______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 février 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 3473)
renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme
et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale,
PAR Mme Colette CAPDEVIELLE et M. Pascal POPELIN,
Députés
——
Voir les numéros : 3510, 3515.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 11
I. LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DES ATTEINTES À L’ORDRE PUBLIC SONT SOUMISES À DES EXIGENCES NOMBREUSES ET PARFOIS CONTRADICTOIRES 15
A. L’EXIGENCE D’EFFICACITÉ FACE AUX DÉFIS POSÉS PAR LE TERRORISME 15
1. Une menace d’ampleur inédite à la frontière du crime organisé et du terrorisme 15
a. Une menace croissante et protéiforme… 15
b. … qui exige une adaptation des moyens de surveillance et d’investigation des activités liées au crime organisé 17
2. Les moyens financiers à la disposition des organisations terroristes 18
B. L’EXIGENCE DE RESPECT DE LA GARANTIE DES DROITS 20
1. La Cour européenne des droits de l’homme et le ministère public 20
2. L’influence croissante du droit européen sur la procédure pénale 23
3. Une procédure pénale complexe dont les acteurs attendent la réforme 24
II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI 26
A. COMBATTRE LE TERRORISME EN LUTTANT CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE, LE TRAFIC D’ARMES ET LA CYBERCRIMINALITÉ 26
1. L’élargissement des mesures spéciales d’investigation (articles 1er à 3) 26
2. L’adaptation de la compétence centralisée de la juridiction parisienne en matière d’exécution des peines à l’augmentation du contentieux terroriste (article 4) 29
3. La protection de l’identité et de la sécurité des témoins s’exposant à des risques de représailles dans des affaires sensibles (articles 5 et 6) 30
4. Le renforcement de la lutte contre le trafic d’armes (articles 7 à 10) 31
5. L’adaptation de notre législation à la « cybercriminalité » (article 11) 33
B. MIEUX DÉTECTER ET RÉPRIMER LES ACTIVITÉS FINANÇANT LE TERRORISME 35
C. ADAPTER LES MOYENS ADMINISTRATIFS D’ENQUÊTE ET DE CONTRÔLE À LA MENACE TERRORISTE 36
1. L’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité (article 17) 36
2. La retenue en cas de suspicions sérieuses que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste (article 18) 37
3. La précision du cadre légal de l’état de nécessité en cas de périple meurtrier (article 19) 38
4. Le contrôle administratif des retours sur le territoire national (article 20) 39
5. L’instauration d’un contrôle des accès aux établissements ou installations accueillant des évènements de grande ampleur (article 21) 41
D. MODERNISER LA PROCÉDURE PÉNALE 41
1. La clarification du rôle du procureur de la République et la modernisation de l’enquête préliminaire (articles 22 et 24) 42
2. Le renforcement de l’autorité fonctionnelle des magistrats sur la police judiciaire (article 23) 44
3. L’encadrement des interceptions pendant l’information judiciaire (article 25) 44
4. L’amélioration de dispositifs ponctuels (articles 26 à 31 et 33) 45
E. DONNER UN CADRE JURIDIQUE AUX CAMÉRAS INDIVIDUELLES PORTÉES PAR LES FORCES DE L’ORDRE 47
III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS 48
A. UN MEILLEUR ENCADREMENT DES MOYENS JUDICIAIRES DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE 48
B. UN RENFORCEMENT DES GARANTIES ASSOCIÉES AUX ENQUÊTES ET CONTRÔLES ADMINISTRATIFS 50
C. UNE PROCÉDURE PÉNALE PLUS EFFICACE ET PLUS RESPECTUEUSE DES DROITS DES PERSONNES 51
D. UNE RÉDUCTION IMPORTANTE DU CHAMP DES ORDONNANCES AU PROFIT DE DISPOSITIONS DISCUTÉES PAR LE PARLEMENT 53
CONTRIBUTION DE M. PATRICK DEVEDJIAN, CO-RAPPORTEUR SUR LA MISE EN APPLICATION DE LA LOI (article 86, alinéa 7, du Règlement) 55
AUDITION DE M. JEAN-JACQUES URVOAS, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, ET DISCUSSION GÉNÉRALE 57
EXAMEN DES ARTICLES 81
TITRE IER – DISPOSITIONS RENFORÇANT LA LUTTE CONTRE LE CRIME ORGANISÉ, LE TERRORISME ET LEUR FINANCEMENT 81
Chapitre Ier – Dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires 81
Article 1er (art. 706-90 à 706-92 du code de procédure pénale) : Perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en matière de terrorisme 81
Après l’article 1er 93
Article 2 (art. 706-95-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Mise en œuvre de dispositifs techniques de proximité de recueil de données techniques de connexion (IMSI catcher) en matière de criminalité et de délinquance organisées 94
Après l’article 2 108
Article 3 (art. 706-96, 706-98 à 706-101 et 706-102-1 à 706-102-8 du code de procédure pénale) : Extension à l’enquête de techniques spéciales d’investigation jusque-là réservées à l’instruction en criminalité et délinquance organisées 111
Article 4 (art. 706-22-1 du code de procédure pénale) : Limitation de la compétence du juge de l’application des peines de Paris aux personnes condamnées pour actes de terrorisme par la juridiction parisienne 120
Article 4 bis (nouveau) (art. 132-45 du code pénal) : Nature des obligations du sursis avec mise à l’épreuve en cas de condamnation pour une infraction terroriste 123
Après l’article 4 bis 126
Article 4 ter (nouveau) (art. L. 811-4 du code de la sécurité intérieure) : Intégration du bureau du renseignement pénitentiaire dans le « deuxième cercle » de la communauté du renseignement 129
Après l’article 4 ter 133
Chapitre II – Dispositions renforçant la protection des témoins 136
Article 5 (art. 306-1 et 400-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Audition de témoins à huis clos en cas de risques graves de représailles en matière de crimes contre l’humanité ou d’infractions graves 136
Après l’article 5 140
Article 6 (art. 706-62-1 et 706-62-2 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Protection de l’identité et de la sécurité des témoins s’exposant à des risques graves de représailles dans certaines affaires (identification par un numéro, attribution d’une identité d’emprunt) 141
Chapitre III – Dispositions améliorant la lutte contre les infractions en matière d’armes et contre la cybercriminalité 154
Article 7 (art. L. 312-3, L. 312-3-1 [nouveau], L. 312-4, L. 312-4-1 et L. 312-16 du code de la sécurité intérieure) : Renforcement du contrôle administratif de l’acquisition et de la détention d’armes 154
Article 8 (art. 706-55, 706-73 et 706-106-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Renforcement des moyens d’investigation judiciaire en matière de lutte contre le trafic d’armes 162
Article 9 (art. L. 317-4, L. 317-5, L. 317-7 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure et art. L. 2339-10 du code de la défense) : Renforcement de la répression pénale de certains faits de trafic d’armes 174
Article 10 (art. 67 bis et 67 bis-1 : du code des douanes) : Extension de certaines techniques spéciales d’enquête des douanes au trafic d’arme (infiltration et « coup d’achat ») 180
Article 11 (art. 113-2-1 [nouveau] du code pénal et art. 43, 52, 382 et 706-73-1 du code de procédure pénale) : Modification des règles de compétence des juridictions en matière de « cybercriminalité » 184
Chapitre IV – Dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme 194
Article 12 (art. 421–2–7 [nouveau] du code pénal et art. 706–24–1 et 706–25–1 du code de procédure pénale) : Création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes 194
Après l’article 12 201
Article 13 (art. L. 315–9 [nouveau] et L. 561–12 du code monétaire et financier) : Plafonnement des cartes prépayées et modalités de recueil d’informations relatives à l’utilisation de ces cartes 205
Article 14 (art. L. 561–29–1 [nouveau] et L. 574–1 du code monétaire et financier) : Signalement par TRACFIN aux personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme de situations générales et individuelles présentant des risques élevés 208
Article 15 (art. L. 561–26 du code monétaire et financier) : Extension du droit de communication de TRACFIN 213
Article 15 bis (nouveau) (art. L. 561–27 du code monétaire et financier) :Extension de l’accès des agents habilités de TRACFIN au fichier des antécédents judiciaires 214
Article 16 (art. 415–1 [nouveau] du code des douanes) : Extension en matière douanière du mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds 217
Chapitre V – Dispositions renforçant l’enquête et les contrôles administratifs 220
Article 17 (art. 78–2–2 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à la fouille des bagages lors d’un contrôle d’identité 220
Après l’article 17 226
Article 18 (art. 78–3–1[nouveau] et 78–4 du code de procédure pénale) : Retenue en cas de suspicions sérieuses que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste 227
Article 19 (art. L. 434–2 [nouveau] du code de la sécurité intérieure, art. L. 4123–12 du code de la défense et art. 56 du code des douanes) : Cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre dans le cas d’un périple meurtrier 247
Avant l’article 20 258
Article 20 (art. L. 225–1 à 225–6 [nouveaux] du code des douanes) : Contrôle administratif des retours sur le territoire national 259
Article 21 (art. L. 211–11–1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) : Renforcement des contrôles d’accès aux établissements ou installations accueillant des événements de grande ampleur 277
Après l’article 21 281
TITRE II – DISPOSITIONS RENFORÇANT LES GARANTIES DE LA PROCÉDURE PÉNALE ET SIMPLIFIANT SON DÉROULEMENT 282
Chapitre Ier – Dispositions renforçant les garanties de la procédure pénale 282
Article 22 (art. 39-3 [nouveau] du code de procédure pénale) : Missions du procureur de la République 282
Article 23 (art. 229-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Procédure disciplinaire d’urgence à l’encontre des officiers et agents de police judiciaire 285
Article 24 (art. 77-2, 77-3 et 393 du code de procédure pénale) : Renforcement de la dimension contradictoire de l’enquête préliminaire 287
Article 25 (art. 100-1, 100-2 et 100-7 du code de procédure pénale) : Modalités d’interception de communications au cours de l’instruction 297
Article 25 bis (nouveau) (art. 56, 56-5 [nouveau], 57, 57-1, 60-1, 77-1-1 et 96 du code de procédure pénale) : Protection des documents couverts par le secret du délibéré 301
Après l’article 25 bis 307
Article 26 (art. 179, 186-4 [nouveau], 186-5 [nouveau], 194-1 [nouveau] et 199 du code de procédure pénale) : Améliorations de la procédure en matière de détention provisoire et de renvoi 307
Article 27 (art. L. 1521-18 du code de la défense) : Modalités de garde à vue après une arrestation en mer 310
Article 27 bis (nouveau) (art. 132-57 du code de procédure pénale) : Conversion des peines d’emprisonnement en sursis avec mise à l’épreuve ou en contrainte pénale 312
Article 27 ter (nouveau) (art. 41-7 [nouveau], 99, 99-2-1 et 802-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Renforcement des garanties applicables en matière de restitution des objets placés sous main de justice à leur propriétaire 313
Article 27 quater (nouveau) (art. 61-3 [nouveau], 63-1, 63-2, 63-4-2, 76-1 [nouveau], 117, 133-1, 135-2, 145-4, 154, 695-17-1[nouveau], 695-27 et 706-88 du code de procédure pénale, art. 323-5 du code des douanes, art. 4 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, art. 64 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et art. 23-1-1 de l’ordonnance n° 92-1147 du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna) : Transposition de la directive « C » sur l’accès à l’avocat et la communication avec un tiers 316
Après l’article 27 quater 321
Article 27 quinquies (nouveau) (art. 213 et 215 du code de procédure pénale) : Motivation des arrêts de règlement de la chambre de l’instruction 321
Article 27 sexies (nouveau) (art. 721-1 du code de procédure pénale) : Prise en compte de la surpopulation carcérale dans l’octroi des réductions supplémentaires de peines 322
Article 27 septies (nouveau) (art. 723-15-2 du code de procédure pénale) : Délai offert au juge de l’application des peines pour l’examen d’un aménagement de peine 322
Article 27 octies (nouveau) (art. 762 du code de procédure pénale) : Emprisonnement encouru pour défaut de paiement d’un jour-amende 323
Chapitre II – Dispositions simplifiant le déroulement de la procédure pénale 324
Article 28 (art. 18 du code de procédure pénale) : Habilitation des officiers de police judiciaire 324
Article 29 (art. 148 et 803-7 [nouveau] du code de procédure pénale) : Mise en liberté des personnes placées en détention provisoire 326
Article 30 (art. 390-1, 396 et 527 du code de procédure pénale) : Dispositions simplifiant le jugement 329
Article 31 (art. 74-2, 78-2, 78-2-2 et 78-2-4 du code de procédure pénale) : Recherche des personnes en fuite 333
Article 31 bis (nouveau) (art. L. 218-30, L. 218-55 et L. 218-68 du code de l’environnement) : Procédure d’immobilisation d’un navire polluant 334
Article 31 ter (nouveau) (art. 132-20 du code pénal, art. 705-6 [nouveau] du code de procédure pénale, art. 409-1 du code des douanes, art. L. 612-42 et L. 621-15 du code monétaire et financier, art. L. 464-5-1 du code de commerce, et art. 44 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne) : Sur-amendes 336
Article 31 quater (nouveau) (art. 28 du code de procédure pénale, art. L. 8271-6-1 du code du travail, art. L. 172-8 du code de l’environnement, art. L. 450-4 du code de commerce, art. L. 215-8 du code de la consommation, art. L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle, art. L. 3341-2 du code de la santé publique et art. L. 234-18 et L. 235-5 du code de la route) : Audition libre par des agents publics détenteurs de pouvoir de police spéciale 337
Article 31 quinquies (nouveau) (art. 41-4, 41-5, 99, 99-2, 373, 481, 493-1 [nouveau], 706-1, 706-143, 706-148, 706-157, 706-160, 706-161, 706-163, 706-164 et 707-1 du code de procédure pénale) : Confiscation des produits du crime et prérogatives de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués 338
Article 31 sexies (nouveau) (art. 48-1 du code de procédure pénale) : Accès des magistrats chargés du contrôle des fichiers de police judiciaire au fichier des procédures judiciaires 341
Article 31 septies (nouveau) (art. 84-1 [nouveau], 135-2, 141-2, 161-1, 175 et 706-71 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à l’instruction 341
Article 31 octies (nouveau) (art. 230-2, 230-3 et 230-45 [nouveau] du code de procédure pénale) : Plate-forme nationale des interceptions judiciaires 343
Article 31 nonies (nouveau) (art. 308 du code de procédure pénale) : Enregistrement des débats en cour d’assises 344
Article 31 decies (nouveau) (art. 354 et 355 du code de procédure pénale) : Délibéré hors du palais de justice 345
Article 31 undecies (nouveau) (art. 379-2, 379-7 et 380-1 du code de procédure pénale) : Jugement aux assises réputé contradictoire 346
Article 31 duodecies (nouveau) (art. 380-14, 380-15, 500-1, 502 et 505-1 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à l’appel 347
Article 31 terdecies (nouveau) (art. 394 du code de procédure pénale) : Délai de comparution devant le tribunal correctionnel 348
Article 31 quaterdecies (nouveau) (art. 590-1 et 509-2 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Déchéance des pourvois en cassation 349
Article 31 quindecies (nouveau) (art. 628–1 du code de procédure pénale) : Spécialisation de la cour d’assises de Paris en matière de jugement des crimes contre l’humanité et les crimes de guerre 350
Article 31 sexdecies (nouveau) (art. 665 du code de procédure pénale) : Modification du délai d’examen des requêtes en dessaisissement 351
Article 31 septdecies (nouveau) (art. 712–17 du code de procédure pénale) : Recours à la visio-conférence pour l’exécution des mandats délivrés par les juges d’application des peines 352
Article 31 octodecies (nouveau) (art. 713–49 [nouveau] du code de procédure pénale) : Caractère exécutoire par provision des décisions mettant à exécution l’emprisonnement contre un condamné qui ne respecte pas sa peine de contrainte pénale 353
TITRE III – DISPOSITIONS DIVERSES 354
Chapitre Ier A (nouveau) – Dispositions relatives aux peines 355
Avant l’article 32 355
Article 32 A (nouveau) (art. 131–5–1 du code pénal) : Ouverture de la possibilité d’une prescription d’un stage de citoyenneté en l’absence du prévenu 357
Article 32 B (nouveau) (art. 131–8 du code pénal) : Ouverture de la possibilité d’une prescription d’un travail d’intérêt général en l’absence du prévenu 358
Article 32 C (nouveau) (art. 131–35–2 [nouveau] du code pénal) : Limitation du coût du stage à la charge du condamné au montant de l’amende de troisième classe 359
Article 32 D (nouveau) (art. 132–54 du code pénal) : Ouverture de la possibilité de prononcer un sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général en l’absence du prévenu 359
Chapitre Ier – Caméras mobiles 360
Article 32 (art. L. 241-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) : Caméras mobiles 360
Après l’article 32 367
Chapitre II – Habilitation à légiférer par ordonnances 368
Article 33 : Habilitation à légiférer par ordonnances 368
Chapitre III – Dispositions relatives aux outre-mer 389
Article 34 (art. L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1, L. 288-1, L. 344-1, L. 345-1, L. 346-1, L. 347-1, L. 445-1, L. 446-1, L. 447-1 et L. 448-1 du code de la sécurité intérieure ; art. L. 1641-1, L. 1651-1, L. 1661-1, L. 1671-1, L. 2441-1, L. 2451-1, L. 2461-1, L. 2471-1, L. 4341-1, L. 4351-1, L. 4361-1 et L. 4371-1 du code de la défense ; art. L. 743-7-2, L. 753-7-2 et L. 763-7-2 du code monétaire et financier) : Application Outre-mer 389
Article 35 (nouveau) (art. 926–1 du code de procédure pénale) : Création d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation à Saint-Pierre-et-Miquelon 390
TABLEAU COMPARATIF 393
PRÉSENTATION DES OBSERVATIONS SUR LES DOCUMENTS RENDANT COMPTE DE L’ÉTUDE D’IMPACT (article 86, alinéa 9, du Règlement) 595
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 597
Mesdames, Messieurs,
Trait d’union « entre deux intérêts également puissants, également sacrés, qui veulent à la fois être protégés, l’intérêt général de la société qui veut la juste et prompte répression des délits, l’intérêt des accusés qui est lui aussi un intérêt social et qui exige une complète garantie des droits de la collectivité et de la défense » (1), la procédure pénale est l’objet, en France, depuis une quinzaine d’années, de réformes nombreuses.
Le présent projet de loi, dont l’Assemblée nationale est saisie en première lecture, s’attache à concilier ces deux exigences de sécurité et de liberté, comme l’indique son intitulé qui fait référence à « la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement » ainsi qu’à « l’efficacité » et aux « garanties de la procédure pénale ».
Ce projet a trois objets principaux : renforcer les garanties apportées au justiciable, en particulier au stade de l’enquête initiale, simplifier la procédure pénale dans le sens souhaité par de nombreux professionnels et améliorer l’efficacité de la procédure dérogatoire applicable à la criminalité et à la délinquance organisées.
Résultat de longs mois de consultations conduites sur le sujet par la Chancellerie, il s’articule avec diverses mesures de simplification administrative et réglementaire décidées par le Gouvernement sur proposition de plusieurs groupes de travail, ainsi que l’a précisé M. Robert Gelli, directeur des affaires criminelles et des grâces, devant la mission d’information relative à la réforme de la procédure pénale, confiée à nos collègues Dominique Raimbourg et Patrick Devedjian (2).
Le présent texte est fortement attendu par le monde judiciaire, qui appelle, depuis plusieurs années, à une modernisation et à une adaptation des moyens mis à sa disposition pour remplir ses missions.
Il s’agit, en premier lieu, de mettre notre procédure pénale en conformité avec les exigences progressivement dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel – au travers de diverses questions prioritaires de constitutionnalité – et de la Cour européenne des droits de l’homme, et de parachever son adaptation aux règles posées par plusieurs directives communautaires dans le cadre du « programme de Stockholm » (3).
Il convient, en deuxième lieu, de répondre aux besoins de clarté et de lisibilité exprimés par les professionnels, au travers notamment de trois rapports remis à la garde des Sceaux, ministre de la justice, le premier, en novembre 2013, sur la refondation du ministère public sous la présidence de M. Jean-Louis Nadal (4), le deuxième, en février 2014, sur la protection des internautes face à la cybercriminalité, sous l’égide de M. Marc Robert (5), et le dernier, en juillet de la même année, sur la réforme de la procédure pénale par un comité de réflexion dirigé par M. Jacques Beaume (6).
Il importe, en troisième et dernier lieu, de donner aux services enquêteurs et aux magistrats de nouveaux moyens d’investigation et de poursuite des infractions délictuelles et criminelles, lesquelles tendent à devenir de plus en plus sophistiquées et astucieuses, notamment en matière de criminalité et de délinquance organisées.
Alors que le projet de loi était en cours de préparation par le Gouvernement, notre pays a été douloureusement frappé, au mois de novembre 2015, par de nouveaux attentats terroristes, quelques mois après les attaques perpétrées contre le journal Charlie Hebdo à Paris et le magasin Hyper Cacher de Vincennes.
Une fois les premiers enseignements tirés de ces évènements et compte tenu des besoins exprimés par l’ensemble des services impliqués dans la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, il est apparu nécessaire d’ajouter au contenu du texte plusieurs dispositions instituant des mesures préventives de détection et de surveillance de la menace, notamment en matière de contrôles administratifs et de financement du terrorisme. Ces dispositions, justifiées par la nécessité de faire preuve d’une fermeté inébranlable face au terrorisme, sont proportionnées et encadrées, et respectent les valeurs de la République, l’État de droit et nos traditions démocratiques.
Dans ces conditions, vos deux rapporteurs, M. Pascal Popelin sur l’ensemble des dispositions renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme à l’exception de celles relatives à leur financement – articles 1er à 11 et 17 à 21 – et Mme Colette Capdevielle sur les dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme – articles 12 à 16 – ainsi que celles renforçant les garanties au cours de la procédure pénale et simplifiant son déroulement – articles 22 à 34 –, se sont attachés à en enrichir le contenu afin de doter notre pays de règles de procédure pénale efficaces, équitables et accessibles.
I. LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DES ATTEINTES À L’ORDRE PUBLIC SONT SOUMISES À DES EXIGENCES NOMBREUSES ET PARFOIS CONTRADICTOIRES
Les règles régissant la prévention et la répression des atteintes susceptibles d’être portées à l’ordre public doivent concilier une triple exigence au cœur des dispositions du présent projet de loi : l’exigence d’efficacité, pour donner aux services d’enquête et aux magistrats les outils adaptés au nouveau visage du crime organisé et du terrorisme (A) ; l’exigence de respect de la garantie des droits, conformément aux règles posées en la matière par le droit conventionnel et communautaire (B) ; l’exigence de simplification face à une procédure pénale devenue, au fil des ans, de plus en plus lourde (C).
La première de ces exigences, attendue par de nombreux enquêteurs et magistrats, vise à doter notre pays d’outils d’investigation plus efficaces face à la menace actuelle de la grande criminalité organisée (1) et aux moyens financiers dont disposent les organisations terroristes (2).
Le terrorisme et ses adjuvants, le crime organisé et le trafic d’armes, représentent une menace d’ampleur inédite dans notre pays et en Europe. Phénomène multiforme, alimenté par des évènements nationaux et internationaux, il s’est douloureusement exprimé sur notre territoire à plusieurs reprises, notamment avec les tueries de Toulouse et Montauban en mars 2012, l’attaque contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes en janvier 2015 et les attentats coordonnés, en novembre dernier, en plusieurs lieux de l’Île-de-France.
À la différence des précédents mouvements, le terrorisme actuel se nourrit de filières djihadistes issues de l’afflux de combattants étrangers sur les territoires syrien et irakien en décomposition et dont la France constitue l’un des principaux pourvoyeurs. Plus largement, ainsi que l’a démontré la commission d’enquête du Sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe (7), on assiste à une augmentation préoccupante du nombre de personnes radicalisées, développant une vision dévoyée de l’islam, et nihilistes, en raison d’un « individualisme forcené » (8) s’articulant autour d’un imaginaire du héros, de la violence et de la mort.
Le terrorisme djihadiste se présente sous des formes renouvelées, allant au-delà des actions des organisations terroristes comme Al-Qaïda et ses groupes affiliés – Al-Qaïda dans la péninsule arabique ou Al-Qaïda au Maghreb islamique – ou Daech. À ces menaces s’ajoutent celles des djihadistes revenant de la zone irako-syrienne dont la dangerosité, qu’ils soient endurcis, repentants ou traumatisés, est difficile à évaluer, ou encore celles des individus « velléitaires » qui n’ont pas réussi à rejoindre un théâtre d’opérations étranger.
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la surveillance des filières et des individus djihadistes a relevé que les terroristes « n’ont plus recours à l’explosif mais aux armes à feu, voire aux armes blanches, d’autant plus faciles d’accès que de nombreux djihadistes ont un passé de délinquant, ce qui conduit de nombreux observateurs à souligner la perméabilité entre le monde de la délinquance et celui du terrorisme (…) et entre les réseaux de criminalité organisée et le terrorisme ». Devant elle, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a souligné que la « lutte contre le trafic d’armes et l’utilisation des fonds provenant de la traite des êtres humains » était un « domaine d’action absolument stratégique » car ces activités « peuvent contribuer à alimenter des activités terroristes » (9). Ainsi que l’a indiqué M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, lors de son audition par votre commission des Lois le mercredi 10 février, « depuis 2014, 6 000 armes sont saisies chaque année et la mise en œuvre de l’état d’urgence a permis d’accroître notablement ce nombre, 212 infractions à la législation sur les armes [faisant] actuellement l’objet de poursuites ». Il a également fait observer « que les auteurs des récents attentats étaient lourdement armés » (10).
Enfin, les terroristes s’organisent bien souvent non pas en filières organisées mais en microcellules soutenues par des complicités et des soutiens logistiques (fourniture d’armes, de véhicules…). Maîtrisant parfaitement l’usage des nouvelles technologies, ils communiquent en se jouant des techniques traditionnelles de surveillance, notamment les interceptions de correspondances.
En décembre 2015, près de 680 personnes étaient mises en cause dans des procédures judiciaires d’enquêtes et d’informations pour des faits de terrorisme, contre moins de 500 avant les attentats de novembre. Si, à la même date, le nombre d’individus impliqués dans le djihad irako-syrien et suivis par les services de renseignement semblait se stabiliser entre 1 750 et 1 780 personnes (11), il aurait dépassé, au mois de février 2016, les 2 000 personnes, dont 1 012 se seraient rendues sur place et 597 s’y trouveraient toujours, soit une augmentation de plus de 57 % par rapport au mois de janvier 2015 (12).
b. … qui exige une adaptation des moyens de surveillance et d’investigation des activités liées au crime organisé
La grande diversité des profils des djihadistes et des individus radicalisés, le perfectionnement des modes opératoires utilisés pour passer à l’acte et la porosité croissante entre la grande criminalité, le trafic d’armes et le terrorisme exigent de faire évoluer les moyens d’investigation à la disposition des services de police judiciaire et administrative.
Notre pays a déjà donné, ces trente dernières années, aux services d’enquête et aux magistrats de nouveaux moyens juridiques destinés à leur permettre de mieux anticiper et détecter les menaces terroristes pesant sur notre pays, démanteler les réseaux qui les portent et, le cas échéant, réprimer sévèrement les atteintes portées à l’ordre public : création d’une compétence concurrente nationale des juridictions pénales parisiennes en matière de terrorisme et application à ce domaine de règles procédurales dérogatoires (13), répression de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (14), extension des règles procédurales dérogatoires (garde à vue prolongée à 6 jours (15), intervention de l’avocat différée à la 72e heure (16), allongement des délais de prescription de l’action publique (17)…), élargissement de la poursuite aux délits terroristes commis à l’étranger par des Français (18).
Cette législation a été récemment enrichie de nouvelles dispositions par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Il s’agit notamment, sur le plan administratif, de la création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire et du renforcement des mesures d’assignation à résidence et, sur le plan judiciaire, de la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle, de la facilitation des perquisitions de données stockées à distance ou sur des terminaux mobiles, de la généralisation de l’enquête sous pseudonyme à l’ensemble de la criminalité et de la délinquance organisées ou de l’extension de la captation de données informatiques à celles reçues ou émises par des périphériques audiovisuels de type Skype.
Enfin, avec la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, le législateur a doté notre pays d’un cadre juridique complet et cohérent de surveillance administrative des activités susceptibles de porter atteinte à certains intérêts protégés, par la mise en place d’un régime d’autorisation des techniques de recueil de renseignement sous un double contrôle administratif et juridictionnel.
Il est nécessaire de parachever cet édifice en donnant aux enquêteurs et aux magistrats les moyens dont ils ont besoin pour faire face aux nouvelles formes de terrorisme et à ses corollaires, le crime organisé et le trafic d’armes, près de dix années après l’adoption de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. La loi dite « Perben II » avait elle-même adapté notre droit aux évolutions de la grande criminalité en améliorant et en renforçant l’efficacité des enquêtes pénales.
Cela est d’autant plus nécessaire que, si les outils judiciaires autorisés par la procédure dérogatoire commune à la délinquance et à la criminalité organisées s’appliquent à la lutte antiterroriste, ces outils ne recouvrent pas la totalité de ceux récemment mis à la disposition des services de renseignement. De surcroît, certains d’entre eux, en l’état du droit, ne peuvent être utilisés que lorsqu’une information judiciaire est ouverte, et pas en enquête de flagrance ou préliminaire, alors même que la part de l’instruction, obligatoire pour les affaires criminelles, dans les affaires pénales donnant lieu à des poursuites est tombée à moins de 3 % et que le rôle du procureur de la République dans les réponses pénales apportées à la délinquance et à la criminalité n’a cessé de croître.
L’une des clés de la prévention et de la répression du terrorisme est de parvenir à entraver les moyens financiers dont disposent les organisations pour attirer et maintenir en leur sein des combattants et organiser leurs actions criminelles.
Ce financement prend deux formes principales :
– un financement « macroéconomique » des organisations terroristes, qui s’appuie sur des moyens importants ;
– des circuits de micro-financements, mobilisant des sommes modestes, utilisés par les combattants étrangers pour rejoindre des groupes structurés.
Plusieurs initiatives récentes prises au niveau international ont pour objectif de tarir le financement international de Daech, sur le modèle de ce qui avait été entrepris contre Al Quaida après les attentats du 11 septembre 2001.
Initiatives internationales concernant la lutte contre le financement de Daech
– résolution 7804 de la Ligue des États arabes du 7 septembre 2014 ;
– déclaration de Paris du 15 septembre 2014 (Irak - Conférence internationale pour la paix et la sécurité) ;
– déclaration du groupe d’action financière (GAFI) du 24 octobre 2014 sur la lutte contre le financement de Daech qui contient des préconisations très précises portant notamment sur la coopération internationale, le contrôle des fonds transitant par les ONG ou l’accès de Daech au système financier international ;
– déclaration de Manama du 9 novembre 2014 (émanant de 29 pays et de plusieurs organisations régionales et internationales dans le cadre de la coalition internationale contre Daech).
En revanche, le repérage des micro-flux est particulièrement délicat, nombre de ces transactions s’effectuant en liquide. Ainsi, et malgré le fait que les professionnels du secteur financier, notamment les banques, ont été alertés et formés, peu de signalements sont effectués auprès de la justice pour des motifs liés au financement du terrorisme, et ceux qui le sont ne sont pas aisément exploitables. Comme l’a noté le rapport du sénateur Jean-Pierre Sueur, « l’essentiel de ces signalements concernent des associations cultuelles ou caritatives, parfois des commerces, mais n’aboutissent pas nécessairement en raison de la difficulté de prouver la destination réelle des fonds et sont donc traités sous la qualification d’abus de confiance et non de financement du terrorisme. » (19)
Les dispositifs juridiques européens et français s’organisent pour s’adapter aux nouvelles formes de financement du terrorisme. Ainsi, la Commission européenne a présenté le 2 février 2016 un plan d’action destiné à lutter contre le financement du terrorisme, qui s’inspire en grande partie du programme présenté par les autorités françaises en décembre 2015. Il s’articule autour de deux axes :
– prévenir les mouvements de fonds et repérer le financement du terrorisme, ce qui supposera une modification substantielle du « quatrième paquet anti–blanchiment » afin de rajouter des contrôles obligatoires aux flux financiers provenant de pays tiers dont le cadre de lutte contre le financement du terrorisme comporte des carences, de mettre en place des registres nationaux centralisés des comptes bancaires et d’inclure les plateformes de change de monnaies virtuelles dans le champ d’application des directives européennes. La Commission devrait également proposer la définition commune de l’infraction de blanchiment et permettre aux autorités d’agir en cas de soupçons d’activité illicite sur des faibles montants ;
– déstabiliser les sources de revenus utilisées par les organisations terroristes, en s’attaquant à leur capacité à lever des fonds et en apportant une assistance technique aux pays dans lesquels elles se financent.
Dès mars 2015, le Gouvernement français a mis en place un plan d’action national contre le financement du terrorisme, dont un premier bilan a été établi en novembre 2015 :
– l’abaissement du plafond de paiement en espèces de 3 000 à 1 000 euros est effectif depuis le 1er septembre ;
– le signalement à TRACFIN de tout dépôt ou retrait d’espèces supérieur à 10 000 euros est en place depuis le 1er janvier 2016 ;
– une prise d’identité pour toute opération de change d’un montant supérieur à 1 000 euros est effective depuis le 1er janvier 2016 ;
– l’obligation déclarative de transferts de capitaux par fret devrait entrer en vigueur au 1er trimestre 2016 ;
– le recul de l’anonymat dans l’usage des cartes prépayées est prévu pour l’année 2016.
En outre, les capacités de gel des avoirs terroristes seront renforcées par la loi sur la transparence de la vie économique qui devrait être bientôt présentée en Conseil des ministres. Enfin, la lutte contre le commerce illicite des biens culturels sera facilitée par la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine qui a été adoptée, en première lecture, par l’Assemblée nationale le 6 octobre 2015 et par le Sénat le 16 février 2016.
L’exigence de respect de la garantie des droits des justiciables, qui est aussi une expression du principe de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la magistrature, a été fortement affirmée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne la procédure pénale française et, plus particulièrement, le rôle dévolu en son sein au ministère public (1). Les directives communautaires en matière pénale insistent sur le principe de l’accès à un avocat (2). Il résulte de ce double mouvement, auquel s’ajoute la nécessité de simplifier une matière marquée par l’inflation normative depuis deux décennies, une attente générale en faveur d’une réforme de la procédure pénale (3).
La tradition juridique française de séparation de l’enquête de police – par nature inquisitoriale, par conséquent secrète et sourde aux demandes des personnes qui ne sont pas encore les « parties » – de la phase judiciaire –contradictoire et au cours de laquelle s’expriment pleinement les droits de la défense – conduit à exclure de la procédure pénale stricto sensu les opérations de vérification des faits, de collecte des preuves et de qualification de l’infraction. Le droit de la défense, par essence processuel, ne se rapporte bien qu’au droit du procès, c’est-à-dire en réalité de l’audience. La chambre criminelle de la Cour de cassation l’a affirmé sans détour dans un arrêt du 6 mars 2013 (n° 12-90.078) :
« [Les] dispositions légales critiquées, qui permettent au procureur de la République, lorsqu’il estime que les faits portés à sa connaissance constituent un délit, de décider que la poursuite se fera, après enquête préliminaire, par la voie de la citation directe devant le tribunal, sans ouverture d’information, ne modifient pas le déroulement du procès pénal, et ne privent pas la personne d’un procès juste et équitable, celle-ci, quant au respect des droits de la défense, ayant, devant la juridiction, des garanties équivalentes à celles dont elle aurait bénéficié si l’affaire avait fait l’objet d’une information. »
Les magistrats du parquet, au même titre que ceux du siège, représentent l’autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle » au sens de l’article 66 de la Constitution. La tradition française considère que « le procureur de la République bénéficie dans l’exercice de ses attributions d’une délégation de la loi qui lui confère sa légitimité. Il agit non pas au nom de l’État ou du Gouvernement mais au nom de la République à qui l’ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté » (20).L’article 31 du code de procédure pénale indique que « le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». Ni le garde des Sceaux, ni le procureur général ne peuvent déclencher à sa place l’action publique.
Pour autant, le procureur de la République reste organiquement dépendant du pouvoir exécutif à travers son mode de nomination et le déroulement de sa carrière. Jusqu’à récemment, il l’était aussi du fait de l’exercice du pouvoir hiérarchique du garde des Sceaux.
En modifiant l’article 65 de la Constitution, la révision du 27 juillet 1993 a octroyé au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) une compétence d’avis sur les propositions établies par le garde des Sceaux pour les nominations des magistrats du parquet, à l’exception des « emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres », c’est-à-dire les emplois de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d’appel. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a supprimé cette réserve en étendant les compétences du CSM à tous les magistrats du parquet. En outre, le CSM exerce, depuis 1993, une compétence disciplinaire consultative à l’égard des magistrats du parquet, mais le Gouvernement reste seul à même de prononcer une sanction.
Par ailleurs, le garde des Sceaux a longtemps pu adresser aux parquets des instructions individuelles écrites et versées au dossier (21). Le procureur de la République était tenu de les exécuter, mais pouvait développer « librement les observations orales qu’il [croyait] convenables au bien de la justice » (22). La loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013, relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, a mis fin à cette prérogative de direction de l’action publique dont jouissait le ministre de la Justice, consacrant l’impartialité du ministère public au regard des parties.
Cette construction juridique entre en contradiction avec la notion de « procès équitable » protégée par divers instruments conventionnels et, notamment, l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour de Strasbourg considère que ce principe a vocation à couvrir l’intégralité de la procédure, y compris les phases de l’enquête et de l’instruction judiciaire « si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès et où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès » (23). C’est pourquoi la jurisprudence de la Cour européenne estime que « certes, l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un tribunal compétent pour décider du bien-fondé de l’accusation, mais il n’en résulte pas que [la Cour] se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement » (24).
La tradition française est surtout critiquée par les juges de Strasbourg à travers le prisme de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à la liberté et à la sûreté.
Dans un arrêt du 10 juillet 2008, Medvedyev et autres c. France, la France a été condamnée pour l’arraisonnement d’un navire cambodgien, le Winner, dont l’équipage se livrait au trafic de stupéfiants. La retenue imposée sous le contrôle du procureur de la République a été sanctionnée au motif que ce magistrat ne pouvait être regardé comme une autorité judiciaire. Par une jurisprudence constante depuis l’arrêt Schiesser c. Suisse du 4 décembre 1979, la Cour exige du juge « des garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public ». La grande chambre de la Cour a été appelée à se prononcer sur la même affaire le 29 mars 2010 : sans explicitement retirer au parquet français la qualité d’autorité judiciaire, elle a rappelé que le contrôle juridictionnel des arrestations et détentions implique nécessairement une double indépendance à l’égard du pouvoir exécutif ainsi qu’à l’égard des parties et qu’il est donc, à ce dernier titre, incompatible avec l’exercice des poursuites. Cette position a été confirmée par l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2011.
Le programme de La Haye (2004-2009), portant application des orientations du Conseil européen de Tampere (15-16 octobre 1999), s’était déjà traduit, dans la matière pénale, par l’adoption de près de quinze textes de coopération judiciaire et autant de textes de rapprochement du droit pénal matériel, principalement des décisions et des décisions-cadre, parmi lesquelles celles relatives au mandat d’arrêt européen et à la mise en place d’Eurojust.
L’intervention de l’Union européenne dans la matière pénale s’est accrue avec l’adoption du traité de Lisbonne. Mettant fin à l’existence des « piliers » de compétence de l’Union européenne qui structuraient le cadre communautaire depuis 1992, il a soumis les textes relatifs à la matière pénale, auparavant adoptés à l’unanimité du Conseil avec avis simple du Parlement européen, à la procédure législative ordinaire : intervention du Parlement européen, vote du Conseil à la majorité qualifiée, édiction de règlements ou de directives, contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne.
Outre cet aspect procédural, l’élaboration de directives en matière pénale résulte de l’ambition toujours réaffirmée d’une reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre les États membres de l’Union européenne. Cette reconnaissance suppose une confiance mutuelle dans le système de chacun, qui ne peut elle-même résulter que de normes de fond et de procédure communes.
Selon cette logique, le Conseil européen a adopté, le 11 décembre 2009, le « programme de Stockholm », qui a fixé le cadre de travail de l’Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période allant de 2010 à 2014. Il préconise notamment l’adoption d’une approche fondée sur la reconnaissance des droits (aux victimes de la criminalité, aux personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, etc.), sur une mise en cohérence des sanctions pénales et sur la poursuite de la reconnaissance mutuelle et de la confiance mutuelle dans le domaine de la justice.
La « feuille de route »
Une « feuille de route » adoptée par résolution du Conseil le 30 novembre 2009 a été annexée au programme de Stockholm. Elle a invité la Commission européenne à procéder par étapes sur les points suivants :
– le droit à la traduction et à l’interprétation, qui a donné lieu à la directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative aux droits à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (dite « directive A ») ;
– le droit d’être informé de ses droits et des accusations portées contre soi, qui a donné lieu à la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (dite « directive B ») ;
– le droit à l’assistance juridique et à l’aide judiciaire, ainsi que le droit de communiquer avec ses proches, ses employeurs et les autorités consulaires, points réunis dans la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (dite « directive C ») ;
– la question des garanties particulières pour les personnes soupçonnées ou poursuivies qui sont vulnérables a donné lieu à la publication par la Commission européenne d’une proposition de directive relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants soupçonnés ou poursuivis, dont l’adoption semble proche ;
– un livre vert sur la détention provisoire, publié le 14 juin 2011.
Le Parlement a adopté la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, qui a assuré la transposition de plusieurs textes européens relatifs à la matière pénale, dont la « directive A ».
La « directive B » a fait l’objet de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
Enfin, la « directive C » a d’ores et déjà partiellement été transposée à l’occasion de la loi du 27 mai 2014, mais certaines de ses stipulations – notamment au regard de l’accès à un avocat et du droit de communiquer avec un tiers – restent à incorporer en droit interne.
Le 23 décembre 2015, la garde des Sceaux, ministre de la Justice, le ministre des Finances et le ministre de l’Intérieur ont présenté une communication au Conseil des ministres à propos du présent projet de loi. Le 6 janvier 2016, celui-ci a été transmis au Conseil d’État qui a émis un avis favorable par délibération du 28 janvier, pour une adoption en Conseil des ministres et un dépôt sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 3 février. Si cette procédure paraît excessivement rapide, il convient de rappeler que les interrogations à propos de la procédure pénale n’ont pas été brutalement révélées au grand jour : les dispositions du titre II du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale ont fait l’objet de travaux préparatoires particulièrement approfondis.
Compliquée par dix-sept lois de réforme depuis 1999 et révisée par touche successive, la procédure pénale a profondément évolué en deux décennies. L’apparition d’un nouvel acteur en la personne du juge des libertés et de la détention, la critique sourde à laquelle a été confronté le juge d’instruction dans la deuxième moitié de la décennie 2010, la montée en puissance de l’enquête préliminaire et du ministère public avant la remise en cause par les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme, les manifestations régulières en faveur d’une anticipation de l’accès au dossier d’enquête, dessinent un paysage juridique complexe que ne simplifie pas le dénuement financier dans lequel se trouvent les juridictions.
Confronté à cet environnement instable, le système pénal français a engagé une réflexion de long terme :
– en novembre 2013, une commission présidée par l’ancien procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Louis Nadal, a remis à la garde des Sceaux un rapport destiné à « Repenser le ministère public » pour tenir compte des différents enjeux touchant au statut et aux missions du procureur de la République ;
– en juillet 2014, M. Jacques Beaume, procureur général, a produit un « Rapport sur la procédure pénale » de portée plus large et abordant les questions de l’enquête, du droit des victimes, de la garde à vue ou encore de la fonction de l’avocat ;
– tout au long de l’année 2015, des consultations ont été menées au sein de la Chancellerie, avec les services de police et de gendarmerie et avec les syndicats et organisations professionnelles pour évaluer l’opportunité de transcrire dans la loi les recommandations des deux rapports susmentionnés.
La qualité de la concertation menée par la Chancellerie a pour conséquence l’approbation générale que suscitent les dispositions du titre II du projet de loi chez l’ensemble des acteurs de la procédure pénale, dont vos rapporteurs ne peuvent que se réjouir, même si des compléments pourront être utilement apportés par voie d’amendement au cours de la discussion parlementaire.
Organisé autour de trois titres, le projet de loi poursuit principalement cinq objectifs. Au titre Ier, consacré au crime organisé, au terrorisme et à leur financement, les chapitres Ier à III tendent à renforcer la lutte contre le crime organisé, le trafic d’armes et la « cybercriminalité » (A), le chapitre IV vise à améliorer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (B) et le chapitre V renforce de manière permanente les pouvoirs de police administrative principalement dans le cadre de la prévention des menaces terroristes (C). Les titres II et III sont, pour l’essentiel, consacrés à la modernisation de la procédure pénale (D) tandis que l’article 32 autorise les forces de l’ordre à s’équiper de caméras individuelles en intervention (E).
A. COMBATTRE LE TERRORISME EN LUTTANT CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE, LE TRAFIC D’ARMES ET LA CYBERCRIMINALITÉ
Les trois premiers chapitres du projet de loi, consacrés respectivement aux moyens d’investigation de l’enquête et de l’information judiciaires, à la protection des témoins et au contrôle des armes ainsi qu’à la lutte contre leur trafic et contre la cybercriminalité, tendent à renforcer l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée et notamment le terrorisme.
Certaines règles de compétences particulières et certaines techniques spéciales d’investigation peuvent déjà s’appliquer en matière de criminalité et de délinquance organisées, conformément au titre XXV du livre IV du code de procédure pénale. Il s’agit, notamment, des opérations d’infiltration (articles 706-81 à 706-87), de l’enquête sous pseudonyme (article 706-87-1), du prolongement de la garde à vue jusqu’à 4 jours en matière de criminalité organisée et 6 jours en matière terroriste (contre 2 jours en droit commun), avec l’intervention différée de l’avocat jusqu’à la 72e heure (articles 706-88 et 706-88-1), des perquisitions de nuit (articles 706-89 à 706-94), des écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance (25) (article 706-95), des sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules (articles 706-96 à 706-102), de la captation de données informatiques (706-102-1 à 706-102-9) ou des mesures conservatoires (article 706-103).
L’ensemble de ces règles dérogatoires sont applicables à l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes et des délits mentionnés par l’article 706-73 (terrorisme, meurtre, tortures et actes de barbarie commis en bande organisée, trafic de stupéfiants…). Certaines infractions, qui ne portent pas une atteinte grave à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, mentionnées par l’article 706-73-1, se voient appliquer l’ensemble de ces dispositions à l’exclusion de celles relatives au prolongement de la garde à vue et à l’intervention différée de l’avocat, susceptibles d’être les plus attentatoires aux droits et libertés (escroquerie en bande organisée, travail dissimulé…). D’autres infractions économiques et financières ne se voient appliquer qu’une partie de ces dispositions dans les conditions prévues par les articles 706-1-1 et 706-1-2 (certaines atteintes à la probité, délits de fraude fiscale commis en bande organisée ou aggravés, certains délits douaniers, grande délinquance économique et financière…).
Les conditions d’application de ce régime procédural dérogatoire présentent cependant plusieurs lacunes que les articles 1er à 3 du projet de loi tendent à réparer.
En premier lieu, l’article 1er autorise, aux articles 706-90 à 706-92, la perquisition de nuit dans les locaux d’habitation, en cas d’urgence, lorsqu’est en cause une infraction de terrorisme et « afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique », dans le cadre d’une enquête préliminaire, sur autorisation préalable du juge des libertés et de la détention (JLD) et, dans le cadre d’une information judiciaire, sur décision du juge d’instruction. De telles perquisitions ne sont possibles, dans le droit actuel, que dans le cas où un crime ou un délit relevant de la criminalité organisée vient de se commettre ou, lors d’une instruction, dans les hypothèses d’urgence limitativement énumérées par les 1° à 3° de l’article 706-91 (flagrance, risque de disparition de preuves, soupçon de commission d’un crime ou délit relevant de la criminalité organisée).
Cette évolution respecte les exigences posées par le Conseil constitutionnel depuis la loi « Perben II » en continuant de subordonner ces perquisitions à l’autorisation d’un magistrat du siège, en les cantonnant à certaines situations particulièrement graves et en les entourant des mêmes garanties procédurales que celles existantes.
En deuxième lieu, l’article 2 insère un nouvel article 706-95-1 au sein du code de procédure pénale afin d’autoriser, en enquête comme en instruction, pour une durée maximale d’un mois renouvelable une seule fois, le recours à des dispositifs techniques de proximité de recueil de certaines données de connexion, dits « IMSI catcher », afin de recueillir les seules données « permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur ».
Cette disposition, qui constitue la sécurisation juridique de pratiques aujourd’hui mises en œuvre sous l’empire des dispositions générales de l’article 81 du code de procédure pénale, permet de confier aux services de police judiciaire des outils d’investigation identiques à ceux récemment donnés aux services de renseignement par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Là encore, le recours à cette technique est strictement encadré et soumis à l’autorisation du JLD ou du juge d’instruction, en tout état de cause d’un magistrat du siège, sauf en cas d’urgence où l’autorisation pourra être délivrée, pour une durée limitée à 24 heures, par le procureur de la République.
En dernier lieu, l’article 3 étend à l’enquête plusieurs techniques spéciales d’investigation applicables à la criminalité et à la délinquance organisées – les sonorisations et fixations d’images de certains lieux et véhicules et la captation de données informatiques – jusque-là réservées à l’instruction par les sections VI et VI bis du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale.
L’autorisation délivrée par le juge d’instruction lors d’une information judiciaire le serait, pour les enquêtes, par le JLD sur requête du procureur de la République. La durée de mise en œuvre de ces techniques serait limitée à un mois renouvelable une fois en enquête de flagrance ou préliminaire et, pour l’instruction, à quatre mois renouvelable dans la limite de deux ans, conformément aux durées prévues par le code de procédure pénale en matière d’interception de communications et de géolocalisation. Pour le reste, l’ensemble des garanties de fond et de forme aujourd’hui applicables à ces techniques à l’instruction continuera de s’appliquer aux enquêtes.
Les auditions conduites par votre rapporteur sur ces articles ont révélé certaines inquiétudes quant à la place croissante accordée aux enquêtes préliminaires par rapport aux informations judiciaires et la prétendue insuffisance des garanties entourant la mise en œuvre de ces techniques spéciales d’investigation. Tel a été le constat notamment formulé par M. Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, par le Syndicat de la magistrature, la Conférence nationale des premiers présidents de cours d’appel, la Conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance, l’Association des avocats pénalistes, le Syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers et le Conseil de l’ordre des avocats de Paris.
