N° 2875
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juin 2015
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français,
PAR M. Armand JUNG
Député
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ET
ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir le numéro :
Assemblée nationale : 2705.
SOMMAIRE
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PAGES
INTRODUCTION 5
I. UN ACCORD QUI VIENT COMPLÉTER LES RÉGIMES DE RÉPARATION DES VICTIMES DE LA REPRESSION ET DES PERSÉCUTIONS ANTISÉMITES 7
A. LA RECONNAISSANCE DE LA RESPONSABILITÉ DE L’ETAT FRANÇAIS DANS LA PERSÉCUTION ET LA SPOLIATION DES JUIFS DE FRANCE DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE 7
B. LA MISE EN PLACE PROGRESSIVE DE RÉGIMES DE RÉPARATION MATÉRIELLE POUR LES VICTIMES DE LA SHOAH 9
1. Des régimes de réparation sous forme de droits à pension ont été mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale 9
2. Des régimes d’indemnisation au titre des spoliations, matérielles ou bancaires, mises en place à la fin des années 1990 12
C. LA SIGNATURE DE CONVENTIONS BILATÉRALES EN MATIÈRE D’INDEMNISATION DES VICTIMES CIVILES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE 15
II. LA SIGNATURE D’UN ACCORD DANS LE CONTEXTE D’UN GRAVE RISQUE CONTENTIEUX POUR LA FRANCE 17
A. LA MONTÉE D’UN GRAVE RISQUE CONTENTIEUX IMPLIQUANT LA SNCF 17
1. Un régime qui ne permettait pas d’indemniser certaines victimes ou ayants cause 17
2. Des actions menées en 2000 et 2006 devant des juridictions américaines contre la SNCF 18
3. Des initiatives législatives introduites au Congrès, et dans certains Etats américains 18
B. UN ACCORD ÉQUILIBRÉ QUI APPORTE UNE RÉPONSE AUX DEMANDES DES DÉPORTÉS ET GARANTIT À LA FRANCE UNE PAIX ET UNE SÉCURITÉ JURIDIQUE DURABLES 19
1. Le double objectif de l’accord : garantir l’indemnisation des victimes non couvertes par un régime existant et assurer à la France et à l’ensemble de ses démembrements, en contrepartie du dispositif créé, une garantie juridique durable 20
2. Le choix d’un fonds ad hoc doté de 60 millions de dollars 23
3. Les bénéficiaires du fonds 27
C. DES RÉACTIONS POSITIVES À LA SIGNATURE DE L’ACCORD 28
CONCLUSION 31
EXAMEN EN COMMISSION 33
ANNEXE 1 : AUDITIONS 39
ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 41
Mesdames, Messieurs,
En dépit des mesures de réparations mises en place en France, des déportés survivants, ou leurs ayants droits, n’ayant pas eu accès au régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité, ou à des compensations versées par d’autres États ou institutions, ont tenté à partir des années 2000 d’obtenir des réparations par d’autres voies notamment devant les juridictions américaines. Des projets de loi ont été introduits au Congrès américain pour permettre aux juridictions américaines de poursuivre toutes entreprises ayant joué un rôle dans le transport des victimes de la déportation, faisant ainsi craindre le développement d’un contentieux majeur, notamment pour la SNCF.
Des discussions informelles ont été engagées entre la France et les États-Unis, à partir de 2012, afin de trouver une solution à la situation de ces victimes. La conclusion d’un accord intergouvernemental a été proposée aux autorités américaines. Cette approche, dans un cadre négocié et non contentieux, a recueilli le soutien de la communauté juive française et des grandes organisations juives américaines.
L’accord soumis aujourd’hui à l’approbation de notre Assemblée a été signé par les deux chefs de délégation à Washington le 8 décembre 2014, au terme de près d’un an de négociations.
Il prévoit la mise en place d’un fonds ad hoc, doté de 60 millions de dollars, dont la gestion reviendra aux Américains, et qui doit permettre la pleine indemnisation des victimes de la Shoah déportées depuis la France, n’ayant pas pu bénéficier d’une réparation au titre du droit français, et marquer la fin des contentieux qui affectaient nos relations bilatérales.
I. UN ACCORD QUI VIENT COMPLÉTER LES RÉGIMES DE RÉPARATION DES VICTIMES DE LA REPRESSION ET DES PERSÉCUTIONS ANTISÉMITES
A. LA RECONNAISSANCE DE LA RESPONSABILITÉ DE L’ETAT FRANÇAIS DANS LA PERSÉCUTION ET LA SPOLIATION DES JUIFS DE FRANCE DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
76 000 déportés « raciaux » ont quitté la France entre 1940 et 1944, dont plus de 10 000 enfants ou adolescents de moins de dix-huit ans. Seuls 2 564 survivants sont revenus, soit 3 % des partants. Tous les autres ont disparu dans les camps d’extermination, victimes de crimes contre l’humanité.
Ainsi que l’indiquait le Premier ministre, M. Lionel Jospin, lors de la Conférence internationale sur l’éducation, la mémoire et la recherche sur la Shoah qui s’est tenue à Stockholm le 26 janvier 2000 : « Si les gouvernements français ont tardé à reconnaître la responsabilité de l’État dans la persécution et la spoliation des juifs de France pendant la deuxième guerre mondiale, l’œuvre accomplie en quelques années est très importante. »
À partir des années 1970-1980, sous l’impulsion notamment de la génération d’après-guerre, d’avocats tel Serge Klarsfeld, d’historiens tel Robert Paxton ou de cinéastes comme Alain Resnais, Claude Lanzmann ou Marcel Ophuls, cette page noire de l’histoire de France, et plus particulièrement du rôle de l’État français dans la déportation des juifs de France, a commencé d’être débattue publiquement. Les procès de Paul Touvier et de Maurice Papon avaient permis d’établir des responsabilités individuelles, mais non la responsabilité d’une administration, d’un État. François Mitterrand avait participé à la cérémonie de commémoration de la rafle des 16 et 17 juillet 1942 en juillet 1992, mais refusé de s’exprimer, laissant ce soin à Robert Badinter, alors président du Conseil Constitutionnel. Un décret présidentiel en date du 3 février 1993 a cependant institué une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite « Gouvernement de l’État français » (1940-1944), chaque année, le 16 juillet. Il reviendra à Édouard Balladur d’en organiser la première édition.
C’est le 16 juillet 1995, dans un discours demeuré célèbre, prononcé à l’occasion des commémorations de la Rafle du Vélodrome d’Hiver, que le président de la République, Jacques Chirac, a reconnu les crimes perpétrés sous l’autorité du régime de Vichy ainsi que la responsabilité historique de la France dans la déportation des Juifs. Il déclare alors solennellement : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible.»
Plus récemment, durant la commémoration de 2012 de la Rafle du Vélodrome d’Hiver, le président de la République, François Hollande, a prononcé un discours la qualifiant de « crime commis en France, par la France ». D’autres discours publics importants ont également été prononcés en 2012, notamment par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, à l’occasion de l’inauguration du Camp des Milles, ainsi que par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls.
Parallèlement à la reconnaissance de cette responsabilité historique, la France a mis particulièrement l’accent sur la préservation et l’accessibilité au public des anciens sites liés à la Shoah.
Pour ne citer que quelques exemples récents, en septembre 2012, le Président Hollande a inauguré une nouvelle annexe du Mémorial de la Shoah à Drancy, située sur l’ancien site du Camp d’internement de Drancy qui centralisait, sous l’occupation, les déportés à destination des camps de concentration de l’Est de l’Europe. Ce Mémorial présente certains aspects historiques et mémoriels particuliers et offre notamment une approche des bâtiments historiques et une présentation d’objets ayant appartenu aux personnes qui y ont transité.
En septembre 2012 également, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a inauguré un Mémorial au musée au Camp des Milles, ancien camp d’internement et de déportation ayant la particularité d’être situé près d’Aix-en-Provence, qui faisait partie de la « zone libre » durant la Seconde Guerre mondiale. Le Camp des Milles est reconnu comme monument historique par le ministère de la Culture et est répertorié comme l’un des neuf principaux lieux de mémoire par le ministère de la Défense. Le musée abrite la première exposition mémorielle permanente, innovante et multidisciplinaire qui promeut une explication scientifique de la Shoah. L’exposition présente des volets historiques (tant en France qu’en Europe en général), mémoriels et réflexifs. Le visiteur reçoit ainsi au Camp des Milles des clés de compréhension sur les résistibles engrenages qui ont conduit et peuvent encore conduire de l’antisémitisme et du racisme jusqu’aux génocides.
