N° 3510 - Avis de M. Yann Galut sur le projet de loi , après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (n°3473)




N
° 3510

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 février 2016.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473),

PAR M. Yann GALUT

Député.

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 3473, 3515.

SOMMAIRE

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Pages

I. LES ARTICLES 12 À 16 DU PROJET DE LOI 9

A. L’ACTION DE LA DOUANE DANS LA LUTTE INTERNATIONALE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME ET DU CRIME ORGANISÉ : DES POUVOIRS À RENFORCER 9

1. L’article 16 du projet de loi constitue une étape supplémentaire pour l’effectivité de l’article 415 du code des douanes 9

a. Le champ de l’article 415 et ses conséquences 9

b. Le nouvel article 415-1 proposé par le présent projet de loi : une mesure visant à renforcer l’effectivité des mesures prises sur la base du 415-1 10

i. La présomption de culpabilité en matière de blanchiment douanier : un outil juridique nécessaire à la lutte contre le crime organisé 10

ii. La dissimulation du bénéficiaire effectif des revenus absente du nouvel article 415-1 11

2. Le contrôle des transferts internationaux d’argent liquide, notamment à des fins de terrorisme : le rôle des douanes doit être affirmé et renforcé 12

a. La nécessité d’ajouter le financement du terrorisme comme infraction sous-jacente au blanchiment douanier : une mesure essentielle au vu de la dimension internationale du terrorisme 13

b. Étendre les pouvoirs d’enquête judiciaire du service national de douane judiciaire (SNDJ) 13

3. Abaisser le seuil de l’obligation déclarative lors de transferts d’argent en espèce : une disposition nécessaire qui se heurte à la réglementation européenne dans le cas de transferts extracommunautaires 14

4. Renforcer le contrôle des obligations déclaratives en cas de transferts en argent liquide 16

a. Le manquement aux obligations déclaratives : un système de sanction peu dissuasif 16

b. Les propositions du rapporteur pour avis afin de renforcer le contrôle des déclarations et le niveau de sanction en cas de manquement aux obligations 17

i. L’augmentation de la sanction financière 17

ii. Le renforcement des obligations en matière de justificatifs, notamment quand les sommes déclarées dépassent un certain montant. 18

B. LE CARACTÈRE MULTIFORME DU FINANCEMENT DES ORGANISATIONS TERRORISTES COMPLEXIFIE LES MOYENS D’ACTION 18

1. L’utilisation de nouveaux supports financiers : l’encadrement des cartes prépayées (article 13) 18

a. Limiter la capacité d’emport des cartes prépayées et assurer la traçabilité des opérations 19

i. Plafonner la valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique 19

ii. Réduire le caractère anonyme de l’utilisation des cartes prépayées 22

b. La question de l’encadrement des monnaies virtuelles 23

2. Le trafic d’œuvres d’art lié au financement du terrorisme : la création d’une nouvelle infraction (article 12) 25

C. LE RENFORCEMENT DES MOYENS D’ACTION DE TRACFIN 26

1. La formalisation des appels à vigilance (article 14) : un moyen pour renforcer les informations recueillies par Tracfin 27

2. L’extension du droit de communication de Tracfin (article 15) 28

3. Une sécurisation nécessaire dans la mise en œuvre des obligations de vigilance par les établissements bancaires 30

a. La détection de documents d’identité d’origine frauduleuse : une opération qui devrait être facilitée pour les établissements financiers soumis aux obligations LCB/FT 30

b. Le régime de responsabilité des organismes soumis aux obligations de vigilance : un volet à sécuriser 31

II. L’IMPORTANCE DES DISPOSITIONS D’HABILITATION 31

A. LA MISE EN CONFORMITÉ DU DROIT FRANÇAIS AU PAQUET EUROPÉEN « ANTI-BLANCHIMENT ET FINANCEMENT DU TERRORISME » 32

1. Le renforcement progressif des outils juridiques de lutte contre le blanchiment 32

a. Historique de la réglementation 32

b. La quatrième directive et le règlement sur l’information accompagnant les transferts de fonds du 20 mai 2015 34

i. L’adoption du quatrième paquet européen témoigne de l’engagement de la France dans ce domaine 34

ii. Le contenu du « paquet anti-blanchiment et financement du terrorisme » 35

2. Les modifications attendues du droit national 36

B. LES AUTRES MESURES LIÉES À LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME 37

1. L’extension à de nouvelles professions des obligations liées à la LCB-FT 38

2. Le renforcement des organismes intervenant dans la lutte contre le blanchiment 39

3. L’adaptation des mesures relatives au gel des avoirs 40

a. Le mécanisme actuel de gels des avoirs terroristes 40

b. Vers l’élargissement du champ des mesures de gel 41

C. LA POURSUITE DES TRAVAUX AU PLAN NATIONAL ET INTERNATIONAL 42

EXAMEN EN COMMISSION 45

LISTES DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 65

INTRODUCTION

La commission s’est saisie pour avis du chapitre IV du titre Ier, ainsi que du chapitre II du titre III du projet de loi visant à renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et à améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Le chapitre IV du titre Ier comporte cinq articles :

– l’article 12 créé une nouvelle infraction au sein du code pénal, réprimant le trafic de biens culturels émanant de zones d’action de groupes terroristes. Cette disposition, éminemment nécessaire au vu des récents événements, reste la plus éloignée de la matière financière qui intéresse notre commission ;

– l’article 13 est fondamental. Il vise à plafonner le montant rechargeable en monnaie électronique sur des supports dits « cartes prépayées », et à imposer le recueil d’informations relatives à leur utilisation. La volonté du Gouvernement est bien de lutter contre les cartes qui sont anonymes et non traçables, afin de lutter contre leur utilisation à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme ;

– l’article 14 prévoit une nouvelle modalité d’action pour la cellule de renseignement financier en charge du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, dite Tracfin. Il lui est désormais possible de signaler aux professionnels assujettis au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme des situations générales, comme une zone géographique, ou individuelle, comme une personne physique ou morale, afin qu’elles fassent l’objet d’une attention particulière ;

– l’article 15 concerne également les moyens d’action de Tracfin. Il étend le droit de communication les gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait, qui doivent désormais lui transmettre les informations et pièces demandées ;

– l’article 16 étend, en matière de blanchiment douanier, un mécanisme qui existe d’ores et déjà pour le délit général de blanchiment prévu au code pénal. Il s’agit de la possibilité de procéder un renversement de la charge de la preuve, dès lors qu’il est avéré que l’objectif premier de l’opération douanière est la dissimulation de l’origine des fonds.

Le chapitre II du titre III ne comporte qu’un article, l’article 33, dont seul le I intéresse notre commission.

Les 1° et 3° du I autorisent le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance afin de transposer en droit interne la directive européenne du 20 mai 2015 – dite quatrième directive anti-blanchiment – ainsi qu’à adapter la législation au règlement européen portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds.

La France ayant toujours privilégié une transposition maximale des instruments européens, notre droit est déjà largement en conformité avec les prescriptions du quatrième paquet anti-blanchiment. Quelques modifications seront toutefois nécessaires, qui permettront d’améliorer nos outils de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Enfin, les autres dispositions du I de l’article 33 visent à permettre au Gouvernement de prendre d’autres mesures liées à la lutte contre le financement du terrorisme, sans que celles-ci soient directement liées à la transposition du paquet européen.

Le présent projet de loi s’inscrit dans un contexte de renforcement progressif et continu des outils juridiques de lutte contre le financement du terrorisme, aussi bien à l’échelon national qu’à l’échelon européen.

L’article 16 du présent projet de loi crée un nouvel article 415-1 qui précise l’application de l’article 415 du code des douanes, afin d’en faciliter le recours.

L’article 415 du code des douanes sur les délits douaniers de deuxième classe dispose que « seront punis d’un emprisonnement de deux à dix ans, de la confiscation des sommes en infraction ou d’une somme en tenant lieu lorsque la saisie n’a pas pu être prononcée, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction et d’une amende comprise entre une et cinq fois la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et l’étranger portant sur des fonds qu’ils savaient provenir, directement ou indirectement, d’un délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants ».

Le délit douanier est la plus grave des infractions douanières. Il existe un délit douanier de première classe (article 414 du code des douanes) et un délit douanier de deuxième classe (article 415 du code des douanes), qui relèvent tous deux de la compétence du tribunal correctionnel. Les autres infractions douanières sont constituées de contraventions, réparties en cinq classes.

L’article 415 précité se présente comme la base juridique des mesures coercitives visant à lutter contre le blanchiment douanier. En réalité, la rédaction de l’article ne recouvre pas le champ du blanchiment comme définit à l’article 324-1 du code pénal : « le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. »

Dans le cadre de l’article 415, la notion de dissimulation est absente, au bénéfice de celle d’une connaissance coupable d’un délit douanier ou d’une infraction en matière de stupéfiants (par exemple contrebande de marchandises prohibées, produits du tabac, contrefaçons, vente de stupéfiants…) à l’origine des fonds.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 415 permet au service des douanes de procéder à la confiscation des sommes en cause et à la mise en rétention douanière de la personne contrôlée dès lors qu’un faisceau d’indices permet de démontrer une opération financière, ou une tentative d’opération financière entre la France et l’étranger, visant à transférer les produits ou revenus provenant, directement ou indirectement, d’une infraction douanière ou du trafic de stupéfiant.

En dehors de ces deux cas, et donc en présence de crime ou délit relevant du droit pénal, l’administration des douanes ne peut faire usage des moyens coercitifs prévus par l’article 415 du code des douanes. Ils transmettent alors les informations aux forces judiciaires, sous couvert de l’article 40 du code de procédure pénale.

Afin de faciliter l’application de l’article 415 dans les cas prévus par la loi, l’article 16 du présent projet de loi propose de procéder à un assouplissement de la charge de la preuve, constituant ainsi une dérogation encadrée au principe de la présomption d’innocence. Ce dispositif est prévu dans un nouvel article 415-1 du code des douanes, ainsi rédigé : « Pour l’application de l’article 415, les fonds sont présumés être le produit direct ou indirect d’un délit prévu au présent code ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds ont une telle origine. »

Le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment est une évolution cohérente, en lien avec l’article 324-1-1 du code pénal, créé par l’article 8 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ce dernier n’est pas issu du projet de loi déposé par le Gouvernement, mais d’un amendement du rapporteur pour avis de la présente loi, alors rapporteur au fond au nom de la commission des lois.

La logique prévalant dans ces deux articles est identique. Tandis que l’article 324-1 du code pénal définit les faits constitutifs du blanchiment (1), l’article 324-1-1 prévoit que « pour l’application de l’article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».

La détermination de cette condition est de première importance, car elle constitue le fondement de la dérogation au principe constitutionnel de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, et par le 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’État, dans son avis du 28 janvier 2016 (2), confirme le caractère constitutionnel de cette présomption de culpabilité, notamment fondée sur le fait qu’elle ne revêt pas en elle-même un caractère irréfragable. Par ailleurs, cette disposition sera mise en œuvre sous le contrôle du juge pénal.

Cette mesure a été accueillie favorablement par l’administration des douanes, car elle incarne une montée en charge de l’application de l’article 415 et de ce fait, une intensification de la lutte contre les transferts liés à des délits douaniers et au trafic de stupéfiants. En effet, le faisceau d’indices devant être recueilli afin d’entrer dans le champ de l’article 415 sera logiquement moins exigeant en cas de renversement de la charge de la preuve, dès lors que la volonté de dissimulation de l’origine des fonds sera démontrée.

Comme évoqué précédemment, la rédaction du nouvel article 415-1 créé par le présent projet de loi s’inspire largement de celle de l’article 324-1-1 du code pénal relatif au renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment pénal.

Tandis que l’article 324-1 du code pénal définit les faits constitutifs du blanchiment, l’article 324-1-1 stipule que « pour l’application de l’article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ». La condition préalable requise afin d’assouplir, en matière douanière, la charge de la preuve des infractions entrant dans le champ de l’article 415 (relatif au blanchiment douanier) est similaire à celle du blanchiment pénal : il s’agit de la composante intentionnelle de dissimulation du caractère illicite de l’opération. Dans les deux cas, « les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération » doivent démontrer que l’objectif poursuivi par la personne interpellée est la dissimulation de l’origine frauduleuse des fonds.

Cependant, s’agissant du blanchiment pénal, s’ajoute la dissimulation du « bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ». Ce cas de figure n’a pas été retenu dans le cas du blanchiment douanier, et constitue en cela une restriction du champ où pourrait s’appliquer le renversement de la charge de la preuve.

Cela s’explique par le fait qu’en matière douanière, et contrairement au champ du blanchiment qualifié par l’article 324-1 du code pénal, les actions de placement, de dissimulation ou de conversion ne sont pas des actes entrant dans la définition du délit. L’élément matériel repose exclusivement sur l’existence d’une opération financière avec l’étranger réalisée par voie d’importation, d’exportation, de transfert ou de compensation.

Par conséquent, l’administration des douanes considère qu’il est suffisant, pour mener à bien ses enquêtes, de faire porter la présomption d’origine illicite des sommes uniquement sur la volonté de dissimuler une telle origine, sans besoin de faire entrer en jeu des actes de dissimulation du destinataire réel des sommes.

Le rapporteur pour avis partage ce point de vue, conforme à l’état du droit. Cependant, il appelle de ses vœux une évolution du champ de l’article 415 afin de l’étendre aux transferts financiers en lien avec le financement du terrorisme.

Cette évolution, cohérente avec l’esprit du texte et les objectifs de sécurité nationale, amènerait logiquement, si elle était votée, à inclure la dissimulation du bénéficiaire dans le champ du faisceau d’indices retenus en cas de blanchiment douanier.

Lors des auditions menées par le rapporteur pour avis, il a été démontré que les transferts financiers, et notamment ceux qui alimentent le terrorisme, s’effectuent en grande majorité sous forme d’argent liquide. Ces sommes transférées peuvent atteindre des centaines de milliers d’euros. À titre indicatif, le montant des sommes en argent liquide déclarées au service des douanes françaises en un an atteint d’ores et déjà 2 milliards d’euros. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène marginal. Parallèlement, seuls 96 millions d’euros ont fait l’objet d’une saisie par les services de la douane, soit moins de 5 % des sommes déclarées.

Face à ce constat, les outils juridiques et procéduraux mis à disposition des services des douanes semblent à ce jour insuffisant. Ces derniers représentent cependant les seuls acteurs ayant compétence pour contrôler les flux financiers internationaux en espèce.

C’est pourquoi le rapporteur pour avis propose plusieurs pistes d’amélioration, respectueuses des droits de la défense et des libertés, mais permettant de renforcer la lutte contre le financement du terrorisme.

Comme évoqué précédemment, le champ de l’article 415 est réduit. Il ne s’agit pas d’une infraction autonome, mais du résultat d’une ou plusieurs infractions sous-jacentes, à savoir une infraction au code des douanes ou en lien avec le trafic de stupéfiant.

En sont donc exclus l’ensemble des autres crimes et délits qui pourraient aboutir à un transfert de fonds, en liquide, de la France vers un pays étranger.

Le rapporteur pour avis souhaite que les services des douanes puissent être associés plus étroitement à la lutte contre le financement du terrorisme, leur rôle de police des frontières devant être mis au service de la lutte contre les flux financiers internationaux à destination des réseaux terroristes. Il serait dommageable que la sécurité nationale se prive de cet outil policier. C’est pourquoi il propose d’ajouter l’infraction prévue à l’article 421-2-2 du code pénal (3) relative au financement du terrorisme comme infraction sous-jacente au blanchiment douanier.

Cette modification aurait pour conséquence d’étendre les compétences de la douane administrative comme judiciaire en matière d’infraction de blanchiment.

La compétence d’attribution des officiers de douane judiciaire prévue à l’article 28-1 du code de procédure pénale limite leur champ de compétence dans la lutte contre le financement du terrorisme, quand celle-ci provient d’infractions douanières.

Certains aspects de la délinquance douanière sont largement méconnus. Celle-ci permet à des personnes proches des mouvances islamistes radicales de se financer sans attirer l’attention des services de police spécialisés. Ainsi les frères Kouachi étaient connus pour contrefaçon, et leur complice, Amedy Coulibaly, se livrait au trafic de cigarettes. À l’heure actuelle, le trafic de tabac à narguilé est un moyen utilisé par les islamistes radicaux pour se financer en France.

