N° 3256 - Rapport de M. Pascal Popelin sur la proposition de loi , adoptée par le Sénat, visant à pénaliser l'acceptation par un parti politique d'un financement par une personne morale (n°3202)




N
° 3256

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 novembre 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 3202), ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale,

PAR M. Pascal POPELIN

Député

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Voir les numéros :

Sénat : 492 (2014 2015), 117, 118 et T.A. 34 (2015 2016).

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. DE NOMBREUSES MESURES EN FAVEUR DE LA TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE ONT ÉTÉ PRISES DEPUIS LE DÉBUT DE LA LÉGISLATURE 7

II. LA LOI DU 11 OCTOBRE 2013 A INVOLONTAIREMENT MIS FIN À LA PÉNALISATION DES PARTIS POLITIQUES AYANT REÇU DES DONS DE PERSONNES MORALES 9

III. LA PROPOSITION DE LOI PERMET DE RÉTABLIR LE PÉRIMÈTRE DE L’INFRACTION DE FINANCEMENT ILLICITE DES PARTIS POLITIQUES 10

DISCUSSION GÉNÉRALE 11

EXAMEN DES ARTICLES 15

Article 1er (art. 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique) : Sanctions pénales applicables en matière de financement des partis politiques 15

Article 2  : Application outre-mer 17

TABLEAU COMPARATIF 19

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 21

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 23

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale est saisie d’une proposition de loi « visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale » (n° 3202), adoptée à l’unanimité par le Sénat le 5 novembre 2015.

Déposée le 9 juin par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, cette proposition tend à rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales, sanctions qui ont été involontairement supprimées par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, en raison de l’absence de dispositifs de coordination, consécutivement à l’adoption d’amendements au texte initial.

Le 29 octobre, à l’initiative de son rapporteur, M. Michel Delebarre, la commission des Lois du Sénat a amélioré la rédaction de cette proposition de loi, s’inspirant du dispositif qu’avait retenu l’Assemblée nationale, en juillet 2015, à l’article 36 de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Cet article avait le même objet que la présente proposition de loi, mais a été censuré, pour un motif de procédure, par le Conseil constitutionnel le 13 août 2015.

L’Assemblée nationale est ainsi invitée à se prononcer sur un texte dont elle a déjà approuvé, pour l’essentiel, le dispositif.

En conséquence, rien ne s’oppose à l’adoption, sans modification, de la présente proposition de loi. Celle-ci permettra de rétablir au plus vite, dans toute son efficacité, le dispositif encadrant le financement des partis politiques.

Depuis 2012, l’objectif d’une République exemplaire n’a cessé d’animer les pouvoirs publics. À défaut de pouvoir garantir que chacun des responsables publics serait individuellement exemplaire – ambition qu’il serait irréaliste de prétendre satisfaire totalement –, le Gouvernement, le législateur et les assemblées, pour ce qui les concerne, ont veillé à ce que notre législation soit à même de permettre la détection et la sanction de tout écart aux exigences d’honnêteté et de probité.

De nombreuses mesures prises depuis le début de cette législature s’inscrivent dans cette perspective.

Dès l’automne 2012, à la demande du Président Claude Bartolone, le Bureau de l’Assemblée nationale a profondément rénové, lors de l’élaboration des lois de finances, la pratique de la « réserve parlementaire » : désormais, la répartition des crédits concernés entre les différents groupes est équitable et leur utilisation publique. Cette publicité a été consacrée, pour les deux assemblées, sous forme d’annexe au projet de loi de règlement, par la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (1).

Depuis novembre 2012, sur proposition du Président Bartolone et avec l’accord de tous les présidents de groupe, le Bureau de l’Assemblée a décidé de publier les déclarations annuelles de rattachement des députés aux partis politiques, qui servent au calcul de la répartition de la seconde fraction du financement public. Cette publicité est désormais obligatoire, en application de la loi – ordinaire – n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (2). En outre, il n’est plus possible à un parlementaire élu en métropole de se rattacher, pour l’attribution de cette seconde fraction, à un parti ayant présenté des candidats uniquement outre-mer, ce qui a mis fin aux possibles détournements du mécanisme de financement, qui consistaient à majorer artificiellement la seconde fraction perçue par des partis ultra-marins, avant de la reverser à d’autres partis non éligibles au financement public.

