N° 3446
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 3271)
visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre,
PAR M. Éric CIOTTI
Député
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LA RÉFORME DU RÉGIME PÉNAL APPLICABLE AUX FORCES DE L’ORDRE EN CAS DE RECOURS À LA FORCE ARMÉE 6
II. FACILITER LES CONTRÔLES D’IDENTITÉ ET LES FOUILLES DE VÉHICULES ET DE BAGAGES 7
A. L’EXTENSION DES POSSIBILITÉS DE CONTRÔLE D’IDENTITÉ 7
B. L’ASSOUPLISSEMENT DES RÈGLES RÉGISSANT LA VISITE DE VÉHICULES 8
C. L’ÉLARGISSEMENT DES POSSIBILITÉS DE FOUILLE DE BAGAGES 9
III. LA POSSIBILITÉ POUR LES FORCES DE L’ORDRE DE CONSERVER LEUR ARME EN DEHORS DU SERVICE 9
IV. UN RECENTRAGE SOUHAITABLE DES MISSIONS SUR LES OPÉRATIONS DE MAINTIEN DE L’ORDRE 10
Article 1er (art. 122-6-1 [nouveau] du code pénal) : Renforcement de la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée dans des situations dangereuses 21
Article 2 (art. 78-1 et 78-2 du code de procédure pénale) : Extension des possibilités de contrôle d’identité 28
Article 3 (art. 78-1-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Extension des possibilités de fouille de véhicules 32
Article 4 (art. 78-1-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Extension des possibilités de fouille de bagages 35
Après l’article 4 37
Article 5 (art. L. 315-1 et L. 315-2 du code de la sécurité intérieure, art. L. 2338-2 du code de la défense et art. 122-6-2 [nouveau] du code pénal) : Conservation de leurs armes de service par les forces de l’ordre en dehors de l’exercice de leur mission 38
Après l’article 5 42
TABLEAU COMPARATIF 45
Les attentats perpétrés sur le territoire national au début de l’année 2015 puis, de nouveau, le 13 novembre dernier, marquent un tournant dans la lutte engagée par la France contre le terrorisme. Face à la violence inouïe des atteintes portées à la sécurité de nos concitoyens, l’état d’urgence a été décrété le 14 novembre 2015 et la France est désormais en guerre contre les groupes terroristes, au premier rang desquels figure l’État islamique.
Si des mesures ont été prises par le Gouvernement en réaction aux attentats, elles ont principalement consisté à accroître les missions confiées aux forces de l’ordre sans leur donner davantage de moyens pour les mener à bien. Pourtant, celles-ci ont continué de les accomplir avec détermination et loyauté, parfois au péril de leur vie.
Dans ce contexte, les représentants des forces de l’ordre, auditionnés notamment dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen, le 2 avril 2015, de la proposition de loi n° 2568 relative à la légitime défense des policiers déposée par votre rapporteur, ont été unanimes pour souligner la nécessité de renforcer les moyens opérationnels dédiés à la sûreté de l’État. Ils jugent urgent d’adapter à la menace terroriste les règles encadrant l’intervention des forces de l’ordre.
L’opposition parlementaire a proposé de nombreuses mesures en ce sens au cours des dernières années. Si le Gouvernement s’est engagé à plusieurs reprises à conduire les réformes nécessaires, peu d’avancées sont à constater. Les principales dispositions du prochain projet de loi sur la réforme de la procédure pénale, annoncé par le Président de la République devant le Congrès réuni le 16 novembre 2015, et qui devrait être présenté en Conseil des ministres en février prochain, apparaissent d’ores et déjà insuffisantes.
La présente proposition de loi vise, au contraire, à répondre aux difficultés concrètes que rencontrent les forces de l’ordre pour prévenir ou réagir à une attaque terroriste par :
– l’instauration d’un régime de responsabilité pénale en cas de recours à la force armée, commun à l’ensemble des forces de l’ordre et adapté aux missions qui leur sont confiées (article 1er) ;
– l’assouplissement des règles en vigueur encadrant les fouilles de véhicules et des bagages appartenant à des particuliers, ainsi que celles relatives aux contrôles d’identité (articles 2 à 4) ;
– l’extension du droit de port d’armes des forces de l’ordre en dehors de leur service (article 5).
L’appréciation de la responsabilité pénale des forces de l’ordre qui font usage de leurs armes dans le cadre de leurs missions diffère selon leur statut. Les policiers sont ainsi soumis au régime de droit commun de la légitime défense tandis que les gendarmes disposent d’un régime ad hoc adapté à leurs missions. Si des évolutions jurisprudentielles ont permis de rapprocher le régime pénal appliqué aux différents représentants des forces de l’ordre, une insécurité juridique demeure, notamment dans le cas d’interventions communes.
Afin de lever cette difficulté, soulignée par l’ensemble des représentants des services de police, l’article 1er de la présente proposition de loi introduit un nouvel article 211-6-1 au code pénal de manière à instaurer un régime de responsabilité pénale commun à l’ensemble des forces de l’ordre encadrant plus précisément les conséquences du recours à la force armée.
Les dispositions de cet article résultent d’un travail parlementaire approfondi, reposant sur de nombreuses auditions. Depuis 2012, trois propositions de loi visant à améliorer le statut pénal des forces de l’ordre lorsque celles-ci sont contraintes de recourir à la force armée ont ainsi été débattues par le Parlement (1) sans qu’un consensus ne se dégage en faveur de leur adoption.
Le rapporteur se félicite que les dispositions défendues à ces différentes occasions aient été, au moins partiellement et bien qu’avec retard, reprises par le Gouvernement. Le Président de la République a en effet annoncé, le 7 janvier 2016, dans ses vœux aux forces de sécurité, que « les conditions d’emploi des armes, par les policiers et les gendarmes, seront précisées, pour leur permettre d’intervenir en cas de périple meurtrier, lorsqu’ils font face à des individus qui ont tué, et qui s’apprêtent à tuer encore » (2). Des dispositions en ce sens devraient ainsi être proposées dans le cadre du prochain projet de loi sur la réforme de la procédure pénale.
Toutefois, les circonstances expressément visées à l’occasion de ces vœux (soit le périple meurtrier de personnes armées), fortement inspirées par les attentats du 13 novembre 2015, ne couvrent pas l’ensemble des situations d’extrême dangerosité auxquelles sont confrontées les forces de l’ordre.
Par ailleurs, l’annonce faite par le Président de la république ne précise pas si la réforme concernera également la police municipale. L’autorisation pour certains agents municipaux de recourir à la force armée devrait pourtant entraîner une responsabilité équivalente à celle des agents de police nationale, les risques liés à ce recours étant identiques.
Au lieu du régime d’exception proposé par le Gouvernement, applicable à des circonstances limitées, il semble indispensable de mettre en œuvre la réforme générale proposée par l’article 1er qui énonce les circonstances dans lesquelles les forces de l’ordre, qui y sont autorisées, pourront faire usage de leurs armes sans être considérées comme pénalement responsables.
Preuve des limites de la législation en vigueur, le Président de la République a annoncé, le 7 janvier 2016, que le futur projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et réformant la procédure pénale prévoirait « la possibilité de contrôles d’identités, ainsi que la fouille des bagages et des véhicules ». Toutefois, ces nouvelles prérogatives ne joueraient qu’ « à proximité des sites les plus sensibles », qu’ « en cas de menaces terroristes et pour une courte durée ».
La présente proposition de loi tend à aller plus loin, en donnant aux forces de l’ordre des moyens d’agir adaptés aux nouvelles menaces.
Actuellement, aux termes de l’article 78-2 du code de procédure pénale, les contrôles d’identité peuvent être effectués :
– à l’initiative des policiers ou des gendarmes, s’agissant d’une personne « à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire ;
– sur réquisitions écrites du procureur de la République, en vue de la recherche et de la poursuite d’infractions bien précises, dans des lieux et pour une période de temps déterminés par le magistrat ;
– à l’initiative des forces de l’ordre, à l’égard de « toute personne, quel que soit son comportement », afin de prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.
L’article 2 de la présente proposition de loi tend à remplacer ces dispositions par une formulation, plus simple et plus claire, selon laquelle « les autorités de police et les gendarmes peuvent contrôler l’identité des personnes se trouvant sur le territoire national ».
Cet élargissement apparaît nécessaire dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme, mais aussi en raison de l’évolution des formes de délinquance et de criminalité.
Les forces de l’ordre peuvent aujourd’hui procéder à des fouilles de véhicules dans trois hypothèses, prévues aux articles 78-2-2 à 78-2-4 du code de procédure pénale :
– sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite de certaines infractions ;
– dans le cadre d’une enquête de flagrance impliquant le conducteur ou le passager du véhicule ;
– afin de « prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ». L’accord du conducteur ou, à défaut, du procureur de la République, est alors nécessaire.
Ces possibilités apparaissent excessivement restreintes, a fortiori si on les compare aux prérogatives des agents des douanes, qui disposent d’un « droit de visite général » leur permettant de « procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes » (article 60 du code des douanes)
S’inspirant de ces dispositions, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que, « pour l’application des dispositions du code pénal, les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie peuvent procéder à la visite des moyens de transport ».
L’exercice de ce pouvoir ne serait pas subordonné à l’existence préalable d’indices concrets d’infraction. Seraient visés tous les types de véhicules, ainsi que les parties condamnées qu’ils renferment, telles que le coffre ou le capot d’une voiture. La fouille du véhicule pourrait être pratiquée à tout moment et en tout lieu public – les lieux privés étant d’ores et déjà soumis au régime des perquisitions.
La conformité à la Constitution de ces dispositions a été, à au moins quatre reprises, établie par la Cour de cassation, qui a jugé dépourvues de « caractère sérieux » des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’article 60 du code des douanes (3).
