il correspond à la durée au terme de laquelle le juge doit statuer au fond selon le code de procédure civile, pourrait ne pas suffire à l’ASE pour établir son rapport dès lors que, sur le terrain, les travailleurs sociaux ont déjà bien du mal à suivre tous les enfants placés.
Je voterai donc contre cet amendement.
M. Dominique Tian. Je suis pour ma part favorable à cet amendement. M. Claudy Lebreton lui-même, président de l’Association des départements de France et membre du parti socialiste, approuve par ailleurs la proposition de loi. Je comprends d’autant moins que certains de nos collègues aient pu parler de moralisation ou de culpabilisation, ce qui est excessif et blessant pour notre rapporteur, un homme respectable. Dans ces conditions, comment s’étonner du brouhaha ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Tian, le brouhaha est permanent dans cette commission, quels que soient les textes examinés.
Mme Isabelle Le Callennec. Je suis également favorable à cet amendement de bon sens, qui fait coïncider la fin de la période d’observation avec la date d’une audience déjà programmée par le juge pour revoir la mesure de placement. Il va de soi que l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale devra continuer de s’appliquer.
Mme Marie-Christine Dalloz. Il s’agit ici de faire preuve de cohérence et d’éviter d’alourdir la charge des magistrats par une nouvelle consultation au bout de trois mois. Le délai de six mois est logique étant donné la procédure existante. À son terme, il appartiendra au juge d’étudier la répartition des allocations.
Le groupe UMP est donc favorable à cet amendement.
M. Michel Liebgott. Je l’ai dit, les allocations familiales font partie d’une politique familiale destinée aux enfants, aux familles, et non aux départements. C’est la réforme territoriale qui, jointe à d’autres dispositifs, permettra de dégager des ressources pour ces derniers.
N’oublions pas que, dans notre pays, les transferts sociaux, que beaucoup contestent, ont sans doute servi de planche de salut à bien des familles dans la crise que nous traversons depuis 2008, et évité le placement d’un plus grand nombre d’enfants – car c’est souvent la misère sociale qui produit les situations de détresse et les retraits d’enfants. Nous devrions privilégier une vision globale du financement de la politique sociale.
M. Dominique Tian. Les écrans plats !
M. Christophe Cavard. Après avoir parlé de respect, M. Tian entonne la vieille rengaine du détournement des allocations ! Quand on est un homme politique, il faut faire attention à ce que l’on dit sur certains sujets.
Si l’on met de côté le fait que cet amendement s’inscrit dans la logique d’un texte que nous récusons, que s’agit-il au juste d’observer pendant la période d’observation ? Le comportement des parents, pour savoir s’ils sont bons ou mauvais ? Et selon quels critères ? Chez les travailleurs sociaux, ces critères n’existent pas…
M. Dominique Tian. C’est inquiétant !
M. Christophe Cavard. …et c’est le dialogue qui prime. Monsieur Tian, faites vous-même preuve du respect que vous prônez, même si je comprends certes votre radicalité, vu le territoire où vous êtes élu !
Monsieur le rapporteur, en quoi la mesure d’observation est-elle censée améliorer le dispositif ?
M. Jean-Louis Costes. J’invite mes collègues à ne pas oublier que les dépenses engagées par le service social de l’enfance pour le placement d’un enfant sont assumées en intégralité par le conseil général. Il paraît donc de bon sens que lui reviennent les sommes allouées pour l’entretien de l’enfant.
Mme Linda Gourjade. Après que le juge des enfants a délivré une ordonnance de placement et décidé que les parents doivent percevoir les prestations familiales, si les travailleurs sociaux constatent que cet argent n’est pas utilisé dans l’intérêt de l’enfant, ils peuvent saisir leur inspecteur, qui adressera un rapport au juge. Les prestations familiales seront alors placées sous tutelle ou versées à l’ASE. Les procédures existant déjà, cette discussion est sans objet.
