N° 2854
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juin 2015.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE DE Mme DANIELLE AUROI (N° 2762) relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l’Union européenne,
PAR Mme Danielle AUROI
Députée
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. UNE RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES AUJOURD’HUI TRÈS LIMITÉE EN DROIT EUROPÉEN 6
II. PLAIDER EN FAVEUR D’UNE « RSE PLUS » 9
La commission des Lois est aujourd’hui saisie, en application de l’article 88-4 de la Constitution, de la proposition de résolution européenne relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l’Union européenne que votre rapporteure a déposée le 13 mai 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Du naufrage de l’Erika au large des côtes françaises en 1999 (1) à l’effondrement du Rana Plaza à Dacca (Bangladesh) au printemps 2013 (2) jusqu’à l’incendie ravageur dans un atelier de production de chaussures de Manille (Philippines) en mai 2015 (3), les exemples se sont accumulés, qui démontrent la contradiction des raisonnements économiques avec les questions des droits humains, sociaux et environnementaux dans un contexte de mondialisation des processus de production. En effet, parce que les groupes de sociétés ne disposent pas de la personnalité morale, chacune des filiales qui le composent n’assume qu’une responsabilité propre à l’exclusion de celle de toutes les autres. La même impunité prévaut, de manière plus évidente encore, dans les relations avec les sous-traitants. Ainsi, lorsque survient un dramatique accident, la société-mère et le donneur d’ordre ne sont-ils pas engagés juridiquement : les victimes et leurs ayants droit ne peuvent les solliciter pour obtenir réparation de leur préjudice.
Cette situation doit changer ; le pouvoir économique des entreprises ne peut s’accroître au-delà des frontières sans qu’augmente en proportion leur responsabilité. La France s’engage en ce sens : l’Assemblée nationale a voté, le 30 mars dernier, une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (4). Celle-ci impose la mise en œuvre de manière effective d’un plan de vigilance comportant « des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation des risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement ainsi que des activités de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie ». Bien qu’imparfaite, cette initiative constitue cependant un pas dans la bonne direction.
Mais un pays seul ne peut prétendre faire évoluer de mauvaises pratiques à l’échelle mondiale. La proposition de loi n’assigne d’ailleurs une obligation de vigilance qu’aux seules grandes entreprises de France (5). Ce seuil n’aura vocation à s’abaisser qu’une fois engagée une démarche similaire au sein de l’Union européenne (6).
Tel est précisément le sens de la présente proposition de résolution : susciter un mouvement parmi les parlements nationaux de l’Union européenne et adresser un véritable « carton vert » aux institutions européennes pour les décider à agir. La France a initié un mouvement ; il lui revient de lui donner de l’ampleur pour qu’il atteigne son objectif.
L’obligation de reporting extra-financier assignée aux entreprises constitue un exemple intéressant de la capacité de la France à entraîner l’Europe pour l’édiction de normes dans le cadre de la responsabilité sociétale des organisations.
Depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) et son article 116, devenu depuis l’article L. 225-102-1 du code de commerce, les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ont l’obligation d’intégrer au rapport annuel de gestion des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité. Ce dispositif contraignant a contribué à la mobilisation des entreprises dans une optique de RSE.
Quelques années plus tard, l’article 225 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle II, a décidé un renforcement du dispositif selon deux axes : élargissement du champ d’application du dispositif aux sociétés non cotées dont le total de bilan ou de chiffre d’affaires et le nombre de salariés dépassent des seuils fixés par décrets, d’une part, et extension du champ des informations figurant dans le rapport de gestion, d’autre part. Le décret n° 2012-557 du 24 avril 2012, relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale, a précisé les conditions d’application du nouveau mécanisme.
Entre-temps, l’ambition française s’était diffusée à l’ensemble de l’Europe. Dans sa communication du 25 octobre 2011 au Parlement européen et au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions intitulée : « Responsabilité sociale des entreprises, une nouvelle stratégie pour l’UE pour la période 2011-2014 », la Commission européenne a indiqué que « la communication par les entreprises d’informations sociales et environnementales, y compris d’informations relatives au climat, peut faciliter leur coopération avec d’autres parties prenantes et la détection de risques importants pour la durabilité. Il s’agit également d’un élément important de responsabilisation qui peut contribuer à inciter le public à avoir davantage confiance dans les entreprises ».