Les policiers et les gendarmes ne peuvent aujourd’hui procéder à la fouille de bagages, sans l’accord de la personne concernée, qu’en cas de crime ou de délit flagrant ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction.
La proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, en cours de discussion au Parlement (4), n’apporterait qu’une amélioration marginale, en permettant des fouilles de bagages uniquement dans les gares, trains et métros.
Afin d’élargir les prérogatives des forces de l’ordre, l’article 4 de la proposition de loi prévoit que « pour l’application des dispositions du code pénal, les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie peuvent procéder à la visite des marchandises ».
Le terme de « marchandises » s’inspire, là encore, des pouvoirs des agents des douanes qui, sur le fondement de l’article 60 du code des douanes, peuvent procéder à des fouilles corporelles par palpation,à des fouilles de vêtements et à des fouilles de bagages.
À la suite des attentats du 13 novembre 2015, au cours desquels plusieurs policiers qui n’étaient pas en service ont été abattus, les représentants des forces de l’ordre ainsi que des membres de l’opposition ont soulevé la nécessité de permettre, sur la base du volontariat, la conservation de leur arme de service par les agents de police, les militaires et les gendarmes en dehors de l’exercice de leurs missions.
Le Gouvernement a accepté de mettre en œuvre cette mesure nécessaire, mais de manière limitative.
La note d’instruction adressée à cette fin le 18 novembre 2015 aux services de police par le directeur général de la police nationale, à la demande du ministre de l’Intérieur, prévoit ainsi que cette possibilité est réservée aux agents de la police nationale et pour la seule durée de l’état d’urgence.
S’agissant des gendarmes, une note du directeur général de la gendarmerie nationale du 24 novembre 2015 autorise les officiers et sous-officiers d’active à porter leur arme en dehors du service, dans des conditions singulièrement restrictives – telles qu’une autorisation individuelle préalable, délivrée par la direction générale de la gendarmerie nationale, « au regard d’une appréciation locale des menaces, du degré de probabilité d’une intervention hors service et/ou de l’exposition du militaire à un risque spécifique ».
Votre rapporteur considère que, les risques pesant sur la sécurité nationale n’ayant pas décru au cours des derniers mois, il est nécessaire d’assouplir et de pérenniser ces mesures au-delà de l’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015 (5) et de les étendre à l’ensemble des agents des administrations publiques autorisés à s’armer pendant l’exercice de leurs fonctions (soit, par exemple, les agents de police municipale et les gardes champêtres).
C’est le sens de l’article 5 de la présente proposition de loi.
Comme le souligne notre collègue, M. Pascal Popelin, rapporteur de l’avis budgétaire sur la mission Sécurités du projet de loi de finances pour 2016 (6), il est fortement souhaitable de rationaliser les missions actuellement confiées aux forces de l’ordre de manière à leur permettre de se concentrer sur celles présentant un caractère opérationnel de maintien de l’ordre.
Certaines de ces missions ou « tâches indues » (7) ont déjà été supprimées (à l’instar de la procédure de recherche dans l’intérêt des familles, tombée en déshérence) ou réduites (comme les gardes statiques des préfectures et les charges liées aux opérations funéraires) au cours des dernières années.
Par ailleurs, les transfèrements et les extractions judiciaires devraient être confiés à l’administration pénitentiaire d’ici 2019, tandis que les gardes de tribunaux et la police des audiences seraient assurés par des réservistes.
Toutefois, notre collègue indique que d’autres pistes doivent être explorées dont, notamment :
– la gestion des scellés ;
– la garde des détenus hospitalisés ;
– l’établissement des procurations de vote lors des scrutins nationaux ou locaux.
Il estime également que « l’évolution de la procédure pénale doit permettre aux forces de sécurité de limiter les tâches sans valeur ajoutée et de dégager du temps pour les missions d’investigation et de présence sur la voie publique. » (8)
Par ailleurs, le rapporteur spécial de la commission des finances, au titre de la même mission Sécurités, M. Yann Galut, rappelle dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2016 (9) que :
– pour la police, le volume des missions périphériques (10) représentait 7,1 millions d’heures en 2014, soit 8,2 % de l’activité opérationnelle ;
– pour la gendarmerie, ce volume atteignait 4,7 millions d’heures, soit 4,8 % de l’activité opérationnelle.
Au regard de ces éléments, votre rapporteur ne peut qu’insister sur l’urgence de prendre les mesures nécessaires pour réduire, voire supprimer, ces charges indues.
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* *
L’ensemble de ces dispositions a vocation à donner aux forces de l’ordre les capacités d’intervention dont elles ont besoin. Le groupe Les Républicains offre à l’Assemblée nationale une nouvelle occasion de se prononcer en la matière : il a demandé l’inscription de la présente proposition de loi à son ordre du jour en faisant usage des prérogatives que lui confère l’article 48, alinéa 5 de la Constitution.
Lors de sa réunion du mercredi 27 janvier 2016, la commission des Lois procède à l’examen, sur le rapport de M. Éric Ciotti, de la proposition de loi visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre (n° 3271).
M. le rapporteur. Notre pays est aujourd’hui confronté à un niveau d’insécurité particulièrement élevé. Je pense naturellement à la menace terroriste et aux attentats de janvier et novembre 2015. Je pense également aux « répliques » que ces attentats ont occasionnées, sous forme d’actes isolés, ainsi qu’aux attentats déjoués, grâce à l’action de nos forces de sécurité, auxquelles je veux rendre ici hommage et exprimer notre reconnaissance.
Mais, au-delà du terrorisme, c’est en vue de lutter contre la criminalité en général et la délinquance que connaît notre pays au quotidien qu’il convient de renforcer les moyens d’action des forces de l’ordre. Policiers et gendarmes forment en effet le premier rempart garantissant à chaque citoyen son droit à la sûreté, droit naturel et imprescriptible proclamé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Tel est l’objet de cette proposition de loi visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre, que notre groupe défendra dans l’hémicycle, le jeudi 4 février.
J’en viens à la présentation des trois séries de mesures que cette proposition de loi comporte.
En premier lieu, elle modifie la mise en jeu de la responsabilité pénale des forces de l’ordre, lorsque celles-ci font usage de leurs armes dans l’exercice de leurs missions.
Cette question a déjà fait l’objet d’une proposition de loi relative à la légitime défense des policiers, que nous avions déposée avec Philippe Goujon et Guillaume Larrivé, mais que la majorité a rejeté le 2 avril 2015. Les événements récents ont malheureusement montré que cette proposition de loi n’avait rien perdu de sa pertinence, comme en témoigne le récent arrêt de la cour d’assises de Seine-Saint-Denis, qui vient d’acquitter un policier, après la mort d’un braqueur armé à Noisy-le-Sec – décision dont le parquet général a cru devoir faire appel.
Je rappelle qu’en matière d’usage des armes, à la différence des gendarmes qui disposent d’un régime spécifique adapté à leurs missions, les policiers relèvent pour l’essentiel du droit commun de la légitime défense. Les conditions du recours à la force armée sont donc, pour eux, particulièrement contraignantes. Cette différence de traitement n’a plus de raison d’être. En conséquence, la proposition de loi définit un régime juridique commun à l’ensemble des forces de l’ordre, encadrant précisément les conditions du recours à la force armée.
Cette question sera certes abordée dans la future réforme pénale mais, d’après les indications données par le Président de la République, ne serait cependant concerné par ce texte que le cas d’un « périple meurtrier », celui d’un tueur de masse, lorsque les policiers « font face à des individus qui ont tué, et qui s’apprêtent à tuer encore ». De l’avis de la plupart des syndicats de police, de telles dispositions seraient très loin de couvrir l’ensemble des situations d’extrême dangerosité auxquelles sont confrontées les forces de l’ordre.
En deuxième lieu, cette proposition de loi assouplit les règles encadrant les contrôles d’identité, ainsi que les fouilles de véhicules et de bagages.
Là encore, le cadre juridique en vigueur n’est plus adapté à la menace qui pèse sur notre pays. En effet, dans le cadre d’une opération de police judiciaire, les contrôles d’identité ne sont possibles que sur réquisitions écrites du procureur de la République ou bien à condition qu’existent des « raisons plausibles de soupçonner » qu’une infraction a eu lieu ou est en cours de préparation ; dans le cadre de la police administrative, le contrôle d’identité nécessite que des circonstances particulières soient à l’origine d’un risque d’atteinte à l’ordre public. En matière de fouilles de véhicules, les forces de l’ordre ne peuvent agir – hors enquête de flagrance – qu’avec l’accord du procureur de la République, dans des conditions juridiquement très encadrées. Quant aux fouilles de bagages, elles ne sont même pas prévues par le code de procédure pénale.
Il vous est donc proposé de doter les policiers et les gendarmes des mêmes prérogatives que celles dont disposent les agents des douanes, qui bénéficient d’un « droit de visite général » leur permettant de « procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ». Ainsi, les policiers et les gendarmes pourraient, pour l’application des dispositions du code pénal, contrôler l’identité des personnes se trouvant sur le territoire national ; procéder à la visite des moyens de transport – ce qui inclurait tous les types de véhicule ainsi que, par exemple, les coffres de voiture ; procéder enfin à l’inspection visuelle des bagages et à leur fouille.
La conformité à la Constitution de ces dispositions a été, à au moins quatre reprises en 2011 et 2012, établie par la Cour de cassation, qui a jugé dépourvues de « caractère sérieux » des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’article 60 du code des douanes.
Troisième et dernier point, la proposition de loi autorise policiers et gendarmes à porter leur arme en dehors du service.