Les 27 février et 26 juin 2013, sur proposition de M. Christophe Sirugue, alors vice-président de l’Assemblée nationale et président de la délégation chargée des représentants d’intérêts, le Bureau a adopté une nouvelle réglementation destinée à mieux encadrer les relations entre les députés et les représentants d’intérêts. Un registre permet ainsi de faire connaître les différents intervenants qui sont amenés à entrer en contact avec les parlementaires dans l’exercice de leur mandat.

Depuis l’exercice budgétaire 2013, la certification des comptes de l’Assemblée nationale est effectuée par la Cour des comptes, dont le rapport est publié sur le site internet de l’Assemblée.

Les lois précitées du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ont permis de progresser vers l’objectif d’une plus grande exemplarité des responsables publics. Elles ont généralisé, pour les membres du Gouvernement, certaines catégories d’élus et d’autres acteurs publics, les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts et mis en place un ensemble de mécanismes de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

La résolution du 17 septembre 2014 a modifié l’article 20 du Règlement de l’Assemblée nationale, afin de prévoir que les groupes parlementaires sont « constitués sous forme d’association ». Cette réforme améliore la transparence des finances des groupes, en les soumettant à une série de nouvelles règles (3) :

– les dotations financières attribuées par l’Assemblée aux groupes sont exclusivement destinées aux dépenses nécessaires à leur activité, ainsi qu’à la rémunération de leurs collaborateurs ;

– les groupes doivent établir, chaque année, un bilan et un compte de résultat et sont tenus de nommer un commissaire aux comptes ;

– les comptes des groupes, ainsi que les rapports des commissaires aux comptes, sont publiés sur le site de l’Assemblée nationale.

La résolution modifiant le Règlement de l’Assemblée nationale du 28 novembre 2014 a consacré l’existence du déontologue et du code de déontologie des députés et renforcé les moyens permettant d’assurer le respect des différentes obligations leur incombant.

Le 18 février 2015, le Bureau de l’Assemblée nationale a décidé, à l’unanimité, de définir de nouvelles règles d’utilisation par les députés de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Est ainsi interdite l’imputation sur cette indemnité de toute dépense afférente à une nouvelle acquisition de biens immobiliers, qu’ils soient destinés à héberger une permanence parlementaire ou à tout autre usage. Les dépenses autorisées sont désormais limitativement énumérées. Chaque député devra, une fois par an, adresser au Bureau une déclaration attestant sur l’honneur qu’il a utilisé son IRFM dans le respect des règles en vigueur. Le Président de l’Assemblée nationale pourra, après avis du Bureau, saisir le déontologue de l’Assemblée d’une demande d’éclaircissements concernant la situation d’un député (4).

Enfin, des exigences déontologiques renforcées sont en passe d’être définies à l’égard :

– des fonctionnaires et des membres des juridictions administratives et financières, en application du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, adopté par l’Assemblée nationale le 7 octobre 2015 ;

– des magistrats judiciaires, en application du projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, adopté par le Sénat le 4 novembre 2015.

L’article 15 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée s’inscrit dans cet ensemble de mesures visant à un encadrement plus strict du financement de la vie politique. Introduit à l’Assemblée nationale, en première lecture, à l’initiative de M. François de Rugy, cet article a plafonné les dons de personnes physiques aux partis politiques, non plus à 7 500 euros par an et par parti, mais à 7 500 euros par an et par personne physique (article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique).

Afin de préciser les nouvelles règles applicables aux partis qui accepteraient des dons d’une personne physique au-delà du plafond, le Sénat a, en première lecture, modifié la rédaction de l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 précitée, relatif aux sanctions pénales encourues en cas de méconnaissance de cette loi. Cette modification a eu pour effet malencontreux de supprimer l’applicabilité des sanctions pénales à l’encontre d’un parti politique acceptant des dons de personnes morales. Les peines applicables aux personnes morales qui procéderaient à de tels dons demeurent, en revanche, en vigueur (5).

En juin 2015, confronté à une possible violation par un parti politique de la loi du 11 mars 1988, le juge pénal s’est ainsi retrouvé dans l’incapacité d’appliquer les sanctions réprimant le financement illégal par une personne morale.