Votre rapporteur tient à souligner que ces moyens d’enquête spéciaux doivent être mis en œuvre, en toutes circonstances, avec l’autorisation et sous le contrôle d’un magistrat du siège – selon le cas, le juge d’instruction ou le JLD, ce dernier devant prochainement voir son statut et son indépendance consolidés (26) – pour les besoins de la poursuite de certaines infractions limitativement énumérées et portant une atteinte grave à l’ordre public et, « à peine de nullité », dans le respect d’un régime procédural strict. Il fait observer que les articles 1er et 3 constituent un rééquilibrage des pouvoirs entre, d’une part, ceux dévolus aux services de renseignement et ceux donnés aux services d’enquête judiciaires et, d’autre part, ceux respectivement confiés au procureur de la République et au juge d’instruction. Ces articles donnent ainsi à nos magistrats les moyens de procéder à certaines investigations dans l’urgence sans recourir, dans un premier temps, à l’ouverture d’une information judiciaire. Ils préservent le statut et l’utilité de l’instruction, dont il convient de rappeler qu’elle est « obligatoire en matière de crime » (27), ainsi qu’en témoigne, par exemple, la différenciation opérée dans les durées pendant lesquelles le juge d’instruction et le procureur de la République pourront recourir à la sonorisation ou à la fixation d’images et à la captation de données informatiques.
Ces articles ont d’ailleurs été accueillis très favorablement par de nombreux magistrats, policiers et gendarmes, notamment M. Jean-Claude Marin, Procureur général près la Cour de cassation, l’Union syndicale des magistrats, la Conférence nationale des procureurs généraux, la Conférence nationale des procureurs de la République ainsi que plusieurs représentants de la section antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris en première ligne dans la lutte contre le crime organisé à caractère terroriste.
2. L’adaptation de la compétence centralisée de la juridiction parisienne en matière d’exécution des peines à l’augmentation du contentieux terroriste (article 4)
En complément de la compétence nationale concurrente reconnue aux magistrats parisiens pour la poursuite, l’instruction et le jugement des actes terroristes, le juge de l’application des peines de Paris, le tribunal de l’application des peines et, en appel, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris sont, depuis 2006, seuls compétents pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées pour une infraction terroriste, conformément à l’article 706-22-1 du code de procédure pénale.
L’accroissement du contentieux terroriste, en raison, en particulier, de l’élargissement du champ des infractions ayant cette qualification opéré par le législateur avec le transfert, dans le code pénal, des faits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie de ces actes, ont conduit à alourdir significativement la charge de travail de la juridiction chargée du suivi de l’application des peines de Paris.
En conséquence, l’article 4 restreint la compétence exclusive reconnue au JAP de Paris, au tribunal de l’application des peines et, en appel, à la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris aux décisions concernant les personnes condamnées par la juridiction parisienne. Cette dernière n’étant, en principe, pas saisie des faits de provocation au terrorisme ou d’apologie de celui-ci, à l’exception de ceux qui s’inscrivent « dans une démarche organisée et structurée de propagande » (28), cette disposition conduira à recentrer la mission de la juridiction parisienne d’application des peines sur les seules décisions de condamnation pour les actes de terrorisme les plus graves.
3. La protection de l’identité et de la sécurité des témoins s’exposant à des risques de représailles dans des affaires sensibles (articles 5 et 6)
Les procédures relatives à certaines infractions particulièrement graves peuvent exposer les témoins et leurs proches à des risques importants de représailles.
Le code de procédure pénale comporte déjà certaines dispositions admettant, sous certaines conditions, le témoignage sous X, afin de protéger l’adresse ou l’identité du témoin (articles 706-57 à 706-63), et, en matière de criminalité et de délinquance organisées, le témoignage d’agents « spéciaux » infiltrés ayant recours à une identité d’emprunt (articles 706-86 et 706-87). Par ailleurs, au stade du jugement, il peut être dérogé au principe de la publicité des débats devant la cour d’assises si cette publicité s’avère « dangereuse pour l’ordre ou les mœurs » et si la victime partie civile le demande en cas de poursuites exercées du chef de viol ou de tortures et d’actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles (article 306) ou, devant le tribunal correctionnel, si la « publicité est dangereuse pour l’ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou les intérêts d’un tiers » (article 400).
Ces dispositions sont toutefois insuffisantes. La possibilité d’ordonner le huis clos, au stade du jugement, est relativement étrangère à la sécurité des témoins appelés à déposer. De surcroît, le droit existant ne permet pas de moduler l’intensité du degré de protection accordé au témoin en fonction des circonstances : le recours à la procédure du témoignage sous X est relativement contraignant et sa force probante peut être facilement remise en cause. Enfin, l’article 706-63-1, qui garantit aux « repentis », sous le contrôle d’une commission nationale, « une protection destinée à assurer leur sécurité » et, si nécessaire, dès « leur réinsertion », le cas échéant par la délivrance d’une identité d’emprunt, n’est applicable qu’à la « personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit (…) ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire » afin de permettre « d’éviter la réalisation de l’infraction et, le cas échéant, d’identifier les autres auteurs ou complices ».
Les articles 5 et 6 du projet de loi, qui s’inspirent de dispositifs mis en œuvre devant la Cour pénale internationale, visent à renforcer la protection des témoins dont les auditions sont déterminantes pour la résolution des enquêtes pénales mais susceptibles d’entraîner des représailles à leur encontre, en particulier dans les procédures relatives aux crimes contre l’humanité, aux crimes et délits de guerre et à la criminalité et délinquance organisées qui incluent le terrorisme.
L’article 5 insère deux nouveaux articles 306-1 et 400-1 au sein du code de procédure pénale prévoyant la possibilité de recourir au huis clos partiel pour auditionner un témoin lors du jugement des crimes et délits en matière de criminalité et de délinquance organisées les plus graves et des crimes contre l’humanité, de disparition forcée, de torture ou d’actes de barbarie et de guerre, « si la déposition publique de celui-ci est de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou psychique, ou celles des membres de sa famille ou de ses proches ».
L’article 6 crée, au sein de ce code, deux nouveaux articles qui permettent, pour le témoin s’exposant aux mêmes risques de représailles :
– d’une part, pour les seuls crimes et délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, que son identité « ne soit pas mentionnée au cours des audiences publiques et ne figure pas dans les ordonnances, jugements ou arrêts de la juridiction d’instruction ou de jugement qui sont susceptibles d’être rendus publics » grâce à l’attribution à cette personne d’un numéro (article 706-62-1) ;
– d’autre part, en cas de procédure portant sur un crime contre l’humanité, un crime ou délit de guerre ou un crime ou délit relevant de la criminalité organisée, de disposer d’« une protection destinée à assurer sa sécurité » en étant autorisé, « [e]n cas de nécessité, (…) à faire usage d’une identité d’emprunt » dans les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aujourd’hui aux « repentis » (article 706-62-2).
Ces nouvelles dispositions ne remettent en cause ni les droits de la défense, ni les règles du procès équitable prévues par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elles permettent à la France de rattraper son retard dans le domaine de la protection des témoins et des victimes en comparaison avec les dispositifs qui existent en cette matière dans les pays anglo-saxons et devant certaines juridictions internationales.
Le quatrième volet de la partie de ce projet de loi consacrée au crime organisé et au terrorisme concerne l’amélioration de la lutte contre les infractions en matière d’armes, corollaires fréquents de la grande criminalité.
Héritée de dispositions anciennes, ayant fait l’objet d’une modernisation par le législateur en 2004 (29) et 2012 (30), la législation sur les armes figure à la fois dans le code de la sécurité intérieure et dans le code de la défense. D’une part, les articles L. 312-1 à L. 312-7 du code de la sécurité intérieure déterminent les conditions d’acquisition et de détention des armes et confient au préfet un pouvoir de police spéciale permettant, notamment, d’en exiger la remise ou le dessaisissement. D’autre part, les articles L. 2339-2 à L. 2339-11-4 et L. 2353-4 à L. 2353-14 du code de la défense (fabrication et commerce, importations, exportations et transferts de matériels de guerre, d’armes, de munitions et d’explosifs) et les articles L. 317-1 à L. 317-12 du code de la sécurité intérieure (acquisition, détention, commerce de détail, conservation, perte, transfert de propriété, port et transport d’armes et de munitions) répriment pénalement les manquements aux obligations édictées par la loi et, plus généralement, le trafic d’armes. Par ailleurs, l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement de certaines infractions relatives aux armes font l’objet de règles procédurales dérogatoires du droit commun.
Les articles 7 à 10 complètent cette législation par diverses mesures renforçant le contrôle des armes et munitions, aggravant les peines encourues pour certains faits délictueux et adaptant les techniques spéciales d’enquêtes à la lutte contre le trafic d’armes.
En premier lieu, l’article 7 vise à renforcer le contrôle administratif des armes et munitions. Le 1° élargit le champ de l’interdiction légale d’acquisition et de détention d’armes des catégories B, C et D. Le 2° autorise les préfets à interdire l’acquisition et la détention de ces armes en raison du comportement dangereux d’une personne sans attendre que celle-ci soit en possession d’une arme comme c’est le cas aujourd’hui. Le 5° renforce l’effectivité de l’inscription au fichier national automatisé nominatif des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA) de l’ensemble des personnes interdites d’acquisition. Les 3° et 4° procèdent, en outre, à plusieurs clarifications des modalités d’acquisition et de détention des armes de catégories B et C.
En second lieu, l’article 8 tend à adapter les moyens d’enquête contre le trafic d’armes. Le 1° élargit le champ des infractions relatives aux armes susceptibles de justifier le recueil et la centralisation de traces et d’empreintes génétiques dans le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG). Le 2° étend le champ de la procédure dérogatoire prévue en matière de criminalité et de délinquance organisées à l’ensemble des infractions de trafic d’armes de catégories A et B même lorsqu’elles ne sont pas commises en bande organisée, dans le respect de la jurisprudence constitutionnelle qui subordonne une telle extension à la gravité ou à la complexité particulière des infractions en cause et aux atteintes qu’elles portent, par elles-mêmes, « à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » (31).
Le 3° de l’article 8 complète le chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, qui définit la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées, par une section 9 et un nouvel article 706-106-1 afin d’autoriser les services de police judiciaire à recourir à la technique dite du « coup d’achat » pour les besoins de la lutte contre le trafic d’armes. Aujourd’hui réservée à la lutte contre le trafic de stupéfiants, cette technique permet aux enquêteurs, avec l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, de réaliser des actes illégaux sans engager leur responsabilité pénale pour remonter les filières criminelles et caractériser pénalement les trafics.
Corrélativement, afin de confier des moyens d’investigation homogènes et comparables à l’ensemble des services de l’État chargés de la lutte contre le crime organisé et des infractions liées au terrorisme, l’article 10 permet aux douanes de mettre en œuvre, en matière de trafic d’armes, des opérations d’infiltration et la technique du « coup d’achat », deux techniques spéciales d’enquête qu’elles peuvent déjà utiliser dans certaines affaires relevant de leurs missions en application des articles 67 bis et 67 bis-1 du code des douanes (trafic de stupéfiants, contrebande de tabac ou d’alcool, contrefaçon…).
En dernier lieu, l’article 9 renforce la répression pénale de certaines infractions relatives aux armes. Le I aggrave les peines encourues pour l’acquisition, la cession ou la détention sans autorisation d’armes de catégories A et B (1°), la détention d’un dépôt d’armes ou de munitions de catégories A, B et D (3°) et le port ou transport, sans motif légitime, d’armes de catégories A et B (4°) ; par ailleurs, il étend le champ de l’infraction relative à l’acquisition ou à la détention d’armes en méconnaissance d’une interdiction (2°). Le II augmente les peines encourues pour des faits d’importation, sans autorisation, de matériels de catégories A, B, C et D (1°) et sanctionne pénalement le transfert, sans autorisation, de certaines armes ou munitions (2°).
Les nouvelles technologies constituent le vecteur de nouvelles formes d’intimidations et le support d’infractions de plus en plus nombreuses, dont certaines sont en lien direct avec la grande criminalité et le terrorisme. Plus qu’une liste précise d’infractions, cette « cybercriminalité » se rapporte davantage à un mode opératoire qui, en utilisant ou ciblant un système d’information, permet de faciliter la commission de l’infraction et d’en démultiplier les effets.
L’article 11 du projet de loi a pour principal objet d’adapter notre législation aux nouvelles caractéristiques et aux nouveaux dangers de cette criminalité qui soulève au moins deux séries de problèmes.
D’une part, les auteurs de ces infractions bénéficient d’une certaine impunité, facilitée par l’anonymat des réseaux numériques, la difficulté de déterminer précisément le lieu de commission de l’infraction et la localisation de son auteur, fréquemment situé à l’étranger, et l’absence de plainte systématique de la victime, pourtant nécessaire pour poursuivre, en France, les infractions commises hors du territoire de la République (32).
Suivant les préconisations formulées par le rapport Protéger les internautes remis par le groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité présidé par le procureur général Marc Robert (33), le I pose, dans un nouvel article 113-2-1 du code pénal, le principe de la compétence des juridictions françaises lorsque la victime d’une infraction commise sur un réseau de communications électroniques réside en France. De plus, les II à IV prévoient, respectivement aux articles 43, 52 et 382 du code de procédure pénale, la compétence du parquet, du juge d’instruction et de la juridiction de jugement en raison du domicile de la victime ou du siège social de la personne morale victime.
D’autre part, une partie de cette criminalité constitue une forme de « cyberterrorisme » en portant atteinte à la disponibilité des réseaux ou des services informatiques des administrations ou d’opérateurs importants ainsi qu’à la confidentialité ou à l’intégrité des données qui y sont stockées, a fortiori lorsqu’il s’agit de données personnelles, ou des matériels utilisés pour leur fonctionnement.
Afin de renforcer l’efficacité de la poursuite et de la répression des cyberattaques les plus graves, les V et VI soumettent les atteintes aux systèmes de traitements automatisés de données personnelles mis en œuvre par l’État, commises en bande organisées, au régime procédural dérogatoire applicable à la criminalité et à la délinquance organisées en vertu de l’article 706-73-1 du code de procédure pénale. Cette modification aura pour conséquence d’appliquer à l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement de ces atteintes, déjà soumises, depuis 2014 (34), à une partie de ce régime dérogatoire (infiltrations, enquêtes sous pseudonyme, écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance, sonorisations et fixations d’images, captations de données informatiques, mesures conservatoires…), deux nouvelles règles particulières : la compétence des juridictions interrégionales spécialisées (35) et les perquisitions de nuit (36). En revanche, conformément à la jurisprudence constitutionnelle en la matière, il demeurera impossible de leur appliquer la prolongation de la garde à vue à quatre jours et l’intervention différée de l’avocat à la 72e heure, ces règles étant réservées à l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions susceptibles de porter atteinte « à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » (37), mentionnées à l’article 706-73 du même code.
1. La lutte contre le trafic de biens culturels (article 12)
La Commission européenne, dans le cadre de ses annonces du 2 février 2016 sur le plan d’action destiné à lutter contre le financement du terrorisme, s’est engagée à proposer en 2017 une proposition législative visant à mieux contrôler le commerce illicite des biens culturels.
L’article 12 du projet de loi s’inscrit dans ce cadre en créant une nouvelle infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes. Le rapport commandé à M. Jean–Luc Martinez, président–directeur du musée du Louvre, sur « la protection du patrimoine en situation de conflit armé », a en effet établi un constat sévère de la réalité du trafic des biens culturels, qualifiés d’« antiquités du sang », qui montre l’urgence d’une action répressive en la matière. Cet article constituera le pendant du dispositif adopté dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 octobre 2015 et par le Sénat le 16 février 2016 tendant à renforcer la législation en matière de lutte contre la circulation illicite des biens culturels.
2. Le plafonnement des cartes prépayées et l’organisation du recueil d’information sur l’utilisation de ces cartes (article 13)
Les cartes prépayées permettent la circulation discrète, en marge du système bancaire, d’importantes sommes d’argent, y compris par-delà les frontières. L’article 13 du projet de loi introduit au sein du chapitre V relatif à l’émission et à la gestion de la monnaie électronique du titre Ier du livre III du code monétaire et financier une section 4 intitulée « Plafonnement » qui comprend un article unique L. 315–9 plafonnant la valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d’un support physique.
Cette mesure vient utilement compléter le plan d’action lancé par le Gouvernement français en mars 2015 visant à restreindre l’usage de l’anonymat des cartes prépayées.
3. L’extension des pouvoirs de TRACFIN (articles 14 et 15)
Le service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins, dit TRACFIN, a pour missions de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il travaille à partir de deux sources d’information complémentaires que sont les déclarations de soupçons, transmises par certaines catégories de professions, au premier rang desquels les banques, lorsqu’elles constatent des opérations financières atypiques et les documents conservés par ces professions à l’égard desquels TRACFIN dispose d’un droit d’obtention.
Outre ces sources « traditionnelles », TRACFIN a réalisé deux appels à vigilance à destination des professionnels assujettis à l’occasion des évènements du printemps arabe en 2011 et au regard de la situation politique et sécuritaire en Ukraine en 2014. Ces messages ont montré leur efficacité puisqu’une hausse des déclarations de soupçons en lien avec ces problématiques a été constatée. L’article 14 du projet de loi vise à donner à cette pratique une base légale en permettant à TRACFIN de désigner, pour une durée maximum de six mois renouvelable, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État, aux personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme des opérations qui présentent, eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques déterminées qu’elles concernent, des personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
L’article 15 autorise TRACFIN à demander aux gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il s’agira, par exemple, du groupement d’intérêt économique CB ou des sociétés Visa et Mastercard.
4. L’extension en matière douanière du mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds (article 16)
Le blanchiment est défini à l’article 324-1 du code pénal comme « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect », ainsi que comme « le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».
L’article 16 du projet de loi étend en matière douanière le mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds instauré par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière pour le délit général de blanchiment afin de renforcer les moyens juridiques de lutte contre le financement du terrorisme. Afin de répondre aux exigences constitutionnelles, cette présomption d’illicéité n’est pas irréfragable et nécessite, pour être mise en œuvre, la réunion de conditions de fait ou de droit faisant supposer la dissimulation de l’origine ou du bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.
1. L’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité (article 17)
Aux termes de l’article 78-1 du code de procédure pénale, « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées » aux articles 78–2 et suivants du même code. L’article 78–2–2 du code de procédure pénale encadre les contrôles d’identité et les visites de véhicules menés par les officiers de police judiciaires sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite des actes de terrorisme des infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, d’armes et d’explosifs, des infractions de vol, de recel ou des faits de trafic de stupéfiants.
L’article 17 du projet de loi introduit à cet article 78-2-2 la possibilité pour les officiers de police judiciaire de procéder également à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules.
2. La retenue en cas de suspicions sérieuses que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste (article 18)
L’étude d’impact indique qu’il est recommandé aux services de police et de gendarmerie lorsqu’ils contrôlent des personnes faisant l’objet de certaines catégories de fiches dites « S » (Sûreté de l’État) au fichier des personnes recherchées (FPR)de les retenir et d’aviser sans délai le service ayant procédé à l’inscription de ces personnes pour recueillir ses instructions. Aujourd’hui, cette retenue s’opère, le cas échéant, sur le fondement de l’article 78–3 du code de procédure pénale, qui permet de retenir jusqu’à 4 heures une personne refusant ou se trouvant dans l’impossibilité de justifier de son identité lors d’un contrôle prévu par l’article 78-2 du même code. Pourtant, une personne ayant décliné son identité ne devrait pas pouvoir faire l’objet d’une retenue administrative dans le cadre du droit existant.
L’article 17 du projet de loi crée donc un nouveau cas de retenue pour examen de la situation administrative d’une personne à l’encontre de laquelle il existe des « raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ». Cette retenue doit permettre une vérification d’identité approfondie, par un officier de police judiciaire. À l’exception du fait que le Procureur doit être obligatoirement prévenu dès le début de la rétention, la procédure relative à cette nouvelle forme de retenue est identique à celle prévue à l’article 78–3 :
– la personne ne peut être retenue que pendant le temps strictement nécessaire à l’accomplissement des vérifications ;
– elle est aussitôt informée de son droit de prévenir à tout moment sa famille. Si des circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui–même la famille ou la personne choisie ;
– la retenue ne peut excéder quatre heures ;
– le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment ;
– le mineur de dix–huit ans doit être assisté de son représentant légal, sauf impossibilité ;
– l’officier de police judiciaire mentionne dans un procès–verbal, transmis au procureur de la République, les motifs qui justifient la vérification de situation administrative et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer ;
– dans le cas où une procédure d’enquête ou d’exécution est adressée à l’autorité judiciaire et assortie du placement en garde à vue, la personne retenue doit être aussitôt informée de son droit de faire aviser le procureur de la République de cette mesure ;
– les prescriptions sont imposées à peine de nullité ;
– la durée de la rétention s’impute, s’il y a lieu, sur celle de la garde à vue.
Cicéron, dans son Discours pour Milon, écrivait que « Tout moyen est honnête pour sauver nos jours lorsqu’ils sont exposés aux attaques et aux poignards d’un brigand et d’un ennemi. Car les lois se taisent au milieu des armes, elles n’ordonnent pas qu’on les attende lorsque celui qui les attendrait serait victime d’une violence injuste avant qu’elles pussent lui prêter une juste assistance. » Ce principe est aujourd’hui consacré à la fois par le droit conventionnel – article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – et le droit interne.
Toutefois, même dans le cadre légal de l’usage des armes, les juridictions nationale et conventionnelle vérifient que les critères d’existence d’un danger actuel, de l’absolue nécessité et de la proportionnalité de la riposte sont réunis.
Comme le souligne l’étude d’impact, l’appréciation stricte de la concomitance de l’agression et de la riposte, condition nécessaire pour appliquer le principe de légitime défense, soulève certaines difficultés d’appréciation notamment en cas de fuite de l’agresseur et d’évolution de l’agression dans un espace de temps, même très bref, qui caractérise pourtant les nouveaux modes opératoires des terroristes, comme lors du périple meurtrier de la nuit du 13 novembre 2015.
L’article 19 du projet de loi insère un article L. 434–2 dans le code de la sécurité intérieure instituant un nouveau régime d’irresponsabilité pénale en raison de l’état de nécessité. Ce régime bénéficie au fonctionnaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, au militaire des formes armées déployées sur le territoire national dans le cadre des réquisitions légales pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles et à l’agent des douanes qui fait un usage de son arme rendu absolument nécessaire pour empêcher l’auteur d’un ou plusieurs homicides volontaires ou tentatives d’homicides volontaires dont il existe des raisons réelles et objectives de penser qu’il est susceptible de réitérer d’autres crimes dans un temps rapproché.
Le rapport de la commission d’enquête menée par l’Assemblée nationale sur la surveillance des filières et des individus djihadistes établit un constat inquiétant : « les retours de djihadistes de la zone irako-syrienne sont l’un des facteurs importants de l’aggravation de la menace, la majorité d’entre eux ayant combattu dans les rangs de Daech, qui a officiellement appelé le 21 septembre 2014 à la commission d’attentats terroristes en France et dans les pays participant à la coalition. » (38)
Les procédures judiciaires concernant les personnes de retour d’une zone de combat se fondent sur deux qualifications juridiques :
– l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT), définie à l’article 421–2–1 du code pénal, qui nécessite l’existence d’un groupement ou d’une entente constitués par des faits matériels en vue de la préparation d’actes terroristes ;
– l’entreprise terroriste individuelle, définie à l’article 421–2–6 du même code, qui suppose le fait de préparer, en relation avec une entreprise individuelle et dans un but terroriste, la commission de certaines infractions terroristes (atteintes aux personnes, atteintes aux biens les plus graves et actes graves de terrorisme écologique).
Ces qualifications nécessitent néanmoins d’apporter la preuve que les personnes s’étant rendues en Syrie et en Irak l’ont fait pour rejoindre un groupe terroriste, principalement Jabhat al-Nosra ou Daech, ce qui peut être complexe à démontrer, du fait de la situation en Syrie, où combattent plusieurs groupes, dont l’armée syrienne libre (ASL) qui n’a pas de caractère terroriste.
L’article 20 du projet de loi crée en conséquence un contrôle administratif des retours sur le territoire national de ces personnes.
● Le nouvel article L. 225–1 définit les situations de nature à justifier la mise en œuvre d’un contrôle administratif d’une personne de retour sur le territoire national. Ce nouveau dispositif concernera toute personne qui a quitté le territoire national pour accomplir, dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire national, des :
– déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes (1°) ;
– déplacements (2°) ou tentatives de déplacement (3°) à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.
● Le nouvel article L. 225–2 définit les obligations pouvant être imposées, pour une durée maximale d’un mois non renouvelable, aux personnes s’étant effectivement rendues dans une zone théâtre d’opérations de groupement terroriste. Le ministère de l’Intérieur, dans un délai maximal d’un mois à compter de la date certaine du retour sur le territoire national, peut leur faire obligation de :
– résider dans un périmètre géographique déterminé, permettant à l’intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle normale et, le cas échéant, l’astreindre à demeurer à son domicile, ou à défaut, dans un autre lieu à l’intérieur du périmètre précité, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de huit heures par vingt–quatre heures (1°) ;
– se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois présentations par semaine, en précisant si cette obligation s’applique également les dimanches et jours fériés ou chômés (2°).
● Le nouvel article L. 225–3 définit les obligations pouvant être imposées aux personnes mentionnées à l’article L. 225–1, de manière alternative ou cumulative avec celles mentionnées à l’article L. 225–2, par le ministère de l’Intérieur. Ce dernier peut, dans un délai maximal d’un an à compter de la date certaine du retour sur le territoire national, leur faire obligation de :
– déclarer leur domicile (1°) ;
– déclarer leurs identifiants de tout moyen de communication électronique dont ils disposent ou qu’ils utilisent (2°) ;
– signaler leurs déplacements à l’extérieur d’un périmètre défini par l’autorité administrative et ne pouvant être plus restreint que le territoire d’une commune (3°) ;
– ne pas se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics (4°).
Ces obligations sont prononcées pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois.
● Le nouvel article L. 225–4 apporte les garanties procédurales devant entourer le contrôle administratif des retours sur le territoire national. Les décisions de contrôle administratif doivent être écrites et motivées. La personne concernée est mise en mesure de présenter ses observations dans un délai maximal de huit jours après la notification de la décision. Elle peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.
● Le nouvel article L. 225–5 prévoit que les obligations prononcées dans le cadre du contrôle administratif sont suspendues, intégralement ou partiellement, si la personne se soumet à une action destinée à permettre sa réinsertion à l’acquisition des valeurs de citoyenneté. Cette participation ne peut se faire que sur la base du volontariat.
● Le nouvel article L. 225–6 propose de créer une infraction pénale nouvelle, sur le modèle de celle créée à L. 224-1 du code pénal pour la violation de l’interdiction de quitter le territoire. Le fait de se soustraire aux obligations du présent article serait puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
5. L’instauration d’un contrôle des accès aux établissements ou installations accueillant des évènements de grande ampleur (article 21)
L’article 21 du projet de loi renforce les contrôles d’accès aux établissements ou installations accueillant des évènements de grande ampleur, comme prochainement l’Euro 2016 de football. Il permet aux organisateurs, lorsque ces évènements sont exposés à un risque exceptionnel de menace terroriste, de solliciter l’avis de l’autorité administrative avant d’autoriser l’accès des personnes autres que les spectateurs ou participants.
S’inspirant fortement des préconisations formulées par la commission présidée par l’ancien procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Louis Nadal, et du rapport du mois de juillet 2014 rédigé sous la présidence du procureur général Jacques Beaume, le titre II du projet de loi modifie les règles de la procédure pénale afin de porter les garanties offertes par la législation française au niveau qu’attendent les Français d’un État de droit au XXIe siècle. Il poursuit également l’objectif de remédier aux scories identifiées par les forces de police et les juridictions dans toutes les phases de la procédure pénale, à savoir l’enquête et l’instruction, le jugement et le prononcé, l’exécution et l’application des peines.
La qualité de la préparation de ces dispositions et le soin qu’a pu apporter le Gouvernement à leur élaboration, expliquent qu’elles aient recueilli, au cours des auditions menées par vos deux rapporteurs, un satisfecit quasi-unanime.
1. La clarification du rôle du procureur de la République et la modernisation de l’enquête préliminaire (articles 22 et 24)
L’évolution qu’ont connue depuis une vingtaine d’années les pratiques judiciaires et les textes législatifs a conduit à réduire progressivement la part d’informations confiées au juge d’instruction par rapport aux enquêtes – en flagrance et surtout préliminaires – dirigées par un procureur de la République dont les pouvoirs d’investigations ont été très sensiblement accrus.
Cette évolution a pu conduire, un temps, à envisager la suppression pure et simple du juge d’instruction auquel n’échoient plus désormais que 3 % des affaires pénales. Une telle suppression ne paraît cependant pas souhaitable : l’intervention d’un magistrat du siège indépendant, instruisant dans un cadre contradictoire les affaires les plus délicates, constitue une application fondamentale du principe de séparation des pouvoirs dans la tradition juridique française. Pour des raisons évidentes, il importe que les dossiers criminels ainsi que les affaires correctionnelles les plus complexes, au premier rang desquelles celles qui mettent en jeu la sûreté des personnes ou le bon fonctionnement de la démocratie, puissent continuer à bénéficier de la procédure d’information judiciaire.
Conservant intactes les modalités de l’instruction, le projet de loi s’attache à rapprocher d’elles le fonctionnement de l’enquête menée par le procureur de la République. Une dimension contradictoire s’y trouve introduite dans des circonstances déterminées, afin de concilier nécessités de l’enquête et droits des parties – personne suspectée comme plaignante. Ainsi, le recours à ces mesures n’aura pas pour conséquence d’empiéter sur les instructions, mais plus sûrement d’éviter l’ouverture d’informations inutiles et le déclenchement de poursuites mal fondées.
L’article 22 du projet de loi détaille les missions fondamentales du procureur de la République au cours de l’enquête, dans ses fonctions de direction de la police judiciaire. Il indique que ce magistrat contrôle la légalité des moyens déployés par les enquêteurs, la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, les choix retenus pour l’orientation de l’enquête ainsi que la qualité de son contenu. De façon solennelle, l’article 22 proclame l’attachement à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu’elles soient accomplies, dans le respect des droits de la victime et de ceux de la personne suspectée, à charge et à décharge.
Vos rapporteurs approuvent cette rédaction qui, si elle ne constitue « pas à proprement parler une innovation » ainsi que l’a souligné le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, définissent utilement la place du directeur d’enquête qu’est le procureur de la République dans la procédure pénale contemporaine. L’affirmation par la loi de son impartialité, qui complète la suppression des instructions individuelles adressées par la Chancellerie par la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, sera de nature à renforcer son statut et à répondre aux critiques adressées par la Cour européenne des droits de l’homme.
L’article 24 institue le respect du contradictoire dans les enquêtes préliminaires de longue durée – supérieures à un an – à la demande des personnes qui ont fait l’objet d’une mesure d’audition libre, de garde à vue, ou de saisie de leurs biens. À moins qu’il ne décide de l’ouverture d’une information judiciaire ou d’un défèrement contradictoire, lorsqu’il estimera que la procédure est en état d’être communiquée, le procureur de la République sera tenu de communiquer à ces personnes, ainsi qu’à la victime, l’intégralité du dossier de la procédure, pour recevoir leurs observations et leurs éventuelles demandes d’actes.
L’article 24 octroie également au procureur de la République la faculté de communiquer tout ou partie de l’enquête lorsqu’il l’estime utile aux investigations, légalisant une pratique des parquets jusque-là fondée sur l’ambiguïté de l’article 11 du code de procédure pénale (39).
Si vos rapporteurs soutiennent la volonté d’instiller dans l’enquête une part de contradictoire afin de préserver au mieux les droits de la défense et d’éviter que ne s’étalent sur plusieurs années des procédures dans lesquelles il n’est pratiquement pas possible de se disculper du fait de l’interdiction d’accéder au dossier, ils s’interrogent sur l’opportunité de la procédure retenue par le Gouvernement. Outre qu’elle confère au procureur de la République un pouvoir discrétionnaire d’appréciation du caractère communicable de l’enquête – donc en réalité une faculté de vider la disposition de sa portée –, elle soulève également des questions à la fois pratiques et théoriques.
D’une part, comment organiser l’accès au dossier avant l’achèvement de l’enquête, alors que les pièces et les actes se trouvent éparpillées entre la juridiction et le commissariat de police ou la caserne de gendarmerie chargé des investigations ?
D’autre part, comment justifier que soit conféré le droit de présenter des observations et de solliciter des actes de procédure à des personnes qui, si elles ont fait l’objet d’une mesure d’investigation, n’ont aucunement vocation à être poursuivies devant un tribunal correctionnel ? Les longues enquêtes en matière financière, qu’évoque l’étude d’impact à l’appui du dispositif proposé, se composent le plus souvent d’investigations très larges jusqu’à ce que les poursuites se concentrent sur quelques personnes jugées expressément responsables. Pourquoi impliquer les autres, qui ne seront pas inquiétées et qui se limiteront probablement à la fonction de témoin, dans les orientations retenues par le magistrat ?
L’article 23 du projet de loi renforce l’autorité fonctionnelle des magistrats sur la police judiciaire. Constatant la faible efficacité de la procédure actuelle – cinq décisions seulement en 2015 des chambres de l’instruction visant des agents et officiers de police judiciaire contre soixante-treize sanctions décidées par le procureur général qui n’a pourtant autorité que sur les seuls officiers –, il crée une procédure disciplinaire d’urgence qui permettra, en cas de manquement professionnel grave, au président de la chambre de l’instruction de suspendre immédiatement, et pour un mois, l’exercice des fonctions de police judiciaire dans l’attente de la décision de la chambre.
Ce renforcement du contrôle de la police judiciaire par l’autorité judiciaire, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la police judiciaire doit être placée sous le contrôle des magistrats, a satisfait les représentants du monde judiciaire auditionnés par vos rapporteurs.
Les interceptions de communication décidées au cours d’une information judiciaire sont, en l’état du droit, essentiellement laissées à l’appréciation du magistrat instructeur, sous réserve des recours exercés par la suite devant la chambre de l’instruction. L’article 25 du projet de loi modernise le cadre législatif en exigeant la motivation de la décision d’interception, en limitant la durée maximale de l’opération à un an – deux ans pour la délinquance et la criminalité organisées – et en soumettant la mesure au contrôle a priori du juge des libertés et de la détention lorsqu’elle concerne un avocat, un parlementaire ou un magistrat soupçonné d’avoir participé, en qualité d’auteur ou de complice, à la commission de l’infraction. Dans ce dernier cas, une copie de l’ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention sera communiquée au bâtonnier, au président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ou au premier président ou procureur général de la Cour d’appel ou de la Cour de cassation.
Cette évolution bienvenue permettra de mettre le droit français en conformité avec les prescriptions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de renforcer le caractère démocratique de la procédure d’instruction par un plus grand respect de la séparation des pouvoirs et des droits de la défense.
Rédigés sur le fondement des rapports produits par différentes instances, et au premier rang le rapport annuel de la Cour de cassation, les articles 26 à 31 du projet de loi et une partie des ordonnances prévues à l’article 33 visent à corriger des imperfections révélées au cours des dernières années. D’ordre essentiellement technique, ils n’ont guère suscité de commentaires – sinon une approbation de principe – lors des auditions menées par vos rapporteurs.
L’article 26 améliore sur plusieurs points les garanties du justiciable dans le cas particulier de décisions successives à propos d’un renvoi devant la juridiction de jugement alors que le prévenu se trouve en détention provisoire dans l’attente de son procès. S’agissant d’une situation dans laquelle une personne est privée de liberté, le code de procédure pénale exige du juge d’instruction, et de la chambre de l’instruction devant laquelle est jugé l’appel de ses décisions, une célérité particulière, faute de quoi le prévenu doit être élargi. Mais le droit ne prévoyait aucune disposition dans l’hypothèse, il est vrai rare, d’une cassation d’un arrêt de renvoi rendu par une chambre de l’instruction suivi d’un renvoi de l’affaire à une autre chambre de l’instruction. L’article 26 comble cette lacune en prévoyant les délais auxquels sont astreintes les chambres de l’instruction de renvoi.
L’article 27 modifie le code de la défense afin de prendre en compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans le cas, très spécifique, d’une arrestation et d’une privation de liberté effectuées en haute mer suivies d’une mesure de garde à vue à l’arrivée sur le sol français. Prenant acte du caractère non conventionnel de cette situation en l’absence de présentation immédiate à un juge autre que le procureur de la République, le dispositif proposé prévoit une comparution dans les plus brefs délais devant le juge des libertés et de la détention ou, en, cas d’information judiciaire, devant le juge d’instruction.
L’article 28 simplifie les dispositions de l’article 18 du code de procédure pénale relatif à l’extension de compétence territoriale des enquêteurs. Il supprime les habilitations successives que doivent actuellement solliciter les officiers de police judiciaire auprès du procureur général du ressort dans lequel se trouve le lieu d’exercice de leurs fonctions, y compris dans la perspective d’une mise à disposition temporaire d’un service situé hors de ce ressort. Le contrôle fonctionnel des officiers de police judiciaire sera donc réalisé une seule fois a priori, le code de procédure pénale modifié par l’article 23 du projet de loi prévoyant par ailleurs un contrôle a posteriori efficace.
L’article 29 procède à deux modernisations en matière de détention provisoire. En premier lieu, alors que le non-respect des délais de jugement des demandes de mise en liberté est sanctionné par une libération automatique, et que certains détenus exploitent cette disposition en formulant jusqu’à plusieurs demandes dans la même journée pour pousser le magistrat chargé de les étudier à la faute, le Gouvernement propose que soient déclarées irrecevables les demandes déposées alors qu’une précédente demande est encore en cours d’examen. En second lieu, l’article 29 permet le placement sous contrôle judiciaire d’une personne dont la libération est ordonnée à la suite de la constatation de l’irrégularité formelle de sa détention provisoire, mais dont la situation au fond justifie toujours l’édiction de mesures restrictives de liberté.
L’article 30 améliore la procédure de jugement des délits en permettant une convocation en justice par le délégué du procureur, en évitant aux prévenus attendant une comparution immédiate mais libérés par le juge des libertés et de la détention de devoir comparaître à nouveau devant le procureur de la République pour connaître la date de leur procès, et en permettant la notification des ordonnances pénales par les délégués du procureur en matière contraventionnelle comme en matière délictuelle.
L’article 31 prévoit la possibilité de procéder à des contrôles d’identité en cas de soupçons de violation des obligations résultant d’une peine ou d’une mesure pré ou post-sentencielle, c’est-à-dire lorsqu’une personne ne fait pas l’objet d’une mesure de recherche directement liée à une infraction spécifique. Il modifie par ailleurs le code de procédure pénale afin d’étendre les procédures de recherche des personnes en fuite à toutes les personnes condamnées qui ne respectent pas leur peine, quelle qu’elle soit.
Enfin, l’article 33 habilite le Gouvernement à prendre une série de mesures d’adaptation de la procédure pénale à la suite de directives de l’Union européenne, de décisions du Conseil constitutionnel et d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Sont ainsi prévues :
– la finalisation de la transposition en droit interne de la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires ;
– la transposition de la directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale ;
– la modification des dispositions en vigueur en matière de saisies, mises sous scellés et confiscations afin de transposer la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, de tirer les conséquences de plusieurs décisions du Conseil constitutionnel concernant des questions prioritaires de constitutionnalité, de simplifier et de renforcer l’efficacité des dispositions en la matière, notamment en étendant les missions de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ;
– la mise en conformité du droit avec la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-494 QPC du 16 octobre 2015, Consorts R., qui a déclaré contraire à la Constitution la procédure pénale en matière de restitution des objets placés sous main de justice ;
– la prise en compte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-375 QPC du 21 mars 2014, M. Bertand L. et autres, qui a déclaré contraire à la Constitution la procédure pénale en matière d’immobilisation des navires et de cautionnement ;
– la correction du code de procédure pénale rendue nécessaire par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-499 QPC du 20 novembre 2015, M. Hassan B., dans laquelle est déclaré contraire à la Constitution la validité d’un procès d’assises en dépit du défaut d’enregistrement sonore des débats devant la cour d’assises ;
– la modification de la procédure de perquisition en matière pénale afin de respecter la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015, M. Gilbert A., qui confère une valeur constitutionnelle au secret du délibéré et interdit la saisie des documents par lui couverts ;
– la prise en compte de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 18 septembre 2014, Brunet c. France, à propos des modalités de fonctionnement du traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), fichier commun à la police et à la gendarmerie nationales, notamment en ce qui concerne la durée de conservation des données collectées ;
– l’obligation pour les enquêteurs de recourir à la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), dans un souci d’efficacité, de limitation des frais de justice et d’une plus grande confidentialité des opérations ;
– l’extension de l’application des dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale sur l’audition libre aux enquêtes effectuées par des fonctionnaires et agents mettant en œuvre des prérogatives de police spéciale.
L’article 32 du projet de loi clarifie le cadre légal applicable à l’usage de « caméras piétons » par les forces de l’ordre, afin de prévenir les incidents susceptibles de se produire à l’occasion de leurs interventions, de constater les infractions et d’aider à leur répression par la collecte de preuves. Il prévoit que les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale pourront procéder au moyen de caméras individuelles à un enregistrement audiovisuel des interventions auxquelles ils procèdent dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, comme de leurs missions de police judiciaire, lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident.
Dans la mesure où la captation de tels images et sons est susceptible d’intervenir en tous lieux publics et privés et est de nature à porter atteinte au droit au respect de la vie privée, la mise en œuvre de ces dispositifs fait l’objet de plusieurs garanties. Ainsi, les caméras doivent être portées de façon apparente, comporter un signal visible informant de l’enregistrement et faire l’objet, sauf si les circonstances l’interdisent, d’une information des personnes filmées. Par ailleurs, les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès aux enregistrements auxquels ils procèdent. Hormis les cas où ils seront utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements seront effacés au bout de six mois. Enfin, la Commission nationale de l’informatique et des libertés sera consultée sur les modalités d’application de ce dispositif, qui fera l’objet d’un décret en Conseil d’État.
Vos rapporteurs approuvent ce dispositif qui prend appui sur une expérimentation conduite depuis 2013 et dont le succès a permis de gagner à la mesure l’ensemble des représentants des forces de l’ordre. Ils y voient une garantie nouvelle pour l’ensemble de la société, tant pour les policiers et gendarmes trop souvent menacés ou outragés dans l’exercice de leurs fonctions que pour les personnes mises en cause qui pourront ainsi plus facilement agir en responsabilité en cas de comportement fautif. Par ailleurs, ils soulignent que le dispositif de l’article 32 a été adopté, en termes très voisins et au bénéfice des services de sécurité des opérateurs de transport public, par la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, qui devrait prochainement être définitivement adoptée par le Parlement.
A. UN MEILLEUR ENCADREMENT DES MOYENS JUDICIAIRES DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
La commission des Lois a sensiblement renforcé les garanties applicables à la mise en œuvre de certaines techniques spéciales d’enquête dont l’utilisation est facilitée par le présent projet de loi aux fins de répression et de prévention de la grande criminalité et du terrorisme.
En premier lieu, elle a, sur proposition de votre rapporteur, mieux encadré le recours aux perquisitions domiciliaires de nuit que, sous certaines conditions, l’article 1er autorise en enquête préliminaire et facilite lors d’une information judiciaire. Elle a précisé, d’une part, que le régime juridique prévu par l’article 706-92 du code de procédure pénale s’appliquerait de plein droit à ces opérations lorsqu’elles sont réalisées au stade de l’enquête préliminaire et, d’autre part, que le magistrat ayant autorisé ces perquisitions en enquête préliminaire ou à l’instruction devrait être informé « dans les meilleurs délais ». Ces deux nouvelles garanties répondent aux préoccupations formulées par M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, lors de son audition par votre rapporteur et dans son avis sur le présent projet de loi (40).
En deuxième lieu, à l’article 2, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteur exigeant que l’autorisation de recourir à l’IMSI catcher, qui relève, selon le cas, du JLD ou du juge d’instruction, soit délivrée par « ordonnance motivée », ainsi que l’a également suggéré le Défenseur des droits. En outre, mais contre l’avis de votre rapporteur, soucieux d’apporter, en séance publique, des garanties procédurales plus complètes, elle a adopté un amendement de M. Lionel Tardy prévoyant – selon des modalités qui mériteront d’être retravaillées en séance publique – la « destruction des données recueillies » lorsque le JLD n’a pas confirmé l’autorisation donnée, en urgence, par le procureur de la République de recourir à ce dispositif.
En troisième lieu, à l’initiative de votre rapporteur, la Commission a complété la liste des obligations susceptibles d’être prononcées dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve en ajoutant, à l’article 132-45 du code pénal, la possibilité de prononcer, à l’égard d’une personne condamnée pour une infraction terroriste, l’obligation particulière de « faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique », sous la forme, par exemple, d’un stage de « déradicalisation » (article 4 bis).
En quatrième lieu, la Commission a adopté trois amendements identiques déposés par MM. Éric Ciotti, Sébastien Pietrasanta et Philippe Goujon autorisant le Gouvernement à inscrire le bureau du renseignement pénitentiaire dans le « deuxième cercle » de la communauté du renseignement, c’est-à-dire parmi les administrations, autres que les services spécialisés, pouvant recourir à des techniques de recueil du renseignement (article 4 ter).
En dernier lieu, la Commission a mieux circonscrit les mécanismes de protection de l’identité et de sécurisation des témoins s’exposant à des risques de représailles institués par les articles 5 et 6.
Par cohérence avec le dispositif actuel de l’article 706-58, qui autorise, sous certaines conditions, le témoignage anonyme lorsque l’audition du témoin « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité de cette personne » :
– sur proposition de votre rapporteur, la Commission a limité la possibilité de décider le huis clos partiel lors d’une audience aux seuls cas de risques graves de représailles sur la vie ou l’intégrité physique du témoin, à l’exclusion de tout risque d’atteinte à son intégrité psychique (article 5) ;
– à l’initiative de M. Sergio Coronado et de votre rapporteur, elle a subordonné l’anonymisation du témoin et son identification, par un numéro, dans les audiences publiques et les jugements rendus publics, à l’existence de graves risques de représailles d’une part, de risques d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique de la personne d’autre part (article 6).
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des Lois a renforcé les garanties applicables aux enquêtes et contrôles administratifs.
Ainsi, à l’article 18, la Commission a adopté un amendement visant à préciser l’objet de la nouvelle retenue administrative qui paraissait trop floue dans la rédaction initiale du projet de loi. Aux termes de la nouvelle rédaction, cette procédure de vérification doit uniquement permettre :
– de consulter les traitements relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés selon les règles propres à chacun de ces fichiers ;
– d’interroger les services à l’origine du signalement de l’intéressé ;
– d’interroger des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.
Au même article, la Commission a adopté – à titre conservatoire – un amendement permettant d’encadrer la retenue des mineurs en précisant que celui-ci doit être assisté de son représentant légal ou, en cas d’impossibilité dûment justifiée, d’un tuteur désigné par le juge des enfants sur saisine du procureur de la République. Cette formulation devra encore être améliorée en séance publique.
À l’article 19, la Commission a adopté un amendement apportant des précisions destinées à éclairer les raisons réelles et objectives pouvant conduire à justifier l’usage des armes dans le cadre du nouvel état de nécessité. L’appréciation, faite par le fonctionnaire de police ou le militaire de gendarmerie au moment du tir, doit résulter :
– des circonstances de la première agression ;
– du caractère déterminé de leur auteur et de ses motivations ;
– de la certitude d’une réitération des homicides ou tentatives d’homicides, dans un temps rapproché ;
– de la nécessité de faire obstacle à la réitération.
À l’article 20, la Commission a adopté deux amendements visant à mieux coordonner les procédures administratives et judiciaires applicables aux personnes qui reviennent sur le territoire national après s’être rendues sur un théâtre d’opérations terroriste ou qui ont tenté de le faire :
– le premier impose l’information préalable du parquet avant toute mesure de contrôle administratif ;
– le second fait primer l’ouverture d’une procédure judiciaire sur la mesure de police administrative : cette dernière doit cesser dès l’ouverture d’une procédure judiciaire concernant une personne visée par le contrôle administratif des retours sur le territoire national.
À l’initiative de votre rapporteure, la commission des Lois s’est attachée à approfondir la réforme de la procédure pénale proposée par le projet de loi dans un double objectif d’efficacité et de meilleur respect des droits des personnes.
Cette orientation s’est traduite par la modification de certains dispositifs du projet de loi, notamment de l’article 24 donnant à l’enquête préliminaire un caractère contradictoire. Limité aux procédures longues et soumis à l’appréciation des magistrats du parquet, le mécanisme proposé par le Gouvernement a été écarté au profit d’une consultation systématique, en fin d’enquête, des futures parties à l’instance.
Ont également été complétés par la Commission l’article 22 afin de distinguer au cours de l’enquête les notions de victime et de plaignant, l’article 29 pour garantir l’élargissement d’une personne dès lors qu’un fait nouveau remet en cause la nécessité de la détention provisoire, et l’article 30 pour éviter que les mesures de simplification des modalités de comparution ne se traduisent par une restriction des droits du justiciable en matière de mandat de dépôt.
L’apport de la commission des Lois s’est principalement manifesté dans l’adoption d’amendements portant articles additionnels. La Commission a ainsi suivi plusieurs axes.
Sur proposition de la rapporteure et du président Dominique Raimbourg, les commissaires aux Lois se sont attachés à introduire dans le projet de loi plusieurs dispositions précédemment adoptées au cours de la discussion de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne et censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme par la décision n° 2015-719 DC du 13 août 2015. Il en va ainsi de :
– la conversion des peines d’emprisonnement en sursis avec mise à l’épreuve ou en contrainte pénale (article 27 bis) ;
– l’obligation de motivation des arrêts de règlement de la chambre de l’instruction (article 27 quinquies) ;
– la prise en compte de la surpopulation carcérale dans l’octroi des réductions supplémentaires de peines (article 27 sexies) ;
– l’accroissement du délai dont dispose le juge de l’application des peines pour l’examen d’un aménagement de peine (article 27 septies) ;
– l’acquittement d’une peine de jours-amende pour éviter l’incarcération (article 27 octies) ;
– la création d’un dispositif de « sur-amendes » destiné à l’aide aux victimes d’infractions (article 31 ter) ;
– l’allongement à un mois du délai d’examen des requêtes en dessaisissement d’un parquet (article 31 sexdecies) ;
– la possibilité de condamner un prévenu à un stage de citoyenneté, à un travail d’intérêt général ou à un sursis en dépit de son absence à l’audience (articles 32 A, 32 B et 32 D) ;
– la limitation du stage que doit suivre un condamné à une durée d’un mois et à un coût correspondant à l’amende pour une contravention de troisième classe (article 32 C).