Au cours des attentats du 13 novembre 2015, plusieurs policiers qui n’étaient pas en service ont été abattus. Il nous faut aujourd’hui autoriser, sur la base du volontariat, la conservation de leur arme de service par les agents des forces de l’ordre, en dehors même de l’exercice de leurs missions.
Le Gouvernement n’a, pour l’instant, ouvert cette possibilité – même si je lui donne acte de cette autorisation – que de façon limitée et provisoire : pour les agents de la police nationale, elle ne vaut que pour la durée de l’état d’urgence ; quant aux militaires de la gendarmerie, ils n’en bénéficient qu’à des conditions particulièrement drastiques, au premier rang desquelles la délivrance d’une autorisation individuelle préalable, au regard de « l’appréciation locale des menaces, du degré de probabilité d’une intervention hors service et/ou de l’exposition du militaire à un risque spécifique ».
Les risques pesant sur la sécurité de nos concitoyens n’ayant pas décru au cours des derniers mois, bien au contraire, la proposition de loi tend à pérenniser ces mesures et à les étendre à l’ensemble des agents des administrations publiques autorisés à s’armer pendant l’exercice de leurs fonctions, par exemple les policiers municipaux.
Pour terminer, je souligne que ces différentes dispositions ne représentent évidemment qu’une partie des moyens juridiques supplémentaires dont les forces de l’ordre ont aujourd’hui absolument besoin. Je vous soumettrai d’ailleurs plusieurs amendements visant à les compléter, en vue de renforcer les pouvoirs de perquisition et de visite domiciliaire en matière de criminalité organisée – ce qui inclut le terrorisme ; de porter à huit jours, au lieu de six actuellement, la durée maximale de garde à vue en matière de terrorisme ; de faciliter la consultation et le croisement des données issues des différents fichiers auxquels peuvent avoir accès les forces de l’ordre ; de rétablir enfin la possibilité de fouilles systématiques des détenus et des visiteurs en prison, avant ou après les parloirs.
Je souhaite que cette proposition de loi fasse l’objet d’un consensus qui témoigne de la reconnaissance que nous portons à nos forces de l’ordre et que son adoption leur permette d’être dotées des moyens que nous leur devons pour mieux les protéger, car ce sont elles qui sont en première ligne dans ce combat contre l’insécurité et le terrorisme.
M. Patrick Mennucci. Je regrette que la proposition de loi que nous présente Éric Ciotti anticipe par bien des aspects la prochaine réforme pénale, dont le texte a été transmis pour avis au Conseil d’État.
En ce qui concerne, d’abord, l’extension du cadre légal de l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre, la proposition de loi vise à aligner le régime des policiers, soumis au droit commun de la légitime défense, sur celui des gendarmes. Si le principe n’a rien de choquant en soi, la pratique soulève de réelles difficultés juridiques et opérationnelles.
Vous reprenez à l’identique les termes de la proposition de loi rejetée par l’Assemblée nationale en 2015, à la suite de quoi le ministre de l’Intérieur avait mis en place un groupe de travail sur la question. Je regrette que vous n’ayez pas participé à ce groupe de travail, car il a débouché sur des propositions qui ont été insérées dans le projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé et son financement, qui me paraît, en l’occurrence, bien plus abouti que cette proposition de loi.
Vous prônez par ailleurs l’assouplissement des règles relatives aux fouilles des véhicules et des bagages, ainsi qu’aux contrôles d’identité. Les mesures que vous proposez pour cela sont lapidaires et imprécises et, à ce titre, vouées de façon certaine à être invalidées par le Conseil constitutionnel comme par la Cour européenne des droits de l’homme.
Le Gouvernement – et, avec lui, le groupe Socialiste, républicain et citoyen – est toutefois bien conscient de la nécessité de renforcer, dans un cadre de police administrative et pour la prévention du terrorisme, les visites de véhicules et les fouilles de bagages. C’est d’ailleurs l’objet de l’article 17 du projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé et son financement. Nous sommes également conscients de la nécessité de renforcer l’efficacité et les garanties offertes par la procédure pénale, ce que ne fait pas cette proposition de loi.
Enfin, vous défendez la possibilité pour les policiers et les gendarmes de porter leurs armes en dehors du service, mais, en réalité, le champ de la modification législative que vous proposez est beaucoup plus large et ne se limite pas, contrairement à ce qu’indique l’exposé des motifs, aux seuls policiers et gendarmes. En effet, la rédaction que vous avez choisie permettrait aux fonctionnaires et aux agents des douanes et de la police municipale, aux agents publics chargés des transports de fonds, aux magistrats et aux garde champêtres, de porter leurs armes en dehors des heures de service.
Il me semble qu’élargir les autorisations de port d’arme hors contexte d’état d’urgence doit être une décision réfléchie, ayant fait l’objet d’une analyse plus approfondie que ce que propose cette proposition de loi. Un retour d’expérience aura lieu à la fin de l’état d’urgence afin d’évaluer le dispositif et de réfléchir à sa pérennisation éventuelle. Quoi qu’il en soit, il ne me paraît pas judicieux que l’ensemble des fonctionnaires qui en font usage soient autorisés à porter leur arme en dehors du service.
Dans la mesure par ailleurs où cette proposition de loi adopte une approche par trop extensive de questions déjà traitées dans la loi relative au crime organisé, quitte à en oublier nos obligations légales et constitutionnelles, le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera contre son adoption, ce qui ne signifie pas que nous récusions le débat qu’elle soulève.
M. Philippe Goujon. Je regrette que les appels à l’unité nationale que nous lance la gauche se traduisent systématiquement par le rejet de toutes les propositions que nous pouvons faire en matière de sécurité, lesquelles finissent d’ailleurs en général par être reprises dans les projets de loi que nous soumet le Gouvernement, ce qui constitue au bout du compte une regrettable perte de temps.
C’est une nouvelle fois le cas avec cette proposition de loi défendue par Éric Ciotti, dont il faut pourtant saluer ici les facultés d’anticipation, puisque voilà plusieurs années déjà qu’il soumet à la représentation nationale des propositions n’ayant d’autre objectif que d’améliorer le dispositif pénal qui permet à notre pays de se protéger.
Il est clair aujourd’hui que le cadre légal dans lequel évoluent nos forces de police n’est plus adapté. Nous avons perdu beaucoup de temps, notamment depuis les attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, et même si le Gouvernement a pris, avec la proposition de loi de M. Gilles Savary sur la sécurité dans les transports, quelques mesures de bon sens à propos de la fouille des bagages et du port d’armes des forces de l’ordre en dehors du service, cela n’est pas suffisant, et de surcroît bien trop tardif si l’on considère que nos premières propositions de loi sur le sujet datent de décembre 2012.
Face à l’urgence de légiférer sur le principe de légitime défense appliqué aux policiers, nous avions d’ailleurs, en 2012, à la suite du « rapport Guyomar », déposé avec Éric Ciotti et Guillaume Larrivé une proposition de loi visant à améliorer la protection juridique des policiers victimes ou mis en cause par des tiers dans l’exercice de leurs fonctions. Ces policiers peuvent en effet perdre jusqu’à 30 ou 50 % de leur salaire dès lors qu’ils sont mis en cause dans des affaires de légitime défense, sans compter qu’ils peuvent également y perdre la vie, compte tenu de la confusion qui entoure les conditions de riposte auxquelles ils sont soumis. Alors que, sur le terrain, l’exposition des gendarmes et des policiers n’a cessé de s’accroître, leur protection juridique, elle, s’est affaiblie sous l’effet de la jurisprudence européenne, suivie par la Cour de cassation.
Il ne s’agit nullement ici de créer une présomption d’irresponsabilité pénale – et il est totalement scandaleux que des journalistes aient pu faire référence à un « permis de tuer » – mais de permettre aux policiers de répondre dans l’urgence aux agressions et de faire face à un danger imminent. C’est en tout cas ce que réclament les syndicats de policiers.
En ce qui concerne enfin les contrôles d’identité et les fouilles, il s’agit de mieux protéger les usagers des transports publics.
Quant à autoriser les personnels habilités à porter des armes à les conserver en dehors du service, cela me paraît on ne peut plus pertinent, si l’on songe à ce qui s’est produit l’an dernier dans le Thalys. Ce n’est ni au Conseil constitutionnel ni à la CEDH de faire la loi dans notre assemblée.
M. Daniel Gibbes. À la suite des actes terroristes qui ont frappé la France l’an dernier, il est impératif de prendre conscience que les moyens donnés aux forces de l’ordre pour protéger la population ne sont plus adaptés.
Cette proposition de loi portée par notre collègue Éric Ciotti doit permettre d’ajuster les capacités de réaction des forces de l’ordre à la menace et à la violence terroriste. C’est la raison pour laquelle il me paraît juste d’assouplir non seulement le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, mais aussi le cadre légal du port de leurs armes en dehors du service. Il me paraît également indispensable de faciliter les fouilles de véhicules et de bagages, ainsi que les contrôles d’identité.
Le régime d’irresponsabilité pénale proposé dans l’article 1er de la proposition de loi doit s’appliquer non seulement aux policiers et aux gendarmes nationaux mais également aux policiers municipaux, dont nous ne devons pas sous-estimer le rôle auprès des administrés.
Les forces de l’ordre sont devenues de véritables cibles pour les terroristes et, si nous voulons continuer à pouvoir compter sur leurs compétences et leur savoir-faire, nous devons les aider en adoptant des dispositions qui les protègent réellement. En définissant les circonstances au cours desquelles le recours à la force armée n’entraîne pas la responsabilité pénale des représentants de l’autorité publique, nous permettrons à ceux-ci de bénéficier d’un dispositif qui les protège, proche de celui dont bénéficient les militaires de la gendarmerie nationale.