Un rapport de l’Union des fabricants (UNIFAB) remis au Premier ministre en janvier 2016 confirme la présence des groupes terroristes islamistes dans l’industrie de la contrefaçon. Par la constatation de manquements à l’obligation déclarative, de nombreuses saisies d’espèces ont été réalisées par les services des douanes auprès de personnes suspectées de soutenir les mouvements islamistes. L’ensemble de ces affaires est susceptible de donner lieu à une judiciarisation des suites douanières par le service national de douane judiciaire.

Pour que ces enquêtes puissent être menées, le champ de compétence du service national de douane judiciaire (SNDJ) doit être élargi à l’infraction de financement du terrorisme prévu à l’article 421-2-2 du code pénal. Deux amendements seront déposés par le rapporteur pour avis afin de procéder à cette extension du champ de l’article 28-1 du code de procédure pénale. Le premier proposera d’intégrer la lutte contre le financement du terrorisme dans les compétences permanentes et autonomes du SNDJ en matière d’enquête judiciaire. Le second, appréhendé comme un amendement de repli, proposera d’aligner l’intervention du SNDJ en matière de financement du terrorisme sur le régime réservé au trafic de stupéfiants. Dans cette configuration, les enquêtes font l’objet d’unité temporaire et mixte, puisque composées d’officiers de police judiciaire.

Le rapporteur pour avis regrette cette relative impuissance de la douane administrative et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme, car elle n’est pas adaptée au monde d’aujourd’hui et à l’évolution de la menace. L’Europe et la mondialisation ont fait tomber les frontières, mais parallèlement le terrorisme est devenu une entreprise internationale. En temps voulu, face au développement international du trafic de stupéfiants, le législateur n’a pas hésité à l’inclure dans le champ de compétence des douanes. Il ne faut pas hésiter aujourd’hui à faire de même pour le financement du terrorisme. Les transferts financiers transfrontaliers, notamment en liquide, relèvent de la compétence des douanes, et représentent un instrument puissant de financement du terrorisme. Il serait donc dommage de se priver d’une partie de nos forces, par incapacité à décloisonner les compétences, sur des sujets qui relèvent de la sécurité nationale et internationale. Il s’agit cependant d’un sujet sensible, notamment pour la police judiciaire, et qui implique parallèlement un changement de paradigme pour la douane.

L’obligation déclarative est visée à l’article L.152-1 du code monétaire et financier et concerne « les personnes physiques qui transfèrent vers un État membre de l’Union européenne ou en provenance d’un État membre de l’Union européenne des sommes, titres ou valeurs […] ou de l’or, sans l’intermédiaire d’un établissement de crédit, d’un établissement de monnaie électronique, d’un établissement de paiement ou d’un organisme ou service mentionné à l’article L. 518-1 ». Cette obligation déclarative, qui intègre donc les transferts d’argent liquide, est cependant soumise à un seuil, qui s’élève à 10 000 euros.

Le système français de surveillance des flux physiques de capitaux est encadré au niveau communautaire et au niveau national :

 le volet européen est fondé sur le règlement (CE) n° 1889/2005 du 26 octobre 2005 du Parlement européen et du Conseil, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté européenne, applicable aux transferts d’argent liquide en provenance ou à destination d’États tiers à l’Union européenne (transferts extracommunautaires). Le seuil de 10 000 euros minimum est imposé à l’ensemble des États membres à l’article 10 du règlement précité : « toute personne physique entrant ou sortant de la Communauté avec au moins 10 000 euros en argent liquide déclare la somme transportée aux autorités compétentes de l’État membre par lequel elle entre ou sort de la Communauté, conformément au présent règlement. L’obligation de déclaration n’est pas réputée exécutée si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes » (4;

 le volet national est fondé sur l’article L. 152-1 du code monétaire et financier concernant les modalités d’application, mais est codifié à l’article 464 du code des douanes, qui vise exclusivement les transferts intracommunautaires d’argent liquide. Ce volet relevant de la compétence de chaque État membre, le seuil déclaratif peut être abaissé.

Au regard du développement du micro-financement des groupes terroristes tel que décrit par les syndicats des douanes, le rapporteur pour avis juge qu’il serait utile d’abaisser ce seuil de moitié, afin de le ramener à 5 000 euros. Il déposera un amendement dans ce sens, afin de sensibiliser le Gouvernement à cette nouvelle réalité engendrée par les pratiques à l’œuvre dans les réseaux terroristes.

Cette modification de l’article 464 du code des douanes permettrait en effet une visibilité plus affinée des transferts d’argent liquide, sans pour autant engorger les services en charge du contrôle. Cela implique néanmoins une décorrélation d’avec le seuil déclaratif relatif aux échanges extracommunautaires, fixé à l’article L. 152-1 du code monétaire et financier. Comme évoqué précédemment, ce dernier ne peut être abaissé en deçà de 10 000 euros afin de demeurer en conformité avec les dispositions européennes. La mise en cohérence des seuils déclaratifs serait cependant souhaitable, tant pour la compréhension des assujettis, que pour l’efficacité du contrôle.

C’est pourquoi le rapporteur pour avis appelle de ses vœux une évolution de la réglementation européenne sur ce sujet stratégique, qui participe à la lutte contre le financement du terrorisme. Le 2 février 2016, la Commission européenne a présenté un plan d’action destiné à renforcer la lutte contre le financement du terrorisme. Dans le cadre du volet consacré au contrôle des flux financiers, un abaissement du seuil prévu à l’article 10 du règlement du 26 octobre 2005 constituerait une avancée majeure en matière de transferts d’argent liquide.

Cette mesure serait par ailleurs cohérente avec la décision du Gouvernement d’encadrer l’utilisation des espèces sur le territoire national en abaissant le plafond de paiement en liquide de 3 000 à 1 000 euros.

En cas de non-respect de l’obligation déclarative mentionnée précédemment en matière de transferts extra-communautaires, seule une sanction financière, qui plus est peu désincitative, est prévue à l’article L. 152-4 du code monétaire et financier et codifiée à l’article 465 du code des douanes. En effet, cet article dispose que « la méconnaissance des obligations déclaratives énoncées à l’article L. 152-1 et dans le règlement (CE) n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté est punie d’une amende égale au quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction ».

Le manquement aux obligations déclaratives (MOD) ne constitue donc pas d’un délit, mais une contravention douanière. Ce choix a des conséquences sur les moyens d’action des services de la douane en cas de constatation d’un manquement aux obligations déclaratives.

En l’état du droit, les services des douanes peuvent procéder à la consignation de la totalité des sommes pendant une durée de six mois, renouvelable sur autorisation du procureur de la République (5). Mais contrairement aux constats de délit douanier, ils ne peuvent procéder à une retenue douanière. Cette procédure de détention provisoire, prévue aux articles 323-1 (6) à 323-10 du code des douanes et d’une durée de 24 heures maximum, renouvelable une fois sur décision du procureur, n’est prévue « qu’en cas de flagrant délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement et lorsque cette mesure est justifiée par les nécessités de l’enquête douanière », selon l’article 323-1 du code des douanes.

En sus de la retenue douanière, une saisie des sommes n’ayant pas été déclarée n’est autorisée que si, à l’issue de l’enquête, il est établi que la personne ayant manqué à son obligation déclarative est également présumée avoir commis une ou plusieurs infractions douanières de type délictuel (7).

En l’état du droit, une sanction dont le quantum maximum s’élève à 25 % de la somme non déclarée n’est pas suffisante pour sanctionner les délits constatés ou dissuader de les commettre. Ainsi, lorsque la qualification de blanchiment n’a pu être rapportée − permettant au titre de l’article 415 du code des douanes la saisie de la totalité des sommes − et que seuls des indices d’infraction existent, les services des douanes se voient dans l’obligation de restituer les trois quarts de la somme. Lors des auditions, des situations rencontrées par des agents des douanes ont été relatées et démontrent les lacunes du système actuel. Ainsi, le service des douanes a dû restituer les sommes consignées, diminuées de l’amende, alors que la personne contrôlée faisait l’objet d’une fiche S et d’un mandat d’arrêt international.

Le rapporteur pour avis propose de faire évoluer le manquement aux obligations déclaratives afin de le rendre davantage dissuasif, sans pour autant en faire une infraction délictuelle autonome.

Ses propositions respectent par ailleurs le cadre fixé par le règlement n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005, dont l’article 3 mentionne que « chaque État membre introduit des sanctions applicables en cas de non-exécution de l’obligation de déclaration prévue à l’article 3. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».

Tout en restant proportionnées, les évolutions suivantes permettraient de renforcer le caractère dissuasif du manquement à l’obligation déclarative et de renforcer le contrôle afférent à cette obligation.

Elle pourrait s’élever a minima à 50 % du montant des sommes non déclarées, ou au-delà, à la totalité de la somme non déclarée. Il est à noter que, même dans la seconde hypothèse, la modulation de la peine d’amende est possible en fonction des circonstances : il s’agit d’une sanction maximale, et non systématique. Elle permettrait cependant aux services des douanes de réagir de manière autonome et rapide quand la situation le justifie, sans qu’une saisie judiciaire soit nécessaire.

À cette fin, le rapporteur pour avis propose tout d’abord d’inscrire dans le corps de l’article L. 152-1 du code monétaire et financier que la personne déclarante doit fournir des informations correctes et complètes. À défaut, l’obligation de déclaration ne serait pas valide. Cette précision n’est autre que la reprise des dispositions figurant à l’article 3 du règlement européen n° 1889/2005 précité (8), qui n’ont pas fait l’objet d’une transposition précise dans la législation française.

L’article L. 152-1 précité pourrait également être complété par une mesure renforçant le contrôle relatif aux pièces justificatives venant à l’appui de la déclaration, notamment pour les transferts excédant la somme de 50 000 euros. En l’absence de ces éléments exigibles qui pourraient corroborer les déclarations du porteur des sommes, l’obligation déclarative serait réputée incomplète, et donc invalide. La liste des justificatifs exigibles serait fixée par décret.

L’intérêt fondamental de cette disposition est de faciliter la création d’un faisceau d’indices permettant, surtout lorsque la somme a été déclarée, de présumer le blanchiment ou la participation au financement du terrorisme par exemple, les sommes pouvant alors faire l’objet d’une confiscation.

L’article 13 du présent projet de loi insère, au sein d’un chapitre du code monétaire et financier consacré à l’émission et à la gestion de la monnaie électronique, une section intitulée « Plafonnement », comportant un nouvel article L. 315-9.

Le code monétaire et financier définit la monnaie électronique comme « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement […] » (9).

Il convient de ne pas confondre la monnaie électronique, qui conserve un lien avec les monnaies traditionnelles puisqu’elle est exprimée dans la même unité de compte (euros, couronnes, dollars, etc.) et qu’elle est acceptée par d’autres personnes que l’émetteur, avec la monnaie virtuelle (« bitcoin », « candycrush », « facebookcredits », etc.). La monnaie virtuelle est traditionnellement appréhendée comme une unité de compte stockée sur un support électronique, créée, non pas par un État, ou une union monétaire, mais par un groupe de personnes (physiques ou morales) et destinée à comptabiliser les échanges multilatéraux de biens ou de services au sein de ce groupe (10).

Le nouvel article L. 315-9 du code monétaire et financier permettra deux avancées significatives en matière de lutte contre l’utilisation des cartes prépayées à des fins illicites.

Selon les informations agrégées de la Banque de France sur l’ensemble des opérateurs agréés en France en 2014, la monnaie électronique émise représente 111,3 millions de transactions pour un volume de 973,2 millions d’euros, et la monnaie électronique perçue représente 50,5 millions de transactions et 398,48 millions d’euros.

La monnaie électronique alimentée par un compte bancaire a représenté quant à elle 2,96 millions de transactions pour 59,1 millions d’euros en 2014.

Il est à noter que l’ensemble des moyens de paiement (cartes, chèques, virements, prélèvements, monnaie électronique, effets de commerce) a représenté 19 milliards de transactions pour 28 505 milliards d’euros.

L’article 13 du projet de loi fournit une accroche législative au plafonnement, par décret, « de la valeur monétaire maximale » qui pourra être chargée sur une carte prépayée.

Ce plafond sera déterminé par décret, poursuit l’article, « en tenant compte des caractéristiques du produit et des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme que celui-ci présente ».

Cette précision a été insérée suite aux remarques formulées par le Conseil d’État dans son avis sur le présent projet de loi, visant à encadrer l’habilitation donnée au pouvoir réglementaire.

Selon les informations transmises au rapporteur pour avis, le plafond pourrait être fixé à 10 000 euros, voire en deçà. Ce montant correspond à la limite au-delà de laquelle toute personne physique entrant ou sortant de France doit déclarer la somme transportée aux autorités douanières (11). En effet, l’idée sous-jacente au plafond maximal d’emport des cartes prépayées, outre qu’elle vise sur le principe à éviter que des supports physiques de petite taille et faciles à dissimuler contiennent des montants importants non liés à un compte bancaire comme une carte de crédit, concerne le franchissement des frontières. Dès lors que ni les services de police, ni les autorités douanières ne sont équipés pour contrôler la somme d’argent que contient une carte prépayée, il importe d’autant plus que le montant ne soit pas trop élevé et ne dépasse pas le montant de 10 000 euros applicable aux déclarations aux frontières dans le cas des transferts d’argent liquide.

Le Gouvernement étudie actuellement les montants transportés habituellement via des cartes prépayées pour déterminer un plafond approprié pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme en évitant des effets par trop contraignants pour le secteur de la monnaie électronique.

Cependant, le rapporteur pour avis estime que l’efficacité du dispositif pourrait être grandement limitée par la possibilité d’acquérir une carte prépayée grâce à un opérateur étranger, non soumis à la réglementation française.

Ainsi, en lien avec le Gouvernement, le rapporteur pour avis travaille sur une disposition prévoyant l’application de l’article 13 à l’ensemble des cartes prépayées circulant sur le territoire national, ce qui pourrait clarifier l’application territoriale de la mesure à l’ensemble des opérateurs étrangers et lui donner le caractère d’une loi de police.

Avec ce même souhait de renforcer le dispositif prévu par le Gouvernement, le rapporteur pour avis proposera un ajout à l’article 13, afin de différencier les plafonds de rechargement en fonction des modes choisis par la personne. L’idée est bien de limiter le montant maximal de rechargement en espèces, ou en par tout autre moyen anonyme, d’une carte prépayée. Ce montant, qui serait fixé par décret, pourrait opportunément correspondre au plafond général de paiement en liquide prévu par l’article L. 112-6 du code monétaire et financier qui est de 1 000 euros (12).

Comparaisons internationales

Royaume-Uni

Il s’agit du pays qui émet le plus de monnaie électronique. L’activité est réglementée en vertu des « Electronic Money Regulations » de 2011, qui sont la transposition de la directive européenne monnaie électronique de septembre 2009. Les sociétés proposant des cartes prépayées doivent être préalablement autorisées par le Financial Conduct Authority-FCA.

Il n’existe pas de montant maximum légal, mais le maximum proposé est d’environ 4 000 £ par carte, une limite est généralement appliquée pour l’ensemble des cartes d’un foyer. Elles servent aussi bien pour des paiements que pour les retraits, mais sont soumises à des plafonds notamment pour les retraits en liquide.

Allemagne

Généralement les cartes prépayées sont adossées à un compte bancaire et donc nécessitent l’ouverture d’un compte. Leur plafond est en général de 2 000 euros. Les justificatifs d’identité et le contrôle des données personnelles varient en fonction des prestataires de services.

Espagne

Les cartes prépayées ne sont pas adossées systématiquement à un compte. Elles ne sont pas anonymes puisque leur achat est conditionné à la présentation d’un document d’identité. Il faut être âgé de plus de 18 ans et disposer d’un téléphone mobile pour l’activation des cartes.

Les plafonds sont différents selon les banques ou les organismes qui les distribuent ; elles peuvent être chargées en général jusqu’à 2 500 euros par an. Elles servent tant pour les retraits que pour les paiements.

Italie

Les cartes prépayées sont très utilisées en Italie ; elles peuvent être nominatives et dans ce cas rattachées à un compte courant. Elles ne permettent pas de procéder à des retraits d’argents auprès de distributeurs et leur montant est plafonné à 2 500 euros sur douze mois.

Pays-Bas

Les cartes ne sont pas nécessairement adossées à un compte bancaire mais les clients doivent justifier d’une pièce d’identité pour en disposer. Les plafonds sont différents selon les sociétés émettrices. Elles servent pour les retraits comme les paiements.

États-Unis

Les cartes prépayées sont délivrées par les institutions financières mais peuvent être commercialisées ailleurs ; elles peuvent être anonymes. Les plafonds varient selon les institutions financières.