La Commission a également entrepris de simplifier le droit en corrigeant des lourdeurs et scories du code de procédure pénale dont les juridictions avaient signalé le caractère dérangeant. Ainsi :
– il sera désormais possible aux magistrats chargés du contrôle des fichiers de police judiciaire d’accéder au fichier des procédures judiciaires (article 31 sexies) ;
– l’instruction permettra aux parties de renoncer de conserve à certains délais, au juge de recourir à la visioconférence et au procureur de la République d’exercer un contrôle judiciaire plus strict après l’ordonnance de renvoi (article 31 septies) ;
– l’accusé pourra sortir du palais de justice pendant les délibérations, et le jury se réunir à l’extérieur de la chambre des délibérations (article 31 decies) ;
– l’arrêt de la cour d’assises sera réputé rendu contradictoirement lorsque l’accusé aura pris la fuite après l’interrogatoire sur les faits et sa personnalité ou au cours de l’instance d’appel, son avocat continuant à assurer sa défense (article 31 undecies) ;
– les modalités de l’appel seront simplifiées, permettant notamment d’interjeter appel sur une partie de la décision de première instance seulement, et de déclarer plus facilement irrecevables les déclarations déposées en violation des règles formelles (article 31 duodecies) ;
– les modalités de déchéance des pourvois en cassation seront encadrées (article 31 quaterdecies) ;
– la compétence spéciale de la cour d’assises de Paris en matière de crime de guerre et de crime contre l’humanité sera étendue aux instances d’appel (article 31 quindecies) ;
– le juge d’application des peines pourra recourir à la visioconférence (article 31 septdecies) ;
– enfin, la décision d’emprisonnement d’un condamné qui ne respecte pas sa peine de contrainte pénale aura un caractère exécutoire par provision (article 31 octodecies).
D. UNE RÉDUCTION IMPORTANTE DU CHAMP DES ORDONNANCES AU PROFIT DE DISPOSITIONS DISCUTÉES PAR LE PARLEMENT
Le projet de loi déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale comportait, à l’article 33, un article portant habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance sur vingt-et-un sujets, dont dix relatifs aux modalités de transposition et d’application du « paquet anti-blanchiment et financement du terrorisme » composé de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 – dite « 4ème directive anti-blanchiment et financement du terrorisme » – et du règlement (UE) 2015/847 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 sur les informations accompagnant les transferts de fonds.
Considérant ce volume d’habilitations excessif, votre rapporteure a souhaité que soient introduits dans le projet de loi un certain nombre des dispositifs destinés à donner lieu à des ordonnances. Les amendements portant articles additionnels qu’elle a présentés et les amendements dont elle a obtenu le dépôt par le Gouvernement ont permis de réduire considérablement l’ampleur de l’article 33, qui ne prévoit désormais plus que onze habilitations, la transposition du « paquet anti-blanchiment et financement du terrorisme » et la détermination de ses modalités d’application sur les territoires d’Europe et d’outre-mer apparaissant une œuvre trop considérable pour être réalisée au cours des deux semaines séparant le dépôt du projet de loi de son examen par la commission des Lois.
Sont donc désormais incluses dans le projet de loi :
– les dispositions tirant les conséquences de décisions de justice – du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme – ;
– la transposition de trois textes européens : la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires ; la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne ; la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales ;
– les modifications du code de procédure pénale relatives aux prérogatives de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) et au caractère obligatoire du recours à la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ).
CONTRIBUTION DE M. PATRICK DEVEDJIAN, CO-RAPPORTEUR SUR LA MISE EN APPLICATION DE LA LOI
(article 86, alinéa 7, du Règlement)
Un projet qui a déraillé :
Le projet de loi qui nous est soumis a été annoncé et préparé depuis longtemps. Il a été précédé du rapport de Jean Louis Nadal « Refonder le ministère public » (2013), du rapport Beaume « Rénovation de l’enquête pénale » et du rapport Robert consacré à la cybercriminalité (2014).
En 2015, la Chancellerie a procédé à de nombreuses auditions et la commission des Lois a institué une mission de préfiguration de ce projet, avec Dominique Raimbourg et moi-même pour rapporteurs.
Nous avons procédé à de nombreuses auditions, dont celle du Directeur des affaires criminelles et des grâces.
Partant du constat partagé que la Justice judiciaire était engluée par la complexité des procédures et submergée par les contentieux de masse qui expliquent la lenteur avec laquelle elle est rendue, il s’agissait de proposer au Parlement des mesures de simplification propres à accélérer son déroulement.
Des propositions très nombreuses et très intéressantes ont été faites par les acteurs de terrain : pratiquement aucune n’a été retenue dans le projet qui nous est soumis alors que le Garde des Sceaux lui-même se prévaut des travaux préalables que je viens de rappeler.
Le terrorisme et son obsession nous ont rattrapés et dépassés et la simplification recherchée a laissé place à la normalisation de l’exception, comme la loi sur le renseignement avait commencé à le faire. Plusieurs mesures de l’état d’urgence font leur entrée dans le droit commun avec un risque important pour les libertés individuelles.
Un projet qui réduit la place du judiciaire :
Nous vivons un paradoxe : dans le même temps où le Gouvernement ne cesse de proclamer la nécessaire indépendance de la justice judiciaire, il s’évertue à en réduire le champ de compétence. Il lui en dispute les moyens, évite les réformes qui lui rendraient son efficacité et la distrait de ses tâches fondamentales. Ses personnels mêmes sont moins bien rémunérés que d’autres dans la fonction publique d’État.
Le projet de loi vient retirer au juge judiciaire des compétences qui lui appartenaient pour les confier au juge administratif, à l’égard duquel nul souci d’indépendance ne s’exprime, quand bien même il passe de l’exécutif au juridictionnel et réciproquement.
Comme l’observait le premier président de la Cour de cassation le 1er février 2016, l’indépendance du juge est indispensable pour pouvoir assurer le respect des libertés individuelles. C’est ainsi que l’entend la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, fondatrice de notre Constitution, et cette exigence est reprise dans l’article 66 de la Constitution.
Depuis 1998, le Conseil constitutionnel a imposé l’idée que si la police judiciaire ressortait du juge judiciaire, la police administrative était du domaine du juge administratif. Il distingue l’atteinte à la liberté individuelle, qui est la privation de liberté au-delà de la douzième heure, de la restriction de liberté qui est tout le reste et n’est donc pas une atteinte à la liberté individuelle !
Le concept de liberté une et indivisible a disparu même si l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme dit le contraire : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Le projet de loi qui nous est proposé consacre donc dans la vie quotidienne cette théorie définitivement restrictive de la liberté individuelle. Sauf à prévoir un jour la fusion des justices administrative et judiciaire comportant toutes les deux les mêmes exigences et les mêmes garanties.
Un certain nombre de mesures restrictives de liberté qui devaient être autorisées préalablement par le juge judiciaire deviennent de la compétence du juge administratif. La différence est qu’il ne les examinera que sous forme de recours après qu’elles auront été exécutées.
Certaines sont graves. Ainsi de l’assignation à résidence décidée par le Préfet et de l’obligation faite de déclarer les identifiants de tous ses moyens de communication électroniques à peine de trois ans d’emprisonnement.
AUDITION DE M. JEAN-JACQUES URVOAS, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, ET DISCUSSION GÉNÉRALE
Lors de sa réunion du mercredi 10 février 2016, la commission des Lois procède à l’audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et à la discussion générale du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473).
M. le président Dominique Raimbourg. Nous allons procéder à l’audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, que je félicite à nouveau pour sa récente nomination à ces fonctions. Il vient présenter le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Notre Assemblée examinera ce texte en séance publique au cours de la première semaine du mois de mars. Au terme des propos liminaires du garde des Sceaux, je donnerai la parole aux rapporteurs et à un orateur par groupe. Si l’horaire ne nous permet pas d’entendre d’autres orateurs, la discussion générale se poursuivra lors de notre réunion du 17 février, qui sera consacrée à la suite de l’examen du texte.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Ce n’est pas sans émotion que je reviens dans cette salle, à une place à laquelle je n’étais pas assis précédemment. Émotion en souvenir du travail que nous avons accompli ensemble, émotion aussi parce qu’en regardant vos débats, mercredi dernier, j’ai pris connaissance des mots fort aimables prononcés à mon endroit. Je me sens redevable : il me faut être à la hauteur de la confiance qui m’a ainsi été manifestée, et de la responsabilité qui est dorénavant la mienne d’être à la disposition du Parlement. Je viendrai devant vous, aussi souvent que j’y serai invité, répondre à vos questions et poursuivre nos échanges. Je salue l’élection de M. Dominique Raimbourg à la présidence de la commission des Lois et je me félicite que continue cette aventure législative en votre compagnie et, je l’espère, avec votre aide. Ma fonction a changé, mais évidemment pas ma disposition d’esprit : je redis ma volonté de travailler avec tous les membres de votre commission, quel que soit leur groupe politique, et ma totale disponibilité, qui sera aussi celle de mes collaborateurs directs ; ils répondront à vos questions avec toute la précision requise.
L’intitulé du projet de loi que je suis invité à vous présenter a été rappelé par le président Raimbourg. Il est vaste et explicite. Avant d’entrer dans le détail du texte, je pense utiles quelques remarques sur sa construction et son élaboration.
Ce projet polyphonique est porté par trois ministres. Les articles 7 à 10 inclus, 18 à 21 inclus et 32 relèvent de la compétence du ministre de l’Intérieur ; les articles 13 à 16 et 33-I de celle du ministre de l’économie et des finances ; le reste relève de ma responsabilité.
Je vous dirai quelques mots seulement des articles qui sont du ressort du ministère de l’Intérieur. Ils prévoient des mesures administratives visant à renforcer la prévention du terrorisme par un dispositif de contrôle administratif des personnes qui se sont rendues sur un théâtre d’opérations terroristes et qui, de retour sur le territoire national, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique. Sont également prévus l’instauration d’un nouveau cas de retenue administrative de courte durée pour contrôler les individus susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ainsi que l’encadrement juridique des enquêtes administratives sur le personnel participant à l’organisation de grands événements tels que la COP 21 ou l’Euro 2016. Dans l’hypothèse particulière où un tueur de masse se manifesterait, d’autres dispositions prévoient un nouveau cas d’usage des armes par les agents des forces de sécurité, dans le respect de l’impératif de stricte nécessité.
Les articles concernant le ministère de l’économie et des finances portent sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ils regroupent des dispositions afférentes à la répression du trafic de biens culturels en provenance de zones contrôlées par des organisations ou groupements terroristes, à la réglementation des cartes prépayées, au renforcement des pouvoirs de la cellule TRACFIN et au blanchiment douanier.
L’objectif commun des auteurs de ce texte est de renforcer la protection accordée à nos concitoyens dans le cadre intangible de l’État de droit, où l’autorité judiciaire tient une place éminente. Je vous proposerai, par de nombreuses mesures contenues dans ce projet, de la renforcer plus encore.
Ce n’est ni un texte de circonstances, ni une loi uniquement antiterroriste. Il faut en effet distinguer le moment de la présentation de ce projet au conseil des ministres – ce que j’ai fait la semaine dernière – de son élaboration, largement antérieure puisqu’il a été pensé à la Chancellerie depuis le début de l’année 2015. Les directions se sont appuyées sur la réflexion menée par deux hauts magistrats parmi les plus expérimentés, que Mme Christiane Taubira avait sollicités à cette fin : le procureur général honoraire près la Cour de cassation Jean-Louis Nadal, qui a remis en novembre 2013 un rapport portant sur le ministère public, et le procureur général Jacques Beaume, qui a rendu en juillet 2014 un rapport centré sur l’enquête pénale. La direction des affaires criminelles et des grâces a aussi travaillé sur la base du rapport, antérieur, demandé au procureur général près la cour d’appel de Riom, M. Marc Robert, et consacré à la cybercriminalité. Ces trois rapports ont conduit à définir nombre des mesures contenues dans le texte qui vous est soumis. Enfin, dès septembre 2015, la Chancellerie a procédé à de multiples concertations.
Si j’ai tenu à exposer les étapes de cette maturation, c’est pour mieux souligner que ce texte harmonieux a été mûrement réfléchi, dans le respect scrupuleux des libertés fondamentales. Il articule la recherche de performance dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme et une réflexion plus large sur l’efficacité de la procédure pénale. Il le fallait, parce que les enquêteurs et les magistrats, notamment ceux du parquet et de l’instruction, sont accaparés par des contraintes procédurales qui, sans rien apporter au justiciable ni à la sauvegarde des libertés, contribuent à rendre la procédure incohérente. Ces contraintes sont des obstacles formels, générateurs d’une insécurité juridique que, je l’espère, nous parviendrons ensemble à éliminer. Le temps libéré par la plus grande rationalité des enquêtes, des poursuites et du jugement permettra aux enquêteurs et aux magistrats de se consacrer davantage au fond des dossiers.
Ces mesures de simplification législatives seront complétées, comme l’a annoncé le Premier ministre au mois d’octobre dernier, par des mesures réglementaires et pratiques de nature à alléger davantage encore la tâche des enquêteurs. Je ne m’interdirai d’ailleurs pas de vous soumettre, dès la semaine prochaine, quelques amendements complémentaires – dans le respect scrupuleux des prérogatives de votre commission, cela va sans dire. J’ajoute que le Gouvernement montrera la plus grande ouverture aux amendements d’origine parlementaire sur ces sujets. Je l’ai dit la semaine dernière, au Sénat, lors de l’examen de la proposition de loi de M. Philippe Bas tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste dont M. Michel Mercier est le rapporteur : en ces matières, nos chemins sont parallèles et nous pourrions sans grand effort les faire converger. En bref, le Gouvernement étudiera avec bienveillance les amendements des députés et des sénateurs visant à rendre la procédure plus efficace. Une justice moderne, efficace et sereine est une justice qui évite la bureaucratie inutile et pesante, et lui préfère des procédures pondérées et aussi durablement stables.
Parce que la procédure pénale constitue un élément fondamental de l’État de droit, le Gouvernement a souhaité faire figurer dans ce texte des dispositions permettant l’emploi de techniques spéciales d’enquête – sonorisation et captation de données informatiques, IMSI catcher – pour combattre une menace dont les auteurs usent des moyens technologiques les plus modernes, ainsi que des dispositions renforçant les garanties offertes à nos concitoyens, en limitant la durée de mise en œuvre de ces techniques et en renforçant la procédure du contradictoire par la communication des dossiers.
La modernisation des techniques spéciales d’enquête en police judiciaire est rendue nécessaire par nos engagements internationaux, notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais aussi par l’impérieuse nécessité que des enquêtes relatives à des faits graves demandant des investigations approfondies ne soient pas annulées ou ne donnent lieu à la condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l’homme. Nous partageons tous la conviction que la garantie des libertés individuelles et publiques ne doit en aucun cas s’effacer devant la menace du terrorisme, quelle que soit son intensité. Non seulement les droits et libertés qui structurent l’État de droit doivent perdurer mais ils doivent être renforcés ; c’est l’objet de ce texte. La résistance au terrorisme passe aussi par l’illustration de la supériorité de la démocratie, et donc par la confiance en la justice.
Dans le détail, ce projet sera un facteur de cohérence pour notre système judiciaire en renforçant la complémentarité entre police judiciaire et police administrative. Ce sujet a été longuement abordé lors des audiences solennelles de rentrée. La magistrature a ainsi manifesté une inquiétude que nous devons dissiper, car il n’y a aucune raison de nourrir ces interrogations : le Gouvernement entend bien faire respecter l’article 66 de la Constitution, renforcer les moyens mis à la disposition de la police judiciaire et, tout autant, contribuer à l’articulation féconde entre celle-ci et la police administrative. Le texte tend aussi à renforcer la cohérence entre magistrats du siège et magistrats du parquet – en particulier entre le procureur de la République, le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention – ainsi qu’entre le parquet et la police judiciaire.
Je veux revenir sur ce que je pense être un malentendu. J’ai entendu s’exprimer des réserves sur la « transposition à la police judiciaire de méthodes de la police administrative » qu’effectuerait ce texte. Une telle présentation fait fi de la chronologie. En réalité, la loi relative au renseignement a transposé des techniques spéciales d’enquête de la police judiciaire à la police administrative, non l’inverse. Mais cette modernisation a eu pour conséquence de mettre l’accent sur la nécessaire adaptation des techniques de l’enquête judiciaire. Aussi le texte tire-t-il avantage des réflexions législatives les plus récentes et les plus en phase avec les besoins des enquêteurs, et cherche à rétablir un équilibre que seuls le temps et les technologies avaient quelque peu rogné.
Par ailleurs, le projet de loi remédie à une incohérence en permettant le recours aux techniques spéciales d’enquête soit au cours de l’enquête soit lors de l’instruction en les encadrant de façon adaptée, notamment dans leur durée, afin de respecter l’équilibre entre le parquet et le juge d’instruction.
S’agissant des relations entre magistrats du parquet et magistrats du siège, je rappelle que l’évolution des pratiques et des textes depuis vingt ans a eu pour conséquence que la proportion d’informations confiées au juge d’instruction par rapport aux enquêtes dirigées par le procureur de la République s’est progressivement réduite. Les pouvoirs d’investigation de ce dernier ont été accrus, avec l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. Cette évolution a conduit à des projets de suppression de la fonction de juge d’instruction ; c’est une suggestion que je n’ai jamais faite mienne. Dans une société démocratique, l’intervention d’un juge du siège indépendant, agissant dans le cadre d’une procédure pleinement contradictoire, est à mes yeux indispensable, tant dans les affaires criminelles que dans les dossiers correctionnels graves et complexes, notamment ceux qui exigent des mesures de sûreté contre les personnes. L’hypothèse de la suppression de la fonction de juge d’instruction est donc écartée par le Gouvernement.
En revanche, il convient de renforcer le caractère contradictoire de certaines enquêtes, de simplifier le déroulement des instructions, et aussi d’étendre – pour une durée très limitée et uniquement en matière de délinquance et de criminalité organisées – les pouvoirs d’investigations au cours de l’enquête. Ces évolutions complètent d’ailleurs la suppression des instructions individuelles, prohibées par la loi du 25 juillet 2013.
Le projet de loi porte donc une attention particulière d’une part à la place dévolue au procureur de la République, au magistrat instructeur et au juge des libertés et de la détention, d’autre part à l’articulation des prérogatives de chacun d’entre eux.
Le deuxième équilibre est maintenu par la différence opérée dans la mise en œuvre des pouvoirs d’enquête – le juge d’instruction agissant seul, le procureur de la République sollicitant l’autorisation du juge des libertés et de la détention. La distinction ainsi opérée entre les enquêtes faisant l’objet d’une ouverture d’information judiciaire et celles diligentées par le parquet se traduit par une faculté de recours à des techniques spéciales d’enquête plus large dans le cadre des premières, les champs d’application et les durées différant.
En matière de criminalité et de délinquance organisées, les prérogatives d’enquête du juge d’instruction et du parquet – ces dernières étant, je le redis, autorisées par le juge des libertés et de la détention – sont étoffées. D’une part, les hypothèses permettant de recourir aux perquisitions domiciliaires nocturnes et aux techniques de sonorisation, fixation d’images et captations de données sont étendues ; d’autre part, un cadre juridique spécifique est créé pour permettre le recours à de nouvelles techniques d’investigation telles que l’accès au contenu des données stockées dans un système informatique et l’identification de données techniques de connexion par le biais d’un IMSI-catcher.
En outre, la liste des infractions relevant du régime dérogatoire de la criminalité organisée est élargie par l’ajout à l’article 706-73-1 du code de procédure pénale des délits d’atteinte aux systèmes informatiques et d’évasion commis en bande organisée. Une fois encore, je veux rassurer : ces techniques d’enquêtes sont encadrées par le juge judiciaire et utilisées à l’encontre du terrorisme et de la criminalité organisée. Aucune extension n’est donc à redouter, et les libertés individuelles sont préservées.
Une place particulière est réservée aux témoins qui, par leurs dépositions, sont susceptibles de concourir à la manifestation de la vérité. Demain, lors d’une procédure, un témoin pourra demander à n’être identifié que par un numéro ou encore à être entendu à huis clos, s’agissant du jugement des crimes contre l’humanité ou d’autres infractions graves. Cette protection est également garantie par la possibilité de demander une identité d’emprunt pour éviter les risques de représailles.
Comme je l’ai brièvement mentionné, le texte reprend en outre certaines préconisations contenues dans le rapport du procureur général Marc Robert relatif à la cybercriminalité. Ainsi adapte-t-il les règles de compétence territoriale aux infractions commises par le biais d’un réseau de communication électronique en créant un nouveau critère de compétence lié au domicile de la victime. Cela facilitera la détermination de la juridiction compétente pour traiter une affaire en l’absence de localisation de l’auteur de l’infraction. La prise en charge des dossiers relatifs à des infractions commises par internet, dont le nombre va croissant, en sera simplifiée.
D’autre part, la compétence des juridictions parisiennes de l’application des peines spécialisées en matière antiterroriste sera limitée aux personnes condamnées pour les infractions terroristes les plus importantes.
Vous l’aurez compris : ces mesures préservent la place institutionnelle de chacun des magistrats acteurs de la procédure pénale.
Enfin, le projet tend à clarifier le rôle du procureur de la République dans la direction d’enquête. Il convient en effet d’assurer la juste distance entre ce magistrat et les enquêteurs, tout en renforçant les pouvoirs de contrôle de l’autorité judiciaire – en l’espèce, le procureur général – sur la discipline des officiers et des agents de police judiciaire et des autres fonctionnaires exerçant des missions de police judiciaire.
Dans cette perspective, le texte améliore sur plusieurs points les garanties de la procédure pénale. Il clarifie le rôle du procureur de la République dans la direction de la police judiciaire. Il crée une procédure disciplinaire d’urgence en cas de faute grave d’une personne exerçant des missions de police judiciaire. Il institue une procédure simplifiée de règlement contradictoire des enquêtes de plus d’un an. Il limite la durée des interceptions téléphoniques tout en prévoyant une double décision du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention pour les interceptions concernant des avocats, des parlementaires ou des magistrats. Il encadre les délais de détention provisoire en cas de renvoi par le juge d’instruction ou de poursuite de la procédure après cassation.
Enfin, le texte simplifie la procédure pour permettre aux magistrats de se concentrer au fond des enquêtes et garantir une bonne administration de la justice. Ces simplifications concernent l’habilitation des officiers de police judiciaire, l’encadrement des demandes de mise en liberté, la possibilité de placer sous contrôle judiciaire une personne dont la détention provisoire est apparue formellement irrégulière, la convocation en justice par les délégués du procureur de la République, la procédure de comparution immédiate ou l’extension des procédures de contrôle d’identité et de recherche des personnes en fuite aux personnes condamnées qui ne respectent pas leurs obligations.
Je rappellerai pour conclure les principaux apports de ce texte. C’est, en premier lieu, le renforcement des pouvoirs de l’autorité judiciaire dans le cadre des enquêtes et des informations judiciaires. C’est aussi la confirmation du procureur de la République dans son rôle de direction de la police judiciaire : dans le prolongement de la loi du 25 juillet 2013, il est conforté dans sa qualité d’autorité judiciaire agissant dans le respect du principe d’impartialité, à charge et à décharge, avec le seul souci de la recherche de la manifestation de la vérité. C’est encore le progrès des garanties offertes aux justiciables et des droits de la défense, notamment par l’introduction du contradictoire dans le cadre de l’enquête préliminaire. C’est d’autre part l’amélioration de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. C’est enfin la simplification de la procédure.
Sans doute avez-vous été surpris par le volume de l’article 33, qui vise à permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnances. Je sais l’extrême prudence, à juste titre, du Parlement ainsi sollicité. Aussi ai-je demandé que mes services tiennent à la disposition de vos rapporteurs ceux des textes prévus qui relèvent de ma compétence ; ils le sont déjà. Je précise que je viens de rendre compte au Conseil des ministres de l’ordonnance sur le droit des contrats, pour laquelle vous aviez permis l’habilitation du Gouvernement. Elle ne compte pas moins de 380 articles ; c’est dire que la procédure choisie était la bonne, d’autant que 95 % de ces articles sont consensuels. Je remercie le Parlement d’avoir permis au Gouvernement d’agir dans l’intérêt général pour simplifier le droit des contrats. Nous allons maintenant nous lancer dans un autre chantier, d’une ampleur comparable et aussi indispensable, celui de la responsabilité.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Je suis chargé de rapporter sur les dispositions renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et sur celles qui visent à renforcer l’efficacité des investigations judiciaires – articles 1er à 4 du texte ; celles qui tendent à renforcer la protection des témoins, et qui figurent aux articles 5 et 6 ; celles qui visent à améliorer la lutte contre les infractions en matière d’armes et la cybercriminalité, contenues dans les articles 7 à 11 ; enfin, celles qui tendent à renforcer l’enquête et les contrôles administratifs, qui font l’objet des articles 17 à 21.
Même si j’ai compris quel est le périmètre du projet couvert par la Chancellerie, c’est sur l’ensemble de ces articles que porteront mes questions au représentant du Gouvernement. Les auditions que nous menons, Mme Colette Capdevielle et moi-même, ayant commencé hier, je m’en tiendrai, monsieur le ministre, à vous interroger sur quelques points appelant des éclaircissements.
S’agissant de l’efficacité des investigations judiciaires, les articles 1er, 2 et 3 font intervenir des décisions d’autorisation du juge des libertés et de la détention. Ce magistrat a vu son rôle évoluer considérablement au cours des dernières années, sans qu’il soit formellement consacré dans notre droit. L’organisation des services et les effectifs permettront-ils aux juges des libertés et de la détention de remplir cette nouvelle mission ?
L’article 4 recentre les missions de la juridiction parisienne d’application des peines sur le seul suivi des peines prononcées pour actes de terrorisme, à l’exclusion des faits de provocation à ces actes ou d’apologie de ceux-ci. Cette disposition suffira-t-elle à désengorger la juridiction ? Une augmentation de ses moyens est-elle envisagée ?
Les articles 5 et 6 visent à renforcer la protection des témoins qui s’exposent à des risques importants de représailles. Mais cette protection, légitime, n’emporte-t-elle pas le risque que des condamnations soient prononcées sur la foi d’un seul ou de plusieurs témoignages uniquement anonymes ?
Les articles 7 et 9 renforcent le contrôle administratif des armes et la violation des règles en cette matière. Même si ces questions relèvent davantage du ministère de l’Intérieur que de la Chancellerie, pouvez-vous nous dire ce que représente le trafic d’armes en France, et quel lien établir entre ce trafic et le terrorisme ?
Les articles 8 et 11 donnent aux services enquêteurs, qu’ils soient judiciaires ou douaniers, des moyens d’investigation supplémentaires, élargissant notamment au trafic d’armes la possibilité de recourir à des infiltrations et à la technique du « coup d’achat ». Quel est l’état de la coopération des douanes et des services de police d’une part, de la coopération européenne d’autre part, en matière de lutte contre le trafic d’armes ?
L’article 11 adapte nos règles procédurales aux enjeux de la cybercriminalité. Il prévoit de nouveaux critères de compétence territoriale dès lors que la victime est française, de nouveaux critères de compétence du parquet, du juge d’instruction et du tribunal correctionnel en raison du domicile de cette victime et l’extension des règles procédurales de la criminalité organisée aux atteintes aux systèmes informatiques de l’État comportant des données personnelles. Pourquoi ne pas reconnaître une compétence spécifique à la juridiction parisienne en matière de cybercriminalité ? Comment l’État et les opérateurs d’importance vitale protègent-ils leurs systèmes informatiques contre le cyberterrorisme ?
J’en viens maintenant à l’enquête et aux contrôles administratifs.
L’article 17 étend les pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité. Il introduit la possibilité, pour les officiers de police judiciaire agissant sur réquisition du procureur de la République en application de l’article 78-2-2 du code de procédure pénale, de procéder, dans les lieux et pour la période prévus par ce magistrat, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules. Quelles garanties encadrent-elles cette extension, du point de vue des libertés individuelles ?
L’article 18 permet aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle d’identité, de retenir une personne lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste, le temps de l’examen de sa situation, qui pourrait comprendre la consultation plus extensive de fichiers de police, la vérification de sa situation administrative et la consultation des services à l’origine du signalement. Ce temps d’examen ne pourra excéder quatre heures à compter du début du contrôle. Comment s’articulera cette nouvelle retenue avec la garde à vue, si cette dernière s’avère nécessaire ? Comment la sécurité juridique de la procédure sera-t-elle garantie ?
L’article 19 précise le cadre légal de l’usage des armes par les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national en renfort des forces de sécurité intérieure, en dehors des cas de légitime défense, dans le cas d’un périple meurtrier durant lequel la légitime défense ne pourrait être invoquée, mais qui relève de l’état de nécessité. Comment cette mesure s’articulera-t-elle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit à la vie ? La notion de « temps rapproché » désigne-t-elle une durée de quelques minutes ou de plusieurs jours ?
Enfin, si le départ vers des pays en guerre de ressortissants français souhaitant participer aux combats n’est pas nouveau, il a pris une ampleur inédite au cours des dernières années : des centaines de jeunes, hommes et femmes, se rendent notamment en Syrie pour rallier des groupes de combattants terroristes. Le rapport de la commission d’enquête menée par l’Assemblée nationale à ce sujet établit un constat inquiétant : « Les retours de djihadistes de la zone irako-syrienne sont l’un des facteurs importants de l’aggravation de la menace, la majorité d’entre eux ayant combattu dans les rangs de Daech, qui a officiellement appelé à la commission d’attentats terroristes en France et dans les pays participant à la coalition ». L’article 20 renforce le contrôle à l’égard des personnes qui se sont déplacées à l’étranger afin de participer à des activités terroristes, et qui, de retour sur le territoire national, sont susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique. À combien estimez-vous le nombre de personnes qui pourraient être concernées par ces mesures ?
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Monsieur Urvoas, c’est avec beaucoup d’émotion et de plaisir que nous vous retrouvons ici en qualité de garde des Sceaux, de surcroît, pour nous présenter un texte majeur. Je pense que ces sentiments sont partagés par tous.
Pascal Popelin et moi-même avons été désignés rapporteurs sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Ce texte regroupe les dispositions relatives aux formes les plus graves de criminalité. Je m’occuperai, pour ma part, des modifications apportées à la procédure de droit commun ainsi qu’à la lutte contre le blanchiment – Yann Galut sera sur ce point rapporteur pour avis de la commission des Finances.
Le projet de loi comporte des avancées intéressantes en matière de contradictoire dans les enquêtes préliminaires, de pénalisation du trafic de biens culturels et d’organisation de la cellule Tracfin qui détecte les mouvements financiers suspects. Certains points obscurs de notre droit sont clarifiés, comme les conséquences des arrestations en haute mer ou encore l’encadrement des délais de jugement dans le contentieux de la détention provisoire. Ce sont des articles qui, je pense, emporteront facilement l’adhésion de la commission des Lois et de l’Assemblée nationale dans son ensemble.
Je concentrerai mes questions sur la philosophie générale du texte et j’évoquerai les doutes entendus lors des auditions que nous venons de commencer. Chacun admet la nécessité de renforcer les prérogatives policières en période d’urgence et de doter les forces de l’ordre de moyens efficaces d’investigation. Mais le projet de loi va plus loin en prévoyant un double mouvement : l’un au profit de l’administration et au détriment du juge judiciaire ; l’autre au sein même de ce monde judiciaire, du juge d’instruction vers le parquet, sous le regard du juge des libertés et de la détention.
Concernant le premier point, pourquoi le Gouvernement a-t-il fait le choix de confier le contrôle administratif des retours sur le territoire national au ministre de l’Intérieur plutôt qu’à la magistrature ? N’est-ce pas le rôle du juge judiciaire que de superviser les restrictions de liberté, hors période d’état d’urgence ? Nous faisons toute confiance à l’administration et aux forces de l’ordre mais la confiance n’exclut pas le contrôle ; or il revient par nature aux magistrats judiciaires de fixer des bornes aux actions de l’exécutif.
Le second point, à savoir l’influence grandissante du procureur dans la procédure judiciaire, est l’aspect le plus présent dans le texte et dans les articles que la Commission m’a demandé de rapporter. L’enquête préliminaire est rapprochée, sur bien des points, de l’instruction. N’est-ce pas une remise en cause progressive du rôle du juge d’instruction, qui agit selon une procédure plus stricte mais plus encadrée, au bénéfice du procureur – que la justice européenne ne tient pas pour un magistrat indépendant ? Certes, le projet de loi prévoit qu’il enquête « à charge et à décharge », mais cette proclamation n’est pas vraiment assortie d’applications concrètes. Seriez-vous ouvert à un renforcement du contradictoire dans l’enquête préliminaire et à l’institution de voies de recours là où elles font défaut ? Nous savons qu’un statut du juge des libertés et de la détention est prévu dans le projet de loi organique accompagnant la réforme de la justice du XXIe siècle. Pouvez-vous nous confirmer que ce texte sera prochainement inscrit à l’ordre du jour de notre Commission ?
Au-delà de la rédaction proposée par le Gouvernement, certaines dispositions additionnelles pourraient apporter des compléments intéressants. Je pense aux mesures adoptées par notre Commission lors de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Je pense aussi aux protections renforcées que réclament certains professionnels détenteurs de secrets protégés par la loi – avocats, journalistes, médecins – face au risque d’interceptions policières mettant en jeu les droits de leurs clients, de leurs sources et de leurs patients. Pouvons-nous compter sur la bienveillance du Gouvernement si nous proposons de telles mesures ?
Je constate aussi que l’article 33 prévoit une liste particulièrement longue d’habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Certaines des mesures concernées étant particulièrement arides et techniques, je ne suis pas opposée à ce qu’elles soient prises par ordonnance plutôt que par la loi. D’autres évolutions, cependant, me paraissent relativement simples et susceptibles de faire l’objet d’un débat parlementaire classique. Comme vous le savez, notre Commission apprécie peu la multiplication des ordonnances. Êtes-vous ouvert à la conversion de certaines habilitations en dispositions « en dur », au sein du présent texte ? En outre, on lit curieusement à l’article 33 que le Gouvernement sollicite six mois pour prendre des ordonnances quand il laisse au Parlement un délai bien plus réduit pour voter la loi. Je vous demanderai donc des mesures d’harmonisation.
Nous sommes conscients que les menaces qui pèsent sur la France justifient un renforcement des moyens dévolus aux services de la justice. Nous savons, monsieur le garde des Sceaux, que vous mettrez tout en œuvre pour obtenir les crédits budgétaires nécessaires. Nous vous remercions d’ailleurs de l’avoir indiqué dès votre prise de fonctions. En ce qui concerne les moyens humains, vous savez pouvoir compter sur le dévouement sans faille des hommes et des femmes qui prennent part à l’institution judiciaire – magistrats, fonctionnaires et personnels de greffe. S’agissant enfin des moyens légaux, la commission des Lois saura prendre les responsabilités qui sont les siennes pour garantir aux citoyens une France plus sûre dans un monde incertain. Nous exercerons notre droit d’amendement en préservant l’économie générale du projet de loi ainsi que ses ambitions.
M. Patrick Devedjian, rapporteur. Vous avez affirmé, monsieur le garde des Sceaux, que le projet de loi qui nous est présenté ce matin avait été longuement pensé : c’est exact. Il me semble néanmoins avoir déraillé.
Afin de préparer l’examen de ce texte, notre Commission avait institué une mission d’information relative à la réforme de la procédure pénale, dont les rapporteurs furent l’actuel président de notre commission et moi-même, et qui a notamment auditionné le directeur des affaires criminelles et des grâces. En outre, et comme vous l’avez indiqué, la Chancellerie s’est appuyée sur les trois rapports que vous avez cités. L’essentiel des réflexions contenues dans ces rapports n’est cependant que très partiellement repris dans le texte du Gouvernement. En effet, le problème de la justice judiciaire réside principalement dans son encombrement et son enlisement dans les contentieux de masse. Il est donc indispensable de simplifier les procédures pour rendre à la justice judiciaire sa capacité de réaction. Pierre Drai, alors Premier président de la Cour de cassation, disait : « La justice apporte des solutions mortes à des questions mortes. » Voilà qui appelle des remèdes importants. Pourtant, le problème des contentieux de masse, auquel une grande partie de la réflexion est consacrée, est aujourd’hui écarté. Les auditions auxquelles nous avions procédé montrent que pareille omission entraînera une grande déception.
Nous nous trouvons dans une situation paradoxale. En effet, au moment où le Gouvernement proclame de plus en plus, et à juste raison, la nécessaire indépendance de l’ordre judiciaire – avec en perspective la réforme du Conseil supérieur de la magistrature –, nous assistons à deux phénomènes préoccupants : d’une part, à l’enlisement de la justice judiciaire dans les contentieux de masse, qui la prive de toute autonomie réelle ; d’autre part, et plus grave encore, au transfert d’une grande partie des compétences du juge judiciaire vers le juge administratif, sans d’ailleurs que personne ne se pose la question de l’indépendance de ce dernier. Sans doute est-ce la dévitalisation – peut-être consentie – de la justice judiciaire qui conduit à de tels transferts de compétences. Il ne sert à rien de dénoncer l’insuffisante indépendance de l’ordre judiciaire lorsqu’on transfert vers la justice administrative l’essentiel de ses compétences. Le discours sur l’indépendance est malvenu : il est inadéquat et quelque peu hypocrite.
C’est avec inquiétude que j’ai entendu le ministre de l’Intérieur dire que si l’article 66 de la Constitution, qui donne compétence aux magistrats judiciaires en matière de protection des libertés individuelles, demeurait, son sens est en réalité de plus en plus réduit. Désormais, en effet, le juge judiciaire serait compétent en matière de privation de liberté mais pas de restriction de liberté, domaine qui échoirait au juge administratif. Or, j’avais appris au cours de mes leçons de droit – très anciennes – que la liberté était indivisible. Il semble là qu’on veuille pratiquer une césure dans le traitement des libertés. Seule la privation de liberté de longue durée serait contrôlée par le juge judiciaire puisque jusqu’à douze heures de privation, le juge administratif serait compétent. Et dans le cadre de l’état d’urgence, on va très au-delà.
Le Premier président de la Cour de cassation a ainsi publié une note dans laquelle il se demande si, compte tenu de cette évolution et de ces transferts – sanctionnés de longues date par la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel –, le temps n’est pas venu, afin de garantir l’indépendance, de fusionner la justice administrative et la justice judiciaire.
M. le garde des Sceaux. Je commencerai par aborder la question des moyens de la justice qui n’est pas directement liée à ce projet de loi mais qui est en réalité le défi principal auquel je serai confronté dans les quinze mois qui viennent et que Mme Capdevielle vient d’évoquer. Comme je l’ai souligné lors de ma première intervention publique, à l’occasion de la passation de pouvoirs entre Christiane Taubira et moi-même, c’est à la loi de finances que je dois consacrer toute mon énergie. On peut adopter de nombreuses lois et ouvrir tous les postes que l’on veut, si l’on ne donne pas à la justice les moyens de fonctionner, on ne créera pas de vrais droits. Nous devons faire en sorte que les droits votés soient des droits appliqués. Ce ne sont pas les dix jours que je viens de passer à la Chancellerie qui m’ont fait changer d’avis sur ce point : chaque dossier que j’ouvre me renvoie à ce manque de moyens. En l’espèce, les responsabilités supplémentaires que nous donnons au juge des libertés et de la détention engageront nécessairement des moyens. Nous devrons consacrer l’énergie nécessaire à cette question et je compte sur le soutien de la commission des Lois de l’Assemblée nationale lors du vote de la loi de finances. Je suis naturellement à la disposition des parlementaires pour me rendre dans les juridictions car il n’est de meilleur moyen de nourrir une argumentation que de voir ce qui se fait en leur sein.
M. Patrick Devedjian vient de souligner un point important. On pense toujours à la justice pénale. Mais en dépit des multiples maux auxquels elle est confrontée, celle-ci bénéficie d’un atout : l’encadrement de ses procédures dans des délais. En revanche, dans la justice civile, la justice du quotidien – celle du surendettement, des prud’hommes et du divorce – , l’attente est la règle. Chaque jour que je passe à la Chancellerie, je commence par lire ce que les présidents et procureurs disent à l’occasion des audiences. La situation n’est d’ailleurs pas identique sur tout le territoire. Il est des juridictions dans lesquelles la situation n’est certes pas confortable mais, du moins, acceptable tandis que certains tribunaux sont à l’agonie. Sans doute faut-il donc hiérarchiser les urgences. Il n’est pas acceptable que des justiciables abdiquent dans l’exercice de leurs droits parce que nous ne sommes pas capables de faire fonctionner la justice. La question des moyens sera donc pour moi une bataille centrale pour garantir l’exercice des droits votés.
Mme Capdevielle m’a interrogé concernant l’article 33 du projet de loi qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Quelques-unes de celles-ci visent à la transposition de directives européennes, d’autres tirent les conséquences de questions prioritaires de constitutionnalité. Si l’Assemblée nationale souhaite transformer ces habilitations en articles au sein du présent projet de loi, je n’y serai pas opposé dans la mesure où leur objet est très précis.
En ce qui concerne le renforcement à venir du statut du juge des libertés et de la détention, au-delà de la question des moyens que j’ai déjà évoquée, un aspect du texte mérite d’être rappelé et clarifié, à en croire les commentaires que j’ai pu lire ou entendre de la part des représentants de professions juridiques que j’ai rencontrés. Je songe notamment aux représentants d’organisations d’avocats – le Conseil national des barreaux, le Barreau de Paris, la Conférence des bâtonniers – que j’ai croisés hier lorsque vous les auditionniez. Les garanties que nous apportons pour préserver la sérénité du juge des libertés et de la détention dans l’exercice de ses fonctions sont, j’en suis convaincu, utiles et attendues par la profession. Dans l’état actuel du droit, le juge ne bénéficie pas de garanties suffisantes : il est désigné par une décision du président de sa juridiction, une décision sur laquelle celui-ci peut à tout moment revenir. L’intention du Gouvernement est de faire du juge des libertés et de la détention un magistrat spécialisé, nommé à ses fonctions par décret après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
À ce propos, j’insiste sur le souhait du Gouvernement de faire aboutir la réforme du CSM. Je crois savoir que M. Georges Fenech n’y est pas hostile. L’Assemblée nationale a voté un texte, le Sénat aussi ; ils sont assez éloignés l’un de l’autre, mais celui du Sénat serait déjà un premier pas appréciable. Le Gouvernement entend donc demander à l’Assemblée nationale de se prononcer sur le texte sénatorial et s’il peut y avoir un vote conforme – je répète ici ce que le Président de la République a dit vendredi à Bordeaux devant 366 auditeurs de justice qui prêtaient serment, soit la promotion la plus nombreuse que la Ve République ait connue –, le Gouvernement se saisira du texte en l’état et la Constitution sera modifiée en ce sens. Ce n’était pas l’intention première du Gouvernement, qui défendait un projet plus vaste et, à mon sens, plus ambitieux. Mais l’avis conforme du CSM est une avancée bonne à prendre.
Je reviens au juge des libertés et de la détention, qui serait nommé, à l’instar des autres magistrats spécialisés, pour une durée maximale de dix ans dans une même juridiction et aux mêmes fonctions. Cette réforme figure dans le projet de loi organique, bien connu de vous, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats.
En ce qui concerne le durcissement des modalités d’aménagement de peine pour les condamnés terroristes, je n’y suis pas hostile ; je pense que cette question, qui n’a jamais été débattue quant au fond, mérite de l’être. Si l’on veut conserver le principe d’individualisation des peines – que personne, j’imagine, n’entend remettre en cause –, on peut discuter de cette possibilité pour les détenus les plus signalés ou dangereux. Au sein de la magistrature, le président du tribunal de grande instance de Paris a déjà évoqué quelques éléments qui seraient utiles pour éclairer l’Assemblée nationale.
J’en viens à la protection des témoins, un sujet évidemment sensible. Le régime de protection des témoins a été créé en 2004 par la loi dite « Perben II », mais n’est applicable que depuis deux ans. Il coûte 450 000 euros par an, financés par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués – quand les Italiens consacrent depuis des années plusieurs millions par an au dispositif équivalent. Il existe aujourd’hui une commission nationale de protection et de réinsertion, placée auprès du ministre de l’Intérieur et composée de sept personnes dont, à sa tête, Mme Anne Kostomaroff, avocat générale près la cour d’appel de Paris. C’est cette commission qui délivre le statut de collaborateur de justice et qui décide du niveau de protection accordé. Les dossiers lui sont soumis par des magistrats et la gestion est confiée au bureau de protection des repentis au sein du service interministériel d’assistance technique (SIAT), qui relève de la direction centrale de la police judiciaire. Une modification est aujourd’hui proposée afin d’apporter des éléments utiles concernant la base légale de ce dispositif, qui paraît en effet perfectible.
J’en viens au trafic d’armes et à son lien avec le terrorisme. Même si le Gouvernement est un, ce sujet concerne prioritairement le ministre de l’Intérieur, qui a présenté un plan de lutte contre le trafic d’armes, ainsi que le ministre de l’économie et des finances, qui a la tutelle des douanes. Voici ce que je puis vous en dire de mon côté : depuis 2014, 6 000 armes sont saisies chaque année et la mise en œuvre de l’état d’urgence a permis d’accroître notablement ce nombre ; 212 infractions à la législation sur les armes font actuellement l’objet de poursuites. Le lien avec le terrorisme est évident : on a observé que les auteurs des récents attentats étaient lourdement armés. En la matière, la coopération européenne est absolument nécessaire, afin d’harmoniser les législations. Les Anglais, en particulier, ont réussi à juguler le trafic d’armes ; il est vrai que l’insularité est un avantage que nous n’avons pas, mais nous pourrions utilement nous inspirer des techniques qu’ils ont utilisées.
En ce qui concerne les coopérations à propos desquelles vous m’avez interrogé, vous comprendrez que, par strict respect des responsabilités de chacun, je laisse à mes collègues le privilège de vous répondre dans l’hémicycle.
S’agissant de la compétence spécifique de la juridiction parisienne en matière de cybercriminalité, l’idée vient du Sénat : le président de la commission des Lois M. Philippe Bas l’a fait figurer dans la proposition de loi qu’il a défendue la semaine dernière. J’y suis défavorable. Le « rapport Robert », que j’ai souvent eu l’occasion d’évoquer et que M. Patrick Devedjian a également mentionné, invite à reconnaître une compétence concurrente au tribunal de grande instance de Paris pour les seules atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) visant les services de l’État et les opérateurs d’importance vitale, et une compétence résiduelle aux juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pour l’ensemble des autres cyberaffaires commises en bande organisée.
En ce qui concerne la protection de l’État et des opérateurs d’importance vitale face au cyberterrorisme, rappelons qu’en France, on a fait le choix de séparer les activités de cyberoffensive, confiées à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), de celles de cyberdéfense, qui relèvent des services. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) organise leur coopération. Les effectifs de l’ANSSI ont très fortement augmenté depuis la création de l’agence en 2009, passant de 120 agents à l’origine à 250 en 2012, puis à 360 en 2013, enfin à 500 aujourd’hui. Le Gouvernement a ainsi indiqué clairement que la mission de l’agence est pour lui une priorité. De fait, l’ANSSI joue un rôle déterminant dans la protection de l’État et des opérateurs d’importance vitale et je ne doute pas que M. Guillaume Poupard, son directeur général, serait ravi de venir vous en parler.
Quant à la retenue administrative, prévue à l’article 18 du texte, sa durée – quatre heures – ne vient pas de nulle part : elle a été validée par le Conseil constitutionnel en matière de vérification d’identité. Cette durée sera naturellement imputée sur celle de la garde à vue si cette mesure est ensuite ordonnée.
La modification des règles d’usage des armes par les policiers a fait l’objet d’un engagement du Président de la République lors de la réunion organisée le 22 octobre dernier à l’Élysée, puis d’un groupe de travail auquel plusieurs parlementaires de votre commission ont participé, dont Mme Élisabeth Pochon et M. Éric Ciotti. Le Conseil d’État a signalé à ce sujet qu’une réflexion plus globale méritait d’être conduite. Néanmoins, ces questions relèvent elles aussi du ministre de l’Intérieur, chargé du pilotage ; je me réserve donc de lui demander s’il est ouvert ou non à des amendements.
Les individus qui pourraient être concernés par l’article 20 en raison de leur retour de Syrie sont aujourd’hui 250, d’après les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur. Je veux souligner le caractère novateur de l’alternative proposée, qui inclut des possibilités de déradicalisation ou de réinsertion. En la matière, l’offre mérite d’être structurée. Mais le ministre de la justice, tant au sein de l’administration pénitentiaire que de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a conduit des réflexions que je découvre et qui méritent à mon avis d’être valorisées. Naturellement, le Parlement a déjà élaboré sa doctrine, comme en témoigne le rapport de M. Sébastien Pietrasanta. Le rôle du secteur associatif, trop méconnu, mérite une attention particulière.
J’en viens à l’équilibre entre procureur et juge d’instruction, évoqué par Mme Capdevielle et dont j’ai constaté qu’il suscitait beaucoup d’interrogations. Le rôle du juge d’instruction n’est pas remis en cause ; je crois même avoir dit en commençant que je souhaitais que le projet de loi le renforce. Mais il est nécessaire de renforcer également les prérogatives du procureur, pour deux raisons. Premièrement, plus de 97 % des enquêtes sont aujourd’hui conduites sous son contrôle, sans qu’un juge d’instruction ne soit saisi. Il importe donc de lui donner les moyens nécessaires à l’élucidation de ces affaires. Deuxièmement, dans les 3 % d’affaires qui nécessitent la saisine d’un juge d’instruction, il faut permettre au procureur de diligenter les premières investigations afin d’être en mesure de saisir le juge lorsque cela est justifié, sans l’engorger inutilement – un drame auquel toutes les juridictions sont confrontées. Cette idée d’équilibre, quelque peu galvaudée, a vraiment servi de boussole dans la préparation de ce texte. Le procureur ne décide pas seul, mais uniquement sur autorisation du juge des libertés et de la détention ; et la durée de validité de sa décision est inférieure à celle des décisions du juge d’instruction.