M. le rapporteur. Madame Gourjade, je vous rappelle que le principe posé à l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est que les allocations familiales sont versées à l’ASE. C’est seulement par exception qu’elles peuvent être affectées aux familles.
Madame Clergeau, le code de procédure civile fixant à six mois le délai au terme duquel se tiendra une nouvelle audience permettant au juge de se prononcer sur le maintien ou non de la mesure de placement, j’ai jugé préférable que la période d’observation se calque sur cette durée. Le juge décidera à la lumière d’un rapport de l’ASE, qui aura déjà produit un document similaire en urgence pour la première audience, et sera donc tout à fait en mesure d’élaborer ce nouveau rapport en ayant disposé de six mois, monsieur Aboud.
Monsieur Cavard, votre question sur la teneur du suivi trouvera sa réponse avec mon amendement suivant.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement AS2 du rapporteur.
M. le rapporteur. La Défenseure des enfants et la présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille m’ont inspiré cet amendement, car elles considèrent que le maintien du versement des allocations familiales au cours des six premiers mois du placement s’accompagne très rarement d’un contrôle de l’utilisation de celles-ci. Je propose de donner au juge la possibilité d’assortir ce maintien d’une mesure d’aide à la gestion du budget familial, disposition déjà prévue par l’article 375-9-1 du code civil mais non appliquée. Ainsi on pourra s’assurer que ces allocations sont bien utilisées dans l’intérêt de l’enfant. Cet amendement confortera l’action des travailleurs sociaux qui œuvrent auprès des familles dont les enfants sont placés en leur donnant les moyens de vérifier la bonne destination de ces sommes.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Cet amendement traite d’une vraie question, celle des moyens dont les conseils généraux se dotent pour effectuer un suivi de la gestion de leur budget par les familles. Il serait possible de dégager d’importantes économies grâce au raccourcissement de la durée des placements, mais cela exigerait d’améliorer l’accompagnement des familles. Celui-ci peut prendre la forme de la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, telle que prévue par l’article 375-9-1 du code civil, mais, précisément, dans la mesure où il se borne à rappeler une prérogative déjà reconnue par la loi au juge – et même si celui-ci devrait être incité à en user plus souvent –, cet amendement ne s’apparente-t-il pas à un cavalier ?
Le texte vise à faire faire des économies aux conseils généraux, mais encore faudrait-il que ceux-ci aient d’abord les moyens d’organiser ce suivi des budgets familiaux !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je n’ai pas considéré que cet amendement était un cavalier.
Mme Isabelle Le Callennec. Cet amendement me paraît très pertinent, car il tend à remédier à l’absence de contrôle de l’utilisation des allocations familiales ; il permettra de développer un véritable accompagnement des familles en leur proposant un service, et non en leur imposant une contrainte. J’aurais d’ailleurs préféré que l’on écrive que le juge « ordonne », plutôt que « peut ordonner », la mesure prévue à l’article 375-9-1 du code civil.
M. Élie Aboud. Je ne comprends pas que l’on puisse s’opposer à cet amendement de bon sens, qui prévoit une aide aux familles.
M. Jean-Pierre Door. Il s’agit en effet d’un amendement de bon sens, qui n’est pas un cavalier – comme vous l’avez rappelé, madame la présidente – puisque son objet touche à celui du texte de la proposition de loi.
Il est nécessaire de contrôler l’utilisation des allocations familiales, qui sont destinées aux enfants et non aux parents qui les ont délaissés. Le juge et les unités territoriales sociales, qui dépendent des conseils généraux, disposent d’une réelle légitimité pour assurer ces vérifications. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, d’allonger le délai de façon à renforcer la qualité de l’observation. Nous voterons donc cette disposition des deux mains.