Dès avril 2013, un projet de directive sur le reporting extra-financier était présenté par la Commission européenne. Il est devenu la directive n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014, modifiant la directive n° 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes. Le texte impose à quelque six mille entreprises et groupes européens « la publication dans leur rapport de gestion d’informations sur leurs politiques, risques et résultats en ce qui concerne les questions environnementales, les aspects sociaux et liés au personnel, le respect des droits de l’homme, les questions de la lutte contre la corruption, et la diversité dans leur conseil d’administration ». Le seuil d’application des obligations édictées est similaire à celui de la réglementation française en termes d’effectifs (500 salariés) mais plus exigeant en termes de chiffre d’affaires (40 millions d’euros) (7).
Au-delà de l’obligation de reporting, le droit européen n’impose aucune obligation générale aux entreprises en matière de responsabilité sociétale. Toutefois, certains secteurs du commerce international ont été jugés suffisamment sensibles pour faire l’objet de textes spécifiques. On peut citer :
– le règlement n° 2368/2002 du Conseil du 20 décembre 2002 mettant en œuvre le système de certification du processus de Kimberley pour le commerce international des diamants bruts ;
– le règlement n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché ;
– une proposition de règlement actuellement en discussion pour instaurer un mécanisme d’auto-certification dans le cadre du devoir de diligence relatif aux chaînes d’approvisionnement pour les importateurs d’étain, de tantale, de tungstène et d’or originaires de zones de conflit ou à haut risque.
Ces dispositions apparaissent cependant excessivement limitées. D’une part, elles ne visent que des produits ou des zones géographiques limitativement énumérés. D’autre part, elles se limitent explicitement aux opérateurs du commerce international à l’exclusion des vendeurs : elles ne peuvent donc espérer mobiliser le consommateur final. Enfin, elles n’impliquent pas d’obligation de réparation des dommages occasionnés. Leur portée apparaît donc relativement limitée.
Il n’en va pas de même de la directive n° 2014/67/UE du 15 mai 2014 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Dans le secteur de la construction, une responsabilité conjointe et solidaire du sous-traitant direct et du donneur d’ordre peut désormais être invoquée à moins d’une preuve de réalisation des diligences nécessaires. Là encore, c’est la France qui a donné l’impulsion à l’Europe grâce à la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale (8).
Il y a lieu de se féliciter de l’influence de la France dans l’évolution du droit européen en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Mais la règlementation actuelle accuse de nombreuses lacunes, tant dans son périmètre limité à des secteurs déterminés que dans ses exigences bornées à l’information et à la prévention. Il convient d’exiger d’avantage et de plaider en faveur d’un véritable régime de responsabilité des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Votre rapporteur souligne l’opportunité de la présente proposition de résolution. L’Union européenne doit mettre à profit l’engagement de la France pour l’instauration d’une responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Réciproquement, notre pays doit faire savoir aux institutions de l’Union européenne que cette évolution a vocation à déborder son droit national pour acquérir une dimension continentale, suivant la procédure prévue par les traités et pour la bonne application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 (alinéas 1 à 4).
L’alinéa 5 rappelle qu’il s’agit d’un processus international. Les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à destination des entreprises multinationales ont été élaborés dès 1976 et révisés en 2011. Normes de bonne pratique, elles proclament que les entreprises doivent « respecter les droits de l’homme, ce qui signifie qu’elles doivent se garder de porter atteinte aux droits d’autrui et parer aux incidences négatives sur les droits de l’homme dans lesquelles elles ont une part ». Ces recommandations dépassent l’entreprise elle-même puisque, « dans le contexte de la chaîne d’approvisionnement, si une entreprise s’aperçoit qu’il existe un risque d’incidence négative, elle devrait alors prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin ou pour l’empêcher ». La démarche responsable envers les partenaires commerciaux, sous-traitants et fournisseurs, se trouve donc clairement affirmée.