S’agissant enfin de la place de la police administrative, M. Devedjian est libre d’adopter une interprétation plus limitative, mais il existe de nombreuses décisions du Conseil constitutionnel – entre 50 et 100 depuis 1999, ce qui témoigne d’une certaine stabilité – qui confient à la police administrative la restriction de liberté et à l’autorité judiciaire la privation de liberté, en référence aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
M. le président Dominique Raimbourg. Avant de laisser la parole aux représentants des groupes, je précise, afin d’éviter par avance toute frustration, que la discussion générale pourra se poursuivre à l’occasion de la prochaine réunion et de l’examen des amendements.
M. Georges Fenech. Avec le ministre ?
M. le garde des Sceaux. Le ministre est convoqué tous les mercredis matin, de dix heures à midi, à une réunion où il n’est pas prévu que l’on puisse être excusé – fût-ce au nom de la souveraineté du Parlement à laquelle je suis très attaché ! (Sourires)
M. Éric Ciotti. Je m’exprimerai au nom du groupe Les Républicains.
Ce projet de loi est le cinquième texte de lutte contre le terrorisme depuis 2012. En 2012, nous avions réclamé un projet de loi d’orientation et de programmation financière destiné à lutter contre le terrorisme. Je regrette que nous n’ayons pas été écoutés.
Dans un contexte de menace extrêmement élevée – le Premier ministre l’a encore rappelé –, le présent texte introduit des dispositions dont une partie nous semble positive. Toutefois, à bien des égards, il nous paraît très largement inachevé. Nous espérons que, grâce au débat parlementaire, et grâce à votre accession à la Chancellerie, monsieur le garde des Sceaux – je vous en félicite à nouveau, mais je forme aussi pour vous des vœux de courage, car vous avez à remédier à une situation passablement dégradée –, ce projet de loi ne restera pas une occasion manquée.
Le dispositif proposé souffre de graves lacunes. C’est un dispositif beaucoup plus large, plus complet, plus élaboré que nous défendrons par voie d’amendement. Car ce texte doit être l’occasion d’une rupture profonde avec la politique pénale portée par Mme Taubira. Ainsi, nous proposerons de rétablir les « peines plancher », qui étaient très efficaces contre la délinquance, et de revenir sur la contrainte pénale. Le texte doit aussi permettre d’instaurer un véritable dispositif de renseignement pénitentiaire – que vous avez défendu dans d’autres fonctions, monsieur le ministre.
Il convient en outre de se prémunir contre le retour des djihadistes. À ce sujet, permettez-moi d’évoquer le témoignage diffusé dans les médias de la personne qui a permis d’arrêter Abaaoud et, ainsi, d’empêcher de terribles attentats. Outre qu’il soulève des questions pertinentes sur la protection des témoins – le sort réservé à cette personne était manifestement inadapté compte tenu du service qu’elle a rendu à la nation –, il nous apprend que, d’après ce qu’Abaaoud a déclaré à Hasna Aït Boulahcen, 90 djihadistes sont rentrés en même temps que lui et se cachent actuellement en Île-de-France. C’est terrifiant ! Cela nous ramène au problème de leur détection et, plus généralement, du traitement des retours – un point essentiel ; nous ne cessons de le répéter depuis la loi présentée par M. Manuel Valls en 2012 et nous y insistons plus encore aujourd’hui. Vous prévoyez un dispositif d’assignation à résidence de quelques heures. Je n’ignore pas les contraintes qu’impose la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais la réforme que vous avez engagée aurait pu être l’occasion d’une disposition fort utile à cet égard. Le problème des retours doit être au cœur de nos débats. Comment protéger notre pays de leurs conséquences ?
En ce qui concerne la protection des forces de l’ordre, le dispositif limité au cas des tueurs de masse n’est absolument pas suffisant. Vous l’avez dit vous-même à mots choisis, monsieur le garde des Sceaux : l’avis du Conseil d’État, particulièrement éclairant sur ce point, signale que le dispositif risque de contraindre davantage les forces de l’ordre lorsqu’elles mobilisent la force armée dont elles ont le monopole. Nous défendrons donc, dans le sillage de la proposition de loi que j’avais déposée avec MM. Guillaume Larrivé, Philippe Goujon et Olivier Marleix, un dispositif beaucoup plus large prenant notamment en considération les notions de danger imminent et de violence grave.
Mme Cécile Untermaier. Monsieur le ministre, au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je vous félicite à nouveau de votre nomination. Vous avez brillamment présidé la commission des Lois ; vous êtes un universitaire tout aussi brillant, et l’exigence qui caractérise cette profession ne pourra qu’influencer très favorablement l’exercice de la très haute responsabilité qui vous revient.
Notre groupe a désigné trois représentants sur ce projet de loi : M. Yves Goasdoué, Mme Élisabeth Pochon et moi-même. Nous avons apprécié que vous rappeliez le travail mené en amont à la Chancellerie : on ne peut pas parler de précipitation à propos du texte qui arrive devant nous, même si l’accélération du rythme pose des problèmes aux députés et particulièrement aux rapporteurs – mais nous ferons tout pour que la qualité et le niveau d’exigence du projet n’en pâtissent pas.
Nous sommes naturellement très favorables à ce texte qui tend à adapter le dispositif législatif au besoin de sécurité et à l’assortir d’une exigence nouvelle de prévention des risques menaçant la vie de la nation comme des individus.
La simplification sur laquelle vous avez insisté est essentielle. Elle suppose de libérer le juge du contentieux de masse et de le réinstaller dans son rôle, le cas échéant en réorganisant ses missions pour le soulager de travaux en commission qui l’accaparent trop. Ce sont des questions qu’il faudra poser. En outre, la simplification organisationnelle et des mesures de modernisation du dispositif sont indispensables.
Vous l’avez rappelé, les moyens budgétaires doivent être accrus. Nous serons à vos côtés pour rappeler que la justice mérite cet effort. Nous pouvons tous en témoigner, les juridictions sont en souffrance, pas seulement en Île-de-France mais dans tout le pays. Les parquets craquent !
La loi soulève aussi le problème de la place des magistrats du ministère public. De fait, le moment nous paraît opportun pour nous interroger sur le renforcement du statut du procureur, au regard des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Vous l’avez également indiqué.
Le statut du juge des libertés et de la détention, élément important du dispositif, est prévu par le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats. Nous apprécions bien sûr tout particulièrement l’idée que sa nomination sera soumise à l’avis conforme du CSM.
Les dispositions du texte consacrées à Tracfin sont en parfaite cohérence avec la loi de 2015 sur le renseignement, qu’elles complètent très utilement. Je songe en particulier aux mesures concernant les cartes prépayées et à la nouvelle infraction de trafic de biens culturels. C’est tout à fait essentiel.
À mes yeux, avec ce texte, nous travaillons bien et de manière cohérente. La cohérence finale viendra du texte sur la justice du xxie siècle qui traitera du public, du justiciable, de son attente et de la réorganisation qu’elle exige, de l’accueil et de l’accès au droit des citoyens.
Je vous transmets également, à sa demande, une observation de Mme Mazetier, qui conteste la sévérité de l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi.
Enfin, s’agissant tout particulièrement de Tracfin, nous nous interrogeons sur l’absence de frontières. Un dispositif européen et international accompagne-t-il les mesures prises pour leur donner toute l’efficacité requise ?
M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, je vous félicite à mon tour de votre nomination. Je n’ai pas siégé à la commission des Lois lorsque vous en étiez président, mais j’ai pu y apprécier vos qualités de juriste au cours de la précédente législature.
J’ai écouté avec intérêt votre exposé introductif, qui était une sorte de défense et illustration de l’État de droit. Mais on a le sentiment, à la lecture du projet de loi, qu’il ne s’agit que d’une vitrine. En réalité, le texte contribue à installer dans le droit commun des dispositions qui relèvent aujourd’hui de l’état d’urgence. Il a surtout le grave défaut de faire passer le juge judiciaire après le policier, le procureur et le préfet – qui entre pour la première fois dans le code de procédure pénale.
Je me contenterai de citer ici de hauts magistrats, les premiers présidents des cours d’appel, dans leur délibération commune du 14 janvier dernier : le texte « contient des dispositions dangereuses pour les libertés et gravement contraires aux droits de l’homme » – et d’en citer quatre exemples : « l’assignation à résidence par l’autorité préfectorale pour des motifs imprécis et sans autorisation ni contrôle du juge judiciaire, l’extension juridiquement inutile, au regard des critères actuels de la légitime défense, de l’usage des armes par les forces armées et de sécurité intérieure, des perquisitions de nuit dans les domiciles par les forces de police, en enquête préliminaire, hors flagrant délit, des retenues, à l’initiative de l’autorité préfectorale, créant une garde à vue administrative ».
Je formulerai pour ma part les observations suivantes.
D’abord, le projet de loi, qui a pour vocation d’alourdir l’arsenal pénal et administratif antiterroriste, introduit – c’est son vice originel – trop de pouvoirs dérogatoires, au sein du code de procédure pénale comme du code de la sécurité intérieure. Il était pourtant censé renforcer les garanties du procès équitable, notamment du contradictoire par l’accès au dossier ; ce n’est pas le cas.
Ensuite – je ne suis pas seul ici à le dire –, le juge d’instruction est marginalisé au profit du juge des libertés et de la détention dont le statut, fragile, reste à préciser par une loi organique et qui, déjà « surbooké », aura bien du mal, dans l’urgence, à juger de la proportionnalité des mesures dont il devra décider. C’est une régression de la place du juge d’instruction, normalement chargé des enquêtes les plus lourdes.
L’article 17 illustre parfaitement le recul du juge judiciaire au profit des forces de police et de l’autorité administrative. Je songe en particulier à la fouille des véhicules, à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages.
En outre, ce texte vient après toute une série de dispositions législatives relatives au terrorisme qui ont été votées sans faire l’objet de la moindre évaluation. Le décompte de notre collègue Éric Ciotti est erroné. Depuis 1986 ont été votées : la loi du 9 septembre 1986, qui introduit un régime dérogatoire au droit commun ; celle de 1996, qui crée l’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ; celle de 2001 relative à la sécurité quotidienne, qui autorisait à titre temporaire, jusqu’au 31 décembre 2003, la fouille des véhicules – mais comme par hasard, le 18 mars 2003, une loi a pérennisé les outils de procédure pénale. Voilà qui rappelle les prélèvements ADN qui devaient être limités aux délinquants sexuels et sont maintenant pratiqués sur des syndicalistes ou sur des faucheurs volontaires : c’est un bon exemple de la manière dont une loi temporaire peut devenir permanente. Ensuite, la loi du 9 mars 2004 a institué une procédure pénale bis, avec ses infractions dites de délinquance ou de criminalité organisée. La loi de 2006 impose à tout opérateur de télécommunications et à tout fournisseur d’accès de conserver les données de connexion pendant un an et porte la durée de la garde à vue de quatre à six jours. La loi du 14 mars 2011, dite « LOPPSI II », accroît le recours aux traitements automatisés de données à caractère personnel. Celle du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme prévoit des interdictions administratives d’entrée sur le territoire ou de sortie du territoire. Vient enfin la loi de juillet 2015 relative au renseignement.
Le texte prévoit trop d’ordonnances – plus d’une vingtaine : ce n’est rien d’autre qu’une forme de mépris envers le Parlement, qui devrait pouvoir connaître des dispositions concernées. Il est toujours dangereux de légiférer par ordonnance.
J’ai entendu dire que nous connaissions parfaitement les IMSI-catchers ; en effet : nous savons qu’il s’agit d’espionnage de masse, du premier pas vers une société de type orwellien. Dans la mesure où le juge judiciaire, entièrement effacé, ne peut protéger nos libertés individuelles, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter.
Il a enfin été question d’un débat intéressant, qui n’a jamais été ouvert dans cette maison. Il concerne le Conseil d’État, créé par Napoléon – vous savez, cet organe qui juge qu’il ne faut pas construire le pont sur l’île de Ré une fois que celui-ci est terminé, ou qui rend un arrêt considérant comme illégal un barrage, d’ailleurs tout proche de Sivens, qui n’en est pas moins resté en place… Je vous conseille vivement la lecture d’une tribune publiée aujourd’hui dans Libération par un chercheur, sous le titre « Le Conseil d’État, verrou de l’Élysée ». Comment le juge administratif peut-il à la fois dire le droit et conseiller le prince ? Ce sujet mérite tout notre intérêt lorsque nous réfléchissons aux réformes à venir : sans doute devrions-nous envisager la suppression du Conseil d’État.
Mme Marietta Karamanli. Membre de la commission des affaires européennes, j’aimerais vous demander une précision, monsieur le ministre. Vous avez évoqué la nécessaire coopération européenne. Or la directive relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes est en cours de révision. Cette question doit faire l’objet d’une communication à la commission des affaires européennes dans quinze jours. Vous avez signalé nos difficultés à imposer la vision française, laquelle rejoint dans une certaine mesure celle du Royaume Uni. Comment le présent texte s’articule-t-il avec les discussions au niveau européen sur cette directive, qui a été amendée parce qu’elle a révélé des failles dans la législation européenne ? Comment s’appuyer sur ce texte pour aller un peu plus loin ?
Par ailleurs, l’article 1er introduit une référence nouvelle à la prévention d’un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. Qu’apporte-t-elle de plus ?
M. Guillaume Larrivé. J’aimerais formuler une remarque de méthode et de principe sur le processus d’élaboration de la loi.
J’entends bien que plusieurs hauts magistrats s’expriment à ce sujet, mais je ne voudrais pas que certains se croient autorisés à ressusciter les remontrances des Parlements d’Ancien Régime. Je suis trop attaché à la conception classique de la séparation des pouvoirs pour ne pas demander que chacun fasse son office. Nous sommes le législateur, nous sommes même parfois le constituant ; nous le sommes pleinement ; et, si le dialogue avec telle ou telle personnalité du monde judiciaire est tout à fait souhaitable, il me semble que chacun doit rester dans son champ. Il n’appartient pas à l’autorité judiciaire de formuler des recommandations ni de suggérer des orientations au pouvoir législatif.
M. le président Dominique Raimbourg. Voulez-vous répondre aux orateurs, monsieur le ministre ?
M. le garde des Sceaux. Monsieur le président, vous êtes très aimable de me redonner la parole ; mais, à cette heure avancée, je crois préférable de garder nos arguments pour l’examen des articles. J’avais prévu de répondre à des parlementaires qui n’ont pas eu la courtoisie d’attendre ma réponse avant de partir ; je ne le ferai donc pas.
M. le président Dominique Raimbourg. Il nous reste à vous remercier, monsieur le ministre.
*
* *
Lors de sa réunion du mercredi 17 février 2016, la commission des Lois poursuit l’examen, sur le rapport de Mme Colette Capdevielle et de M. Pascal Popelin, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n° 3473).
M. le président Dominique Raimbourg. Nous avons entendu la semaine dernière le garde des Sceaux sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Nous poursuivons aujourd’hui nos travaux à un rythme soutenu, et je remercie nos rapporteurs, Mme Colette Capdevielle et M. Pascal Popelin, le rapporteur pour avis de la commission des Finances, M. Yann Galut, et les administrateurs, qui ont travaillé dans des conditions difficiles.
Je suis intervenu auprès de la présidence pour que le délai de dépôt des amendements en séance soit repoussé du vendredi 26 au lundi 29 février, à 17 heures. La Conférence des Présidents en a accepté le principe. De plus, l’examen des articles ne commencera que le mercredi 2 mars, les séances de la veille étant consacrées à la seule discussion générale. J’attire également votre attention sur le fait que les séances du vendredi 4 mars ont été ouvertes.
Je propose à présent de donner la parole au rapporteur pour avis, qui ne s’est pas exprimé la semaine dernière, puis d’en venir à l’examen des articles du projet de loi.
M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances. J’ai été saisi pour avis du chapitre IV du titre Ier du projet de loi, relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ainsi que de l’article 33, au chapitre II du titre II, autorisant le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance afin de transposer en droit interne la directive européenne du 20 mai 2015, dite « quatrième directive anti-blanchiment », ainsi que le règlement européen portant sur les informations accompagnant les transferts de fonds.
Les mesures sur lesquelles j’ai eu à me prononcer constituent des avancées majeures. Elles permettent tout d’abord de renforcer les moyens d’action des deux acteurs essentiels que sont Tracfin et les services douaniers, dans la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme. Ensuite, en encadrant l’utilisation des cartes prépayées, le projet de loi tire les conséquences nécessaires de l’apparition, au sein des organisations criminelles, de nouvelles pratiques de financement. Ces mesures semblent satisfaire les acteurs concernés, ce qui tend à prouver qu’elles sont opérationnelles.
Ce projet de loi a fait l’objet d’une procédure accélérée, ce qui était souhaitable au vu du contexte actuel mais ce qui nous a laissé peu de répit pour creuser d’éventuelles pistes d’amélioration. J’ai néanmoins profité du peu de temps qui m’était imparti pour travailler sur certaines propositions qui viendront utilement renforcer et sécuriser notre corpus juridique de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment des capitaux. J’ai déposé à cet effet devant la commission des finances onze amendements, dont huit ont été adoptés ; j’ai fait le choix de retirer les trois autres, qui portaient sur des sujets plus polémiques et demandaient donc un temps de réflexion supplémentaire. Je me suis par ailleurs engagé à redéposer l’ensemble de ces amendements en séance, afin qu’ils puissent donner lieu à un débat constructif.
Les principales avancées adoptées en commission des finances sont les suivantes : plafonnement du rechargement en liquide des cartes prépayées ; exonération de responsabilité et sécurisation de l’environnement juridique des banques lorsqu’elles agissent dans le cadre d’un nouvel appel à vigilance de Tracfin ; possibilité pour les douanes de mener des enquêtes sous pseudonyme et possibilité pour ces mêmes services de recourir au prélèvement d’échantillons.
Je souhaite maintenant avancer sur les points suivants dans la perspective de la discussion en séance : donner compétence en matière de lutte contre le financement du terrorisme aux services des douanes ou, a minima, aux services de la douane judiciaire ; renforcer l’obligation déclarative en abaissant le seuil à 5 000 euros pour les transferts intracommunataires ; pour les montants les plus importants, imposer des documents permettant de justifier de la provenance des fonds et rendre parallèlement plus dissuasif le manquement à cette obligation déclarative en renforçant les sanctions pécuniaires, voire en érigeant ce manquement en délit.
La Commission en vient à l’examen des articles.
TITRE IER
DISPOSITIONS RENFORÇANT LA LUTTE CONTRE LE CRIME ORGANISÉ,
LE TERRORISME ET LEUR FINANCEMENT
Chapitre Ier
Dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires
Article 1er
(art. 706-90 à 706-92 du code de procédure pénale)
Perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en matière de terrorisme
Le présent article porte sur les perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation en matière de terrorisme. Il les autorise, sur décision préalable et motivée du juge des libertés et de la détention (JLD), en enquête préliminaire, et les facilite au cours d’une information judiciaire lorsqu’elles sont nécessaires à la prévention d’un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique.
1. La perquisition de nuit dans un local d’habitation, une mesure réservée à l’enquête de flagrance et, sous certaines conditions, à l’information judiciaire conduites en matière de criminalité et de délinquance organisées
En vertu de l’article 59 du code de procédure pénale, les perquisitions et les visites domiciliaires ne peuvent être commencées, sauf exception, qu’entre 6 heures et 21 heures. Le code de procédure pénale prévoit deux exceptions à cette règle, pour lutter contre le proxénétisme ou le recours à la prostitution de mineurs d’une part (article 706-35), et en matière de criminalité et de délinquance organisées, dont relève le terrorisme (voir l’encadré ci-après), d’autre part (articles 709-89 à 706-94).
S’agissant de la criminalité et de la délinquance organisées, les perquisitions de nuit sont possibles dans les conditions suivantes :
– en enquête de flagrance, le JLD peut, à la demande du procureur de la République, autoriser les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction la nuit, y compris dans un local d’habitation (article 706-89) ;
– en enquête préliminaire, le JLD peut, dans les mêmes conditions, autoriser ces opérations de nuit qui ne peuvent cependant pas concerner des locaux d’habitation (article 706-90) ;
– au cours d’une information judiciaire, le juge d’instruction peut autoriser les officiers de police judiciaire (OPJ) agissant sur commission rogatoire à procéder aux mêmes opérations à condition qu’elles ne concernent pas des locaux d’habitation sauf, en cas d’urgence, dans trois hypothèses : « [l]orsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit flagrant » (1°), « [l]orsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves ou des indices matériels » (2°) ou « [l]orsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux (…) sont en train de commettre des crimes ou des délits » (3°) relevant du champ de la criminalité et de la délinquance organisées (article 706-91).
Liste des infractions concernées par la procédure applicable
à la criminalité et à la délinquance organisées
L’article 706-73 définit les infractions relevant de l’intégralité du régime procédural spécial de la criminalité et de la délinquance organisées :
1° Crime de meurtre commis en bande organisée ;
2° Crime de tortures et d’actes de barbarie commis en bande organisée ;
3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants ;
4° Crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée ;
5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains ;
6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme ;
7° Crime de vol commis en bande organisée ;
8° Crimes aggravés d’extorsion ;
9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée ;
10° Crimes en matière de fausse monnaie ;
11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme ;
12° Délits en matière d’armes et de produits explosifs commis en bande organisée ;
13° Délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée ;
14° Délits de blanchiment ou de recel du produit, des revenus et des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° ;
15° Délits d’association de malfaiteurs, lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° ;
16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, lorsqu’il est en relation avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17° ;
17° Crime de détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée ;
18° Crimes et délits punis de dix ans d’emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs entrant dans le champ d’application de l’article 706-167 du code de procédure pénale ;
19° Délit d’exploitation d’une mine ou de disposition d’une substance concessible sans titre d’exploitation ou autorisation, accompagné d’atteintes à l’environnement, commis en bande organisée, lorsqu’il est connexe avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 17° du présent article.
L’article 706-73-1, récemment introduit dans le code de procédure pénale par la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, applique également le régime procédural spécial relatif à la criminalité et à la délinquance organisées aux infractions suivantes, à l’exception notable de l’article 706-88 permettant de prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours et de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la 72e heure :
1° Délit d’escroquerie en bande organisée ;
2° Délits de dissimulation d’activités ou de salariés, de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, de marchandage de main-d’œuvre, de prêt illicite de main-d’œuvre ou d’emploi d’étranger sans titre de travail, commis en bande organisée ;
3° Délits de blanchiment ou de recel du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° ;
4° Délits d’association de malfaiteurs, lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 3° ;
5° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, lorsqu’il est en relation avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 4°.
L’article 706-74 du même code dispose que, « [l]orsque la loi le prévoit », la procédure spéciale relative à la criminalité et à la délinquance organisées s’applique également aux crimes et délits suivants :
1° Crimes et délits commis en bande organisée autres que ceux précédemment mentionnés ;
2° Délits d’association de malfaiteurs.
Il est donc possible de pénétrer dans un lieu clos la nuit dans les conditions suivantes :
– en tous lieux clos, y compris un local d’habitation, en enquête de flagrance ;
– dans les lieux clos autres que les locaux d’habitation lors d’une enquête préliminaire ;
– en tous lieux clos, y compris un local d’habitation, lors d’une information judiciaire, sous réserve de satisfaire à l’une des trois conditions mentionnées aux 1° à 3° de l’article 706-91 : flagrance, risque immédiat de dépérissement des preuves, soupçon de commission d’une infraction relevant de la criminalité ou de la délinquance organisées.
Ces perquisitions, visites domiciliaires et saisies ne peuvent, « à peine de nullité », avoir d’autre objet « que la recherche et la constatation des infractions visées dans la décision du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction » (article 706-93). Les autorisations de procéder à ces opérations doivent, « à peine de nullité », respecter un certain formalisme (article 706-92) :
– « elles font l’objet d’une ordonnance écrite, précisant la qualification de l’infraction dont la preuve est recherchée ainsi que l’adresse des lieux dans lesquels les visites, perquisitions et saisies peuvent être faites » et « motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires » ;
– dans le cas où le juge d’instruction autorise l’une de ces opérations dans un local d’habitation, « l’ordonnance comporte également l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux seules conditions prévues par » les 1° à 3° de l’article 706-91 précité ;
– en toute hypothèse, ces opérations doivent être réalisées sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées.
Enfin, l’article 706-94 prévoit des exceptions à la présence nécessaire de la personne concernée. Si la personne au domicile de laquelle la perquisition est faite ne peut y assister et que son transport sur place doit être évité en raison de risques graves de troubles à l’ordre public, d’évasion ou de disparition des preuves, « la perquisition peut être faite (…) en présence de deux témoins requis (…) ou du représentant désigné » par ladite personne, après autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d’instruction pour les enquêtes de flagrance ou d’instruction et du JLD en enquête préliminaire « lorsque la perquisition est faite sans l’assentiment de la personne ».
2. Le cadre constitutionnel applicable aux perquisitions de nuit
La faculté pour le législateur d’étendre le recours aux perquisitions de nuit met en cause plusieurs exigences de nature constitutionnelle : d’un côté, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, de l’autre, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l’autorité judiciaire. Statuant sur la loi « Perben II » qui étendait notamment le régime des perquisitions de nuit, jusque-là applicable seulement en matière de lutte contre le terrorisme, à la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, le Conseil constitutionnel a jugé :
– en matière de flagrance, qu’« eu égard aux exigences de l’ordre public et de la poursuite des auteurs d’infractions, le législateur [pouvait] prévoir la possibilité d’opérer des perquisitions, visites domiciliaires et saisies de nuit dans le cas où un crime ou un délit relevant de la criminalité et de la délinquance organisées vient de se commettre, à condition que l’autorisation de procéder à ces opérations émane de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que le déroulement des mesures autorisées soit assorti de garanties procédurales appropriées » (41) (autorisation du JLD par décision écrite et motivée, contrôle permanent de ce magistrat, nécessité, à peine de nullité, d’avoir pour objet la recherche et la constatation des infractions visées) ;
– dans le cadre de l’instruction, que des perquisitions de nuit « dans certains cas d’urgence limitativement énumérés, [dans] des locaux d’habitation, (…) également subordonnée à une autorisation du juge d’instruction », étaient « justifiées par la recherche des auteurs d’infractions particulièrement graves ou la nécessité d’intervenir dans des locaux où sont en train de se commettre de telles infractions » (42) et ne portaient pas une atteinte excessive au principe de l’inviolabilité du domicile.
En tout état de cause, la perquisition de nuit n’est conforme à la Constitution « que si celle-ci ne peut être réalisée dans d’autres circonstances de temps » (43).
3. La facilitation des perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation pour les infractions de terrorisme en cas de risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique
Pour tenir compte des exigences particulières posées par la lutte antiterroriste, le présent article assouplit, sous certaines réserves de fond et de forme, les conditions de réalisation des perquisitions de nuit pour les nécessités des seules enquêtes préliminaires et des informations judiciaires relatives aux infractions de terrorisme.
a. En enquête préliminaire
Par dérogation au premier alinéa de l’article 706-90, le 1° prévoit que, pour les besoins de l’enquête concernant des crimes et délits constituant des actes de terrorisme au sens des articles 421-1 à 421-6 du code pénal, des perquisitions de nuit pourraient être réalisées dans des locaux d’habitation « en cas d’urgence », « lorsque la réalisation de cette opération en dehors des heures prévues à l’article 59 est nécessaire afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ». Sur requête du procureur de la République, le JLD serait seul compétent pour les autoriser dans les conditions précédemment mentionnées.
b. Au cours d’une information judiciaire
Le 2° procède au même élargissement des possibilités de perquisition de nuit dans des locaux d’habitation dans le cas d’une information judiciaire relative aux crimes et délits constituant des actes de terrorisme au sens des articles 421-1 à 421-6 précités.
Pour ce faire, il complète la liste des circonstances mentionnées aux 1° à 3° de l’article 706-91 du code de procédure pénale, permettant au juge d’instruction, en cas d’urgence, d’autoriser les OPJ à procéder à de telles perquisitions, au cas dans lesquelles ces opérations seraient nécessaires « afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ».
Le juge d’instruction serait seul habilité à les autoriser, dans les mêmes conditions que celles précédemment mentionnées. Conformément aux exigences constitutionnelles posées en la matière, le présent article subordonne la possibilité de réaliser de telles perquisitions aux hypothèses limitativement énumérées d’actes de terrorisme risquant de porter atteinte, au sens du code pénal, à la vie – meurtre, assassinat, empoisonnement ou homicide involontaire (44) – ou à l’intégrité physique – tortures ou actes de barbarie, violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violences ayant entraîné une mutilation ou infirmité permanente, violences, administration de substances nuisibles, embuscade, atteintes involontaires à l’intégrité de la personne, agressions sexuelles (45).
L’élargissement des conditions de réalisation des perquisitions de nuit dans des locaux d’habitation prolonge l’évolution législative observée au cours de ces dernières années en matière de terrorisme, tendant notamment au renforcement de l’efficacité des enquêtes préliminaires (46), tout en veillant au respect des exigences constitutionnelles. L’autorisation de recourir à ces perquisitions demeure ainsi subordonnée au respect de trois exigences au moins : l’intervention d’un juge du siège, l’existence d’infractions d’une particulière gravité et l’application des garanties procédurales prévues par les articles 706-92 et 706-93 du code de procédure pénale.
Aussi le 3° du présent article prévoit-il que l’ordonnance par laquelle le JLD ou le juge d’instruction autoriserait la perquisition de nuit d’un local d’habitation devrait comporter spécifiquement, outre les éléments mentionnés au premier alinéa de l’article 706-92 précité, « l’énoncé des considérations de droit et de fait qui [en] constituent le fondement ».
Auditionnés par votre rapporteur, plusieurs représentants de la section antiterroriste du tribunal de grande instance (TGI) de Paris – M. François Molins, procureur de la République, Mme Camille Hennetier, vice-procureur et chef de la section antiterroriste, ainsi que Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l’instruction – ont unanimement salué les avancées proposées par le présent article. Le dispositif répond à une nécessité pour la section antiterroriste dans la mesure où la majeure partie des enquêtes ouvertes du chef d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme le sont sous la forme préliminaire : M. François Molins a ainsi fait observer que, « compte tenu des profils des mis en cause, et du fait que certaines investigations sont susceptibles de révéler des perspectives imminentes de passage à l’acte sur le territoire national, il paraît impératif de pouvoir ménager un effet de surprise lors des interpellations, et de pouvoir pénétrer dans un local d’habitation en urgence à n’importe quelle heure lorsque l’on suppose que des individus y préparent un attentat ». Mme Laurence Le Vert a également souligné que le 2° de l’article 1er permettra de faciliter le recours aux perquisitions de nuit, devenues quasiment impossibles compte tenu des conditions posées par l’actuel article 706-91 précité.
4. Les modifications opérées par votre commission des Lois
À l’initiative de votre rapporteur et suivant les recommandations formulées sur cet article par M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, au cours de son audition (47), la commission des Lois a renforcé les garanties procédurales entourant ces perquisitions.
D’une part, elle a précisé que le régime juridique encadrant le recours aux perquisitions nocturnes tel qu’il est aujourd’hui prévu par l’article 706-92 serait applicable de plein droit aux perquisitions domiciliaires nocturnes décidées dans le cadre d’une enquête préliminaire sur le fondement du troisième alinéa du présent article, comme le prévoit déjà l’article 706-91 en matière d’information judiciaire.
D’autre part, elle a renforcé, pour toutes les perquisitions domiciliaires de nuit décidées en enquête préliminaire ou lors d’une information judiciaire, l’information, « dans les meilleurs délais », du JLD ou du juge d’instruction qui les a autorisées, afin de lui permettre d’exercer un réel contrôle sur les opérations auxquelles il est ainsi procédé, à l’instar de ce qui existe en matière d’interception de correspondances.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL163 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. La première partie de l’article 1er prévoit d’autoriser les perquisitions de nuit en enquête préliminaire. Or le renforcement constant des pouvoirs autorisés en enquête préliminaire pose différents problèmes : d’une part, faute de révision constitutionnelle, le parquet ne bénéficie toujours pas de garanties équivalentes à celles des magistrats du siège ; d’autre part, l’ouverture de l’instruction, qui offre à la justice des moyens supplémentaires et ouvre des droits pour le justiciable, se retrouve de plus en plus retardée.
Le juge d’instruction se retrouve ainsi pris entre le parquet et le juge des libertés et de la détention (JLD), à qui on demande de valider les enquêtes demandées. La situation statuaire et matérielle des JLD ne leur permet pourtant pas d’exercer pleinement ce rôle de juge de l’enquête. Il y a également un paradoxe à faire du JLD un juge de l’enquête, alors que ce juge a été créé pour séparer conduite de l’enquête et décision sur la détention provisoire. Les pouvoirs importants supplémentaires offerts au parquet en enquête préliminaire par ce projet de loi vont aggraver cette tendance, sans pour autant qu’une véritable réflexion accompagne cette évolution lourde. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer les alinéas 1 à 3.
M. Pascal Popelin, rapporteur. La possibilité offerte par les alinéas 1 à 3 du présent article de procéder, sous des conditions strictes, à des perquisitions domiciliaires de nuit en enquête préliminaire répond à un réel besoin des services judiciaires de l’antiterrorisme, sans porter aux droits et libertés une atteinte disproportionnée. Le champ de la mesure est en effet strictement limité, puisqu’elle ne s’applique que dans le cadre de la répression des infractions à caractère terroriste, en cas d’urgence et « afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ».
Par ailleurs, elle nécessite une autorisation impérative du JLD, magistrat du siège indépendant, dont les conditions statutaires devraient être prochainement renforcées par le projet de loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.
Enfin, les garanties procédurales prévues par les articles 706-92 à 706-94 du code de procédure pénale sont applicables de plein droit, « à peine de nullité ». En d’autres termes, une perquisition nocturne requiert une ordonnance écrite et motivée comportant les considérations de droit et de fait fondant l’autorisation ; elle ne peut pas avoir d’autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans l’autorisation ; le JLD enfin a la possibilité de se déplacer sur les lieux pour tout contrôler.
Ces dispositions correspondent à un réel besoin. En effet, non seulement la majorité des enquêtes ouvertes du chef d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme le sont sous la forme préliminaire mais, face à des perspectives imminentes de passage à l’acte, il est de surcroît impératif de ménager un effet de surprise et de pouvoir pénétrer dans un local d’habitation en urgence.
Il n’y a donc pas de marginalisation de l’instruction puisque les mêmes pouvoirs sont reconnus au juge d’instruction lors d’une information judiciaire. Au contraire, il s’agit d’un rééquilibrage entre enquête et information judiciaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à cet amendement.
M. Yves Goasdoué. Je m’étonne de cet amendement visant à supprimer une mesure qui s’inscrit pleinement dans le cadre classique de notre droit commun et n’est en rien assimilable aux dispositions susceptibles d’être prises durant l’état d’urgence.
Les perquisitions de nuit sur des lieux d’habitation dont il est question ici sont subordonnées à l’autorisation d’un magistrat du siège, qui doit motiver sa décision, laquelle étant obligatoirement prise dans le cadre de la répression d’infractions à caractère terroriste. J’ajoute par ailleurs que, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ces perquisitions nocturnes doivent, pour ne pas être réputées disproportionnées, aboutir à des résultats qu’une perquisition classique, effectuée de jour, n’aurait pas permis d’obtenir.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements de précision CL242 et CL243 du rapporteur.
Elle en vient ensuite aux amendements identiques CL70 de M. Georges Fenech et CL147 de M. Michel Zumkeller.
M. Georges Fenech. Je voudrais insister sur le déséquilibre entre les garanties qui entourent, d’une part, l’enquête préliminaire et, d’autre part, l’instruction, laquelle demeure au cœur de notre système judiciaire.
Nous devons nous prononcer ici sur une procédure dans laquelle le procureur qui décide d’une perquisition doit en demander l’autorisation au JLD. Le juge d’instruction en revanche, lorsqu’il ordonne une perquisition, n’a à en référer à personne. Il en décide souverainement et est le seul à en apprécier la légalité et la proportionnalité, le seul contrôle de légalité possible étant le contrôle a posteriori devant la chambre d’instruction.
C’est ce qui a fait dire à M. Robert Badinter que notre juge d’instruction était à la fois Salomon et Maigret, juge et enquêteur, alors que, dans les pays anglo-saxons soumis à l’Habeas corpus, le prosecutor qui souhaite procéder à une perquisition ou à des écoutes téléphoniques doit se conformer à la règle de la probable cause, et préciser la nature des indices graves et concordants qui motivent une telle atteinte à la liberté individuelle. Dans un document très étoffé, appelé affidavit, il a l’obligation d’indiquer ce qu’il recherche, pourquoi il le recherche et à quel endroit il pense trouver l’objet utile à la manifestation de la vérité, à partir de quoi le juge effectue un contrôle strict avant de donner son autorisation.
En France au contraire, le cumul et la confusion des fonctions assumées par le juge d’instruction augmentent les risques d’arbitraire et d’atteinte aux libertés fondamentales. C’est pourquoi mon amendement propose une mini-révolution, en obligeant le juge d’instruction à demander au JLD l’autorisation de procéder à une perquisition, mesure par nature attentatoire aux libertés individuelles.
M. Michel Zumkeller. Si on s’en tient à la rédaction actuelle de l’article 706-90 du code de procédure pénale, le contrôle du JLD est induit, mais nous souhaiterions que cela soit inscrit de manière explicite dans la loi.
M. le rapporteur. Ces amendements précisent le cadre des perquisitions nocturnes ordonnées non dans le cadre de l’instruction – alinéa 5 – mais en enquête préliminaire – alinéa 3. Or, s’agissant des enquêtes préliminaires, ils sont doublement satisfaits, d’une part par la rédaction de l’alinéa 3 du présent article, qui vise les perquisitions nocturnes en enquête préliminaire « mentionnées à l’alinéa précédent » lorsqu’elles ont lieu dans un local d’habitation, c’est-à-dire les perquisitions telles qu’elles sont autorisées par le JLD sur requête du procureur et selon les modalités prévues à l’article 706-92 du code de procédure pénale ; d’autre part, par la rédaction actuelle de ce même article 706-92, qui prévoit que, « à peine de nullité, les autorisations prévues par les articles 706-89 à 706-91 sont données pour des perquisitions déterminées et font l’objet d’une ordonnance écrite ».
S’agissant des informations judiciaires, les perquisitions sont déjà soumises à l’autorisation préalable et motivée du juge d’instruction, magistrat du siège présentant toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance au sens de la jurisprudence conventionnelle et constitutionnelle. La personne concernée pourra toujours, en temps utile, soulever des nullités si elle souhaite contester ces perquisitions et faire annuler les moyens de preuve collectés. Mon avis est défavorable.
M. Patrick Devedjian. Monsieur le rapporteur, vous ne répondez pas à l’objection soulevée avec pertinence par M. Georges Fenech, qui souligne que le juge d’instruction – dont Balzac, avant M. Robert Badinter, dénonçait déjà la toute-puissance – est à la fois juge et partie. D’où sa proposition d’étendre le contrôle du JLD à tous les cas de perquisition.
M. Guy Geoffroy. Le JLD a précisément été créé pour mettre fin à cette dualité des fonctions du juge d’instruction. Pour respecter le parallélisme des formes comme la volonté du législateur, le JLD doit donc se prononcer sur les initiatives du parquet comme sur celles du juge d’instruction.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Ce qui nous est proposé ici, c’est de soumettre les perquisitions effectuées dans le cadre d’une enquête préliminaire à l’autorisation d’un JLD mais, si l’on veut appliquer les mêmes règles à l’instruction, c’est toute notre procédure judiciaire – procédure inquisitoire et non accusatoire comme celle des anglo-saxons – qu’il faut revoir, et M. Georges Fenech a raison de parler de révolution juridique. Cela étant, je ne pense pas que cela soit l’objet de ce projet de loi.
La Commission rejette les amendements.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL244 du rapporteur.
Elle en vient ensuite à l’amendement CL12 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à revenir sur les conditions des perquisitions ordonnées dans le cadre de l’enquête préliminaire en ne les limitant pas nécessairement aux cas où elles sont nécessaires afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique.
M. le rapporteur. Cela me paraît une extension excessive. La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux perquisitions de nuit dans un local d’habitation, telle qu’elle résulte de sa décision du 2 mars 2004 sur la loi dite « Perben II » est très stricte, puisqu’elle exige que ces perquisitions soient cantonnées à la constatation de crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle ; que les restrictions apportées aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises ; que ces perquisitions enfin ne puissent pas être réalisées à un autre moment.
Pour ces raisons, il appartient au législateur de définir précisément les conditions dans lesquelles de telles perquisitions sont possibles en enquête préliminaire, ce qui est le cas à l’alinéa 3 qui pose trois conditions : en matière terroriste, en cas d’urgence et lorsque c’est nécessaire à la prévention d’un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique. La suppression de l’une de ces trois conditions n’est donc pas souhaitable. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL367 du rapporteur.
Elle en vient ensuite à l’amendement CL164 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Le risque doit être sérieux et imminent pour justifier la nécessité d’une telle perquisition.
M. le rapporteur. M. Coronado souhaite aller dans le sens inverse de M. Ciotti et restreindre les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Il me semble néanmoins que le dispositif est équilibré en l’état. Avis dévavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL165 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Les atteintes à l’intégrité physique pouvant recouvrir un nombre de situations très larges, il me semble opportun de limiter les perquisitions aux situations comportant des risques d’atteinte à la vie.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL245 du rapporteur.
M. le rapporteur. Le présent amendement tend à préciser expressément que le régime juridique encadrant le recours aux perquisitions nocturnes tel qu’il est prévu par l’article 706-92 est applicable aux perquisitions domiciliaires nocturnes décidées dans le cadre d’une enquête préliminaire instituées par l’alinéa 3 du présent article, comme le précise déjà l’article 706-91 en matière d’information judiciaire.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL246 et CL247 du rapporteur.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite successivement les amendements CL166 et CL167 de M. Sergio Coronado.
Puis elle examine l’amendement CL369 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement précise que le magistrat ayant autorisé les perquisitions doit être informé dans les meilleurs délais des actes accomplis.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle en vient à l’amendement CL157 de Mme Élisabeth Pochon.
Mme Élisabeth Pochon. Il importe de préciser que l’autorisation de procéder à des perquisitions doit être spécialement motivée.
M. le rapporteur. Juridiquement, la différence entre une décision « motivée » et « spécialement motivée » est assez difficile à établir. Je vous demanderai donc de retirer cet amendement.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 1ermodifié.
La Commission est saisie de l’amendement CL93 de M. Patrick Devedjian.
M. Patrick Devedjian. Nous souhaitons que l’avocat de la personne perquisitionnée soit obligatoirement informé, dès le début de la perquisition.
M. le rapporteur. Votre amendement n’a pas pour objet de prévoir l’information obligatoire de l’avocat lors des perquisitions domiciliaires de nuit comme le précise l’exposé sommaire, mais pour toutes les perquisitions décidées par le juge d’instruction en vertu de l’article 92 du code de procédure pénale.
Or les perquisitions domiciliaires de droit commun demandées par le juge d’instruction, juge du siège indépendant, sont déjà encadrées par les articles 92 à 99-4 du code de procédure pénale : si la perquisition a lieu au domicile d’une personne mise en examen ou gardée à vue, elle doit se dérouler en sa présence ou celle d’un représentant de son choix ou, à défaut, de deux témoins ; dans les autres hypothèses, la personne dont le domicile est perquisitionné est invitée à y assister, la perquisition ayant lieu en présence de parents ou de témoins en cas d’absence de la personne perquisitionnée.
La chambre criminelle de la Cour de cassation juge avec constance que l’absence de convocation de l’avocat lors d’une perquisition n’est pas irrégulière dès lors que la personne mise en examen n’est pas soumise à un interrogatoire, une confrontation ou une reconstitution. Elle considère que l’absence de l’avocat lors de la perquisition ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable du demandeur.
S’agissant des perquisitions domiciliaires de nuit en matière de criminalité et de délinquance organisées, elles sont justifiées par un motif d’urgence. Il paraît donc pour le moins compliqué de prévenir l’avocat de la personne concernée, sauf à faire perdre de son utilité à la mesure qui est prise à son insu. Avis défavorable.
M. Alain Marsaud. Monsieur le président, je vous remercie de m’accueillir dans votre Commission dont je ne suis pas membre. Les personnes faisant l’objet d’une perquisition sous ce régime juridique ne sont pas mises en examen et n'ont pas d’avocat. Si la police procédait à une perquisition au domicile de M. Salah Abdeslam, comment pourrait-elle prévenir son avocat ? Ces gens ne désignent pas d’avocat ! Il faut dire que, bien souvent, on n'est pas sûr de l’identité des personnes ciblées. Mon cher collègue Patrick Devedjian ne se rend pas compte des contextes dans lesquels se déroulent de telles opérations.
La Commission rejette l’amendement.
Article 2
(art. 706-95-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Mise en œuvre de dispositifs techniques de proximité
de recueil de données techniques de connexion (IMSI catcher)
en matière de criminalité et de délinquance organisées
Le présent article complète la liste des techniques de surveillance applicables à la poursuite judiciaire de la criminalité et de la délinquance organisées (principalement les interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications) par de nouvelles possibilités de recueil, en temps réel, de données techniques de connexion. À cet effet, dans le prolongement des possibilités déjà reconnues par le législateur aux services de renseignement en 2015, il autorise, pour les besoins de la répression de ce type d’infractions, le recours aux « IMSI catcher » dans les enquêtes ou informations judiciaires.
1. Le droit en vigueur
a. Un régime dérogatoire d’interception des correspondances
i. Les interceptions de correspondances, des opérations en principe réservées à l’instruction en matière criminelle et délictuelle…
Dans le droit commun fixé par les articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale, l’interception, l’enregistrement et la transcription des correspondances électroniques ne sont pas possibles lors de la phase d’enquête, que celle-ci soit préliminaire ou de flagrance. En revanche, de telles opérations sont possibles, en matière criminelle et correctionnelle, si une information judiciaire a été ouverte relativement à une infraction réprimée par le code pénal d’une peine égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement. De telles opérations ne peuvent être réalisées que sous certaines conditions :
– sur décision du juge d’instruction (article 100), « prise pour une durée maximum de quatre mois », renouvelable (article 100-2), qui « doit comporter tous les éléments d’identification de la liaison à intercepter, l’infraction qui motive le recours à l’interception ainsi que la durée de celle-ci » (article 100-1) ;
– le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire (OPJ) commis par lui qui fait procéder à l’installation du dispositif d’interception doit dresser un procès-verbal des opérations d’interception et d’enregistrement (article 100-4) et de transcription de la seule correspondance utile à la manifestation de la vérité (deux premiers alinéas de l’article 100-5) ;
– les enregistrements doivent être détruits à l’expiration du délai de prescription de l’action publique (article 100-6).
Par ailleurs, certaines personnes bénéficient d’une protection contre ces interceptions judiciaires à raison de leur profession, comme les parlementaires, les avocats, les magistrats et les journalistes (deux derniers alinéas de l’article 100-5 et article 100-7).
ii. …mais possibles, en matière de criminalité et de délinquance organisées, lors de la phase d’enquête
Depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », compte tenu de la nécessité de procéder parfois à des interceptions de correspondances sans que les faits sur lesquels porte l’enquête justifient l’ouverture d’une information judiciaire, l’article 706-95 autorise de telles opérations dans le cadre d’une enquête de flagrance ou préliminaire relative à l’une des infractions de délinquance et de criminalité organisées mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 dudit code (48).
L’article 706-95 soumet ces interceptions à la décision préalable du juge des libertés et de la détention (JLD), saisi en ce sens par le procureur de la République, « pour une durée maximum d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée ». Ce délai, initialement fixé à quinze jours, avait été jugé insuffisant par le législateur en 2011, qui l’avait porté à un mois par la loi n° 2011-267 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure afin de permettre d’identifier le plus efficacement possible des réseaux qui s’organisent souvent selon des relations complexes. Le JLD contrôle leur exécution et est informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application des articles 100-3 à 100-5 précités.
b. L’application du droit commun de l’accès aux données techniques de connexion
Le recueil judiciaire des données techniques de connexion (ou métadonnées) obéit à un régime distinct en raison de la différence de nature qui existe entre ces données, lesquelles correspondent aux données d’identification ou de trafic, et les correspondances, qui, elles, renseignent sur le contenu des échanges des personnes surveillées.
Le droit commun s’applique pour l’accès à ces données, quelle que soit la nature de l’infraction en cause. Les OPJ peuvent requérir des opérateurs de téléphonie et d’internet qui, en application de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, « [p]our les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, (…) sont tenus de conserver pendant une durée maximale d’un an les données techniques se rapportant à la connexion de leurs abonnés » (III), les données « [portant] exclusivement sur l’identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers et sur la localisation des équipements terminaux » (premier alinéa du VI).
En enquête de flagrance, le deuxième alinéa de l’article 60-2 du code de procédure pénale dispose que « [l]’officier de police judiciaire, intervenant sur réquisition du procureur de la République préalablement autorisé par ordonnance du juge des libertés et de la détention, peut requérir des opérateurs de télécommunications (…) de prendre, sans délai, toutes mesures propres à assurer la préservation, pour une durée ne pouvant excéder un an, du contenu des informations consultées par les personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs ».
Dans le cadre d’une enquête préliminaire, le deuxième alinéa de l’article 77-1-2 du même code prévoit une procédure semblable : « [s]ur autorisation du juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le procureur de la République, l’officier de police peut procéder aux réquisitions prévues par le deuxième alinéa de l’article 60-2 ».
Au cours d’une information judiciaire, en vertu du deuxième alinéa de l’article 99-4 du même code, l’OPJ peut également procéder à ces mêmes réquisitions « [a]vec l’autorisation expresse du juge d’instruction ».
2. L’instauration de nouvelles capacités de recueil de données techniques de connexion
Le présent article vise à offrir de nouvelles capacités de collecte de données de connexion dans le domaine de la criminalité et de la délinquance organisées en autorisant le recours à des dispositifs techniques de proximité afin de recueillir certaines données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal – un téléphone portable par exemple – ou du numéro d’abonnement de son utilisateur.
a. Une faculté déjà reconnue aux services de renseignement en 2015…
Sont ici visés les dispositifs techniques de proximité, dits « IMSI catcher » (49), sortes d’antennes relais mobiles imposant aux terminaux mobiles situés dans leur périmètre de se connecter à elles et se substituant à celles des opérateurs afin de collecter certaines données techniques associées à leur utilisation, voire de capter les correspondances qui transitent par eux.