L’article 13 renvoie à un arrêté du ministre chargé de l’économie le soin de déterminer les informations que les établissements bancaires et les établissements de monnaie électronique devront désormais recueillir et conserver afin d’améliorer la traçabilité des opérations et des individus, et de lutter contre l’anonymat de ces moyens de paiement.

Le dixième alinéa de l’article 13 prévoit en effet que les organismes financiers devront recueillir « les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique ».

Selon les données transmises par le Gouvernement au rapporteur pour avis, il s’agira des éléments d’« informations et des données techniques » utilisées lors de l’achat, de l’activation, du chargement et à tous les stades d’utilisation de la monnaie électronique comme par exemple l’adresse e-mail ou du numéro de téléphone ayant servi à activer la carte. Ces données devront être conservées par les émetteurs pour une meilleure traçabilité des transactions, Tracfin étant habilité à exercer son droit de communication vis-à-vis d’eux.

Afin de préciser la rédaction, et sans préjudice de ce que pourra contenir l’arrêté précité, le rapporteur pour avis déposera un amendement d’ordre rédactionnel afin de s’assurer que seules les informations nécessaires à l’activation ou à l’utilisation de la carte seront conservées.

Il convient de rappeler que, d’ores et déjà, la réglementation européenne impose des mesures d’identification de leurs clients lorsque le montant chargé sur les instruments excède certains seuils – actuellement 250 euros pour les instruments non rechargeables. Ces règles sont codifiées à l’article R. 561-16 du code monétaire et financier.

L’article 13 du présent projet de loi s’inscrit pleinement dans les travaux en cours au niveau européen. En effet, la directive n° 2015/849 adoptée le 20 mai 2015 et qui sera transposée via les habilitations de l’article 33 du présent projet de loi prévoit d’abaisser les seuils en deçà desquels il est possible de ne pas exiger d’identification du client (cf. infra III).

En outre, les attentats du 13 novembre ont permis une prise de conscience sur les risques présentés par ces supports électroniques. Des cartes prépayées ont en effet été retrouvées lors des perquisitions des services de police judiciaire sur les lieux de cache d’individus mis en cause. Suite à ces découvertes, la France a transmis une note à Bruxelles le 2 décembre dernier, pour inciter les autorités européennes aller encore plus loin dans la réglementation de la circulation de fonds en marge du système bancaire. Il s’agit de permettre aux autorités de mieux tracer les flux financiers pour prévenir des attentats dévastateurs.

Le 2 février 2016, la Commission européenne a présenté un plan d’action ambitieux mais nécessaire afin de réagir « vigoureusement et rapidement » aux défis actuels. Entre autres mesures, la Commission souhaite s’attaquer aux risques liés aux instruments prépayés anonymes en proposant d’abaisser les seuils en dessous desquels une identification n’est pas requise et d’élargir les exigences relatives à la vérification de l’identité des clients.

Enfin, la mesure de réglementation des cartes prépayées impose de s’interroger sur la question de l’encadrement des monnaies virtuelles.

Il est indispensable de mener dès à présent une réflexion approfondie sur l’encadrement des monnaies virtuelles, qui permettent d’aboutir rapidement à des dispositifs opérants sur le plan juridique.

De nombreux rapports et études ont d’ores et déjà été publiés au plan national sur le sujet. Citons par exemple :

– le rapport annuel d’analyse et d’activité 2013 de Tracfin ;

– le focus consacré par la Banque de France aux dangers de développement du bitcoin en décembre 2013 (13) ;

– le rapport du groupe de travail « monnaies virtuelles », mis en place par Tracfin en décembre 2013 (14).

– le rapport d’information de la commission des finances du Sénat de juillet 2014 (15) ;

L’Union européenne n’est pas non plus insensible à cette problématique. Elle propose en effet dans son plan d’action du 2 février « d’inclure les plateformes de change de monnaies virtuelles dans le champ d’application de la directive anti-blanchiment, de manière à ce que ces plateformes doivent appliquer des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle lors de l’échange de monnaies virtuelles contre des monnaies réelles, ce qui mettra fin à l’anonymat associé à ce type d’échange ».

Cependant, les avis sont très partagés sur la question des monnaies virtuelles, ce qui explique probablement l’absence pour l’heure de projet de réglementation précise. Ainsi, le rapport d’information du Sénat affichait une relative bienveillance à l’égard de ces innovations monétaires. Outre des frais de transaction quasi nuls, Philippe Marini et François Marc soulignent le fait que « le bitcoin offre une très grande sécurité des transactions : celles-ci sont cryptées et validées par un grand nombre d’ordinateurs, de manière décentralisée, sans passer par un système “central” par définition plus vulnérable ».

Conclusions et recommandations de la commission des finances du Sénat

Rapport d’information sur les enjeux liés au développement du bitcoin et des autres monnaies virtuelles – juillet 2014

1. Le développement des monnaies virtuelles, et notamment du bitcoin, représente un phénomène de long terme, qui pose d’importantes questions économiques et juridiques, et qui ne saurait être ignoré des pouvoirs publics.

2. En dépit de risques clairement identifiés tenant à sa volatilité, à son anonymat et à son absence de garantie légale, le bitcoin est porteur de multiples opportunités pour l’avenir, en tant que moyen de paiement mais surtout en tant que technologie de validation décentralisée des informations.

3. Les pouvoirs publics doivent donc travailler à la mise en place d’unencadrement juridique équilibré, afin d’empêcher les dérives sans compromettre la capacité d’innovation. À cet égard, le recours aux catégories juridiques de droit commun apparaît pour l’instant la solution la plus raisonnable, à la fois pour qualifier les monnaies virtuelles et les services qui leur sont associés.

4. Les comparaisons internationales réalisées par la direction générale du Trésor à la demande des rapporteurs montrent que la France se situe à mi-chemin entre les pays qui ont adopté les règles les plus strictes – tels que la Chine, le Japon ou la Russie – et les pays les plus ouverts – tels que les États-Unis, le Canada ou Israël.

5. La clarification du régime applicable aux monnaies virtuelles devra nécessairement se faire à l’échelle européenne, et si possible mondiale, compte tenu du caractère transnational des monnaies virtuelles.

De nombreux experts soulignent régulièrement le fait que les transactions en monnaies virtuelles sont moins coûteuses, plus rapides, plus sécurisées et plus transparentes pour les utilisateurs.

Cependant, le rapporteur pour avis estime que la solution privilégiée par la plupart des autorités internationales, qui est d’alerter sur les risques encourus et sur le caractère non régulé des transactions, de manière que les personnes qui y recourent le fassent « à leurs risques et périls », n’est pas suffisante.

Selon les informations transmises au rapporteur pour avis, s’agissant des cartes prépayées, comme d’autres types de monnaie électronique associées ou non à un support physique, un décret est en cours de rédaction tendant à limiter substantiellement l’anonymat de la monnaie électronique en renforçant les mesures de vigilances requises en matières de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme (dont la prise d’identité du client) applicables aux établissements émettant de la monnaie électronique.

S’agissant des monnaies virtuelles, il est envisagé de soumettre les plateformes de conversion monnaies virtuelles/monnaies cours légal à la réglementation relative à la lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme qui imposera à ces plateformes en particulier d’identifier le client et l’origine des fonds, ce qui permettra de lever l’opacité des transactions en monnaies virtuelles dès lors qu’elles interfèrent avec la sphère monétaire réglementée (16).

À l’instar des dernières propositions de la commission européenne dans son plan d’action, le rapporteur pour avis souhaite ainsi que la France joue un rôle de premier plan dans l’élaboration d’une réglementation permettant aux monnaies virtuelles de se développer dans un cadre légal et sécurisé.

L’article 12 du projet de loi crée une nouvelle infraction pénale réprimant le fait d’importer, d’exporter, de faire transiter, de détenir et de détenir, de vendre, d’acquérir ou d’échanger un bien culturel présentant un intérêt archéologique, artistique, historique, ou scientifique, en sachant qu’il provient d’une zone où agissent les groupements terroristes.

Face au constat que le trafic de biens culturels constitue désormais une source substantielle de financement du terrorisme, le Gouvernement a fait le choix de réagir en sanctionnant la participation intentionnelle à ce trafic. Certaines sources journalistiques évoquent le chiffre de 100 millions de dollars par an issus de ce commerce au bénéfice de l’organisation « État islamique » (17).

La rédaction de ce nouvel article 421-2-6 du code pénal est largement inspirée de celle de l’article L. 111-9 du code du patrimoine, voté à l’Assemblée nationale en première lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 2954), bientôt en discussion au Sénat. En effet, cet article énonce « qu’il est interdit d’importer, d’exporter, de faire transiter, de vendre, d’acquérir et d’échanger des biens culturels présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique lorsqu’ils ont quitté illicitement le territoire d’un État dans les conditions fixées par une résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies adoptée en ce sens ».

La nouvelle infraction proposée par le présent de projet de loi est quant à elle insérée dans la partie du code pénal relative au terrorisme afin d’indiquer clairement le lien qui doit exister entre le financement de ces activités criminelles et la vente des biens culturels. Le rapporteur pour avis alerte cependant sur le fait qu’une exemption à cette infraction doit être prévue, afin de ne pas pénaliser les personnes physiques ou morales qui seraient amenées à conserver ces œuvres à des fins de protection, en accord avec les autorités publiques françaises.

Bien que cet article n’entre pas de manière évidente dans un champ financier pouvant relever de la commission des finances, le rapporteur pour avis se félicite de cette mesure. Il tient cependant à souligner que, dans ce domaine, la pleine efficacité des dispositifs ne peut être assurée sans une mobilisation coordonnée au niveau européen, voire international.

Par ailleurs, le trafic d’œuvres d’art ne constitue que l’une des sources de financement du terrorisme. Le rapporteur pour avis juge nécessaire qu’une réflexion plus large soit menée, au niveau national comme au niveau européen et international, sur les moyens de lutter contre l’utilisation du marché des matières premières par les organisations terroristes. Il s’agit en premier lieu du pétrole, qui rapporterait près de 500 millions de dollars à l’organisation « État islamique », ou encore le gaz, les mines de phosphate et les usines de ciment, qui constituent d’autres sources substantielles de revenu. On sait également que le coton syrien est désormais un marché investi par cette organisation. La dimension économique doit donc faire partie intégrante de la lutte contre le financement du terrorisme.

La cellule de renseignement financier Tracfin (« Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins ») a été créée par un décret du 9 mai 1990, suite au quinzième sommet économique annuel du G8, dit « Sommet de l’Arche ». EIle prend d’abord la forme d’une cellule de coordination au sein de la direction générale des douanes et des droits indirects. Cette création est concomitante à la première directive blanchiment de 1991.

EIle devient un service de renseignement à compétence nationale en 2006, rattaché au ministère des finances. Son rôle est désormais affirmé, le contexte international actuel justifiant le renforcement de ses capacités d’action. L’objet de sa mission, telle que défini l’article L. 561-23 du code monétaire et financier, consiste à recueillir, analyser, enrichir et exploiter tout renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes ou la nature des opérations ayant fait l’objet d’une déclaration de soupçon.

Ce service administratif de traitement du renseignement financier ne prend donc pas l’initiative des enquêtes, mais traite les informations transmises par les opérateurs assujettis (18) aux obligations de communication prévues dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB/FT). Les obligations de vigilance des professionnels assujettis au dispositif LCB/FT se fondent sur une approche par les risques. Elles se traduisent par une veille permanente sur les opérations auxquelles les professionnels participent et, lorsque les circonstances lexigent, conduisent à lexercice de lobligation déclarative auprès de Tracfin.

Le présent projet de loi procède à deux évolutions ayant pour objectif d’approfondir la capacité d’action de Tracfin dans ses deux principaux volets de compétence, à savoir les appels à vigilance et le droit à communication.

Lors des auditions, le rapporteur pour avis a pu constater que ces mesures donnaient toute satisfaction à Tracfin. Elles nécessitent cependant, selon la Fédération bancaire française, certaines modalités de sécurisation en matière de responsabilité.

L’article 14 du présent projet de loi crée un nouvel article L. 561-29-1 au sein du code monétaire et financier permettant de renforcer les pouvoirs de signalement de Tracfin auprès des opérateurs soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Ces appels à vigilance visent à aider les déclarants dans le cadre de la mise en œuvre de leurs approches par les risques en attirant leur attention sur une situation particulière.

Tracfin a d’ores et déjà réalisé deux appels à vigilance en 2011, à l’occasion des événements du printemps arabe, et le 28 février 2014 au regard de la situation politique et sécuritaire en Ukraine. Ce dernier appel à vigilance a conduit les professionnels déclarants à renforcer l’intensité des mesures de vigilance prévues aux articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier à l’égard de toutes les opérations financières susceptibles de se rapporter directement ou indirectement à l’Ukraine. Preuve de l’efficacité de cette initiative, le nombre de déclarations de soupçon en lien avec des personnes de nationalité ukrainienne reçues par Tracfin a augmenté de 34 % entre 2013 et 2014 (19).

Larticle 14 du présent projet de loi vise à donner un fondement juridique à ces pratiques. Il ne sagit pas dune nouvelle obligation de vigilance, ni de la mise en œuvre de mesures de vigilance renforcées par les assujettis, contrairement à ce que prévoyait le projet de loi initial, et ce malgré la présence des mots « risque élevé » aux 1° et 2° du nouvel article (20).

Le Conseil dÉtat a en effet jugé que les appels à vigilance devaient avant tout permettre une meilleure identification des risques dans le cadre non modifié des obligations existantes. Les situations signalées peuvent être de plusieurs ordres selon le nouvel article L. 561-29-1 du code monétaire et financier : « les opérations qui présentent, eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques déterminées à partir desquelles, à destination desquelles ou en relation avec lesquelles elles sont effectuées, un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme » ou encore des personnes identifiées comme présentant un risque élevé de blanchiment ou financement du terrorisme. Le champ de l’appel à vigilance est donc relativement étendu, et permet de renforcer le ciblage des informations destinées à Tracfin.

Contrairement à la pratique existante, le Conseil d’État a souhaité encadrer la durée de mise en œuvre de cette mesure, qui est de six mois renouvelable.

Le rapporteur pour avis se félicite de cette mesure, qui ne peut que renforcer les pouvoirs d’action de Tracfin. Il s’agit d’un mode renouvelé de fonctionnement : dans cette configuration, l’identification des situations ou personnes à risque n’émaneront pas des déclarations de soupçon émises par les professionnels assujettis, mais sera ciblée en amont par Tracfin. On peut presque parler d’une inversion de logique. De plus, contrairement aux deux précédents appels à vigilance, cette nouvelle modalité d’action permet non seulement d’identifier des cibles collectives, comme une région ou un pays, mais également des cibles individuelles (personnes physiques ou morales).

L’article 15 du présent projet de loi complète l’article L. 561-26 du code monétaire et financier afin d’inclure les gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait dans le champ du droit de communication de Tracfin. Il vise notamment les groupements d’intérêt économique CB ou les sociétés Visa et Mastercard.

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a procédé, à son article 16, à une première extension du champ du droit à communication. En effet, Tracfin peut désormais demander « à toute entreprise de transport routier, ferroviaire, maritime ou aérien ou à tout opérateur de voyage ou de séjour les éléments d’identification des personnes ayant payé ou bénéficié d’une prestation ainsi que les dates, les heures et les lieux de départ et d’arrivée de ces personnes et, s’il y a lieu, les éléments d’information en sa possession relatifs aux bagages et aux marchandises transportés ».

L’inclusion des transporteurs dans le champ du droit de communication a mis fin à la corrélation qui existait jusqu’à maintenant entre l’obligation de transmission d’information et l’assujettissement à l’ensemble des obligations prévues dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB/FT).

Ainsi, lextension du champ de larticle L. 561-26 du code monétaire et financier aux gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait n’entraîne pas l’inclusion de ces professionnels dans le champ de l’article L. 561-2 du même code. Cette souplesse permet ainsi d’étendre les renseignements fournis à Tracfin en fonction de la spécificité des professionnels concernés.

Cette mesure satisfait une demande de Tracfin et répond à une nécessité d’information complémentaire, sans soulever d’interrogations majeures sur son application.

