N° 3224
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 novembre 2015.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE (n° 3067)
tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes
en Nouvelle-Calédonie,
Par M. Philippe GOMES,
Député
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. ACHEVER ENFIN LE LONG PARCOURS LÉGISLATIF VISANT À LA CRÉATION D’UNE AUTORITÉ LOCALE DE LA CONCURRENCE 6
A. LA MODERNISATION DU DROIT CALÉDONIEN DE LA CONCURRENCE 6
B. LE CHOIX D’UNE AUTORITÉ LOCALE DE LA CONCURRENCE EN NOUVELLE-CALÉDONIE 8
1. L’autorisation du législateur organique de créer une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie 8
2. La création d’une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par le congrès de la Nouvelle-Calédonie 9
3. L’adoption par l’État de nouvelles mesures d’application 10
4. L’impossible nomination des membres non permanents de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie 11
II. GARANTIR UN STATUT RÉELLEMENT OPÉRATIONNEL DES MEMBRES D’UNE AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE 13
Mesdames, Messieurs,
Votre Commission est aujourd’hui saisie, en première lecture, de la proposition de loi (n° 3067) tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie, déposée le 17 septembre 2015 par votre rapporteur sur le Bureau de l’Assemblée nationale.
L’introduction en 2013 (1), à l’article 27-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, de la faculté pour cette dernière de créer des autorités administratives indépendantes avait pour origine la volonté calédonienne de mettre en place une autorité locale de la concurrence. Un objectif identique anime cette proposition de loi organique.
Le secteur économique de la Nouvelle-Calédonie reste, en effet, marqué par une concurrence amoindrie pour la fourniture des biens et des services. L’autorité de la concurrence relevait en 2012 que « dans le grand Nouméa, deux groupes, le groupe Bernard Hayot et le groupe Kénu-In disposent de plus de 80 % de parts de marché en surfaces de vente » (2).
L’instauration d’une véritable concurrence libre et non faussée est une revendication récurrente de la société civile – qui espère ainsi une baisse du niveau général des prix, particulièrement pour les biens de première nécessité – et suppose, à cette fin, la création d’une autorité administrative indépendante de la concurrence.
Or, si le constat sur la « vie chère » et la nécessité d’instaurer une nouvelle structure de contrôle en matière de concurrence fait l’objet d’un très large consensus, votre rapporteur regrette que, deux ans après l’adoption de la loi organique précitée du 15 novembre 2013 lui en reconnaissant la faculté, la Nouvelle-Calédonie n’ait pas été en mesure de créer une autorité administrative indépendante, en raison d’un régime des incompatibilités de ses membres non permanents trop strict pour être réellement applicable.
Bien que, depuis 2013, votre rapporteur ait régulièrement attiré l’attention du Gouvernement comme du Parlement sur l’impossibilité juridique pour la Nouvelle-Calédonie de créer une quelconque autorité administrative indépendante, faute de disposer d’un régime d’incompatibilités adapté aux contraintes de recrutement du territoire, il ne peut que regretter le retard pris dans la mise en œuvre de ce chantier, dont la population calédonienne attend pourtant beaucoup en termes d’amélioration de ses conditions de vie.
Il est donc essentiel – et tel est l’objet de la présente proposition de loi organique – d’achever le long parcours législatif visant enfin à la création d’une autorité locale de la concurrence (I), tout en veillant à garantir un statut pleinement opérationnel des membres de toute autorité administrative indépendante créée sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie (II).
C’est la raison pour laquelle le groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) a choisi d’inscrire la proposition de loi organique de votre rapporteur à l’ordre du jour de la journée du jeudi 26 novembre 2015, qui lui est réservée en application de l’article 48, alinéa 5, de la Constitution.
I. ACHEVER ENFIN LE LONG PARCOURS LÉGISLATIF VISANT À LA CRÉATION D’UNE AUTORITÉ LOCALE DE LA CONCURRENCE
Pour favoriser la concurrence, les institutions calédoniennes ont profondément rénové le cadre applicable en matière de droit économique, en s’appuyant sur les préconisations formulées par l’autorité de la concurrence dans deux rapports datés de septembre 2012.
La mise en place d’une autorité locale de la concurrence résulte de cet effort de modernisation qui a nécessité l’intervention coordonnée des législateurs local et national.
Dès le 31 août 2009, votre rapporteur, dans le cadre de la déclaration de politique générale qu’il avait prononcée devant le congrès de la Nouvelle-Calédonie en sa qualité de président du gouvernement, avait annoncé le dépôt d’un projet de loi du pays « anti trust » ainsi que la création d’une autorité locale de la concurrence. Ces initiatives ont été reprises dans les accords économiques et sociaux signés entre les syndicats de salariés et les formations politiques calédoniennes le 12 juin 2012.
En effet, la Nouvelle-Calédonie est compétente, depuis 1999, pour les matières suivantes, à savoir la « réglementation des professions (...) commerciales, (...) la consommation, la concurrence et la répression des fraudes, le droit de la concentration économique, (...) la réglementation des prix et organisation des marchés » (3). Sa compétence s’étend également, depuis le 1er juillet 2013, au droit commercial.
C’est dans ce cadre que le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté, sur proposition du groupe Calédonie Ensemble, auquel appartient votre rapporteur, la loi du pays n° 2013-8 du 24 octobre 2013 relative à la concurrence en Nouvelle- Calédonie.
Cette lacune importante ayant été pointée par l’autorité de la concurrence nationale, ce texte a d’abord institué, selon un mécanisme proche de celui applicable en métropole, un contrôle des concentrations. Ainsi, au terme de l’instruction d’une demande présentée sur une opération envisagée de concentration (4), le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie autorise, éventuellement sous conditions, ou refuse l’opération par un arrêté motivé et susceptible d’un recours devant le tribunal administratif. En cas d’absence de demande ou de violation de la décision arrêtée par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ce dernier peut adresser une injonction, éventuellement assortie d’une astreinte, ainsi que des sanctions pécuniaires.