L’utilisation de ces dispositifs a déjà été autorisée par le législateur dans le domaine du renseignement lors de l’adoption de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Ainsi, en vertu du nouvel article L. 851-6 du code de la sécurité intérieure, « peuvent être directement recueillies, au moyen d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal, les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur ainsi que les données relatives à la localisation des équipements terminaux utilisés ».
Statuant sur les recours formés à l’encontre de cette loi, le Conseil constitutionnel a considéré que le recueil administratif de données de connexion au moyen d’un tel appareil ou dispositif était conforme à la Constitution eu égard aux conditions, finalités et garanties posées par le législateur pour la mise en œuvre des techniques de recueil du renseignement : autorisation préalable, limitation de la durée des opérations, nature des informations recueillies, modalités de destruction des éléments recueillis sans rapport avec l’autorisation… (50).
b. … élargie, par le présent article, aux enquêtes et informations judiciaires en matière de criminalité et de délinquance organisées
Le 2° du présent article complète la section V du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale par un nouvel article 706-95-1 habilitant l’OPJ à recourir à cette technique pour les besoins de l’enquête ou de l’information concernant l’un des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 et 706-73-1 précités.
Le premier alinéa de ce nouvel article subordonne la mise en œuvre de cette technique au respect de plusieurs exigences :
– l’autorité compétente serait, lors d’une enquête, le JLD « sur requête du procureur de la République » et, lors d’une information judiciaire, le juge d’instruction « après avis du procureur de la République » : il s’agirait donc, en toute hypothèse, d’un magistrat du siège, membre de « l’autorité judiciaire », conformément aux prescriptions de la jurisprudence constitutionnelle et de l’article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) ;
– seules « les données techniques de connexion permettant l’identification d’un équipement terminal ou du numéro d’abonnement de son utilisateur » pourraient être recueillies : en effet, si certains dispositifs sont équipés de fonctionnalités leur permettant de procéder à la géolocalisation des terminaux et à l’interception de communications, ces fonctionnalités sont déjà couvertes, pour les enquêtes judiciaires, par les dispositions du code de procédure pénale relatives aux mesures de géolocalisation (51) et à l’interception des correspondances (52) ;
– la durée de mise en place du dispositif ne pourrait excéder « une durée maximale d’un mois renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée », comme pour les interceptions de correspondances ;
– le magistrat qui aurait délivré l’autorisation de recourir à cette technique serait chargé d’en contrôler l’exécution.
Le deuxième alinéa aménage une procédure d’urgence autorisant le procureur de la République à délivrer directement l’autorisation de recourir à cette technique. Toutefois, cette autorisation, pour être conforme aux prescriptions de la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle, devrait « alors être confirmée par le juge des libertés et de la détention dans le délai de 24 heures, à défaut de quoi il [serait] mis fin à l’opération ».
Le dernier alinéa permet au procureur de la République, au juge d’instruction ou à l’OPJ de « requérir tout agent qualifié d’un service, d’une unité ou d’un organisme placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur et dont la liste est fixée par décret, en vue de procéder à l’utilisation du dispositif technique ».
Par cohérence, le 1° complète l’intitulé de la section V précitée, aujourd’hui consacrée aux « interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications », afin d’y inclure le « recueil de données techniques de connexion ».
En tout état de cause, compte tenu de la nécessité d’en contrôler l’usage et des atteintes portées à la vie privée par leur intermédiaire, les matériels utilisés pour procéder à ce recueil de données demeurent soumis, sous peine de sanctions définies par l’article 226-6 du code pénal, à une autorisation du Premier ministre, délivrée après l’avis de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) (53).
Le présent article concrétise une demande forte de la part des services chargés de la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, en particulier le terrorisme, ainsi que l’ont relayée devant votre rapporteur M. François Molins, procureur de la République de Paris, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur, chef de la section antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris, en considérant que rien ne justifiait que les services enquêteurs, sous le contrôle du parquet, ne puissent avoir l’usage de cette technique alors que le législateur avait reconnu cette faculté aux services de renseignement. Ce dispositif sera particulièrement utile dans l’hypothèse de surveillances ou dans celle d’individus reclus.
L’utilisation de cette technique aujourd’hui mise en œuvre, dans certaines procédures particulières, sous l’empire des dispositions générales de l’article 81 du code de procédure pénale, permettra d’identifier les moyens de communication utilisés par une personne et ses identifiants téléphoniques, sans passer, dans un premier temps, par la procédure lourde, coûteuse et seulement rétrospective de réquisition des opérateurs. Toutefois, une fois cette identification opérée et passé le stade de l’urgence, il pourra être procédé aux réquisitions nécessaires afin d’obtenir l’historique des données de connexion, les données de géolocalisation en temps réel et l’interception des communications, dans le respect du code de procédure pénale.
3. Les modifications opérées par votre commission des Lois
Sur proposition de votre rapporteur, reprenant l’une des recommandations formulées par M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, au cours de son audition (54), la commission des Lois a précisé que l’autorisation du JLD ou du juge d’instruction de recourir à un IMSI catcher pour les nécessités de l’enquête ou de l’information concernant l’une des infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 précités devrait être délivrée par « ordonnance motivée ».
Par ailleurs, la commission des Lois, contre l’avis de votre rapporteur qui souhaitait, en séance publique, proposer un dispositif procédural plus complet et cohérent, a adopté un amendement de M. Lionel Tardy tendant à préciser les conditions de mise en œuvre de ce procédé technique en situation d’urgence telles qu’elles sont prévues par le deuxième alinéa du nouvel article 706-95-1 précité. Le texte adopté par la Commission prévoit que, si le JLD ne confirme pas dans les 24 heures l’autorisation délivrée en urgence par le procureur de la République, non seulement il devra être « mis fin à l’opération », ainsi que le précisait la rédaction initiale de cet article, mais il devra également être « procédé à la destruction des données recueillies ».
*
* *
La Commission étudie l’amendement CL168 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à limiter le recours à l’International mobile subscriber identity (IMSI)-catcher. Nous avons déjà débattu de l’emploi de cet instrument très intrusif au moment de l’examen de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Comme il procède à une captation massive de données, nous proposons que son emploi ne soit possible que lors de l’instruction et que l’on ne puisse l’utiliser lors de l’enquête préliminaire.
M. le rapporteur. Votre amendement, monsieur Coronado, est motivé par une prévention contre cet outil. Le texte du projet de loi prévoit l’encadrement de son recours, y compris lors des enquêtes de flagrance ou préliminaires. Son utilisation est ainsi limitée à la recherche et à la constatation d’une infraction relevant du champ de la criminalité et de la délinquance organisées. Seul le juge des libertés et de la détention (JLD) peut autoriser le recours à cet instrument. La durée d’installation du dispositif ne peut excéder un mois, même si elle peut être renouvelée une fois. Certes, une procédure d’urgence est aménagée au stade de l’enquête, mais le JLD doit confirmer dans les vingt-quatre heures l’autorisation alors délivrée par le procureur de la République, sous peine de l’arrêt immédiat des opérations.
Je m’étonne toujours que l’on fasse une fixation sur l’IMSI-catcher, car d’autres instruments, comme les interceptions judiciaires, s’avèrent bien plus intrusifs que celui-ci, et, pourtant, on ne propose pas de les supprimer.
Au surplus, la rédaction de votre amendement conduirait à permettre l’installation de l’IMSI-catcher pour l’enquête, mais il confierait l’autorisation et le contrôle de l’emploi de l’outil au juge d’instruction, ce qui constituerait un mélange des compétences ni conforme ni souhaitable à l’organisation du système judiciaire. J’émets donc un avis défavorable à son adoption.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine les amendements identiques CL169 de M. Sergio Coronado et CL248 du rapporteur.
M. Sergio Coronado. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, identique à celui proposé par M. le rapporteur.
M. le rapporteur. En effet. J’y suis donc favorable.
La Commission adopte les amendements.
Puis elle est saisie de l’amendement CL249 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à renforcer les garanties applicables à la délivrance de l’autorisation de recourir à un dispositif de recueil de proximité des données de connexion, en précisant qu’elle devra faire l’objet d’une ordonnance motivée du JLD ou du juge d’instruction, comme pour la mise en œuvre d’autres mesures spéciales d’investigation.
M. Georges Fenech. Monsieur le rapporteur, vous souhaitez contraindre le JLD et le juge d’instruction à motiver l’autorisation de recourir à un tel dispositif, ce qui constituerait une innovation. Je m’en réjouis, mais un tel mouvement épouse les remarques que je formulais tout à l’heure sur les perquisitions.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de précision CL250 du rapporteur.
La Commission en vient à l’amendement CL251 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement précise que la possibilité pour le procureur de la République d’autoriser, en cas d'urgence, le recours à un dispositif de proximité de recueil des données techniques de connexion ne vaut que dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire, et non dans celui d'une information judiciaire, pour laquelle seul le juge d'instruction restera compétent pour délivrer cette autorisation.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL252 et CL253 du rapporteur.
La Commission aborde l’amendement CL170 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à réduire de vingt-quatre à douze heures le délai dans lequel le JLD doit valider l’utilisation d’un IMSI-catcher.
M. le rapporteur. On a retenu la durée de vingt-quatre heures car elle s’applique à d’autres dispositifs et semble raisonnable. J’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle étudie l’amendement CL113 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. L’article 2 du projet de loi complète la loi sur le renseignement en prévoyant l’utilisation d’un IMSI-catcher pour recueillir des données de connexion ; le texte prévoit l’encadrement de cette procédure par le juge, à l’exception des cas d’urgence où l’autorisation est délivrée par le procureur de la République sans validation préalable du juge. Le JLD peut néanmoins suspendre l’opération de recueil des données s’il n’en confirme pas l’autorisation dans les vingt-quatre heures. En revanche, le texte ne précise pas le sort des données collectées dans cet intervalle d’une journée. Mon amendement vise à ce que celles-ci soient détruites.
M. le rapporteur. Vous soulevez un sujet important, monsieur Tardy. L’alinéa 5 de l’article 2 prévoit que l’opération cesse si l’autorisation délivrée par le procureur de la République n’a pas été confirmée dans les vingt-quatre heures par le JLD ; dans ce cas, les données recueillies dans l'intervalle seront réputées nulles et non avenues.
Je travaille avec le Gouvernement à l’ajout de dispositions – qui seront, je l’espère, prêtes pour l’examen du texte en séance publique – renforçant les garanties entourant le recours à l’IMSI-catcher. Il conviendrait notamment de centraliser davantage le recueillement des données, afin de faciliter les contrôles. Nous pourrions nous inspirer des dispositions élaborées en matière de renseignement, même si le système, en cours de construction, diffère pour les interceptions judiciaires.
Les droits de la défense interdisent de détruire des données tant que la procédure relative à l’infraction concernée demeure ouverte, car les avocats des parties doivent connaître la nature des données collectées pour soulever d’éventuels arguments de nullité. J’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.
M. Jean-Christophe Lagarde. Je regrette que vous ne souteniez pas cet amendement, monsieur le rapporteur, car M. Tardy met en lumière un point essentiel. Un pouvoir peu précautionneux pourrait procéder à des écoutes qui ne pourront certes pas être utilisées dans une procédure judiciaire, mais dont les résultats seront connus des services de renseignement et de police, voire des autorités politiques. Il s’avère donc essentiel de s’assurer de la destruction des éléments collectés.
Mme Cécile Untermaier. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen (SRC) estime indispensable d’encadrer la collecte des données dans les cas d’urgence. Il convient de se pencher sur les conditions dans lesquelles il sera procédé à la destruction de ces données.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il faudra prévoir la destruction physique des données, et non leur simple suppression informatique qui ne ferait que les placer dans des répertoires où l’on pourrait facilement les récupérer.
M. Lionel Tardy. Toutes les interventions vont dans le même sens. La rédaction de l’alinéa 5 de l’article 2, indiquant qu’à défaut de validation de l’autorisation par le JLD, il est « mis fin à l’opération », ne s’avère pas assez protectrice. Le texte doit prévoir la destruction des données, la question du contrôle de cette destruction restant ouverte.
M. Sergio Coronado. Nous partageons la volonté d’encadrer l’utilisation de ces données, et la formulation actuelle du projet de loi n’offre pas suffisamment de garanties, comme vient de le souligner mon collègue Lionel Tardy. Le temps a manqué car le Gouvernement a choisi d’examiner ce texte selon la procédure accélérée, mais vous devez nous donner votre opinion, monsieur le rapporteur : soit vous soutenez cet amendement et obtenez du Gouvernement la suppression des données, soit vous garantissez que les données recueillies ne puissent être utilisées dans d’autres procédures judiciaires – j’ai déposé un amendement allant dans ce sens.
M. le rapporteur. J’ai clairement indiqué mon intention de rédiger d’ici à la séance publique un amendement traitant de la centralisation des données recueillies dans un contexte d’urgence et des modalités de leur destruction.
Monsieur Lagarde, vous avez évoqué les autorités politiques, mais ce dispositif s’inscrit dans le cadre d’une procédure judiciaire et non dans celui des activités de renseignement.
L’adoption de cet amendement créerait un système inopérant. Monsieur Tardy, je ne doute pas de votre confiance dans ma sincérité à vouloir avancer sur ce sujet. Si mon amendement en séance ne vous satisfaisait pas, vous pourriez nous soumettre à nouveau votre proposition. Si vous mainteniez votre amendement en Commission, j’émettrais un avis défavorable à son adoption.
M. Jean-Christophe Lagarde. Nous discuterons en séance du texte adopté en Commission, si bien qu’il importe d’adopter cet amendement aujourd’hui. L’IMSI-catcher est tellement large, le dispositif tellement intrusif, qu’il convient de l’encadrer. Certes, il est utilisé dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais vous savez, monsieur le rapporteur, que les services de police judiciaire rendent parfois compte de leurs activités à leur hiérarchie, voire à l’autorité politique. Cela s’est vu sous tous les gouvernements, mais il s’agissait d’écoutes ciblées alors que ce système s’avère bien plus large. Le texte doit donc fixer les conditions de la destruction des données recueillies.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. M. Tardy refuse que l’on conserve les données recueillies et souhaite l’annulation de la procédure ou le lancement d’une enquête administrative si tel n’était pas le cas. La destruction des données vise à atteindre ces deux objectifs.
M. le rapporteur. La destruction des données oblige tout d’abord à prévoir leur centralisation.
Nous avons trouvé une solution satisfaisante à ce problème lors de l’examen de la loi sur le renseignement. Le texte que nous examinons aujourd’hui concerne uniquement des données de connexion et non des contenus d’échanges, contrairement à la loi sur le renseignement qui ouvre les deux possibilités, l’utilisation des contenus d’échanges étant soumise à un fort encadrement.
M. Lionel Tardy. Je maintiens mon amendement, car il faut détruire ces données. Monsieur le rapporteur, il est libre à vous de trouver une rédaction encadrant cette destruction.
Mme Élisabeth Pochon. Nous souhaiterions déposer un amendement en vue de la séance publique prévoyant l’élaboration d’un décret fixant les conditions dans lesquelles il est procédé à la destruction matérielle des données à l’issue de l’opération.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de précision CL254 du rapporteur.
La Commission est saisie de l’amendement CL171 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Nous proposons que les données recueillies ne puissent pas être utilisées pour d’autres procédures que celle ayant justifié l’autorisation du recours à l’IMSI-catcher.
M. le rapporteur. La rédaction de votre amendement soulève des interrogations sur son objet précis. S'agit-il de prévoir que les opérations de recueil des données ne sauraient, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans la décision du magistrat qui les a autorisées ? Si tel était le cas, il nous faudra aboutir, avec le Gouvernement, au renforcement des garanties entourant le recours à cette technique. S’agit-il au contraire de frapper de nullité des procédures incidentes lorsque les données collectées révèlent d'autres infractions que celles visées dans la décision du magistrat qui les a autorisées ? Cela ne me paraît pas souhaitable car, pour d’autres techniques d’enquête, les articles 706-96 et 706-102-4 du code de procédure pénale disposent que la nullité des procédures incidentes n’est pas constituée en l’espèce.
J’émets donc un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.
M. Jean-Christophe Lagarde. Il est difficile d’écarter les délits incidents lorsque l’on mène une enquête, mais les contenus de conversation n’entrant pas dans le champ du texte, la probabilité que l’on en découvre semble faible. Par contre, lorsque l’on enquête sur des faits de grande criminalité, on peut avoir connaissance d’un délit terroriste, et il ne faudrait pas s’empêcher de réaliser la connexion entre les deux infractions.
M. Guy Geoffroy. Monsieur Coronado, excusez mon purisme grammatical, mais il conviendrait de rédiger ainsi votre amendement : « Les données recueillies ne peuvent être utilisées pour d’autre enquête ou information que celle ayant justifié l’autorisation ».
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle en vient à l’amendement CL172 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement a pour objet de supprimer les données recueillies par l’IMSI-catcher au bout d’un délai de 90 jours. Il reprend les dispositions prévues en matière de renseignement administratif.
M. le rapporteur. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet et j’émets un avis défavorable à l’adoption de cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL71 de M. Georges Fenech, CL148 de M. Michel Zumkeller et CL94 de M. Patrick Devedjian.
M. Georges Fenech. Cet amendement vise à assurer la protection du secret professionnel des avocats, des magistrats, des journalistes, des députés et des sénateurs. Ces dispositifs intrusifs s’avèrent utiles pour lutter contre le crime organisé et le terrorisme, mais ils ne doivent pas porter atteinte à des secrets protégés par la loi.
M. Michel Zumkeller. Mon amendement s’inscrit dans la même logique que celui de M. Zumkeller, et il oblige le juge d’instruction à informer le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, le bâtonnier ou le procureur général près la juridiction si l’IMSI-catcher est utilisé à l’encontre d’un député, d’un sénateur, d’un avocat ou d’un magistrat. Il importe d’encadrer davantage le système lorsqu’il doit s’appliquer à ces professions ou à ces fonctions pour lesquelles le secret professionnel revêt une dimension particulière.
M. Patrick Devedjian. Mon amendement va dans le même sens que celui de M. Georges Fenech. Des procès-verbaux paraissent dans la presse trois jours après leur signature, ce qui me rend prudent sur la possibilité de protéger le secret professionnel.
M. Patrice Verchère. Je suis favorable à l’adoption de ces amendements ; mais que se passerait-il si un juge souhaitait utiliser l’IMSI-catcher pour écouter le président de l’Assemblée nationale, le bâtonnier ou le procureur général de la juridiction ? Qui devrait-il informer ?
M. Jean-Christophe Lagarde. La rédaction que M. Michel Zumkeller et moi-même proposons utilise le terme de « parlementaires », incluant ainsi les membres du Parlement européen, alors que les autres amendements n’évoquent que les députés et les sénateurs nationaux.
M. le rapporteur. L’IMSI-catcher n'a pas vocation à être installé au domicile ou au bureau des personnes, et il s’avère techniquement impossible de ne pas recueillir telle ou telle nature de données. Agissant comme une sorte d'antenne relais factice, il est installé à un endroit sans qu’il soit nécessaire de pénétrer dans un lieu privé. Si l’on entre dans un lieu privé, on change de technique d'investigation et de régime juridique.
Le cadre juridique entourant l’utilisation de l’IMSI-catcher est adapté à la nature des données collectées, celles-ci ne portant pas sur le contenu des échanges mais sur des données techniques ; il diffère donc de celui des interceptions de correspondances.
Des dispositions particulières sont prévues pour le recours aux IMSI-catchers à l'encontre des professions protégées en matière de renseignement administratif, car le juge judiciaire n’intervient ni pour autoriser, ni pour contrôler la mise en œuvre de cette technique. La loi sur le renseignement fixe une composition différente de la formation de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) suivant le régime juridique qui s’applique. La Commission se réunit en formation plénière – c’est-à-dire avec la présence de quatre parlementaires – pour les professions d’avocat et de journaliste et pour la fonction de parlementaire. Le législateur a donc prévu des garanties particulières pour l’utilisation de ces outils à l’encontre de ces professions dans le cadre d’une procédure administrative. Dans une procédure judiciaire, c’est un magistrat du siège indépendant – JLD avant l’ouverture d’une information judiciaire, et juge d’instruction une fois la procédure enclenchée – qui autorise le recours à l’IMSI-catcher.
Monsieur Fenech, l’adoption de votre amendement conduirait à exclure purement et simplement l’application de cette technique d'enquête pour les avocats, les magistrats et les parlementaires, ce qui n'est pas acceptable.
J’émets un avis défavorable à l’adoption de ces amendements.
M. Georges Fenech. L’IMSI-catcher ne peut en effet pas trier les données qu’il recueille, mais vous pourriez prévoir un système les détruisant rapidement lorsque leur conservation porte atteinte au secret professionnel. En l’état actuel, le texte ne garantit pas la protection des avocats, des magistrats et des journalistes puisque ces données pourront être utilisées dans une procédure judiciaire.
M. le rapporteur. On utilise l’IMSI-catcher pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Monsieur Fenech, je n’imagine pas que vous souhaitiez interdire l’emploi de cette technique à l’encontre des avocats, des journalistes et des parlementaires. Il nous faut cependant établir des garanties pour encadrer le recours à cet outil contre des membres de ces professions en raison de la nature des secrets professionnels dont ils sont détenteurs. La réunion en plénière de la CNCTR apporte des garanties dans le cadre d’une procédure administrative, et la fonction des personnes autorisant son recours dans une procédure judiciaire fournit également les assurances nécessaires.
En outre, on ne peut pas utiliser les données étrangères au motif ayant justifié l’emploi de l’IMSI-catcher. Vous proposez l’interdiction de l’utilisation de cet outil pour les professions d’avocat, de magistrat et de journaliste et pour la fonction de parlementaire. Je ne partage pas ce souhait, car je ne vois pas au nom de quoi certaines professions seraient soustraites du droit commun. Par ailleurs, qui considère-t-on comme journaliste ? Quelqu’un se qualifiant de directeur de la publication d’un blog peut revendiquer la qualité de journaliste. Un contrôle accru doit s’opérer lors de l’utilisation de l’IMSI-catcher à l’encontre d’un membre d’une profession protégée, mais on ne doit pas prévoir l’impossibilité du recours à cette technique contre ces personnes.
M. Jean-Christophe Lagarde. Il ne s’agit pas, à mes yeux, d’interdire cette technique, mais d’encadrer et de contrôler son usage. L’utilisation d’un IMSI-catcher ne vise pas nécessairement un avocat, un magistrat, un parlementaire ou un journaliste : le dispositif est installé, et, au milieu du flux de connexions et d’informations obtenu, on entend l’une de ces professions. Il faut donc prévoir, sinon l’interdiction de l’usage, la destruction des données ou l’interdiction d’en prendre connaissance. J’entends bien qu’en cas de besoin, une de ces professions peut faire l’objet d’une enquête, avec un contrôle. Imaginons cependant qu’un IMSI-catcher soit installé pour surveillance à proximité du Palais Bourbon, c’est toute l’Assemblée nationale qui se trouvera concernée.
D’ici à l’examen du texte en séance publique, il faut trouver la bonne rédaction établissant que, si à l’occasion de l’utilisation du dispositif, en entend une personne qui doit être protégée, il faut prévoir la destruction des données. La question de M. Coronado, relative à l’interdiction d’utiliser les données au sujet de délits connexes, se pose alors dans toute son acuité. Nous avons parmi nous un ancien ministre de l’intérieur qui ne se livrait pas à ce type d’exercice, mais un service de police peut enquêter à côté pour avoir une information qu’il cherche en fait sur quelqu’un d’autre ; cela peut être dangereux. Il faut donc prévoir que, pour ces professions, il ne peut être question de délit connexe : soit un délit est soupçonné et l’on mène une enquête sur l’intéressé, soit l’enquête concerne quelqu’un d’autre et l’on ne tombe pas par hasard sur ce type de profession.
M. le président Dominique Raimbourg. Ce qui est proscrit aujourd’hui, c’est l’utilisation, dans une procédure judiciaire, d’informations obtenues par cette technique : elles ne peuvent pas servir de preuve. C’est cette nullité qui protège les professions en question, le recours à un IMSI-catcher rendant impossible la discrimination entre les connexions établies.
M. le rapporteur. Je rappelle que l’information sur le nombre des appareils utilisés est classifiée et qu’ils ont des capacités de captation différentes. Or c’est toujours le plus faible faisceau qui est recherché, faute de quoi les résultats sont inexploitables.
Il reste deux questions importantes. D’une part, ces professions protégées bénéficient-elles de garanties supplémentaires ? De mon point de vue, celles-ci existent de par la qualité de la personne susceptible de demander une captation.
S’agissant, d’autre part, des données recueillies de façon incidente, le Gouvernement est au fait de ce débat, et je m’engage à m’en entretenir avec lui afin de dégager des solutions applicables, particulièrement pour la destruction des données concernées. Je demande donc le retrait de ces amendements. Au demeurant, si la rédaction que je proposerai en séance ne vous convenait pas, vous pourriez faire vos propres propositions.
M. Georges Fenech. Sur la foi de l’engagement pris par le rapporteur, je retire mon amendement.
M. Patrick Devedjian. Je tiens à faire quelques observations.
Dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a rappelé ses exigences fortes en matière de protection du secret professionnel. Ensuite, nous ne pouvons pas oublier que, même en matière de terrorisme, la fin ne justifie pas les moyens. Par ailleurs, la carte de presse n’est délivrée à un journaliste qu’à la condition que l’essentiel de ses revenus soit le fruit de cette activité : si donc n’importe qui peut se prétendre journaliste tout le monde ne peut pas avoir ce document. Enfin, le fait que la machine soit privée de discernement et le contexte de la lutte contre le terrorisme ne justifient pas que, finalement, on écoute tout le monde !
Concernant les parlementaires, nous sommes au cœur du débat démocratique, il ne s’agit pas de les protéger pour ce qu’ils sont : il s’agit de la protection de l’opposition, quelle qu’elle soit. Il faut éviter qu’une majorité – peut-être une autre que celle d’hier ou d’aujourd’hui – puisse utiliser ces moyens techniques pour écouter l’opposition. Vous introduisez dans nos institutions une technique dangereuse et totalement incontrôlée.
M. Michel Zumkeller. L’amendement est maintenu. Il ne vise pas à empêcher cette pratique, mais à l’encadrer.
L’amendement CL71 est retiré.
La Commission rejette successivement les amendements CL148 et CL94.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL14 et CL59 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Ces amendements visent à revenir sur les principales dispositions de la « loi Taubira » du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive. Le nouveau garde des Sceaux nous propose de modifier en profondeur la procédure pénale : nous lui donnons acte de sa volonté et de son pragmatisme, face au terrorisme, et, de façon plus générale, à la délinquance.
Cependant, l’efficacité de cette nouvelle politique pénale, que nous jugerons sur pièce, passe par l’abrogation de la contrainte pénale. Mesure d’autant plus dangereuse, qu’à partir de 2017, elle concernera tous les délits, y compris l’association de malfaiteurs en matière de terrorisme. Concrètement, cela signifie que les personnes condamnées pour des agressions sexuelles aggravées, des violences volontaires graves contre les forces de l’ordre, de proxénétisme ou encore de trafic de stupéfiants pourront éviter la prison. Cette mesure a gommé par idéologie toute référence à la prison et envoie un message d’impunité aux délinquants : nous proposons sa suppression.
M. le rapporteur. Ce sujet sortant du champ du texte que nous examinons ce matin, nous n’allons pas rouvrir ici un débat qui nous a déjà occupés très longuement. Avis défavorable. Monsieur Ciotti, vous pourrez toujours revenir sur la question en séance publique.
M. Georges Fenech. Je rappellerai que le projet de loi que nous examinons s’intitule « Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ». Cela implique que la question des moyens donnés aux enquêteurs doit également nous préoccuper. Or la contrainte pénale implique la surveillance d’individus susceptibles de récidiver alors que les forces de police sont fortement mobilisées pour prévenir les actes de terrorisme.
En outre, d’après les évaluations du ministère de la justice, la contrainte pénale va monter en puissance : 20 000 détenus pourraient ainsi sortir de prison, notamment avec l’extension du dispositif – dans moins d’un an – aux peines de cinq à dix ans d’emprisonnement. Nous sommes actuellement placés sous le régime de l’état d’urgence : vous adressez donc aux Français un message de protection maximale. Mais, dans le même temps, vous laissez perdurer une politique pénale décidée avant la menace terroriste qui aura pour conséquence d’alourdir considérablement la charge de travail de la police qui est exsangue aujourd’hui.
M. Philippe Goujon. La contrainte pénale, telle qu’elle pourra être appliquée à l’avenir, entre en contradiction avec bien des mesures positives relatives au régime des sanctions contenues dans ce projet de loi. En outre, son champ d’application devrait être élargi alors qu’aucune évaluation n’a été pratiquée.
M. Éric Ciotti. Dans le même esprit, mon amendement CL59 tend à exclure du champ d’application de la contrainte pénale les délits terroristes. Ne pas le faire serait extrêmement dangereux dans le contexte qui est le nôtre actuellement.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
La Commission rejette ces amendements.
Puis elle étudie l’amendement CL15 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à rétablir au sein de notre arsenal juridique les peines minimales de privation de liberté en cas de récidive légale, communément dénommées « peines plancher ». Leur suppression a constitué une erreur majeure qui a privé la justice d’un outil important contre la récidive. Cette mesure était pourtant compatible avec le principe constitutionnel d’individualisation des peines puisque 40 % des cas éligibles bénéficiaient de peines plancher, laissées à l’appréciation du juge. Rappelons-le, la durée moyenne des peines des récidivistes était ainsi passée de neuf à seize mois d’emprisonnement.
M. Alain Tourret. Pour moi, la peine plancher constitue une monstruosité juridique totalement opposée au principe général du droit qu’est l’individualisation de la peine. Pourquoi ne pas proposer des peines collectives ?
M. Georges Fenech. Nous touchons là à l’ambiguïté qui sous-tend ce texte : vous proposez des moyens d’intrusion, d’investigation et d’enquête auxquels nous sommes favorables mais vous n’abordez pas la question de la sanction et de la répression. Vous n’insistez pas sur l’effet dissuasif inhérent à toute politique pénale en matière de récidive. Vous restez à mi-parcours, tant en termes de procédure que de sanctions parce que, pour des raisons politiques qui peuvent se comprendre, vous ne souhaitez pas remettre en cause la politique pénale de Mme Taubira.
Vous aurez beau mettre tous les moyens à la disposition des services de renseignement et des enquêteurs pour arrêter et identifier des candidats au terrorisme, si ceux-ci bénéficient de la contrainte pénale ou d’une libération conditionnelle prématurée ou de réductions de peine automatiques alignées sur le régime des primo délinquants, nous n’aurons pas une procédure pénale adaptée à la lutte contre le terrorisme.
Enfin, et contrairement à ce qu’a dit M. Alain Tourret, les peines a minima n’ont rien de scandaleux, d’autres pays y ont recours. Elles ont existé chez nous jusqu’à l’adoption du nouveau code pénal de 1994. Tous les textes prévoyaient des peines minima et maxima. Il faudra y revenir un jour.
M. le rapporteur. Les évaluations pratiquées ont montré que le taux de récidive n’a pas cessé de croître en dépit des peines plancher. Par ailleurs, la contrainte pénale est l’un des outils – pas une obligation – mis à la disposition du juge. Mais imaginerait-on un juge prononçant une mesure de contrainte pénale à l’encontre d’un terroriste dangereux – a fortiori sans aucun appel du ministère public ?
Il est légitime de défendre ses positions, mais prétendre que ne pas supprimer la contrainte pénale et ne pas rétablir les peines plancher à l’occasion de ce texte revient à faire la moitié du chemin n’est pas intellectuellement objectif. Outre que ce débat est hors-sujet, dire que la contrainte pénale est un outil d’affaiblissement de la politique de lutte contre le terrorisme et les peines plancher une amélioration de la lutte contre la récidive est contraire à la vérité.
La Commission rejette l’amendement.
Article 3
(art. 706-96, 706-98 à 706-101 et 706-102-1 à 706-102-8 du code de procédure pénale)
Extension à l’enquête de techniques spéciales d’investigation jusque-là réservées à l’instruction en criminalité et délinquance organisées
Le présent article a pour principal objet, en matière de criminalité et de délinquance organisées, d’élargir à l’enquête de flagrance ou préliminaire la mise en œuvre des techniques de sonorisation, de fixation d’images et de captation de données informatiques, aujourd’hui réservées à l’information judiciaire.
1. Des techniques principalement réservées aux informations judiciaires ouvertes en matière de criminalité et de délinquance organisées
Le code de procédure pénale réserve certaines techniques spéciales d’investigation, eu égard à leur caractère intrusif dans la vie privée des individus, aux enquêtes relatives à des infractions particulièrement graves ou complexes. Il en va ainsi de la sonorisation, de la fixation d’images et de la captation de données informatiques, principalement réservées aux informations judiciaires relatives à la criminalité et à la délinquance organisées, conformément aux articles 706-96 à 706-102-9 du code de procédure pénale.
Toutefois, en vertu des articles 706-1-1 et 706-1-2 du code de procédure pénale, le législateur a récemment décidé (55) d’en étendre partiellement le champ d’application à certaines atteintes à la probité (56), aux délits de fraude fiscale commis en bande organisée ou aggravés par l’une des cinq circonstances mentionnées à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, à certains délits douaniers de première classe et à l’ensemble des délits douaniers de seconde classe punis d’une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans, ainsi qu’en matière de grande délinquance économique et financière.
La sonorisation de lieux et de véhicules et la captation d’images consistent à saisir à leur insu l’image et la parole de personnes par le recours à des enregistreurs, des microphones ou des caméras.
Ces techniques, introduites dans notre droit par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », alors que « la plupart des pays développés [s’étaient] dotés de ce type de moyens et que la France [était] régulièrement sollicitée par les services de pays voisins qui, par exemple, [avaient] sonorisé des véhicules de trafiquants de drogue et se [voyaient] dans l’impossibilité de poursuivre l’enquête – ou alors de manière illégale – lorsque ces véhicules [passaient] nos frontières » (57).
En application de l’article 706-96 du code de procédure pénale, de telles techniques ne peuvent être mises en œuvre qu’à l’instruction de l’un des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 et 706-73-1 (58). Seul « le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé ».
Afin de permettre l’installation du dispositif technique ou sa désinstallation, le juge d’instruction peut autoriser l’introduction dans un véhicule ou un lieu privé à l’insu ou sans le consentement de la personne concernée, y compris en dehors des heures légales de perquisition. Lorsque cette opération se fait dans un lieu d’habitation en dehors des heures légales de perquisition, l’autorisation doit être délivrée par le juge des libertés et de la détention (JLD) saisi par le juge d’instruction.
La mise en œuvre de ces opérations est subordonnée au respect de plusieurs exigences, similaires à celles fixées par les articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale pour l’interception de correspondances :
– les décisions du juge d’instruction ou du JLD, « prises pour une durée maximale de quatre mois », renouvelable (article 706-98), « doivent comporter tous les éléments permettant d’identifier les véhicules ou les lieux privés ou publics visés, l’infraction qui motive le recours à ces mesures ainsi que la durée de celles-ci » (article 706-97) ;
– le juge d’instruction et l’officier de police judiciaire (OPJ) qui font procéder à l’installation du dispositif de sonorisation ou de captation doivent dresser un procès-verbal des opérations de mise en place dudit dispositif et des opérations de captation, de fixation et d’enregistrement sonore ou audiovisuel (article 706-100) ainsi que de celles de description ou transcription des seules images ou conversations enregistrées utiles à la manifestation de la vérité (article 706-101) ;
– les enregistrements doivent être détruits à l’expiration du délai de prescription de l’action publique (article 706-102) ;
– certains lieux occupés par des personnes protégées en raison de leur mandat ou de leur profession sont exclus : cabinet, domicile et véhicule d’un avocat, locaux et véhicules professionnels d’une entreprise de presse, de communication audiovisuelle ou de communication au public en ligne ou d’une agence de presse, domicile d’un journaliste, cabinet d’un médecin, d’un notaire ou d’un huissier, véhicule, bureau et domicile d’un parlementaire ou d’un magistrat (troisième alinéa de l’article 706-96).
La captation de données informatiques recouvre, elle, l’utilisation de logiciels espions, de type « keylogger », permettant aux enquêteurs d’accéder, en temps réel, aux données informatiques telles qu’elles s’affichent au même moment pour l’utilisateur sur son écran ou telles qu’il les introduit sur le terminal et de les enregistrer, conserver et transmettre.
Cette technique se distingue de l’accès aux données stockées au sein d’un système informatique, prévu par les articles 57-1, 76-3 et 97-1 du code de procédure pénale dans le cadre d’une perquisition. Elle a été introduite aux articles 706-102-1 à 706-102-9 du même code par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qui l’a cantonnée au domaine de la criminalité et de la délinquance organisées.
Par la suite, la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a étendu son champ d’application aux données informatiques reçues et émises par des périphériques audiovisuels ou des logiciels de communication électronique, comme Skype. En effet, « ces moyens de communication électronique, (…) de plus en plus utilisés par les auteurs d’infractions (…), échappent au champ des interceptions judiciaires de correspondances émises par la voie des télécommunications, dans la mesure où les sociétés proposant ces services audiovisuels en ligne ne sont pas des opérateurs téléphoniques au sens de l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques. Elles ne sont donc pas contraintes de se déclarer au préalable auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et ne sont pas davantage soumises à l’obligation de mise en œuvre d’interceptions sur le territoire national justifiées par les nécessités de la sécurité publique. De surcroît (…), s’il est techniquement possible d’intercepter les données brutes transmises via la connexion Internet de la personne mise en cause, ces sociétés [aujourd’hui implantées pour la plupart à l’étranger] cryptent les données ainsi transmises et refusent de répondre aux demandes de déchiffrement qui leur sont adressées par les autorités françaises » (59).
Comme dans le cas des sonorisations ou prises d’images, l’article 706-102-1 prévoit que la captation de données informatiques n’est possible que dans le cadre d’une information judiciaire relative à un crime ou délit relevant de la criminalité et de la délinquance organisées et entrant dans le champ des articles 706-73 et 706-73-1 (60). L’application de cette technique est pareillement subordonnée au respect des mêmes exigences que celles qui s’appliquent à la sonorisation et à la prise d’images, rappelées aux articles 706-102-2 à 706-102-9 : autorisation du juge d’instruction par ordonnance spécialement motivée, limitation de leur durée à quatre mois, possibilité de s’introduire dans un lieu privé en dehors des heures légales de perquisition avec l’autorisation du JLD, établissement des procès-verbaux de chacune des opérations de mise en place du dispositif et de description ou transcription des données utiles à la manifestation de la vérité, destruction des enregistrements à l’expiration du délai de prescription de l’action publique… Au surplus, « [a]ucune séquence relative à la vie privée étrangère aux infractions visées dans les décisions autorisant la mesure ne peut être conservée dans le dossier de la procédure ».
La captation ne peut pas concerner les données informatiques contenues dans un système de traitement automatisé de données se trouvant dans les lieux occupés par des personnes traditionnellement protégées en raison de leur mandat ou de leur profession (dernier alinéa de l’article 706-102-5).
2. Le cadre constitutionnel et conventionnel
La conformité à la Constitution de dispositions législatives élargissant le recours à des mesures spéciales d’investigation et de contrainte au cours de la procédure pénale, potentiellement très intrusives et attentatoires aux libertés publiques, fait l’objet d’une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel. Ce dernier s’attache à concilier, d’une part, le respect du principe de « rigueur nécessaire », tel qu’il résulte de l’article 9 de la Déclaration de 1789 et qui impose une proportionnalité entre la gravité des mesures et les objectifs qui motivent ces atteintes, de la liberté individuelle ainsi que des droits de la défense et, d’autre part, l’objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public ainsi que la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, qui constituent également un objectif nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle.
Statuant, en 2004, sur la loi « Perben II », le Conseil constitutionnel avait considéré que, « si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées » (61). Il avait ainsi jugé que les infractions retenues par l’article 706-73 précité, « susceptibles de porter une atteinte grave à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » (62), étaient « suffisamment graves et complexes pour que le législateur ait pu fixer, en ce qui les concerne, des règles spéciales de procédure pénale » (63) sous réserve, pour certaines de ces infractions, qu’elle présente des éléments de gravité suffisants pour justifier des mesures dérogatoires, l’autorité judiciaire étant seule compétente pour apprécier l’existence de tels éléments.
Il a également été saisi, en 2013, de la conformité à la Constitution des dispositions de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui permettait de recourir à certaines techniques spéciales d’enquête (64) pour les infractions de fraude fiscale en bande organisée ou commises dans des circonstances particulières. À cette occasion, il a considéré, s’agissant spécifiquement des pouvoirs spéciaux d’investigation à l’exclusion des mesures de garde à vue exceptionnelles, que la difficulté d’appréhender les auteurs de ces infractions tenant « à des éléments d’extranéité ou à l’existence d’un groupement ou d’un réseau dont l’identification, la connaissance et le démantèlement posent des problèmes complexes » et « eu égard à la gravité des infractions qu’il a retenues, le législateur a pu, à cette fin, fixer des règles spéciales de surveillance et d’investigation », lesquelles, « ne revêtent pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi » (65).
Il a, enfin, en 2015, admis la conformité à la Constitution de la sonorisation et de la fixation d’images dans le cadre préventif des activités de renseignement (66).
b. Le cadre conventionnel
Aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » (§ 1) et « [i]l ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les conditions comprises dans les mots « prévues par la loi » au sens de l’article 8 § 2 précité exigent l’accès à la loi de la personne concernée qui doit pouvoir en prévoir les conséquences précises pour elle (67). En matière de sonorisation, la loi doit notamment permettre de déterminer les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet de mesures de surveillance et la nature des infractions pouvant y donner lieu, fixer une limite à la durée de l’exécution de la mesure, et prévoir les conditions d’établissement des procès-verbaux de synthèse consignant les opérations réalisées ainsi que les modalités de contrôle par le juge de celles-ci (68).
3. L’extension de ces techniques aux enquêtes ouvertes en matière de criminalité et de délinquance organisées
Tirant les conséquences de ce que certains faits de criminalité et de délinquance organisées, sur lesquels porte une enquête mais qui ne justifient pas l’ouverture d’une instruction, peuvent nécessiter la mise en place de telles techniques d’investigation, le présent article permet, avec l’autorisation du JLD, leur mise en œuvre en enquête de flagrance ou préliminaire.
a. La sonorisation et la fixation d’images de certains lieux et véhicules
Le 1° modifie l’article 706-96 précité, relatif à la sonorisation et à la fixation d’images, afin d’étendre l’application de ses dispositions aux cas dans lesquels « les nécessités de l’enquête ou de l’information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent », le champ des infractions concernées demeurant donc identique à celui défini par le droit actuel.
Pour l’enquête, le JLD serait seul habilité à exercer les compétences aujourd’hui attribuées au juge d’instruction lors d’une information judiciaire :
– pour, sur requête du procureur de la République, « autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé » (a) ;
– pour autoriser l’introduction dans un véhicule ou un lieu privé à l’insu ou sans le consentement de la personne concernée, y compris en dehors des heures légales de perquisition, l’autorisation de s’introduire dans un lieu d’habitation en dehors de ces heures devant être également délivrée par ce juge saisi par le procureur de la République (b) ;
– pour contrôler les opérations de mise en place du dispositif technique ainsi que celles de captation, de fixation, de transmission et d’enregistrement des paroles ou des images (a et b).
b. La captation des données informatiques
De manière symétrique, le 5° modifie l’article 706-102-1 précité afin d’élargir la possibilité de captation de données informatiques au stade de l’enquête de flagrance ou préliminaire.
Comme pour la sonorisation et la fixation d’images de certains lieux et véhicules, le JLD serait seul habilité, sur requête du procureur de la République, à autoriser, « par ordonnance motivée », les OPJ et agents de police judiciaire à procéder à la captation des données, à mettre en place le dispositif nécessaire et à contrôler l’exécution de ces opérations (a, b et d).
Afin d’autoriser la captation de données déjà entreposées dans un système informatique, comme les courriers électroniques archivés, le c précise que les données informatiques susceptibles d’être enregistrées, conservées et transmises sont non seulement celles « telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données ou telles qu’il les y introduit par saisie de caractères » mais aussi celles « telles qu’elles sont stockées dans un système informatique ».
En effet, si, auparavant, la notion d’interception avait pu être interprétée comme couvrant l’ensemble des messages envoyés à la personne, y compris ceux archivés, tel n’est plus le cas depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juillet 2015. La Cour a soumis la saisie des correspondances antérieures à une décision d’interception au régime de la perquisition et donc à l’assentiment et à la présence de la personne concernée, à la différence de la captation des flux de courriers émis postérieurement, soumis au régime des interceptions de correspondances (69).
c. Des garanties communes destinées à assurer une mise en œuvre de ces techniques proportionnée aux objectifs poursuivis
Le 2° et le a du 7°, qui modifient les articles 706-98 et 706-102-3, fixent une durée maximale de mise en œuvre des techniques de sonorisation, fixation d’images et captation de données informatiques :
– dans le cas d’une enquête, ces opérations ne pourraient durer plus d’un mois, renouvelable une seule fois dans les mêmes conditions de forme et de durée : cette durée maximale de deux mois est cohérente avec la durée déjà retenue en matière d’interception de télécommunications en criminalité et délinquance organisées (70) et en matière de géolocalisation (71) ;
– dans le cas d’une instruction, ces opérations ne pourraient excéder une durée de quatre mois, renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée – comme le prévoit déjà le droit existant – mais la durée totale des opérations ne pourrait désormais excéder deux ans : cette durée, quoique notablement supérieure à celle aujourd’hui prévue pour la captation de données informatiques (quatre mois renouvelables à titre exceptionnel une seule fois), est cohérente avec celle introduite par l’article 25 du projet de loi en matière d’interceptions de télécommunications en délinquance et criminalité organisées et est apparue « proportionnée à la gravité des infractions en cause » aux yeux du Conseil d’État (72) .
En vertu des 3° et 6°, du b du 7° ainsi que des 8° et 9°, l’ensemble des garanties de fond et de forme respectivement posées par les articles 706-97 à 706-102 et 706-102-2 à 706-102-9 demeureraient applicables aux sonorisations et fixations d’images d’une part, et à la captation de données informatiques d’autre part (motivation de l’ordonnance d’autorisation, réquisition de toute personne qualifiée, procès-verbaux de chacune des opérations, destruction des enregistrements…). Toutefois, les compétences dévolues par ces articles au juge d’instruction seraient alors exercées, selon le cas, par le JLD ou le procureur de la République.
De même, comme lors d’une information judiciaire, ces techniques ne pourraient être mises en œuvre dans les lieux – véhicules, bureaux, domiciles, locaux – occupés par des personnes protégées en raison de leur mandat ou de leur profession et mentionnés aux articles 56-1 à 56-3 et 100-7.
Enfin, le 4° du présent article complète l’article 706-101 afin de transposer à la procédure applicable aux techniques de sonorisation et de fixation d’images de certains lieux et véhicules la garantie déjà prévue au premier alinéa de l’article 706-102-8 en matière de captation de données informatiques, selon laquelle « [a]ucune séquence relative à la vie privée ne peut être conservée dans le dossier de la procédure ».
En définitive, le présent article ne modifie ni le périmètre des infractions qui relèvent du régime procédural autorisant le recours à ces deux pouvoirs spéciaux d’investigation, ni les garanties attachées à leur mise en œuvre. Cohérente avec la faculté récemment offerte aux services de renseignement d’y recourir, l’extension de ces techniques aux enquêtes du parquet permettra ainsi d’éviter que des instructions soient ouvertes uniquement dans le but de permettre leur mise en œuvre en matière judiciaire, comme c’est parfois le cas aujourd’hui.
Plusieurs magistrats et avocats se sont inquiétées de la place croissante accordée aux enquêtes préliminaires par rapport aux informations judiciaires au travers de ces dispositions, à l’instar de M. Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, du Syndicat de la magistrature, de la Conférence nationale des premiers présidents de cours d’appel, de la Conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance, de l’Association des avocats pénalistes, du Syndicat des avocats de France, du Conseil national des barreaux, de la Conférence des bâtonniers et du Conseil de l’ordre des avocats de Paris.
D’autres ont, au contraire, salué le rééquilibrage opéré entre, d’une part, les pouvoirs dévolus aux services de renseignement et ceux donnés aux services d’enquête judiciaires et, d’autre part, les moyens d’investigation respectivement confiés au procureur de la République et au juge d’instruction, notamment M. Jean-Claude Marin, Procureur général près la Cour de cassation, l’Union syndicale des magistrats, la Conférence nationale des procureurs généraux, la Conférence nationale des procureurs de la République ainsi que plusieurs représentants de la section antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris.
Votre rapporteur s’est, pour sa part, attaché à examiner les effets positifs susceptibles d’être générés par l’adoption de ces dispositions en matière de lutte contre la grande criminalité et le terrorisme. Il a constaté que, contrairement à ce qui était parfois affirmé, d’importantes garanties étaient apportées au justiciable, au regard des conditions posées à la mise en œuvre de ces techniques d’enquête et au rôle confié au JLD au stade de l’enquête, lequel est un magistrat du siège, indépendant, qui devrait se voir doter prochainement d’un statut plus protecteur avec l’adoption de dispositions organiques en ce sens et auquel il conviendra de donner les moyens de remplir ces nouvelles missions. Enfin, à l’instar de Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l’instruction à la section antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, il salue la différenciation opérée dans les durées pendant lesquelles le juge d’instruction et le procureur de la République pourront recourir à la sonorisation ou fixation d’images et à la captation de données informatiques. Loin de préfigurer la disparition des instructions au profit des enquêtes préliminaires, le présent article s’attache, au contraire, à préserver l’existence de chacune de ces procédures en définissant de manière proportionnée et cohérente les conditions dans lesquelles ces différents actes d’enquête peuvent être accomplis.
*
* *
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL255, CL256, CL257, CL258 et CL259 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 3 modifié.
Article 4
(art. 706-22-1 du code de procédure pénale)
Limitation de la compétence du juge de l’application des peines de Paris aux personnes condamnées pour actes de terrorisme par la juridiction parisienne
Le présent article limite la compétence du juge de l’application des peines (JAP) du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, qui s’étend aujourd’hui à l’application de toutes les peines prononcées en matière terroriste, aux seules décisions concernant des personnes condamnées pour des faits de terrorisme par une formation de jugement du tribunal de Paris. L’objectif est, en pratique, de décharger ce juge du suivi des décisions de condamnation pour provocation à des actes de terrorisme ou apologie de ces actes lorsqu’ils ne relèvent pas d’une démarche organisée et structurée.