Le parquet national financier : un outil essentiel de la lutte contre le blanchiment, le financement du crime organisé et la grande délinquance économique

Le parquet national financier (PNF) a été créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Il s’agit d’un parquet à compétence nationale, distinct du parquet de Paris. Il est en charge de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale ainsi que de la répression des abus de marché dans le cadre de contentieux qui se caractérisent par leur grande complexité. Le PNF se voit reconnaître des compétences d’attribution, partagées avec les parquets des juridictions territorialement compétentes et ceux des JIRS (article 705 du code de procédure pénale), et des compétences exclusives (article 705-1 du code de procédure pénale), notamment en matière de délits boursiers. Il joue ainsi un rôle déterminant dans la lutte contre le blanchiment qui intéresse directement les objectifs du présent projet de loi. Tracfin et le service national de douane judiciaire (SNDJ) constituent deux de ses interlocuteurs privilégiés.

Le rapporteur pour avis, qui fut également rapporteur au fond de la loi précitée du 6 décembre 2013 au nom de la commission des lois, avait fortement soutenu la création du PNF, alors qu’elle suscitait de vives oppositions. Il se réjouit donc de constater aujourd’hui que ce dernier est parvenu à s’imposer comme une pièce maîtresse au sein de l’architecture judiciaire de notre pays.

Depuis sa mise en place en février 2014, le PNF a été saisi de 723 procédures. En février 2016, le nombre de dossiers en cours est de 332. En deux ans, le nombre de dossiers dont il a été saisi n’a cessé de croître.

Le rapporteur pour avis est particulièrement attentif à la pérennité de ce parquet national, ainsi qu’aux conditions nécessaires à l’efficacité de son action dont la légitimité et l’utilité ne sont plus à démontrer.

C’est pourquoi il proposera une série d’amendements visant à préciser le champ de compétence du PNF et à procéder à certains ajustements techniques afin que son action soit la plus cohérente possible.

Enfin, le rapporteur pour avis tient à alerter sur le dimensionnement actuel du PNF en termes d’effectifs, au regard de celui qui était initialement prévu dans l’étude d’impact qui a présidé à sa mise en place. Cette dernière prévoyait 22 magistrats pour une charge évaluée au maximum à 263 dossiers. Comme dit précédemment, le nombre de dossiers en cours s’élève à 332, pour seulement 15 magistrats en poste. Cette situation est incompatible avec l’envergure que le Président de la République a toujours souhaité conférer au parquet national financier.

Avant d’entrer en relation d’affaires avec leur client, l’article L. 561-5 du code monétaire et financier impose aux établissements de crédit, aux établissements de paiement et aux établissements de monnaie électronique d’identifier leur client et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires par des moyens adaptés et de vérifier ces éléments d’identification sur présentation de tout document écrit probant.

Par ailleurs ces établissements identifient dans les mêmes conditions leurs clients occasionnels et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires, lorsqu’elles soupçonnent que l’opération pourrait participer au blanchiment des capitaux ou au financement du terrorisme.

Afin de faciliter la détection de documents d’identité d’origine frauduleuse et de rendre plus efficace la lutte contre l’usurpation d’identité dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les établissements de crédit, les établissements de paiement et les établissements de monnaie électronique (21) doivent pouvoir interroger les gestionnaires du fichier contenant, en autre, la liste des documents d’identité perdus ou volés − dit « fichier des objets et des véhicules signalés » (FOVeS). Ce dernier relève du ministère de l’intérieur.

Il a été créé par un arrêté du 17 mars 2014 (22), à titre expérimental et pour une durée de deux ans. À l’issue de l’expérimentation, le dispositif sera évalué dans le cadre d’un rapport transmis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). L’arrêté précité permet déjà à certains organismes d’être destinataires, dans la limite du besoin d’en connaître, de tout ou partie des données et informations contenues dans le fichier (les organismes d’assurance par exemple, en ce qui concerne les véhicules, dans le cadre d’un protocole d’accord avec le ministère de l’intérieur).

Les établissements financiers ne peuvent prétendre à accéder directement, même de manière partielle, au FOVeS. C’est pourquoi le rapporteur pour avis propose un amendement modifiant l’article L. 561-5 du code monétaire et financier, relatif aux obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, et qui prévoit qu’« en cas de doute sur les éléments d’identification présentés, les personnes mentionnées aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article L. 561-2 peuvent demander aux gestionnaires du "fichier des objets et des véhicules signalés", des informations relatives aux documents fournis par leur client, dans des conditions prévues par arrêté ».

Dans l’exercice de leurs obligations de transmission d’informations à Tracfin, le régime de responsabilité pénale des professionnels concernés doit être adapté afin de ne pas entraîner d’insécurité juridique. L’article L. 561-22 du code monétaire et financier précise les cas d’irresponsabilité.

Au regard des remarques formulées par la Fédération bancaire française, le rapporteur pour avis propose cependant de compléter ces dispositions afin de les rendre compatible avec l’ensemble des dispositifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Cette sécurisation étendant le régime d’irresponsabilité pénale des professionnels assujettis, hors cas de « concertation frauduleuse avec le propriétaire des sommes ou l’auteur de l’opération » (23), pourrait se déployer sur deux volets impliquant plusieurs modifications de l’article L. 561-22 du code monétaire et financier :

− inclure dans le champ de l’exonération de responsabilité pénale des établissements de crédit l’infraction relative au financement du terrorisme, dans le cas de l’ouverture d’un compte sur désignation de la Banque de France ;

− dans le cadre des appels à vigilance prévus par l’article 14 du présent projet de loi, préciser que le régime d’irresponsabilité pénale comme civile et professionnelle doit être similaire à celui qui s’applique en cas de déclaration de soupçon à Tracfin. Il doit donc être fait mention de ces dispositions prévues au nouvel article L. 569-29-1 dans les cas d’irresponsabilité prévus à l’article 561-22 du code pénal.

Ces mesures sont essentielles afin de sécuriser juridiquement les établissements bancaires, qui sont à l’origine 80 % des déclarations de soupçon. En l’absence de ces dispositions, elles seraient en effet contraintes de clore les comptes douteux, alors que leur maintien est une condition essentielle aux enquêtes et opérations de Tracfin, visant à renforcer la traçabilité des opérations illicites.

Le chapitre II du titre III du présent projet de loi comporte une série d’habilitations à légiférer la voie d’ordonnance, mécanisme prévu à l’article 38 de la Constitution.

L’article 33, article unique de ce chapitre, est scindé en deux parties distinctes :

– le I est consacré aux mesures renforçant la lutte contre le financement du terrorisme ou le blanchiment de capitaux ;

– le II vise à transposer la directive européenne n° 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et du mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit de communiquer avec les tiers ou les autorités consulaires pour les personnes privées de liberté.

Le présent rapport pour avis portera principalement sur le I de l’article 33, le II traitant pour l’essentiel de questions de procédure pénale.

Le présent texte s’inscrit d’un un mouvement continu d’amélioration des outils juridiques de lutte contre tous les moyens dont dispose le terrorisme pour se financer. L’adoption de la quatrième directive anti-blanchiment nécessite une nouvelle adaptation du droit national français.

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme procède fondamentalement d’une forte mobilisation des instances européennes.

Le premier instrument européen d’envergure en la matière est la directive n° 91/308/CEE du 10 juin 1991 sur la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux (24).

Ce texte a invité les États membres à imposer à l’ensemble du secteur financier un certain nombre d’obligations pour lutter contre le recyclage de l’argent de source illicite.

Il s’agissait alors de tenir compte des recommandations du groupe d’action financière internationale (GAFI) sur le blanchiment de capitaux en les intégrant dans la propre législation de la communauté européenne.

Le GAFI est un organisme intergouvernemental créé lors du sommet du G7 qui s’est tenu à Paris en 1989 pour examiner et élaborer des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux ; mandat qui sera étendu en 2001 pour inclure la lutte contre le financement du terrorisme. Le GAFI se compose actuellement de trente-quatre pays et territoires, ainsi que de deux organisations régionales, dont la France, les États-Unis, la Chine et la Commission européenne. Cette structure s’efforce de susciter la volonté politique nécessaire pour effectuer les réformes législatives et réglementaires dans ces domaines. Force est de constater que ses rapports et recommandations sont particulièrement suivis au plan législatif.

En effet, dix ans plus tard, la directive du 4 décembre 2001 (25) a modifié la première directive anti-blanchiment afin de l’adapter aux nouvelles pratiques criminelles liées au blanchiment de capitaux ainsi qu’à la mise à jour des recommandations du GAFI de 1996. Ce texte a notamment étendu le régime anti-blanchiment à d’autres professions sensibles, dont les professions juridiques et judiciaires. Les dispositions ont été transcrites dans notre droit interne par la loi du 11 février 2004 (26), complétée par le décret du 26 juin 200(27).

Le régime de lutte contre le blanchiment, qui concernait auparavant uniquement le produit des infractions liées au trafic de stupéfiants, est étendu. Il recouvre désormais la corruption, les activités criminelles organisées, la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne et le financement du terrorisme. De plus, les États membres devaient veiller à ce que les établissements concernés exigent l’identification de leurs clients pour toute transaction dont le montant atteint ou excède 15 000 euros.

Enfin la réglementation actuelle repose sur la troisième directive anti-blanchiment n° 2005/60/CE du 26 octobre 2005 qui « établit le cadre destiné à protéger la solidité, l’intégrité et la stabilité des établissements de crédit et autres établissements financiers, ainsi que la confiance dans l’ensemble du système financier, contre les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme », et sur le règlement n° 1781/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 novembre 2006 relatif aux informations concernant le donneur d’ordre accompagnant les virements de fonds. La troisième directive a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009. Cette harmonisation est, là encore, fondée sur les recommandations du GAFI qui ont été adaptées et développées en 2003.

Les innovations de la troisième directive étaient principalement :

– l’élargissement de la liste des personnes assujetties au dispositif anti-blanchiment aux personnes négociant des biens destinés à être payés en espèces pour un montant supérieur ou égal à 15 000 euros ainsi que les prestataires de services aux sociétés et fiducies ;

– l’accroissement du nombre des infractions entrant dans le champ d’application du dispositif : sont désormais mentionnées toutes les infractions punies d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée maximale ou supérieure à un an ;

– une approche graduée des obligations de vigilance, estimant que « certaines situations comportent un risque plus élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ». Trois niveaux d’action sont distingués : des mesures « standard » de vigilance, une obligation de vigilance simplifiée, et des obligations de vigilance renforcées.

Le GAFI a de nouveau révisé ses normes et formulé de nouvelles recommandations en février 2012. Dès lors, la Commission a engagé son propre réexamen du cadre européen et adopté en avril 2012 un rapport sur l’application de la troisième directive.

À l’occasion de ce rapport, la France avait souligné que la nouvelle directive devait répondre aux risques de blanchiment qui découlent notamment de la liberté d’établissement ou de la libre prestation de service qui peuvent parfois faciliter le recours à des circuits de paiement opaques.

L’étude d’impact du présent projet de loi rappelle les cinq points sur lesquels la France avait tout particulièrement attiré l’attention de la Commission :

– l’élaboration au plan européen d’une réglementation contraignante en matière de transparence pour permettre l’identification, avec certitude, des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des entités juridiques (trusts, fondations, etc.) ;

– la mise en œuvre d’une approche européenne des risques pour coordonner les pratiques au sein du marché intérieur ;

– une harmonisation et un renforcement des compétences des cellules de renseignement financier (CRF) afin, en particulier, de développer la coopération entre elles ;

– la nécessité d’une approche globale de la réglementation des paiements en Europe prenant en compte les risques de blanchiment que représentent certaines nouvelles méthodes de paiement anonymes et/ou peu traçables (cartes prépayées ; paiements par Internet ; monnaies virtuelles, etc.) ;

– la mise en place d’une approche européenne concertée à l’égard des pays tiers permettant de se doter d’outils au plan européen pour lutter contre les juridictions non coopératives.

Avant le début des travaux au Conseil, la France et l’Allemagne ont adressé une lettre commune à la Commission pour lui demander de rehausser l’ambition de la directive proposée, sur laquelle la Commission s’est prononcée favorablement le 6 mai 2013.

La quatrième directive anti-blanchiment (28) abroge et remplace la directive de 2005 précitée.

La quatrième directive anti-blanchiment entraine un réel approfondissement du standard européen, afin de poursuivre l’harmonisation des législations nationales.

Tout d’abord, le champ d’application de la directive est étendu aux jeux d’argent et de hasard, alors que seuls les casinos étaient jusqu’ici concernés et des mesures de vigilance sont obligatoires au-delà de 2 000 euros au stade des gains ou des mises. Autre élargissement d’importance : le seuil au-delà duquel les paiements en espèces sont obligatoirement soumis à vigilance est abaissé de 15 000 euros à 10 000 euros.

Ensuite, l’analyse des risques devient véritablement un fondement de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Une analyse des risques devra être menée au plan national. En parallèle, une analyse sera menée au niveau européen, afin d’aboutir sur des recommandations précises aux États membres. L’étude d’impact précise que cette analyse supranationale des risques est « une disposition innovante et ambitieuse au regard de l’existant ». La Commission pourra ainsi déterminer une liste de pays tiers à haut risque dont les dispositifs nationaux présentent des carences stratégiques et sont susceptibles de constituer une menace pour le marché intérieur. Il s’agit d’une demande forte de la France, et qui répond aux remarques qui ont par exemple été formulées par la commission d’enquête sénatoriale sur le rôle des banques (29).

En matière de transparence de l’accès à l’information sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts, la quatrième directive place l’Union européenne au premier plan en prévoyant un accès centralisé et largement ouvert à cette information. Les États membres devront ainsi tous détenir l’information sur les bénéficiaires effectifs au sein d’un registre centralisé, dont l’accès sera ouvert aux autorités compétentes et cellules de renseignement financier sans restriction, aux organismes assujettis dans le cadre de leurs mesures de vigilance et même, pour les personnes morales, aux tiers.

Le texte européen (article 12) prévoit également un encadrement plus strict de la monnaie électronique en durcissant les possibilités de ne pas appliquer certaines mesures de vigilance, dont la vérification d’identité (30).

Enfin, dans le but de mettre fin à des pratiques divergentes au sein de l’Union, la quatrième directive harmonise, a minima, les sanctions administratives applicables en cas de violation sérieuse, répétitive ou systématique, par les organismes assujettis, des obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, de déclaration de soupçon, de conservation des données et des dispositions relatives au contrôle interne. D’une manière générale, le texte prévoit une sanction administrative pécuniaire plafonnée à au moins le double du profit tiré de l’infraction ou au moins 1 million d’euros (article 59).

Alors que les États membres ont jusqu’au mois de juin 2017 pour mettre leur droit interne en conformité, le contexte actuel de menaces terroristes permanentes impose la transposition du paquet avant l’échéance initialement prévue.

Le droit interne français est déjà largement en conformité avec les derniers standards européens. En effet, toutes les directives sont d’harmonisation minimale. Aussi, la France avait pu faire le choix d’édicter des mesures plus rigoureuses que celles demandées par la Commission européenne.

Par exemple, la France impose déjà une prise d’identité dès le premier euro pour les transferts de fonds en espèces (type Western Union) dans toute l’Union européenne (31).

De même, la cellule nationale Tracfin possède déjà toutes les caractéristiques d’indépendance opérationnelle et d’autonomie exigées par la quatrième directive.

En ce qui concerne le contrôle les mesures de vigilance, quelques évolutions sont à prévoir. Par exemple, le code monétaire et financier permet actuellement l’utilisation des cartes prépayées sans vérification d’identité pour les cartes non rechargeables de moins de 250 euros, et pour les cartes rechargeables, jusqu’à 2 500 euros pour le montant total des opérations sur une année civile. Le remboursement d’espèces anonyme avec une carte prépayée d’un montant unitaire ou cumulé sur un an de plus de 1 000 euros reste possible (32). La France devra donc appliquer les nouveaux seuils de prise d’identité pour limiter l’utilisation anonyme de ces cartes.

De même, la France devra rapidement mettre en place un registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts, centralisé et largement ouvert, qui nécessitera une modification substantielle de la législation nationale.

Enfin, l’État sera dans l’obligation de mener une analyse nationale des risques. Celle-ci permettra de mettre à jour et d’enrichir le « rapport sur la menace » présenté par le Comité d’orientation de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) en 2012, qui a constitué un premier exercice en la matière.

L’article 33 comporte une deuxième série de mesures d’habilitation, qui ne sont pas directement liées à la transposition du paquet européen, mais dont certaines avaient été annoncées par le Gouvernement, lors d’une conférence de presse du ministre des finances et des comptes publics le 18 mars 2015.