Mme Linda Gourjade. Je le répète, des dispositifs satisfaisants existent déjà ! Lorsqu’un enfant est confié à l’ASE à la suite d’une ordonnance de placement provisoire, les travailleurs sociaux effectuent obligatoirement un suivi de placement : ils évaluent la qualité de l’accueil de l’enfant lorsque celui-ci revient dans sa famille pour un week-end ou lors des vacances scolaires et vérifient que les parents utilisent bien l’argent qui leur est versé pour son entretien. Si les prestations ne sont pas employées à bon escient, ils peuvent demander à leur hiérarchie de saisir le juge des enfants afin de placer les allocations sous tutelle.
Mme Jacqueline Fraysse. Je voterai contre cet amendement, non par systématisme mais parce que ce qu’il prévoit se pratique déjà ! Les travailleurs sociaux exercent ce suivi en permanence.
Mme Françoise Dumas. Comme l’a expliqué Mme Gourjade, les travailleurs sociaux assurent le suivi de l’enfant dans sa famille d’accueil – ou dans l’établissement – comme dans sa famille naturelle. Un projet de vie comme le retour de l’enfant dans sa famille se prépare à travers des actes quotidiens qui sont examinés avec minutie par les travailleurs sociaux dans le cadre de leur action d’assistance éducative. Faisons leur confiance ! S’ils constatent une carence des parents, ils peuvent saisir les magistrats pour solliciter une tutelle. Conservons aux dispositions actuelles leur souplesse, qui ménage toute possibilité de progression pour les familles. Cet amendement ne servirait à rien, si ce n’est à compliquer les situations.
Mme Marie-Christine Dalloz. Il n’est pas question de ne pas faire confiance aux travailleurs sociaux !
Il convient d’entendre l’UNAF et l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille quand elles soulignent l’absence de suivi de l’utilisation des allocations lorsque les enfants sont confiés à nouveau aux parents. On ne retire pas les enfants d’une famille par plaisir, cette décision est toujours la conséquence de sérieuses difficultés ; les travailleurs sociaux suivent donc de près les enfants lorsqu’ils retournent dans leur famille, mais le contrôle de l’emploi des allocations est nécessaire car la gestion de leur budget par ces familles est souvent défaillante.
Mme Isabelle Le Callennec. Certains travailleurs sociaux demandent des outils pour intervenir plus efficacement auprès des 56 % de parents d’enfants placés qui continuent de percevoir les allocations familiales : bien souvent elles leur opposent un mur. Cet amendement leur donne un levier qu’ils utilisent certes déjà quand c’est possible, mais dont ils doivent pouvoir disposer dans tous les cas, d’où la nécessité d’inscrire une obligation dans la loi.
M. Richard Ferrand. Nous ne vivons certes pas dans le meilleur des mondes mais, tous les dispositifs utiles existant déjà, cet amendement est inutile. Sa seule raison d’être est dès lors d’exprimer une défiance envers le travail social et les familles en difficulté. Il met l’accent sur la nécessité de contrôler ceux qui ont accès à des prestations sociales, ce en quoi il est néfaste à l’esprit de solidarité.
M. Jean-Louis Costes. J’avoue ma surprise de voir un texte voté très largement par le Sénat – avec le soutien de nombreux sénateurs socialistes, dont certains présidents de conseils généraux – se trouver bloqué par pur dogmatisme idéologique de la part de la gauche. Le Gouvernement demande à notre administration de se réformer pour devenir plus productive, et les députés de la majorité rejettent cette proposition de bon sens car elle a le seul tort d’émaner du groupe UMP. C’est scandaleux et donne une image déplorable aux Français ! Que l’on ne s’étonne pas ensuite qu’un certain nombre d’entre eux votent pour le Front national !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Les deux assemblées du Parlement sont toutes deux maîtresses souveraines de leurs positions, ce qui fait la force de notre démocratie. Monsieur Costes, je pourrais vous fournir de nombreux exemples où le groupe UMP du Sénat a voté avec la gauche, mais où celui de l’Assemblée nationale s’est au mieux abstenu et au pire opposé à l’adoption d’un texte.