Par ailleurs, l’article 5 vise à autoriser aux policiers et aux gendarmes le port d’arme en dehors du service. S’il est vrai qu’à ce jour un régime dérogatoire autorise le port d’arme en dehors des heures de service, ce n’est que pour une durée limitée à celle de l’état d’urgence et au seul profit de la police nationale. Or ce régime restreint et temporaire doit être pérenne et perdurer au-delà de la levée de l’état d’urgence.
Cette proposition de loi va dans le sens de l’unité nationale à laquelle la majorité aspire, puisque plusieurs des mesures qu’elle préconise ont déjà été prises en compte par le Gouvernement. Mais nous devons aller plus loin, et c’est tout l’objectif de ce texte.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. « Nous sommes en guerre contre le terrorisme », a déclaré le Président de la République au lendemain des attentats meurtriers du 13 novembre. Pour gagner cette guerre, il est urgent aujourd’hui de s’en donner les moyens concrets, en renforçant les moyens d’action de celles et ceux qui la mènent au quotidien sur notre territoire, les policiers et les gendarmes. Ce sont eux qui sont en première ligne.
Pour cette raison, il est absolument indispensable d’étendre le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, afin de leur permettre de protéger leur vie et celle des Français, face à des terroristes très lourdement armés, dont le seul but est de tuer.
Les mesures proposées par Éric Ciotti en matière d’irresponsabilité pénale des forces de l’ordre, les contrôles d’identité, les fouilles de véhicule et de bagage, et le port d’arme hors exercice sont autant d’avancées souhaitables et souhaitées.
Je regrette la position timorée exprimée par M. Mennucci qui s’est appuyé sur des arguments frôlant le juridisme. Cela ne peut conduire qu’à une perte de temps.
M. Jean-Christophe Lagarde. Le groupe Union des démocrates et indépendants apportera son soutien à cette proposition de loi.
Que les différentes forces de sécurité à qui nous déléguons la sécurité des Français agissent en matière de port d’armes dans le même cadre légal me paraît logique. À moins de vouloir jeter la suspicion sur tel ou tel corps, cela devrait faire consensus.
Dans les circonstances que nous connaissons, il y a urgence à pouvoir étendre le champ des fouilles, et ce en dehors de l’état d’urgence.
Enfin, permettre aux policiers et aux gendarmes de porter leur arme en dehors du service semble une mesure de bon sens, lorsque, pour répondre aux situations de crise, on demande aux élus locaux de déployer le maximum d’effectifs policiers armés dans l’espace public. Cela permettrait une réaction rapide et efficace, conduite par des professionnels de la sécurité, et ce, afin de mieux protéger nos concitoyens.
M. le rapporteur. Je voudrais rectifier une erreur matérielle de M. Mennucci : comme souvent, lorsqu’on veut évacuer un sujet, un groupe de travail a en effet été mis en place après le rejet de notre première proposition de loi sur la légitime défense des policiers. Ce groupe de travail, j’y ai participé, ce que Mme Pochon pourra confirmer, puisque nous avons siégé ensemble le 1er décembre 2015, au 18 de la rue des Pyrénées.
Mme Elisabeth Pochon. Vous y participiez une fois sur trois.
M. le rapporteur. Plus sérieusement, nous considérons que notre approche de la légitime défense, qui rejoint celle des syndicats de police, est très différente de celle du Gouvernement. Ce dernier considère en effet que l’irresponsabilité pénale ne s’appliquerait aux policiers ou aux militaires de la gendarmerie que lorsqu’ils sont face à des individus qui ont tué et s’apprêtent à tuer de nouveau, ce qui, en pratique, est particulièrement difficile à apprécier. Selon les syndicats de police, une telle disposition risque d’ailleurs de soulever plus de difficultés qu’elle n’en résoudra.
Notre proposition de loi appréhende le problème de manière plus large en prenant en compte les situations où les forces de l’ordre se trouvent face à un danger imminent, notion qui nous paraît couvrir l’ensemble des cas auxquels peuvent être confrontés militaires et gendarmes et dans lesquels leur vie est menacée.
Il me semble donc que nous devrions faire abstraction de nos différends pour apporter à ceux qui sont en première ligne dans le combat contre le terrorisme une meilleure protection. J’avoue donc ne pas comprendre l’opposition exprimée par certains de nos collègues de la majorité.
En ce qui concerne la constitutionnalité de ces mesures, je rappelle que le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, estimé que la sauvegarde de l’ordre public et la recherche d’auteurs d’infractions étaient des objectifs de valeur constitutionnelle autorisant des limitations à d’autres principes constitutionnels.
En matière de contrôles d’identité, de fouilles de véhicule et de bagages, nous pouvons donc et nous devons aller plus loin. Qui peut comprendre aujourd’hui, dans le contexte de menace maximale que traverse notre pays, que les policiers et les gendarmes ne disposent pas de prérogatives dont peuvent se prévaloir les agents des douanes ?
Nous serons contraints d’adopter ces dispositions, vous serez contraints de les adopter. Il faut anticiper la menace et ne pas attendre qu’un drame se produise pour adapter notre législation.
La Commission en vient à l’examen des articles.
Article 1er
(art. 122-6-1 [nouveau] du code pénal)
Renforcement de la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée dans des situations dangereuses
Le présent article a pour objet de renforcer la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique, autorisés à faire usage d’une arme de service, lorsqu’ils déploient cette force armée en réaction à des circonstances graves, strictement définies dans un nouvel article 122-6-1 introduit à cette fin dans le code pénal. Les dispositions envisagées par le Gouvernement dans le projet de loi sur la réforme de la procédure pénale, qui devrait être présenté en Conseil des ministres le 3 février prochain, apparaissent en effet largement insuffisantes au regard des enjeux auxquels les forces de l’ordre sont confrontées.
Selon le droit en vigueur, les forces de l’ordre voient leur responsabilité pénale engagée lorsqu’elles recourent à leurs armes de service sauf si les circonstances dans lesquelles elles agissent leur permettent de se prévaloir de l’une des causes d’irresponsabilité pénale prévues par le code pénal (livre Ier, titre II, chapitre II).
Toutefois, les causes qu’elles peuvent invoquer diffèrent selon leur statut. Ainsi, les gendarmes peuvent se prévaloir de dispositions légales visant expressément certaines circonstances dans lesquelles le recours à la force armée est justifié, tandis que les agents de police demeurent principalement soumis aux régimes de droit commun de la légitime défense (article 122-5 du code pénal) et de l’état de nécessité (article 122-7 du même code).
Dans ce contexte, le présent article propose d’introduire un nouveau régime d’irresponsabilité pénale commun aux forces de l’ordre pour leur permettre de disposer d’un cadre juridique adapté à leurs missions de maintien de l’ordre et à même d’assurer leur sécurité et celle des personnes qu’elles protègent, dans un contexte d’accroissement des violences perpétrées sur le territoire national, comme en témoignent les attentats de 2015.
1. Un régime pénal hétérogène et insuffisamment adapté aux missions des forces de l’ordre
L’hétérogénéité des règles encadrant la responsabilité pénale des forces de l’ordre qui font usage de leur arme de service, héritée de dispositions anciennes, se justifie difficilement alors que gendarmes et policiers interviennent régulièrement de conserve dans le cadre de leurs missions de maintien de l’ordre.
a. Le régime de responsabilité pénale de droit commun applicable au recours à la force armée
Le régime pénal applicable aux forces de l’ordre qui déploient la force armée est le régime de droit commun de la légitime défense et, dans une moindre mesure, celui de l’état de nécessité, prévus par le code pénal.
Ces régimes prévoient respectivement que ne sont pas considérées comme pénalement responsables les personnes qui :
– devant une atteinte injustifiée envers elles-mêmes ou autrui, accomplissent, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense ou permettant d’interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi et que les moyens utilisés sont proportionnés à la gravité de l’atteinte ou de l’infraction (article 122-5 du code pénal) ;
– face à un danger actuel ou imminent qui les menace elles-mêmes, une autre personne ou un bien, accomplissent un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, à condition que cet acte soit proportionné au regard de l’atteinte (article 122-7 du même code).
L’article 114-4 de l’arrêté du 6 juin 2006 (11), qui fixe les conditions d’utilisation des armes individuelles dont sont dotés les fonctionnaires de police nationale, précise ainsi que l’usage de ces armes « est assujetti aux règles de la légitime défense et aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur ».
Toutefois, la police nationale peut également faire usage de la force armée dans deux autres situations expressément mentionnées par la loi et les règlements, soit :
– afin de disperser un attroupement (article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure (CSI), qui vise les représentants de la force publique en général, à l’instar des militaires de la gendarmerie (12)) ;
– lors d’une intervention en milieu carcéral ou de protection des abords d’un établissement pénitentiaire (articles R. 57-7-84 et D. 283-6 du code de procédure pénale).
Ces situations étant prévues par des dispositions législatives et réglementaires, les agents concernés peuvent bénéficier d’un régime d’irresponsabilité pénale fondé sur l’ordre de la loi (c’est-à-dire reposant sur des dispositions légales autorisant le recours à la force armée dans certaines conditions), prévu à l’article 122-4 du code pénal (13). Toutefois, les interventions visées sont limitées au regard des missions confiées aux forces de l’ordre.
Pour les agents de la police municipale, seule la légitime défense peut être invoquée en cas de recours à la force armée comme le rappellent les articles R. 511-23 (14) et R. 515-9 (15) du CSI. Il en va de même pour les autres personnes dépositaires de l’autorité publique autorisées à disposer d’une arme de service (à l’instar des gardes champêtres comme le prévoit l’article R. 522-1 du même code), à l’exception notable des militaires de la gendarmerie qui bénéficient de dispositions légales spécifiques.