Plan d’action gouvernemental pour lutter contre le financement
du terrorisme

18 mars 2015

Identifier, par le recul de l’anonymat dans l’économie afin de mieux tracer les opérations suspectes

Mesure n° 1 : Abaisser le plafond en espèces de 3 000 à 1 000 euros (33).

Mesure n° 2 : Signaler systématiquement à Tracfin les versements et retraits d’espèces supérieurs à 10 000 euros cumulés sur un mois (34).

Mesure n° 3 : Mieux contrôler les transferts physiques de capitaux aux frontières.

Mesure n° 4 : Faire reculer l’anonymat dans l’usage de cartes prépayées.

Mesure n° 5 : Donner un rôle central au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) (35).

Surveiller, grâce à la mobilisation des acteurs financiers dans la lutte contre le terrorisme

Mesure n° 6 : Imposer une prise d’identité pour toute opération de change manuel supérieure à 1 000 euros (36).

Mesure n° 7 : Systématiser les mesures de vigilance renforcée.

Agir, par le renforcement des capacités de gel contre les avoirs détenus par les financeurs ou les acteurs du terrorisme

Mesure n° 8 : Geler les biens immobiliers et mobiliers.

Le 2° du I de l’article 33, permet au Gouvernement de définir par ordonnance les modalités d’assujettissement aux mesures de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de contrôle et de sanction de certaines professions et catégories d’entreprises autres que les entités déjà visées par la directive européenne et dont la liste figure à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier.

Cet élargissement s’inscrit dans le prolongement de l’article 4 de la directive anti-blanchiment selon lequel les États membres doivent veiller « à ce que le champ d’application de la présente directive soit étendu en totalité ou en partie aux professions et aux catégories d’entreprises […] qui exercent des activités particulièrement susceptibles d’être utilisées à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ».

L’étude d’impact n’apporte aucune précision sur les nouvelles professions qui seront assujetties, si ce n’est que parallèlement à leur inclusion dans le dispositif, il conviendra de les soumettre à une autorité de contrôle et à une autorité de sanction. Selon les réponses aux questionnaires du rapporteur, le Gouvernement envisagerait en l’état d’étendre le champ aux courtiers en opérations de banques, par symétrie avec les courtiers en opérations d’assurance qui sont d’ores et déjà assujettis. Le Gouvernement travaille également sur l’assujettissement des plateformes de conversion des monnaies virtuelles en monnaies ayant cours légal.

Le 4° du I de l’article 33 prévoit les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires au renforcement des règles d’organisation et de fonctionnement de la commission nationale des sanctions mentionnée à l’article L. 561-38 du code monétaire et financier.

Selon l’étude d’impact, cette modification fait suite à l’évaluation du dispositif français par le GAFI en 2011, qui a souligné qu’un renforcement du respect du dispositif de lutte contre le blanchiment par les professions sous son contrôle était nécessaire.

La commission nationale des sanctions, créée en 2009, traite des manquements commis par les intermédiaires immobiliers, les sociétés de domiciliation et les professionnels du secteur du jeu (casinos, cercles de jeux, jeux en ligne, Française des jeux, PMU).

Le Gouvernement a indiqué que les ordonnances pourraient prévoir que la personne mise en cause puisse se faire représenter à l’audience en cas de nécessité ou que la commission puisse demander à la personne mise en cause la transmission des informations nécessaires à son activité.

Enfin, le 6° autorise le Gouvernement à prendre des mesures visant à mieux protéger le contenu et l’origine des informations détenues par Tracfin et tendant à élargir les possibilités, pour ce service, de recevoir et de communiquer des informations. L’étude d’impact indique en effet qu’« il est nécessaire de leur ouvrir un accès à la gamme la plus large possible d’informations, notamment financières et administratives, et de leur permettre de disséminer des informations à toutes les autorités compétentes impliquées dans la lutte contre le blanchiment ».

Selon les informations transmises au rapporteur pour avis, il est envisagé de pouvoir élargir le droit de communication de Tracfin aux juridictions financières. Les autres élargissements envisagés nécessitent encore des concertations avec les entités et services concernés. Pour ces raisons, il a été choisi de ne pas inscrire directement ces élargissements au sein du projet de loi.

Le 5° du I de l’article 33 prévoit une série de mesures modifiant les dispositions du code monétaire et financier concernant le gel des avoirs (37).

Plus précisément, l’habilitation a pour but de permettre au Gouvernement :

– d’étendre le champ des avoirs susceptibles d’être gelés ;

– d’étendre la définition des personnes assujetties au respect des mesures de gel et d’interdiction de mise à disposition des fonds ;

– d’étendre le champ des échanges d’informations nécessaires à la préparation et à la mise en œuvre des mesures de gel ;

– de préciser les modalités de déblocage des avoirs gelés.

Sur ce même sujet, le 3° du II de l’article 33 a pour objet la transposition de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne.

Selon le guide de bonne conduite éditée par la direction générale du Trésor à destination des opérateurs économique, le gel des fonds peut être défini comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, notamment la gestion de portefeuilles.

À l’heure actuelle, la France met en œuvre quatre régimes de gel :

– le régime de gel Al Qaeda issu de la résolution CSNU 1989 (ex-1267) ;

– le régime de gel Afghanistan/Taliban issu de la résolution 1988 (ex-1267) ;

– le régime de gel autonome de l’Union européenne issu de la résolution 1373 (2001) ;

– le gel national.

En ce qui concerne le dispositif national, il permet de geler, par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de l’intérieur, les avoirs d’une personne qui commet ou tente de commettre des actes de terrorisme, y participe ou les facilite ainsi que de ceux qui les financent. Ce dispositif est codifié au sein des articles L. 562-1 et suivants du code monétaire et financier, et mis en œuvre conformément aux articles R. 562-1 à R. 562-5 du même code.

Alors que l’article L. 562-4 du code monétaire et financier énonce bien que les fonds susceptibles d’être gelés sont « les avoirs de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers », aux termes des articles L. 562-1 et L. 562-2, seuls les avoirs détenus auprès des personnes assujetties à la législation anti-blanchiment sont concernés.

En pratique donc, ces mesures s’appliquent aux comptes bancaires, ce qui est contraire à la réglementation européenne qui vise toute forme d’avoirs. Lors de la conférence de presse donnée par le ministre des finances et des comptes publics le 18 mars 2015, a été annoncée l’extension des mesures de gels aux biens immobiliers et mobiliers, dont les véhicules, ainsi qu’aux prestations et autres sommes versées par les collectivités publiques et les organismes sociaux.

Par ailleurs, les articles L. 562-1 et L. 562-2 ne visent que les avoirs « détenus » par la personne gelée. Ainsi, une personne dont les avoirs sont gelés et qui a un pouvoir sur autre compte bancaire dont les fonds ne lui appartiennent pas peut, à partir de ce compte, effectuer toutes les opérations qu’elle souhaite.

Afin de se conformer complètement aux normes internationales (38), le droit devra être modifié pour élargir le champ des personnes soumises au respect de la mesure de gel et d’interdiction de mise à disposition des fonds, actuellement défini à l’article L. 562-3 du code monétaire et financier.

En outre, le Gouvernement envisage d’élargir le champ de l’article L. 562-8, qui ne permet dans sa rédaction actuelle la levée du secret bancaire que dans le cadre de la préparation et de la mise en œuvre d’une mesure de gel. Ainsi, pour que le secret bancaire soit levé, il convient que les autorités françaises prennent un arrêté de gel. Le secret bancaire est donc maintenu lorsque le gel est préparé et mis en œuvre en application d’un règlement européen, ce qui n’est pas opportun.

Enfin, il convient de mentionner que le 3° du II de l’article 33 traite d’un sujet connexe puisqu’il est relatif à la saisie et à la confiscation des avoirs criminels.

Le a du 3° vise à autoriser par voie d’ordonnance la transposition de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014 qui harmonise les procédures de saisie et de confiscation des produits du crime au sein de l’union européenne.

Le b du 3° a pour but d’étendre les missions de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis (AGRASC) et de clarifier ses pouvoirs, conformément aux recommandations qui figuraient dans le rapport annuel de l’agence en 2014.

Le présent projet de loi, tout comme la quatrième directive européenne qu’il vise à transposer, ne sont qu’une étape dans le cheminement vers un système juridique complet permettant de sécuriser au maximum les transferts financiers et d’interdire les mouvements liés au financement du terrorisme.

Au plan interne, la France dispose de trois moyens afin de faire évoluer rapidement la législation :

– d’une part, les instruments européens étant d’harmonisation minimale, la France va très souvent au-delà de ce qu’imposent les minima communautaires. Il s’agit là d’un argument de négociation fort, afin d’entraîner les autres États dans la voie du renforcement des normes européennes ;

– d’autre part, la France peut décider unilatéralement, et en dehors de toute base européenne, d’édicter une réglementation contraignante, pourvu que celle-ci respecte les libertés publiques ;

– enfin, la France fait usage de tous les moyens de pression diplomatiques visant à emporter l’adhésion d’autres États ou d’instances internationales (communiqués, notes, lettres, etc.) (39).

Ainsi, le plan d’action gouvernemental de lutte contre le financement du terrorisme, présenté à la presse en mars 2015, était-il un signal fort en direction de nos principaux partenaires.

De même, la note des autorités françaises du 2 décembre 2015 appelant à l’ouverture de nouveaux travaux européens a permis d’insister sur la nécessité de poursuivre sur la voie du renforcement des outils de lutte contre le blanchiment.

Au plan européen, la Commission est particulièrement sensible à ces appels, puisque, dans une communication adressé au Comité économique et social européen dès le 28 avril 2015, elle s’engageait à étudier la nécessité « de prendre des mesures supplémentaires dans le domaine du financement du terrorisme, notamment en ce qui concerne le gel des avoirs des terroristes en vertu de l’article 75 du TFUE, le commerce illicite de biens culturels, le contrôle des formes de paiement, telles que les virements par internet et les cartes prépayées, les mouvements illicites d’argent liquide et le renforcement du règlement sur le contrôle des mouvements d’argent liquide ».

Au plan international enfin, les Nations Unies ont un rôle de plus en plus important à jouer.

Le 17 décembre dernier, et pour la première fois, les ministres des finances des quinze États membres se réunissaient dans le cadre du Conseil de sécurité, inscrivant la lutte contre le financement du terrorisme comme une priorité commune à l’ensemble des membres de l’ONU. À cette occasion, a été adoptée la résolution n° 2253 permettant de sanctionner les terroristes de « l’État islamique » comme cela était déjà le cas pour les membres d’al-Qaïda et de prolonger les régimes de sanctions en vigueur.

Lors du G 20 qui s’est tenu à Antalya en novembre 2015, la France a redit toute sa détermination à lutter au plan international contre le financement du terrorisme, sous toutes ses formes. Notre pays est également très actif au sein du GAFI, afin notamment d’identifier les pays présentant des failles et proposer un mécanisme de suivi efficace, pour faire pression sur ces pays défaillants.

Ainsi, à la frontière, toujours mince, des libertés publiques, du secret des affaires et du combat contre le crime, la lutte contre le financement du terrorisme aborde un nouvel enjeu : celui de la coopération renforcée entre ses acteurs, nationaux comme européens.

Durement frappée et toujours menacée, la France se doit d’être toujours une force de proposition crédible et déterminée en la matière.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 16 février 2016, la commission examine, pour avis, le chapitre IV du titre Ier et le chapitre II du titre III du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473).

M. le président Gilles Carrez. Je me félicite que notre commission soit saisie pour avis des articles concernant la fiscalité et le blanchiment dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, car ce sont des aspects essentiels de cette lutte.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. Au vu de la situation, c’est à juste titre que le Gouvernement a souhaité travailler en urgence sur ce texte. Mais cette urgence nous impose des délais très serrés, et je vous proposerai de renvoyer à la séance publique l’examen de plusieurs amendements qui doivent encore être travaillés, en relation notamment avec le Gouvernement.

Notre commission s’est saisie des articles 12 à 16 et de l’article 33.

L’article 12 crée une nouvelle infraction dans le code pénal réprimant le trafic de biens culturels issus de zones d’action de groupes terroristes. Cette disposition, éminemment nécessaire au vu des événements récents, reste la plus éloignée de la matière financière qui intéresse notre commission.

L’article 13 est fondamental. Il vise à plafonner le montant rechargeable en monnaie électronique sur des supports dits « cartes prépayées », et à imposer le recueil d’informations relatives à leur utilisation. Cet article ne constituera pas un frein au développement de ces supports qui sont vecteurs d’innovation et représentent une utilité pratique incontestable, y compris pour des personnes modestes et pour les jeunes. La volonté du Gouvernement est bien de lutter contre les cartes anonymes et non traçables, afin d’empêcher leur utilisation à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme.

L’article 14 prévoit une nouvelle modalité d’action pour la cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, appelée Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers). J’insiste sur l’importance de cet article, qui suscitera certainement des débats entre nous et que je vous proposerai d’amender.

Il sera désormais possible à Tracfin de signaler aux professionnels assujettis au dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme des situations générales – comme une zone géographique – ou individuelles – comme une personne physique ou morale –, afin qu’elles fassent l’objet d’une attention particulière. Il s’agit d’un changement de méthode : dans ces cas, ce ne sont plus les professionnels qui signaleront des situations à Tracfin, mais Tracfin qui va désigner des individus ou des zones géographiques. Dans le texte, ce signalement prend la forme d’un appel à vigilance n’impliquant pas la mise en œuvre d’une vigilance renforcée, mais plutôt d’une vigilance ciblée. L’appel à vigilance est limité à une durée de six mois renouvelable.

L’article 15 concerne également Tracfin, dont il étend le droit de communication aux gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait, tels que le groupement d’intérêt économique CB (Carte Bleue) ou les sociétés Visa et Mastercard. Ces derniers devront désormais lui transmettre les informations et pièces demandées.

L’article 16 devrait susciter parmi nous un débat, car il est l’un des plus importants de ce projet de loi. Il étend à la matière douanière le mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds prévu par le code pénal, dès lors qu’il est avéré que l’objectif premier de l’opération visée par les douanes est la dissimulation de l’origine des fonds. Cette mesure permettra, si elle est adoptée, de faciliter l’action des services douaniers en matière de lutte contre le blanchiment douanier.

Le chapitre II du titre III ne comporte que l’article 33, dont seul le I intéresse notre commission. Les 1° et 3° du I autorisent le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance pour transposer en droit interne la directive européenne du 20 mai 2015, dite quatrième directive anti-blanchiment, ainsi que le règlement européen portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds.

La France ayant toujours privilégié une transposition maximale des instruments européens, notre droit est déjà largement en conformité avec les prescriptions du quatrième paquet anti-blanchiment. C’est ainsi le cas en ce qui concerne les dispositions relatives à l’analyse des risques ou aux garanties d’autonomie opérationnelle et d’indépendance des cellules nationales de renseignement financier, dont Tracfin jouit déjà. De même, en matière de sanctions, notre droit est d’ores et déjà plus contraignant que ce qu’impose l’harmonisation a minima de la Commission européenne.

Cependant, quelques modifications substantielles seront nécessaires pour améliorer nos outils de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

En matière d’obligation de vigilance renforcée sur les personnes politiquement exposées, notre droit sera impacté par la nouvelle définition qui inclut désormais les personnes résidant sur le territoire national.

La France devra également renforcer les mesures de vigilance requises en matière d’utilisation de la monnaie électronique anonyme, en abaissant les seuils de prise d’identité du client aux cartes non rechargeables de moins de 250 euros et aux versements en espèces supérieurs à 100 euros.

La France devra rapidement mettre en place un registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts, centralisé et largement ouvert, qui imposera une modification substantielle de la législation nationale.

Enfin, la directive étant un socle minimal de dispositions à transposer, elle donnera l’opportunité aux pouvoirs publics de renforcer la réglementation. Le plan national de lutte contre le financement du terrorisme, présenté par M. Michel Sapin le 18 mars 2015, est une illustration de la volonté du pays d’être un moteur dans le renforcement des dispositifs de lutte contre le blanchiment.

Enfin, les autres dispositions du I de l’article 33 visent à permettre au Gouvernement de prendre d’autres mesures liées à la lutte contre le financement du terrorisme. Il s’agit d’assujettir de nouvelles professions aux mesures de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ; de renforcer le rôle des organismes intervenant dans la lutte contre le blanchiment, notamment la commission nationale des sanctions et Tracfin ; d’améliorer les mesures nationales relatives au gel des avoirs en étendant le champ du dispositif quant aux personnes et aux biens susceptibles d’être visés.