La loi du pays du 24 octobre 2013 a également encadré les opérations de croissance interne des entreprises de commerce, en soumettant à une obligation de déclaration préalable les créations de nouvelles grandes surfaces commerciales et les extensions significatives de surfaces commerciales existantes. Pour ces opérations de croissance interne, la loi du pays du 24 octobre 2013 prévoit un régime de déclaration ou d’autorisation très similaire à celui prévu pour les opérations de concentration.
Enfin, à l’instar de l’article L. 752-27 du code de commerce, la loi du pays du 24 octobre 2013 a donné la possibilité au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie d’ouvrir des procédures négociées à l’encontre des entreprises ou groupes d’entreprises qui dominent à tel point leur marché que cela soulève des préoccupations sur la situation de la concurrence. Dans ce cadre, l’entreprise doit alors proposer, sur une base volontaire, des engagements qui, s’ils apparaissent pertinents, crédibles et vérifiables, sont rendus obligatoires par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ce qui a pour effet de clore la procédure. À défaut, le gouvernement peut, par arrêté motivé, enjoindre l’entreprise de modifier ou résilier les accords et actes qui conduisent à des prix ou à des marges problématiques, voire l’enjoindre de procéder à la cession d’actifs, « si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective » (mécanisme dit d’« injonction structurelle »). L’inexécution de ces injonctions peut aboutir à des sanctions pécuniaires, assorties éventuellement d’astreintes.
Saisi de la loi du pays par la présidente de l’assemblée de la province Sud, le Conseil constitutionnel a validé toutes ces règles, y compris celles plus rigoureuses qu’en métropole, « eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et au degré de concentration dans ce secteur d’activité » (5).
Par la suite, le congrès a codifié toutes les dispositions relatives à la concurrence dans un code de commerce de la Nouvelle-Calédonie (6).
Enfin, le 12 décembre 2014 (7), tirant les conséquences de l’adoption par le congrès d’une législation renforcée en matière de concurrence, la province Sud a considérablement simplifié sa réglementation relative à l’urbanisme commercial, en restreignant son objet à l’insertion des grandes et moyennes surfaces commerciales dans leur environnement (desserte, assainissement, impact paysager, etc.).
1. L’autorisation du législateur organique de créer une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie
Comme le Conseil d’État le rappelait dans un avis du 22 novembre 2009, sollicité par votre rapporteur, alors qu’il présidait le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, aucun obstacle constitutionnel ne s’oppose à la création d’autorités administratives indépendantes par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, dans les domaines relevant de sa compétence. Cependant, l’article 108 de la loi organique statutaire prévoyant que « l’exécutif de la Nouvelle-Calédonie est le gouvernement », aucune autorité administrative indépendante locale ne peut se voir dotée d’un pouvoir de réglementation, de sanction ou de transaction.
Or, lorsque les élus du congrès de la Nouvelle-Calédonie ont voté la loi du pays du 24 octobre 2013, ils entendaient clairement ne confier qu’à titre transitoire au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie la responsabilité d’appliquer le droit local de la concurrence, même dans l’hypothèse où le gouvernement serait assisté par une autorité locale consultative ou une autorité administrative ou publique indépendante nationale. Ils ont à ce sujet clairement exprimé le souhait de confier cette responsabilité, à terme, à une autorité administrative indépendante.
Cela appelait donc une modification de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 pour doter le congrès de la Nouvelle-Calédonie, comme cela avait déjà été fait pour la Polynésie française dès 2011 (8), de la faculté de créer un organe exerçant des compétences normalement dévolues au gouvernement local.
Répondant au souhait du comité des signataires (9), le Parlement ouvrait cette voie, par un vote unanime, avec l’article 1er de la loi organique n° 2013-1027 du 15 novembre 2013.
2. La création d’une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par le congrès de la Nouvelle-Calédonie
La loi du pays n° 2014-12 du 24 avril 2014 portant création de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et modifiant le livre IV de la partie législative du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie a marqué une nouvelle étape. Cette loi du pays, finalement adoptée à l’unanimité, crée une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie au statut d’autorité administrative indépendante.
Cette autorité « veille au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie et au fonctionnement concurrentiel des marchés en Nouvelle-Calédonie ». À compter de son installation, elle exercera les prérogatives actuellement détenues par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
En application de l’article 9 de la loi du pays précitée du 24 avril 2014, elle comprendra un président et trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans, parmi lesquels sera désigné un vice-président. S’il est prévu que « le président exerce ses fonctions à plein temps », les autres membres seront « non permanents ».
L’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie délibérera sous la forme de collège comprenant le président et deux autres membres. Cette règle doit permettre au collège de statuer, à la majorité des membres, tout en permettant à un membre, au besoin, de ne pas participer à la délibération.
En effet, chaque membre de l’autorité est tenu à une règle de déport lorsqu’ « il a un intérêt ou s’il représente ou a représenté une des parties intéressées ». Il doit également informer le président de l’autorité des intérêts détenus ou acquis et des fonctions exercées dans une activité économique, ainsi que de toute fonction rémunérée au cours des cinq années précédentes (10).
Les candidats pressentis à ces fonctions devront non seulement se soumettre à la procédure précédemment rappelée mais aussi disposer de compétences reconnues en matière de concurrence. Il est ainsi expressément prévu que « le président est nommé en raison de ses compétences dans les domaines juridique et économique, ainsi qu’en raison de son expérience significative en droit et en pratique en matière de concurrence. [...] Outre son président, le collège comprend trois membres non permanents désignés en raison de leur expérience significative en matière juridique ou économique ».
Sur le modèle de l’autorité nationale de la concurrence, l’autorité locale disposera d’un rapporteur général qui dirigera le service d’instruction. Cette distinction permet d’assurer la séparation, exigée par le juge constitutionnel, des autorités de poursuite et des formations de jugement.