L’armement progressif des polices municipales
L’article L. 511-5 du code de la sécurité intérieure (CSI) présente le port d’arme des agents de police municipaux comme une exception. Ceux-ci ne peuvent en bénéficier que « lorsque la nature de leurs interventions et les circonstances le justifient ».
Cette autorisation est soumise à quatre conditions limitatives :
– elle ne peut être que nominative ;
– elle est subordonnée à une décision en ce sens du représentant de l’État dans le département, sur demande motivée du maire ;
– elle ne s’applique que pour certaines catégories et types d’armes et est soumise à certaines conditions fixées par décret en Conseil d’État ;
– elle s’accompagne d’obligations relatives à la formation des agents qui en bénéficient.
Selon le Gouvernement (16), en 2014, 16 344 policiers municipaux étaient armés (sur 19 971 au total), dont 7 500 d’une arme à feu (soit 38 %).
b. Le régime pénal spécifique dont bénéficient les militaires de la gendarmerie nationale
Outre le droit commun de la légitime défense, les gendarmes peuvent également invoquer le régime d’irresponsabilité pénale reposant sur l’ordre de la loi de façon plus extensive que ne le peuvent les agents de la police nationale.
En effet, au-delà des interventions visant à disperser un attroupement précédemment évoquées et celles visant à empêcher une intrusion dans une zone militaire hautement sensible (17), les gendarmes peuvent avoir recours à la force armée, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative et sans que leur responsabilité pénale ne soit engagée, dans quatre circonstances expressément prévues par l’article L. 2338-3 du code de la défense :
– lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
– lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés, ou si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
– lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
– lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.
Cet article prévoit également que les gendarmes sont autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que des herses, hérissons ou câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations.
Au contraire des autres représentants des forces de l’ordre, les gendarmes disposent donc d’un cadre juridique précis sur l’emploi des armes à feu, adapté aux risques qu’emportent leurs missions et à la nécessité d’assurer leur propre protection, le cas échéant par le recours à la force armée.
c. Une différence de traitement de moins en moins justifiée
Cette différence de traitement juridique est ancienne puisque les dispositions prévues par l’article L. 2338-3 du code de la défense figuraient initialement à l’article 174 du décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie.
Celle-ci, réputée intervenir principalement en milieu rural, bénéficiait de davantage de moyens de recourir à la force armée que la police présente dans des zones urbaines où l’utilisation d’armes pouvait s’avérer plus dangereuse pour la population.
De nos jours, cette distinction s’est fortement atténuée et les représentants des forces publiques participent fréquemment de façon conjointe à une même opération.
La proximité des missions de la police nationale et de la gendarmerie a notamment justifié le remplacement du code de déontologie de la police nationale, introduit par le décret n° 86-592 du 18 mars 1986, par un nouveau code de déontologie partagé avec la gendarmerie depuis le 1er janvier 2014 et intégré au code de la sécurité intérieure (livre IV, titre III, chapitre IV de la partie réglementaire).
Ce rapprochement semble, d’ailleurs, à l’œuvre dans la jurisprudence encadrant le recours à la force armée, au travers notamment de deux évolutions :
– l’obligation de simultanéité de la riposte à une atteinte injustifiée qui caractérise la légitime défense a été assouplie de manière à permettre aux forces de police de se protéger d’une atteinte objectivement vraisemblable qui n’aurait pas connu un commencement d’exécution (18) (les policiers n’ont ainsi pas à attendre de se trouver sous le feu de personnes armées pour riposter) ;
– en sens contraire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a strictement encadré l’application des dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense de manière à assurer sa compatibilité à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui protège le droit à la vie (19). À titre d’exemple, quelles que soient les dispositions légales prévues en droit interne, le recours à la force armée doit être absolument nécessaire et faire suite à la réalisation de sommations n’ayant pas abouti.
En pratique, le régime d’irresponsabilité pénale applicable aux policiers et aux gendarmes a ainsi connu un rapprochement sensible du fait de l’attachement des juges européens et nationaux à apprécier la stricte proportionnalité des moyens employés et le respect du droit à la vie au regard de chaque cas d’espèce.
Cette évolution est confirmée par l’article R. 434-18 du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale qui prévoit que : « le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut. »
Face à ces évolutions juridiques et opérationnelles, il apparaît désormais nécessaire de réformer les dispositions législatives en vigueur pour assurer aux forces de l’ordre les mêmes moyens d’action et une même sécurité face aux dangers auxquels elles sont exposées.
2. L’introduction d’un régime pénal commun à l’ensemble des forces de l’ordre
Le présent article introduit un nouvel article 122-6-1 dans le code pénal (alinéas 1er et 2) qui instaure un régime d’irresponsabilité pénale au bénéfice des forces de l’ordre qui recourent à leur arme de service dans certaines circonstances, expressément énumérées, conformément aux exigences de la CEDH (20).
a. Un régime juridique commun aux forces de l’ordre
Le régime d’irresponsabilité pénale proposé s’applique à l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique régulièrement autorisés à porter et à faire usage d’une arme de service (alinéa 3), soit au premier titre les policiers nationaux et les gendarmes nationaux, mais également les policiers municipaux et les gardes champêtres, par exemple, qui peuvent bénéficier d’une autorisation nominative de port d’arme accordée par le préfet sur la demande du maire et qui ont reçu une formation adéquate.
En effet, le niveau de formation des agents dotés d’une arme de service est strictement apprécié par la CEDH. Elle exige ainsi que « les représentants de la loi [soient] formés pour être à même d’apprécier s’il est ou non absolument nécessaire d’utiliser les armes à feu, non seulement en suivant la lettre des règlements pertinents mais aussi en tenant dûment compte de la prééminence du respect de la vie humaine en tant que valeur fondamentale » (21).
b. Les circonstances justifiant l’usage de la force armée
Les alinéas 4 à 8 énumèrent les circonstances au cours desquelles le recours à la force armée par les représentants de l’autorité publique n’entraîne pas leur responsabilité pénale, soit :
– lorsqu’eux-mêmes ou autrui font face à un danger imminent présenté par des personnes armées ;
– lorsque sont exercées contre eux ou autrui des violences graves qu’ils ne peuvent faire cesser autrement ;
– lorsque des personnes armées, qui ont ou ont eu un comportement manifestement dangereux, refusent de déposer leur arme après deux sommations à haute et intelligible voix, faisant état de la qualité de leur auteur et ordonnant le dépôt des armes. La seconde sommation précise que le refus d’obtempérer est suivi de l’emploi de la force armée (22) ;
– lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ;
– lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport et que leur conducteur, ayant manifesté un comportement violent et dangereux, n’obtempère pas à l’ordre d’arrêt. Cette dernière circonstance est conditionnée au fait que l’emploi de la force armée ne fasse pas peser un risque manifeste sur la vie d’autrui.
Ces dispositions s’inspirent de celles énoncées à l’article L. 2338-3 du code de la défense, actuellement applicable aux militaires de la gendarmerie nationale.
Il en va de même pour le dernier alinéa du présent article (alinéa 9) qui prévoit que les forces de l’ordre sont autorisées à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que des herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations.
L’ensemble de ces dispositions s’inscrivent ainsi dans la continuité d’un régime juridique fixant les conditions du recours à la force armée spécifique à la gendarmerie nationale et ayant été considéré conforme à la Convention des droits de l’homme par la CEDH (23), pour l’étendre à l’ensemble des représentants des forces de l’ordre et leur permettre d’accomplir leurs missions dans des conditions assurant leur sécurité et celle des personnes qu’ils protègent.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL1 de M. Patrick Mennucci, tendant à supprimer l’article.
M. Guy Geoffroy. Même si nous avons entendu précédemment un certain nombre d’explications, l’exposé sommaire de cet amendement de suppression et de ceux qui suivent est véritablement sommaire : « se justifie par son texte même ». D’autre part, les divergences entre la majorité et l’opposition n’étant pas si profondes, M. Mennucci et son groupe politique auraient pu faire le choix d’amender ce texte, soit pour rendre ses dispositions constitutionnelles – je reprends les termes de M. Mennucci –, soit pour clarifier celles qui leur semblaient mal adaptées, soit pour alléger celles qui leur semblaient trop lourdes. Je leur donne rendez-vous pour l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé : nous verrons si le Gouvernement et la majorité seront aussi ouverts qu’ils doivent l’être – unité nationale oblige – aux amendements que nous leur présenterons. Il ne faut supprimer ni l’article 1er ni les suivants. Il faut, au contraire, voter dès maintenant cette proposition de loi. Attendre encore un peu, ce serait attendre trop longtemps.
M. le rapporteur. Avis défavorable à cet amendement de suppression, ainsi qu’aux suivants. Il est regrettable que la majorité veuille clore le débat à ce stade. J’appelle une fois de plus votre attention, mes chers collègues, sur la nécessité de mieux protéger nos policiers et d’anticiper les événements au lieu de les subir. Le rejet de cette proposition de loi nous fera perdre du temps à cet égard. Or vous nous en avez déjà fait perdre beaucoup, chers collègues de la majorité : vous avez systématiquement rejeté ces propositions, que nous soutenons depuis 2012. Pourtant, vous allez peut-être un jour les approuver. Dans l’intervalle, nous aurons perdu beaucoup de temps, trop de temps, alors même que les policiers et les gendarmes sont menacés.