Le gouvernement français est enfin particulièrement attaché aux principes et objectifs de la Déclaration de Stockholm (1) et est déterminé à développer et renforcer sans cesse son approche en matière d’éducation, de mémoire et de recherches sur la Shoah. Abritant la plus importante communauté juive d’Europe, la France est tout particulièrement engagée dans le travail de la mémoire, ainsi que dans le combat contre l’antisémitisme sous toutes ses formes, tant au plan national qu’à l’étranger. Elle est membre depuis 1999 de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah, auparavant dénommée Groupe d’action international pour la coopération sur l’éducation, la mémoire et la recherche sur la Shoah. Elle considère qu’il s’agit d’une plateforme utile et nécessaire pour promouvoir des débats, des discussions et des initiatives collectives dans ce domaine. Dans un monde marqué par des crispations identitaires et par des tentations racistes et extrémistes, dans un contexte général de déstabilisation de certains repères, il apparaît en effet essentiel de proposer la mémoire de la Shoah, de l’expérience du pire, comme un point de repère fort et partagé pour comprendre le présent et demeurer vigilant.
1. Des régimes de réparation sous forme de droits à pension ont été mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certains pays d’Europe ont mis en place des régimes d’indemnisation très différents, souvent sur la base d’une indemnisation de type forfaitaire et peu ont fait le choix d’un régime de pension d’invalidité comme la France qui s’avère être un des plus généreux d’Europe. Plusieurs pays (d’Europe centrale notamment) se sont limités à ne traiter que les spoliations des biens, souvent tardivement.
De même, d’importantes différences existent s’agissant des modalités de gestion de ces régimes de réparation entre ceux qui ont privilégié comme en France des régimes gérés par l’Etat et ceux ayant opté pour la gestion par une institution ad hoc.
L’indemnisation des préjudices physiques subis par les victimes civiles de la guerre 1939-45 a été d’abord prévue en rendant applicable aux victimes les dispositions de la loi du 28 juin 1919 relative aux victimes civiles de la guerre 1914-18 (mesures prises dès 1940).
Puis la loi du 20 mai 1946 relative aux victimes civiles de la guerre 1939-45, outre les cas déjà prévus pour la première guerre mondiale, a prévu des cas d’ouverture du droit à pension spécifiques à la Seconde Guerre mondiale, dont la déportation.
Les droits des déportés n’étaient alors pas différents de ceux des autres victimes civiles : les demandeurs (invalides ou ayants cause) devaient apporter la preuve que l’invalidité ou le décès résultait d’un des faits de guerre prévus par la loi. Puis la loi du 9 septembre 1948 a créé un statut du déporté politique, comportant des droits à pension particuliers.
La qualité de déporté politique, matérialisée par une carte, est accordée aux personnes ayant subi une déportation « pour tout autre motif qu’une infraction de droit commun ». Ce statut recouvre donc les déportations pour des motifs raciaux et les déportations pour autres motifs (politiques stricto sensu), hormis les déportations pour appartenance aux mouvements de Résistance qui donnent droit au bénéfice d’un statut différent, celui des déportés résistants (créé par la loi du 6 août 1948).
Les personnes ayant obtenu la qualité de déporté politique disposent de droits à pension particuliers ; toute affection résultant de maladie est reconnue imputable à la déportation, sans condition de délai, sauf si la preuve contraire est apportée par l’administration. Le droit à pension au titre de la présomption est aussi prévu pour les ayants cause, qu’il s’agisse d’un décès en déportation ou d’un décès après le retour du déporté, sans condition de délai.
Les ayants cause des déportés ayant survécu à la déportation ont également droit à pension si le déporté était pensionné pour un taux d’invalidité d’au moins 85 % (règle applicable à toutes les victimes civiles – ce taux est généralement atteint et dépassé par les déportés pensionnés).
Les lois du 20 mai 1946, du 9 septembre 1948, et tous les textes particuliers relatifs à l’indemnisation des militaires et des victimes civiles ont ensuite été intégrés au code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre.
Le droit à pension de victime civile de guerre (catégorie qui englobe les déportés politiques) est ouvert sous condition de nationalité : les victimes doivent posséder la nationalité française lors du fait de guerre et lors de la demande de pension ; ils ne doivent pas avoir perdu cette nationalité par la suite (la perte de la nationalité française entraîne la suspension du droit à pension).
Toutefois le droit à pension est également reconnu aux personnes ayant la nationalité de pays ayant signé une convention de réciprocité avec la France (Belgique, Royaume-Uni, Pologne, ex-Tchécoslovaquie) ainsi qu’aux personnes relevant des conventions internationales sur les réfugiés de 1933 et 1938.
Enfin, une modification du code des pensions militaires intervenue par la loi de finances pour 1998 permet de reconnaître le droit à pension aux déportés, de nationalité étrangère lors de la déportation (et ne bénéficiant pas des conventions précitées), qui ont acquis ultérieurement la nationalité française, ainsi que leurs ayants cause.
Il n’existe donc pas en droit national une indemnisation spécifique aux victimes de la Shoah mais un régime applicable à tous les déportés politiques.
Aucune indication chiffrée qui serait spécifique aux victimes de la Shoah ne peut donc être communiquée. Seules des indications relatives à l’ensemble des déportés politiques peuvent être fournies. Selon les statistiques du service des retraites de l’État, il existait au 31 décembre 2013 (derniers chiffres connus) :
– 1 355 déportés politiques pensionnés pour un montant total de 45 906 023 euros, soit une pension moyenne de 33 878 euros par an ;
– 2 927 conjoints survivants de déportés politiques pour un montant total de 21 080 227 euros soit un montant moyen de 7 201euros par an (en sus de ce montant, la pension de conjoint survivant peut être assortie de diverses majorations de droit commun selon la situation de l’invalide ayant ouvert droit à réversion ; dans les cas des déportés morts durant leur déportation, un supplément de pension est accordé d’office au conjoint survivant) ;
– 63 orphelins majeurs infirmes de déportés politiques pour un montant total de 430 437 euros soit un montant moyen de 6 382euros par an.
Les bénéficiaires du droit à pension au titre du code des pensions militaires d’invalidité et victimes de la guerre sont les suivants :
– Invalides, atteints d’une infirmité reconnue imputable à un fait de service (pour les militaires) ou de guerre (victimes civiles – dont les déportés politiques) et atteignant le taux minimum indemnisable de 10 % ;
– Ayants cause : conjoints survivants et partenaires d’un Pacte civil de solidarité (depuis 2006, avant cette date, seul le cas des veuves était prévu) ; orphelins de moins de 21 ans ou orphelins infirmes de plus de 21 ans ; pour mémoire : ascendants (père ou mère de la victime, sous condition d’âge et de ressources). Aucun autre parent ne peut prétendre à pension.
Le droit à pension est ouvert aux conjoints survivants des victimes civiles dans les conditions suivantes :
– lorsque le décès du conjoint est reconnu imputable directement à un fait de guerre ou résulte d’une affection pensionnée quel qu’en soit le taux ou d’une affection non pensionnée reconnue elle-même imputable à un fait de guerre ;
– lorsque l’invalide était pensionné pour un taux d’invalidité de 85 % au moins.
Pour les conjoints de déportés, le décès, qu’il soit survenu en déportation ou longtemps après les faits, est considéré comme imputable à la déportation (présomption sans délai, sauf preuve contraire).
La pension de conjoint survivant prévue par le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre n’est pas proportionnelle à la pension que détenait éventuellement l’invalide, mais forfaitaire (règle uniforme, qu’il s’agisse de militaires ou de victimes civiles). Elle est établie sur la base de l’indice de pension 515 (soit 7 194 euros par an).
Il existe aussi des majorations de pension qui sont attribuées aux conjoints survivants de très grands invalides (bénéficiaires de la majoration pour assistance d’une tierce personne etc.) ou à titre social, sous condition de ressources, indépendamment de la qualité de déporté de l’ouvrant droit. Le supplément social, dit « supplément exceptionnel », est attribué d’office aux conjoints survivants de déportés morts en déportation (la pension est alors portée à l’indice 682 soit 9 527 euros par an).
Un régime d’indemnisation des orphelins a plus tard été mis en place. Cette indemnisation a été créée par le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. Le décret du 13 juillet 2000 a été pris principalement au motif que de nombreux orphelins n’avaient pu faire valoir des droits à pension, soit par ignorance de leurs droits par leurs tuteurs, soit en raison des conditions de nationalité applicables aux victimes civiles et à leurs ayants cause.
L’indemnisation prévue par le décret n° 2000-657 est ouverte aux orphelins de « toute personne dont la mère ou le père a été déporté à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites durant l’Occupation et a trouvé la mort en déportation », à condition que l’orphelin ait eu moins de 21 ans lors de la déportation du ou des parents. Aucune condition de nationalité n’est exigée des demandeurs, dès lors que la victime a été déportée depuis la France. L’indemnisation prend la forme, au choix du demandeur, d’un capital de 27 440,82 euros ou d’une rente viagère revalorisée annuellement (543,64 euros par mois pour 2015). Au 31 décembre 2014, 6 610 orphelins ont fait le choix du versement d’un capital soit un montant effectivement versé à cette date de 179 682 489 euros et 6 974 rentes ont été versées pour un montant de 510 878 563 euros, soit un total de 690 561 052,61 euros.