Après cette présentation du projet de loi, permettez-moi de vous détailler les propositions que je fais en tant que rapporteur, et dont je considère qu’elles viendront utilement renforcer et sécuriser notre corpus juridique de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux.

En ce qui concerne les cartes prépayées, je proposerai un amendement pour fixer un plafond au rechargement en monnaie non traçable, telle que les espèces ou la monnaie anonyme. Ce plafond, qui sera fixé par décret, pourrait correspondre au seuil de paiement en espèces, récemment abaissé à 1 000 euros. Par ailleurs, en vue de la séance publique, je déposerai un amendement visant à s’assurer que les dispositions de l’article 13 sont des mesures de police qui devront aussi s’appliquer aux cartes distribuées par des opérateurs étrangers.

Le changement de paradigme qu’impliquent les nouvelles modalités de communication entre Tracfin et les banques impose de sécuriser l’environnement juridique de ces dernières, afin que leur collaboration avec les autorités dans la lutte contre le financement du terrorisme puisse se poursuivre dans les meilleures conditions. Je rappelle que les établissements de crédit effectuent 80 % des déclarations de soupçon à Tracfin. Je proposerai trois amendements visant à étendre l’exonération de responsabilité pénale et civile dont ils bénéficient par ailleurs au nouveau cas de l’appel à vigilance de Tracfin. Ce n’est pas une novation juridique, mais l’extension du champ actuel de l’exonération de responsabilité aux nouveaux cas de figure envisagés dans le projet de loi.

Par ailleurs, eu égard à leur obligation de recueillir des éléments d’identification de leurs clients, je souhaite qu’en cas de doute sur l’authenticité des pièces présentées par leur client, les établissements puissent interroger les gestionnaires des fichiers de police recensant les documents perdus ou volés. J’attire votre attention sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une possibilité d’accès direct aux fichiers.

Les moyens d’action donnés aux douanes constituent un volet important du projet de loi, qui devrait donner lieu à débat entre nous et avec le Gouvernement. Ils participent de la volonté d’impliquer plus directement les services des douanes dans la lutte contre le crime organisé en facilitant la reconnaissance du délit de blanchiment douanier. Cette évolution va dans le bon sens, et les améliorations que je propose ont pour objectif d’approfondir l’implication des douanes en leur donnant des moyens d’action renforcés.

Le premier élément concerne l’obligation déclarative à laquelle est soumise toute personne sortant du territoire français avec une somme d’argent liquide supérieure à 10 000 euros. Cette obligation est essentielle, car, on le sait désormais, les organisations terroristes ont massivement recours au microfinancement et aux transferts d’argent liquide. Le Gouvernement s’est d’ailleurs saisi de cette problématique sur le territoire national en limitant, dès le mois de septembre dernier, les paiements en liquide à 1 000 euros.

Dans ce contexte, le seuil de 10 000 euros me paraît un peu trop élevé. Concernant les échanges extracommunautaires, nous sommes tenus par la réglementation européenne. Mais dans le cas des transferts intracommunautaires, je propose un amendement visant à abaisser ce seuil à 5 000 euros. J’ai conscience des difficultés que peut poser la décorrelation des deux seuils, c’est pourquoi je souhaite en débattre avec vous. Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté, le 2 février dernier, un plan de lutte contre le financement du terrorisme, et j’appelle de mes vœux une évolution de la réglementation permettant aux États membres d’abaisser ces seuils. La traçabilité est, en effet, devenue l’un des enjeux majeurs de la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme.

Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer l’obligation déclarative en prévoyant que celle-ci sera considérée comme inexécutée si elle est fausse ou incomplète. J’ai déposé un amendement en ce sens. Il serait possible d’aller plus loin en exigeant des pièces justifiant de l’origine des fonds.

Au-delà des modalités de déclaration, il est important de réfléchir aux suites à donner en cas de manquement à cette obligation déclarative. En l’état du droit, ce manquement est une simple contravention sanctionnée par une saisie égale au quart de la somme non déclarée. Ce dispositif ne me paraît pas assez dissuasif au regard de l’importance stratégique que peuvent revêtir les transferts en liquide. En l’absence de faisceau d’indices permettant de basculer sur le délit de blanchiment douanier, la personne repart avec 75 % de la somme. Les retours du terrain, confirmés par la direction générale des douanes, rapportent des cas dans lesquels les douaniers ont été obligés de restituer des sommes importantes à des individus fichés « S » et placés sous mandat d’arrêt international. Ainsi, en dehors du recours à la police judiciaire, les douanes se trouvent dénuées de moyens d’action autonomes dans des situations où la sécurité nationale et internationale sont en jeu. Je propose donc un amendement permettant de saisir la totalité du montant déclaré. Il s’agirait, bien sûr, d’un montant maximal qui n’a pas vocation à être atteint systématiquement.

En vue de la séance publique, je travaille à un amendement allant encore plus loin en proposant de faire du manquement à l’obligation déclarative un délit autonome puni d’un an d’emprisonnement maximum. L’élévation au niveau de délit permettrait, en effet, aux douaniers constatant l’infraction de procéder à une retenue douanière de vingt-quatre heures.

Toutefois, l’obligation déclarative ne suffit pas à s’assurer de l’origine licite des sommes. Les organisations terroristes remplissent de plus en plus souvent leurs déclarations en bonne et due forme, ce qui les préserve dans les faits de tout contrôle. Prenons l’exemple d’une personne faisant l’objet d’une fiche S et visiblement en route pour la Syrie avec une mallette de 200 000 euros déclarés. Les douaniers n’ont aucun moyen d’action s’il n’y a pas d’infraction douanière car on est donc en dehors des cas de blanchiment. Dès lors, il y a un vide juridique à combler.

Cette relative impuissance de la douane administrative et judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme n’est pas adaptée au monde d’aujourd’hui et à l’évolution de la menace. La construction européenne et la mondialisation ont fait tomber les frontières, mais le terrorisme est parallèlement devenu une entreprise internationale. En temps voulu, face au développement international du trafic de stupéfiants, nous n’avons pas hésité à l’inclure dans le champ de compétence des douanes. Il ne faut pas hésiter aujourd’hui à faire de même pour le financement du terrorisme. Les transferts financiers transfrontaliers, notamment en liquide, relèvent de la compétence des douanes et sont un instrument puissant de financement du terrorisme. Il serait donc dommage de se priver d’une partie de nos forces, par incapacité à décloisonner les compétences sur des sujets qui relèvent de la sécurité nationale et internationale.

Je sais qu’il s’agit d’un sujet sensible, notamment pour la police judiciaire, et que cela implique un changement de paradigme pour la douane. C’est pourquoi j’ai décidé, au vu de l’urgence dans laquelle nous étudions ce texte, de réserver ces amendements pour la séance publique. Je pose aujourd’hui les termes du débat en vue d’y revenir à ce moment-là, et pour laisser au Gouvernement le temps d’examiner les amendements que je propose. Il va de soi que mon objectif n’est absolument pas de mettre en difficulté le Gouvernement sur un texte qui doit pouvoir recueillir un assentiment unanime.

À la frontière, toujours mince, des libertés publiques, du secret des affaires et du combat contre le crime, la lutte contre le financement du terrorisme aborde un nouvel enjeu : celui de la coopération renforcée entre ses acteurs, nationaux comme européens. Durement frappée et encore menacée, la France se doit d’être toujours une force de proposition crédible et déterminée en la matière.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cette présentation de notre rapporteur pour avis suscite deux remarques de ma part.

Tout d’abord, les informations de douaniers dont vous faites état s’agissant d’une personne fichée S et déclarant transporter 200 000 euros remontent-elles à une période antérieure à l’état d’urgence ou sont-elles postérieures ? Aujourd’hui, la douane a toute latitude pour signaler une personne fichée S, même si elle ne pourra pas procéder elle-même à une arrestation. Il faut bien distinguer ces deux aspects.

Ensuite, j’ai l’impression qu’en proposant d’abaisser le seuil de l’obligation déclarative de 10 000 à 5 000 euros, vous faites un amalgame entre la traçabilité d’une somme et le montant maximum d’espèces qu’il est possible d’emporter lors d’un voyage. Il ne faut pas tout mélanger. Je ne vois rien de choquant à ce qu’un couple aisé parte en vacances trois semaines avec 10 000 euros. Il faut arrêter de stigmatiser. Il semble qu’il serait possible d’arriver en France avec des sommes plus importantes, mais les Français ne pourraient pas sortir avec plus de 5 000 euros. Cela poserait de réelles difficultés. Il faut réfléchir aux enjeux de ce dispositif.

M. Charles de Courson. Les mesures prévues aux articles 12 et 13 ont-elles fait l’objet d’une coordination européenne ? Par exemple, les cartes chargées à l’étranger et utilisées en France ne pourront être repérées qu’au moment de leur utilisation, donc trop tard. Et que se passera-t-il en cas de multiplicité de cartes, par exemple si une personne possède dix cartes chargées juste en dessous du plafond ? Sans coordination européenne, les mesures proposées semblent bien vaines.

S’agissant maintenant de l’article 12, je m’étonne qu’aucune mesure de cette nature n’ait été prévue pour les matières premières. Il paraît que Daech est financé, pour un bon tiers, par le trafic de produits pétroliers. Or, selon tous les spécialistes des problèmes pétroliers, on est capable de savoir de quel puits vient le pétrole en analysant un simple échantillon. Comment se fait-il que l’on s’attaque au trafic de biens culturels mais pas à celui des matières premières ?

Je souhaite également que le rapporteur nous explique l’alinéa 5 de l’article 14, qui me semble poser un problème grave, puisqu’il permet de surveiller les avocats et les bâtonniers. Près de quatre-vingts bâtonniers en France ainsi que le président de l’ordre des avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État sont avertis des perquisitions concernant des collègues avocats. Cet alinéa 5 semble leur interdire de transmettre à quiconque des informations sur ces perquisitions. Or, pour vérifier le respect de cette interdiction, il faudra bien contrôler ces professionnels. Tout cela ne va-t-il pas trop loin ? Loin de moi l’idée qu’il ne faille pas combattre le terrorisme avec des armes nouvelles, mais cette proposition est-elle seulement compatible avec la Constitution ? Allons-nous vers une société où tout le monde surveille tout le monde ?

Enfin, l’alinéa 8 de l’article 33 donne pouvoir au Gouvernement d’apporter par ordonnance « les corrections formelles et adaptations nécessaires à la simplification, la cohérence et l’intelligibilité du titre VI du livre V du code monétaire et financier ». Je trouve cette formule savoureuse.

M. Joël Giraud. S’agissant des seuils, la réglementation prévoit clairement qu’ils peuvent être atteints par fractionnement ou par le système des opérations complexes. Lorsque je collaborais avec Tracfin, il nous est souvent arrivé de faire des actions anti-blanchiment pour des sommes ne dépassant pas 1 000 euros mais qui participaient d’opérations répétées par cent cinquante personnes. Cela concernait, par exemple, les cours de pilotage qui ont servi à préparer les attentats contre les tours jumelles à New York.

Dès lors qu’ils peuvent être atteints par fractionnement et que la réglementation offre la possibilité d’enquêter pour des opérations d’un montant inférieur, la question des seuils n’est pas si importante. Au contraire, en fixant des seuils, on risque de réduire la vigilance, sachant que les truands en ont une parfaite connaissance, puisque ces seuils figurent dans un texte.

Je ne suis donc pas persuadé que tout cela soit très pertinent, et je pense qu’il ne faut pas perdre trop de temps à s’en inquiéter.

M. le rapporteur pour avis. Madame Dalloz, les remontées de terrain ne concernaient pas des cas rencontrés pendant l’état d’urgence, mais les douaniers nous ont dit que le problème restait entier même avec l’état d’urgence. Les personnes qui portent les mallettes, dès lors qu’elles ont rempli leurs obligations déclaratives, ne sont presque jamais contrôlées. En l’absence d’éléments permettant de suspecter un blanchiment, on ne peut pas les placer en rétention. Les retours de terrain nous ont vraiment démontré qu’il fallait améliorer les moyens juridiques à disposition de nos douaniers, qui sont confrontés de manière de plus en plus fréquente à de telles situations.

Dans l’esprit de ma proposition, dès lors que des justificatifs sont fournis, le dispositif est levé. Il n’est pas question de consigner les sommes pendant des mois, il s’agit de combler un vide juridique. Les douaniers m’ont dit avoir été confrontés au mois d’août à une affaire dans laquelle, en dépit d’énormes soupçons, ils n’ont eu aucun moyen juridique de retenir les sommes suspectes qui sont allées, ils en sont persuadés, alimenter des réseaux terroristes. Il s’agit donc d’une amélioration demandée par les douaniers, qui doit être discutée. Pour ma part, j’ai la conviction qu’elle permettrait de renforcer la lutte contre le terrorisme.

S’agissant du seuil, j’entends votre argument du couple qui part en vacances avec 10 000 euros en liquide, mais aujourd’hui, nous devons faire face à du microterrorisme. Les douaniers m’ont rapporté voir souvent des personnes avec 9 000 ou 9 500 euros en liquide, d’où ma proposition d’un seuil à 5 000 euros. Si la commission, dans son ensemble, considère qu’il faut laisser le seuil à 10 000 euros, je suis prêt à ne pas continuer dans cette logique. Sachons toutefois qu’aujourd’hui, deux ou trois personnes disposant de 8 000 à 9 000 euros chacune peuvent faire beaucoup en matière de microterrorisme.

Les transfrontaliers ne sont pas non plus directement concernés. En tout cas, je ne les imagine pas se déplacer en permanence avec 10 000 euros sur eux.

Mme Claudine Schmid. Dans ce cas, pourquoi les douaniers ne cessent de poser la question dans le train que j’emprunte ? Dans certains pays, les habitudes culturelles font qu’il est d’usage d’avoir de fortes sommes en liquide.

M. le rapporteur pour avis. L’objectif n’est pas d’interdire de transporter de fortes sommes en liquide, il est d’avoir une traçabilité. Il faudra simplement les déclarer. En quelques minutes sur internet, la déclaration est faite et on peut partir avec 15 000, 20 000 ou 25 000 euros.

Mme Claudine Schmid. Je pense que nous allons gêner des personnes sans histoire, alors que le terrorisme met en jeu d’autres montants.

M. le rapporteur pour avis. Ce n’est pas vrai : dans l’attentat du Bataclan, les sommes engagées étaient juste suffisantes pour payer l’hôtel à Champigny-sur-Marne pendant quelques jours. C’est aussi pour cela que nous légiférons sur les cartes prépayées.

M. Jean-Claude Buisine. La législation prévoit déjà des plafonds pour les transferts de fonds au sein de l’Union européenne. Je ne comprends donc pas bien l’intérêt de ce mécanisme.

Concernant le blanchiment d’argent, l’origine des fonds mériterait d’être précisée, car c’est le point de départ. Il faudrait aussi prévoir ce que l’on fait des fonds dans la procédure et prévoir le type de sanction à appliquer pour mise en circulation d’argent frauduleux.

Enfin, pourquoi la direction générale des finances publiques (DGFiP) semble-t-elle totalement écartée de ce projet ? Si effectivement il y a blanchiment d’argent et des fonds dont on ignore l’origine, il faudra essayer de taxer ces fonds et prévoir toutes les dispositions, douanières comme fiscales, pour mettre fin à ces opérations de blanchiment.

M. le rapporteur pour avis. C’est un projet de loi présenté par le Gouvernement dont l’objet est simplement d’améliorer les outils de la douane sans pour autant écarter la DGFiP. Il n’y a pas de concurrence entre les douanes et la DGFiP sur ce point.

M. Jean-Claude Buisine. Ce n’est pas la douane qui va taxer un particulier ou une société qui transporte de l’argent d’un pays de l’Union européenne hors de l’Union européenne.

M. le rapporteur pour avis. Il n’est pas question de taxe, mais de traçabilité. Ce n’est pas du tout le même débat.

Si vous le souhaitez, je suis prêt à ce que nous étudions les améliorations que vous souhaiteriez apporter. En l’occurrence, il n’y a pas eu de demandes de la DGFiP pour intégrer des amendements à ce texte, alors qu’elle n’a pas manqué de suggérer des améliorations lors des débats budgétaires lorsqu’elle le souhaitait.

Mme Marie-Christine Dalloz. Si j’ai bien compris, nous allons bien au-delà de ce qui était prévu à l’origine par la réglementation sur Tracfin. Chers collègues, nos concitoyens rejettent les institutions européennes parce qu’à chaque fois qu’un problème de ce type se pose en France, on en fait porter la responsabilité à l’Europe. Or je constate que, très régulièrement, nous allons bien au-delà de ce qui est préconisé par l’Europe. On peut toujours rejeter la faute sur elle, ce n’est pas de cette façon que nous réconcilierons nos concitoyens avec l’Europe. Adoptons des dispositions pour harmoniser les législations, mais n’allons pas au-delà de ce qui est préconisé.