M. Patrick Mennucci. Compte tenu de la gravité de ce qui vient d’être dit, je réponds brièvement : selon moi, nous ne sommes pas en train de perdre du temps. Nous en perdrions, au contraire, si nous votions votre texte, monsieur le rapporteur, car il n’est ni fait ni à faire, et serait immanquablement censuré par le Conseil constitutionnel. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen ne récuse pas complètement vos positions, mais sa motivation est double : améliorer la sécurité de nos policiers tout en respectant de manière absolue les libertés individuelles. Nous préférons attendre le texte qui nous sera soumis prochainement et sera d’ailleurs défendu par notre ancien collègue Jean-Jacques Urvoas. Nous aurons ainsi la garantie que les nouvelles dispositions envisagées en la matière, dans l’esprit de celles que vous proposez, seront applicables. C’est une question de semaines.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
L’amendement CL7 du rapporteur n’a plus d’objet.
Article 2
(art. 78-1 et 78-2 du code de procédure pénale)
Extension des possibilités de contrôle d’identité
Le présent article a pour objet d’étendre les possibilités données aux forces de l’ordre de procéder à des contrôles d’identité.
1. Les possibilités actuelles de contrôle d’identité
Selon l’article 78-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées » aux articles 78-2 et suivants.
La compétence pour effectuer des contrôles d’identité appartient aux officiers de police judiciaire (OPJ) et, « sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci », aux agents de police judiciaire et aux agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1 du code de procédure pénale, ce qui inclut la quasi-totalité des militaires de la gendarmerie nationale et des fonctionnaires de la police nationale (24).
En 2011, le Conseil constitutionnel a censuré l’attribution de cette compétence aux agents de police municipale (25).
Il convient de distinguer les contrôles de police judiciaire des contrôles de police administrative : les premiers sont liés à une infraction déterminée (déjà commise ou en préparation), tandis que les seconds visent à éviter la survenance d’un trouble à l’ordre public (26).
Les contrôles d’identité de police judiciaire, régis par les six premiers alinéas de l’article 78-2 du code de procédure pénale, interviennent soit à l’initiative des forces de l’ordre, soit sur réquisition du parquet.
Dans le premier cas, les contrôles peuvent concerner toute personne « à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » (27) :
– qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
– ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
– ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;
– ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.
Dans le second cas, l’identité de toute personne peut être contrôlée « sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise (…), dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat » (article 78-2, alinéa 6).
Les contrôles d’identité de police administrative sont prévus à l’article 78-2, alinéa 7, du code de procédure pénale : « l’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut (…) être contrôlée (…) pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ». Sa rédaction n’a plus évolué depuis l’ajout des mots : « quel que soit son comportement » par la loi n° 93-992 du 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications d’identité.
Saisi de cette loi, le Conseil constitutionnel avait jugé que « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » et émis la réserve d’interprétation suivante : « s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle » (28).
À ce contrôle à vocation préventive et générale s’ajoutent les contrôles d’identité mettant en œuvre la Convention de Schengen de 1990 et ayant pour objet la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière. Ces contrôles peuvent intervenir dans les zones frontalières – dans une bande territoriale de vingt kilomètres – et dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international. Ils tendent à « vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi » (29).
Tous les contrôles d’identité qui précèdent peuvent donner lieu à une procédure coercitive de vérification d’identité, en cas de refus ou d’impossibilité de la personne concernée de justifier de son identité. L’article 78-3 du code de procédure pénale dispose que l’intéressé peut « être retenu sur place ou dans le local de police où il est conduit aux fins de vérification de son identité ». Il doit être présenté à un officier de police judiciaire et informé de son droit de faire aviser le procureur de la République et de prévenir à tout moment toute personne de son choix. Cette retenue doit intervenir « pendant le temps strictement exigé » par l’établissement de l’identité de la personne, sans pouvoir excéder quatre heures (30). Quand il n’est pas possible de procéder autrement, des empreintes digitales et des photographies de la personne retenue peuvent être prises, après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction.
2. L’élargissement proposé
Le présent article vise à renforcer les moyens dont disposent les forces de l’ordre, en élargissant les possibilités de contrôle d’identité.
Le second alinéa de l’article 78-1 du code de procédure pénale, qui pose le principe même du contrôle d’identité, serait remplacé par des dispositions selon lesquelles « les autorités de police et les gendarmes peuvent contrôler l’identité des personnes se trouvant sur le territoire national ». En conséquence, l’article 78-2, qui détaille les différentes hypothèses de contrôle d’identité, serait abrogé.
Par ces dispositions simples et claires, serait ainsi affirmé par le législateur un droit général, pour l’ensemble des gendarmes et des fonctionnaires de police, à procéder à des contrôles d’identité. Un tel renforcement apparaît indispensable, non seulement dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme, mais aussi en raison de l’évolution des formes de délinquance et de criminalité.
Cette nouvelle rédaction du second alinéa de l’article 78-1 ne ferait pas disparaître la traditionnelle distinction entre opérations de police judiciaire et opérations de police administrative et, en conséquence, entre contrôle par l’autorité judiciaire ou par le juge administratif : la qualification du contrôle d’identité varierait selon que les faits en cause sont ou non en relation avec une infraction déterminée.
L’article 78-3 du code de procédure pénale, relatif à la rétention aux fins de vérification de l’identité, demeurerait quant à lui inchangé.
* *
Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL2 de M. Patrick Mennucci, tendant à supprimer l’article.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
Article 3
(art. 78-1-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Extension des possibilités de fouille de véhicules
Cet article vise à assouplir les règles autorisant les gendarmes et les policiers à procéder à la fouille de véhicules.
1. Les possibilités actuelles de fouille de véhicules
Trois séries de dispositions permettent aujourd’hui aux forces de l’ordre de fouiller – ou « visiter » – des véhicules (31).
L’article 78-2-2 du code de procédure pénale permet aux officiers de police judiciaire, éventuellement assistés par des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints (32), de procéder à « la visite des véhicules circulants, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ». Ce type de contrôle intervient sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite d’une série d’infractions (33). En 2003, le Conseil constitutionnel a jugé que la liste de ces infractions « n’est pas manifestement excessive au regard de l’intérêt public qui s’attache à la recherche des auteurs de ces infractions » (34).
Cette procédure peut s’accompagner d’un contrôle d’identité de police judiciaire, dans les conditions prévues à l’article 78-2, alinéa 6 (35). Elle doit intervenir pendant une période fixée par le procureur de la République, en principe de vingt-quatre heures au maximum, susceptible d’être prolongée « sur décision expresse et motivée ».
En l’absence de réquisitions du parquet, les mêmes agents peuvent, en application de l’article 78-2-3 du code de procédure pénale, procéder à des visites de véhicules lorsqu’il existe, à l’égard du conducteur ou d’un passager, « une ou plusieurs raisons de soupçonner » qu’il a commis ou tenté de commettre « un crime ou un délit fragrant ».
Enfin, l’article 78-2-4 du code de procédure pénale permet aux mêmes agents de recourir à la fouille d’un véhicule « pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ». Toutefois, cette procédure nécessite « l’accord du conducteur » ou, à défaut, des instructions du procureur de la République. Dans l’attente de ces dernières, le véhicule peut être immobilisé pour trente minutes au maximum. La fouille peut s’accompagner d’un contrôle d’identité de police administrative, dans les conditions prévues à l’article 78-2, alinéa 7 (36).
Dans les trois hypothèses qui précèdent :
– les véhicules en circulation ne peuvent être immobilisés que le temps strictement nécessaire au déroulement de la visite, qui doit avoir lieu en présence du conducteur ;
– lorsqu’elle porte sur un véhicule à l’arrêt ou en stationnement, la visite se déroule en présence du conducteur ou du propriétaire du véhicule ou, à défaut, d’une personne requise à cet effet par l’officier ou l’agent de police judiciaire et qui ne relève pas de son autorité administrative. La présence d’une personne extérieure n’est toutefois pas requise si la fouille comporte des risques graves pour la sécurité des personnes et des biens ;
– en cas de découverte d’une infraction ou si le conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande ainsi que dans le cas où la fouille se déroule en leur absence, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures du début et de la fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l’intéressé et un autre est transmis sans délai au procureur de la République.
La fouille de véhicules aménagés à usage d’habitation, tels que les camping-cars, échappe à ces règles et relève des textes régissant les perquisitions (37).
2. L’élargissement proposé
Les possibilités existantes de fouilles des véhicules – comme de fouilles des bagages (38) – apparaissent excessivement restreintes. L’on doit rappeler que l’un des terroristes impliqués dans les attentats du 13 novembre 2015 a pu, sans être inquiété, faire l’objet de plusieurs contrôles routiers. Or, en l’état de notre législation, une fouille de son véhicule n’aurait été possible sans son accord que sur réquisitions écrites du procureur de la République.
Sans revenir sur les dispositions existantes, le présent article insère un nouvel article 78-1-1 dans le code de procédure pénale, selon lequel « pour l’application des dispositions du code pénal, les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie peuvent procéder à la visite des moyens de transport ».
Cette rédaction (39) s’inspire du « droit de visite général » des agents des douanes, pour lesquels l’article 60 du code des douanes prévoit : « pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ».
En conséquence, les possibilités ouvertes aux forces de l’ordre par le présent article sont particulièrement larges.
Tout d’abord, plutôt que d’édicter une série limitative de motifs justifiant la fouille de véhicules, il est renvoyé, de façon générale, à « l’application des dispositions du code pénal ». Ainsi, comme en matière douanière, l’exercice de ce pouvoir de police administrative ne serait pas subordonné à l’existence préalable d’indices concrets d’infraction.
En outre, en mentionnant les « moyens de transport », seraient visés tous les types de véhicules, ainsi que les parties condamnées qu’ils renferment, telles que le coffre ou le capot d’une voiture (40).
Enfin, la fouille du véhicule pourrait être pratiquée à tout moment et en tout lieu public – les lieux privés étant d’ores et déjà soumis au régime des perquisitions.