Par la suite, un deuxième décret (décret n°2004-751 du 27 juillet 2004) a institué une mesure d’indemnisation identique pour les orphelins dont les parents sont morts victimes d’actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale (déportation pour un motif autre que les persécutions raciales, massacres). Les montants prévus sont les mêmes que pour le décret du 13 juillet 2000 et sont revalorisés dans les mêmes conditions.
2. Des régimes d’indemnisation au titre des spoliations, matérielles ou bancaires, mises en place à la fin des années 1990
Il faut noter ici que les États-Unis ont joué un rôle actif et pionnier dans la mise en œuvre de l’indemnisation des victimes de la Shoah, notamment au titre des spoliations subies par les victimes. C’est en 1995 que le Président Clinton nomme Stuart E. Eizenstat, Ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne, au poste d’Ambassadeur chargé des négociations sur les indemnisations dues aux Juifs d’Europe, à la demande d’Edgar Bronfman, président du Congrès juif mondial et d’Israël Singer, Secrétaire général de cette organisation. Afin de faire obtenir des réparations morales mais surtout matérielles, ces trois hommes se saisissent de l’exemple suisse pour exercer une forte pression sur les gouvernements des pays européens dans lesquels les Juifs ont été victimes de spoliations voulues non seulement par les Allemands mais aussi par les gouvernements eux-mêmes. C’est ainsi que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, les Pays-Bas et la Norvège ont créé des commissions ad hoc et publié leurs conclusions sous forme de rapports publics.
Par ailleurs, le recours collectif (class action), spécifiquement reconnu par le code de procédure civile fédérale et par la plupart des États de 1’Union, permet à quelques individus de porter plainte au nom de centaines de milliers de personnes censées avoir subi le même préjudice. Cette possibilité, non admise en droit français, pouvait, en France, avoir des conséquences imprévisibles. Des dizaines d’entreprises et de banques françaises pouvaient être citées devant les tribunaux américains pour leur complicité dans ce vol, ce qui supposait, en plus des incertitudes financières liées à ce genre de procès, des risques d’image et des frais d’honoraires d’avocats américains très importants, comme la SNCF le constate à ses dépens.
Dans le prolongement de la « mission Mattéoli » (2) , chargée entre 1997 et 1999 d’étudier la spoliation des biens immobiliers et mobiliers appartenant aux Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale, la France s’est engagée dans la restitution ou l’indemnisation des biens spoliés durant la Seconde Guerre Mondiale, notamment avec la création de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS) par le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999.
Mise en place en 2000 sur la recommandation du rapport précité de Jean Mattéoli, cette Commission est chargée de l’examen des demandes individuelles présentées par les victimes ou leurs ayants droit, en vue d’obtenir réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens, intervenues du fait des législations antisémites appliquées sous l’Occupation par les autorités occupantes ou le gouvernement de Vichy. La Commission, qui n’est pas une juridiction, est chargée d’élaborer et de proposer des mesures de réparation ou d’indemnisation appropriées. Elle peut émettre toutes recommandations utiles, notamment en matière d’indemnisation. Ces recommandations sont ensuite transmises au Secrétaire général du Gouvernement. La Commission a également publié de nombreuses recherches sur la spoliation des Juifs (3).
Depuis le début de ses travaux en 2000 jusqu’au 31 décembre 2013, la CIVS a enregistré 28 557 dossiers. 18 999 concernent des spoliations matérielles et 9 558 des spoliations bancaires. 896 demandes ont été classées en raison de l’absence de réception d’un questionnaire dûment renseigné ; 892 pour désistement, incompétence de la commission ou carence des demandeurs au cours de l’instruction.
Les recherches menées par la Commission ont décliné proportionnellement à ses activités effectives. Le niveau des restitutions et des indemnisations a en effet baissé depuis 2000, comme l’explique son dernier rapport. Depuis le début de ses travaux en 2000 jusqu’au 31 décembre 2013, la Commission a enregistré 28 557 dossiers. 18 999 concernent des spoliations matérielles, au sens du décret n°99-778 du 10 septembre 19994, 9 558 des spoliations bancaires. 896 ont été classés en raison de l’absence de réception d’un questionnaire dûment renseigné ; 892 pour désistement, incompétence de la Commission ou carence des demandeurs au cours de l’instruction.
En 2013, la CIVS a enregistré 374 dossiers (263 matériels, 111 bancaires dont 29 créations internes). Ces chiffres traduisent une baisse de 5,8 % par rapport à 2012, contre 25,6 % entre 2011 et 2012. Si un processus naturel de longue durée amorcé en 2007 a conduit à une baisse régulière, celle-ci semble désormais stabilisée.
Le 18 janvier 2001, les gouvernements français et américain ont signé, à Washington, un accord relatif à l’indemnisation de certaines spoliations intervenues pendant la seconde guerre mondiale. Les banques et les institutions financières ayant exercé une activité en France pendant cette période s’engagent, par cet accord, à restituer aux détenteurs d’avoirs bancaires ou à leurs ayants droit, les sommes bloquées à la suite des législations antisémites mises en œuvre par le gouvernement de Vichy et les autorités allemandes d’Occupation.
Dans le cadre de cet accord les banques se sont engagées à satisfaire toute demande approuvée par la CVIS. L’accord a prévu la constitution de deux fonds distincts par les établissements financiers pour répondre aux indemnisations recommandées par la CIVS en matière bancaire. Le premier, dit « Fonds A », doté d’un montant de 50 000 000 USD, a pour objet d’indemniser les victimes dont les avoirs ont été identifiés. Le second, dit « Fonds B », doté d’un montant de 22 500 000 USD, couvre les autres indemnisations. L’accord prévoit une indemnisation forfaitaire à partir d’éléments de preuve ou de la signature d’une déclaration sur l’honneur déposés antérieurement au 2 février 2005 par les victimes ou leurs ayants droit.
Conformément à l’accord de Washington, les demandes ressortissant du Fonds B ne sont plus acceptées depuis le 2 février 2005. En revanche, la CIVS continue à traiter les requêtes pour lesquelles un ou plusieurs comptes sont identifiés.
C. LA SIGNATURE DE CONVENTIONS BILATÉRALES EN MATIÈRE D’INDEMNISATION DES VICTIMES CIVILES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
En matière d’indemnisation des préjudices liés à la déportation au titre de la Shoah, des conventions de réciprocité ont été conclues avec quatre pays, permettant l’indemnisation par la France des victimes civiles de faits de guerre survenus en 1939-45, ayant la nationalité du pays co-signataire, lorsque le fait de guerre s’est produit en France (ou depuis la France), et réciproquement.
Les victimes de la Shoah ont été indemnisées dans le cadre de ces accords. Il s’agit des textes suivants : Convention franco-polonaise du 11 février 1947 ; Convention franco-tchécoslovaque du 1er décembre 1947 ; Convention franco-britannique du 23 janvier 1950 ; Convention franco-belge du 20 septembre 1958.
L’indemnisation a lieu selon les règles en vigueur dans chaque pays (donc selon les règles du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre en ce qui concerne la France, avec application des règles spécifiques applicables aux déportés).
Les conventions avec la Pologne et l’ex-Tchécoslovaquie prévoient aussi l’indemnisation des personnes ayant servi dans les armées polonaise et tchécoslovaque constituées en France, et l’indemnisation des Français ayant participé à la Résistance dans les deux pays concernés.
Aux accords bilatéraux, il convient d’ajouter les conventions internationales sur les réfugiés prévoyant une clause permettant d’étendre aux bénéficiaires les avantages prévus par une convention bilatérale :
– Convention du 28 octobre 1933 relative au statut international des réfugiés (elle s’est notamment appliquée à diverses catégories de réfugiés et apatrides installés en France après la Première Guerre mondiale ainsi qu’aux réfugiés espagnols après 1939) ;
– Convention du 10 février 1938 concernant le statut des réfugiés provenant d’Allemagne (et d’Autriche).
En principe, la perte de la nationalité d’un des pays signataires des conventions de réciprocité ou celle de la qualité de réfugié statutaire entraîne la perte du droit à pension (sauf si cette perte résulte de l’acquisition de la nationalité française).
Selon les indications fournies en 2012 par le service des retraites de l’État, les déportés politiques pensionnés au titre des conventions bilatérales ou internationales étaient à cette date : 79 invalides et 77 ayants cause au titre de la Convention franco-polonaise ; 72 invalides et 213 ayants cause au titre de la Convention sur les réfugiés et apatrides ; 6 invalides et 17 ayants cause pour les autres étrangers.
Les obstacles à l’indemnisation des survivants ou des ayants cause résultent principalement de la condition de nationalité prévue par le code CPMIVG.