M. Dominique Tian. Nous sommes choqués par le comportement de certains de nos collègues socialistes envers M. Lurton, qui rapporte au nom de la commission des affaires sociales. Il fait l’objet de critiques disproportionnées, M. Ferrand venant de se distinguer à son tour en parlant de défiance à l’égard des travailleurs sociaux. Or l’UNAF, de nombreuses personnes auditionnées et le président socialiste de l’Association des départements de France défendent ce texte. Que l’on respecte M. Lurton, qui porte la parole de la Commission !
Mme Marie-Françoise Clergeau. Peu de députés ayant participé aux nombreuses auditions organisées par M. Lurton, il y a lieu de rappeler que l’UNAF a affirmé son opposition au texte, bien qu’elle ait marqué son intérêt pour certains points comme le suivi de la gestion de leur budget par les familles, les instances départementales de l’UNAF étant prestataires de services pour le compte des conseils généraux.
M. le rapporteur. Ce texte ne vise en aucun cas à mettre en cause l’action des travailleurs sociaux, mais au contraire à les conforter dans l’exercice de leurs missions.
Madame Clergeau, l’UNAF a effectivement fait part de ses réticences, mais elle a jugé cet amendement très intéressant, car elle considère que ses conseillers en économie sociale et familiale n’étaient pas suffisamment mobilisés pour cette tâche, pour laquelle ils ne disposent d’ailleurs pas de moyens suffisants. Comme vous, je ressens un fort contraste entre la tonalité des auditions et celle des interventions en commission, s’agissant notamment de la perception des réalités de terrain. Tous ceux que nous avons entendus – l’UNAF, l’Association des départements de France, la présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, la déléguée interministérielle à la famille – ont reconnu la pertinence de cette mesure qui a fait évoluer leur première appréciation de la proposition de loi. Il est vrai aussi que j’ai choisi de ne pas auditionner que des acteurs favorables à la proposition de loi ; d’ailleurs, je recevrai, à sa demande et avant la séance publique, une association que je sais y être opposée, car je pense que tous les avis sont à prendre en considération pour avancer. Mais tous nos interlocuteurs ont affirmé que, même si la loi autorise à la mettre en œuvre, la disposition qui fait l’objet de cet amendement n’était pas appliquée ; l’inscrire dans la loi est donc nécessaire pour donner aux travailleurs sociaux le moyen de suivre l’utilisation des allocations familiales. Ces agents doivent parfois gérer des relations difficiles avec les familles biologiques – simplement établir le dialogue peut n’être pas simple – et l’adoption de cet amendement facilitera leur tâche.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je préfère le terme « famille » tout court à celui de « famille biologique », qui me hérisse. Les familles peuvent être recomposées et il convient de veiller à ne pas les heurter.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle étudie l’amendement AS3 du rapporteur.
M. le rapporteur. À l’issue de la période d’observation, cet amendement confère au juge la responsabilité de statuer sur le maintien ou la suppression du versement des allocations familiales à la famille, en fonction de la prise en charge morale et matérielle de l’enfant et dans la perspective d’un retour de celui-ci dans son foyer. Le juge pourra également moduler la part des allocations en affectant 35 % de celles-ci – taux fixé par le Sénat – à la famille et 65 % à l’ASE. Monsieur Aboud, je suis prêt à faire évoluer ma proposition et à accepter un partage différent, par exemple à parité.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Je m’interroge sur la méthode qui a abouti à établir ce taux à 35 % ; cela ressemble à une nouvelle tentative de formater les relations sociales alors qu’il convient de reconnaître la spécificité de chaque situation familiale et la nécessité de prendre une décision adaptée au cas d’espèce, ce qui doit être la tâche du juge - et pour cela, il doit pouvoir utiliser le levier que constituent les allocations familiales. Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. Élie Aboud. Monsieur le rapporteur, vous avez instillé beaucoup de souplesse dans ce texte mais il conviendrait d’aller encore plus loin en laissant au juge la liberté de fixer le taux de répartition. Je voterai pour cet amendement, mais je m’interroge sur l’opportunité d’imposer, pour la répartition des allocations, un carcan qui n’a aucune justification.