L’absence de sanctions pénales applicables aux partis politiques illégalement financés par des personnes morales ayant été constatée, le législateur est immédiatement intervenu : dès le mois de juin 2015, à l’initiative de M. Dominique Raimbourg, l’Assemblée nationale a introduit un article 6 bis (devenu article 36) au sein de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, adoptée définitivement le 23 juillet. Cette disposition ne semblait pas sans lien avec l’objet du projet de loi, dès lors qu’elle visait à renforcer la sécurité juridique de procédures pénales. Telle n’a cependant pas été l’analyse du Conseil constitutionnel qui, saisi par des sénateurs (6), a jugé l’article en question sans « lien, même indirect, avec le projet de loi initial » (7).

La présente proposition de loi, déposée au Sénat dès le 9 juin 2015, par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, recherchait le même objectif. Tel qu’adopté par le Sénat le 5 novembre, ce texte rétablit les sanctions pénales (un an d’emprisonnement et 3 750 euros) à l’encontre de tout bénéficiaire de dons consentis :

– non seulement par une même personne physique à un seul parti politique en violation du premier alinéa de l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988 précitée (c’est-à-dire au-delà du plafond de 7 500 euros par an) ;

– mais aussi par une personne morale ou par un État étranger ou une personne morale de droit étranger en violation, respectivement, du troisième et du sixième alinéas du même article 11-4 (quel que soit le montant du don).

Votre rapporteur ne peut qu’appeler à une adoption rapide de ces dispositions, en vue de restaurer dans toute sa plénitude l’infraction de financement illicite des partis politiques. Cet objectif pose d’autant moins de difficultés que la rédaction issue des travaux du Sénat, s’inspire très largement de celle retenue dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne précitée, adoptée par l’Assemblée nationale en juillet dernier.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Au cours de sa séance du mercredi 25 novembre 2015, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale (n° 3202).

Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale s’engage.

M. Paul Molac. Cette proposition de loi va dans le bon sens. Ainsi que cela a été rappelé, l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988 ne pénalise plus, depuis sa réécriture, le financement illégal des partis par les personnes morales. Cela pose un problème très important, d’autant que nous avons été témoins de quelques cas impliquant le Front national, lequel a prêté de l’argent à ses candidats à un taux prohibitif ou leur a fourni certaines prestations payées chèrement, notamment deux sites internet dont on ne trouve pas trace – la presse s’en est fait l’écho. Ce texte arrive donc, selon moi, au bon moment. Nous avions déjà essayé de régler le problème, mais la disposition correspondante avait été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle constituait un cavalier législatif. Notre groupe votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi, tout en estimant qu’il faut aller plus loin. À cet égard, nous examinerons avec beaucoup d’attention les propositions de loi en préparation, tant celle de notre collègue Romain Colas que celles qui ont été déposées par le Président de notre Commission.

M. Georges Fenech. Ce dispositif recueillera un avis très consensuel de tous les membres de la commission des Lois. On peut néanmoins se poser une question : ce texte, tel qu’il est rédigé, tient-il bien compte de la notion d’élément intentionnel ? Nous sommes tous très attachés, notamment en droit pénal, à ce que l’infraction soit imputée lorsque l’élément intentionnel – la connaissance de cause, la mauvaise foi – est parfaitement établi. Ayant l’expérience des campagnes électorales, nous savons tous qu’un médecin ou un dentiste qui souhaite faire un don peut, involontairement, faire un chèque émanant de son cabinet médical. Il arrive donc que l’on reçoive des dons de la part de personnes morales et qu’on les inscrive dans les comptes de campagne sans qu’il y ait véritablement volonté d’enfreindre les règles de financement. Certes, le texte laisse entendre que l’infraction doit avoir un caractère intentionnel, qu’il appartient au juge d’apprécier, mais n’aurait-il pas été plus sécurisant de le préciser explicitement ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen est satisfait que nous examinions cette proposition de loi, dont notre collègue Jean-Pierre Sueur a pris l’initiative et qui a été votée à l’unanimité par le Sénat. Elle vient utilement corriger un vide juridique apparu à la suite d’une erreur de coordination dans la loi relative à la transparence de la vie publique, ainsi que l’a parfaitement expliqué le rapporteur. Nous sommes dans une situation aberrante : il n’est plus possible de sanctionner une pratique interdite, à savoir l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale. Il faut y remédier au plus vite. Je suis favorable à un vote conforme, les sénateurs ayant réalisé un travail de qualité sur ce texte. Compte tenu de l’absence d’amendement, cette idée semble très consensuelle. C’est en tout cas la ligne que suivra le groupe Socialiste, républicain et citoyen, y compris en séance publique.