Le droit à pension d’invalidité de victime civile de guerre (catégorie qui englobe les déportés politiques) est ouvert sous condition de nationalité : les victimes doivent posséder la nationalité française lors du fait de guerre et lors de la demande de pension ; elles ne doivent pas avoir perdu cette nationalité par la suite : la perte de la nationalité française entraîne la suspension du droit à pension (articles L. 197, L. 203, L. 107 du CPMIVG).
Les ayants cause (conjoints survivants ou orphelins) ne peuvent obtenir une pension que si la victime remplissait la condition de nationalité requise, la même condition de nationalité étant en principe requise de l’ayant cause (bien que sur ce seul point, la jurisprudence ait connu une évolution récente tendant à l’ouverture du droit à réversion pour les ayants cause de nationalité étrangère, lorsque l’ouvrant droit était pensionné et donc remplissait lui-même nécessairement la condition de nationalité requise).
Il faut rappeler cependant que le droit à pension est également reconnu aux personnes ayant la nationalité de pays ayant signé une convention de réciprocité avec la France (Belgique, Royaume-Uni, Pologne, ex-Tchécoslovaquie) ainsi qu’aux personnes relevant des conventions internationales sur les réfugiés de 1933 et 1938.
La perte de la nationalité d’un des pays signataires des conventions de réciprocité ou celle de la qualité de réfugié statutaire entraîne en principe la perte du droit à pension (sauf si cette perte résulte de l’acquisition de la nationalité française).
Ainsi, comme le rappelle l’exposé des motifs du présent projet de loi, à partir des années 2000, des déportés survivants, non-couverts par le régime en vigueur en France, ont tenté d’obtenir des réparations par d’autres voies, notamment devant les juridictions américaines.
En 2000 (procès Abrams c. SNCF), un recours a été introduit contre la SNCF devant un tribunal de New York par des survivants et des ayants droit appuyés par des avocats, pour complicité de crime contre l’Humanité, pour avoir collaboré activement à la déportation des Juifs de France, et en avoir tiré bénéfice. Après condamnation de la SNCF en première instance, le bénéfice de l’immunité de juridiction, instauré par le Foreign Sovereign Immunities Act, 1976, a été reconnu à la SNCF par la cour d’appel du deuxième circuit fédéral. La Cour Suprême a refusé de se saisir de la requête en annulation déposée par les plaignants contre cet arrêt.
En 2006 (procès Freund c. SNCF), un nouveau recours a été introduit contre la SNCF (ainsi que contre la Caisse des dépôts et consignations et contre l’Etat) sur l’un des griefs pour lesquels l’immunité de juridiction n’est pas opposable : la spoliation. Ce recours introduit à nouveau à New York avec les mêmes avocats a été clos en 2011 par la cour d’appel du deuxième circuit fédéral, qui a jugé que les plaignants n’avaient apporté de preuves convaincantes et par le refus de la Cour Suprême de saisir d’une requête en annulation.
Il existe un risque que d’autres plaintes soient déposées contre la SNCF (et tous les démembrements de l’Etat). De fait, en avril 2015, trois plaignants ont attaqués la SNCF devant une cour fédérale de Chicago sur la base d’un recours très proche de celui de 2006 (Scalin c. SNCF).
Depuis 2005 et tous les deux ans (à chaque nouveau Congrès), un projet de loi bipartisan est déposé par des membres du Sénat et de la Chambre des Représentants en vue de retirer le bénéfice de l’immunité de juridiction des Etats à la SNCF et de permettre à un recours de prospérer devant une juridiction américaine.
Les attendus du projet de loi contenaient beaucoup d’approximations historiques et d’inexactitudes sur le rôle de la SNCF pendant la Seconde Guerre mondiale.
Des auditions ont été menées mais ces projets n’ont jamais été soumis en commission ni soumis à l’adoption. Ils ont toutefois été déposés par des parlementaires influents (le sénateur Schumer, D-NY, notamment) et ont reçu des parrainages de poids (dans le passé, des sénateurs Hillary Rodham Clinton, D-NY, et John Kerry, D.MA).
Un risque existait d’une adoption de ces dispositions sous forme d’un cavalier législatif dans une autre législation.
C’est dans ce contexte que le Gouvernement français a proposé en 2012 à ses partenaires américains de rechercher une solution négociée aux demandes des survivants américains, plutôt que de laisser prospérer une voie législative puis judiciaire. Cette option a été soutenue par quatre grandes organisations juives américaines.
Enfin, depuis 2010, les avocats à l’origine des recours cherchent à faire adopter par les législatures d’État des dispositions visant à contraindre la SNCF à des actions en termes de transparence et d’archives, et même à avoir indemnisé les victimes de la déportation afin de pouvoir répondre à des appels d’offres, voire à l’en exclure.
En 2010, en Californie une loi sur la transparence a été votée avant de faire l’objet d’un veto du Gouverneur. En Floride, un projet de loi similaire a été déposé puis abandonné. En 2014, dans l’Etat du Maryland, un projet de loi sur la transparence et les archives a été déposé, puis rejeté en commission. En 2014, à New-York, l’intention a été affichée de déposer un projet de législation, malgré l’opposition déclarée du Département d’Etat.
Avec l’entrée en vigueur de l’accord, le Gouvernement américain serait conduit à intervenir dans le cadre des procédures qu’elles soient judiciaires ou législatives.
B. UN ACCORD ÉQUILIBRÉ QUI APPORTE UNE RÉPONSE AUX DEMANDES DES DÉPORTÉS ET GARANTIT À LA FRANCE UNE PAIX ET UNE SÉCURITÉ JURIDIQUE DURABLES
Les négociations, qui se sont déroulées dans un climat constructif, ont été conduites, côté américain, par l’ancien ambassadeur, Stuart Eizenstat, conseiller spécial du Secrétaire d’État sur les questions liées à la Shoah, déjà négociateur et signataire de l’Accord de Washington de 2001 sur les avoirs bancaires, et, pour la partie française, par l’ambassadrice pour les droits de l’Homme, Patrizianna Sparacino-Thiellay, en charge de la dimension internationale de la Shoah, des spoliations et du devoir de mémoire.
Les négociations ont formellement débuté au mois de février 2014 visant à conclure un accord intergouvernemental aux fins d’indemnisation de ces victimes de la Shoah déportées depuis la France et non couvertes par le régime français.
Elles ont eu lieu à un rythme soutenu avec l’ambition de conclure dans les meilleurs délais pour tenir compte notamment de l’âge avancé des déportés survivants. Elles se sont achevées début novembre 2014.
L’accord se compose de neuf articles, précédés d’un Préambule, dont la portée est moins juridique que politique et symbolique. Il vise notamment à rappeler les mesures de réparations d’ores et déjà en vigueur en France et la volonté conjointe d’apporter une réponse aux demandes des déportés depuis la France qui n’avait pu avoir accès à aucun régime de réparation. Il confirme par ailleurs l’engagement des autorités américaines à agir de manière active pour assurer à la France et à ses démembrements une paix et une sécurité juridique durable en contre partie du régime institué.
1. Le double objectif de l’accord : garantir l’indemnisation des victimes non couvertes par un régime existant et assurer à la France et à l’ensemble de ses démembrements, en contrepartie du dispositif créé, une garantie juridique durable
L’article 1er a pour objet de définir les principaux termes de l’accord. Il précise notamment que la « France » doit s’entendre comme toutes ses institutions et administrations ainsi que ses démembrements, terme qui vise les entreprises ou entités publiques françaises qui bénéficient aux États-Unis d’une immunité de juridiction. Cette définition vise à cibler très précisément le périmètre des garanties de sécurité juridique constituant les contreparties de l’accord.
Cet article définit par ailleurs la notion de « déportation liée à la Shoah » afin de préciser que le champ de l’accord concerne exclusivement les victimes des déportations consécutives aux persécutions antisémites perpétrées par les autorités allemandes d’Occupation ou les autorités de fait dites « Gouvernement de l’État français », c’est-à-dire le transfert de ces victimes vers des camps situés hors du territoire national.
La rédaction maladroite de la dernière phrase de l’article premier, faisant référence au « Gouvernement de Vichy », aurait pu prêter à confusion sur le sens de l’accord. Il a été demandé au Gouvernement de lui substituer l’expression communément acceptée de « l’autorité de fait, se disant gouvernement de l’Etat français » – utilisée dans l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental.
L’article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités permet de corriger cette erreur, par voie d’échange de notes diplomatiques, dans lesquelles une partie propose la correction, et l’autre l’accepte.
Sur le fondement de cet article, le ministère des Affaires étrangères et du Développement international a adressé le 10 juin dernier une note diplomatique aux autorités américaines proposant de substituer aux termes « Gouvernement de Vichy », les termes : « l’autorité de fait, se disant gouvernement de l’Etat français ». Les autorités américaines ont accepté cette correction, qui n’aura aucune conséquence sur les principales dispositions de l’accord.