M. le rapporteur pour avis. Monsieur de Courson, vous soulevez à juste titre la question de la coordination avec les autres pays européens concernant les cartes prépayées. M. Michel Sapin a déclaré la semaine dernière devant notre commission qu’il allait en discuter vendredi avec ses homologues européens pour que la législation européenne avance. Sur les cartes prépayées, nous sommes en avance sur la coordination européenne nécessaire parce que nous avons été concernés par ce problème.

Madame Dalloz, ce que nous proposons s’inscrit exactement dans le plan d’action destiné à renforcer la lutte contre le financement du terrorisme présenté le 2 février dernier par la Commission européenne. Si nous sommes en avance, ce n’est donc que de quelques jours. Mais nous sommes en coordination, et nous travaillons avec la Commission européenne, car les derniers événements nous obligent à être beaucoup plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme.

Monsieur de Courson, en ce qui concerne les avocats et les bâtonniers, les mesures proposées reprennent exactement le dispositif prévu à l’article L. 561-26 du code monétaire et financiers sur le droit de communication de Tracfin. Le dispositif n’est pas changé dans l’alinéa que vous signalez.

Enfin, s’agissant des matières premières, je suis d’accord avec vous et j’aurais aimé que de telles dispositions soient prévues. Mais le Gouvernement a préparé ce texte dans l’urgence ; M. Sapin a d’ailleurs déclaré que ce projet de loi était une première étape qui pourrait être judicieusement complétée dans les semaines et les mois qui viennent.

La commission en vient à l’examen des articles du projet de loi dont elle est saisie pour avis.

TITRE Ier
DISPOSITIONS RENFORÇANT LA LUTTE CONTRE LE CRIME ORGANISÉ,
LE TERRORISME ET LEUR FINANCEMENT

Chapitre IV
Dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment
et le financement du terrorisme

Article 12 (art. 421-2-7 [nouveau] du code pénal et art. 706-24-1 et 706-25-1 du code de procédure pénale) : Création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes

La commission est saisie de l’amendement CF1 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Je n’ai pas tout à fait eu de réponse sur le fractionnement, mais nous en reparlerons sans doute ultérieurement.

Cela étant, je le dis pour répondre à Marie-Christine Dalloz, il est toujours loisible au fonctionnaire d’autorité présent de faire une déclaration de soupçon pour un soupçon survenu postérieurement à la réalisation de l’opération en cause. C’est prévu, nous en avons tout à fait le droit, et je l’ai déjà fait moi-même. Disons-le clairement : des gens partaient avec une valise dont le contenu était le fruit de la vente de quelques gamins sur le trottoir… La déclaration de soupçon peut être d’un emploi relativement plus large que prévu.

J’en viens à l’amendement CF1. En vertu de l’alinéa 2 de l’article 12, les personnes qui profiteraient du fait qu’un bien culturel est menacé par des groupes terroristes pour s’en emparer seraient passibles de sanctions. Doivent en être exemptés, me semble-t-il, les personnes qui sauvent des biens de manière désintéressée et les remettent aux autorités publiques, ce qui est déjà arrivé un certain nombre de fois. Des fonctionnaires, des prêtres ont mis de côté des biens pour les remettre ensuite aux autorités. Il ne faudrait pas que ceux qui agissent ainsi soient inquiétés.

M. le président Gilles Carrez. C’est l’« amendement Malraux » ! Il avait soustrait quelques statuettes, à Angkor, bien avant de devenir ministre de la culture, mais je crois qu’il avait été condamné.

M. le rapporteur pour avis. À titre personnel, je suis favorable à cet amendement, qui permet d’exclure du champ de l’infraction les associations ou organisations qui conserveraient un bien culturel afin de le protéger de la destruction. Un double verrou est prévu : l’absence d’intérêt commercial et la remise aux autorités. Exclure du champ de l’infraction des opérations visant à protéger les biens culturels constitue, de mon point de vue, une précaution utile.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 12 modifié.

Article 13 (art. L. 315-9 [nouveau] et L. 561-12 du code monétaire et financier) : Plafonnement des cartes prépayées et modalités de recueil d’information relatives à l’utilisation de ces cartes

La commission examine l’amendement CF5 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement, auquel j’ai travaillé en lien avec le Gouvernement, a pour objet d’instaurer une limite au chargement des cartes par des moyens non traçables – espèces ou monnaie électronique anonyme. Fixé par décret, ce plafond pourrait être de 1 000 euros, seuil actuel des paiements en espèces – car c’est bien le rechargement en espèces qui est visé.

M. Charles de Courson. N’allons-nous pas, en prenant une mesure qui s’appliquera à tout le monde, tuer un moyen de paiement à cause d’une proportion infime de ses utilisateurs ?

M. le rapporteur pour avis. Attention, il n’est question que du chargement en liquide ! Dans certaines procédures, sont concernées des cartes chargées avec 15 000, 20 000 ou 30 000 euros en espèces.

Mme Claudine Schmid. Les plafonds seront fixés par décret, et vous nous indiquez qu’un montant de 1 000 euros serait retenu, le même que pour les paiements en espèces. Vous savez bien, cependant, qu’un autre plafond s’applique aux non-résidents. Pourquoi donc deux plafonds différents, l’un pour les cartes et l’autre pour les paiements en espèces, s’appliqueraient-ils dans leur cas ? Il s’agit toujours d’acheter un produit dans un commerce. Le décret fixera-t-il le plafond à 1 000 euros pour tout le monde ou bien l’alignera-t-il sur celui des paiements en espèces ?

M. le rapporteur pour avis. Je souhaite que les plafonds fixés par le décret soient alignés sur ceux actuellement en vigueur, en maintenant une distinction entre résidents et non-résidents – pour ceux-ci, le plafond des paiements en espèces est de 10 000 euros.

Mme Claudine Schmid. Si ce sont des non-résidents qui sont soupçonnés de terrorisme…

M. le rapporteur pour avis. Je souhaite que vous compreniez bien le but de cette législation. Ensuite, des évolutions sont possibles en fonction des problématiques ; je suis ouvert.

Mme Claudine Schmid. Il y a le but, mais il y a aussi la question de l’efficacité.

M. Dominique Lefebvre. J’ai besoin d’une explication. Le texte proposé par le Gouvernement dispose que « la valeur monétaire maximale stockée sous une forme électronique et utilisable au moyen d’un support physique est fixée par décret ». Il s’agit donc bien d’un plafond. La question est de savoir si cela ne s’applique qu’au cas où quelqu’un demande, au guichet d’une banque, que des espèces soient mises sur un support électronique ou si d’autres manières de faire sont concernées. Votre amendement, monsieur le rapporteur pour avis, évoque les « modalités de chargement, de remboursement, de retrait » du support physique. Vous estimez donc qu’il faut définir les conditions dans lesquelles ces opérations sont possibles. Est-ce un encadrement, un resserrement des conditions applicables à ces cartes ? Un peu plus loin, je lis les mots « le montant de leurs plafonds » – au pluriel – mais je ne sais pas de quels plafonds il s’agit. Visez-vous tout du chargement, du remboursement et du retrait ? Et confirmez-vous qu’il s’agit bien de ces cartes prépayées qui pourraient aussi être alimentées par un virement bancaire ? Ne sachant pas comment ces cartes fonctionnent, j’ai besoin de quelques précisions pratiques.

M. Romain Colas. Le souci de notre rapporteur pour avis est précisément d’assurer une traçabilité au-delà d’un montant de 1 000 euros. Sous réserve des réponses qui seront données à Dominique Lefebvre, le dispositif proposé est cohérent. En effet, si les résidents peuvent recharger ces cartes en espèces pour plus de 1 000 euros, le plafonnement des paiements en espèces peut tout à fait être contourné.

Quant à la question des non-résidents, à ma connaissance, l’identité de qui paie en espèces au-delà d’un certain seuil est relevée. Il y a donc aussi une certaine traçabilité.

M. le rapporteur pour avis. Nous en débattrons à nouveau, si vous le souhaitez, dans l’hémicycle. Pour répondre à Dominique Lefebvre, nous avons travaillé à cet amendement avec le Gouvernement parce que nous nous sommes aperçus, une fois le projet de loi rédigé, qu’il fallait repréciser les modalités à la fois de chargement, de remboursement et de retrait. Il ne sera ainsi pas possible, avec ces cartes, de retirer plus de 1 000 euros en espèces.

Ainsi, seules les opérations en espèces sont concernées ; je sais que la grande majorité de ces cartes sont liées à un compte, et donc, hors les opérations en espèces, la traçabilité est assurée. L’objectif du Gouvernement avec ce texte, le mien avec ces amendements, c’est de renforcer la traçabilité.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ne serait-il pas possible de faire plus simple ? Cet ajout, à la fin de l’alinéa 4, c’est du charabia ! Ces quatre lignes ne veulent rien dire, vous y mettez tout, et c’est illisible. Il faudrait une formule plus concise qui veuille dire la même chose. La lecture de ce texte donne, encore une fois, l’impression d’une terrible impréparation gouvernementale. L’améliorerait-on en l’amendant ainsi ? J’ai des doutes.

M. Charles de Courson. Je voudrais comprendre. Quel serait le montant du plafond maximum évoqué à l’alinéa 4 de l’article 13 ? 10 000 euros ? 15 000 ?

M. le rapporteur pour avis. Ce serait un plafond de l’ordre de 10 000 euros.

M. Charles de Courson. On ne pourrait donc pas charger la carte au-delà de 10 000 euros. Ensuite, trois autres plafonds sont évoqués dans l’amendement : un plafond de chargement en espèces, un de retrait et un de remboursement. Entre les entrées et les sorties – les chargements et les retraits –, je ne saisis pas très bien ce qui reste au titre du « remboursement ».

M. le rapporteur pour avis. C’est comme le retrait.

M. Charles de Courson. Et comment fait-on avec les cartes étrangères ? Je n’ai pas compris. Comment faire sans coordination européenne ? Notre collègue nous dit qu’une discussion est en cours au niveau communautaire. À la limite, il faudrait suspendre nos délibérations sur cette question en attendant son issue. Sinon, nous allons voter une première fois, puis il faudra un nouveau vote.

M. le rapporteur pour avis. J’appelle votre attention sur le fait que c’est un amendement auquel j’ai travaillé avec le Gouvernement, qui a souhaité cette rédaction en collaboration également avec le rapporteur. Si vous voulez en débattre, déposez ensuite un amendement de suppression, mais je maintiens mon amendement.

M. Dominique Lefebvre. Nous avons tout intérêt à débattre de ces questions dans l’hémicycle. L’enjeu est bien d’assurer la traçabilité, et il faut s’en donner les moyens.

Charles de Courson s’interroge sur la possibilité de multiplier les cartes ou de recourir à des cartes prépayées à l’étranger. La question se pose. Quand la France adopte une telle législation, elle l’impose aux établissements, financiers ou autres, qui émettent ces cartes. Si quelqu’un arrive en France avec une carte chargée en Belgique conformément au droit belge, cet amendement doit permettre de limiter les possibilités de retrait en France. Il faudra donc une coordination européenne. Il faut qu’en vertu du plafond français, il ne puisse plus y avoir de retraits supérieurs aux montants que nous retiendrons.

M. le rapporteur pour avis. Cette législation s’appliquera à toutes les cartes qui circulent en France, même celles émises à l’étranger. Bien sûr, une carte émise à l’étranger peut être chargée à l’étranger pour un montant supérieur au plafond français, mais en France il faudra respecter les plafonds français.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement de précision CF3 du rapporteur pour avis.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 13 modifié.

Article 14 (art. L. 561-29-1 [nouveau] et L. 574-1 du code monétaire et financier) : Signalement par Tracfin aux personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme de situations générales et individuelles présentant des risques élevés

La commission est saisie de l’amendement CF2 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Les alinéas 3 et 4 évoquent la mise en œuvre d’obligations de vigilance dès qu’il y a un risque « élevé » de blanchiment de capitaux ou de financement de terrorisme. J’ai du mal à comprendre ce qualificatif. Pour avoir vécu un certain nombre de situations, je peux vous le dire : soit il y a un risque, soit il n’y en a pas. Si le destinataire des fonds est suspect, si l’émetteur est suspect, si un ensemble d’émetteurs convergents sont suspects, il y a un risque. Je ne vois vraiment pas ce que le mot « élevé » apporte. Il suggère même que, finalement, dans certains cas, le risque existe, mais qu’il est moindre. Tenons-nous en à la seule mention du risque, sans qualificatif.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement risque de diluer les obligations de vigilance qui ont pour objectif de cibler les risques les plus importants. Il entraînerait également une surcharge d’obligations pour les professionnels assujettis, notamment les établissements bancaires, sans nécessité. Mais dès lors que les risques sont élevés, il est possible de comprendre que l’on entre dans le champ des obligations de vigilance renforcée, celles-ci s’appliquant, selon le code monétaire et financier, dès lors que l’assujetti est face à un risque qu’il juge élevé.

De mon point de vue, il faut retravailler et préciser cela avec le Gouvernement. Je vous suggère donc, cher collègue, de retirer votre amendement. À mon avis, vous n’avez pas tout à fait tort de soulever cette question – sans aller jusqu’à dire que vous avez raison.

M. Joël Giraud. Le mot « avéré » signifie qu’il existe un soupçon, au sens de la déclaration de soupçon de l’article 40 du code de procédure pénale. Un risque « élevé », je ne sais pas ce que ça veut dire.

Je veux bien retirer mon amendement, pour que nous en rediscutions, mais c’est un peu comme les seuils : qu’ils soient de 10 000 ou de 5 000 euros, confronté à un montant inférieur, on va considérer qu’il ne se passe rien de particulier, mais en présence d’un montant supérieur, on va considérer qu’il se passe quelque chose, alors que ce n’est pas forcément le cas. Il peut s’agir de quelqu’un qui se rend dans un pays où les échanges se font uniquement en espèces. Allez donc faire un trek au Pakistan, vous verrez !

M. Dominique Lefebvre. J’approuve tout à fait le rapporteur. Il faut retirer cet amendement, qui mérite un débat et une clarification.

Peut-être la question a-t-elle à voir avec les amendements suivants du rapporteur. Si j’ai bien compris, le projet de loi introduit une novation : d’habitude, c’étaient les établissements bancaires qui signalaient les opérations à Tracfin. Pour la première fois, c’est Tracfin qui signalera. Commençons donc par des faits d’importance au regard de l’objectif de cette loi : la lutte contre le terrorisme. Sinon, nous allons nous demander si Tracfin ne risque pas de passer son temps à faire des signalements aux établissements, sur lesquels pèserait ensuite quelque obligation ou pas. À la lecture des amendements du rapporteur, qui visent à limiter la responsabilité des dirigeants des organismes auxquels Tracfin ferait un signalement, je pense qu’il y a une logique.

Quant au qualificatif « élevé », d’autres que nous pourraient s’interroger. Moi-même, je ne sais pas quelle en est la portée sur le plan juridique. Le Conseil constitutionnel s’est-il déjà prononcé ?

La question de la responsabilité va se poser pour les établissements auxquels Tracfin aura signalé un risque. Je comprends votre souci de les protéger, monsieur le rapporteur pour avis. Dès lors qu’ils démontreront avoir fait preuve de diligence, ils ne pourront pas être mis en cause pour des opérations passées par leur établissement financier.

Il est bon que nous débattions en séance de ce changement systémique qui mérite d’être encadré. Peut-être les formulations doivent-elles être retravaillées – « élevé » est effectivement très relatif.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CF9 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Les amendements auxquels nous arrivons sont la conséquence de la nouvelle économie de ce dispositif.

L’objet de l’amendement CF9 est d’étendre l’exonération de responsabilité civile des entités assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme lorsqu’elles agissent dans le cadre du nouvel appel à vigilance. Actuellement, elles ne peuvent encourir aucune sanction professionnelle et ne sont pas responsables civilement lorsqu’elles effectuent une déclaration de soupçon à Tracfin. Le présent amendement vise à étendre ce régime dans le cas où les établissements mettent en œuvre une surveillance à la suite de l’appel à la vigilance de Tracfin.