La conformité à la Constitution de ces dispositions a été, à au moins quatre reprises, établie par la Cour de cassation, qui a jugé dépourvues de « caractère sérieux » des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 60 du code des douanes :
– dans un arrêt de la chambre criminelle du 5 octobre 2011 (n° 11-90089), la Cour estime que les dispositions en cause (41) « ne méconnaissent à l’évidence aucun des droits ou principes que la Constitution garantit » et que les pouvoirs des agents des douanes, « sous le contrôle d’un juge, répondent, sans disproportion, aux objectifs de valeur constitutionnelle de lutte contre les fraudes transfrontalières et les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne » ;
– dans un arrêt de la chambre criminelle du 25 janvier 2012 (n° 11-84876), la Cour confirme qu’une telle question prioritaire de constitutionnalité « n’est pas sérieuse en ce que les dispositions de l’article 60 du code des douanes, qui répondent sans disproportion à la nécessité de lutter contre les fraudes et de protéger les intérêts financiers de l’Union, et qui, sous le contrôle du juge, n’autorisent aucune mesure coercitive, ne méconnaissent à l’évidence aucun des droits ou libertés que la Constitution garantit » ;
– dans un arrêt de la chambre criminelle du 21 mars 2012 (n° 12-90006), la Cour reprend les arguments qui précèdent et ajoute que l’article 60 du code des douanes « ne permet le maintien à disposition des personnes que le temps strictement nécessaire aux vérifications effectuées et à leur consignation » ;
– cette jurisprudence est confirmée par un arrêt de la chambre criminelle du 13 juin 2012 (n° 12-90025), qui conclut à l’absence de caractère sérieux d’une QPC portant sur l’article 60 du code des douanes.
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Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL3 de M. Patrick Mennucci, tendant à supprimer l’article.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Article 4
(art. 78-1-2 [nouveau] du code de procédure pénale)
Extension des possibilités de fouille de bagages
Cet article tend à assouplir les règles permettant aux gendarmes et aux policiers de procéder à la fouille de bagages.
1. Les possibilités actuelles de fouille de bagages
Les forces de l’ordre ne peuvent aujourd’hui procéder à la fouille de bagages, sans l’accord de la personne concernée, qu’en cas de crime ou de délit flagrant ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction.
Dans le cadre d’une enquête préliminaire, un accord de l’intéressé est nécessairement requis. Seule la constatation d’un ou plusieurs indices apparents laissant présumer la commission d’une infraction permettent alors l’ouverture d’une enquête de flagrance et, dès lors, l’ouverture forcée de bagages (42).
En l’absence de tels indices, la fouille de bagages par les policiers et les gendarmes n’est pas possible, pas même sur instruction du procureur de la République, ce cas n’étant prévu ni à l’article 78-2-2 du code de procédure pénale (contrôle d’identité et visite de véhicules sur réquisitions écrites du parquet aux fins de recherche et de poursuite de certaines infractions), ni à l’article 78-2-4 du même code (contrôle d’identité et visite de véhicules sans intervention préalable du parquet en vue de prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens).
Ces dispositions ne devraient être modifiées qu’à la marge par l’article 6 de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, adoptée, en première lecture, par l’Assemblée nationale le 17 décembre 2015 et par le Sénat le 28 janvier 2016 :
– d’une part, l’article 78-2-2 du code de procédure pénale permettrait aux officiers de police judiciaire, éventuellement assistés par des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints, sur réquisitions écrites du procureur de la République, de procéder « à l’inspection visuelle des bagages, dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs seulement, ou encore à leur fouille » ;
– d’autre part, l’article 78-2-4 du même code autoriserait les mêmes agents à procéder « dans les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs, à l’inspection visuelle des bagages et à leur fouille », lorsque l’opération tend à prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens. Dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, à la différence de la fouille des véhicules (43), aucun accord préalable n’est ici requis, ni de l’intéressé, ni du procureur de la République. Comme l’a relevé le rapporteur de la commission du Développement durable, M. Gilles Savary, selon le Conseil constitutionnel, « l’intervention du juge n’est pas nécessairement préalable à l’intervention de la police administrative » (44). Toutefois, dans le texte qu’il a adopté le 28 janvier 2016, le Sénat est revenu sur ce point et a introduit une autorisation préalable du procureur de la République pour fouiller un bagage en cas de refus de son propriétaire.
En tout état de cause, cette extension des possibilités d’inspection et de fouille des bagages accordées aux officiers et agents de police judiciaire est des plus limitées. Elle ne concerne que les gares, trains et métros et se borne à faire en sorte que les forces de l’ordre n’aient pas moins de pouvoirs que les services de sécurité internes de la SNCF et de la RATP.
2. L’élargissement proposé
Afin de conférer aux gendarmes et aux policiers de larges facultés de fouille des bagages, il est proposé d’insérer un nouvel article 78-1-2 dans le code de procédure pénale, selon lequel, « pour l’application des dispositions du code pénal, les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie peuvent procéder à la visite des marchandises ».
Si le terme de « marchandises » peut a priori surprendre – sans doute méritera-t-il d’ailleurs d’être précisé ou adapté –, c’est parce qu’il est, là encore, directement inspiré des prérogatives dont disposent les agents des douanes.
Pour ces derniers, en effet, la possibilité, ouverte à l’article 60 du code des douanes de procéder à « la visite des marchandises (…) et à celle des personnes » s’étend :
– aux fouilles corporelles par palpation (45) ;
– aux fouilles de vêtements (46) ;
– aux fouilles de bagages (47).
L’inconstitutionnalité, plusieurs fois alléguée, de ces dispositions a systématiquement été jugée non sérieuse par la Cour de cassation (48).
Face à la menace terroriste et à la montée de l’insécurité, l’attribution aux forces de l’ordre des mêmes prérogatives apparait nécessaire. Votre rapporteur ne voit aucune raison suffisante permettant de justifier que les gendarmes et les policiers disposent de moins de prérogatives que les agents des douanes.
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Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL4 de M. Patrick Mennucci, tendant à supprimer l’article.
En conséquence, l’article 4 est supprimé.
L’amendement CL8 du rapporteur n’a plus d’objet.
La Commission examine l’amendement CL9 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à rétablir les fouilles en prison.
M. Patrick Mennucci. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen est défavorable à cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Article 5
(art. L. 315-1 et L. 315-2 du code de la sécurité intérieure, art. L. 2338-2 du code de la défense et art. 122-6-2 [nouveau] du code pénal)
Conservation de leurs armes de service par les forces de l’ordre en dehors de l’exercice de leur mission
Cet article vise à permettre aux fonctionnaires et agents publics exposés par leurs fonctions à des risques d’agression, et aux personnels en charge d’une mission de gardiennage, autorisés à être armés, de conserver leur arme individuelle en dehors de l’exercice de leurs fonctions (I).
Il étend également cette possibilité aux militaires de la gendarmerie nationale (II).
Pour rappel, ces dispositions ont d’ores et déjà été défendues dans le cadre de l’examen de la loi du 20 novembre 2015 relative à la prorogation de l’état d’urgence (49). Les membres de l’opposition ont en effet présenté plusieurs amendements à cette fin. Ceux-ci ont toutefois été retirés ou repoussés au motif que le ministère de l’Intérieur avait adressé aux services de police nationale une instruction du 18 novembre 2015 permettant d’atteindre un objectif similaire.
Cette instruction établit, en effet, un régime dérogatoire autorisant le port d’arme en dehors des heures de service, mais pour une durée limitée à celle de l’état d’urgence. Des dispositions comparables, mais plus restrictives, ont été prises pour la gendarmerie le 24 novembre 2015.
Il convient donc à présent de substituer à ce régime restreint et temporaire un régime pérenne qui pourra s’appliquer lorsque l’état d’urgence sera levé.
1. Les règles en vigueur encadrant le port d’arme des forces de l’ordre
Les articles L. 315-1 et L. 315-2 du code de la sécurité intérieure (CSI) (50) encadrent respectivement les conditions d’armement des fonctionnaires et agents des administrations publiques chargés d’une mission de police, et celles applicables aux militaires de la gendarmerie nationale.
a. Les conditions applicables au port d’arme des forces de police
Un fonctionnaire de police, lorsqu’il est en service, doit toujours être porteur de l’arme individuelle qui lui est affectée, qu’il soit revêtu de son uniforme ou d’une tenue civile et quelle que soit sa mission. À titre d’exemple, cette obligation s’applique également aux agents en charge de l’accueil des administrés dans les commissariats.
Le port d’une arme de service impose impérativement celui d’un gilet pare-balles individuel. Cette obligation s’exerce à l’intérieur comme à l’extérieur des locaux de police (notamment durant les trajets entre le lieu de travail et le domicile).
Les conditions encadrant le port d’arme sont fixées par l’article R. 411-3 du CSI et par l’article 114-4 de l’arrêté du 6 juin 2006 (51). Les fonctionnaires de police qui reçoivent une arme individuelle en sont responsables en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances.
Lorsqu’ils ne sont pas en service, ceux-ci ne sont autorisés à conserver leur arme que « dans le ressort territorial où ils exercent leurs fonctions ou sur le trajet entre leur domicile et leur lieu de travail ».
Le transport et la conservation de l’arme individuelle à leur domicile sont toutefois très encadrés de manière à garantir la sécurité de leur entourage (par exemple, dans le cas où l’arme ne disposerait pas d’une mallette sécurisée, la règle de séparation de l’arme, du chargeur et des munitions s’applique).
b. Les conditions applicables au port d’arme des gendarmes nationaux
Les règles encadrant le port d’arme des militaires de la gendarmerie sont précisées par deux circulaires (52).