En séance, le Gouvernement devra s’engager à le rectifier, conformément à l’échange de notes. Après sa ratification, l’accord sera publié au Journal officiel dans sa version corrigée, qui seule fera foi entre les parties.
La mention « Gouvernement de Vichy » n’apparaitra plus nulle part dans le texte qui sera publié au Journal officiel. Dès lors, il est inutile d’ajouter une réserve interprétative sur une expression qui aura disparu.
L’article 2 énumère les deux objectifs de l’accord. Celui-ci vise, d’une part, à fournir un mécanisme exclusif d’indemnisation des personnes ayant survécu à la déportation ou leurs ayants droits à l’exclusion de toute personne déjà couverte par un autre programme d’indemnisation en lien avec la déportation liée à la Shoah.
D’autre part, il vise à assurer à la France et à l’ensemble de ses démembrements, en contrepartie du dispositif créé, une garantie juridique durable aux États-Unis s’agissant de toute demande ou action qui pourrait être engagée au titre de la déportation liée à la Shoah. Les États-Unis s’engagent dans le cadre de cet accord notamment à faire respecter l’immunité de juridiction de la France contre toute initiative, à quelque niveau de l’État américain que ce soit.
L’article 5 rappelle ainsi l’engagement du Gouvernement américain à reconnaître et faire respecter l’immunité de juridiction de la France et de ses démembrements.
La notion d’immunité d’Etat souverain traduit dans la pratique des relations internationales le principe de l’égalité souveraine entre les Etats qui écarte toute notion de subordination de l’un par rapport à l’autre, notamment sur le plan juridictionnel (« par in parem non habet jurisdictionem »). C’est l’immunité de juridiction. La reconnaissance de telles immunités emporte comme conséquence que les biens de l’Etat qui se trouvent dans un territoire étranger ainsi que ses actes qui peuvent éventuellement y être contestés, sont en principe protégés contre toute mesure de contrainte. C’est l’immunité d’exécution.
Les règles régissant les immunités de l’Etat souverain en droit international sont principalement d’origine coutumière.
Les décisions judiciaires ou les législations nationales des Etats ont permis de définir l’étendue des immunités de l’Etat sur le territoire d’un autre Etat et de permettre la codification des règles coutumières existantes comme l’atteste, par exemple, la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2004 ratifiée par la France le 12 août 2011 (cf. loi n° 2011-734 du 28 juin 2011).
A la différence de la France, les États-Unis ont légiféré en la matière et adopté en 1976 le Foreign Sovereign Immunities Act qui encadre les situations dans lesquelles un Etat étranger est susceptible de se prévaloir de ses immunités de juridiction ou d’exécution. Les principes retenus par cette loi reflètent dans une large mesure les stipulations de la Convention des Nations unies de 2004 précitée.
La notion d’immunités diplomatiques, consulaire ou officielle des agents de l’État renvoie également au droit international coutumier. Les agents étatiques (chefs d’État et de gouvernement, ministres des Affaires étrangères, agents diplomatiques et consulaires, autres représentants et agents) sont susceptibles de se prévaloir à l’étranger d’immunités civiles et pénales qui sont, suivant les cas, soit personnelles (sont couverts les actes accomplis à titre officiel comme à titre privé) soit fonctionnelles (ne sont couverts que les actes accomplis à titre officiel). S’agissant en particulier des membres du personnel diplomatique et consulaire, leurs immunités ont été codifiées par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et par la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963, auxquelles la France et les États-Unis sont parties.
L’article 5 prévoit également que le Gouvernement américain entreprend « toute mesure nécessaire pour garantir la paix juridique durable au niveau fédéral et entreprendre toute action contre des mesures contraires à l’esprit ou la lettre de l’accord ».
Comme tout accord intergouvernemental, l’accord franco-américain prévoit des engagements réciproques dont celui des autorités américaines de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à tout litige et contentieux relatif à la déportation depuis la France.
Trois types d’actions contre la France et ses démembrements pourraient intervenir : plainte devant les tribunaux américains ; législation fédérale pour modifier les termes de la loi américaine d’immunité des Etats (FSIA) ; législation dans les Etats américains visant explicitement ou implicitement la SNCF pour bloquer ses activités.
Dans le cadre de cet accord, le Gouvernement des États-Unis s’engage à deux niveaux d’intervention :
– à s’assurer, conformément à son système constitutionnel, de la clôture de tout recours devant les tribunaux américains, pendants ou à venir, qui viserait la France ou ses démembrements quel que soit leur statut juridique (article 5-2) ;
– à prendre toute mesure nécessaire contre des initiatives juridiques ou législatives au niveau fédéral, des Etats ou des autorités locales, qui mettraient en cause l’immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements ou qui viendrait contredire l’esprit ou la lettre de l’accord (article 5-3).
Selon les engagements qu’il a pris dans l’accord intergouvernemental, le Gouvernement des États-Unis s’opposera dans ces différents cas pour garantir la paix juridique. L’accord offre à la France le maximum de garanties juridiques contre toute demande présentée au titre de la déportation liée à la Shoah formulée à l’encontre de la France ou ses démembrements, compte tenu du système de séparation des pouvoirs aux États-Unis. En termes d’obligation de moyens et d’actions pour assurer cette « paix juridique », il représente le maximum de ce à quoi le Gouvernement des États-Unis pouvait s’engager dans un accord de ce type, et donc de ce que nous pouvions obtenir.
La forme de cette intervention n’est pas précisée explicitement mais l’obligation d’une action volontariste est clairement posée.
Sur le plan législatif, il peut s’agir d’une déclaration politique ou d’une opposition (veto). Dans le cadre d’un contentieux, une intervention pourrait prendre la forme d’un Statement of Interest qui est l’équivalent d’un mémoire en amicus curiae mais déposé par l’administration ou d’une intervention volontaire dans la procédure qui lui donne la qualité de partie.
L’article 8 de l’accord précise les modalités de règlement d’éventuels différends, qui reposeront exclusivement sur des consultations entre les Parties.
L’article 4 prévoit le transfert d’une somme de 60 millions de dollars du Gouvernement de la République française au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique pour la mise en place d’un fonds sur lequel les indemnisations seront prélevées.
L’option d’un fonds ad hoc unique plutôt que l’extension des droits à pensions dans le cadre du code des pensions militaires a été très tôt confirmée dès lors que nos partenaires souhaitaient notamment, pour des raisons d’équité, une application rétroactive qui n’était pas possible aux termes du droit commun.
La partie américaine a d’abord estimé le coût d’un tel fonds à plus 107 millions d’euros (pour un total de 486 bénéficiaires plus une marge pour aléas de 20 % pour d’éventuels demandeurs ultérieurs) dont 87 millions pour la seule partie rétroactive (à compter de 2000, date des premiers contentieux devant la justice américaine).
Il a été fait le choix d’un dispositif spécifique afin de tenir compte des circonstances particulières : l’âge avancé des déportés survivants ; l’importance d’indemniser rapidement les survivants de la déportation ou leurs ayants droit 70 ans après l’ouverture du régime des pensions d’invalidité des victimes civiles de guerre ; l’intérêt de couvrir les ressortissants américains mais aussi les déportés survivants d’autres nationalités qui n’avaient pu avoir accès au régime français de pension d’invalidité.
Une extension du régime des pensions d’invalidité, à l’instar des accords bilatéraux conclus par la France avec certains pays après-guerre (Royaume-Uni, Belgique, Pologne et ex-Tchécoslovaquie) n’aurait pas permis :
– de répondre à la nécessité d’indemniser rapidement les survivants, aujourd’hui âgés, de la déportation (la procédure d’attribution du titre de déportés puis de pension d’invalidité requiert au minimum un délai de 18 mois) ;
– de prendre en compte, en termes d’équité, une part acceptable d’antériorité dans l’indemnisation alors que le régime est ouvert depuis 1946 ;
– de couvrir, au-delà des ayants droit du régime des pensions d’invalidité (conjoint survivant et enfants, pour ces derniers seulement jusqu’à leur 21ème anniversaire, exception faite du cas marginal des orphelins majeurs infirmes), d’autres catégories d’ayants droit pour les déportés décédés après-guerre ;
– d’encadrer par ailleurs le dispositif, avec un fonds plafonné à 60 millions de dollars, alors que nous n’avons qu’une connaissance incomplète du nombre de bénéficiaires potentiels qui pourrait s’avérer finalement plus nombreux, et induire un coût très supérieur pour le budget de l’Etat.
Le Fonds sera géré par les autorités américaines qui seront seules chargées de recevoir et d’examiner les demandes sur la base de critères qu’elles auront établis et de verser les indemnités aux bénéficiaires (déportés survivants, conjoints survivants ou leurs ayants droit).
Les autorités américaines se sont engagées à prendre toutes les dispositions utiles pour faire connaître aux bénéficiaires potentiels, partout dans le monde, les possibilités d’indemnisation ouvertes par l’accord.