Mme Isabelle Le Callennec. Nous préférons la souplesse à la fixation de taux préfix. D’où vient l’idée d’une telle répartition ?
M. le rapporteur. S’agissant du taux, j’ai repris la proposition de M. Daudigny, mais nous pourrons évidemment revenir sur le chiffre de 35 % en séance. En revanche, le renvoi à un ou plusieurs taux fixes a été demandé par la CNAF qui nous a expliqué qu’il lui serait totalement impossible de gérer l’application d’un taux variable, faute d’outils informatiques et d’instruments de prévision adaptés.
M. Élie Aboud. Il est regrettable de façonner une loi en fonction des capacités et des requêtes de telle ou telle administration.
La commission rejette l’amendement AS3
Puis elle rejette l’article 1er.
Article 2
(art. L. 543-1 du code de la sécurité sociale)
Instauration du principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire au service de l’aide sociale à l’enfance en cas de placement d’un enfant
Le présent article vise à instituer le principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire (ARS) au service d’aide sociale à l’enfance, lorsqu’un enfant est confié à ce service.
1. L’absence de disposition spécifique relative au versement de l’allocation de rentrée scolaire en cas de placement d’un enfant
● L’allocation de rentrée scolaire vise à aider les familles à faire face aux dépenses occasionnées au moment de la rentrée scolaire des enfants. Il s’agit d’une prestation individuelle versée annuellement par les caisses d’allocations familiales aux familles ayant au moins un enfant à charge scolarisé âgé de 6 à 18 ans, sous réserve que les ressources du foyer soient inférieures à un certain plafond. En cas de léger dépassement du plafond, une allocation dégressive appelée « allocation différentielle » peut être versée en fonction des revenus.
Le montant de l’allocation versée dépend de l’âge de l’enfant ; il est fixé par décret et revalorisé par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité sociale, du budget et de l’agriculture. Son montant moyen est de 380 euros.
● L’allocation de rentrée scolaire est prévue par l’article L. 543-1 du code de la sécurité sociale, lequel renvoie pour son application à un décret en Conseil d’État. Issu de ce décret, l’article R. 543-1 du code de la sécurité sociale précise que l’allocation de rentrée scolaire est attribuée, pour chaque enfant, « aux ménages ou personnes qui en ont la charge au jour de la rentrée scolaire dans l’établissement qu’il fréquente ».
Aucune disposition ne figure en revanche dans le code de la sécurité sociale concernant le versement de l’ARS en cas de placement judiciaire d’un enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance. D’après les informations fournies par la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) à votre rapporteur, le versement de l’ARS à la famille est toutefois interrompu lorsque qu’aucun lien matériel ou affectif ne subsiste entre un enfant confié à l’ASE et sa famille. Le montant de l’ARS non versée dans ces cas de figure représenterait aujourd’hui une économie de 45 000 euros, mais ce montant n’est pas représentatif des sommes qui pourraient être versée aux conseils généraux, dans la mesure où seules 5 à 6 % des familles dont les enfants sont placés ne maintiennent plus aucun lien avec eux.
2. L’instauration d’un versement de l’ARS au service de l’aide sociale à l’enfance, sans possibilité de maintien à la famille
Comme celle de l’article 1er, la rédaction de l’article 2 de cette proposition de loi constitue un compromis entre la rédaction initiale de la proposition de loi n° 640 et celle de la proposition de loi n° 100 de M. Yves Daudigny.
● Dans sa rédaction initiale, le présent article prévoyait de mettre en place, pour le versement de l’ARS, un dispositif identique à celui prévu pour le versement des allocations familiales par l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la proposition de loi.