M. René Dosière. Selon moi, cet épisode révèle, d’une part, les risques de la procédure accélérée et, d’autre part, l’intérêt du bicamérisme.

M. Jacques Bompard. Le mode de financement de la vie politique française me semble anormal, car il pervertit l’esprit de la Constitution de la Ve République : il fait le jeu des factions et, donc, des gros partis. Ainsi, il devient de plus en plus problématique de concevoir qu’il y ait un financement public de la vie politique française. On convient aisément qu’il fallait sortir des histoires financières des syndicats professionnels ou des années Mitterrand, mais les Français ont désormais l’impression que l’État organise un théâtre factice qui ne correspond plus à la réalité.

Je regrette donc que le texte n’aborde pas plusieurs questions majeures que les Français se posent. Premièrement, cela a-t-il un sens de continuer à financer des partis politiques qui se distinguent le plus souvent par la répétition du prêt-à-penser ? Ces partis apportent-ils quoi que ce soit à la vie de la cité ?

Deuxièmement, si la logique est d’encourager la diffusion d’idées par des mouvements politiques, n’est-il pas temps de procéder à un remboursement dégressif des frais de campagne afin de cesser de soutenir les énormes structures partisanes ?

Troisièmement, la loi du 11 mars 1988 dispose qu’« aucune association de financement ou aucun mandataire financier d’un parti politique ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger ». Cette disposition me paraît volontairement floue. Elle contribue à maintenir la tradition des intrusions étrangères dans la vie politique française et dans nos débats. Il faut remonter à la IIIe République pour trouver un tel niveau d’interventions étrangères !

D’autre part, à l’instar de notre collègue Georges Fenech, j’estime essentiel de préserver le caractère intentionnel de l’infraction.

Je soutiens les dispositions de ce texte, car il va dans le bon sens. Cependant, il laisse de côté cette interrogation : n’aurions-nous pas tous intérêt à réformer en profondeur l’articulation entre vie politique, financement des partis et représentation du pays réel, les Français se détournant toujours davantage des structures partisanes ?

M. Gilbert Collard. Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues : je suis plus que favorable à ce texte – je le dis avec une insistance soulignée. J’appelle cependant votre attention sur un point : si nous renonçons à la notion d’intention dans la définition des incriminations, c’est-à-dire au fait qu’il doit y avoir une volonté de commettre l’acte répréhensible, nous prenons le risque de robotiser la pénalité. Il s’agit, au demeurant, d’un choix de société. Je crains que le Conseil constitutionnel ne s’intéresse à cet aspect de la question – ce serait, du reste, normal. Mis à part cette difficulté, qui me paraît relever davantage de l’humanisme judiciaire que de la structure des infractions, le texte a toute mon approbation.

M. Lionel Tardy. Lorsque l’Agence France-Presse a fait état de cette bourde en juin dernier, nous avons tous été surpris, ou plutôt relativement surpris car, vu les conditions dans lesquelles certains textes importants sont examinés, ce genre de bévue n’est pas tellement étonnant. Malheureusement, ce ne sera peut-être pas la dernière. Nous nous trouvons donc dans une situation absurde : depuis plus de deux ans, le fait pour un parti de recevoir des dons d’une personne morale n’est plus pénalisé. Il est évident qu’il faut corriger cette erreur, et je souhaite, comme nous tous je crois, un vote conforme, afin que cette proposition de loi soit adoptée très rapidement. Elle aurait dû l’être il y a plusieurs mois déjà.

Cette adoption ne nous empêchera pas d’avoir, je l’espère, un véritable débat sur la transparence financière des partis politiques, les affaires récentes montrant que la législation doit encore évoluer. À ce titre, je regrette que les propositions de loi déposées récemment par le président de la commission Jean-Jacques Urvoas ne traitent que de l’élection présidentielle, car le chantier est bien plus vaste. J’ai moi-même déposé l’année dernière une proposition de loi relative à la transparence financière des partis et groupements politiques, et je souhaite qu’une large discussion ait lieu, de nombreuses questions restant en suspens. En tout cas, celle du financement par une personne morale doit être tranchée. C’est pourquoi cette proposition de loi doit être votée sans plus attendre.