Celles-ci prévoient que les gendarmes en service dans les unités opérationnelles, en caserne ou à l’extérieur, portent en permanence leur arme individuelle. En dehors de leur service, ils conservent leur arme à leur domicile (que celui-ci se situe dans une caserne ou non) dans un coffret sécurisé, celle-ci ne pouvant être stockée au sein de l’unité que lorsque le militaire est absent pour une durée supérieure à 48 heures.
c. Le régime dérogatoire temporaire introduit après les attentats du 13 novembre 2015
L’article 114-4 du décret du 6 juin 2006 précité précise que « si les nécessités du service ou les contraintes particulières liées aux fonctions exercées par le fonctionnaire de police l’imposent, les conditions du port de l’arme individuelle et les mesures liées à sa sécurisation, sa manipulation et sa conservation peuvent faire l’objet d’instructions dérogatoires écrites et précises de la part de l’autorité hiérarchique d’une direction, d’un service ou d’une unité. »
À la suite des attentats du 13 novembre 2015 et des demandes répétées des fonctionnaires concernés et des parlementaires de l’opposition (53) en faveur d’une meilleure prise en compte de leur sécurité et des conditions d’exercice de leurs missions, une instruction a été prise le 18 novembre 2015 par le directeur général de la police nationale, à la demande du ministre de l’Intérieur.
Cette instruction prévoit que les policiers nationaux peuvent, sur la base du volontariat, conserver leur arme individuelle en dehors de leur service pendant la durée de l’état d’urgence sous réserve de respecter les trois conditions cumulatives suivantes :
– en cas d’intervention, le fonctionnaire qui a conservé son arme doit porter son brassard de police ;
– il doit avoir accompli au moins un tir d’entraînement depuis le début de l’année ;
– il doit avoir déclaré la conservation de son arme.
Si la mise en œuvre de ces dispositions était nécessaire, le régime dérogatoire qui en résulte est toutefois restreint dans le temps, puisque limité au contexte de l’état d’urgence.
S’agissant des gendarmes, une note du directeur général de la gendarmerie nationale du 24 novembre 2015 (n° 86824/GEND/DOE) autorise les officiers et sous-officiers d’active à porter leur arme en dehors du service, dans des conditions néanmoins restrictives :
– le gendarme doit, au cours des douze derniers mois, avoir effectué au moins un tir d’instruction et avoir bénéficié d’un rappel sur la légitime défense ;
– il doit disposer d’une autorisation individuelle délivrée par la direction générale de la gendarmerie nationale, « au regard d’une appréciation locale des menaces, du degré de probabilité d’une intervention hors service et/ou de l’exposition du militaire à un risque spécifique » ;
– le port de l’arme hors service suppose la détention de la carte professionnelle et l’emport du brassard « gendarmerie ».
Les menaces portant sur la sécurité de nos concitoyens et des forces de l’ordre n’ayant pas décru, il convient de remplacer ces dispositions provisoires par un régime pérenne permettant aux policiers et gendarmes qui le souhaitent de conserver leur arme, en dehors de leurs heures de service.
2. La conservation des armes individuelles en dehors du service pour mieux assurer la sécurité des forces de l’ordre et des citoyens
a. Une mesure conforme à la mission d’assistance aux personnes confiée à la police nationale et à la gendarmerie nationale
Pour rappel, l’article R. 434-19 du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale (54) prévoit que « lorsque les circonstances le requièrent, le policier ou le gendarme, même lorsqu’il n’est pas en service, intervient de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger. » Cette mission, semblable à celle dont ces personnels ont la charge lorsqu’ils sont en service, rend nécessaire une évolution des règles encadrant le port d’armes.
b. Les dispositions proposées
Le présent article modifie :
– l’article L. 315-1 du CSI de manière à introduire la possibilité pour les fonctionnaires et agents, autorisés à porter une arme pendant l’exercice de leurs fonctions, à l’être également en dehors de cet exercice (1° du I). Cette disposition peut donc s’appliquer aux policiers nationaux, mais également aux policiers municipaux et à d’autres agents autorisés à être armés comme les gardes champêtres. Il conviendra donc, conformément aux règles encadrant le recours à la force armée et pour des raisons de sécurité, d’assurer la formation adéquate de ces agents (55) ;
– l’article L. 315-2 du même code afin de permettre aux gendarmes de conserver leur arme individuelle « à tout moment » (2° du I). Une coordination est prévue à l’article L. 2338-2 du code de la défense (II).
Il introduit également un nouvel article 122-6-2 au code pénal précisant que « le cadre juridique applicable à l’usage des armes par les dépositaires de l’autorité publique, en dehors du service, est celui de la légitime défense prévu à l’article 122-6 » (III).
Cette disposition reprend celles de l’article 114-4 de l’arrêté du 6 juin 2006 précité selon lesquelles l’usage par les policiers nationaux de leur arme « est assujetti aux règles de la légitime défense et aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur ».
Dans le cadre de l’examen du présent article, un amendement de coordination sera toutefois proposé avec les dispositions de l’article 1er de la proposition de manière à prévoir que le régime pénal applicable au recours à la force armée par des agents qui ne sont pas en service est celui introduit au nouvel article 122-6-1 du code pénal.
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Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL5 de M. Patrick Mennucci, tendant à supprimer l’article.
En conséquence, l’article 5 est supprimé.
L’amendement CL10 du rapporteur n’a plus d’objet.
La Commission est saisie de l’amendement CL11 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à porter de six à huit jours la durée maximale de la garde à vue en cas de risque d’action terroriste.
M. Patrick Mennucci. Même remarque que précédemment : la proposition du rapporteur peut être entendue, mais elle doit être discutée lors de l’examen du projet de loi qui nous sera soumis prochainement, c’est-à-dire dans le cadre d’un débat beaucoup plus large et public que celui que nous pouvons avoir sur une proposition de loi émanant d’un parti politique. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen est donc défavorable à cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement CL12 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à renforcer les pouvoirs des forces de l’ordre en matière de perquisitions.
M. Patrick Mennucci. Cette question sera elle aussi abordée par le texte qui nous sera soumis. Je regrette que le groupe Les Républicains veuille anticiper ce débat, qui est très complexe et nécessitera plusieurs heures de travail en commission des Lois. Pour cette raison, nous ne pouvons pas voter cet amendement, même si je n’y suis pas nécessairement opposé sur le fond.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL13 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de mettre en place une interface informatique unique permettant de mieux cibler les recherches dans les fichiers. Le croisement des fichiers est réclamé par tous les services de police. C’est une question essentielle.
En réponse à l’argumentaire que vous employez pour défendre tous vos amendements, monsieur Mennucci, je tiens à souligner que cette proposition de loi a fait l’objet d’un travail réfléchi et qu’elle répond parfaitement aux exigences constitutionnelles, alors que le texte que vous évoquez est, pour l’instant, purement virtuel.
M. Patrick Mennucci. Pour les raisons que j’ai exposées précédemment, le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera contre cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
L’ensemble des articles ayant été supprimés et les amendements portant articles additionnels ayant été rejetés, la proposition de loi est rejetée.
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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre (n° 3271).
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Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi ___ |
Conclusions de la Commission ___ |
Proposition de loi visant à élargir |
Proposition de loi visant à élargir | |
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Article 1er | |
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Supprimé amendement CL1 | |
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Article 2 | |
Code de procédure pénale |
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Supprimé amendement CL2 |
Art. 78-1. – L’application des règles prévues par le présent chapitre est soumise au contrôle des autorités judiciaires mentionnées aux articles 12 et 13. |
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Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants. |
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Art. 78-2. – Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner : |
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– qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; |
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– ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ; |
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– ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ; |
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– ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. |
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Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. |
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L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens. |
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Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, l’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsqu’il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée ci-dessus et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu’à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d’identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. Pour l’application du présent alinéa, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n’excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux mentionnés au même alinéa. |
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Dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral du département de la Guyane et une ligne tracée à vingt kilomètres en-deçà, et sur une ligne tracée à cinq kilomètres de part et d’autre, ainsi que sur la route nationale 2 sur le territoire de la commune de Régina, l’identité de toute personne peut être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi. |
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L’identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa du présent article, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi : |
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1° En Guadeloupe, dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà, ainsi que dans une zone d’un kilomètre de part et d’autre, d’une part, de la route nationale 1 sur le territoire des communes de Basse-Terre, Gourbeyre et Trois-Rivières et, d’autre part, de la route nationale 4 sur le territoire des communes du Gosier et de Sainte-Anne et Saint-François ; |
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2° À Mayotte, dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà ; |
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3° À Saint-Martin, dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà ; |
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4° À Saint-Barthélemy, dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà. |
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Article 3 | |
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Supprimé amendement CL3 | |
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Article 4 | |
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Supprimé amendement CL4 | |
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Article 5 | |
Code de la sécurité intérieure |
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Supprimé amendement CL5 |
Art. L. 315-1. – Le port des armes catégories A, B, ainsi que des armes de la catégorie D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État ou d’éléments essentiels des armes des catégories A et B ou de munitions correspondantes est interdit ainsi que leur transport sans motif légitime. |
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Les fonctionnaires et agents des administrations publiques exposés par leurs fonctions à des risques d’agression, ainsi que les personnels auxquels est confiée une mission de gardiennage et qui ont été préalablement agréés à cet effet par le représentant de l’État dans le département, ou, à Paris, par le préfet de police, peuvent être autorisés à s’armer pendant l’exercice de leurs fonctions, dans les conditions définies par décret en Conseil d’État. |
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Art. L. 315-2. – Conformément à l’article L. 2338-2 du code de la défense, les militaires de la gendarmerie nationale peuvent porter leurs armes dans les conditions définies par les règlements particuliers qui les concernent. |
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Code de la défense |
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Art. L. 2338-2. – Les militaires peuvent porter leurs armes dans les conditions définies par les règlements particuliers qui les concernent. |
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