De la même manière, l’accord prévoit que le barème des indemnisations sera de la seule responsabilité des autorités américaines.
Ce montant de 60 millions de dollars correspond à un point d’équilibre au regard notamment des demandes de compensations exprimées par certains avocats américains (200 millions de dollars).
Il a été établi en tenant compte de différents critères :
– le nombre de bénéficiaires potentiels - survivants de la déportation ou leurs ayants droit pour ceux décédés après-guerre - estimé à quelques milliers à ce stade mais qui ne sera connu qu’après une procédure de recensement engagée par les autorités américaines ; une marge d’aléas pour pouvoir répondre à un possible afflux de demandes a de ce fait été prévue. Au cours des discussions, il est apparu nécessaire afin d’assurer la paix juridique la plus large possible, de faire entrer dans le champ d’application de l’accord non seulement les victimes de nationalité américaine mais aussi d’autres nationalités non couvert par d’autres régimes en vigueur ;
– la volonté de mettre en place une indemnisation juste pour les bénéficiaires et en cohérence avec le régime des pensions d’invalidité des victimes civiles de la guerre par référence au niveau moyen de pension annuelle de l’ordre de 32 000 euros par an (base 2012) ;
– la nécessité de pouvoir intégrer une part encadrée d’antériorité dans les indemnisations pour les survivants de la déportation qui n’avaient pu bénéficier du régime des pensions ouvert il y a 70 ans. Sur ce point, un compromis a été trouvé entre les demandes américaines qui souhaitaient la prise en compte de la date des premiers contentieux devant les juridictions américaines, soit l’année 2000, et le souhait des autorités françaises de considérer comme base de départ le début des discussions informelles, soit 2012.
Il est très difficile de pouvoir fournir des estimations du nombre de bénéficiaires potentiels de l’indemnisation par le Fonds.
A ce stade des informations disponibles, encore très partielles, il devrait potentiellement concerner, selon la partie américaine, quelques milliers de bénéficiaires qui auront un délai de plusieurs mois pour déposer leur demande auprès des autorités américaines.
Une déclaration sur l’honneur, prévue par l’article 7 de l’accord, et qui figure en annexe de celui-ci, doit être effectuée préalablement à toute indemnisation par les bénéficiaires du fonds pour exprimer leur renoncement à toute indemnisation autre que celle garantie par le Fonds.
L’objectif de cette déclaration est de conduire les bénéficiaires, leurs ayant cause et leurs héritiers à renoncer à toute possibilité de demande reconventionnelle ou de tous recours contre la France et ses démembrements pour des faits au titre de la déportation liée à la Shoah. Ces renonciations individuelles contribuent aux garanties de paix et de sécurité juridique prévues par l’accord.
Cette déclaration doit être effectuée devant un « public notary ». Aux États-Unis, un « notaire public » est une personne nommée par les autorités d’un Etat fédéré, par exemple le gouverneur, lieutenant-gouverneur, secrétaire d’état, et dont le rôle principal est d’authentifier les actes, sans pour autant que ces derniers soient considérés comme des actes authentiques en droit français. Il s’agit davantage d’une certification comme peuvent le faire les officiers d’état civil dans les mairies en France. La fonction de notaire public aux États-Unis correspond davantage aux fonctions assurées par les huissiers en France. Elle n’est pas uniforme dans tous les États-Unis et dépend du droit de chaque Etat fédéré.
Aux termes de l’accord, ce sont les autorités américaines qui assureront la réception des demandes, leur examen et l’indemnisation des bénéficiaires. Dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’accord, qui interviendra à l’issue de la procédure d’approbation parlementaire actuellement en cours en France, il est d’ores et déjà possible aux personnes intéressées de communiquer leurs coordonnées sur une ligne téléphonique dédiée ouverte aux États-Unis.
Compte tenu du souhait exprimé par les autorités françaises d’une indemnisation qui soit en cohérence avec le niveau de pension versé dans le cadre du régime en vigueur et par ailleurs de la prise en compte d’une part encadrée d’antériorité (à compter de 2012), l’indemnisation pour les déportés survivants devrait avoisiner 100 000 dollars selon les indications communiquées par le négociateur américain. Ce montant équivaudrait à trois années de pensions d’invalidité en droit français.
Il a été convenu lors des négociations, et là aussi en cohérence avec le régime applicable en France, que les ayants droit et les héritiers seraient indemnisés sur la base de montants très inférieurs qui n’ont pas été communiqués à ce stade par la partie américaine dans l’attente de connaître le nombre exact de personnes éligibles, étant entendu qu’il n’est pas prévu que le Fonds puisse être ré-abondé par les autorités françaises.
L’article 6 de l’accord vient enfin préciser que les engagements de procédure du Gouvernement américain aux fins d’indemnisation des bénéficiaires selon des critères dont il est seul responsable et qu’il définit discrétionnairement et unilatéralement. Il prévoit qu’une autorité désignée par le Gouvernement américain assurera l’examen des demandes et la répartition des fonds après une mesure de communication et de publicité visant à informer le plus largement possible les bénéficiaires potentiels. Les réclamations éventuelles relèvent également de la seule responsabilité des autorités américaines.
Cet article 6 prévoit enfin une obligation pour le Gouvernement américain de faire rapport au Gouvernement français sur la mise en œuvre de l’accord, obligation qui prendra fin un an après la fin de la répartition du fonds.
Il faut ici préciser qu’il ne s’agit pas d’un régime de réparation de guerre entre Etats, mais d’un accord de réparations individuelles, morales et financières qui a été négocié à l’initiative de la France.
Cet accord ne peut être assimilé à un accord de réparation d’état vaincu à état vainqueur. Les négociateurs ont choisi de confier au gouvernement américain l’instruction des dossiers dans le souci de simplifier les démarches des demandeurs, par définition très âgés, qui résident sur le sol américain et en possèdent la nationalité.
Les 60 millions de dollars ne sont pas versés au budget américain mais transférés au trésor américain au profit d’un fonds ad hoc et le gouvernement américain devra rendre compte de leur utilisation au gouvernement français. L’article 6, paragraphe 7, prévoit un rapport annuel. Ce n’est pas exactement comme cela que fonctionnerait un régime de réparation.
Certains se sont demandé s’il n’aurait pas été préférable que l’indemnisation incombe à la SNCF. En réalité, c’est une option qui aurait pu convenir au Gouvernement américain, mais qui a été écarté d’emblée par la partie française.
Faire participer la SNCF au fonds aurait eu pour effet de reconnaître sa responsabilité indirecte dans la déportation des Juifs et le bien-fondé des plaignants américains. Or, un arrêt du Conseil d’État de 2007 a exonéré la SNCF ainsi que tous les démembrements de l’État de toute responsabilité. Serge Klarsfeld a prouvé que la SNCF était un rouage du processus d’extermination, placée sous réquisition des autorités allemandes d’Occupation et que sa responsabilité ne pouvait être mise en cause. Pour cette raison, cette option qui avait été demandée par nos partenaires américains a été formellement rejetée par les négociateurs français.
Il faut ajouter que ce dossier est très différent de celui des spoliations : si les banques françaises ont été mises à contribution à travers l’accord franco-américain de 2001, c’est au titre des avoirs qu’elles avaient abusivement acquis de leur propre initiative.
L’article 3 de l’accord encadre les catégories de bénéficiaires en énumérant une série d’exclusions visant à éviter les doubles indemnisations.
Les survivants de la Shoah déportés depuis la France vers les camps d’extermination nazis qui, du fait de leur nationalité, n’ont pu avoir accès au régime des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, ou, dans certaines conditions, leurs ayants-droit pour les victimes décédées après-guerre. Le fonds sera ouvert à toutes les nationalités non couvertes par ce régime, quel que soit leur lieu de résidence.
L’accord est ouvert à toutes les victimes de la déportation depuis la France qui n’ont pas été indemnisées par la France ou par d’autres pays ou institutions. Il concerne ainsi toutes les nationalités à l’exclusion des ressortissants français ainsi que ceux des quelques pays couverts par des accords bilatéraux conclus par la France dans ce domaine (Pologne, Belgique, Royaume-Uni et ex-Tchécoslovaquie).
Les victimes de la Shoah de nationalité française étant déjà éligibles au régime des pensions français ne seront donc pas concernées, de même que celles éligibles au même régime en application d’accords de réciprocité conclus par la France (avec la Belgique, la Pologne, le Royaume-Uni et l’ex-Tchécoslovaquie) ou d’une convention internationale sur les réfugiés permettant l’ouverture du droit à pension en France. Les bénéficiaires de réparations versées au titre de la déportation par un autre Etat ou une institution ne seront par ailleurs pas couverts par cet accord. Il est rappelé qu’un régime spécifique a été mis en place pour les orphelins de la Shoah, dont un ou les parents sont morts en déportation, sans condition de nationalité comme pour les autres victimes déportées depuis la France (notamment les résistants). Dans le cadre des discussions avec nos partenaires américains, afin de tenir compte de la demande visant à pouvoir indemniser des victimes de la déportation décédées récemment, le principe d’une indemnisation des héritiers des déportés décédés a été acceptée.