Ce dispositif a néanmoins été modifié en commission afin de supprimer toute intervention du juge et poser uniquement le principe d’un versement de l’ARS à l’ASE en cas de placement judiciaire de l’enfant. L’emploi du terme « confié », comme à l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, limite en effet le champ d’application de cette disposition aux décisions de placement judiciaire, mais le texte gagnerait à être plus explicite.
● Le présent article insère ainsi un nouvel alinéa au sein de l’article L. 543-1 du code de la sécurité sociale précisant qu’en cas de placement à l’ASE, « l’allocation de rentrée scolaire due à la famille est versée à ce service ».
Si le dispositif ainsi prévu a le mérite de la simplicité, votre rapporteur s’interroge sur l’opportunité de prévoir pour l’ARS un mécanisme différent de celui applicable pour les allocations familiales en introduisant un principe d’automaticité du versement de l’allocation à l’ASE, quels que soient les liens entre la famille et l’enfant et le degré d’investissement des parents dans la prise en charge de leur enfant placé.
*
La Commission examine l’amendement AS4 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’article 2 tend à étendre à l’ARS le dispositif prévu à l’article 1er pour les allocations familiales : le principe sera celui d’un versement à l’ASE mais il appartiendra au juge de décider de maintenir le versement de l’ARS à la famille ; il aura aussi la possibilité d’assortir ce maintien d’une mesure d’aide à la gestion du budget familial, conformément à l’article 375-9-1 du code civil. En revanche, compte tenu de la faiblesse des sommes en jeu, nous n’avons pas souhaité introduire de modulation.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Soumise à conditions de ressources, l’ARS est quasi systématiquement versée aux familles. Lorsque ce n’est pas le cas, l’argent reste dans les caisses de l’État et n’est pas transféré aux conseils généraux. Il y a là un problème, d’autant que ceux-ci versent aux familles d’accueil un complément destiné à financer les frais de rentrée scolaire.
Mais la disposition adoptée par le Sénat concernait tous les enfants placés par l’ASE, y compris lorsqu’ils le sont à la demande de leur famille qui conserve alors un lien avec eux et participe à leurs frais de scolarité.
Enfin, dans le cas de fratries, comment se calculera le quotient familial si l’un des enfants a été placé et que son ARS n’est plus versée à la famille ? Au vu de la complexité des problèmes posés par cet amendement, mieux vaudrait se donner un temps supplémentaire de réflexion.
M. Élie Aboud. Il est écrit dans l’exposé des motifs que le juge « pourra néanmoins se saisir de nouveau de cette question lors des audiences réexaminant l’opportunité du placement de l’enfant ». Qu’advient-il alors de l’ARS ?
Mme Marie-Christine Dalloz. Je voudrais vous citer le cas d’une famille recomposée dont les parents ont eu, ensemble et avec leurs nouveaux conjoints, dix-neuf enfants qui ont tous été confiés à l’ASE, ce qui n’empêche pas les familles d’origine de percevoir, à chaque rentrée scolaire, les dix-neuf ARS, alors que les probabilités que ces enfants leur soient rendus sont très faibles. Les assistantes sociales expliquent que c’est le seul moyen qu’ont ces familles de changer leur voiture. Est-il raisonnable de cautionner de telles pratiques en ces temps de rigueur ? L’amendement ne me semble pas régler ce genre de situation.
Mme Linda Gourjade. Revenons à la réalité du travail social ! Lorsqu’un enfant est placé et que le travailleur social constate que l’ARS n’est pas utilisée dans son intérêt, il est possible de mettre en place une tutelle aux prestations familiales. Dans le cas évoqué par Mme Dalloz, on peut imaginer que le travailleur social a considéré que l’achat d’une voiture pouvait permettre aux parents de rendre visite à leurs enfants et que l’ARS était donc utilisée dans l’intérêt de ceux-ci.