Le rapporteur général est soumis aux mêmes obligations que les membres du collège en termes d’incompatibilités et de nomination (11). La fin de ses fonctions ne pourra, hors le cas de démission, être provoquée par le gouvernement que sur avis conforme, à la même majorité, du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
En contrepartie de cette indépendance, les conditions du contrôle de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par l’autorité politique sont prévues. Si « le président de l’autorité rend compte des activités de celle-ci devant le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à sa demande », un rapport public est également adressé, chaque année, avant le 30 juin, au gouvernement et au congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Par ordonnance n° 2014-471 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie de dispositions du livre IV du code de commerce, le Gouvernement a défini les pouvoirs d’enquête dévolus à l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que les voies de recours contre ses décisions.
Particulièrement vigilant sur ces questions, le Parlement a déjà modifié à deux reprises ces dispositions :
— en décembre 2014, lors de la ratification de l’ordonnance du 7 mai 2014 (12), il a, à l’initiative de l’Assemblée nationale, confié le contentieux judiciaire de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie à la cour d’appel de Paris, déjà compétente pour connaître du contentieux de l’autorité nationale de la concurrence, et non à celle de Nouméa ;
— en octobre 2015 (13), il a prévu, à l’initiative du Sénat et au regard du principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale, les mêmes peines d’emprisonnement pour les pratiques anticoncurrentielles interdites par le code de commerce applicable localement que celles en vigueur en métropole.
4. L’impossible nomination des membres non permanents de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie
Au cours de la discussion de l’article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013, le Parlement et, en particulier, votre rapporteur se sont attachés à fixer les conditions de l’indépendance et de l’impartialité des membres appelés à siéger au sein des autorités administratives indépendantes de la Nouvelle-Calédonie.
Ainsi, à l’initiative de sa rapporteure, Mme Catherine Tasca, le Sénat a inscrit le principe de l’irrévocabilité du mandat de tout membre de ces autorités, en n’autorisant leur révocation « qu’en cas d’empêchement ou de manquement à ses obligations, constaté par une décision unanime des autres membres de l’autorité » (14). Pour asseoir leur autorité, le Sénat a également prévu, toujours à l’initiative de sa rapporteure, que le gouvernement local ne peut procéder à la nomination d’un membre d’une autorité administrative indépendante que si, après une audition publique du candidat proposé, le congrès de la Nouvelle-Calédonie approuve, par un avis adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, cette candidature (15).
Parallèlement, l’Assemblée nationale, suivant la proposition de son rapporteur, M. René Dosière, a soumis les membres de cette autorité à un régime d’incompatibilité stricte : « La fonction de membre d’une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d’intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation » (16).
Or, c’est ce régime d’incompatibilité stricte qui empêche aujourd’hui le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de nommer les membres non permanents de l’autorité locale de la concurrence. En effet, l’installation de cette autorité – réclamée sur le territoire et votée unanimement par le Parlement – n’a pu se réaliser car l’article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999, dans sa rédaction issue de la loi organique du 15 novembre 2013, rend incompatible la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante calédonienne avec tout emploi public, qu’il soit exercé en métropole ou en Nouvelle-Calédonie et, dans ce dernier cas, qu’il soit placé sous l’autorité de l’État ou sous l’autorité de collectivités ou d’établissements publics locaux.
Cet état de fait va à l’encontre de la volonté qui était celle des partenaires calédoniens et rend impossible le recrutement des membres non permanents exerçant parallèlement un emploi public sur le territoire calédonien.
Votre rapporteur avait alors fait part de ses doutes sur le caractère opérant de ce régime d’incompatibilité. Ainsi, lors de la première séance du 2 octobre 2013, votre rapporteur avait défendu un amendement, dont l’objet était de limiter les emplois publics incompatibles avec la fonction de simple membre d’une autorité administrative indépendante aux seuls emplois « au service de la Nouvelle-Calédonie, d’une collectivité locale ou d’un établissement public local ». Il avait alors rappelé que « des magistrats ou des professeurs d’université, par exemple, peuvent avoir leur utilité en tant que membres d’une autorité administrative indépendante ; pour autant, ils ne sont pas prêts à abandonner entièrement leur emploi. En interdisant de manière aussi large à un membre d’une autorité administrative indépendante d’occuper un emploi public, nous nous priverions donc de compétences » (17).
Déjà en 2013, l’amendement défendu par votre rapporteur visait donc à renforcer encore, si besoin était, l’indépendance de l’autorité, tout en veillant à s’assurer dans le même temps que celle-ci puisse accueillir toutes les compétences requises pour être la plus efficace possible. Toutefois, suivant les avis défavorables du rapporteur, M. René Dosière, et du Gouvernement, cet amendement n’a pu être adopté, retardant d’autant la création d’une autorité administrative indépendante de la concurrence en Nouvelle-Calédonie.
En effet, interrogée le 17 juin 2014 par la sénatrice Catherine Tasca, la ministre des Outre-mer n’indiquait aucune date pour la désignation des membres de l’autorité. Quelques mois plus tard, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, autorité de nomination, a fait savoir ses difficultés à recruter des membres au regard des incompatibilités prévues par le législateur organique.
Cette situation a été très largement et très clairement exposée, en séance publique à l’Assemblée nationale le 15 juillet 2015, par votre rapporteur :
« Le problème est que, si cette incompatibilité ne soulève pas de difficultés s’agissant du président et du rapporteur de cette autorité administrative indépendante – car ils exercent ces fonctions à temps plein –, il n’en va pas de même pour les autres membres, qui ne peuvent pas vivre uniquement des vacations qui leur sont allouées au titre des délibérations » (18).