1. L’application des peines en matière terroriste, une compétence aujourd’hui centralisée à Paris
Depuis 2006 (73), le suivi de l’ensemble des personnes condamnées pour des actes de terrorisme relève de la compétence exclusive et centralisée du JAP, du tribunal de l’application des peines et, en appel, de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris. Complétant l’organisation judiciaire française en matière de lutte contre le terrorisme, fondée sur la compétence nationale concurrente des magistrats parisiens en matière de poursuite, d’instruction et de jugement des actes terroristes, le législateur a en effet inscrit cette règle au premier alinéa de l’article 706-22-1 du code de procédure pénale.
Cohérente avec la centralisation à Paris du traitement des affaires de terrorisme destinée à permettre le recoupement et l’exploitation des informations, la centralisation du contentieux de l’application des peines en matière de terrorisme visait à « s’assurer de l’homogénéité, sur l’ensemble du territoire, des décisions prises à l’endroit des condamnés pour acte de terrorisme, que ceux-ci soient incarcérés ou qu’ils bénéficient d’une mesure d’aménagement de leur peine » et à garantir un suivi de ces condamnés « dont les demandes d’aménagement de la peine mériteraient d’être examinées et décidées par un juge spécialisé ayant une connaissance particulièrement précise des dossiers et de leur dangerosité » (74).
Le deuxième alinéa de l’article 706-22-1 précité prévoit cependant que, dans l’exercice de leur compétence exclusive, les juridictions parisiennes de l’application des peines doivent, préalablement à toute décision, recueillir l’avis du JAP territorialement compétent en application de l’article 712-10 du même code, c’est-à-dire le JAP « de la juridiction dans le ressort de laquelle est situé soit l’établissement pénitentiaire dans lequel le condamné est écroué, soit, si le condamné est libre, la résidence habituelle de celui-ci ou, s’il n’a pas en France de résidence habituelle, le juge de l’application des peines du tribunal dans le ressort duquel a son siège la juridiction qui a statué en première instance ».
En conséquence de la compétence nationale qui leur est ainsi conférée, les magistrats des juridictions parisiennes de l’application des peines « peuvent se déplacer sur l’ensemble du territoire national » mais, afin de limiter leurs déplacements et d’éviter le transfèrement délicat ou dangereux de certains détenus, ils peuvent également recourir à la visio-conférence (dernier alinéa du même article 706-22-1).
2. Face à l’accroissement du contentieux terroriste, la nécessaire limitation de la compétence parisienne aux seules peines de terrorisme prononcées à Paris
Près de dix années après son instauration, la compétence exclusive de la juridiction parisienne en matière de suivi des peines paraît de moins en moins adaptée à l’accroissement quantitatif et à la dissémination géographique de ce contentieux. Le champ des infractions terroristes s’est élargi de manière notable depuis 2006, en particulier avec l’introduction dans le code pénal, au sein des articles relatifs aux actes de terrorisme, des délits de provocation à la commission d’actes de terrorisme et d’apologie de ces actes, qui relevaient auparavant du régime de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (75).
Selon le Gouvernement, depuis leur transfert dans le code pénal, 185 affaires de provocation à la commission d’actes de terrorisme et d’apologie de ces actes, concernant 201 personnes, auraient été recensées, ayant donné lieu au prononcé de peines d’emprisonnement ferme à l’encontre de 23 auteurs (76). Au total, au 31 décembre 2015, le cabinet du JAP de Paris compétent en matière terroriste assurait seul le suivi de 240 condamnés pour des faits de terrorisme – un chiffre en hausse de 27 % par rapport à 2014 – et faisait face à un nombre croissant de demandes d’aménagement des peines – en augmentation de près de 24 % entre 2013 et 2014 et de 47 % entre 2014 et 2015.
La commission d’enquête créée par notre Assemblée sur la surveillance des filières et des individus djihadistes a ainsi constaté qu’« [e]n raison de sa compétence exclusive en matière de terrorisme, le juge de l’application des peines de Paris suit un très grand nombre de dossiers » alors que « ses moyens sont insuffisants face à la masse de dossiers que ce juge doit suivre, puisqu’il est seul avec un greffier ». Elle suggérait donc d’« [a]dapter la compétence centralisée de la juridiction parisienne au changement d’échelle du contentieux terroriste ». Elle proposait de « prévoir une exception à la compétence exclusive de la juridiction parisienne (…) pour les dossiers concernant des personnes condamnées pour apologie et provocation au terrorisme » au motif que leur traitement centralisé se justifie moins que pour les autres délits terroristes, « les personnes condamnées ayant un profil différent, les tribunaux correctionnels locaux étant compétents et les peines comme les suivis étant de courte durée » (77).
En effet, si, en principe, toutes les infractions terroristes entrant dans le champ d’application de l’article 706-16 du code de procédure pénale relèvent de la compétence concurrente de la juridiction parisienne, la section antiterroriste du parquet de Paris ne se saisit que des faits « s’inscrivant non dans une glorification isolée et ponctuelle du terrorisme, mais dans une démarche organisée et structurée de propagande », conformément à une circulaire de la garde des Sceaux du 5 décembre 2014 (78), soit le plus souvent le cas de ressortissants français participant à des films de propagande terroriste.
En conséquence, le présent article, qui modifie l’article 706-22-1 précité, réserve la compétence du JAP de Paris, du tribunal de l’application des peines de Paris et, en appel, de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris aux seules « décisions concernant les personnes condamnées par le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs de Paris » statuant sur des faits de terrorisme.
Cette disposition devrait donc conduire, en pratique, à décharger le JAP de Paris du suivi des décisions concernant les personnes condamnées pour provocation au terrorisme ou apologie de celui-ci en application de l’article 421-2-5 du code pénal dès lors que ces faits ne relèvent pas d’une démarche organisée de propagande terroriste.
*
* *
La Commission adopte l’article 4 sans modification.
Article 4 bis (nouveau)
(art. 132-45 du code pénal)
Nature des obligations du sursis avec mise à l’épreuve
en cas de condamnation pour une infraction terroriste
Le présent article, adopté par la commission des Lois à l’initiative de votre rapporteur, vise à compléter la liste des obligations susceptibles d’être prononcées dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve en cas de condamnation pour une infraction terroriste.
1. Les obligations du sursis avec mise à l’épreuve
En vertu des articles 132-40 à 132-42 du code pénal, la juridiction qui prononce une peine d’emprisonnement peut décider de l’assortir du sursis et de placer la personne concernée sous le régime de la mise à l’épreuve. Cette peine n’est toutefois applicable qu’« aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de cinq ans au plus, en raison d’un crime ou d’un délit de droit commun », et, lorsque la personne est récidiviste, « aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de dix ans au plus ». Par ailleurs, le sursis avec mise à l’épreuve (SME) ne peut pas être prononcé à l’encontre d’une personne déjà condamnée par deux fois à une telle peine pour des délits identiques ou assimilés et se trouvant en état de récidive légale. Il en va de même à l’égard d’une personne en état de récidive légale déjà condamnée une fois au SME pour des infractions identiques ou assimilées lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit de violences volontaires, d’agressions ou d’atteintes sexuelles ou commis avec la circonstance aggravante de violences.
Plusieurs obligations s’imposent à la personne condamnée dans les conditions fixées par les articles 132-43 à 132-46 du même code. Certaines mesures de contrôle sont mises en œuvre indépendamment d’obligations particulières, comme l’obligation de répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social, ou celle d’informer préalablement le premier de tout déplacement à l’étranger et le second de tout changement d’emploi ou de résidence (article 132-44). D’autres obligations, facultatives, peuvent être ajoutées à ces mesures de contrôle. Définies par l’article 132-45, ces obligations particulières recouvrent un vaste spectre de mesures, allant de l’exercice d’une activité professionnelle à la réparation des dommages causés par l’infraction en passant par le suivi d’un stage de citoyenneté (voir l’encadré ci--après).
Liste des obligations spéciales susceptibles d’être imposées à un condamné
dans le cadre d’un SME (article 132-45 du code pénal)
1° Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation ;
2° Établir sa résidence en un lieu déterminé ;
3° Se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins ;
4° Justifier qu’il contribue aux charges familiales ou acquitte les pensions alimentaires ;
5° Réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l’infraction ;
6° Justifier qu’il s’acquitte en fonction de ses facultés contributives les sommes dues au Trésor public à la suite de la condamnation ;
7° S’abstenir de conduire certains véhicules ;
7°bis Sous réserve de son accord, s’inscrire et se présenter aux épreuves du permis de conduire, le cas échéant après avoir suivi des leçons de conduite ;
8° Ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ou ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs ;
9° S’abstenir de paraître en certains lieux ou certaines zones ;
10° Ne pas engager de paris et ne pas prendre part à des jeux d’argent et de hasard ;
11° Ne pas fréquenter les débits de boissons ;
12° Ne pas fréquenter certains condamnés ;
13° S’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, dont la victime, ou certaines catégories de personnes, et notamment des mineurs, à l’exception de ceux désignés par la juridiction ;
14° Ne pas détenir ou porter une arme ;
15° En cas d’infraction commise à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière ;
16° En cas de condamnation pour crimes ou délits d’atteintes volontaires à la vie, d’agressions ou d’atteintes sexuelles, s’abstenir de diffuser tout ouvrage ou œuvre audiovisuelle dont il serait l’auteur ou le coauteur et qui porterait sur l’infraction commise et s’abstenir de toute intervention publique relative à cette infraction ;
17° Remettre ses enfants entre les mains de ceux auxquels la garde a été confiée ;
18° Accomplir un stage de citoyenneté ;
19° En cas d’infraction commise soit contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, soit contre ses enfants ou ceux de son conjoint, concubin ou partenaire, résider hors du domicile ou de la résidence du couple et, le cas échéant, s’abstenir de paraître dans ce domicile ou cette résidence ou aux abords immédiats de celui-ci, ainsi que, si nécessaire, faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ;
20° Accomplir à ses frais un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes ;
21° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger.
2. La nécessité de les compléter pour favoriser les actions de « déradicalisation »
Les obligations particulières susceptibles d’être imposées à une personne condamnée à un SME telles qu’elles sont mentionnées dans la liste figurant à l’article 132-45 précité ne comportent aucune disposition spécifique aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme.
C’est la raison pour laquelle le présent article complète cette liste pour les seules personnes condamnées pour terrorisme afin de prévoir l’obligation particulière d’être prises en charge sur le plan sanitaire, social, éducatif ou psychologique. Cette formulation permettra de prescrire aux personnes reconnues coupables des infractions terroristes les moins graves, si leur personnalité permet une alternative à l’incarcération, de suivre, par exemple, des stages de « déradicalisation ».
Entendus par votre rapporteur, M. François Molins, procureur de la République de Paris, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur, chef de la section antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris, ont souligné l’utilité d’une telle mesure. Une disposition similaire figure également dans la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste récemment adoptée par le Sénat à l’initiative du président de la commission des Lois, M. Philippe Bas (79).
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL260 du rapporteur.
M. le rapporteur. Le présent amendement vise à compléter la liste des obligations susceptibles d’être prononcées dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve telle qu’elle est prévue par l’article 132-45 du code pénal pour les condamnations à l’emprisonnement de cinq ans au plus en cas de condamnation pour infraction terroriste.
En effet, les auditions que j’ai conduites ont fait apparaître la nécessité de mentionner la possibilité pour des personnes condamnées pour les infractions terroristes les moins graves, et si leur personnalité s’y prête, d’accomplir un stage de « déradicalisation » ou, plus généralement, de faire l’objet d’une prise en charge particulière en la matière.
La Commission adopte l’amendement. L’article 4 bis est ainsi rédigé.
La Commission examine l’amendement CL58 de M. Éric Ciotti.
M. Georges Fenech. Nous revenons à la question – non objective selon le rapporteur – de la sanction. Cet amendement issu de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, déposée par M. Philippe Bas et adoptée par le Sénat, propose que l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, actuellement délictuelle, puisse être davantage réprimée.
Il s’agit d’une part de créer une circonstance aggravante permettant de criminaliser les associations de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste, lorsqu’elles sont commises à l’étranger, ou après un séjour à l’étranger, sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes.
D’autre part, cet amendement entend renforcer le quantum des peines relatives aux crimes terroristes, dès lors que l’association de malfaiteurs prépare un crime d’atteinte à la vie ou des actes susceptibles d’entraîner la mort. Actuellement punis de 20 ans de réclusion criminelle et de 350 000 euros d’amende, ces crimes seraient désormais punis de 30 ans d’emprisonnement et de 450 000 euros d’amende. La peine de réclusion criminelle pour les dirigeants d’un groupe terroriste, prévue à l’article 421-5 du code pénal, serait également portée à trente ans.
Enfin, il modifie l’article 421-3 du même code afin de permettre à la cour d’assises, en cas de condamnation pour meurtre commis en bande organisée en relation avec une entreprise individuelle ou collective terroriste, de prononcer soit une période de sûreté de trente ans si elle prononce une peine à temps, soit une période de sûreté dite « incompressible » si elle prononce une réclusion criminelle à perpétuité.
M. Alain Tourret. Nous n’en finissons pas d’augmenter les peines, bientôt nous appliquerons la réclusion criminelle à perpétuité pour tous les crimes et délits. À l’occasion de nos travaux sur la prescription en matière pénale, M. Georges Fenech et moi-même avons constaté à quel point les peines s’alourdissaient avec le temps : certains délits sont punis d’une peine d’emprisonnement de trente ans ! Il faut mettre un terme à cette dérive ou s’astreindre à reconsidérer l’ensemble de l’échelle des peines.
M. Philippe Gosselin. Le Sénat a fourni un travail de fond dont les constats sont partagés par beaucoup, au-delà du président de la commission des Lois, M. Philippe Bas. Il est important d’envoyer un signal fort.
M. le rapporteur. Vous empiétez peut-être sur les intentions du Sénat – nos collègues auront l’occasion de débattre de ces sujets.
À ce stade, je rappelle qu’une période de sûreté générale, à la moitié de la peine, ou aux deux tiers de la peine et pouvant atteindre 22 ans est déjà possible. L’amendement propose donc une modification substantielle du droit existant ne correspondant pas à une demande qui aurait été exprimée par les magistrats antiterroristes. Cette modification de l’échelle des peines ne manquerait pas de perturber l’équilibre établi par le législateur jusqu’à ce jour. Une telle criminalisation aurait pour effet de faire juger ces infractions par la cour d’assises spéciale de Paris, avec un risque d’engorgement de la justice antiterroriste et une perte de souplesse pour les magistrats. Pour ces raisons, mon avis est défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement CL61 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Le présent texte vise à renforcer l’efficacité des mesures antiterroristes : notre amendement tend à rendre obligatoire la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les condamnés terroristes étrangers, sauf décision spéciale et motivée de la juridiction de jugement.
Cette peine complémentaire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement ou de réclusion.
Au regard du faible nombre de peines complémentaires aujourd’hui prononcées, il est proposé que celle-ci soit automatique, sauf décision spécialement motivée en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
M. le rapporteur. Il est déjà possible de prononcer de telles peines, mais cela n’est pas obligatoire – et pas toujours réalisable. Faut-il rendre la peine automatique ? À mes yeux, cela n’apporterait rien au droit, et, sur le plan des principes, je suis favorable à l’individualisation de chacune des décisions de justice. Mon avis est donc défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle étudie l’amendement CL60 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Cet amendement a pour objet d’augmenter les durées maximales de détention provisoire pour les personnes mineures de plus de 16 ans mises en examen dans des procédures terroristes.
M. le rapporteur. Il s’agit là aussi de l’un des articles de la proposition de loi de M. Philippe Bas au Sénat. Cet amendement paraît fort peu compatible avec les dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL6 de M. Éric Ciotti.
M. Philippe Goujon. Il s’agit de permettre la prolongation de la garde à vue de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes ou des délits constituant des actes de terrorisme. Le droit en vigueur autorise une durée maximale de six jours de garde à vue ; cet amendement, en autorisant le juge des libertés et de la détention à renouveler deux fois supplémentaires le maintien en garde à vue, porterait sa durée totale à huit jours.
M. Alain Tourret. Je suis favorable à cet amendement.
M. le rapporteur. C’est là l’un de ces amendements qui m’évoquent le « monsieur Plus » des publicités Bahlsen : c’est plus d’affichage. Six jours constituent d’ores et déjà une durée de garde à vue extrêmement longue, et aucun des magistrats que j’ai pu rencontrer ne demandait à disposer de plus de temps. Maurice Thorez disait qu’il faut savoir arrêter une grève : il faut aussi savoir limiter l’inflation des durées dont nous décidons. Mon avis est défavorable.
M. Philippe Goujon. Je peux comprendre la position du rapporteur, mais de nombreux exemples étrangers la démentent : dans un certain nombre de pays, même si leur système judiciaire est différent – je pense au Royaume-Uni –, les gardes à vue durent beaucoup plus longtemps qu’en France.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL4 de M. Éric Ciotti et CL37 de M. Philippe Goujon.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Par l’amendement CL4, nous proposons l’isolement systématique de tout individu condamné pour acte de terrorisme.
M. Alain Tourret. L’amendement ne prévoit pas de limitation dans le temps, et c’est tout le problème : une telle peine d’isolement perpétuel est inconcevable.
M. Philippe Goujon. L’amendement CL 37 vise à sécuriser juridiquement le regroupement des détenus prosélytes tel qu’il est actuellement expérimenté à Fresnes dans une unité de prévention du prosélytisme, en établissant un cadre légal proche de celui de la mise en isolement et assorti des mêmes garanties procédurales. De fait, les modalités et les critères de ces regroupements sont particulièrement flous. Ainsi, aucune procédure ne permet à un détenu de contester son placement dans cette unité. Par ailleurs, nous proposons d’appliquer ce dispositif non seulement aux individus mis en cause ou condamnés pour des faits en lien avec une entreprise terroriste, mais aussi aux détenus condamnés pour d’autres motifs mais qui se sont radicalisés et exercent des pressions graves sur leurs codétenus.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Les expérimentations en cours sont intéressantes et doivent, selon moi, être développées. Faut-il pour autant aller jusqu’à leur donner un fondement législatif ? Cela me semble prématuré.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Article 4 ter (nouveau)
(art. L. 811-4 du code de la sécurité intérieure)
Intégration du bureau du renseignement pénitentiaire dans
le « deuxième cercle » de la communauté du renseignement
Le présent article, issu de l’adoption par la commission des Lois de trois amendements identiques déposés par des parlementaires de la majorité et de l’opposition, MM. Éric Ciotti, Sébastien Pietrasanta et Philippe Goujon, avec l’avis favorable de votre rapporteur, permet au Gouvernement d’inscrire le bureau du renseignement pénitentiaire dans le décret pris en Conseil d’État précisant quelles administrations, autres que les services spécialisés de renseignement, peuvent recourir à des techniques de recueil du renseignement.
1. Le renseignement pénitentiaire
La direction de l’administration pénitentiaire a instauré, depuis de nombreuses années, un service rattaché à la sous-direction de l’état-major de sécurité, dénommé « bureau du renseignement pénitentiaire » (BRP). Aux termes de l’arrêté du 9 juillet 2008 (80), ce bureau, aujourd’hui composé de 16 personnes, a pour missions de recueillir et d’analyser l’ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires. Il organise la collecte de ces renseignements auprès des services déconcentrés, procède à leur exploitation à des fins opérationnelles et assure la liaison avec les services centraux de la police et de la gendarmerie.
De manière plus générale, le renseignement pénitentiaire s’appuie sur un réseau d’officiers de renseignement au sein des neuf directions interrégionales pénitentiaires (DIRP) et de la mission des services pénitentiaires de l’outre-mer – à raison de 68 personnes actuellement et 80 d’ici la fin de l’année, contre 10 en 2012 – et des établissements pénitentiaires – 75 personnes aujourd’hui et 89 d’ici la fin de l’année, contre 45 en 2012. Si au sein des DIRP, ces fonctionnaires exercent leurs missions de renseignement à plein temps, tel n’est pas le cas au sein des établissements pénitentiaires où le fonctionnaire qui en est chargé peut parfois exercer d’autres fonctions.
Par ailleurs, le monde carcéral est couvert par l’action de certains services spécialisés de renseignement, en particulier la direction générale de la sécurité intérieure, qui peut y mettre en œuvre certaines techniques dans les conditions de droit commun.
2. La participation du bureau du renseignement pénitentiaire au « deuxième cercle » de la communauté du renseignement
L’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure dispose qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, désigne les services autres que les services spécialisés de renseignement (81) qui peuvent être également autorisés à recourir par eux-mêmes, et dans les conditions de forme et de fond prévues par le code de la sécurité intérieure, à certaines techniques de renseignement, pour une ou plusieurs finalités. Ces services, qui, sans appartenir à la communauté du renseignement, exercent des missions de renseignement, relèvent du « deuxième cercle ».
Par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, le Parlement a fixé la liste des services que le pouvoir réglementaire peut intégrer à ce « deuxième cercle » en visant les services relevant des ministres de la défense et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes. La liste complète des services concernés figure à l’article R. 811-2 du même code.
L’opportunité d’ajouter à cette liste les services du ministère de la justice exerçant des missions de renseignement avait soulevé d’importants débats lors de l’adoption de la loi relative au renseignement. L’Assemblée nationale s’était prononcée en faveur d’une telle mesure, contre l’avis du Gouvernement mais avec le soutien de M. Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des Lois, et de votre rapporteur. Toutefois, le Sénat avait finalement décidé de sortir le BRP du « deuxième cercle » de la communauté du renseignement, solution retenue par la commission mixte paritaire (82).
Compte tenu des besoins fortement exprimés par l’administration pénitentiaire en ce domaine et de la nécessité de renforcer les conditions de surveillance de certains détenus dangereux, le présent article ajoute à la liste des services déjà mentionnés par l’article L. 811-4 les services relevant du ministre de la justice. Cet ajout n’aura pas pour effet de faire du personnel pénitentiaire des agents de renseignement mais d’ouvrir une possibilité pour l’administration pénitentiaire, et notamment pour son BRP, de solliciter la mise en œuvre de techniques de renseignement pour l’accomplissement de certaines de ses missions.
*
* *
La Commission examine en discussion commune les amendements CL35 de M. Philippe Goujon, CL16 de M. Éric Ciotti, CL219 de M. Sébastien Pietrasanta et CL221 de M. Philippe Goujon, les trois derniers amendements étant identiques.
M. Philippe Goujon. Par l’amendement CL35, nous proposons de permettre au renseignement pénitentiaire d’être plus efficace. Il s’agit, tout d’abord, de l’autoriser à utiliser les IMSI-catcher, comme l’avait du reste proposé le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement. Il s’agit, ensuite, de lui permettre d’écouter les appels passés par les détenus avec un téléphone portable clandestin – je rappelle qu’environ 30 000 de ces téléphones sont saisis chaque année –, comme c’est déjà le cas pour les appels passés sur des téléphones fixes. L’administration pénitentiaire aurait ainsi la possibilité de saisir la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Je précise que ces écoutes seraient, bien entendu, réalisées par des personnes habilitées extérieures à la détention. Enfin, l’amendement vise à intégrer le renseignement pénitentiaire à la communauté du renseignement, comme l’avait d’ailleurs proposé l’ancien président de notre Commission, aujourd’hui garde des Sceaux, lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement. Il s’agit d’une demande ancienne de l’administration pénitentiaire. Il serait d’autant plus logique que le bureau du renseignement pénitentiaire figure dans cette instance que les douanes et TRACFIN font partie du premier cercle. En quoi, en effet, la lutte contre les évasions et la surveillance des détenus serait moins légitime que la lutte contre la fraude fiscale et douanière ?
M. Sébastien Pietrasanta. L’amendement CL219 vise à offrir au Gouvernement la possibilité de modifier le décret du 11 décembre 2015 afin d’intégrer le bureau du renseignement pénitentiaire – qui n’est plus surnommé l’EMS3 – dans le deuxième cercle de la communauté du renseignement. Je rappelle que, lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement, notre Commission avait émis un avis favorable à cette intégration, qui n’a cependant été retenue ni par le Sénat ni par la CMP. Les deux plans de lutte contre le terrorisme des mois de janvier et novembre 2015 ont doté le bureau du renseignement pénitentiaire de moyens budgétaires et de personnels supplémentaires, le recrutement de 66 agents permettant de porter ses effectifs à 150.
M. Alain Tourret. Je dois avouer que je suis très favorable à l’amendement CL35. Il ne s’agit pas d’obliger le Gouvernement à modifier le décret du 11 décembre 2005, mais de lui en donner la possibilité. Les prisons ne sauraient être des passoires. Loin de porter atteinte aux libertés, une telle mesure offrirait un moyen de contrôle indispensable.
Mme Sandrine Mazetier. Ce débat a déjà eu lieu, à l’Assemblée et au Sénat, lors de l’examen d’un précédent projet de loi. Le ministère de tutelle de l’administration pénitentiaire n'est absolument pas demandeur de ce type de dispositions et, à titre personnel, je n’y suis pas favorable.
M. Yves Goasdoué. Je ne pense pas que, aujourd’hui, le ministère de la justice ne soit pas demandeur : une réflexion a été menée sur ce point et des évolutions sont intervenues. Il ne nous semble pas opportun de maintenir le service du renseignement pénitentiaire en dehors de la communauté du renseignement. C’est pourquoi le groupe Socialiste, républicain et citoyen est favorable à l’amendement CL219 de M. Pietrasanta.
M. le rapporteur. Il s’agit, non pas d’intégrer le renseignement pénitentiaire dans la communauté du renseignement, qui comprend les six services du premier cercle, mais de donner la possibilité à l’administration pénitentiaire d’avoir recours directement à certaines techniques de renseignement. Par ailleurs, non seulement l’administration du ministère de la justice était, je crois, demandeuse de cette mesure, mais le garde des Sceaux actuel avait déposé un amendement en ce sens lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement.
Mme Sandrine Mazetier. La garde des Sceaux de l’époque n’y était pas favorable !
M. le rapporteur. Je n’ai parlé que de l’administration du ministère et de l’actuel garde des Sceaux.
En outre, un amendement similaire avait été adopté par notre Commission, puis en séance publique – je l’avais moi-même voté. Je ne vois donc pas pourquoi je serais défavorable à ces amendements sur le principe. Je suggère cependant à M. Goujon de retirer l’amendement CL35, sachant que je donnerai un avis favorable aux trois amendements identiques, dont deux portent sa signature.
M. Philippe Goujon. Je retire l’amendement CL35.
Mme Sandrine Mazetier. Je rappelle à toutes fins utiles que, lors des débats sur le projet de loi relatif au renseignement, un amendement similaire a en effet été adopté en séance publique, mais qu’il l’a été contre l’avis du Gouvernement, représenté alors par le ministre de l’intérieur.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Pour ma part, je ne voterai pas ces amendements. Je me rappelle très bien le débat que nous avons eu sur ce point : la garde des Sceaux de l’époque avait expliqué de manière précise et argumentée la nécessité de ne pas faire un camaïeu des différents services de renseignement en y incluant, comme si c’était naturel, les services de la justice. Elle avait notamment insisté sur le fait qu’il ne fallait pas transformer le métier de gardien de prison et que le bureau du renseignement pénitentiaire était une unité spécialement constituée qui pouvait, en relation avec les services, effectuer un renseignement efficace au sein des établissements pénitentiaires. Tout le monde est d’accord pour qu’un tel renseignement existe dans ces établissements, mais transformer le métier de la pénitentiaire en y incluant le renseignement n’est ni utile ni conforme à une saine pratique des institutions de la République.
M. Yves Goasdoué. Mme Bechtel a raison ; j’étais présent lors du débat qu’elle a évoqué. Mais, une fois n’est pas coutume, je ne suis pas entièrement d’accord avec elle. En effet, il ne s’agit pas de mélanger les fonctions, mais de permettre à un service dédié, rattaché à l’administration pénitentiaire, d’avoir, dans le cadre du « deuxième cercle », des rapports plus simples et juridiquement encadrés avec les autres services de renseignement. Nous nous plaignons tous du manque de fluidité de l’information dans ces services ; le moment est venu de remédier à cette situation.
M. Éric Ciotti. Si j’ai déposé l’amendement CL16, c’est parce que la prison, qui est un lieu de radicalisation, peut être aussi, pour les services, un lieu de détection et de prévention de la commission de crimes et de délits terroristes. Il est donc essentiel de rattacher les services de l’administration pénitentiaire à la communauté du renseignement et de faire en sorte que cette administration puisse recourir aux techniques de renseignement. Du reste, l’ancien président de notre Commission et actuel garde des Sceaux s’est beaucoup battu, hélas sans succès, en faveur de cette intégration, qui ne peut qu’améliorer nos dispositifs de sécurité.
M. Sébastien Pietrasanta. Je veux tout d’abord rappeler que, depuis l’adoption de la loi sur le renseignement, le bureau du renseignement pénitentiaire a été doté de moyens humains et financiers supplémentaires, de sorte qu’il est devenu un véritable service de renseignement. Par ailleurs, il est nécessaire de faciliter la fluidité et la transversalité des relations entre les différents services de renseignement. Enfin, il s’agit d’intégrer le renseignement pénitentiaire, non pas dans la communauté du renseignement, mais dans le deuxième cercle. Il est évident que la détection de la radicalisation dans les prisons est un enjeu primordial en matière de lutte contre le terrorisme. Or les amendements dont nous discutons visent à la faciliter. J’espère donc qu’ils seront adoptés.
L’amendement CL35 a été retiré.
La Commission adopte les amendements identiques CL16, CL219 et CL221. L’article 4 ter est ainsi rédigé.
La Commission est saisie de l’amendement CL36 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Cet amendement en reprend un autre qui avait été déposé sur le projet de loi relatif au renseignement par l’actuel président de notre Commission et qui, hélas, n’a pas été préservé au cours de la navette parlementaire. Un détenu pouvant tenter de radicaliser ses codétenus par le vecteur de la correspondance, il est proposé de permettre la retenue de celle-ci en cas de « pressions graves ou réitérées sur autrui en faveur d’une religion, d’une idéologie ou d’une organisation violente ou terroriste ». Cet amendement a également pour objet d’introduire, à l’article 35 de la loi pénitentiaire, un nouveau cas de refus de permis de visite en permettant au chef d’établissement, sur décision motivée, de refuser d’accorder un permis de visite ou de retirer celui-ci à des personnes extérieures en cas de prosélytisme avéré en faveur de mouvements ou d’actions tendant à favoriser la violence ou le terrorisme.
M. le rapporteur. Avis défavorable. L’article 35 de la loi pénitentiaire de 2009 prévoit déjà des motifs suffisamment larges et généraux susceptibles de justifier le refus de délivrer un permis de visite. Quant au contrôle des correspondances écrites, il est autorisé à l’article 40 de la même loi.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL3 de M. Éric Ciotti et CL38 de M. Philippe Goujon.
M. Éric Ciotti. L’amendement CL3 vise à autoriser la fouille des visiteurs et des détenus dans les établissements pénitentiaires. Lorsque nous l’avons auditionnée dans le cadre de la commission l’enquête sur les filières djihadistes, la directrice de l’administration pénitentiaire a indiqué qu’en 2014, environ 27 000 téléphones portables avaient été saisis dans les établissements pour peines et les maisons d’arrêt. Ce chiffre révèle la porosité de ces établissements. Il faut donc revenir sur la restriction des possibilités de fouiller les détenus, qui fait peser des menaces importantes sur le personnel pénitentiaire, auquel je veux rendre hommage pour le travail remarquable qu’il accomplit. Cette mesure de sécurité correspond, du reste, à l’une de ses revendications fortes et légitimes. On sait en effet que l’introduction d’objets, notamment de téléphones portables, dans les établissements pénitentiaires permet de maintenir la continuité de certains réseaux de délinquance, qui s’organisent depuis la prison ; ce fut notamment le cas, hélas ! dans certaines affaires de terrorisme. Nous devons donc, en particulier en cette période de menaces extrêmes et afin de lutter contre le terrorisme et la délinquance générale, revenir sur les dispositions inopportunes de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009. Je précise, à ce propos, que je n’ai pas voté cette loi et que je m’étais fortement opposé à son article 57, qui me paraît contraire au pragmatisme dont il faut faire preuve pour assurer la sécurité en prison.
M. le rapporteur. La prolifération du nombre de téléphones portables en milieu carcéral est un véritable sujet de préoccupation, mais il n’est pas nécessaire de modifier la loi sur ce point. En effet, le droit en vigueur, notamment la loi de 2009, permet les fouilles en cas de présomption d’une infraction ou en raison des risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Je rappelle, en outre, qu’en 2007, notre pays a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme, dans l'affaire « Frérot contre France », au motif que si les fouilles peuvent être justifiées par des considérations de sécurité, elles doivent cependant demeurer nécessaires et proportionnées au regard de leurs finalités.
Si des téléphones portables sont introduits dans les prisons, c’est davantage par manque de moyens humains pour faire appliquer la loi actuelle que par manque de moyens juridiques. La volonté politique et des moyens humains supplémentaires devraient donc permettre de régler le problème, sans qu’il soit besoin de nous mettre en difficulté par rapport aux conventions que nous avons signées.
M. Alain Tourret. Un tel amendement soulève deux problèmes. Tout d’abord, le terme de « visiteur » est extrêmement vague. Un enseignant, un avocat ou un député qui se rend en prison doit-il être considéré comme un visiteur et faire l’objet, à ce titre, d’une fouille systématique ? Pourquoi ne pas revenir, dans ce cas, sur la suppression des fouilles corporelles intégrales que nous avions votée dans la loi sur la présomption d’innocence ?
Ensuite, il conviendrait, si nous devions rétablir ces fouilles, de faire la différence entre ceux qui sont présumés innocents et ceux qui sont reconnus coupables, car ce n’est tout de même pas la même chose ! En tout état de cause, une telle mesure serait, selon moi, extraordinairement humiliante.
M. Georges Fenech. Monsieur le rapporteur, vous avez fait référence aux fouilles aléatoires, qui sont en effet toujours possibles. Mais cet amendement vise à rétablir les fouilles systématiques à chaque parloir. Je ne comprends pas que l’on puisse hésiter à adopter un tel amendement, car on sait très bien que la radicalisation se fait surtout en prison et par internet. Or, le téléphone portable offre un accès à internet et, par voie de conséquence, à la propagande de l’État islamique. Dans la période actuelle, le rétablissement des fouilles systématiques serait donc une mesure protectrice et préventive tout à fait indispensable : on ne peut pas continuer à laisser entrer dans les établissements pénitentiaires quelque 24 000 téléphones portables par an, surtout lorsque l’on sait que certains des attentats dont la France a été victime en 2015 auraient été cordonnés – je n’ai pas d’informations plus précises sur ce point – depuis des prisons à l’aide de téléphones portables. Encore une fois, et peu importent les recommandations européennes, il est absolument nécessaire de rétablir des fouilles systématiques avant les parloirs.
M. Philippe Goujon. Il convient de distinguer les fouilles aléatoires des fouilles systématiques. Le rapporteur a raison : les premières sont possibles. Mais l’amendement CL38 vise à rétablir les fouilles systématiques. En effet, plusieurs directeurs d’établissements nous l’ont dit : s’ils pratiquent de telles fouilles sur des détenus condamnés pour terrorisme, ces derniers porteront plainte et l’administration pénitentiaire leur recommandera de ne plus pratiquer ces fouilles. Par ailleurs, depuis l’application de la loi pénitentiaire, le nombre de téléphones portables interceptés a presque triplé. Une augmentation aussi considérable montre combien il est nécessaire de rétablir les fouilles systématiques.
La Commission rejette successivement ces amendements.
Puis elle examine l’amendement CL39 de M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Il s’agit de donner une base légale à l’installation de la vidéo-protection dans les parloirs ordinaires, qui sont non seulement le point d’entrée privilégié des substances ou objets interdits en détention, mais aussi le lieu où les détenus – ce fut le cas notamment de Mohammed Merah – peuvent être approchés par des visiteurs extérieurs.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Il est inutile d’en dire davantage…
La Commission rejette l’amendement.
Chapitre II
Dispositions renforçant la protection des témoins
Article 5
(art. 306-1 et 400-1 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Audition de témoins à huis clos en cas de risques graves de représailles en matière de crimes contre l’humanité ou d’infractions graves
Le présent article offre la faculté à la cour d’assises et au tribunal correctionnel appelés à juger des crimes et délits particulièrement graves d’auditionner à huis clos certains témoins en cas de risques graves de représailles à leur encontre.
1. Les modalités d’audition des témoins devant les juridictions de jugement
Devant les juridictions de jugement, toutes les personnes susceptibles de concourir à la manifestation de la vérité peuvent être invitées à déposer. Le ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des questions aux témoins appelés à déposer, en matière délictuelle (83) et criminelle (84).
En matière délictuelle, les conditions d’audition des témoins par les tribunaux correctionnels sont fixées par les articles 435 à 457 du code de procédure pénale. Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité et de déposer. En application de l’article 400 du code de procédure pénale, les audiences sont publiques, sauf lorsque « la publicité est dangereuse pour l’ordre, la sérénité des débats, la dignité ou les intérêts d’un tiers ».
L’audition des témoins devant la cour d’assises est régie par les articles 329 à 344 du même code. En application de l’article 331, « [l]es témoins doivent, sur la demande du président, faire connaître leurs nom, prénoms, âge, profession, leur domicile ou résidence ». Le même article dispose que, « [a]vant de commencer leur déposition, les témoins prêtent le serment " de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité " ». En vertu de l’article 306 du même code, les débats de la cour d’assises sont publics. Ils peuvent toutefois se tenir à huis clos si cette publicité s’avère dangereuse pour l’ordre ou les mœurs. Le huis clos est de droit, si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande, « [l]orsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles ». Dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas.
En définitive, la possibilité de recourir au huis clos ne couvre, en l’état actuel du droit, que des hypothèses relativement étrangères à la sécurité des témoins appelés à déposer.
La publicité devant les juridictions de jugement, forme essentielle de la procédure qui participe à l’impartialité des débats se déroulant devant elles et au prononcé de jugements réguliers et équitables, est une règle affirmée avec constance par le législateur français depuis la Révolution française. Ainsi que l’a relevé la Cour de cassation très tôt, « [l]e principe de la publicité des débats en matière criminelle, étant l’essence même de la justice, a été consacré par tous les actes constitutionnels et constitutifs qui ont régi la France depuis 1790 » (85).
Ce principe est aujourd’hui protégé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) qui stipule que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ». Il est toutefois prévu que si « [l]e jugement doit être rendu publiquement », « l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
2. La possibilité offerte par le présent article de procéder à l’audition, à huis clos, de certains témoins en cas de risques graves de représailles
Le présent article élargit les possibilités de recours au huis clos partiel devant la cour d’assises et le tribunal correctionnel afin de tenir compte des risques importants de représailles qui pèsent sur certains témoins devant déposer relativement à des infractions particulièrement graves.
Il complète la section I du chapitre VI du titre Ier du livre II et la section III du chapitre Ier du titre II du même livre du code de procédure pénale, relatives respectivement aux débats devant la cour d’assises et devant le tribunal correctionnel, par deux nouveaux articles 306-1 et 400-1 qui autorisent le recours au huis clos partiel le temps de l’audition de témoins appelés à déposer dans le cadre du jugement de certains crimes et délits limitativement énumérés et sur lesquels pèseraient de graves menaces de représailles.
En application du nouvel article 306-1 précité (1°), la cour, statuant sans l’assistance des jurés, pourrait ainsi « ordonner le huis clos, par un arrêt rendu en audience publique, pour le temps de l’audition d’un témoin, si la déposition publique de celui-ci est de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou psychique, ou celles des membres de sa famille ou de ses proches ».
Une telle faculté serait strictement limitée au jugement des crimes suivants, pour lesquels une protection adéquate des témoins qui ont participé à en révéler l’existence et permis d’en identifier les auteurs serait nécessaire :
– les crimes contre l’humanité mentionnés au sous-titre Ier du titre Ier du livre II du code pénal ;
– le crime de disparition forcée mentionné à l’article 221-12 du même code ;
– les crimes de tortures ou d’actes de barbarie mentionnés aux articles 222-1 à 222-6 du même code ;
– les crimes de guerre mentionnés au chapitre Ier du livre IV bis du même code ;
– et les infractions relevant de la criminalité organisée mentionnées aux 1° à 19° de l’article 706-73 du code de procédure pénale (86).
De manière similaire, en application du nouvel article 400-1 précité (2°), le tribunal correctionnel pourrait, « par jugement rendu en audience publique, ordonner le huis clos le temps de l’audition d’un témoin, si la déposition publique de celui-ci est de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou psychique, ou celles des membres de sa famille ou de ses proches ».
Cette disposition ne serait applicable que pour le jugement des délits de guerre mentionnés au chapitre Ier du livre IV bis du code pénal d’une part, et des délits les plus graves relevant de la délinquance organisée mentionnés à l’article 706-73 précité du code de procédure pénale d’autre part.
À titre illustratif, le témoignage à huis clos est une possibilité déjà reconnue pour le jugement des infractions relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, devant laquelle le texte constitutif, le Statut de Rome, prévoit que « [l]e procès est public » mais que, « [t]outefois, la Chambre de première instance peut, en raison de circonstances particulières, prononcer le huis clos pour certaines audiences aux fins énoncées à l’article 68 ou en vue de protéger des renseignements confidentiels ou sensibles donnés dans les dépositions » (87).
M. François Molins, procureur de la République de Paris et Mme Camille Hennetier, vice-procureur et chef de la section antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris, ont rappelé à votre rapporteur toute l’utilité d’un tel élargissement des possibilités de huis clos. Ils ont relevé que, par exemple, à l’occasion du premier procès d’un génocidaire rwandais devant la cour d’assises de Paris au printemps 2014, de nombreux témoins étaient venus spécialement du Rwanda déposer devant la cour, non sans une certaine appréhension, sans que le président de la juridiction ait pu restreindre la publicité des débats faute de cadre juridique approprié. Les présentes dispositions, d’application immédiate comme toute loi de procédure, pourraient ainsi être appliquées lors de procès de même type qui devraient se tenir au printemps et à l’automne 2016.
3. Les modifications opérées par votre commission des Lois
La commission des Lois a restreint les conditions de recours au huis clos partiel pour les besoins de la protection d’un témoin afin de les aligner sur celles aujourd’hui prévues par l’article 706-58 du code de procédure pénale pour le témoignage anonyme, lequel n’est possible que si son audition « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de cette personne ».
Par cohérence avec cette rédaction, à l’initiative de votre rapporteur, elle a limité la mise en œuvre du présent article aux seules situations « de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique », à l’exclusion de celles dans lesquelles l’intégrité psychique de ce témoin serait gravement mise en danger. La suppression des risques de représailles « psychiques » permettra de circonscrire le dispositif à des hypothèses suffisamment graves et clairement délimitées pour que le huis clos soit ordonné le temps de la déposition.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL261 du rapporteur.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL355 du rapporteur, CL72 de M. Georges Fenech et CL158 de Mme Élisabeth Pochon.
M. le rapporteur. L’amendement CL355 vise à supprimer les menaces psychiques des critères devant être réunis pour la protection des témoins.
M. Georges Fenech. L’amendement CL72 a le même objet ; il est défendu.
L’amendement CL158 est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL355.
En conséquence, l’amendement CL72 tombe.
La Commission adopte l’article 5 modifié.
La Commission est saisie de l’amendement CL40 de M. Philippe Goujon, portant article additionnel après l’article 5.
M. Philippe Goujon. Il s’agit de supprimer la condition des cinq années d’existence prévue par le code de procédure pénale pour permettre à une fédération d’associations de victimes d’attentats de se porter partie civile lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. Nous entendons ainsi répondre à une demande exprimée par les victimes des attentats du 13 novembre, qui souhaitent être réunies dans une association constituée spécialement pour leur défense en raison de la spécificité du traumatisme subi.
M. Alain Tourret. Je suis très réticent. L’action publique appartient essentiellement au procureur de la République. Nous risquons de voir des dizaines, voire des centaines d’associations se constituer partie civile, si bien qu’un ou deux avocats défendent le prévenu, contre 100 ou 150 pour les parties civiles. Cela déséquilibre totalement les procès, comme on a pu le constater dans l’affaire Papon.
M. Georges Fenech. Entendons-nous bien. Nous parlons de plusieurs associations représentant un grand nombre de victimes des derniers attentats qui se heurtent à des difficultés considérables pour faire valoir leurs droits, que ce soit au niveau administratif ou judiciaire. Il est évident que l’association joue, en l’espèce, un rôle extrêmement utile. Au demeurant, je rappelle que les associations qui défendent les victimes de catastrophes naturelles n’ont pas besoin de justifier de cinq ans d’existence pour ester en justice. Nous devons donc permettre aux associations – je pense notamment à l’association « 13 novembre : fraternité et vérité » – de jouer un rôle utile auprès des milliers de victimes qui souhaitent être ainsi représentées. C’est pourquoi je soutiens cet amendement avec conviction.
M. Sébastien Pietrasanta. Cet amendement va dans le bon sens, dans la mesure où il répond aux attentes des victimes d’attentats, en particulier celles des attentats de l’année 2015 – que nous avons auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrrorisme –, dont les associations n’avaient, par définition, pas d’existence légale il y a quelques mois. Je suis donc favorable, à titre personnel, à cet amendement, mais je pense que la rédaction devra en être améliorée – éventuellement en lien avec les services du garde des Sceaux, qui est sensible à cette question – d’ici à l’examen du texte en séance publique, afin de caler la mesure sur le dispositif prévu en matière de catastrophe naturelle. En tout état de cause, il me paraît important d’adresser ce signal à ces associations et à ce collectif.
M. le rapporteur. Je partage l’état d’esprit des auteurs de l’amendement. Je crois que les choses ne doivent pas rester en l’état, mais qu’il ne faut pas non plus ouvrir les vannes. Or, la rédaction de l’amendement présente ce travers. Je m’engage donc à élaborer avec ses auteurs un dispositif similaire à celui qui existe pour les victimes de catastrophes naturelles, afin de satisfaire les attentes des associations représentatives de victimes d’attentats tout en évitant que le premier venu qui ne représenterait que lui-même puisse agir en justice en créant une association représentative des victimes. Je suggère donc à M. Goujon de retirer son amendement, et je lui propose, s’il le souhaite, que nous rédigions ensemble, avec M. Pietrasanta, un amendement commun. Je sais que, si nous parvenons à bien définir son champ d’application, le Gouvernement ne s’y opposera pas.
M. Philippe Goujon. Je fais confiance au rapporteur pour que la collaboration qu’il nous propose permette de remédier aux problèmes considérables que rencontrent ces associations pour ester en justice.
L’amendement CL40 est retiré.
Article 6
(art. 706-62-1 et 706-62-2 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Protection de l’identité et de la sécurité des témoins s’exposant à des risques graves de représailles dans certaines affaires
(identification par un numéro, attribution d’une identité d’emprunt)
Le présent article constitue le prolongement des dispositions introduites par l’article 5 du projet de loi au sein du code de procédure pénale en matière de protection de certains témoins appelés à déposer devant les juridictions de jugement. Il renforce la protection de l’identité des témoins dans les audiences publiques et les décisions de justice et institue un mécanisme de protection de leur sécurité similaire à celui qui s’applique aux repentis.
1. La protection actuelle du témoin anonyme
De manière générale, le témoin dispose de certains droits attachés à sa qualité, notamment le droit à une indemnité de comparution (88), de frais de voyage et de séjour (89), le droit à une protection pénale contre les injures et diffamations à raison de sa déposition (90) ou le droit à une protection physique au titre des obligations de contrôle judiciaire (91) ou du placement en détention provisoire (92) de la personne mise en cause afin d’éviter toute pression sur le témoin avant le jugement définitif.
a. Les conditions actuelles de recours au témoignage anonyme
La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne a instauré, au titre XXI du livre IV du code de procédure pénale, une protection spécifique du témoin anonyme. En application des articles 706-57 à 706-63, il est ainsi possible de recourir, à certaines conditions, au témoignage anonyme, sous réserve de respecter les droits de la défense et de ne pas faire bénéficier de ces dispositions le témoin qui a participé à l’activité délictuelle ou criminelle.
C’est à ces conditions que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) admet ce type de témoignages au regard de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), relatif au droit au procès équitable, en particulier son § 3 aux termes duquel tout accusé a le droit à « interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ». Si elle n’interdit pas le recours à un témoin anonyme, elle apprécie sa conventionalité au regard de son impact sur le déroulement de la procédure, en particulier le respect du contradictoire et des exigences du procès équitable (93). Elle a ainsi jugé qu’une condamnation fondée sur le seul témoignage anonyme violait l’article 6 de la CESDH dans la mesure où ce témoignage constituait la preuve principale et déterminante fondant la culpabilité sans que la défense eut pu le contester (94). Elle a également établi une gradation dans l’appréciation qu’elle porte sur les conditions d’admission d’un témoignage anonyme, lesquelles sont plus restrictives lorsqu’il s’agit notamment d’un policier infiltré (95).
En France, l’article 706-57 permet au procureur de la République ou au juge d’instruction d’autoriser l’occultation du domicile des témoins à l’encontre desquels « il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’[ils] ont commis ou tenté de commettre une infraction et qui sont susceptibles d’apporter des éléments de preuve intéressant la procédure », l’adresse déclarée étant alors celle du commissariat ou de la brigade de gendarmerie. L’article 706-58 prévoit, « [e]n cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement », que lorsque l’audition du témoin « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d’instruction, peut, par décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure ».
En pratique, la décision du juge des libertés et de la détention (JLD), insusceptible de recours, est jointe au procès-verbal d’audition du témoin, sur lequel ne figure ni la signature de l’intéressé, ni son identité, lesquelles sont versées à un dossier distinct. L’identité ou l’adresse du témoin ayant bénéficié de ces dispositions sont, en principe, protégées en toute circonstance (article 706-59). Plusieurs limites sont apportées au recours à cette procédure.
En premier lieu, l’exercice des droits de la défense peut s’opposer à la protection de l’anonymat du témoignage et permettre la révélation de son identité (article 706-60) :
– l’article 706-58 ne s’applique pas « si, au regard des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l’identité de la personne est indispensable à l’exercice des droits de la défense » (premier alinéa) ;
– le mis en examen peut, dans les dix jours suivant la date à laquelle il a été informé de l’audition d’un témoin anonyme, contester le recours à cette procédure devant le président de la chambre de l’instruction qui statue par décision motivée, insusceptible de recours : le cas échéant, l’audition du témoin peut être annulée ou la levée de son anonymat ordonnée, « à la condition que ce dernier fasse expressément connaître qu’il accepte la levée de son anonymat » (second alinéa).