L’accord vise à apporter une solution à la situation des déportés de la Shoah depuis la France qui n’ont pu avoir accès au régime des pensions d’invalidité des victimes civiles de la guerre qui est régi par un critère de nationalité. Il n’y a pas de rupture d’égalité dans la mesure où les bénéficiaires de l’accord ne sont pas dans une situation comparable avec les nationaux français et que l’objectif est, au contraire, de répondre en équité à des cas d’exclusion de notre régime de pension d’invalidité des victimes civiles de guerre.
La rétroactivité a été un point dur de la négociation, car déterminant majeur du coût de l’accord comparativement à l’extension du champ compte tenu du faible nombre de bénéficiaires étrangers concernés et de l’impact à la fois symbolique et juridique qu’emporterait une telle extension, qui permettrait d’assurer la plus large « paix juridique ».
La Partie américaine avait évoqué la possibilité d’une ouverture du dispositif à l’entrée en vigueur du régime des pensions, soit 1948, les demandes ont ensuite visé une rétroactivité de 14 années prenant comme point de départ l’année 2000 et les premiers recours devant les juridictions américaines. Les discussions ont pris en compte la nécessité de pouvoir intégrer une part encadrée d’antériorité dans les indemnisations pour les survivants de la déportation qui n’avaient pu bénéficier du régime des pensions ouvert il y a 70 ans.
Le compromis qui a été trouvé a été considéré comme un bon point d’équilibre par les deux parties, étant précisé que nos partenaires américains souhaitaient la prise en compte de la date des premiers contentieux devant les juridictions américaines, soit l’année 2000, et que nous ne souhaitions pas remonter au-delà du début des discussions informelles, soit 2012.
Les réactions à la signature de l’accord ont été positives voire très positives. Les grandes organisations juives américaines ont salué l’accord. L’ADL (Anti Defamation League) a été la première organisation à réagir à l’annonce de la conclusion de l’accord par un communiqué de son président, Abraham Foxman. Ce dernier a salué l’accord comme une « importante reconnaissance par le gouvernement français de la souffrance de ceux qui avaient été exclus » des programmes français d’indemnisation des victimes de la Shoah. L’American Jewish Committee (AJC) et le Simon Wiesenthal Center (SWC) ont également publiquement salué l’accord.
Au Congrès, l’annonce de la signature de l’accord a été reçue très favorablement, y compris par les élus à l’origine par le passé de projets de loi visant la levée de l’immunité de juridiction dont bénéficient l’Etat français et ses démembrement (le sénateur Chuck Schumer et la représentante Carolyn Maloney en particulier). Le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants a envoyé à notre ambassadeur à Washington une lettre saluant la signature de l’accord.
Les avocats et plaignants ont pris acte de la conclusion de l’accord. Seule une avocate a exprimé des réserves estimant notamment que l’accord ne prévoyait pas des montants suffisamment substantiels pour l’indemnisation des bénéficiaires potentiels et au motif qu’il excluait les Français du bénéfice de l’indemnisation. Ils avaient indiqué, après la signature de l’accord, qu’ils poursuivraient leurs démarches devant les tribunaux américains. Un nouveau recours a ainsi été introduit contre la SNCF, pour son rôle dans la déportation, devant un tribunal fédéral à Chicago en avril dernier. Ce développement confirme la nécessité de voir l’accord entrer rapidement en vigueur.
La couverture médiatique américaine après la signature de l’accord a été globalement favorable. Si les médias ont mentionné, sur un ton factuel, les différents contentieux et litiges ayant visé la SNCF ces dernières années, la plupart d’entre eux ont insisté sur l’acceptation par la France de compléter son dispositif d’indemnisation. Les médias ont également mentionné les différents mécanismes d’indemnisation mis en place par la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Selon le ministère des affaires étrangères, la communauté juive française (instances religieuses, CRIF, Mémorial de la Shoah) a soutenu les négociations et la conclusion de l’accord et Serge Klarsfeld a fait partie de la délégation française pour la signature de l’accord à Washington.
Le Département d’État américain a suivi et accompli toutes les procédures internes requises avant la signature du texte par les deux parties. Aucune autre procédure interne n’est requise aux États-Unis pour l’entrée en vigueur de l’accord. L’accord franco-américain constitue un accord de type sole executive agreement, qui relève du pouvoir exécutif et ne nécessite pas d’autorisation du Congrès américain pour entrer en vigueur après sa signature. Le signataire américain était habilité à engager les États-Unis par sa seule signature. Le texte doit uniquement être notifié au Congrès dans les 60 jours après son entrée en vigueur. Le Congrès n’est pas tenu de répondre à cette notification.
Il revient donc désormais à la France d’achever sa procédure interne en vue de l’approbation de l’accord. Lors de sa signature, les deux parties ont souligné la valeur symbolique d’une conclusion en cette année de célébration du soixante-dixième anniversaire des débarquements alliés en Normandie et en Provence. L’entrée en vigueur très attendue de l’Accord pourrait par ailleurs intervenir alors que sera célébré tout au long de l’année 2015, le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis et la fin de la seconde guerre mondiale. Votre rapporteur vous invite à l’approuver en adoptant le présent projet de loi.
La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mercredi 17 juin 2015, à 9h30.
Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.
M. Jean-Pierre Dufau. Ce rapport revient en Commission des affaires étrangères après un débat important. Je vous remercie pour votre implication dans la recherche de réponses aux attentes qui ont été exprimées. Vous avez fait un travail exemplaire et nous avons désormais un texte sur lequel nous accorder. Il y avait des réserves sur quelques formulations malheureuses, elles sont levées, c’est un exemple de ce que le travail parlementaire peut accomplir. Il n’y a désormais plus de doute et j’espère que nous serons aussi d’accord dans l’hémicycle pour rendre justice aux victimes de la déportation.
M. Pierre Lellouche. Je voudrais tout d'abord remercier mes collègues de l’opposition comme de la majorité qui m’ont soutenu lorsque j’ai soulevé les points qui étaient préoccupants. Cela a permis que le ministère reconsidère la négociation et obtienne une nouvelle rédaction. Au-delà de nos différences, nous nous rejoignons sur l’essentiel : notre République n’a rien de commun avec la bande de criminels qui constituait le soi-disant gouvernement de Vichy que le gouvernement américain avait d’ailleurs reconnu. Il était fondamental de ne pas mettre les deux sur le même plan. La première réaction du Quai d’Orsay n’a pas été des plus sympathique, comme en témoignent les échanges de lettres que j’ai eus ces derniers jours avec le ministère, qui a mis du temps à comprendre où était le problème.
L’article 79 de la Convention de Vienne permet la rectification des erreurs matérielles, pour proposer la modification qui est apportée, qui ne change rien à l’économie générale du texte. La version définitive qui sera publiée au Journal officiel ne sera pas celle discutée en séance publique. C’est une solution satisfaisante.
Différentes questions demeurent, qui pourront justifier certaines abstentions parmi nous, car des points de principe sont en cause, en dehors du principe de l’indemnisation que nous ne remettons pas en cause.
En premier lieu, il aurait sans doute été plus simple d’ouvrir le décret de 2000 aux ayants-droits des déportés vivant à l’étranger. On n’a pas choisi cette solution, de sorte que nous avons aujourd'hui un accord entre la France et les Etats-Unis qu’on peut mettre en parallèle avec l’accord entre les Etats-Unis et l’Allemagne pour la réparation des dommages du travail obligatoire. Quels que soient les arguments du rapporteur, un parallélisme de forme troublant est ainsi fait entre notre pays - qui a été occupé, s’est battu, qui avait un gouvernement à Londres, la Résistance - et l’Allemagne nazie. C’est problématique.
S’agissant des arguments de droit, quiconque connaît un peu le système américain sait parfaitement que la séparation des pouvoirs n’empêchera aucunement le harcèlement judiciaire de continuer. Ce n’est pas non plus ce texte qui arrêtera le législateur américain. Ce qui est en cause ici, c’est le respect du principe d’immunité de juridiction. L’argument du veto présidentiel est également douteux et cela n’est pas satisfaisant ; on peut en tout cas douter de cet engagement.
Surtout, est mis ici en évidence le fait que nous sommes de plus en plus - comme c’est par ailleurs le cas avec la convention fiscale franco-américaine, où il n’y a pas de réciprocité et transmission automatique de données de notre part, comme c’est le cas avec les pénalités contre la BNP, sanctionnée pour violation d’un embargo que la France ne reconnaissait pas parce que ses transactions étaient libellées en dollars - face à la question de l’imperium juridique américain. S’il y a un aspect moral et de justice dans cette question, il y a aussi en toile de fond le harcèlement sur la SNCF, sur la Caisse des dépôts, sur lequel on ne fait rien, sauf proposer un texte comme celui-ci qui ne résoudra strictement rien. Nous négocions le TAFCA, et des normes unilatérales nous sont imposées sans que l’on dise quoi que ce soit. Nous nous devons de réagir.