Mme Isabelle Le Callennec. J’ai le sentiment que nous ne vivons pas tous les mêmes réalités ! Aujourd’hui, l’ARS est versée à la famille d’origine de l’enfant, et non à la famille d’accueil qui, en général, fait pourtant les courses de rentrée scolaire – avec l’argent du conseil général. Je rencontre beaucoup de ces familles d’accueil, qui aimeraient que l’ARS serve effectivement à l’achat des fournitures scolaires. C’est le sens de cet amendement qui précise que, lorsque l’enfant est confié à l’ASE, l’ARS est versée à ce service. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il semble que les pratiques varient beaucoup d’un département à l’autre.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Il me semble utile de rappeler que nous sommes tous à l’écoute de l’ensemble de la population, sans distinction de catégories, quitte à ce que nous fassions ensuite des lectures différentes de ce que nous entendons, en fonction de nos convictions.
Mme Linda Gourjade. Les travailleurs sociaux proposent un accompagnement à la parentalité. Lorsque l’ARS est versée aux parents, leur rôle est donc d’aider ceux-ci à participer à la préparation de la rentrée de leur enfant. Ce n’est que lorsque des mesures coercitives deviennent nécessaires que l’on saisit le juge des enfants pour que l’argent soit géré par une tutelle aux prestations familiales.
Mme Isabelle Le Callennec. Je rappelle que les tribunaux sont engorgés et que les juges ne sont pas disponibles en permanence. Les délais d’attente sont tels que certaines situations deviennent dramatiques et il est donc préférable de s’en remettre à l’ASE et aux travailleurs sociaux pour régler ces questions.
Mme Marie-Françoise Clergeau. La question dont nous discutons ne concerne que quelque 50 000 familles alors que notre pays compte 16 millions d’enfants. Ne caricaturons pas non plus la situation à partir de cas très particuliers. La loi actuelle permet d’aider ces familles et il n’est guère besoin de la modifier.
M. Fernand Siré. C’est avant tout l’intérêt de l’enfant qui doit être pris en compte. Par manque de temps et de moyens, les juges et les travailleurs sociaux sont souvent impuissants face aux cas difficiles signalés par les maires ou par les médecins. Il est donc important qu’une loi puisse leur fournir ces moyens, au bénéfice des enfants : cela peut éviter des drames tels que ceux que nous découvrons de temps en temps par les journaux.
M. le rapporteur. Nous parlons de situations dans lesquelles toutes les mesures sociales ont échoué et où le juge est obligé d’intervenir. Mon amendement a pour but d’éviter l’automaticité de l’affectation de l’ARS aux services sociaux en offrant la possibilité au juge de maintenir le versement de l’ARS à la famille d’origine lorsque celle-ci témoigne de sa réelle volonté de participer à l’éducation de l’enfant. Il ressort par exemple de nos auditions que, bien souvent, les parents souhaitent participer avec leurs enfants aux courses de rentrée scolaire.
Dans les cas où cette ARS est détournée de son usage normal et n’est plus utilisée dans l’intérêt de l’enfant, s’appliqueront alors les dispositions prévues pour les allocations familiales.
La Commission rejette l’amendement AS4.
Puis elle rejette l’article 2.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Tous les articles ayant été rejetés, il n’y a pas lieu pour la Commission de se prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi, qui est ainsi rejetée.
En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.