Les alinéas 6 à 9 mentionnent les différents textes, déclaratifs et contraignants, déjà édictés par l’Union européenne dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises :
– la directive n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014 sur le reporting extra-financier,
– la directive n° 2014/67/UE du 15 mai 2014 quant au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de service,
– les résolutions du Parlement européen du 6 février 2013 sur la responsabilité sociale des entreprises (9) ainsi que celle du 29 avril 2015 à l’occasion du deuxième anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza,
– la communication précitée du 25 octobre 2011 de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions détaillant sa stratégie en matière de responsabilité sociale des entreprises pour la période 2011-2014.
L’alinéa 10 fait référence à la résolution sur la publication d’informations non financières par les entreprises, adoptée par l’Assemblée nationale le 21 février 2014 (10). Celle-ci comprend notamment un point n° 8 dans lequel l’Assemblée nationale « demande à la Commission européenne et aux États membres d’édicter des règles de diligence raisonnable pour leurs entreprises, notamment dans les secteurs à risques et susceptibles d’avoir une incidence négative sur les droits humains, dans les zones où le droit du travail et la protection des travailleurs sont insuffisants et dans les zones de production de produits dangereux pour l’environnement et la santé ».
L’alinéa 11 reprend la définition de la responsabilité sociétale des entreprises. Celle-ci « vise à concilier, dans la perspective du développement durable et en conformité avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la croissance économique, la compétitivité des entreprises et le respect des droits humains, sociaux et environnementaux, ainsi qu’à protéger les données personnelles et lutter contre la fraude et la corruption ». Elle est porteuse d’effets positifs pour les citoyens comme pour l’ensemble de l’économie en ce qu’elle prévient les dommages majeurs et leurs conséquences, comme le rappelle l’alinéa 14 (11).
L’alinéa 12 constate l’insuffisance des plans d’action nationaux en matière de responsabilité sociétale des entreprises au regard des enjeux. De plus, leurs divergences ne permettent pas l’émergence d’un dispositif cohérent sur l’ensemble du territoire européen.
L’alinéa 13 relève brièvement les lacunes du droit européen en matière de responsabilité sociétale des entreprises : mesures limitées à certains secteurs et caractère faiblement contraignant. Par ailleurs, l’alinéa 15 souligne que d’autres secteurs particulièrement à risques du point de vue des droits humains, sociaux et environnementaux, tels que la mine, le textile et le bâtiment, ne font l’objet d’aucune prescription particulière alors qu’ils concentrent une part non négligeable des sinistres relevés par les organisations non gouvernementales.
L’alinéa 16 rappelle le rôle moteur joué par la France dans l’édiction de la directive n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014 sur le reporting extra-financier, dont les prescriptions étaient anticipées par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Ce précédent trouve un écho dans l’adoption par l’Assemblée nationale, le 30 mars 2015, de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre. Il convient, là encore, que l’Europe s’inspire de l’œuvre française.
L’alinéa 17, point n° 1, prône une inscription dans le droit européen du caractère contraignant de la responsabilité sociétale des entreprises. Il est vrai que, dans sa communication du 25 octobre 2011, la Commission européenne la définissait comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». Il convient désormais de dépasser cette définition et d’édicter des normes juridiques opposables aux entreprises pour faire respecter des standards exigeants en matière de droits humains, sociaux et environnementaux, de façon à passer de ce premier stade de RSE à une « RSE plus ». Ces normes :
– devront s’appliquer à l’ensemble des entreprises ayant leur siège dans un État membre de l’Union européenne, sans préjudice de leur secteur d’activité. Toutefois, un seuil pourra être déterminé pour l’exemption des entreprises de faible dimension (alinéa 18) ;
– édicteront un devoir de vigilance des entreprises vis-à-vis de leurs relations d’affaires, de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs afin que soient prévenus les risques humains, sociaux et environnementaux menaçant les personnels, la population locale et l’environnement (alinéa 19) ;
– prévoiront des sanctions en cas de manquement (alinéa 20).