M. le rapporteur. Je réponds à la question soulevée par plusieurs d’entre vous, en premier lieu par M. Fenech – je comprends l’acuité que peut présenter ce problème pour lui à titre personnel. Il peut arriver que l’on supprime une disposition juridique « à l’insu de son plein gré ». La preuve : c’est ce qui s’est passé pour les sanctions dont nous discutons. Quoi qu’il en soit, le texte vise à pénaliser non pas le fait de recevoir des dons de la part d’une personne morale, mais celui d’en accepter. Les partis ont donc la responsabilité de vérifier les dons qu’ils reçoivent.

D’autre part, lorsque le juge apprécie une infraction, il vérifie toujours son caractère intentionnel. C’est un principe général du droit pénal – j’ai scrupule à m’exprimer ainsi devant d’éminents spécialistes de cette branche du droit. Il n’est donc pas nécessaire de l’indiquer explicitement dans la loi. Le cas échéant, on précise plutôt le contraire, à savoir que l’infraction peut être constituée sans caractère intentionnel. Tel est le cas, par exemple, de l’homicide involontaire.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(art.
11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique)
Sanctions pénales applicables en matière de financement des partis politiques

Cet article tend à rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales.

Jusqu’en 2013, l’article 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique disposait : « Ceux qui auront versé ou accepté des dons en violation des dispositions de [l’article 11-4] seront punis d’une amende de 3 750 euros et d’un an d’emprisonnement ou de l’une de ces deux peines seulement ». L’article 11-4 fixe les règles applicables au financement des partis politiques : les dons des personnes physiques sont possibles mais plafonnés, tandis que les dons des personnes morales sont, depuis 1995 (8), totalement prohibés (9).

L’article 11-5 a été modifié par l’article 16 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, afin de tenir compte de la modification, par cette même loi, de l’article 11-4 : les dons de personnes physiques aux partis politiques sont désormais limités, non plus à 7 500 euros par an et par parti, mais à 7 500 euros par an et par personne physique (10).

L’ancienne rédaction de l’article 11-5 ne pouvait pas être conservée : un parti politique aurait, par exemple, pu être pénalement sanctionné pour avoir accepté, en toute bonne foi, un don d’une personne physique ayant déjà atteint le plafond de 7 500 euros après avoir versé des dons à d’autres partis, circonstance qu’il pouvait évidemment ignorer. Aussi, l’objectif du législateur de 2013 était de sanctionner pénalement les seuls partis ayant accepté des dons de plus de 7 500 euros d’une même personne physique.

Toutefois, la nouvelle rédaction de l’article 11-5 (11) introduite au Sénat a eu involontairement pour effet de supprimer l’applicabilité des sanctions pénales à l’encontre d’un parti politique acceptant des dons – quel qu’en soit le montant – de personnes morales.

Le du présent article tend à y remédier et à rétablir les sanctions pénales contre les partis politiques ayant accepté des dons de personnes morales. Afin d’éviter toute interprétation restrictive, sont également mentionnés explicitement les dons reçus d’États étrangers ou de personnes morales de droit étranger – desquels les partis ne peuvent recevoir, en application du même article 11-4, ni « contributions », ni « aides matérielles ».

Par ailleurs, le du présent article clarifie le premier alinéa de l’article 11-5, relatif aux sanctions contre les donateurs, afin de :

– garantir qu’un donateur (personne physique ou morale) est punissable pénalement pour tout don versé en violation de l’article 11-4 (a du ) ;

– supprimer la mention inutile selon laquelle les peines d’amende et d’emprisonnement encourues peuvent être prononcées indépendamment l’une de l’autre (b du ). Cette précision (« ou de l’une de ces deux peines seulement ») ne s’impose pas, dès lors que la juridiction pénale peut toujours « ne prononcer que l’une des peines encourues pour l’infraction dont elle est saisie », en application du second alinéa de l’article 132-17 du code pénal.