Il s’agit de sécuriser l’environnement juridique des banques. De mon point de vue, il serait inopportun, au regard des besoins de l’enquête, de procéder à la clôture des comptes douteux. Si l’on signale un compte au dirigeant d’une banque ou à un chargé de clientèle en lui disant qu’il faut le surveiller, il voudra, si sa responsabilité civile ou pénale peut être mise en cause, le clore pour éviter tout problème, et personne ne peut l’en empêcher. Je souhaite donc une extension de l’exonération de responsabilité qui existe déjà dans l’autre sens, quand il y a déclaration de soupçon à Tracfin.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CF11 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. La logique est la même, il s’agit d’étendre l’exonération de responsabilité pénale des entités lorsqu’elles agissent dans le cadre du nouvel appel à vigilance. L’amendement précédent portait sur le civil ; cette fois, il s’agit du pénal. Et, je le rappelle, cela existe déjà, dans l’autre sens.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’article 14 modifié.

Article additionnel après l’article 14 (art. L. 561-22 du code monétaire et financier) : Mise en cohérence du champ de la responsabilité pénale des établissements de crédit

La commission est saisie de l’amendement CF10 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Il s’agit d’une mise en cohérence du champ de la responsabilité pénale des établissements de crédit. Les établissements qui ouvrent un compte de dépôt sur désignation de la Banque de France sont actuellement irresponsables pénalement des infractions de trafic de stupéfiants, recel ou blanchiment qui pourraient être associées à ce compte. Le présent amendement vise à ajouter à cette liste d’infractions le financement du terrorisme – objet de l’article 421-2-2 du code pénal –, en cohérence avec le champ de la protection juridique déjà offerte aux établissements lorsqu’ils effectuent certaines opérations bancaires sur des comptes objets de vigilance.

M. Charles de Courson. J’aime bien comprendre sur quoi je vote, c’est l’une de mes grandes faiblesses. Quelques établissements, du temps de la mafia, étaient des machines à blanchir. N’allons-nous pas, par une espèce de retournement, protéger des établissements partiellement complices ?

M. Dominique Lefebvre. Je comprends, à la relecture du texte, qu’actuellement la responsabilité des établissements financiers est limitée quand la Banque de France leur a imposé d’ouvrir un compte et que certaines infractions sont commises – un trafic de stupéfiants, par exemple.

L’amendement du rapporteur pour avis tend non pas à élargir de manière générale l’irresponsabilité à tout et n’importe quoi, mais à préciser que si le compte est ouvert à la demande de la Banque de France, la banque est pareillement exonérée de responsabilité si des faits liés au terrorisme sont commis. Si les établissements ne peuvent pas être poursuivis pour des faits de trafic de stupéfiants, il n’y a pas de raison qu’ils le soient pour des faits liés au terrorisme. On ne peut pas les tenir pour responsables de tout alors qu’ils n’ont pas le droit de ne pas ouvrir le compte.

M. le président Gilles Carrez. Est-ce fréquent, l’ouverture d’un compte sur désignation de la Banque de France ?

M. Dominique Lefebvre. En tout cas, cela existe dans le code monétaire et financier. Dans la pratique, nous connaissons des cas pour des personnes démunies, et il n’est pas impossible que des faits de terrorisme passent par des personnes démunies.

M. le président Gilles Carrez. Cette exonération de responsabilité pénale dès lors que le compte a été ouvert à la demande de la Banque de France me paraît logique.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 14

La commission discute ensuite de l’amendement CF4 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement mérite un examen attentif, parce qu’il peut être mal interprété. Son objet est de permettre aux établissements financiers d’interroger les gestionnaires des fichiers recensant les documents et objets volés. Il s’agit bien de permettre d’interroger, pas d’autoriser l’accès.

Les entités assujetties à la législation anti-blanchiment doivent identifier leurs clients avant d’entrer en relation d’affaires. En cas de doute sur l’authenticité des documents présentés, rien n’est actuellement prévu pour que les établissements puissent savoir si la pièce a été signalée comme volée ou perdue. L’amendement renvoie donc à un arrêté le soin de mettre en place un protocole entre le ministère de l’intérieur et les établissements bancaires, de crédit et de monnaie électronique afin que ces derniers aient accès aux informations des fichiers en question. Il ne s’agit en aucun cas d’un droit d’accès direct au fichier. Le fichier des objets et véhicules signalés a été créé en mars 2014, à titre expérimental. Le présent amendement suivrait la vie de cette expérimentation qui sera évaluée prochainement.

M. Charles de Courson. Il me semble que cet amendement pose un problème d’articulation avec les pouvoirs de la CNIL. Ne faudrait-il pas préciser : « après avis de la CNIL » ? Il s’agit quand même d’un accès indirect au fichier.

M. le rapporteur pour avis. Le but est précisément de permettre de régler cette question par arrêté.

M. Dominique Lefebvre. Si je comprends bien l’exposé sommaire, l’arrêté serait rédigé de manière à ce que les établissements puissent procéder à cette consultation lorsqu’ils soupçonnent qu’une opération pourrait participer au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme.

En pratique, l’ouverture d’un compte se fait sur présentation d’une pièce d’identité. Généralement, on fait une photocopie de l’original présenté, les certifications conformes n’existant plus. Comme le problème se pose de manière générale pour les établissements bancaires, ne risquons-nous pas d’ouvrir la porte à une consultation systématique à des fins de vérification du caractère frauduleux des pièces d’identité présentées, ce qui est un autre problème ? Nous ouvrons une porte dans le cadre de la suspicion de blanchiment en lien avec des faits de terrorisme, mais il me semble qu’il n’existe pas, actuellement, de procédure particulière ouverte aux banques qui leur permette en permanence de vérifier les pièces d’identités produites. J’ai donc un problème plus général de compréhension.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous parlons ici de clients occasionnels des banques. Quelqu’un que la banque ne connaît pas forcément se présenterait au guichet pour réaliser une opération, et il s’agirait d’interroger un fichier. Le temps que la CNIL donne son autorisation et que la réponse parvienne à l’établissement, soit trois semaines à un mois plus tard, le client occasionnel de la banque n’est plus là ! Tout cela est très théorique.

Mme Claudine Schmid. Je m’interroge aussi sur la façon dont les banques vérifieront les pièces d’identité étrangères.

M. le rapporteur pour avis. Je suis prêt à retirer cet amendement pour que nous en rediscutions dans l’hémicycle et que le Gouvernement donne son avis. J’appelle simplement votre attention sur le fait que cet amendement m’a été suggéré par la Fédération bancaire française, que j’ai reçue dans le cadre de l’élaboration de mon rapport pour avis.

L’amendement est retiré.

Article 15 (art. L. 561-26 du code monétaire et financier) : Extension du droit de communication de TRACFIN

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 15 sans modification.

Article 16 (art. 415-1 [nouveau] du code des douanes) : Extension en matière douanière du mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 16 sans modification.

Article additionnel après l’article 16 (art. 67 bis-1A [nouveau] du code des douanes) : Enquêtes des douanes sous pseudonyme

La commission examine l’amendement CF6 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement a pour but de permettre aux douanes d’effectuer des enquêtes sous pseudonyme pour certaines incriminations.

Internet est un vecteur de plus en plus utilisé pour commettre diverses infractions. Le code de procédure pénale permet déjà aux officiers de police judiciaire d’enquêter sous pseudonyme. En revanche, rien n’est prévu dans le code des douanes. Cet amendement permettra aux agents des douanes, notamment à ceux de la cellule spécialisée cyberdouane et de la direction du renseignement et des enquêtes douanières, de participer sous un pseudonyme, après en avoir informé l’autorité judiciaire, qui pourra s’y opposer, à des discussions générales dans des cercles restreints en vue de déceler les fraudes douanières les plus graves. L’enquête sous pseudonyme sera possible pour les délits de contrebande et de blanchiment douanier et pour les infractions à la réglementation des relations financières avec l’étranger.

M. le président Gilles Carrez. Une autorisation judiciaire préalable sera requise, c’est très important.

M. Joël Giraud. Évidemment, je suis favorable à cet amendement, mais cela pose le problème plus général du statut des agents des douanes en opération. La France est l’un des rares pays où les membres des différents corps concourant à l’exercice d’une mission de police n’ont pas forcément la qualité d’officier de police judiciaire. Dans tous les pays d’Europe, c’est différent. En Italie, même les agents du Corpo forestale – l’équivalent de l’Office national des forêts – sont des officiers de police judiciaire, et ne parlons pas des douanes ni de la garde des finances dont les opérations sont encore plus complexes que les opérations de police classique. C’est un vrai problème.

M. le président Gilles Carrez. La douane a des pouvoirs judiciaires en France.

M. Joël Giraud. Certes, mais les douaniers ne sont pas qualifiés d’officiers de police judiciaire. Profitons de l’occasion pour passer en revue tous ces corps qui apportent leur concours au sein des groupements d’intervention régionaux de police judiciaire et voir où sont les manques. Disons-le plus clairement : je ne suis pas contre cet amendement, mais il serait plus efficace de faire en sorte que tous ces agents puissent concourir de la même façon à l’exercice d’une fonction de police.

M. Charles de Courson. Nous découvrons un peu tout cela, mais il me semble qu’il y a un problème. En droit américain, les douaniers et d’autres ont le droit de tendre des pièges. En droit français, jusqu’à présent, ce n’est pas possible. Quand on voit les grandes canailles… Cela mérite un grand débat, car il y va des libertés publiques.

En l’occurrence, il me semble que l’amendement CF6 pourrait permettre ce genre de choses, même si ce n’est pas son objectif.

M. le rapporteur pour avis. Je vous rassure tout de suite, monsieur de Courson, l’amendement comporte la précision suivante : « À peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions. »

Pour le reste, cet amendement est inspiré des dispositions du code de procédure pénale relatives aux officiers de police judiciaire.

La commission adopte l’amendement.

Article additionnel après l’article 16 (art. 63 ter, 65 A bis, 67 quinquies A, 67 quinquies B [nouveau], 101 et 322 bis du code des douanes) : Prélèvements d’échantillons par les agents des douanes

La commission en vient à l’amendement CF13 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Même si je le défends avec grand plaisir, cet amendement m’a été fortement suggéré par les douanes. Il concerne le prélèvement d’échantillons par les agents des douanes.

Le code des douanes prévoit la possibilité pour les agents de l’administration de procéder à des prélèvements d’échantillons dans certaines situations seulement : les contrôles réalisés dans les lieux et locaux à usage professionnel et la vérification des marchandises dans le cadre des opérations de dédouanement. En revanche, dans le cadre de la mise en œuvre d’autres pouvoirs de contrôle, la prise d’échantillons justifiée par la nature des investigations qui portent sur les marchandises n’est pas expressément prévue, ce qui peut limiter les capacités d’action des agents des douanes. La mesure proposée permettra d’y recourir plus systématiquement en vue de la transmission d’échantillons à des services d’analyse spécialisés, notamment le service commun des laboratoires du ministère des finances et du ministère de l’économie.

M. le président Gilles Carrez. C’est un amendement de portée générale, qui ne concerne pas que la lutte contre le terrorisme. Il s’agit, en fait, de renforcer les moyens de contrôle des douanes. Je n’y vois pas d’inconvénient.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 16

La commission est ensuite saisie de l’amendement CF12 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. C’est le fameux amendement dont l’objet est d’abaisser de 10 000 à 5 000 euros le seuil de déclaration des transferts d’argent liquide d’un État membre de l’Union européenne à un autre.

Attentif aux débats de notre commission, je me propose de retirer cet amendement pour que nous en rediscutions entre nous – je n’ai notamment pas eu le temps d’en parler avec mes collègues socialistes. Il pourra éventuellement être redéposé en séance pour que nous en débattions avec le Gouvernement ; je considère que c’est un amendement d’appel.

L’amendement est retiré.

La commission discute de l’amendement CF7 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet important amendement vise à instaurer une présomption de non-déclaration en cas de déclaration fausse ou incomplète. Il reprend très exactement l’article 3 du règlement européen relatif au contrôle de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté, que l’on ne retrouve pas tel quel dans notre droit ; ledit article dispose que l’obligation de déclaration n’est pas réputée exécutée si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes.

Cet amendement permettra de remettre plus facilement en cause les déclarations souvent faites par les organisations criminelles pour échapper aux procédures douanières applicables en cas de manquement à l’obligation déclarative. En 2015, aucune de ces déclarations n’a fait l’objet d’un contrôle, et ce sont ainsi 2 milliards d’euros qui passent la frontière chaque année, en toute légalité apparente.

M. Charles de Courson. Il me semble que cet amendement est disproportionné. Une déclaration peut être partiellement fausse, inexacte ou incomplète. Il faudrait au moins ajouter un adverbe, comme « gravement ». Respectons un principe de proportionnalité et ne renversons pas la charge de la preuve pour quelques erreurs secondaires.

Mme Marie-Christine Dalloz. « Gravement et sciemment » !

M. le rapporteur pour avis. J’appelle votre attention sur le fait qu’il s’agit de la reprise mot à mot de l’article 3 du règlement européen, qui est d’application directe. Je ne suis donc pas tout à fait favorable à l’évolution proposée.

Je vous propose de retirer l’amendement ; nous le retravaillerons, chacun de notre côté et ensemble, et je le redéfendrai ensuite. Le but est de définir des faisceaux d’indices de blanchiment, mais nous en rediscuterons en séance.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ne compliquons pas inutilement la vie de tout le monde. J’entends bien que vous voulez cibler le blanchiment et le terrorisme, mais prenons garde : il ne faudrait pas qu’entrent dans le champ de ces mesures des opérations financières issues de transactions commerciales.

M. le rapporteur pour avis. Rassurez-vous, cet amendement concerne les personnes physiques uniquement, absolument pas les entreprises et les transactions commerciales. La problématique des valises et des mallettes de billets est la seule visée.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CF8 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Les choses ne sont pas forcément mûres, vu nos débats, mais c’est ce qui fait l’intérêt de ceux-ci.

Aujourd’hui, l’amende maximale en cas de manquement à l’obligation déclarative est de 25 % du montant non déclaré. Au mois d’août dernier, une jeune personne a voulu gagner un pays étranger avec 70 000 euros en espèces. La destination a éveillé des soupçons chez les douaniers : la personne faisait bel et bien l’objet d’une fiche S mais, en l’absence d’autre élément, ils n’ont pu que saisir 25 % du montant et ont dû la laisser repartir avec le solde. Il s’agirait de permettre de saisir jusqu’à 100 % du montant non déclaré.

Je retire l’amendement en vue du débat en séance.

M. le président Gilles Carrez. Voilà qui serait bon pour renflouer les comptes publics !

M. Charles de Courson. Serait-ce constitutionnel ?

M. le rapporteur pour avis. Oui, d’autant que 100 % est un maximum.

L’amendement est retiré.

TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES

Chapitre II
Habilitation à légiférer par ordonnances

Article 33 : Habilitation à légiférer par ordonnances

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 33 sans modification.

Enfin, elle émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

*

* *

LISTES DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR

– Cabinet du ministère des finances et des comptes publics : MM. Gérald Bégranger, conseiller juridique, et Yann Paternoster, chef adjoint de cabinet.

– Ministère des finances et des comptes publics, direction générale des douanes et droits indirects : M. Michel Baron, chef du bureau des affaires juridiques et contentieuses.

– Ministère des finances et des comptes publics, service du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) : M. Bruno Dalles, directeur de Tracfin (40).

– Ministère des finances et des comptes publics, délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) : M. Éric Belfayol, magistrat détaché à la délégation nationale de lutte contre la fraude.

– Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Douanes : MM. Vincent Thomazo, secrétaire général, Jean-Marie Favre, secrétaire interrégional, section service national de douane judicaire, et Mme Catherine Chauvette, secrétaire régionale.

– Confédération générale des cadres (CGC) Douanes : MM. Olivier Gourdon, président et chef divisionnaire des douanes, et Olivier Fouque, adjoint aux affaires juridiques auprès de la cheffe du service national de douane judiciaire (SNDJ) et expert pour la CGC Douanes.

– Fédération bancaire française * : Mme Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale, MM. Alain Gourio, directeur juridique, Nicolas Bodilis Reguer, directeur du département relations institutionnelles France, et Nicolas Chatillon, directeur du développement, Groupe BPCE.

– Association française des établissements de paiement et de monnaie électronique (AFEPAME) : MM. Jérôme Traisnel, président, et Nicolas Herbreteau, directeur des relations institutionnelles d’Edenred France.

– Déplacement au parquet national financier : rencontre avec Mme Eliane Houlette, procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris, et table ronde avec l’ensemble des magistrats du parquet national financier.

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

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