L’alinéa 21, point n° 2, sollicite de la Commission européenne la préparation d’une proposition en ce sens. Il appelle également le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen à examiner ce texte, le moment venu, en accordant une importance particulière à la protection des droits humains, sociaux et environnementaux.
L’alinéa 22, point n° 3, préconise une démarche commune des parlements nationaux de l’Union européenne au soutien de la position exprimée. Cette fédération des bonnes volontés pourrait faire évoluer dans un sens positif le droit européen en adressant une sorte de « carton vert » à la Commission européenne.
Enfin, l’alinéa 23, point n° 4, suggère à l’Union européenne de soutenir toute initiative allant dans le sens d’un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises dans le droit international, « en particulier celle du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ». Cette instance a notamment adopté le 26 juin 2014 une résolution A/HRC/RES/26/9 créant un groupe de travail chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits humains, les activités des sociétés transnationales.
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* *
En conclusion, l’initiative de l’Assemblée nationale en faveur d’une vigilance des entreprises donneuses d’ordre et des sociétés-mères sur les activités de leurs relations d’affaire et de leurs sous-traitants peut permettre d’enclencher un mouvement comparable à l’échelon européen. L’influence française peut jouer un rôle prépondérant pour mobiliser sur les valeurs fondamentales qui sont les nôtres, tant en termes de respect des droits humains que de préservation de l’environnement. L’Assemblée nationale doit solliciter l’Union européenne et les États membres en ce sens.
Lors de sa réunion du mardi 9 juin 2015, la Commission examine, sur le rapport de Mme Danielle Auroi, la proposition de résolution européenne relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l’Union européenne (n° 2762).
Après l’exposé de la rapporteure, une discussion générale s’engage.
M. Dominique Potier. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je suis heureux d’apporter un soutien enthousiaste à l’initiative de Danielle Auroi. Elle est parfaitement complémentaire de notre démarche, qui était d’ailleurs le fruit d’une co-construction. Par-delà nos quelques divergences d’appréciation quant au rythme ou à l’intensité de l’action à mener, ce sont les mêmes causes que nous défendons.
En débattant de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, adoptée le 30 mars dernier, nous évoquions tous les « Rana Plaza invisibles ». À ce propos, j’aimerais rappeler ici l’incendie survenu dans une usine de chaussures à Manille, aux Philippines, qui a coûté la vie à soixante-douze personnes à la suite d’une défaillance des moyens de sécurité – comme au Rana Plaza et pour un effet tout aussi inhumain.
Répétons-le, les textes que nous défendons ne sont dirigés ni contre la mondialisation ni contre l’entreprise : leur but est que ces deux dynamiques servent le principe de loyauté. Tel est le sens de la modernité au XXIe siècle, tel est le combat de notre génération politique. Il ne s’agit pas d’opposer, comme certains ont essayé de le faire, la démarche européenne à l’approche française. Il s’agit d’aller plus loin à l’échelon national pour montrer l’exemple et entraîner l’Europe. La proposition de résolution y contribue ; j’en félicite et j’en remercie la rapporteure.
Au Danemark, aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne et, de manière remarquable, au Royaume-Uni, c’est partout l’effervescence. Partout, des initiatives sont prises pour que la dynamique entrepreneuriale et la compétitivité ne s’opposent pas au respect des droits humains. Au contraire, c’est d’une nouvelle économie, d’une économie plus saine car plus régulée, qu’il est question. La France ne doit pas être en reste.
Je suis moi-même sollicité sur ce sujet par les médias de toute l’Europe. Un déplacement au Parlement européen est prévu à l’automne à l’invitation de pays d’Europe orientale. Bref, notre initiative suscite l’intérêt. Votre proposition de résolution appellera encore davantage l’attention sur ce mouvement. Rappelons le soutien des syndicats français, dans leur grande majorité, et l’appui des organisations non gouvernementales à cette initiative qu’elles ont d’ailleurs largement inspirée. La société civile attend un acte de courage législatif.