À la faveur de l’examen de la loi organique n° 2015-987 du 5 août 2015 relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, votre rapporteur a, une nouvelle fois, tenté de modifier la loi statutaire du 19 mars 1999. Au regard de l’objet de la réforme débattue, votre commission des Lois, et le Gouvernement, par la voix de la ministre des Outre-mer, étaient convenus de la difficulté soulevée, tout en appelant à examiner une telle disposition au sein d’un texte dédié.
Dans cette perspective, le Gouvernement s’était engagé à soutenir une initiative parlementaire en ce sens, ce qui a conduit votre rapporteur à déposer, le 17 septembre 2015, la proposition de loi organique que votre commission est aujourd’hui appelée à examiner. Au Sénat, une proposition de loi organique, au dispositif différent de l’initiative de votre rapporteur mais avec la même finalité, a également été déposée par Mme Catherine Tasca et inscrite à l’ordre du jour, ce qui témoigne de la volonté convergente des deux assemblées d’aboutir dans les meilleurs délais.
II. GARANTIR UN STATUT RÉELLEMENT OPÉRATIONNEL DES MEMBRES D’UNE AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
La présente proposition de loi organique vise à modifier l’article 27-1 de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 afin de limiter l’incompatibilité applicable aux membres d’une autorité administrative indépendante, créée par la Nouvelle-Calédonie, aux seuls emplois publics placés sous l’autorité des institutions – gouvernement, congrès et provinces – et des communes de la Nouvelle-Calédonie. Elle permet ainsi le recrutement de fonctionnaires ou contractuels employés sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie mais n’exerçant pas sous l’autorité des institutions et communes de cette dernière.
Si le congrès n’a pas été formellement et directement saisi pour avis de la présente proposition de loi organique, il l’a en revanche été, le 28 septembre 2015, par le président du Sénat, en application de l’article 77 de la Constitution, de la proposition de loi déposée par Mme Catherine Tasca. Les deux textes ayant la même finalité, cette consultation vaut naturellement pour l’un comme pour l’autre. La proposition de loi organique de votre rapporteur a d’ailleurs été évoquée au cours des délibérations.
À cette occasion, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a été amené à rendre un avis favorable, sous réserve d’une demande de complément et de modification, dont votre rapporteur entend faire état et, le cas échéant, tenir compte à la faveur de l’examen de la présente proposition de loi organique.
D’une part, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a appelé à reprendre une rédaction plus souple – que celle proposée par Mme Catherine Tasca au Sénat – de l’incompatibilité et ce, sur le modèle de celle proposée par votre rapporteur dans la présente proposition de loi organique.
Votre rapporteur se félicite que le congrès se soit rallié à la rédaction qu’il avait lui-même proposée dès juillet 2015, afin de « limiter l’interdiction aux emplois publics exercés en Nouvelle-Calédonie, sous l’autorité des instances calédoniennes », tout en envisageant que « des fonctionnaires d’État – magistrats financiers ou professeurs d’économie, par exemple – pourraient ainsi venir utilement en Nouvelle-Calédonie pour y effectuer des vacations et permettre ainsi à cette autorité de s’installer » (19).
D’autre part, le congrès de la Nouvelle-Calédonie s’est interrogé « sur la possibilité d’introduire un délai de carence d’au moins trois années s’agissant d’agents ayant exercé en Nouvelle-Calédonie pour le compte de l’État ou d’agents ayant exercé en Nouvelle-Calédonie et ayant atteint l’âge de la retraite », appelant à retenir un « délai significatif ».
Votre rapporteur propose de réécrire l’article unique de la présente proposition de loi organique afin de prendre en compte ces observations.
Serait ainsi distingué le régime d’incompatibilité professionnelle du président par rapport aux autres membres d’une autorité administrative indépendante, qui ne sont pas dans la même situation. Comme le prévoit la loi du pays du 24 avril 2014, le président a un régime spécifique : à temps plein, il peut prendre des décisions seul – notamment en matière d’irrecevabilité des demandes. En outre, il est l’autorité à laquelle les autres membres de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie sont chargés de faire état d’éléments de nature à entraîner un conflit d’intérêts.
Par conséquent, le président serait soumis à une incompatibilité professionnelle plus rigoureuse puisqu’il ne pourrait exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie. En revanche, les autres membres pourraient exercer parallèlement un emploi public mais uniquement au sein de l’État, notamment auprès des juridictions ou de l’université, comme l’appellent de ses vœux le congrès de la Nouvelle-Calédonie et votre rapporteur.
Cette solution est conforme aux règles constitutionnelles. D’une part, elle n’apporte pas une atteinte disproportionnée à la liberté des membres au regard de l’objectif de prévention des conflits d’intérêts, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé, en 2013 (20), conforme à la Constitution une incompatibilité professionnelle au périmètre plus large. D’autre part, cette différence de traitement entre le président et les autres membres ne contrevient pas au principe d’égalité puisqu’elle est justifiée par la différence de situation entre eux et qu’elle répond à un objectif d’intérêt général.
Pour prolonger l’observation du congrès de la Nouvelle-Calédonie, votre rapporteur propose également d’instaurer un délai de carence, empêchant que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé les mandats ou fonctions ou détenu les intérêts compris dans le champ des incompatibilités s’appliquant respectivement au président ou aux autres membres d’une autorité administrative indépendante.
Le tableau présenté ci-dessous détaille le régime des incompatibilités respectivement applicables au président et aux membres non permanents dans les trois années précédant leur mandat et pendant la durée de celui-ci.