À l’exception de cette dernière suppression et de précisions apportées par le Sénat en séance publique, le dispositif du présent article, issu d’un amendement du rapporteur, M. Michel Delebarre (12), reprend celui de l’article 36 de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2015 mais censurée, sur ce point, par le Conseil constitutionnel pour un motif de procédure (13).

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La Commission adopte l’article 1ersans modification.

Article 2
Application outre-mer

Cet article précise que la loi qui résultera de la présente proposition sera applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.

La même précision était prévue à l’article 35 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée pour l’application, dans ces collectivités, des nouvelles dispositions de l’article 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 précitée.

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* *

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi à l’unanimité.

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* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale, dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi
adoptée par le Sénat

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Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale

Proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale

 

Article 1er

Article 1er

Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique

L’article 11-5 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifié :

(Sans modification)

 

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

 

Art. 11-5. – Ceux qui ont versé des dons à plusieurs partis politiques en violation de l’article 11-4 sont punis d’une amende de 3 750 euros et d’un an d’emprisonnement ou de l’une de ces deux peines seulement.

a) Après le mot : « à », sont insérés les mots : « un ou » ;

 
 

b) Après le mot : « emprisonnement », la fin de l’alinéa est supprimée ;

 
 

2° Le second alinéa est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :

 

Quand des dons sont consentis par une même personne physique à un seul parti politique en violation du même article 11-4, le bénéficiaire des dons est également soumis aux sanctions prévues au premier alinéa du présent article.

« Les mêmes peines sont applicables au bénéficiaire de dons consentis :

 

Art. 11-4. – Cf. annexe

« 1° Par une même personne physique à un seul parti politique en violation du premier alinéa du même article 11-4 ;

 
 

« 2° Par une personne morale en violation du troisième alinéa dudit article 11-4 ;

 
 

« 3° Par un État étranger ou une personne morale de droit étranger en violation du sixième alinéa du même article 11-4. »

 
 

Article 2

Article 2

 

La présente loi s’applique en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.

(Sans modification)

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Loi n° 88-227 du 11 mars 1988
relative à la transparence financière de la vie politique

Art. 11-4. – Les dons consentis et les cotisations versées en qualité d’adhérent d’un ou de plusieurs partis politiques par une personne physique dûment identifiée à une ou plusieurs associations agréées en qualité d’association de financement ou à un ou plusieurs mandataires financiers d’un ou de plusieurs partis politiques ne peuvent annuellement excéder 7 500 euros.

Par exception, les cotisations versées par les titulaires de mandats électifs nationaux ou locaux ne sont pas prises en compte dans le calcul du plafond mentionné au premier alinéa.

Les personnes morales à l’exception des partis ou groupements politiques ne peuvent contribuer au financement des partis ou groupements politiques, ni en consentant des dons, sous quelque forme que ce soit, à leurs associations de financement ou à leurs mandataires financiers, ni en leur fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués.

L’association de financement ou le mandataire financier délivre au donateur un reçu dont un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’établissement, d’utilisation et de transmission à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ce décret détermine également les modalités selon lesquelles les reçus délivrés pour les dons d’un montant égal ou inférieur à 3 000 euros consentis par les personnes physiques ne mentionnent pas la dénomination du parti ou groupement bénéficiaire. Dans des conditions fixées par décret, les partis politiques communiquent chaque année à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques la liste des personnes ayant consenti annuellement à verser un ou plusieurs dons ou cotisations.

Tout don de plus de 150 euros consenti à une association de financement ou à un mandataire financier d’un parti politique doit être versé, à titre définitif et sans contrepartie, soit par chèque, soit par virement, prélèvement automatique ou carte bancaire.

Aucune association de financement ou aucun mandataire financier d’un parti politique ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger.

Les actes et documents émanant de l’association de financement ou du mandataire financier, destinés aux tiers, et qui ont pour objet de provoquer le versement de dons doivent indiquer, selon le cas, la dénomination de l’association et la date de l’agrément ou le nom du mandataire et la date de la déclaration à la préfecture, ainsi que le parti ou groupement politique destinataire des sommes collectées.

Les montants prévus au présent article sont actualisés tous les ans par décret. Ils évoluent comme l’indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac.

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

L’objet du texte et les modalités de son élaboration, décrites dans le présent rapport, n’ont pas conduit votre rapporteur à estimer utile de procéder à des auditions.

© Assemblée nationale