Dans cette effervescence européenne, la démarche française est novatrice : il s’agit d’une loi « à 360 degrés » qui, au-delà même du respect des droits humains, s’intéresse aux effets environnementaux et qui, à la demande de Bercy, a intégré la lutte contre la corruption parmi les objectifs du plan de vigilance. Il s’agit d’abord de prévenir les dommages, mais aussi de renforcer la responsabilité en vue de leur réparation le cas échéant.
Ces textes composent un « récit législatif » que nous n’avons peut-être pas assez mis en valeur, avec la lutte contre les paradis fiscaux, avec le combat contre le travail détaché que Gilles Savary a mené de manière exemplaire, mais aussi avec la lutte pour l’emploi dans les petites entreprises sur laquelle le Premier ministre communiquait ce matin. C’est le récit d’une mondialisation régulée, humanisée, qui doit faire la fierté de notre majorité et de tous les républicains de l’Assemblée nationale. Nous nous situons dans le sillage du combat historique contre l’esclavage – qui s’est heurté aux mêmes résistances, aux mêmes conservatismes –, de la lutte contre le travail des enfants ou encore de l’action pour la reconnaissance des accidents du travail. Nous participons d’un mouvement général d’humanisation.
À quoi devons-nous résister ? C’est la question que posait le président de la République lors du formidable hommage rendu aux quatre résistants entrés au Panthéon. Nous devons résister à la facilité, à l’ignorance, à l’indifférence : l’indifférence aux souffrances du monde, que nous paierons non seulement dans nos consciences mais aussi, tôt ou tard, dans nos chairs, tant la misère est le terreau de l’intégrisme et de la violence. Nous devons résister, nous devons combattre, en Europe comme en France, et sans jamais opposer ces deux échelons. Tel est le sens de cette proposition de résolution que nous sommes fiers de soutenir.
La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.
La Commission est saisie de l’amendement CL1 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Le présent amendement tend à mentionner parmi les visas de la résolution la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, défendue aussi brillamment qu’efficacement par Dominique Potier.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements suivants de la rapporteure : les amendements rédactionnels CL2 et CL3, l’amendement de précision CL4 et les amendements rédactionnels CL5, CL7 et CL6.
La Commission est enfin saisie de l’amendement CL8 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement précise l’initiative du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies qu’il convient de soutenir : la résolution n° 26/9 du 26 juin 2014 visant à l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme. Ce texte montre que l’ONU travaille sur le sujet. Cette articulation avec le niveau international sera utile si, comme je l’espère, nous présentons ensuite à la Commission européenne un « carton vert », c’est-à-dire une sorte de pré-proposition de loi.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article unique de la proposition de résolution, modifié, et par voie de conséquence, la proposition de résolution modifiée.
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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution européenne relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l’Union européenne dont le texte figure dans le document annexé au présent rapport.
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Texte de la proposition de résolution ___ |
Texte de la Commission ___ |
Proposition de résolution européenne relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l’Union européenne |
Proposition de résolution européenne relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l’Union européenne |
Article unique |
Article unique |
L’Assemblée nationale, |
(Alinéa sans modification) |
Vu l’article 88-4 de la Constitution, |
(Alinéa sans modification) |
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier son article 6, |
(Alinéa sans modification) |
Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, |
(Alinéa sans modification) |
Vu les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales, tels que modifiés le 25 mai 2011, |
(Alinéa sans modification) |
Vu la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2014, modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, |
(Alinéa sans modification) |
Vu la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI »), |
(Alinéa sans modification) |
Vu les résolutions du Parlement européen du 6 février 2013 sur la responsabilité sociale des entreprises intitulées « Comportement responsable et transparent des entreprises et croissance durable » et « Promouvoir les intérêts de la société et ouvrir la voie à une reprise durable et inclusive », ainsi que sa résolution du 29 avril 2015 sur le deuxième anniversaire de l’effondrement du bâtiment Rana Plaza et l’état d’avancement du pacte sur la durabilité, |
(Alinéa sans modification) |