INTERDICTION D’UN MANDAT OU D’UNE ACTIVITÉ
DANS LES TROIS ANNÉES PRÉCÉDANT LE MANDAT ET PENDANT LE MANDAT
Président |
Autre membre | |
Mandat électif |
Oui |
Oui |
Détention directe ou indirecte dans les entreprises du secteur régulé |
Oui |
Oui |
Emploi public exercé hors de la Nouvelle-Calédonie |
Oui |
Oui |
Emploi public exercé au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et des communes de la Nouvelle-Calédonie ainsi que dans leurs établissements publics |
Oui |
Oui |
Autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie (notamment au sein de la fonction publique d’État) |
Oui |
Non |
Par cette solution, votre rapporteur entend manifester son souhait d’aboutir, dans les meilleurs délais, à l’adoption de ce texte dans une approche consensuelle entre les deux assemblées parlementaires, comme il est d’usage, depuis de nombreuses années, pour les textes relatifs à la Nouvelle-Calédonie.
Lors de sa séance du mercredi 18 novembre 2015, la Commission procède à l’examen de la proposition de loi organique tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie (n° 3067).
M. Philippe Gomes, rapporteur. Cette proposition de loi organique, que j’ai déposée avec plusieurs collègues le 17 septembre dernier, est l’aboutissement d’un long parcours.
Comme l’ensemble des Outre-mer, la Nouvelle-Calédonie a des difficultés sérieuses avec ce que nous appelons communément « la vie chère ». Celle-ci est due à plusieurs raisons bien connues : l’insularité, l’éloignement, un marché très limité de 250 000 habitants, une énergie chère, des frais bancaires et postaux élevés et, au-delà, une concentration excessive, notamment dans le secteur de la distribution des biens et des services. Ce phénomène structurant de la vie économique de notre île a été relevé par l’Autorité de la concurrence – nationale – dans deux rapports remis en 2012 à la demande du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Afin de combattre ce facteur structurant, le législateur local a adopté en 2013 une « loi antitrust », qui instaure un contrôle très strict des opérations de concentration, tant des opérations de croissance externe par fusion et acquisition, dès lors que le chiffre d’affaires cumulé des entreprises concernées est supérieur à 600 millions de francs Pacifique, que des opérations de croissance interne, dès lors que les nouvelles surfaces commerciales excèdent 300 mètres carrés. Cette loi comporte en outre un dispositif d’injonction structurelle : lorsque des préoccupations de concurrence se font jour dans tel ou tel secteur, l’autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie pourra, après discussion avec l’entreprise concernée, enjoindre à celle-ci de céder des actifs. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions, plus strictes que celles qui sont en vigueur au niveau national, avaient leur pertinence eu égard aux spécificités calédoniennes.
Le législateur local a donc accompli son travail. Cependant, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ne lui permettait pas d’instituer l’autorité administrative indépendante à laquelle il souhaitait confier l’ensemble de ce dispositif. Il a donc sollicité du législateur national une modification de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 l’autorisant à créer, de manière générale, des autorités administratives indépendantes, étant entendu que l’objectif était, en l’espèce, de créer une autorité de la concurrence. Cette modification est intervenue en octobre 2013, le consensus politique entre Calédoniens à ce sujet ayant été formalisé lors d’une réunion du Comité des signataires de l’Accord de Nouméa à la fin de l’année 2012, sous la présidence du Premier ministre.
Toutefois, si cette modification de la loi organique permet la création d’une autorité administrative indépendante en droit, elle l’interdit en fait, car elle prévoit un régime d’incompatibilités trop strict. Une autorité virtuelle présenterait certes un intérêt intellectuel ou juridique, mais ne nous permettrait guère d’avancer dans la pratique en Nouvelle-Calédonie ! En séance publique, j’avais appelé l’attention de mes collègues sur le fait que le dispositif n’était pas opérationnel, mais l’amendement que j’avais déposé avait reçu un avis défavorable tant du rapporteur que du Gouvernement.
Je n’avais pas pu franchir le cap de cette « double peine », mais je suis revenu à la charge lorsque l’Assemblée nationale a examiné, en juillet 2015, une autre modification de la loi organique, portant sur la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, qui devra être organisée au plus tard en novembre 2018. Le rapporteur du texte, René Dosière, que je remercie, a alors reconnu que les dispositions en vigueur ne permettaient pas la création d’une autorité administrative indépendante et a soutenu mon amendement, tout en considérant qu’il n’avait pas sa place au sein d’un texte spécifiquement dédié à la question du corps électoral pour la sortie de l’Accord de Nouméa. Quant au Gouvernement, il a dit partager la préoccupation que j’exprimais et s’est engagé à soutenir une proposition de loi organique qui serait déposée en ce sens. Tel est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui.
L’autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie instaurée par la loi du pays du 24 avril 2014 est composée, je le rappelle, d’un président et de trois membres non permanents. Actuellement, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit que « la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout autre emploi public ». C’est ce régime qui nous interdit de nommer les membres non permanents. En effet, ceux-ci n’ont pas vocation à ne percevoir que leurs vacations : à la différence du président qui pourra vivre de ses seules indemnités, ils doivent pouvoir exercer, en parallèle, un emploi rémunéré à plein temps. Pour exercer ces fonctions de membre non permanent, on pense par exemple à des magistrats financiers ou administratifs ou à des professeurs d’université, qui apporteraient ainsi leur expertise à l’autorité de la concurrence.
Une proposition de loi organique ayant le même objet que celle-ci a été déposée au Sénat par Mme Catherine Tasca et plusieurs de ses collègues. Elle a déjà été examinée par la commission des Lois de cette assemblée et sera soumise à sa délibération aujourd’hui même. Ainsi, nous aurons deux textes identiques : l’un devrait être adopté ce soir par le Sénat, l’autre a vocation à l’être par l’Assemblée nationale le 26 novembre prochain dans le cadre de la journée réservée au groupe Union des démocrates et indépendants.