Ce sont là trois questions qui posent problème et qui restent sur la table. Je tiens à le dire de façon solennelle ici, même s’il y a eu une certaine évolution. Je ne comprends pas comment le ministère a pu laisser passer un tel texte, aussi scandaleux, et c’est l’honneur du parlement d’avoir soulevé cette question. Je remercie encore mes collègues de leur soutien dans cette affaire.
M. François Asensi. Nous allons voter avec une promesse de modification. La rédaction initiale était inacceptable : on ne peut pas parler de pérennité de la république, mettre la responsabilité du gouvernement de Vichy, fasciste, complice des nazis, qui a contribué à la déportation, sur le même plan. Je remercie le ministère des affaires étrangères qui a obtenu cette modification. Et je voudrais croire aussi que derrière tout cela il n’y a pas d’arrière-pensées mercantiles, même si Pierre Lellouche nous a rappelé les manœuvres contre la SNCF sur les marchés publics américains. Je préfère rester sur les aspects moraux et éthiques de ce texte vis-à-vis des victimes, et que ce soit un accord pour solde de tout compte.
M. Axel Poniatowski. Le propos de François Asensi me fait sourire, parce qu’il n’y a que des aspects mercantiles dans cette affaire. Je partage entièrement les propos de Pierre Lellouche, sur la forme et sur le fond, ainsi que les corrections qui ont été apportées. C’était essentiel. Il n’en reste pas moins que cet accord est honteux, peu glorieux pour notre pays et qu’il ait été ou non indispensable est une autre question. D’autant que les Etats-Unis nous mettent à genoux, la tête baissée qui plus est ! Je sais que l’amitié entre la France et les Etats-Unis est importante, mais là, ils vont très loin.
Le vrai sujet est celui des intérêts des grandes compagnies françaises aux Etats-Unis. La SNCF réalise d’excellentes opérations là-bas, qui lui donnent un chiffre d’affaires de quelque 4 ou 5 milliards d’euros, elle intervient notamment sur la gestion des réseaux urbains, comme à Washington, Boston ou au Massachussetts, et son activité est en expansion, ce qui est très important. D’autres sociétés interviennent aussi. Jusqu’à aujourd'hui, ces sociétés étaient protégées par l’immunité souveraine sur laquelle il y a désormais une menace de la voir levée : un projet de loi sera bientôt discuté au Congrès et les conséquences risquent d’en être catastrophiques pour nos sociétés qui travaillent aux Etats-Unis et pour nos exportations. On notera d’ailleurs que les négociations sur ce texte ont été plus rapides que jamais, il se sera écoulé six mois entre leur début, en décembre et l’entrée en vigueur de l’accord !
Nous avons été écartés des négociations qui se sont tenues, nous le regrettons et notre position est qu’il aurait été possible de faire mieux. Nous prenons acte de la position très inamicale des Etats-Unis et nous nous abstiendrons.
M. Jean-Paul Bacquet. Trois remarques. En premier lieu, on disait l’accord scellé, qu’on ne pouvait rien y changer ; il a changé, c’est heureux. En second lieu, des juifs américains ont été déportés mais s’il y a eu collaboration servile de la part du gouvernement de Vichy, c’est l’Allemagne qui a inventé la déportation ; c’est une différence qui n’est pas négligeable. Est-ce que ce sera un point final ou non ? Evidemment non, il y aura des suites. Enfin, lorsque nous avons voté l’indemnisation des enfants de Français juifs, nous avons ensuite dû voter une deuxième loi, pour l’indemnisation des enfants de Français non juifs, également morts en déportation, que nous n’avions pas prévue. Depuis, comme chacun sait, l’ANPOG se bat pour les enfants non juifs dont le père est mort sans avoir été déporté. En effet, les enfants de ceux qui par exemple sont morts fusillés en Auvergne ou ailleurs sans avoir été déportés, n’ont jamais été indemnisés. Il reste des questions à poser. On aurait pu régler ce problème aussi.
M. Jacques Myard. La plus grande émotion que j’ai ressentie dans ma vie était la visite d’Auschwitz. Cela restera prégnant toute ma vie. Il n’en demeure pas moins qu’il y a derrière l’attitude des Etats-Unis une attitude inadmissible qui relève du chantage et qui rejoint les pénalités infligées à BNP-Paribas ou l’affaire Alstom. Dans cette Commission, j’avais interpellé le ministre des Affaires étrangères sur l’extraterritorialité des lois américaines. Le système va au-delà des principes de concurrence loyale et non faussée. Il y a un problème fondamental et il est urgent que notre commission s’en saisisse. Il faut regarder les tenants et aboutissants de cette politique extraterritoriale, mais aussi comment la contrer. Les Américains respectent ceux qui leur disent « non » et il faut leur dire « non ». La réciprocité est la voie de la sagesse.
M. Armand Yung, rapporteur. Je voudrais rappeler que le texte n’a pas pour sujet l’« imperium américain » pour reprendre l’expression utilisée par Pierre Lellouche. Il a un objet plus limité, plus humain, et fondamental de mon point de vue : la réparation d’un certain nombre de préjudices subis par des personnes déportées depuis la France. Nous devons en rester à cette interprétation, cet objet fondamental. L’objet de cet accord n’est pas de rééquilibrer les relations entre la France et les Etats-Unis, il y a d’autres contextes et d’autres textes pour cela.
Deuxièmement, concernant le parallélisme entre la France et l’Allemagne, question à laquelle j’ai apporté des éléments de réponse dans mon propos introductif, j’ai bien entendu vos observations. Pour ma part, je me réjouis que sur un thème aussi important nous ayons une convention particulière qui mette en exergue toute l’importance et toute la gravité de cette situation et que nous n’ayons pas seulement une excroissance de l’accord de 2001. On peut mettre l’accent sur ce point. L’accord a été négocié de manière précise et organisée avec les Etats-Unis et ce n’est pas toujours simple. On ne peut pas mettre sur le même plan le TTIP et ce texte. Il s’agit ici de réparation. Gardons à l’esprit cet objet qui fait l’honneur de cet accord.
Sur les effets d’aubaine, évoqués par l’un de nos collègues, je rappelle que la somme consacrée à l’indemnisation est forfaitaire. Un rapport annuel permettra de suivre l’évolution et le fléchage des 60 millions de dollars.
Voilà quelques éléments de réponse. Mais surtout ne déplaçons pas la question centrale de cet accord vers quelque chose de plus large sur lequel nous pouvons d’ailleurs nous rejoindre et qui concerne nos relations avec les Etats-Unis. Il y a un objet précis qui est urgent et important, humainement et politiquement, par rapport à nos propres intérêts français.
Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Je remercie notre rapporteur et ferai quelques remarques complémentaires. Il faudra que notre commission puisse travailler sur ces accords extraterritoriaux. Ce problème a été soulevé plusieurs fois et je suis favorable à un tel travail. Mais n’oublions pas que cet accord a un objet précis et humain comme l’a souligné le rapporteur, qui règle un problème bien spécifique.
L’objet de cet accord n’est pas de protéger des intérêts français mais d’indemniser des victimes individuelles. Pour autant, va-t-on s’indigner ici que cet accord permette de protéger des intérêts français ? On s’interroge dans notre commission sur notre capacité à développer notre diplomatie économique. N’employons pas de mots excessifs, il n’y a ni honte ni chantage par rapport aux intérêts économiques. Il y a le souci d’indemniser des personnes et c’est fait au moyen d’un accord pour solde de tous comptes. Cela n’empêchera pas les dépôts de plaintes, mais le gouvernement des Etats-Unis a toujours jusqu’ici respecté ce type d’accords et les plaintes seront jugées non recevables par le Gouvernement, l’Etat fédéral et les Etats fédérés.
Enfin, aurait-on pu et dû procéder par extension soit du régime de 2000 soit d’autres accords bilatéraux d’indemnisation ? Non. On n’aurait pas couvert l’ensemble des victimes et on n’aurait pas atteint l’objectif de paix juridique que permet un accord pour solde de tous comptes.
L’essentiel de ce qui faisait obstacle a été obtenu, c’est-à-dire la correction sur la mention du Gouvernement de Vichy, permettant de respecter la tradition jusqu’alors toujours respectée par toutes les autorités françaises de l’absence de continuité entre le Gouvernement de Vichy et la République française. Le vrai sujet soulevé est résolu, la modification a été proposée au Gouvernement américain.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2705).
Néant
TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (ensemble une annexe), signé à Washington le 8 décembre 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
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NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 2705).
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