Vu la communication du 25 octobre 2011 de la Commission au Parlement européen au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « Responsabilité sociale des entreprises, une nouvelle stratégie pour l’UE pour la période 2011-2014 » (COM[2011] 681 final), |
(Alinéa sans modification) |
Vu la résolution de l’Assemblée nationale du 21 février 2014 sur la publication d’informations non financières par les entreprises (TA n° 307), |
(Alinéa sans modification) |
Vu la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre adoptée le 30 mars 2015 par l’Assemblée nationale (T.A. n° 501), amendement CL1 | |
Considérant que la responsabilité sociétale des entreprises vise à concilier, dans la perspective du développement durable et en conformité |
(Alinéa sans modification) |
Considérant que de nombreux États membres, mais pas la totalité d’entre eux, ont, dans le cadre défini par la Commission européenne dans sa communication du 25 octobre 2011 susvisée, adopté des plans d’action nationaux en matière de responsabilité sociétale des entreprises ; que, malgré le progrès que ces derniers représentent, les mesures qu’ils contiennent ont, d’un État-membre à l’autre, une portée très différente et, d’une manière générale, apparaissent insuffisantes au regard des enjeux humains, sociaux et environnementaux résultant de la mondialisation des chaînes d’approvisionnement ; |
(Alinéa sans modification) |
Considérant que le droit de l’Union européenne lui-même, bien que prenant en compte une certaine forme de la responsabilité sociétale des entreprises, ne lui donne qu’une portée limitée ; que les seules mesures contraignantes sont actuellement, d’une part, des obligations de reporting extra-financier, et, d’autre part, des obligations applicables à certains secteurs (diamants bruts, bois, minerais et construction) et à certaines entreprises (les importateurs et les donneurs d’ordres) afin de s’assurer de l’origine des produits et dans le seul cas des donneurs d’ordres, du respect de certains droits des travailleurs détachés ; |
… et, dans … amendement CL2 |
Considérant l’intérêt pour les citoyens, les entreprises et l’économie de l’Union européenne d’une responsabilité sociétale des entreprises harmonisée au niveau européen et les conséquences positives qu’aurait celle-ci sur la prévention des dommages sociaux, environnementaux et sanitaires pouvant découler de leurs activités, en Europe et dans le monde ; |
… dommages humains, sociaux et environnementaux pouvant … |
Considérant que certains secteurs sont particulièrement à risques, tels que les secteurs extractifs, le bâtiment et les travaux publics et le secteur textile ; |
(Alinéa sans modification) |
Considérant le rôle moteur que doit avoir la France en matière de responsabilité sociétale des entreprises ; rappelle qu’avant le vote par l’Assemblée nationale, le 30 mars 2015, de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (TA n° 501), la France avait déjà su tenir ce rôle en adoptant la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques qui, intégrant de nouvelles obligations de reporting extra-financier, a ouvert la voie à l’adoption de la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2014, susvisée ; |
(Alinéa sans modification) |
1. Estime nécessaire que la responsabilité sociétale des entreprises soit inscrite en tant que telle dans le droit européen sous une forme contraignante et présente, notamment, les caractéristiques suivantes : |
1. (Alinéa sans modification) |
1° S’appliquer à l’ensemble des entreprises ayant leur siège dans un État-membre de l’Union européenne, quel que soit leur secteur d’activité, en fixant, le cas échéant, un seuil afin d’en dispenser les plus petites entreprises mais en y incluant les sociétés mères et les holdings ; |
1° … siège social dans … amendement CL4 |
2° Inclure des obligations précises en matière de devoir de vigilance des entreprises vis-à-vis de leurs relations d’affaires, de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs à même de prévenir effectivement l’ensemble des risques sociaux, environnementaux ou sanitaires auxquels les employés, les populations locales ainsi que l’environnement pourraient être exposés en raison de leurs activités directes ou indirectes ; |
2° … risques humains, sociaux et environnementaux auxquels … amendement CL5 |
3° Assortir ces règles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives voire, le cas échéant, proportionnelles aux dommages environnementaux, sociaux ou sanitaires causés par leur non-respect ; |
3° Assortir ces obligations de … … dommages humains, sociaux et environnementaux causés … Amendements CL7 et CL6 |
2. Demande à la Commission européenne de présenter dans les meilleurs délais une proposition législative ambitieuse, répondant aux caractéristiques susmentionnées, et au Conseil de l’Union européenne ainsi qu’au Parlement européen de l’adopter en l’amendant si nécessaire dans un sens favorable à la prise en compte des droits humains, sociaux et environnementaux dans l’activité des entreprises ; |
2. (Sans modification) |
3. Préconise une démarche commune des Parlements nationaux les plus volontaires pour soutenir collectivement cette demande auprès de la Commission européenne ; |