Le congrès de la Nouvelle-Calédonie n’a pas été saisi de la présente proposition de loi organique, mais il l’a été de celle du Sénat. Dans son avis, il a réitéré les arguments que j’ai développés devant notre assemblée en 2013 et cette année, à savoir que le régime d’incompatibilité actuel empêche de nommer les membres non permanents. En outre, il a souhaité que soit instauré un délai de carence d’au moins trois ans pour les personnes ayant exercé un des emplois publics visés par le nouveau régime d’incompatibilité, qu’elles aient atteint ou non l’âge de la retraite. Cette disposition est de nature à garantir encore davantage, si besoin était, l’impartialité et l’indépendance des membres de l’autorité de la concurrence.
J’ai déposé un amendement tendant à récrire la proposition de loi organique. Il s’inspire à la fois des observations que j’avais moi-même formulées, de celles du congrès de la Nouvelle-Calédonie – j’ai repris sa proposition concernant le délai de carence – et de celles de nos collègues sénateurs. En définitive, le dispositif qui vous est proposé est le suivant : conformément à la loi du pays de 2014, le président de l’autorité de la concurrence exercera sa fonction à plein temps, et celle-ci sera incompatible avec tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie ; les membres non permanents pourront exercer un autre emploi public, à condition que celui-ci ne relève pas des institutions, des provinces ou des communes de la Nouvelle-Calédonie, ni de leurs établissements publics ; ils ne devront pas non plus avoir occupé un tel emploi au cours des trois années précédentes.
M. Philippe Gosselin. Je soutiens cette proposition de loi organique. Le rapporteur en a rappelé le contexte : celui de la « vie chère ». Les Calédoniens se sont mis d’accord sur la nécessité de créer une autorité de la concurrence et ont adopté une loi du pays en ce sens, sur le fondement de la loi organique du 19 mars 1999 modifiée en 2013. Mais, en réalité, nous sommes dans une situation de blocage : en raison du régime des incompatibilités professionnelles inscrit dans la loi organique, cette autorité administrative indépendante, qui a toute son utilité, ne peut pas être créée dans les faits ni remplir sa mission, ce qui pose un véritable problème en Nouvelle-Calédonie.
Notre rapporteur avait effectivement déposé, en 2013, un premier amendement qui a fait l’objet d’un avis défavorable. Puis, en juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, il en a déposé un autre, que nous avons défendu. À cette occasion, il y a eu en effet un échange intéressant avec le rapporteur René Dosière. L’amendement aurait pu passer sans difficulté, mais le Gouvernement a demandé, avec beaucoup de sagesse, qu’il soit retiré, l’objet du texte étant l’établissement des listes électorales – nous l’avons d’ailleurs adopté à l’unanimité, sacralisant ainsi l’accord auquel était parvenu le Comité des signataires quelques semaines auparavant. Ennuyé, le Gouvernement a néanmoins tendu la main, d’où cette proposition de loi organique. J’avais moi-même déposé une proposition analogue, mais je l’ai retirée pour m’associer à celle de Philippe Gomes : il était inutile de courir plusieurs lièvres à la fois !
Selon moi, le présent texte répond parfaitement aux souhaits qui ont été exprimés, notamment dans l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie : il établit un régime d’incompatibilité clair et permettra à l’autorité de la concurrence de se mettre en place et de fonctionner assez rapidement. Quant à l’initiative de nos collègues sénateurs, elle confirme l’intérêt qu’il y a à modifier la loi organique.
Le groupe Les Républicains apportera son soutien plein et entier à ce texte de bon sens, qui permettra d’améliorer la situation en matière de concurrence en Nouvelle-Calédonie.
M. Paul Molac. Vous connaissez mon appétence pour les statuts spéciaux, en particulier pour celui de la Nouvelle-Calédonie, que nous aurions tout intérêt à généraliser ou, à tout le moins, à donner à un certain nombre de régions, qui seraient d’ailleurs prêtes à l’expérimenter – je pense évidemment à la mienne. Nous n’en sommes malheureusement pas là, mais on ne sait jamais : à un moment donné, la République a été décentralisée ; peut-être deviendra-t-elle un jour véritablement fédérale ? En tout cas, j’appelle cette évolution de mes vœux.
Quant à ce texte, il ne devrait pas poser de problème : à l’époque, nous avions refusé les cavaliers législatifs proposés par M. Gomes, mais nous sommes tous d’accord sur le fond. Sans doute était-il plus sage de revenir sur la question un peu plus tard, ce que nous faisons aujourd’hui avec cette proposition de loi organique. En effet, il faut être prudent en matière de cavaliers législatifs : le Conseil constitutionnel a ainsi censuré, cet été, toute une série de dispositions – dont certaines visaient à lutter contre les actes pédophiles – que nous avions introduites dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne ; nous devrons donc les reprendre.
J’exprime néanmoins une petite inquiétude : comment l’articulation se fera-t-elle avec la proposition de loi organique du Sénat ? Les deux textes ne sont pas tout à fait identiques et seront de toute façon considérés comme deux propositions différentes. Sans doute pourrez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le président ?
M. René Dosière. À propos de la Nouvelle-Calédonie, nous évoquons souvent des sujets institutionnels et politiques. Le dernier texte que nous avons examiné portait sur des sujets de cette nature. Or, aujourd’hui, nous discutons d’un texte dont l’importance économique ne doit échapper à personne : il s’agit de mettre en place, en Nouvelle-Calédonie, une autorité de la concurrence qui traitera de la concentration des activités économiques, du contrôle des prix, de la lutte contre les ententes et les abus de position dominante. Quiconque connaît un peu l’histoire de la Nouvelle-Calédonie sait que la présence des monopoles, des ententes et des concentrations y est beaucoup plus marquée qu’en métropole. C’est donc une excellente chose que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ait souhaité créer une autorité de la concurrence indépendante. Cela témoigne de sa volonté d’assainir la situation économique.
En 2013, lorsque nous avons donné à la Nouvelle-Calédonie la possibilité de créer cette autorité, nous avons été très soucieux de son indépendance, dans un domaine qui l’exige en effet. Mais peut-être le mieux a-t-il été l’ennemi du bien : à l’initiative des rapporteurs, Catherine Tasca au Sénat et moi-même à l’Assemblée nationale, nous avons durci les conditions d’indépendance au point de rendre impossible la mise en route de ladite autorité. C’est cette mise en route que va permettre le texte qui nous est présenté aujourd’hui par Philippe Gomes.