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Dispositions en vigueur ___ |
Texte du Sénat ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
Proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge |
Proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge | |
Code de la sécurité sociale |
Article 1er |
Aucun texte adopté |
Le quatrième alinéa de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié : |
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Art. L. 521-2. – Les allocations sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant. |
||
En cas de résidence alternée de l’enfant au domicile de chacun des parents telle que prévue à l’article 373-2-9 du code civil, mise en œuvre de manière effective, les parents désignent l’allocataire. Cependant, la charge de l’enfant pour le calcul des allocations familiales est partagée par moitié entre les deux parents soit sur demande conjointe des parents, soit si les parents sont en désaccord sur la désignation de l’allocataire. Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent alinéa. |
||
Lorsque la personne qui assume la charge effective et permanente de l’enfant ne remplit pas les conditions prévues au titre I du présent livre pour l’ouverture du droit aux allocations familiales, ce droit s’ouvre du chef du père ou, à défaut, du chef de la mère. |
||
Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet enfant est versée à ce service. Toutefois, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, à la suite d’une mesure prise en application des articles 375-3 et 375-5 du code civil ou des articles 15, 16, 16 bis et 28 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer. |
1° La dernière phrase est ainsi modifiée : a) (Supprimé) b) Après les mots : « président du conseil général », sont insérés les mots : « au vu d’un rapport établi par le service d’aide sociale à l’enfance, » ; c) Après le mot : « maintenir », est inséré le mot : « partiellement » ; 2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : |
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« À compter du quatrième mois suivant la décision du juge, le montant de ce versement ne peut excéder 35 % de la part des allocations familiales dues pour cet enfant. » |
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Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article, notamment dans les cas énumérés ci-dessous : |
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a) retrait total de l’autorité parentale des parents ou de l’un d'eux ; |
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b) indignité des parents ou de l’un d’eux ; |
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c) divorce, séparation de corps ou de fait des parents ; |
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d) enfants confiés à un service public, à une institution privée, à un particulier. |
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Article 2 |
Article 2 | |
Après le deuxième alinéa de l’article L. 543-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : |
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Art. L. 543-1. – Une allocation de rentrée scolaire est attribuée au ménage ou à la personne dont les ressources ne dépassent pas un plafond variable en fonction du nombre des enfants à charge, pour chaque enfant inscrit en exécution de l’obligation scolaire dans un établissement ou organisme d’enseignement public ou privé. |
||
Elle est également attribuée, pour chaque enfant d’un âge inférieur à un âge déterminé, et dont la rémunération n’excède pas le plafond mentionné au 2° de l’article L. 512-3, qui poursuit des études ou qui est placé en apprentissage. |
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« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, l’allocation de rentrée scolaire due à la famille pour cet enfant est versée à ce service. » |
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Le niveau du plafond de ressources varie conformément à l’évolution des prix à la consommation des ménages hors les prix du tabac, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Son montant est fixé par décret et revalorisé par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité sociale, du budget et de l’agriculture. |
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Le montant de l’allocation de rentrée scolaire varie selon l’âge de l’enfant. |
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ANNEXE
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
(par ordre chronologique)
Ø Union nationale des associations familiales (UNAF) – M. François Edouard, vice-président, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires
Ø Assemblée des départements de France (ADF) – M. Jérôme Cauet, vice-président du conseil général de l’Essonne, et Mme Marylène Jouvien, attachée parlementaire
Ø Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) – M. Daniel Lenoir, directeur général, Mme Patricia Chantin, chargée des relations avec le Parlement, et Mme Marie Sainte-Fare, Direction des politiques familiale et sociale, pôle famille jeunesse parentalité
Ø Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille – Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente, conseillère près la Cour d’appel de Paris
Ø Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Ministère des solidarités et de la cohésion sociale – Mme Sabine Fourcade, déléguée interministérielle à la famille, directrice générale de la cohésion sociale, et Mme Isabelle Grimault, sous-directrice de l’enfance et de la famille
Ø Défenseur des droits – Mme Marie Derain, défenseure des enfants et Mme Martine Timsit, chargée des relations avec les élus
Ø Mouvement ATD Quart Monde France – M. Pierre-Yves Madignier, président, Mme Sarah El Yafi, chargée des relations avec le Parlement et les pouvoirs publics de l'UNICEF et Mme Nathalie Serruques, responsable de la mission enfance en France de l'UNICEF