3. (Sans modification) |
4. Appelle l’Union européenne et les États membres à soutenir toute initiative allant dans le sens d’un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises dans le droit international, en particulier celle du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies. |
4. … responsabilité sociétale des entreprises dans le droit international, en particulier la résolution n° 26/9 du 26 juin 2014 du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies visant à l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme |
Résolution n° 26/9 du 26 juin 2014 du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies visant à l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme
Le Conseil des droits de l’homme,
Rappelant les buts et principes de la Charte des Nations Unies,
Rappelant également la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Rappelant en outre la Déclaration sur le droit au développement adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 41/128, en date du 4 décembre 1986,
Rappelant la résolution 2005/69 de la Commission des droits de l’homme, en date du 20 avril 2005, par laquelle la Commission a créé le mandat de Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, ainsi que toutes les résolutions précédentes du Conseil sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, y compris ses résolutions 8/7, en date du 18 juin 2008, et 17/4, en date du 16 juin 2011,
Ayant à l’esprit l’adoption par le Conseil des droits de l’homme, dans sa résolution 17/4, des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme,
Prenant en compte tout le travail accompli par la Commission des droits de l’homme sur la question des responsabilités des sociétés transnationales et autres entreprises dans le domaine des droits de l’homme,
Soulignant qu’il incombe au premier chef à l’État de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales et que les États sont tenus de protéger les personnes se trouvant sur leur territoire et/ou sous leur juridiction contre les violations des droits de l’homme commises par des tiers, y compris les sociétés transnationales,
Soulignant que les sociétés transnationales et autres entreprises ont l’obligation de respecter les droits de l’homme,
Soulignant aussi que les composantes de la société civile ont un rôle important et légitime à jouer pour ce qui est de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises, de prévenir et d’atténuer les effets néfastes sur les droits de l’homme des activités des sociétés transnationales et autres entreprises et de demander réparation,
Reconnaissant que les sociétés transnationales et autres entreprises ont la capacité d’améliorer le bien-être économique et de favoriser le développement, les avancées technologiques et la création de richesse mais que leurs activités peuvent aussi avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme,
Ayant à l’esprit qu’il s’agit d’une question en pleine évolution,
1. Décide de créer un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme, qui sera chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises;
2. Décide aussi que les deux premières sessions du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée seront consacrées à la tenue de débats constructifs sur le contenu, la portée, la nature et la forme du futur instrument international en question;
3. Décide également que le Président-Rapporteur du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée devrait préparer des éléments pour le projet d’instrument juridiquement contraignant, en prévision des négociations sur le fond qui se tiendront au début de la troisième session du Groupe de travail sur le sujet, compte tenu des discussions qui auront eu lieu aux deux premières sessions;
4. Décide que le groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée tiendra sa première session, d’une durée de cinq jours ouvrables, en 2015, avant la trentième session du Conseil des droits de l’homme;
5. Recommande que la première réunion du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée serve à recueillir les propositions, y compris les propositions écrites, des États et des parties prenantes concernant les principes, la portée et les éléments d’un tel instrument international juridiquement contraignant;
6. Affirme qu’il est important de mettre à la disposition du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée des compétences et des avis d’experts indépendants pour lui permettre de s’acquitter de son mandat;
7. Prie la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de fournir au groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée toute l’assistance nécessaire pour qu’il puisse s’acquitter efficacement de son mandat;
8. Prie le groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée de soumettre au Conseil un rapport sur les progrès réalisés, pour examen à sa trente et unième session;
9. Décide de rester saisi de la question conformément à son programme de travail annuel.
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