Nous avons assisté à une certaine émulation entre les parlementaires qui s’intéressent à la Nouvelle-Calédonie : Catherine Tasca a elle aussi déposé une proposition de loi organique au Sénat. Notre groupe a donc jugé qu’il n’était pas nécessaire d’en déposer une troisième ! Néanmoins, nous avons fait en sorte que les deux propositions de loi organique se rejoignent, afin de pouvoir mettre en route très rapidement cette autorité, après un vote conforme dans les deux assemblées. Philippe Gomes a accompli un travail de rédaction considérable pour aboutir à un texte commun, en liaison avec Catherine Tasca, avec moi-même et avec le Gouvernement, conformément à l’engagement pris par la ministre des Outre-mer. Il lui a fallu déployer beaucoup de diplomatie, ce qui ne correspond pas toujours à son tempérament ! (Sourires) Le texte qu’adoptera le Sénat cet après-midi sera donc identique à celui que nous voterons – je le souhaite – en commission ce matin et en séance publique la semaine prochaine. Ensuite, il faudra que l’un de ces deux textes revienne devant l’autre assemblée en vue d’une adoption conforme, après quoi il sera soumis au Conseil constitutionnel, qui est obligatoirement saisi de toutes les lois organiques.
D’autre part, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a été saisi de la proposition de loi organique déposée au Sénat. Toutes les conditions sont donc remplies pour que nous adoptions, je l’espère de manière unanime et sans modification – c’est fondamental en vue d’un vote conforme –, le texte que nous soumet Philippe Gomes.
M. Jacques Bompard. La Nouvelle-Calédonie est chère au cœur des Français : le corail, la coutume, les Kanaks et les Caldoches font partie de notre cosmogonie de manière indissociable. La culture calédonienne et celle des missionnaires, des soldats et des travailleurs de métropole mobilisés se sont souvent mêlées pour donner le meilleur de la France. L’autonomisation du « Caillou » ne manque pas de soulever des problèmes, notamment parce qu’il est nécessaire que la France conserve toute sa place en tant que puissance maritime, la Nouvelle-Calédonie constituant un atout fort à cet égard. Philippe Gomes a d’ailleurs fait remarquer que le maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la France relève de deux nécessités : nous protéger, d’une part, de certains d’entre nous et, d’autre part, des prédateurs extérieurs. La progression des indépendantistes lors des dernières élections suscite également des interrogations, notamment au regard de l’évolution de certaines îles voisines, entre destruction par la politique néocoloniale des puissances de la région et grand appauvrissement.
Je souhaite que quelques points soient précisés : comment assurer la parfaite indépendance des nouvelles autorités administratives sachant que le cadre français préserve la primauté de la France pour certaines décisions ? On sait que l’exploitation du nickel, par exemple, éveille de nombreux appétits. Enfin, on connaît l’importance des missions exercées par l’armée française en Nouvelle-Calédonie : transport, formation professionnelle, renforcement du lien entre la population et la Nation. Comment appréhender la relation de nos armées avec ces autorités ?
Quant au texte, il me paraît en effet tout à fait consensuel.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. À l’instar de Philippe Gosselin, je salue le travail de Philippe Gomes, dont j’ai cosigné la proposition de loi organique. En Nouvelle-Calédonie, il existe de nombreux obstacles à la libre concurrence, ce qui a un fort impact sur les prix des biens de consommation courante et, par conséquent, obère le pouvoir d’achat des Calédoniens. Une autorité administrative indépendante locale garantissant la libre concurrence est donc indispensable pour rétablir un équilibre économique dans ce territoire. Cette proposition de loi organique vise à limiter l’incompatibilité applicable aux membres d’une autorité administrative indépendante aux seuls emplois publics placés sous l’autorité des institutions, des provinces et des communes de Nouvelle-Calédonie. Elle permettra ainsi le recrutement du personnel nécessaire à l’autorité locale de la concurrence.
M. le rapporteur. Je remercie notre collègue Philippe Gosselin ainsi que l’ensemble des députés du groupe Les Républicains pour le soutien constant qu’ils m’ont témoigné tout au long de la procédure, afin que nous puissions apporter cette correction nécessaire pour rendre le dispositif opérationnel. Lorsque l’on vient des outre-mer, à plus forte raison encore de la Nouvelle-Calédonie dans la mesure où celle-ci a connu une évolution heurtée au cours des trois dernières décennies, cela fait chaud au cœur de bénéficier, sur ces dossiers très spécifiques, du concours de collègues de l’Hexagone qui portent un regard attentif sur l’évolution de la situation.
Monsieur Molac, je vous remercie vous aussi pour le soutien que vous apportez depuis l’origine à l’initiative que j’ai prise afin de desserrer l’étau de ces incompatibilités qui empêchent la mise en place d’une autorité de la concurrence en Nouvelle-Calédonie. Je précise que le texte qui a vocation à être adopté ce soir par le Sénat est identique, à la virgule près, à celui qui sera voté tout à l’heure par notre commission et le 26 novembre prochain par notre assemblée, ainsi que la teneur de nos débats le laisse augurer. Ensuite, il faudra déterminer si c’est le texte adopté aujourd’hui par le Sénat qui sera inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, ou bien celui qui sera adopté par l’Assemblée le 26 novembre à l’ordre du jour du Sénat. La réponse à cette question ne m’appartient pas. Inutile de vous dire que j’ai une petite préférence : c’est l’achèvement d’un très long parcours tant pour la « loi antitrust » que pour la création de cette autorité, et, dans la mesure où je suis ce dossier depuis sept ans, j’aimerais franchir la ligne d’arrivée ! J’ignore si ce sera possible, mais je vais engager des démarches en ce sens auprès du Gouvernement.