En deuxième lieu, la décision de recourir à l’anonymat d’un témoin ne fait pas obstacle à ce qu’une confrontation soit organisée entre le témoin et la personne mise en examen au cours de la procédure d’instruction et lors de la phrase du jugement « par l’intermédiaire d’un dispositif technique permettant l’audition du témoin à distance » ou par l’interrogatoire de ce témoin par l’avocat du mis en cause par ce même moyen. Il est expressément précisé que « [l]a voix du témoin est alors rendue non identifiable par des procédés techniques appropriés » (article 706-61).
En dernier lieu, l’article 706-62 dispose qu’« [a]ucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations recueillies dans les conditions prévues par les articles 706-58 et 706-61 ».
b. Le recours à l’anonymat des témoins « spéciaux » en matière de criminalité et de délinquance organisées
Depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », des opérations d’infiltration, auparavant réservées aux seuls trafics de stupéfiants, peuvent être mises en œuvre pour toutes les affaires relatives à la criminalité et à la délinquance organisées, conformément aux articles 706-81 à 706-87 du code de procédure pénale.
En application de l’article 706-81, ces opérations, qui doivent être autorisées par le procureur de la République ou, après avis de ce magistrat, par le juge d’instruction consistent, « pour un officier ou un agent de police judiciaire spécialement habilité dans des conditions fixées par décret et agissant sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire chargé de coordonner l’opération, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs ». Compte tenu de la nature particulière de ces opérations, l’officier ou l’agent de police judiciaire peut recourir à une identité d’emprunt et commettre, si nécessaire, les infractions mentionnées à l’article 706-82 (96) sans engager sa responsabilité pénale, sous réserve, à peine de nullité, de ne pas inciter à commettre des infractions. L’identité réelle des agents concernés est particulièrement protégée par l’article 706-84.
Dans le prolongement des règles conventionnelles précédemment mentionnées, en particulier celles destinées à préserver l’équité de la procédure en cas d’infiltration policière (97), ces opérations sont strictement encadrées :
– l’autorisation d’y recourir doit être, à peine de nullité, « délivrée par écrit et (…) spécialement motivée », mentionner « la ou les infractions qui justifient le recours à cette procédure et l’identité de l’officier de police judiciaire sous la responsabilité duquel se déroule l’opération », fixer « la durée de l’opération d’infiltration, qui ne peut pas excéder quatre mois » renouvelables (article 706-83) ;
– en cas de décision d’interruption de l’opération ou à la fin de cette dernière et en l’absence de prolongation, l’agent infiltré peut poursuivre ses activités sans en être pénalement responsable, « le temps strictement nécessaire pour lui permettre de cesser sa surveillance dans des conditions assurant sa sécurité sans que cette durée puisse excéder quatre mois » : le magistrat ayant délivré l’autorisation en est alors informé dans les meilleurs délais et, « [s]i, à l’issue du délai de quatre mois, l’agent infiltré ne peut cesser son opération dans des conditions assurant sa sécurité, ce magistrat en autorise la prolongation pour une durée de quatre mois au plus » (article 706-85) ;
– si, en principe, l’officier de police judiciaire sous la responsabilité duquel s’est déroulée l’opération peut seul être entendu en qualité de témoin sur l’opération, « la personne mise en examen ou comparaissant devant la juridiction de jugement (…) directement mise en cause par des constatations effectuées par un agent ayant personnellement réalisé les opérations d’infiltration (…) peut demander à être confrontée avec cet agent dans les conditions prévues par l’article 706-61 ». Toutefois, les questions posées à l’agent infiltré lors de cette confrontation ne peuvent conduire à révéler, directement ou indirectement, sa véritable identité (article 706-86) ;
– enfin, « [a]ucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites par les officiers ou agents de police judiciaire ayant procédé à une opération d’infiltration », sauf si celui-ci a déposé sous sa véritable identité (article 706-87).
2. Le renforcement de la protection de l’identité des témoins exposés à des risques importants de représailles dans les audiences et jugements relatifs à des infractions punies d’au moins trois ans d’emprisonnement (identification par un numéro)
Le présent article vise à renforcer la protection dont font déjà l’objet les témoins appelés à déposer dans certaines affaires particulièrement sensibles. Il permet de moduler l’intensité du degré de protection selon les circonstances de l’espèce, au stade de l’information judiciaire comme à celui du jugement, sans recourir au témoignage anonyme qui nécessite une procédure lourde et dont la force probante peut être aisément remise en cause.
En premier lieu, il insère, au sein du titre XXI du livre IV du code de procédure pénale précité, consacré à la protection des témoins, un nouvel article 706-62-1 instaurant, dans les procédures concernant certains crimes et délits, la protection, sous un numéro non-identifiant, des témoins qui s’exposent à des risques de représailles.
Le premier alinéa permet au juge d’instruction ou au président de la juridiction de jugement, à la demande du procureur de la République ou des parties, d’ordonner, en chambre du conseil, que l’identité d’un témoin « ne soit pas mentionnée au cours des audiences publiques et ne figure pas dans les décisions de la juridiction d’instruction ou de jugement pouvant faire l’objet d’une diffusion publique ». Le procureur de la République et les parties en sont avisés (deuxième alinéa).
L’application de ce nouveau dispositif est toutefois subordonnée au respect de deux exigences :
– d’une part, que la procédure porte sur un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ;
– d’autre part, que la révélation de l’identité du témoin puisse « mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou psychique, ou celles des membres de sa famille ou de ses proches ».
Le troisième alinéa permet de substituer à l’identité du témoin, en principe déclinée et précisée au cours des audiences ou dans les ordonnances, jugements ou arrêts, « un numéro que lui attribue le juge d’instruction ou le président de la juridiction de jugement ».
Cette nouvelle disposition présente l’avantage de garantir le plein exercice des droits de la défense, en permettant que l’identité du témoin apparaisse dans la procédure et soit connue des parties mais ne soit pas rendue publique. Dans le même esprit, l’article 706-24 du code de procédure pénale autorise déjà les officiers et agents de police judiciaire affectés dans les services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme à déposer ou à comparaître comme témoins sous leur numéro d’immatriculation.
Comme c’est déjà le cas pour la décision du JLD autorisant le recueil des déclarations d’un témoin dont le nom est occulté dans le dossier de la procédure (premier alinéa de l’article 706-58), l’avant-dernier alinéa précise que la décision ordonnant la confidentialité de l’identité du témoin, qui n’affecte aucun droit fondamental, « n’est pas susceptible de recours ».
Le dernier alinéa punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende « [l]e fait de révéler sciemment l’identité d’un témoin ayant bénéficié des dispositions du présent article ou de diffuser des informations permettant son identification ou sa localisation », soit les mêmes peines que celles encourues pour la révélation de l’identité ou de l’adresse d’un témoin protégé par les articles 706-57 et 706-58 (second alinéa de l’article 706-59).
Votre rapporteur souligne que ces nouvelles dispositions viennent utilement compléter celles aujourd’hui prévues par les articles 706-57 à 706-63 en garantissant au témoin, selon un formalisme plus souple, une protection vis-à-vis du seul public et dans le respect des droits de la défense, puisque le mis en examen ou l’accusé aura connaissance de son identité sans toutefois pouvoir en faire état. M. François Molins, procureur de la République de Paris, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur et chef de la section antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris, ont estimé que ce dispositif trouverait son principal intérêt à l’audience où il pourrait se conjuguer avec le nouveau dispositif de huis clos partiel prévu par l’article 5 du projet de loi, la procédure de témoignage sous X ne permettant pas, au surplus, de rendre anonymes a posteriori des témoignages déjà recueillis.
3. L’instauration d’un dispositif spécifique de protection de la sécurité des témoins exposés à des risques importants de représailles dans certaines affaires (identité d’emprunt)
a. Le dispositif proposé par le présent article
Le présent article complète le même titre XXI par un nouvel article 706-62-2 instituant un mécanisme spécifique de protection de certains témoins exposés à des risques graves de représailles en raison de leur collaboration avec la justice.
Le premier alinéa prévoit ainsi que « lorsque l’audition d’une personne mentionnée à l’article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, celle-ci fait l’objet, en tant que de besoin, d’une protection destinée à assurer sa sécurité ».
À la différence du mécanisme de protection des témoins institué au nouvel article 706-62-1, le présent dispositif ne s’appliquerait qu’« en cas de procédure portant sur un crime ou un délit mentionné aux articles 628, 706-73 et 706-73-1 » du code de procédure pénale, c’est-à-dire :
– les crimes contre l’humanité mentionnés au sous-titre Ier du titre Ier du livre II du code pénal (98) ;
– les crimes et délits de guerre mentionnés au chapitre Ier du livre IV bis du même code (99) ;
– les crimes et délits relevant de la criminalité et de la délinquance organisées mentionnés aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale (100).
Les deuxième et troisième alinéas prévoient que la protection destinée à assurer la sécurité du témoin peut comporter, « [e]n cas de nécessité », l’autorisation, « par ordonnance motivée rendue par le président du tribunal de grande instance, [de] faire usage d’une identité d’emprunt », sauf « pour une audition ».
L’avant-dernier alinéa réprime pénalement toute violation de la protection instituée par cet article. La répression pénale prévue par cet alinéa s’inscrit dans le prolongement de l’incrimination actuelle de toute révélation de l’identité ou de l’adresse d’un témoin (second alinéa de l’article 706-59) et de celle créée par le présent article en cas de révélation de l’identité du témoin au cours des audiences publiques ou dans les ordonnances, jugements ou arrêts d’une juridiction (dernier alinéa du nouvel article 706-62-1). Toutefois, elle s’en écarte en prévoyant des circonstances aggravantes à raison de l’impact que pourrait avoir la violation de la protection sur la vie du témoin ou de ses proches :
– la « simple » révélation de ce que certaines personnes font l’objet d’une identité d’emprunt ou de tout élément permettant leur identification ou leur localisation serait punie d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ;
– ces peines seraient portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende « [l]orsque cette révélation a causé, directement ou indirectement, des violences à l’encontre de ces personnes ou de leurs conjoints, enfants et ascendants directs » ;
– elles seraient encore aggravées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende « lorsque cette révélation a causé, directement ou indirectement, la mort de ces personnes ou de leurs conjoints, enfants et ascendants directs ».
Enfin, les deux derniers alinéas prévoient que le bénéfice de la protection pourra s’étendre aux proches du témoin, un décret en Conseil d’État étant compétent pour fixer les conditions d’application de cet article.
b. Un dispositif inspiré du mécanisme de protection des « repentis »
Le dispositif institué au nouvel article 706-62-2 s’inspire en grande partie des dispositions du code de procédure pénale protégeant les « repentis », autrement désignés « collaborateurs de justice », qui, bien qu’ayant participé à des activités illégales, obtiennent des avantages en échange de leur collaboration avec les autorités judiciaires ou policières. Outre l’abandon des poursuites de la part du ministère public ou une réduction de peine, les « repentis » bénéficient en effet d’une protection particulière depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II ». Cette loi s’est inspirée de législations comparables adoptées par d’autres pays, comme l’Italie ou les États-Unis (voir l’encadré ci-après).
La protection des témoins et « repentis » en Italie et aux États-Unis
En Italie
Les premières mesures en faveur des « repentis » datent de 1978 mais les mesures de protection ont été définies par un décret-loi du 15 janvier 1991, modifié par une loi de 2001 qui a opéré une distinction entre « repentis » et témoins.
Parmi les mesures de protection pouvant être accordées aux « collaborateurs de justice » figurent notamment le transfèrement de la personne dans un autre lieu de résidence, la délivrance à l’intéressé et à ses proches de documents d’identité de couverture, des mesures de réinsertion (attribution d’un logement, remboursement des frais de déménagement…), voire la possibilité de changer définitivement d’identité. Pour les témoins, un mécanisme de compensation existe afin de permettre à toute personne contrainte de modifier son mode de vie pour délivrer des informations de conserver le même niveau de vie.
Sur le plan administratif, les mesures de protection sont accordées sur proposition du procureur de la République, par une commission placée auprès du ministre de l’Intérieur et dont la gestion est confiée à un service central de protection. Le coût de ce système variait entre 50 et 60 millions d’euros par an dans les années 2000.
Aux États-Unis
Les règles relatives à la protection des témoins ont été fixées par une loi de 1970, amendée par le Comprehensive Crime Control Act de 1984. Elles s’appliquent aussi bien à des témoins menacés qu’à des personnes impliquées dans la commission d’infractions. Afin de favoriser la coopération de témoins importants, le procureur fédéral peut proposer aux personnes appelées à témoigner devant des juridictions fédérales ou des États fédérés une immunité ou un plaider coupable avec coopération et certains moyens de protection : fourniture d’une nouvelle identité, mise à disposition d’un nouveau logement, versement de fonds pour faire face aux besoins de la vie courante, aide pour trouver un emploi.
L’Office of Enforcement Operation est chargé d’instruire les demandes et la mise en œuvre de la protection relève du US Marshals Service. Le budget consacré à ce programme était d’environ 30 millions de dollars par an en 2003.
Source : Étude de législation comparée du Sénat n° 124 du 1er juin 2003, Les repentis face à la justice pénale.
En France, prévu au titre XXI bis du livre IV (101) et à l’article 706-63-1 du code de procédure pénale, le dispositif consiste en une « protection » destinée à assurer la sécurité de la personne concernée, en cas de nécessité, par l’usage d’une identité d’emprunt, et des « mesures destinées à assurer leur réinsertion ». Les mesures de protection et de réinsertion sont « définies, sur réquisitions du procureur de la République, par une commission nationale dont la composition et les modalités de fonctionnement sont définies par décret en Conseil d’État ». Il est prévu que cette commission fixe les obligations que doit respecter la personne et assure le suivi des mesures de protection et de réinsertion mais que, en cas d’urgence, les services compétents prennent les mesures nécessaires et en informent sans délai la commission nationale.
Longtemps retardée faute de moyens financiers suffisants, cette protection n’est entrée en vigueur qu’en 2014 (102), soit dix ans après l’adoption de l’article 706-63-1 qui l’a institué. Depuis la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) peut, sur ses recettes propres, verser des contributions à l’État ayant pour objet de « contribuer au financement de la lutte contre la délinquance et la criminalité » (103) et, notamment, financer le dispositif relatif à la protection des collaborateurs de justice. Pour les années 2015 à 2017, une dotation de 450 000 euros a été prévue à titre expérimental.
La commission nationale est aujourd’hui composée de trois magistrats (104) et de trois représentants des services d’enquête (105) ainsi que, à titre consultatif, d’un représentant du service interministériel d’assistance technique (SAIT) auprès duquel elle est placée et qui est chargé de mener des opérations d’infiltration de réseaux criminels en appui des enquêtes de police. Elle instruit les demandes de protection qui lui parviennent et « peut décider de toutes mesures proportionnées qu’elle définit, notamment de protection physique et de domiciliation, destinées à assurer la protection des personnes mentionnées à l’article 706-63-1 du code de procédure pénale » ; elle est également chargée de définir, « s’il y a lieu, les mesures de réinsertion, eu égard notamment à la situation matérielle et sociale de la personne concernée et, le cas échéant, de sa famille et de ses proches » (106). Le président du tribunal de grande instance est compétent pour statuer sur les demandes de recours à une identité d’emprunt qui lui sont adressées par l’intermédiaire du président de la commission. S’il est fait droit à ces demandes, seul le SIAT est « habilité à créer les identités d’emprunt, à conserver l’ensemble des identités d’emprunt attribuées et à faire le rapprochement entre les identités d’emprunt et les identités réelles » (107).
Par cohérence, ce sont ces dispositions que le sixième alinéa du nouvel article 706-62-2 rend donc applicables au nouveau cas de protection destiné à assurer la sécurité de certains témoins.
Lors de leur audition par votre rapporteur, M. François Molins, procureur de la République de Paris, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur et chef de la section antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris, ont souligné que la création de ce nouvel article 706-62-2 constituait une « avancée très importante, la France ayant pris un retard dans le domaine de la protection des témoins et victimes, en comparaison avec les dispositifs existants en cette matière dans les pays anglo-saxons et devant les juridictions internationales ». Ils ont fait valoir que « l’insuffisance de notre dispositif de protection, jusqu’alors limité au seul témoignage sous X, apparaissait de plus en plus problématique, un nombre croissant d’États, de juridictions internationales ou de témoins potentiels conditionnant leur coopération avec la justice française à l’apport de garanties en termes de protection, que nous n’étions jusqu’alors guère en capacité de leur accorder faute de cadre normatif adapté ».
4. Les modifications opérées par votre commission des Lois
À l’initiative de votre rapporteur et de M. Sergio Coronado, la commission des Lois a précisé le dispositif de protection des témoins institué par le présent article. Au premier alinéa du nouvel article 706-62-1 précité, elle a subordonné l’anonymisation du témoin et son identification par un numéro au cours des audiences publiques et dans les jugements rendus publics :
– d’une part, à l’existence de graves risques de représailles, condition de gravité qui ne figurait pas dans le texte initial du Gouvernement ;
– d’autre part, aux cas dans lesquels « la révélation de l’identité d’un témoin est susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique », à l’exclusion de tout risque de représailles psychiques.
Ces modifications permettent, au surplus, d’aligner les dispositions relatives à la protection des témoins créées par le présent article sur celles qui sont aujourd’hui prévues par l’article 706-58 du code de procédure pénale en matière de témoignage anonyme, lequel n’est possible que si l’audition du témoin « est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de cette personne ».
*
* *
La Commission examine l’amendement CL180 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à permettre l’articulation du nouveau dispositif prévu par le présent article avec l’article 706-58 du code de procédure pénale, qui prévoit déjà une protection des témoins.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Il n’est pas nécessaire d’articuler les dispositions relatives à l'identification du témoin par un numéro avec celles qui sont relatives au témoignage anonyme, car ces deux dispositifs n'interviennent pas au même stade de la procédure et n'ont pas la même portée. En effet, la protection instaurée au nouvel article 706-62-1 du code de procédure pénale ne concerne que l'anonymisation, par l'attribution d'un numéro, de l'identité des témoins protégés, et ce uniquement dans les documents susceptibles d'être rendus publics ou au cours des audiences publiques, où les parties connaissent l'identité réelle du témoin. En revanche, les dispositions de l'actuel article 706-58 du même code relatives au témoignage anonyme prévoient la possibilité de recourir à la déposition sous X d'une personne s'exposant à de graves risques de représailles tout au long de la procédure – les parties ignorant dans ce cas qui est le témoin, sauf décision de levée de l'anonymat.
L’amendement CL180 est retiré.
La Commission passe à l’amendement CL159 de Mme Élisabeth Pochon.
Mme Élisabeth Pochon. Cet amendement vise à porter de trois à cinq ans d’emprisonnement le quantum minimum de la peine visée par une procédure ouvrant droit à l’anonymisation des témoins protégés.
M. le rapporteur. Je suis attaché à ce que les délais prévus soient peu ou prou les mêmes dans toutes les circonstances. Or, le critère d’un crime ou d’un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement figure déjà à l’article 706-58 du code de procédure pénale prévoyant le témoignage sous X. De plus, le nouveau dispositif de témoignage sous numéro n’est pas attentatoire aux droits de la défense dans la mesure où, à la différence du témoignage anonyme, l’avocat de la défense connaîtra l’identité du témoin en question. En conséquence, il apparaît à la fois cohérent et nécessaire de retenir un seuil équivalent à celui qui existe pour le témoignage sous X, lequel est le plus susceptible de porter atteinte aux droits de la défense. Je vous propose donc de retirer cet amendement.
L’amendement CL159 est retiré.
La Commission examine les amendements identiques CL177 de M. Sergio Coronado et CL262 de M. le rapporteur.
M. Sergio Coronado. Nul ne conteste l’utilité du témoignage sous X, qui peut contribuer à protéger des témoins pouvant être soumis à des menaces. Il pose toutefois plusieurs problèmes pour l’exercice des droits de la défense car il ne permet pas aux accusés de repousser des témoignages litigieux. Dès lors, la possibilité de témoigner sous X en cas de risque d’atteinte à l’intégrité psychique est problématique, cette notion étant très large. Cet amendement vise à restreindre le témoignage sous X aux cas de mise en danger grave. Cette précision figure d’ailleurs à l’alinéa 3 de l’article 5 et à l’alinéa 7 du présent article.
M. le rapporteur. Avis favorable : je présente un amendement CL262 identique.
La Commission adopte les amendements identiques.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL178 de M. Sergio Coronado et CL263 de M. le rapporteur, ainsi que l’amendement CL160 de Mme Élisabeth Pochon.
M. Sergio Coronado. L’amendement CL178 vise à supprimer la notion de risque d’atteinte à l’intégrité psychique.
M. le rapporteur. L’amendement CL262 est identique.
Mme Élisabeth Pochon. L’amendement CL160 est défendu.
La Commission adopte les amendements CL178 et CL163.
En conséquence, l’amendement CL160 tombe.
Puis la Commission adopte l’amendement rédactionnel CL264 du rapporteur.
Elle examine ensuite l’amendement CL179 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser que le magistrat ne peut décider le témoignage sous X qu’après avoir recueilli les observations des parties.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Comme je l’ai déjà indiqué, le nouveau dispositif de témoignage sous numéro n’est pas attentatoire aux droits de la défense dans la mesure où, à la différence du témoignage anonyme, l’avocat de la défense connaîtra l’identité du témoin sous numéro. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de demander le recueil préalable des observations des parties.
L’amendement CL179 est retiré.
La Commission adopte les amendements rédactionnels CL265 et CL266 du rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL107 de M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Cet amendement vise à ce que les infractions pénales prévues à cet article ne s’appliquent pas aux avocats dans l’exercice des droits de la défense, ce qui me semble légitime.
M. le rapporteur. Je partage votre préoccupation visant à concilier l’exercice des droits de la défense avec la nécessaire protection des témoins qui s’exposent à de graves risques de représailles et dont l’identité est pour cette raison remplacée par un numéro d’identification au cours des audiences publiques ou dans les jugements rendus publics. Toutefois, votre proposition conduirait de facto à amoindrir la portée de la mesure de protection, à priver ainsi le témoin protégé d’une garantie importante et, in fine, à vider de sa substance le mécanisme de protection.
La divulgation de l’identité du témoin ou des informations permettant son identification n’est pas nécessaire à l’exercice des droits de la défense dans la mesure où les parties – défense comprise – en ont déjà connaissance ; seul le public ignore l’identité réelle du témoin. Dès lors, la protection instituée par le nouvel article 706-62-1 du code de procédure pénale constitue une mesure par essence bien plus favorable aux droits de la défense que le témoignage anonyme, lequel empêche, sauf exception, de connaître l’identité du témoin. Il ne faut pas selon moi aller au-delà.
M. Philippe Houillon. Autrement dit, la défense n’est plus libre !
M. le rapporteur. Elle n’est pas libre d’amoindrir un dispositif que nous souhaitons protecteur pour les témoins, en effet.
La Commission rejette l’amendement CL107.
Puis elle adopte l’amendement de coordination rédactionnelle CL368, l’amendement de précision CL268 et les amendements rédactionnels CL269, CL267 et CL270 à CL277 du rapporteur.
Elle adopte ensuite l’article 6 modifié.
Chapitre III
Dispositions améliorant la lutte contre les infractions
en matière d’armes et contre la cybercriminalité
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL278 rectifié du rapporteur modifiant l’intitulé du chapitre III.
Article 7
(art. L. 312-3, L. 312-3-1 [nouveau], L. 312-4, L. 312-4-1
et L. 312-16 du code de la sécurité intérieure)
Renforcement du contrôle administratif
de l’acquisition et de la détention d’armes
Le présent article vise à renforcer le contrôle de l’accès aux armes et munitions afin de tarir les sources d’approvisionnement en matériels dangereux du crime organisé et du terrorisme. Il prolonge le dispositif dont s’est doté notre pays en matière d’acquisition et de détention des armes depuis la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simple et préventif.
1. Le régime actuel d’acquisition et de détention des armes
Les conditions d’acquisition et de détention d’une arme sont fixées par le chapitre II du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure. Ce chapitre II comprend les articles L. 312-1 à L. 312-17 qui confient aux préfets un pouvoir de police administrative spéciale des armes et munitions.
Définie de manière particulièrement large par le droit pénal comme « tout objet conçu pour tuer ou blesser » et par assimilation, « tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes (…) dès lors qu’il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer » (108), l’arme est classée en quatre catégories
– A, B, C et D – par l’article L. 311-2 du même code (voir le tableau ci-après), en fonction de la dangerosité des matériels et des armes et, notamment, des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement.
En pratique, les matériels, armes, munitions, éléments essentiels, accessoires et opérations industrielles compris dans chacune de ces catégories ainsi que les modalités de leur acquisition et détention sont fixés par l’article R. 311-2 du même code.
LA CLASSIFICATION DES ARMES EN CATÉGORIES
Catégorie A |
Matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention, sous réserve des dispositions des articles L. 312-1 à L. 312-4-3 du code de la sécurité intérieure : armes et éléments d’armes interdits à l’acquisition et à la détention (A1) et armes relevant des matériels de guerre, matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, matériels de protection contre les gaz de combat (A2) |
Catégorie B |
Armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention |
Catégorie C |
Armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention |
Catégorie D |
Armes soumises à enregistrement et armes et matériels dont l’acquisition et la détention sont libres, notamment les armes et matériels historiques et de collection visés à l’article L. 311-3 du même code |
a. Les conditions d’acquisition et de détention des armes
Les articles L. 312-1 à L. 312-6 du code de la sécurité intérieure déterminent les conditions générales d’acquisition et de détention des armes et munitions selon les distinctions suivantes.
De prime abord, l’acquisition et la détention des armes et munitions de toute catégorie sont interdites pour les mineurs, sous réserve de certaines exceptions définies par décret en Conseil d’État pour la chasse et la pratique du tir sportif (article L. 312-2). Pour le reste, l’appartenance de telle ou telle arme à l’une ou l’autre des catégories précitées, indifférente, en droit pénal, pour qu’un objet soit considéré comme une arme ayant servi à la commission d’une infraction, commande le régime juridique auquel elle est soumise par le code de la sécurité intérieure.
En premier lieu, l’acquisition et la détention des armes de catégorie A sont par principe interdites mais, par dérogation :
– sont autorisées l’acquisition et la détention de telles armes « pour les besoins de la défense nationale et de la sécurité publique » et, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, par « l’État, pour les besoins autres que ceux de la défense nationale et de la sécurité publique, les collectivités territoriales et les organismes d’intérêt général ou à vocation culturelle, historique ou scientifique » ;
– peuvent également être autorisées, par décret en Conseil d’État, l’acquisition et la détention de matériels de guerre « à fin de collection, professionnelle ou sportive par des personnes, sous réserve des engagements internationaux en vigueur et des exigences de l’ordre et de la sécurité publics » (article L. 312-2).
En deuxième lieu, l’acquisition par une personne de matériels et d’armes de catégories B et C est subordonnée à deux conditions :
– « [d]isposer d’un bulletin n° 2 de son casier judiciaire ne comportant pas de mention de condamnation » pour certaines infractions graves d’atteintes à la vie (109), à l’intégrité physique ou psychique (110), aux libertés (111) ou à la dignité de la personne (112), certains crimes et délits contre les biens (113), certaines infractions d’atteintes à l’autorité de l’État (114) et certaines infractions à la législation relative aux matériels de guerre, armes et munitions (115) ;
– « [n]e pas se signaler par un comportement laissant objectivement craindre une utilisation de l’arme ou du matériel dangereuse pour soi-même ou pour autrui » (article L. 312-3).
En troisième lieu, l’acquisition et la détention d’armes de catégorie B sont soumises à autorisation, et notamment à la présentation d’une licence de tir en cours de validité et délivrée par une fédération sportive agréée. De surcroît, la personne qui souhaite acquérir ou détenir l’une de ces armes doit « produire un certificat datant de moins d’un mois, attestant de manière circonstanciée d’un état de santé physique compatible avec l’acquisition ou la détention d’une arme ». Toute personne qui hérite d’une telle arme sans être autorisée à la détenir « doit s’en défaire dans un délai de trois mois à compter de la mise en possession » (article L. 312-4).
En quatrième lieu, l’acquisition des armes de catégorie C « nécessite l’établissement d’une déclaration par l’armurier ou par leur détenteur » et, pour les personnes physiques, « la production d’un certificat médical datant de moins d’un mois, attestant de manière circonstanciée d’un état de santé physique et psychique compatible avec l’acquisition et la détention d’une arme » ou la présentation d’une copie d’un permis de chasser valide ou de l’année précédente, d’une licence de tir valide délivrée par une fédération sportive agréée ou d’une carte de collectionneur d’armes (article L. 312-4-1).
En cinquième et dernier lieu, l’acquisition et la détention des armes de catégorie D sont libres, sous réserve des obligations particulières entourant l’acquisition de certaines d’entre elles afin de garantir leur traçabilité (article L. 312-4-2).
En application de l’article L. 312-6, l’état de santé physique et psychique de la personne qui sollicite la délivrance ou le renouvellement d’une autorisation d’acquisition ou de détention – pour les armes de catégories A et B – ou faisant une déclaration de détention – pour les armes de catégorie C – doit être compatible avec la détention de tels objets.
L’article L. 312-4-3 restreint le nombre d’armes de catégorie B susceptibles d’être possédées par un seul individu ou le nombre de cartouches par arme détenue. En application de l’article L. 312-5, seules les personnes autorisées à acquérir et détenir des matériels et armes des catégories A, B et D peuvent, dans les ventes publiques, se porter acquéreur de telles armes.
Des dispositions particulières à l’acquisition et à la détention d’armes et de munitions par les collectionneurs sont prévues par les articles L. 312-6-1 à L. 312-6-5.
b. Les modalités de remise et de dessaisissement des armes
L’autorité préfectorale dispose d’un pouvoir de police administrative lui permettant d’enjoindre à une personne de remettre son arme ou de s’en dessaisir, dans des conditions fixées par les articles L. 312-7 à L. 312-10 pour la saisie et L. 312-11 à L. 312-15 pour le dessaisissement.
i. La remise d’une arme
Le préfet peut ordonner, « sans formalité préalable ni procédure contradictoire », à toute personne dont « le comportement ou l’état de santé (…) présente un danger grave pour elle-même ou pour autrui » de remettre les armes et munitions en sa possession aux services de police ou de gendarmerie. Cette remise peut être effectuée par saisie de l’objet au domicile du détenteur par le commissaire de police ou le commandant de la brigade de gendarmerie aux heures légales de perquisition et sur autorisation préalable du juge des libertés et de la détention (JLD) (articles L. 312-7 et L. 312-8).
Les objets remis ou saisis sont conservés durant une période maximale d’un an, période durant laquelle le préfet peut décider, « après que la personne intéressée a été mise à même de présenter ses observations », de les restituer ou de les saisir définitivement (article L. 312-9). La remise ou saisie des armes et munitions a pour effet d’interdire aux personnes concernées d’acquérir ou de détenir tout autre type d’armes aussi longtemps que dure la saisie, sauf si le préfet décide de limiter cette interdiction à certaines catégories ou certains types d’armes. Lorsque les objets ont fait l’objet d’une saisie définitive, l’interdiction d’en acquérir ou détenir de nouveaux « peut être levée (…) en considération du comportement du demandeur ou de son état de santé depuis la décision de saisie » (article L. 312-10).
ii. Le dessaisissement
Par ailleurs, le dessaisissement de certaines armes et munitions peut être décidé. Le préfet peut, après une procédure contradictoire, « pour des raisons d’ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d’une arme des catégories B, C et D de s’en dessaisir » dans un délai qu’il détermine, soit par la vente de l’arme, soit par sa neutralisation, soit enfin par sa remise à l’État (article L. 312-11).
À défaut de s’être conformé à l’ordre du préfet, l’intéressé doit remettre l’arme et ses munitions aux services de police ou de gendarmerie. Le cas échéant, il peut être procédé à la saisie de ces objets par le commissaire de police ou le commandant de la brigade de gendarmerie directement au domicile du détenteur aux heures légales de perquisition. La saisie, qui constitue une opération administrative potentiellement intrusive pour la vie privée de l’intéressé, doit alors respecter certaines conditions de fond et de forme proches de celles prévues par le code de procédure pénale en matière de perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces judiciaires. Le commissaire ou commandant doit saisir le JLD d’une demande, qui comporte toutes les informations justifiant de recourir à une telle procédure. Le JLD, seul habilité à l’autoriser, contrôle son exécution. En toute hypothèse, comme en matière de perquisition, la saisie s’effectue en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant ou, à défaut, de deux témoins. Il est dressé un procès-verbal des opérations qui est transmis dans les meilleurs délais au JLD (article L. 312-12).
Comme en matière de remise, le dessaisissement d’une arme ou munition a, en principe, pour effet d’interdire aux personnes concernées d’acquérir ou de détenir d’autres armes similaires. L’interdiction peut être levée si le risque d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité des personnes disparaît (article L. 312-13).
c. Les fichiers destinés à faciliter le respect des règles relatives à l’acquisition et à la détention d’armes
Afin de renforcer l’efficacité de ces règles, le législateur a institué, initialement à l’article L. 2336-6 du code de la défense puis à l’article L. 312-16 du code de la sécurité intérieure, le fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA). Ce fichier a vocation à recenser « [l]es personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes en application des articles L. 312-10 et L. 312-13 » précités ainsi que « [l]es personnes condamnées à une peine d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou condamnées à la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont elles sont propriétaires ou dont elles ont la libre disposition en application des articles du code pénal » et du code de la sécurité intérieure.
Ce fichier permet la recension des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes sur décision préfectorale ou en vertu d’une condamnation pénale et contribue à faciliter l’application des décisions de saisies en permettant d’empêcher les intéressés d’acquérir de nouvelles armes.
Par ailleurs, les policiers et gendarmes habilités « peuvent, dans la stricte mesure exigée par la protection de la sécurité des personnes ou la défense des intérêts fondamentaux de la Nation », consulter le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). Cette consultation s’exerce « pour les besoins de l’instruction des demandes d’autorisation ou de renouvellement d’autorisation d’acquisition ou de détention d’armes faites en application de l’article L. 312-1 » et, « dans la stricte mesure exigée par la protection de l’ordre public ou la sécurité des personnes, pour l’exécution des ordres de remise d’armes et de munitions à l’autorité administrative » (article L. 312-17).
2. Le durcissement des règles d’acquisition et de détention d’armes
Afin de renforcer l’efficacité de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, le présent article parachève ce dispositif de contrôle administratif des armes en durcissant les conditions nécessaires à leur acquisition et à leur détention.
a. L’instauration d’une interdiction générale d’acquisition et de détention d’armes pour les personnes condamnées par la justice
En l’état actuel de la réglementation, une condamnation judiciaire n’emporte pas de conséquence directe et automatique sur la capacité des personnes définitivement condamnées à acquérir et détenir une arme. Ainsi, en l’absence d’automaticité entre le prononcé d’une condamnation judiciaire comportant une peine complémentaire relative aux armes et les mesures d’interdiction administrative d’acquisition et de détention des armes, le préfet peut seulement demander la remise de l’arme si l’état de santé ou le comportement de la personne « présente un danger grave pour elle-même ou pour autrui » (article L. 312-7) ou le dessaisissement « pour des raisons d’ordre public ou de sécurité des personnes » (article L. 312-11).
Pour pallier cette lacune, le 1° énonce, à l’article L. 312-3, une interdiction générale d’acquisition et de détention d’armes des catégories B, C et D – cette dernière catégorie est un ajout par rapport au champ actuel de cet article – pour les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation judiciaire. Seraient concernées :
– d’une part, « [l]es personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation » pour les mêmes infractions que celles qui sont aujourd’hui mentionnées par cet article (a) ;
– d’autre part, « [l]es personnes condamnées à une peine d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou condamnées à la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont elles sont propriétaires ou dont elles ont la libre disposition en application des articles du code pénal et du présent code qui les prévoient » : sont principalement visées les peines complémentaires relatives aux armes prévues par le code pénal pour certaines infractions (116) (b).
b. L’instauration d’une mesure d’interdiction administrative d’acquisition et de détention d’une arme applicable à toute personne se signalant par un comportement dangereux
En l’état du droit, l’interdiction préfectorale d’acquisition et de détention d’armes ne peut être prononcée que dans le cadre des mesures prévues aux articles L. 312-7 (remise) et L. 312-11 (dessaisissement), c’est-à-dire lorsque la personne est déjà en possession d’une arme.
Le 2°, qui insère au sein du même code un nouvel article L. 312-3-1, permet à l’autorité administrative de prononcer une mesure d’interdiction administrative d’acquisition et de détention des mêmes armes de catégories B, C et D à l’encontre de personnes qui auraient fait l’objet d’un signalement « laissant craindre une utilisation de l’arme ou du matériel dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui ». Ce nouvel article permettra donc le prononcé d’une mesure préventive d’interdiction sans attendre que la personne ait acquis une arme.
La rédaction retenue, qui se réfère à la crainte d’une utilisation de l’objet dangereuse pour la personne ou pour autrui, est quasi-identique à l’une des conditions posée à l’actuel 2° de l’article L. 312-3 pour être autorisé à acquérir une arme de catégorie B ou C (117) et très proche de la rédaction de l’actuel article L. 312-7, lequel vise le comportement ou l’état de santé susceptible de présenter « un danger grave pour elle-même ou pour autrui ».
c. La clarification des conditions d’acquisition et de détention des armes de catégories B et C
Le 3° procède à une clarification des modalités d’autorisation de l’acquisition et de la détention des armes de catégorie B telles qu’elles sont prévues par le premier alinéa de l’article L. 312-4.
Alors qu’en l’état du droit, l’autorisation est notamment conditionnée à la présentation de la copie d’une licence de tir valide délivrée par une fédération sportive agréée, cette formalité ne serait plus requise que « [l]orsque l’autorisation est délivrée pour la pratique du tir sportif ». Cette nouvelle rédaction n’obligerait donc plus la présentation d’une copie de licence de tir lorsque la demande d’autorisation ne serait pas réalisée pour un motif sportif, notamment pour le besoin de certains agents de sécurité exposés ou des experts judiciaires.
Le 4° constitue également une mesure de clarification des conditions d’acquisition d’une arme de catégorie C afin de lever une contradiction entre la lettre de l’article L. 312-4-1 et les dispositions réglementaires prises pour son application.
En effet, en l’état actuel de la rédaction de l’article L. 312-4-1 précité, l’acquisition de ce type d’arme nécessite, outre l’établissement d’une déclaration par l’armurier ou leur détenteur, pour les personnes physiques « la production d’un certificat médical datant de moins d’un mois ou (…) la présentation d’une copie » d’un permis de chasse, d’une licence de tir ou d’une carte de collectionneur. Alors que cette rédaction pourrait laisser penser qu’il est possible d’acheter une arme de catégorie C sur simple présentation d’un certificat médical, l’article R. 312-53 subordonne cette acquisition « à la présentation d’un permis de chasser délivré en France ou à l’étranger ou de toute autre pièce tenant lieu de permis de chasser étranger, accompagné d’un titre de validation de l’année en cours ou de l’année précédente ou, dans les conditions prévues au 4° de l’article R. 312-5 du présent code, d’une licence en cours de validité d’une fédération sportive ayant reçu (…) délégation du ministre chargé des sports pour la pratique du tir ou du ball-trap ».
En conséquence, sans préjudice de la déclaration de l’armurier ou du détenteur au moment de l’achat, le 4° prévoit que l’acquisition de ce type d’arme serait désormais soumise à la production d’un certificat médical et à la présentation d’une copie d’un permis de chasser, d’une licence de tir ou d’une carte de collectionneur (a). Par dérogation à cette règle, il habilite le pouvoir réglementaire à dispenser une personne de la présentation de l’un de ces trois documents et donc à autoriser sur simple présentation d’un certificat médical l’acquisition de certaines armes de catégorie C « en raison de leurs caractéristiques techniques ou de leur destination », comme les pistolets à balle de caoutchouc (softgom) ou pour permettre la régularisation d’armes héritées (b).
d. L’élargissement du champ des personnes inscrites au FINIADA
Le 5° complète l’article L. 312-16 précité afin d’étendre la liste des personnes recensées par le FINIADA à deux catégories de personnes visées par la nouvelle rédaction de l’article L. 312-3 et du nouvel article L. 312-3-1.
La première catégorie est constituée des personnes « interdites d’acquisition et de détention de matériels ou d’armes des catégories B, C et D » en application de la nouvelle rédaction de l’article L. 312-3. Sont concernées « [l]es personnes condamnées à une peine d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou condamnées à la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont elles sont propriétaires ou dont elles ont la libre disposition en application des articles du code pénal et du présent code qui les prévoient » (déjà visées par l’actuel 2° de l’article L. 312-16). Sont également concernées les personnes « dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation » pour certaines infractions graves d’atteintes à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, aux libertés ou à la dignité de la personne, certains crimes et délits contre les biens, certaines infractions d’atteintes à l’autorité de l’État et certaines infractions à la législation relative aux matériels de guerre, armes et munitions (a).
La seconde catégorie est constituée des personnes « interdites d’acquisition et de détention en application de l’article L. 312-3-1 » tel qu’il résulte du présent article, autrement dit celles qui ont fait l’objet d’un signalement « laissant objectivement craindre une utilisation de l’arme ou du matériel dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui » (b).
*
* *
La Commission adopte les amendements rédactionnels CL279 à CL282 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 7 modifié.
Article 8
(art. 706-55, 706-73 et 706-106-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Renforcement des moyens d’investigation judiciaire
en matière de lutte contre le trafic d’armes
Le présent article tend à renforcer les moyens d’enquête contre le trafic d’armes, lequel constitue bien souvent le corollaire d’activités criminelles portant gravement atteinte à l’ordre public. À cette fin, il élargit le recueil d’empreintes génétiques, le champ de la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées et le recours à la technique du « coup d’achat » aux infractions relatives aux armes.
1. L’élargissement du champ des infractions justifiant le recueil et la centralisation des empreintes génétiques de leurs auteurs
Le 1° vise à étendre la liste des infractions relatives aux armes permettant le recueil et la centralisation d’empreintes génétiques dans le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG).
a. Certaines infractions relatives aux armes figurent déjà parmi celles permettant l’inscription de traces et d’empreintes au fichier des empreintes génétiques
Créé par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, le FNAEG, fichier d’identification judiciaire, centralise les traces et empreintes génétiques des personnes déclarées coupables, poursuivies mais déclarées pénalement irresponsables ou à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis certaines infractions limitativement énumérées par l’article 706-55 du code de procédure pénale. À l’origine cantonné à la recherche et à l’identification des seuls auteurs d’infractions sexuelles, le législateur a, par la suite, progressivement élargi le champ de ce fichier en étendant le nombre – notamment en 2001 (118), 2003 (119), 2004 (120) et 2013 (121) – des infractions concernées et en ajoutant au fichage des personnes condamnées celui des personnes soupçonnées.
Appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’article 706-55, le Conseil constitutionnel a considéré, en 2010, à propos de la liste des infractions justifiant de porter des traces et empreintes génétiques au FNAEG, « qu’outre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, toutes ces infractions [portaient] atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, [incriminaient] des faits en permettant la commission ou ceux qui en tirent bénéfice » et « que pour l’ensemble de ces infractions, les rapprochements opérés avec des empreintes génétiques provenant des traces et prélèvements enregistrés au fichier [étaient] aptes à contribuer à l’identification et à la recherche de leurs auteurs ». Il en a conclu « que la liste prévue par l’article 706-55 [était] en adéquation avec l’objectif poursuivi par le législateur et que cet article ne [soumettait] pas les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire et ne [portait] atteinte à aucun des droits et libertés » constitutionnellement protégés (122).
En l’état du droit, les infractions permettant l’inscription d’empreintes génétiques au FNAEG sont :
« 1° Les infractions de nature sexuelle visées à l’article 706-47 du présent code ainsi que le délit prévu par l’article 222-32 du code pénal ;
« 2° Les crimes contre l’humanité et les crimes et délits d’atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie, de violences volontaires, de menaces d’atteintes aux personnes, de trafic de stupéfiants, d’atteintes aux libertés de la personne, de traite des êtres humains, de proxénétisme, d’exploitation de la mendicité et de mise en péril des mineurs (…) ;
« 3° Les crimes et délits de vols, d’extorsions, d’escroqueries, de destructions, de dégradations, de détériorations et de menaces d’atteintes aux biens (…) ;
« 4° Les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, les actes de terrorisme, la fausse monnaie, l’association de malfaiteurs et les crimes et délits de guerre (…) ;
« 5° Les délits prévus par les articles L. 2353-4 et L. 2339-1 à L. 2339-11 du code de la défense ;
« 6° Les infractions de recel ou de blanchiment du produit de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 5° (…) ».
C’est en 2003 que le législateur a, notamment, élargi cette liste à certaines infractions en matière de détention d’armes ou de munitions de guerre en y incluant les crimes et délits prévus par l’article 2 de la loi du 24 mai 1834 sur les détenteurs d’armes ou de munitions de guerre (fabrication ou détention de poudre de guerre ou de toute autre poudre), l’article 3 de la loi du 19 juin 1871 abrogeant le décret du 4 septembre 1870 sur la fabrication des armes de guerre (fabrication ou détention de machines ou d’engins meurtriers ou incendiaires) et les articles 24 à 35 du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions (fabrication et détention d’armes sans autorisation, importation sans autorisation de matériels prohibés, acquisition ou détention d’armes en dépit d’une interdiction, transport sans motif légitime de certaines catégories d’armes…) (123).
En application du 5° de l’article 706-55 précité, le FNAEG centralise donc les traces et empreintes génétiques des personnes déclarées coupables des délits « prévus par les articles L. 2353-4 et L. 2339-1 à L. 2339-11 du code de la défense », de celles poursuivies pour avoir commis de telles infractions mais déclarées pénalement irresponsables et de celles à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles les aient commises. Les infractions du code de la défense mentionnées recouvrent :
– certaines infractions à la législation sur les matériels de guerre, armes et munitions : les délits de fabrication et de commerce (articles L. 2339-2 à L. 2339-4-1), les infractions en matière d’acquisition et de détention (article L. 2339-5) ou de port, de transport et d’expédition (article L. 2339-9), ainsi que les délits d’importation sans autorisation, d’usage illégal du poinçon d’épreuve des canons d’armes de guerre fabriqués en France et de contrefaçon ou d’usage frauduleux de ce poinçon (articles L. 2339-10 et L. 2339-11) ;
– certaines infractions à la législation relative aux explosifs : les délits de fabrication, sans autorisation, d’un engin explosif ou incendiaire ou d’un produit explosif, ou de tout autre élément ou substance destinés à entrer dans la composition d’un produit explosif (article L. 2353-4).
b. L’extension de la liste des infractions relatives aux armes justifiant l’inscription de traces et empreintes au fichier des empreintes génétiques
Le 1° du présent article actualise et étend la liste des infractions relatives aux armes permettant l’insertion de traces et d’empreintes au FNAEG.
En premier lieu, il remplace les références aux articles L. 2339-3-1, L. 2339-5 et L. 2339-9 du code de la défense, qui renvoient aux sanctions pénales encourues pour certaines activités illicites réprimées par le code de la sécurité intérieure, par les articles L. 317-1-1 à L. 317-3-2, L. 317-4 à L. 317-9 et L. 317-9-2 du code de la sécurité intérieure qui fixent les sanctions pénales en matière d’acquisition, de détention, de commerce de détail, de conservation, de perte, de transfert de propriété, de port et de transport d’armes.
En second lieu, il ajoute aux infractions concernées en matière d’importation, d’exportation et de transfert d’armes les deux nouveaux délits créés en 2011 (124) par le législateur aux articles L. 2339-11-1 et L. 2339-11-2 du code de la défense, portant respectivement sur les violations d’utilisation des licences et de tenue des registres et les violations concernant les obligations de réexportation. Il complète également cette liste par les infractions réprimées par l’article L. 2353-13 du même code, relatif à l’acquisition, la détention, le transport ou le port illégal de produits ou d’engins explosifs.
2. L’extension du champ de la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées à de nouvelles infractions relatives aux armes
Le 2° du présent article élargit la liste des infractions relatives aux armes susceptibles de se voir appliquer la procédure dérogatoire de la criminalité et de la délinquance organisées à l’ensemble des faits de trafic d’armes de catégories A et B, même s’ils n’ont pas été commis en bande organisée.
a. Une procédure d’ores et déjà applicable à certaines infractions relatives aux armes commises en bande organisée
Certains crimes et délits sont soumis, en raison de leur caractère astucieux, de leur gravité et de l’atteinte particulière qu’ils portent à l’ordre public, à une procédure de poursuite, d’instruction et de jugement dérogatoire du droit commun.
Les articles 706-73 à 706-74 fixent la liste des infractions relevant de cette catégorie (125) auxquelles s’appliquent des mesures spéciales d’investigations (surveillance, infiltration, perquisition de nuit, interception, au stade de l’enquête, de correspondances émises par télécommunications, sonorisation et fixation d’image de certains lieux et véhicules, captation de données informatiques et mesures conservatoires) et un régime particulier de garde à vue fixé par l’article 706-88, laquelle peut, au-delà du délai de quarante-huit heures de droit commun, être prolongée de quarante-huit heures en une ou deux fois par décision du juge des libertés et de la détention (JLD) :
– l’article 706-73 énumère les crimes et délits relevant en totalité du régime spécial de la criminalité et de la délinquance organisées ;
– l’article 706-73-1, récemment introduit dans le code de procédure pénale par la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, applique le régime procédural spécial relatif à la criminalité et à la délinquance organisées à certaines infractions, à l’exception notable de l’article 706-88 permettant de prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours et de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la 72e heure ;
– l’article 706-74 dispose que, « [l]orsque la loi le prévoit », la procédure spéciale relative à la criminalité et à la délinquance organisées s’applique également aux autres crimes et délits commis en bande organisée et aux délits d’association de malfaiteurs.
Dès 2004, le législateur a inscrit dans la liste des infractions mentionnées à l’article 706-73 les délits en matière de fabrication ou de détention d’armes lorsqu’ils étaient commis en bande organisée. En l’état du droit, le 12° de cet article permet en effet d’appliquer les mesures spéciales d’investigation et les règles particulières de compétences aux « délits en matière d’armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ainsi que par les articles L. 317-2, L. 317-4 et L. 317-7 du code de la sécurité intérieure ». Sont principalement visées les infractions de détention, de cession et d’acquisition d’armes de catégories A et B à condition qu’elles aient été commises en bande organisée.