Monsieur Dosière, je vous remercie d’avoir avoué votre faute à propos de l’amendement qui nous a empêchés de créer cette autorité, d’autant que cela arrive assez rarement dans notre assemblée – n’étant député que depuis trois ans, je ne fais guère preuve, en portant un tel jugement, d’une humilité pourtant coutumière en Nouvelle-Calédonie. Depuis lors, vous avez mille fois réparé cette erreur en m’accompagnant et en me soutenant dans ma démarche.
D’autre part vous avez insisté sur un point très important : en Nouvelle-Calédonie, comme dans l’ensemble des îles ultramarines – je ne m’avance guère en le disant –, le niveau de concentration des activités économiques est proprement hallucinant. Dans le secteur de la grande distribution, 80 % des surfaces commerciales sont dans les mains de deux groupes. De même, 80 % des concessions automobiles sont contrôlées par deux entités. Dans ces situations de duopole, inutile de vous dire qu’il n’y a aucune concurrence et que cela contribue de manière très significative à la cherté de la vie. D’autant que les deux secteurs que je viens d’évoquer sont essentiels pour l’économie du pays : ils représentent un chiffre d’affaires de près d’un milliard d’euros.
Avec la mise en place de l’autorité de la concurrence et l’application des règles prévues en matière de concentration, à l’échéance d’une décennie – c’est le temps qui sera nécessaire pour mener à bien cette réforme structurante ; il faut notamment dépasser la prochaine échéance électorale pour qu’elle puisse porter ses fruits –, plus aucun groupe ne détiendra plus de 25 % de parts de marché en Nouvelle-Calédonie, quel que soit le secteur d’activité considéré.
M. René Dosière. Groupe ou famille ?
M. le rapporteur. Groupe, famille, conglomérat : à chacun son terme. En tout cas, des mécanismes concrets s’appliqueront en matière de concurrence dans notre pays.
L’intervention de M. Bompard avait un caractère plus politique. Je souhaite simplement corriger un point : loin de progresser, le vote indépendantiste est d’une stabilité sidérante depuis 1988. La répartition des voix est restée la même à l’occasion des différents scrutins organisés depuis cette date : 60 % en faveur des non-indépendantistes et 40 % en faveur des indépendantistes. Mais tel n’est pas le sujet du jour.
Je remercie l’ensemble des membres de la Commission pour le soutien qu’ils ont apporté à ce texte.
La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi organique.
La Commission adopte l’amendement CL1 du rapporteur, rédigeant l’article unique, à l’unanimité.
En conséquence, la proposition de loi organique est adoptée ainsi rédigée.
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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi organique tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie, dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi organique ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
Proposition de loi organique tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie |
Proposition de loi organique tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie | |
Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie |
Article unique |
Article unique |
Art. 27-1. – Lorsque la Nouvelle-Calédonie crée une autorité administrative indépendante aux fins d’exercer des missions de régulation dans un domaine relevant de ses compétences, la loi du pays peut, par dérogation aux articles 126 à 128, 130 et 131, lui attribuer le pouvoir de prendre les décisions, même réglementaires, celui de prononcer les sanctions administratives mentionnées à l’article 86, ainsi que les pouvoirs d’investigation et de règlement des différends, nécessaires à l’accomplissement de ses missions. |
L’article 27-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est ainsi modifié : amendement CL1 | |
1° Le deuxième alinéa est ainsi modifié : | ||
La composition et les modalités de désignation des membres de l’autorité administrative indépendante doivent être de nature à assurer son indépendance. La fonction de membre d’une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d’intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation. Il ne peut être mis fin au mandat d’un membre d’une autorité administrative indépendante qu’en cas d’empêchement ou de manquement à ses obligations, constaté par une décision unanime des autres membres de l’autorité. |
À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 27-1 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, après le mot : « public », sont insérés les mots : « placé sous l’autorité des institutions ou des communes de la Nouvelle-Calédonie ». |
a) À la deuxième phrase, les mots : « , tout autre emploi public » sont supprimés ; amendement CL1 |
b) (nouveau) La dernière phrase est supprimée ; | ||
2° (nouveau) Après le deuxième alinéa, sont insérés sept alinéas ainsi rédigés : | ||
« Sont également incompatibles : | ||
« 1° Avec la fonction de président d’une autorité administrative indépendante, l’exercice de tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie ; | ||
« 2° Avec la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante, l'exercice de tout autre emploi public de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et des communes de la Nouvelle-Calédonie ainsi que de leurs établissements publics. | ||
« Nul ne peut être désigné président ou membre d’une autorité administrative indépendante si, au cours des trois années précédant sa désignation, il a exercé un mandat électif ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec cette fonction en application du deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour la désignation : | ||
« a) Du président d’une autorité administrative indépendante si, au cours de la même période, il a exercé un emploi public considéré comme incompatible avec cette fonction en application du 1° du présent article ; | ||
« b) Des autres membres d’une autorité administrative indépendante si, au cours de la même période, ils ont exercé un emploi public considéré comme incompatible avec cette fonction en application du 2° du présent article. | ||
« Il ne peut être mis fin au mandat d’un membre d’une autorité administrative indépendante qu’en cas d’empêchement ou de manquement à ses obligations, constaté par une décision unanime des autres membres de l’autorité. » amendement CL1 | ||
Les missions de l’autorité administrative indépendante s’exercent sans préjudice des compétences dévolues à l’État par les 1° et 2° du I de l’article 21. |
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L’autorité administrative indépendante dispose des crédits nécessaires à l’accomplissement de ses missions. Les crédits ainsi attribués sont inscrits au budget de la Nouvelle-Calédonie. Les comptes de l’autorité administrative indépendante sont présentés au contrôle de la chambre territoriale des comptes. |