Cette situation n’apparaît toutefois pas satisfaisante dans la mesure où l’organisation des trafics d’armes, impliquant un faible nombre de protagonistes, empêche souvent de caractériser, dès le début de l’enquête, la bande organisée – qui implique, au sens de l’article 132-71 du code pénal, l’existence d’un groupement formé ou d’une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions.
b. Les conditions constitutionnelles d’extension de cette procédure
Initialement cantonnée à quinze infractions (126) punies de peines d’emprisonnement importantes lorsque l’article 706-73 précité a été introduit dans notre droit par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », la liste des crimes et délits soumis à cette procédure dérogatoire s’est progressivement allongée.
Le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution l’économie initiale de l’article 706-73 précité, en considérant que « si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées » (127).
Il s’est également prononcé, par la suite, sur l’extension du champ de cette procédure à de nouvelles infractions en procédant à un distinguo entre les mesures de garde à vue et les autres pouvoirs spéciaux d’enquête.
En 2013, à propos de l’application aux infractions de fraude fiscale en bande organisée ou commises dans des circonstances particulières de la procédure relative à la criminalité et à la délinquance organisées, le Conseil a ainsi jugé :
– que le législateur pouvait décider d’appliquer des mesures spéciales d’enquête et d’instruction à certaines infractions graves en raison de la difficulté d’appréhender leurs auteurs compte tenu des « éléments d’extranéité » ou de « l’existence d’un groupement ou d’un réseau dont l’identification, la connaissance et le démantèlement posent des problèmes complexes », « les atteintes au respect de la vie privée et au droit de propriété résultant de leur mise en œuvre ne [revêtant] pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi » (128) ;
– en revanche, que le législateur ne pouvait pas appliquer le régime dérogatoire de la garde à vue applicable à la criminalité et à la délinquance organisées aux infractions « qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », sauf à « [porter] à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (129).
Statuant, en 2014, sur la conformité à la Constitution de l’inscription, au 8° bis de l’article 706-73 précité, du délit d’escroquerie en bande organisée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, le Conseil a ainsi considéré que « le délit d’escroquerie [n’était] pas susceptible de porter atteinte en lui-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » et « qu’en permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l’article 706-88 du code de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions portant sur ce délit, le législateur [avait] permis qu’il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne [pouvait] être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (130). Il a, en 2015, suivi le même raisonnement à propos des faits de blanchiment, de recel et d’association de malfaiteurs en lien avec l’infraction d’escroquerie en bande organisée (131).
c. L’application de cette procédure à l’ensemble des trafics d’armes de catégories A et B, même non commis en bande organisée
Le 2° du présent article procède à un double élargissement de la liste des infractions relatives aux armes mentionnées au 12° de l’article 706-73 pour lesquelles il serait possible d’appliquer la procédure dérogatoire applicable en matière de criminalité et de délinquance organisées.
D’une part, il ajoute à la liste des infractions déjà mentionnées l’infraction prévue par le 1° de l’article L. 317-8 du code de la sécurité intérieure, qui réprime le port ou le transport sans motif légitime de matériels de guerre, d’armes ou de munitions de catégories A ou B. Avec cet ajout, c’est l’ensemble des infractions de trafic d’armes des catégories A et B – les plus dangereuses – qui pourront être poursuivies sous le régime de la criminalité organisée.
D’autre part, il prévoit que l’ensemble des infractions relatives aux armes visées par le 12° précité pourront se voir appliquer ce régime dérogatoire qu’elles aient été commises en bande organisée ou non, afin de tenir compte de la dimension souvent limitée – en ampleur et en nombre de protagonistes – des trafics d’armes. Ces infractions rejoignent ainsi les autres crimes et délits figurant dans le champ de l’article 706-73 du code de procédure pénale sans qu’il soit nécessaire qu’ils aient été commis en bande organisée (trafics de stupéfiants, traite des êtres humains, proxénétisme, extorsion…).
3. L’application au trafic d’armes de la technique du « coup d’achat »
Le 3° du présent article permet aux enquêteurs de recourir, en matière d’infractions relatives aux armes, à la technique dite du « coup d’achat », laquelle les autorise à acquérir ou à mettre à disposition des armes afin de constater une infraction et d’en identifier les auteurs ou complices.
a. Une technique aujourd’hui applicable au trafic de stupéfiants…
Les services de police sont déjà autorisés à procéder, dans le cadre de la lutte contre les trafics de stupéfiants et de manière ponctuelle, à des opérations d’achat pour remonter la filière jusqu’au vendeur ou pour caractériser pénalement le trafic. Cette technique, dite du « coup d’achat », permet de renforcer l’efficacité des poursuites sans engager la responsabilité pénale des enquêteurs qui l’utilisent.
Depuis son inscription à l’article 706-32 du même code par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, les enquêteurs peuvent recourir au « coup d’achat » dans les conditions suivantes :
– pour les seules infractions prévues aux articles 227-37 et 227-39 du code pénal : transport, détention, offre, cession, acquisition ou emploi illicite de stupéfiants, facilitation de l’usage de stupéfiants, cession ou offre illicite de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle ;
– la mise en œuvre de la procédure est confiée à un officier de police judiciaire (OPJ) ou à un agent de police judiciaire (APJ) sous l’autorité de celui-ci, et subordonnée à une autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits ;
– l’irresponsabilité pénale attachée aux actes commis dans ce cadre est limitée à l’acquisition de produits stupéfiants (1°) et, en vue de l’acquisition de tels produits, à la mise à disposition de certaines personnes de « moyens de caractère juridique ou financier ainsi que [de] moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication » (2°) ;
– enfin, « à peine de nullité », l’autorisation, qui peut être donnée par tout moyen, doit être mentionnée ou versée au dossier de la procédure, et les actes autorisés ne doivent pas constituer une incitation à commettre une infraction.
b. …transposée par le présent article au trafic d’armes
Afin de faciliter la détection des trafics d’armes, le 3° du présent article applique cette technique aux enquêtes judiciaires relatives au trafic d’armes, l’article 10 du projet de loi ayant pour objet d’en étendre l’usage aux douanes.
À cet effet, il complète le chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, relatif à la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisée, par une nouvelle section IX. Cette nouvelle section comporterait un article 706-106-1 encadrant le recours à la technique du « coup d’achat » dans le domaine du trafic d’armes dans des conditions identiques à celles qui existent pour le trafic de stupéfiants :
– son usage serait strictement limité « aux seules fins de constater les infractions mentionnées au 12° de l’article 706-73 [tel qu’il résulte du présent projet de loi], d’en identifier les auteurs et complices et d’effectuer les saisies prévues au présent code » : les infractions visées sont les délits en matière d’armes et de produits explosifs prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ainsi que par les articles L. 317-2, L. 317-4 et L. 317-7 et le 1° de l’article L. 317-8 du code de la sécurité intérieure (premier alinéa) ;
– seuls les OPJ et, sous leur autorité, les APJ pourraient y recourir « avec l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction saisi des faits qui en avise préalablement le parquet » (même alinéa) ;
– l’irresponsabilité pénale attachée aux actes commis dans ce cadre demeurerait cantonnée à l’acquisition des armes (1°) et, en vue de l’acquisition d’armes, à la mise à disposition des personnes se livrant à ces infractions « des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication » (2°) ;
– les mêmes nullités s’appliqueraient lorsque l’autorisation ne serait pas mentionnée ou versée au dossier de la procédure et lorsque les actes autorisés constitueraient une incitation à commettre une infraction (dernier alinéa).
*
* *
La Commission examine l’amendement CL181 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à réserver l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, aux délits pour lesquels une peine de prison est encourue. Cette année, le nombre d’inscriptions aux différents fichiers a explosé. En l’espèce, est notamment concerné le délit prévu au deuxième alinéa de l’article 322-1 du code pénal. En effet, il semble disproportionné de permettre cette inscription dans les cas d’infractions qui ne sont punies d’aucune peine de prison.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous souhaitez limiter l’inscription au FNAEG aux seules traces génétiques de personnes définitivement condamnées pour une infraction punie d’une peine de prison et, en particulier, exclure du champ de cette mesure certaines dégradations de biens comme le fait de tracer des inscriptions, des signes et des dessins sans autorisation sur des façades, des véhicules, des voies publiques ou du mobilier urbain, lorsqu’il en est résulté un dommage léger.
Les infractions justifiant l’inscription de traces ou d’empreintes génétiques au FNAEG ne sont pas déterminées en fonction de la peine encourue mais de leur nature et des nécessités liées à l’identification et à la recherche de leurs auteurs. De ce seul point de vue, l’infraction mentionnée au second alinéa de l'article 322-1 est indivisible de l'incrimination pénale de destruction, dégradation, ou détérioration d'un bien appartenant à autrui.
La liste des infractions figurant à l'article 706-55 du code de procédure pénale a récemment été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil a considéré d’une part « qu'outre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, toutes ces infractions [portaient] atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, [incriminaient] des faits en permettant la commission ou ceux qui en tirent bénéfice » et « que pour l'ensemble de ces infractions, les rapprochements opérés avec des empreintes génétiques provenant des traces et prélèvements enregistrés au fichier [étaient] aptes à contribuer à l'identification et à la recherche de leurs auteurs », et, d’autre part, « que la liste prévue par l'article 706-55 [était] en adéquation avec l'objectif poursuivi par le législateur et que cet article ne [soumettait] pas les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire et ne [portait] atteinte à aucun des droits et libertés » constitutionnellement protégés.
J’émets donc un avis défavorable à cet amendement, même si je n’exclus pas d’envisager l’évolution de la liste des délits inscriptibles au FNAEG ; nous verrons d’ici au débat en séance si cette réflexion a pu progresser.
M. Sergio Coronado. Je vous invite à y réfléchir, en effet, car ce débat est déjà ancien. Presque toutes les actions syndicales ou revendicatives entrent dans le champ de la mesure.
M. le rapporteur. C’est précisément sur cette question que je souhaite travailler, monsieur Coronado, mais cela ne peut se faire au moyen de votre amendement, car il efface tout, en quelque sorte.
M. Sergio Coronado. Soit, mais j’ai déjà eu l’occasion de faire cette proposition en défendant un amendement à une proposition de loi déposée par M. Marc Dolez, qui avait initialement reçu l’aval du groupe majoritaire et du Gouvernement avant que le ministre compétent se rétracte le matin même sur une station de radio. Je ne fais qu’utiliser les « véhicules » dont je dispose. La proposition de loi en question était consacrée à ce que d’aucuns ont appelé une « amnistie » syndicale et politique ; elle visait à progresser en la matière. Le Gouvernement ne l’a pas souhaité in extremis ; qu’il change d’avis d’ici à la séance serait une excellente nouvelle.
M. le rapporteur. Évitons toute confusion entre la recherche que j’envisage, dont je ne saurais garantir à ce stade qu’elle aboutira et qui porte sur l’avenir, et le texte auquel vous faites référence qui concernait le passé. Cela étant, la préoccupation qui inspire votre amendement – auquel je demeure toutefois défavorable – concernant certains délits susceptibles d’être inscrits au FNAEG ne m’est pas étrangère, et je chercherai un moyen d’y remédier à l’avenir, notamment en matière de liberté syndicale.
M. Jean-Luc Warsmann. Le développement du FNAEG n’est pas un recul, bien au contraire : c’est un immense progrès. Rien ne doit être fait pour y porter atteinte, car ce fichier est un outil de recherche des auteurs d’infractions. Tant qu’il demeurera aussi prudent sur ce point, je soutiendrai le rapporteur ; l’amendement qui nous est proposé, en effet, est tout à fait inacceptable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement de simplification CL283 de M. le rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL182 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement, dont vous constaterez la cohérence avec les précédents, vise à empêcher que soient conservées les empreintes génétiques des personnes suspectées, poursuivies ou condamnées pour des délits d’atteinte aux biens – destructions, dégradations, détériorations ou menaces –, de violation de domicile ou d'atteinte à un système de traitement automatisé des données, quand ces délits ont été commis à l’occasion de conflits du travail, d’activités syndicales et revendicatives ou de mouvements collectifs revendicatifs relatifs aux problèmes liés au logement, à l’environnement, aux droits humains, à la santé, à l’éducation, à la culture, à la lutte contre les discriminations, aux langues régionales, au maintien des services publics et aux droits des migrants.
S’il est en effet légitime d’inclure dans le FNAEG les personnes suspectées de crimes ou de délits graves, notamment d’infractions sexuelles – qui ont justifié la création du fichier en premier lieu – afin d’en faciliter l’élucidation, il semble peu opportun, voire dangereux, de procéder au fichage génétique systématique de militants politiques et syndicaux. Si le prélèvement peut être utile à l’enquête, sa conservation n’est pas souhaitable, car elle s’apparenterait à un fichage génétique des militants politiques et syndicaux. Ces militants agissent en plein jour et à visage découvert. Ils assument et revendiquent leurs actes ; leur identification ne présente donc aucune difficulté.
M. le rapporteur. Nous venons d’avoir ce débat et mon avis demeure défavorable. Cependant, cet amendement cible plus particulièrement un sujet qui m’intéresse et que nous allons étudier de plus près.
La Commission rejette l’amendement.
Elle passe à l’amendement CL183 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à abroger une disposition qui semble contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH. En effet, le III de l’article 706-56 prévoit le retrait de plein droit de toutes les réductions de peine et interdit l’octroi de toute nouvelle réduction pour les personnes condamnées ayant refusé le fichage de leur ADN, en contradiction avec le principe d’individualisation des peines.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Votre raccourci me semble rapide : c’est la cour d’appel de Pau – pour laquelle j’ai le plus grand respect par ailleurs – qui estime que cette disposition est contraire à la jurisprudence de la CEDH ; ce n’est pas l’avis du Conseil constitutionnel qui l’a considérée conforme à notre Constitution.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de simplification CL284 et les amendements rédactionnels CL285 à CL288 du rapporteur.
Elle examine l’amendement CL217 de Mme Pascale Crozon.
Mme Pascale Crozon. M. le rapporteur peut-il nous préciser si l’autorisation d’acquérir des armes prévue au présent article est ponctuelle et délivrée pour telle ou telle transaction délictuelle ou, au contraire, de portée générale et destinée à couvrir l’ensemble de la mission de l’agent ? Si c’est le cas, cet amendement vise à préciser que les armes acquises font l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité en ayant autorisé l’acquisition. Il ne pourrait donc être question d’accorder une immunité pour des faits délictuels qui seraient délibérément cachés à l’autorité judiciaire.
M. le rapporteur. La technique du « coup d’achat » en matière de trafic d’armes – comme en matière de trafic de stupéfiants – est mise en œuvre dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire, sous l’autorité, la direction et le contrôle du procureur de la République dans le premier cas et du juge d’instruction dans le second. Il n’est donc pas nécessaire de prévoir un dispositif de déclaration des armes acquises, qui serait concrètement très lourd pour les services concernés. La technique du « coup d’achat » est strictement encadrée par l’article 8 du projet de loi, puisqu’il y est expressément mentionné que « les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction ». Je vous propose donc de retirer cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
L’amendement CL217 est retiré.
La Commission adopte l’article 8 modifié.
Article 9
(art. L. 317-4, L. 317-5, L. 317-7 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure
et art. L. 2339-10 du code de la défense)
Renforcement de la répression pénale de certains faits de trafic d’armes
Le présent article renforce la répression de certaines infractions relatives aux armes, corollaires fréquents du crime organisé et du terrorisme, dans le prolongement de l’article 8 du projet de loi qui modernise les moyens d’investigation mis à la disposition des enquêteurs afin de les poursuivre.
1. Les peines encourues pour les faits de trafic d’armes
Les sanctions pénales encourues en cas d’infraction à la législation sur les matériels de guerre, armes et munitions sont principalement fixées, d’une part, par les articles L. 2339-2 à L. 2339-11-4 et L. 2353-4 à L. 2353-14 du code de la défense s’agissant de la fabrication et du commerce, des importations, exportations et transferts de ces objets ainsi que des explosifs, et, d’autre part, par les articles L. 317-1 à L. 317-12 du code de la sécurité intérieure pour ce qui concerne l’acquisition, la détention, le commerce de détail, la conservation, la perte, le transfert de propriété, le port et le transport d’armes et de munitions.
L’essentiel des peines prévues par ces articles et encourues à titre principal est recensé dans le tableau ci-après.
LES PRINCIPALES PEINES ENCOURUES POUR LES FAITS DE TRAFIC
DE MATÉRIELS DE GUERRE, D’ARMES, DE MUNITIONS ET D’EXPLOSIFS
Disposition |
Infraction |
Peine encourue |
Code de la défense | ||
Art. L. 2339-2 |
Fabrication ou commerce illicites de matériels, armes ou munitions ou exercice d’une activité d’intermédiaire ou d’agent de publicité |
7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 2339-3 |
Manquement à l’article L. 2332-2 et au premier alinéa des articles L. 2332-10 et L. 2339-1 |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 2339-4 |
Cession par un fabricant ou commerçant d’une ou de plusieurs armes ou munitions de catégories A, B, C et D en violation des articles L. 312-1 à L. 312-4-3 ou L. 314-3 |
3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende |
Art. L. 2339-4-1 |
Manquement aux obligations de formalités préalables, notamment de tenue de registres spéciaux, par une personne titulaire d’une autorisation de fabrication ou de commerce d’armes et de munitions |
6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende |
Art. L. 2339-10 |
Importation, sans autorisation, de certains matériels des catégories A, B, C et D |
5 ans d’emprisonnement et 9 000 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 2339-11 |
Usage, par une personne non qualifiée, du poinçon d’épreuve des canons d’arme de guerre fabriqués en France |
2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende |
Contrefaçons d’un poinçon d’épreuve et usage frauduleux des poinçons contrefaits |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende | |
Art. L. 2339-11-1 |
Manquement aux obligations en matière d’autorisation des importations, exportations et transferts d’armes au sein de l’Union européenne et de formalités préalables, notamment de tenue de registres spéciaux |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Art. L. 2339-11-2 |
Manquement aux obligations relatives aux licences d’exportation ou de transfert d’armes ; obtention d’une telle licence à la suite d’une déclaration mensongère ou frauduleuse ; omission ou refus de répondre aux demandes des autorités en matière d’importation, d’exportation ou de transfert |
3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende |
Art. L. 2339-11-3 |
Absence d’information du ministère de la défense de l’intention d’un fournisseur ou exportateur d’utiliser une licence d’exportation ou de transfert ; absence de transmission de la déclaration des matériels exportés ou transférés |
15 000 € d’amende |
Art. L. 2353-4 |
Fabrication, sans autorisation, d’un engin explosif |
5 ans d’emprisonnement et 3 750 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 2353-5 |
Violation de l’article L. 2352-1 ; refus de se soumettre à des contrôles ou entrave à ceux-ci |
5 ans d’emprisonnement et 4 500 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 2353-6 |
Vente illégale de produits explosifs non susceptibles d’un usage militaire |
2 ans d’emprisonnement et 3 750 € d’amende |
Art. L. 2353-7 |
Exportation illégale de produits explosifs non susceptibles d’un usage militaire |
3 750 € d’amende |
Art. L. 2353-10 |
Port ou transport, sans motif légitime, d’artifices non détonants |
6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende |
Art. L. 2353-11 |
Absence de déclaration de la disparition de produits explosifs par une personne autorisée à les fabriquer, acquérir, transporter ou conserver |
1 an d’emprisonnement et 6 000 € d’amende |
Art. L. 2353-12 |
Absence de déclaration de la disparition de produits explosifs par un préposé qui en avait la garde |
6 mois d’emprisonnement et 3 750 € d’amende |
Code de la sécurité intérieure | ||
Art. L. 317-1-1 |
Fabrication ou commerce illicites de matériels, armes ou munitions ; exercice illicite d’une activité d’intermédiaire ou d’agent de publicité |
7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 317-2 |
Violation des articles L. 312-5 et L. 317-1 ; vente ou achat irréguliers des matériels de guerre, armes et munitions ; cession ou vente des matériels de guerre, armes et munitions à un mineur |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Art. L. 317-2-1 |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende |
Art. L. 317-3-1 |
Cession irrégulière par un fabricant ou commerçant détenteurs d’une autorisation d’une ou de plusieurs armes des catégories A, B, C et D |
3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende |
Art. L. 317-3-2 |
Manquement aux obligations de formalités préalables, notamment de tenue de registres spéciaux, par une personne titulaire d’une autorisation de fabrication ou de commerce d’armes |
6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende |
Art. L. 317-4 |
Acquisition, cession ou détention sans autorisation d’une ou de plusieurs armes des catégories A et B |
3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende |
Même infraction commise par une personne antérieurement condamnée à l’emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit |
5 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende | |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 317-5 |
Acquisition ou détention d’armes ou de munitions en violation d’une interdiction administrative |
3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende |
Art. L. 317-6 |
Obstacle à une décision administrative de saisie ou de dessaisissement |
3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende |
Art. L. 317-7 |
Détention d’un dépôt d’armes ou de munitions des catégories A, B et D |
5 ans d’emprisonnement et 3 750 € d’amende |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Même infraction commise par une personne antérieurement condamnée à l’emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende | |
Art. L. 317-7-1 |
Suppression, masquage, altération ou modification frauduleuses des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes apposés ou intégrés sur des matériels ou armes ; détention, en connaissance de cause, d’une arme ainsi modifiée |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Art. L. 317-7-2 |
Acquisition, vente, livraison ou transport de matériels ou d’armes dépourvus des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes nécessaires à leur identification de manière certaine ou dont ces mêmes éléments auraient été supprimés, masqués, altérés ou modifiés |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Art. L. 317-7-3 |
Même infraction commise en bande organisée |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende |
Art. L. 317-8 |
Port ou transport sans motif légitime de matériels de guerre ou d’armes ou de munitions des catégories A et B |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Port ou transport sans motif légitime d’armes ou de munitions de catégorie C |
2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende | |
Port ou transport sans motif légitime d’armes ou de munitions de catégorie D, sauf celles qui présentent une faible dangerosité |
1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende | |
Art. L. 317-9 |
Transport sans motif légitime de matériels de guerre ou d’armes ou de munitions des catégories A et B par au moins deux personnes |
10 ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende |
Transport sans motif légitime d’armes ou de munitions de catégorie C par au moins deux personnes |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende | |
Transport sans motif légitime d’armes ou de munitions de catégorie D par au moins deux personnes, sauf celles qui présentent une faible dangerosité |
2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende | |
Art. L. 317-9-2 |
Contrefaçons d’un poinçon d’épreuve et usage frauduleux des poinçons contrefaits |
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende |
Nota bene : les dispositions et les peines soulignées sont celles modifiées par l’article 9 du projet de loi.
Selon les données relatives aux condamnations prononcées entre 2010 et 2014 communiqués par le Gouvernement, les peines les plus nombreuses sont prononcées :
– d’une part, pour les délits d’acquisition, de détention ou de cession d’armes de catégorie A ou B, soit environ 1 000 par an, dont moins de dix sont liées à une activité terroriste. Il s’agit généralement de faits de détention illicite (autour de 90 %). Lorsqu’ils ont été commis avec une circonstance aggravante, c’est principalement en raison des antécédents judiciaires de l’auteur qui avait déjà été condamné à une peine privative de liberté ;
– et, d’autre part, pour les délits de port et de transport d’armes de même catégorie et d’explosifs, qui oscillent entre 320 et 350 par an, dont moins de dix liés au terrorisme : la très grande majorité des condamnations portent sur des faits de port d’armes de catégorie B (132).
2. Le renforcement de la répression pénale de certains de ces faits
Le présent article renforce sensiblement les sanctions pénales applicables à certaines violations de la législation sur les armes à feu.
a. L’aggravation des peines encourues en application des articles L. 317-4, L. 317-7 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure
Le I aggrave les peines encourues pour les faits pénalement sanctionnés par les articles L. 317-4, L. 317-7 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure.
i. L’aggravation des peines encourues pour l’acquisition, la cession ou la détention sans autorisation d’armes de catégories A et B (article L. 317-4)
Pour les faits d’acquisition, de cession ou de détention sans autorisation d’une ou de plusieurs armes de catégorie A ou B réprimés par l’article L. 317-4, le 1° porte la peine d’emprisonnement encourue de trois à cinq ans (a).
Une telle aggravation poursuit deux objectifs. D’une part, elle tient mieux compte de la gravité particulière du trouble causé à l’ordre public par ces infractions. D’autre part, elle permet, sur le plan procédural, d’appliquer à la poursuite de ces infractions deux moyens d’enquête susceptibles de renforcer l’efficacité de leur répression :
– le régime dérogatoire de la perquisition sans l’assentiment de la personne concernée au cours d’une enquête préliminaire prévu par l’avant-dernier alinéa de l’article 76 du code de procédure pénale, qui réserve cette possibilité aux « nécessités de l’enquête relative à un crime ou à un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans » ;
– la mise en œuvre d’une mesure de géolocalisation en application du 2° de l’article 230-32 du même code, aux termes duquel « [i]l peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, si cette opération est exigée par les nécessités (…) [d]’une enquête ou d’une instruction relative à un crime ou à un délit (…) puni d’un emprisonnement d’au moins cinq ans ».
Par cohérence avec cette aggravation de la peine d’emprisonnement, la peine d’amende encourue est augmentée de 45 000 à 75 000 euros afin de respecter l’échelle des peines applicables à des délits similaires.
Par ailleurs, pour la même infraction, la peine d’emprisonnement encourue est portée de cinq à sept ans lorsque la personne qui s’est rendue coupable de ces faits a été antérieurement condamnée à l’emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit (b).
ii. L’extension de l’infraction relative à l’acquisition ou à la détention d’armes en violation d’une interdiction (article L. 317-5)
Le 2° étend le champ de l’infraction pénale relative à l’acquisition ou la détention d’armes et de munitions en violation d’une interdiction prévue par l’article L. 317-5 du code de la sécurité intérieure aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation judiciaire en application de la nouvelle rédaction de l’article L. 312-1 du même code.
iii. L’aggravation des peines encourues pour la détention d’un dépôt d’armes ou de munitions (article L. 317-7)
Pour les faits de détention d’un dépôt d’armes ou de munitions de catégorie A, B ou D punis d’une peine d’emprisonnement de cinq ans par le premier alinéa de l’article L. 317-7, le 3° augmente la peine d’amende encourue de 3 750 à 75 000 euros.
Cette augmentation permet d’aligner le montant de l’amende encourue pour des faits de gravité comparable punis d’une peine d’emprisonnement de cinq ans. À titre d’exemple, sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende la vente ou l’achat irréguliers des matériels de guerre, armes et munitions et la cession ou vente de matériels de guerre, armes et munitions à un mineur (article L. 317-2), la modification des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes apposés ou intégrés sur des matériels ou armes nécessaires à leur identification de manière certaine ainsi que la détention, l’acquisition, la vente ou le transport, en connaissance de cause, d’une arme ainsi modifiée (articles L. 317-7-1 et L. 317-7-2) ou encore le port ou transport, sans motif légitime, de matériels de guerre ou d’armes ou de munitions de catégorie A ou B (article L. 317-8).
iv. L’aggravation des peines encourues pour le port ou transport d’armes sans motif légitime (article L. 317-8)
Le 4° complète l’article L. 317-8, qui réprime notamment le port ou le transport, sans motif légitime, de matériels de guerre, d’armes ou de munitions, par un nouvel alinéa instituant une circonstance aggravante pour les faits de port ou de transport, sans motif légitime, de matériels de guerre ou d’armes ou de munitions de catégorie A ou B. Afin de réprimer plus sévèrement une personne qui a déjà fait la preuve de sa dangerosité, il prévoit ainsi que lorsque ces faits auront été commis par une personne antérieurement condamnée « pour un ou plusieurs crimes ou délits mentionnés à l’article 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale à une peine égale ou supérieure à un an d’emprisonnement ferme ou à une peine plus grave », la peine d’emprisonnement de cinq ans sera portée à dix ans.
Est ainsi rétablie la circonstance aggravante qui existait avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2013-518 du 20 juin 2013 modifiant certaines dispositions du code de la sécurité intérieure et du code de la défense (parties législatives) relatives aux armes et munitions, afin de réprimer plus sévèrement le port d’armes par une personne notoirement dangereuse. Ainsi, selon le Gouvernement, avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance, les infractions de port d’armes aggravées par les antécédents judiciaires de leur auteur avaient donné lieu à une trentaine de condamnations par an entre 2010 et 2013. Il s’agissait fréquemment de personnes en possession d’armes appartenant au grand banditisme.
b. L’aggravation de la répression des faits d’importation ou de transfert, sans autorisation, de matériels de catégorie A, B, C ou D
Le II du présent article complète l’article L. 2339-10 du code de la défense qui punit de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 9 000 euros le délit – ou sa tentative – d’« importation, sans autorisation, des matériels des catégories A, B, C et D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État » et de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros le même délit – ou sa tentative – commis en bande organisée.
Afin de mettre à niveau le montant de l’amende en fonction de la peine d’emprisonnement encourue, le 1° porte de 9 000 à 75 000 euros la peine d’amende susceptible d’être prononcée pour de tels faits lorsqu’ils n’ont pas été commis en bande organisée. Comme précédemment, cette augmentation permet d’aligner le montant de l’amende encourue pour des faits de gravité comparable punis d’une peine d’emprisonnement de cinq ans en application des articles L. 317-2, L. 317-7-1, L. 317-7-2 et L. 317-8 du code de la sécurité intérieure et L. 2339-3, L. 2339-11 et L. 2339-11-1 du code de la défense.
Par ailleurs, le 2° complète le même article L. 2339-10 qui ne réprime que l’importation sans autorisation, afin de sanctionner pénalement des mêmes peines le transfert de certaines armes, munitions et de leurs éléments ne relevant pas de la catégorie A2 sans l’autorisation préalable spécifique prévue par le I de l’article L. 2335-17 du code de la défense.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL289, l’amendement de simplification CL290 et l’amendement de coordination CL291 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 9 modifié.
Article 10
(art. 67 bis et 67 bis-1 du code des douanes)
Extension de certaines techniques spéciales d’enquête
des douanes au trafic d’arme (infiltration et « coup d’achat »)
Dans le souci de confier des moyens d’investigation homogènes et comparables à l’ensemble des services de l’État appelés à connaître de la délinquance organisée et d’infractions liées au terrorisme, le présent article a pour objet d’étendre au trafic d’armes les opérations d’infiltration et de « coup d’achat » déjà conduites dans certains domaines par les douanes, très activement impliquées dans le démantèlement des filières de fraude aux armes.
1. L’utilisation par les douanes des opérations d’infiltration et de la technique du « coup d’achat »
a. Les opérations d’infiltration
L’article 67 bis du code des douanes fixe le régime dit des « livraisons surveillées », c’est-à-dire les procédures de surveillance et d’infiltration que peuvent mettre en œuvre les douaniers dans l’exercice de leurs missions. Ce régime, instauré par la loi n° 91-1264 du 19 décembre 1991 relative au renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants, a été complété par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », afin de l’aligner sur celui prévu en matière de criminalité et de délinquance organisées pour la police judiciaire.
En vertu du II de cet article, les agents des douanes spécialement habilités peuvent réaliser, sur autorisation du procureur de la République et sous son contrôle, des opérations d’infiltration afin de « surveiller des personnes suspectées de commettre un délit douanier en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou intéressés à la fraude ». À cette fin, ils peuvent être autorisés « à faire usage d’une identité d’emprunt et à commettre si nécessaire » des actes qui constituent des infractions sans être pénalement responsables de ces infractions, ces actes ne pouvant constituer une incitation à commettre des infractions, « à peine de nullité ».
En l’état du droit, ces opérations ne sont autorisées que pour constater les infractions énumérées ci-après, identifier les auteurs et complices de ces infractions ainsi que ceux qui y ont participé comme intéressés et effectuer les saisies afférentes :
– les infractions douanières d’importation, d’exportation ou de détention de substances ou plantes classées comme stupéfiants, de contrebande de tabac manufacturé, d’alcool et de spiritueux (1°) ;
– les infractions douanières réprimées par l’article 414 du même code, caractérisées par des faits de contrebande ainsi que par tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises contrefaisantes, en particulier les contrefaçons de marque, de dessins et modèles et de tous les droits de propriété intellectuelle (133) (droit d’auteur, droits voisins, brevet, certificats d’obtention végétale, indications géographiques…) (2°) ;
– les infractions douanières en matière d’opérations financières entre la France et l’étranger portant sur des fonds provenant d’un délit douanier ou d’une infraction à la législation sur les stupéfiants, en application de l’article 415 du même code (3°).
Les opérations d’infiltration autorisées sont celles mentionnées au III de l’article 67 bis précité, c’est-à-dire l’acquisition, la détention, le transport ou la livraison de substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions (a) ainsi que l’utilisation ou la mise à disposition des personnes se livrant à ces infractions « des moyens de caractère juridique ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication » (b).
Le régime juridique auquel sont soumises ces opérations, précisément défini aux IV à IX du même article, est très proche de celui qui s’applique aux opérations d’infiltration menées dans le cadre de la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées (modalités de délivrance de l’autorisation, durée des opérations, conditions de témoignage des agents infiltrés…) (134).
b. La pratique du « coup d’achat »
La pratique dite du « coup d’achat » permet à certains agents des douanes d’acquérir des produits illicites ou d’aider des personnes se livrant au trafic de tels produits, comme la sollicitation d’un vendeur de produits contrefaits afin de constituer le délit de commercialisation de produits contrefaisants, tout en bénéficiant d’une exonération de responsabilité pénale. Une telle technique est déjà utilisée par la police judiciaire en matière de trafic de stupéfiants (135) et pourra l’être, en vertu de l’article 8 du projet de loi, en matière de trafic d’armes (136).
En matière douanière, cette technique a été autorisée par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure et a vu son domaine d’application étendu successivement en 2012 (137) et 2014 (138). En l’état actuel de l’article 67 bis-1 du code des douanes qui en conditionne le recours, elle s’applique :
– « aux seules fins de constater l’infraction d’importation, d’exportation ou de détention de produits stupéfiants, d’en identifier les auteurs et complices ainsi que ceux qui y ont participé comme intéressés au sens de l’article 399 [ceux qui ont un intérêt direct à la fraude, qui y ont coopéré d’une manière quelconque ou qui ont couvert les agissements des fraudeurs] et d’effectuer les saisies prévues par le présent code » (premier alinéa) ;
– ainsi qu’« aux fins de constatation de l’infraction d’importation, d’exportation ou de détention illicite de tabac manufacturé et de marchandises présentées sous une marque contrefaisante ou incorporant un dessin ou modèle (…) sur des marchandises contrefaisant un droit d’auteur, des droits voisins ou un brevet tels que mentionnés aux articles L. 335-2 à L. 335-4, L. 613-3 et L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle » (dernier alinéa).
Trois types de techniques sont autorisés par cet article :
– en premier lieu l’acquisition de produits stupéfiants (1°) ;
– en deuxième lieu, en vue de l’acquisition de produits stupéfiants, la mise à disposition des personnes se livrant à ces infractions « des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication » (2°) ;
– en troisième lieu, « [l]orsque l’infraction est commise en ayant recours à un moyen de communication électronique », l’usage d’une identité d’emprunt en vue de l’acquisition des produits stupéfiants ainsi que le recours à plusieurs techniques de « cyberpatrouille » : la participation sous un pseudonyme à des échanges électroniques, la mise en contact sous ce pseudonyme avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de l’infraction, l’extraction, l’acquisition sous ce pseudonyme ou la conservation des données relatives aux personnes susceptibles d’être les auteurs de l’infraction ainsi qu’aux comptes bancaires utilisés (3°).
Comme en matière d’infiltration, cette technique ne peut être mise en œuvre que par des agents des douanes habilités à cet effet après autorisation du procureur de la République, donnée par tout moyen. « À peine de nullité », l’autorisation doit être mentionnée ou versée au dossier de la procédure et « les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction ».
2. L’extension de ces techniques à la lutte douanière contre le trafic d’armes
Le présent article étend ces deux moyens spéciaux d’investigation à la lutte contre le trafic d’armes à laquelle participent activement les douanes au titre de leurs missions, en particulier par l’intermédiaire de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.
À titre indicatif, la douane avait ainsi saisi, en 2014, près de 830 armes à feu et 67 850 munitions, soit une quantité équivalente à celle qui avait été saisie en 2013 (139). Selon le Gouvernement, les saisies d’armes et de munitions réalisées par les douanes durant l’année 2015 pourraient être sensiblement supérieures.
Le présent article ne modifie pas le régime juridique auquel les services douaniers sont soumis, lequel continuera donc de présenter les mêmes garanties que celles aujourd’hui applicables, en particulier quant à l’autorisation des opérations par le procureur de la République et le champ des actions susceptibles d’être réalisées par les agents sans que leur responsabilité pénale puisse être engagée, qui excluent toute incitation à la commission d’infraction.
Le 1° complète le 1° du II de l’article 67 bis précité, relatif aux opérations d’infiltration douanières, afin d’ajouter à la liste des infractions dont le constat justifie la mise en œuvre de telles opérations les infractions douanières réprimées par l’article 414 du code des douanes, caractérisées par des faits de contrebande ainsi que par tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des armes à feu, leurs éléments, des munitions ou des explosifs, et pas seulement lorsqu’elles portent sur des marchandises contrefaisantes.
Le 2° étend, au dernier alinéa de l’article 67 bis-1 précité, la technique du « coup d’achat » à la constatation de l’infraction d’importation, d’exportation ou de détention illicite « d’armes à feu, de leurs éléments, des munitions ou d’explosifs », et pas seulement à l’importation, l’exportation ou la détention illicite de tabac manufacturé et de marchandises contrefaisantes.
Grâce au présent article, qui constitue le pendant douanier des compétences reconnues à la police judiciaire en matière d’infiltration – déjà autorisée pour la criminalité et la délinquance organisées, dont relèvent les infractions relatives au trafic d’armes (140) – et de celles qui lui sont confiées par l’article 8 du projet de loi en matière de technique de « coup d’achat », la France dote ses services enquêteurs, judiciaires comme douaniers, de moyens d’investigation complets et adaptés aux enjeux soulevés par la lutte contre le trafic d’armes.
*
* *
La Commission adopte les amendements rédactionnels CL292 et CL293 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 10 modifié.
Article 11
(art. 113-2-1 [nouveau] du code pénal et art. 43, 52, 382 et 706-73-1 du code de procédure pénale)
Modification des règles de compétence des juridictions
en matière de « cybercriminalité »
Le présent article vise à apporter une réponse pénale plus effective et adaptée aux infractions commises sur un réseau de communications électroniques, autrement appelées « cybercriminalité ». D’une part, il précise les règles de compétences territoriale et juridictionnelle qui s’appliquent à la poursuite et au jugement de ces infractions. D’autre part, il étend les règles de compétence et de procédure particulières applicables en matière de criminalité et de délinquance organisées aux délits d’atteintes aux systèmes informatiques commis en bande organisée.
1. L’instauration de nouvelles règles de compétences territoriale et juridictionnelle, mieux adaptées à la « cybercriminalité »
Les infractions réalisées par l’intermédiaire des réseaux de communications électroniques, par définition commises à distance et, le plus souvent, depuis l’étranger, soulèvent des problèmes spécifiques de compétence des juridictions françaises – et des juridictions françaises entre elles – pour les poursuivre et les juger, notamment parce que le domicile ou la résidence de la victime ne sont jamais un critère de compétence dans notre droit.
a. La compétence territoriale des juridictions françaises à l’égard des cyber-infractions
i. Le droit en vigueur
En l’état du droit, les conditions de l’application de la loi pénale dans l’espace sont fixées par les articles 113-1 à 113-13 du code pénal, complétés par les articles 689 à 689-13 du code de procédure pénale. En principe applicable aux « infractions commises sur le territoire de la République », c’est-à-dire « dès lors qu’un de [leurs] faits constitutifs [ont] eu lieu sur ce territoire » (article 113-2 du code pénal), la loi pénale est également « applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République » et à tous les délits « si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (article 113-6 du même code). Par ailleurs, l’article 113-7 du même code donne compétence aux juridictions françaises en cas de crime, ou de délit puni d’emprisonnement, « commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction ».
Toutefois, les délits commis à l’étranger à l’encontre d’une victime française ne peuvent être poursuivis en France qu’à la requête du ministère public, « précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis », conformément à l’article 113-8 du même code.
Dans son rapport remis en février 2014 intitulé Protéger les internautes, le groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité, présidé par le procureur général Marc Robert, considérait que ces règles posaient problème au regard de l’effectivité de la réponse pénale apportée aux cyber-infractions, en raison notamment de la nécessité d’une plainte préalable, des difficultés de détermination du lieu de commission de l’infraction et des difficultés d’interprétation soulevées par ces articles (voir l’encadré ci-après).
Les problèmes de compétence territoriale soulevés par la « cybercriminalité »
(extraits du rapport Protéger les internautes)
« [S]i l’on se place au plan de la victime, dès lors qu’il y a plainte d’une personne de nationalité française pour un crime ou un délit puni d’emprisonnement et cela même si le lieu de commission de l’infraction est extérieur au territoire français - ce qui n’est pas une hypothèse d’école en matière de cybercriminalité -, la loi française est applicable.
« Toutefois, la plainte préalable est rare dans certains types d’affaires.
« Or, et sauf exception tenant à la nature de la cyber-infraction, il est le plus souvent peu aisé de déterminer son lieu de commission, compte tenu des difficultés tenant à l’identification de la personne ou de la société en cause, notamment lorsque l’auteur utilise des ordinateurs “rebonds” (VPN ou proxy) donnant dans un premier temps une fausse indication quant à l’adresse IP de l’ordinateur responsable de l’attaque ; quant à la localisation du serveur informatique utilisé par l’auteur, il est difficile dans les premiers temps d’une enquête de déterminer, avec exactitude, sa localisation, d’autant plus qu’elle s’avère souvent évolutive.
« En outre, il n’est pas toujours possible de trouver un élément constitutif commis en France pour fonder la compétence de la loi nationale.
« Dès lors, les praticiens se heurtent à des difficultés d’interprétation et leurs interrogations sont nombreuses (…).
« Même si la jurisprudence adopte, généralement, une conception extensive, en retenant ordinairement la compétence des juridictions françaises dès lors que les contenus illicites diffusés via Internet sont accessibles en France, des doutes subsistent encore pour d’autres infractions, notamment la contrefaçon.
« Telle est la raison pour laquelle il est estimé opportun, eu égard à la spécificité de cette criminalité, de lever toute équivoque en préconisant un nouveau critère de compétence. »
Source : Groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité, Protéger les internautes. Rapport sur la cybercriminalité, La Documentation française, février 2014, pp. 210-211.
ii. La création d’un nouveau critère de compétence territoriale lorsque la victime de la cyber-infraction est domiciliée en France
Le rapport sur la « cybercriminalité » précité recommandait donc de « [c]réer (…) un nouveau cas de compétence des juridictions pénales françaises, en énonçant que toute infraction commise par le biais d’un réseau de communication électronique, de nature criminelle ou de nature correctionnelle mais punissable d’un emprisonnement, lorsqu’elle est tentée ou commise au préjudice d’une personne, physique ou morale, de nationalité française au moment de sa commission, est réputée avoir été commise en France » (141).
Traduction législative de cette recommandation, le I du présent article prévoit la compétence des juridictions françaises lorsque la victime d’une infraction commise sur un réseau de communications électroniques, personne morale ou physique, est domiciliée en France.
À cette fin, il insère, au chapitre III du titre Ier du livre Ier du code pénal, un nouvel article 113-2-1 aux termes duquel « [t]out crime ou tout délit réalisé par le biais d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant en France ou d’une personne morale dont le siège se trouve en France, est réputé commis en France ».
Dans ces conditions, les juridictions françaises pourraient se déclarer compétentes pour toutes les infractions commises sur internet, même en dehors du territoire de la République française, dès lors qu’elles concerneraient une victime résidant en France, sans qu’il soit nécessaire qu’elles aient reçu la plainte préalable de cette dernière.
b. La compétence des juridictions françaises entre elles à l’égard de la « cybercriminalité »
i. Le droit en vigueur
Les articles 43, 52 et 382 du code de procédure pénale déterminent la compétence juridictionnelle respective du procureur de la République, du juge d’instruction et du tribunal correctionnel. Il peut s’agir :
– du lieu de l’infraction ;
– du lieu de la résidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction ;
– du lieu d’arrestation d’une de ces personnes, même lorsque cette arrestation a été opérée pour une autre cause ;
– et du lieu de détention d’une de ces personnes, même lorsque cette détention est effectuée pour une autre cause.
Ces règles ne soulèvent pas de difficulté lorsque la cyber-infraction est constatée en flagrance ou après l’identification de son auteur et de son domicile par le parquet, comme dans le cas de détention d’images pédopornographiques : si l’auteur est domicilié en France, le parquet compétent sera celui du lieu où il réside. En revanche, ces critères peuvent ne pas suffire à déterminer la compétence précise des juridictions pour certaines infractions réalisées par internet lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le lieu de leur commission et lorsque le lieu de résidence de leur auteur est difficile à déterminer.
Comme le soulignait, en 2014, le rapport précité de M. Marc Robert consacré à la « cybercriminalité », « dans la grande majorité des cas, le parquet est saisi d’une cyber-infraction soit par plainte, soit par dénonciation (par exemple d’un professionnel), sans que l’on connaisse ordinairement l’identité de l’auteur supposé et, a fortiori, son lieu de résidence ». Dans cette hypothèse, seul le critère du lieu de commission de l’infraction peut fonder la compétence d’une juridiction. « Or, si les infractions dites de presse peuvent être souvent considérées comme étant commises sur l’ensemble du territoire (lieu de diffusion d’internet), si, selon la nature de certaines infractions, partie des éléments constitutifs sont commis dans un lieu donné (par exemple au siège de l’entreprise victime, ou le lieu de livraison en matière de vente à distance), si la compétence spéciale reconnue, pour certaines infractions, à la juridiction parisienne ou aux juridictions inter-régionales spécialisées est aussi attributive de compétence, le critère de compétence de droit commun lié au lieu de commission peut s’avérer impuissant à saisir la cyber-infraction » (142).
ii. La création d’un nouveau critère de compétence du parquet, du juge d’instruction et du tribunal correctionnel en raison du domicile ou du siège social de la victime
Le groupe de travail présidé par M. Marc Robert préconisait donc de créer un nouveau critère de compétence territoriale relatif à la localisation de la victime de la cyber-infraction, afin de renforcer la sécurité des procédures ouvertes et faciliter le travail des services d’enquête et des parquets.
Tel est l’objet des II à IV du présent article qui traduisent dans notre droit cette préconisation en complétant les articles 43, 52 et 382 précités afin de rendre également compétents le procureur de la République, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel « du domicile de la victime personne physique ou du siège social de la personne morale victime, lorsque l’infraction a été réalisée par le biais d’un réseau de communication électronique ».
En définitive, la clarification des règles de compétence territoriale et juridictionnelle à laquelle procède le présent article en matière de « cybercriminalité », qui constitue un contentieux de masse, contribuera à en faciliter matériellement et à en sécuriser juridiquement le traitement, en évitant notamment les dessaisissements successifs des parquets liés à l’absence de critère clair de compétence.
Auditionnés par votre rapporteur, M. François Molins, procureur de la République de Paris, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur et chef de la section antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris, ont ainsi salué la consécration législative du critère de compétence jusqu’alors jurisprudentiel du domicile de la victime de l’infraction, retenu en particulier par un arrêt de la chambre de l’instruction de Paris du 3 mai 2008 et auquel la section cybercriminalité du tribunal de grande instance de Paris a fréquemment recours en raison des sièges à Paris de grandes sociétés et d’administrations centrales.
2. L’extension des règles de compétence et de procédure de la criminalité organisée applicables aux atteintes les plus graves contre les systèmes informatiques
a. Certaines atteintes aux systèmes informatiques sont déjà soumises à une partie du régime procédural dérogatoire applicable à la criminalité et à la délinquance organisées
Depuis la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, le « cyberterrorisme », qui consiste en des atteintes à la disponibilité des réseaux ou des services informatiques des administrations ou d’opérateurs importants ainsi qu’à la confidentialité ou à l’intégrité des données qui y sont stockées ou des matériels utilisés pour leur fonctionnement, fait l’objet de mesures de poursuites et de jugement renforcées.
Ainsi, en vertu du titre XXIV du livre IV et de l’article 706-72 du code de procédure pénale, la poursuite, l’instruction et le jugement des atteintes portées à un système de traitement automatisé de données (STAD) à caractère personnel mis en œuvre par l’État sont soumis à certaines des dispositions du régime procédural applicable à la criminalité et à la délinquance organisées, ainsi que le blanchiment de ces délits et l’association de malfaiteurs ayant pour objet leur préparation.
Les règles dérogatoires ayant vocation à s’appliquer sont les suivantes :
– sauf opposition du procureur de la République préalablement informé, la compétence des officiers de police judiciaire (OPJ) et des agents de police judiciaire (APJ) peut être étendue à l’ensemble du territoire national pour la surveillance des personnes suspectées d’avoir commis certaines infractions (article 706-80) ;
– le procureur de la République ou le juge d’instruction, lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient, peut autoriser l’organisation d’une opération d’infiltration d’un OPJ ou d’un APJ afin de « surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs » (articles 706-81 à 706-87) ;
– une enquête sous pseudonyme peut être conduite sous réserve que l’infraction ait été préparée, facilitée ou commise par un moyen de communication électronique (article 706-87-1) ;
– des écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance peuvent être réalisées, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, alors que pour les crimes et délits de droit commun cela n’est possible que dans le cadre d’une instruction (article 706-95) ;
– des sonorisations et des fixations d’images de certains lieux ou véhicules sont possibles, c’est-à-dire la mise en place d’« un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé » (articles 706-96 à 706-102) ;
– le juge d’instruction peut autoriser la captation de données informatiques, c’est-à-dire la mise en place d’« un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données ou telles qu’il les y introduit par saisie de caractères » (articles 706-102-1 à 706-102-9) ;
– le juge des libertés et de la détention peut ordonner des mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen afin de garantir le paiement des amendes encourues ainsi que l’indemnisation éventuelle des victimes (article 706-103) ;
– la personne mise en cause peut interroger le parquet sur les suites données à l’enquête six mois après son placement en garde à vue et peut, en cas de nouvelle audition ou interrogatoire, être assisté d’un avocat qui dispose d’un accès préalable à la procédure (article 706-105).
En revanche, l’application de deux règles procédurales dérogatoires est expressément exclue :
– la prolongation de la garde à vue à quatre jours en matière de criminalité organisée et six jours en matière terroriste, contre deux jours en droit commun, et la possibilité de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la 72e heure de la mesure (articles 706-88 et 706-88-1) ;
– les perquisitions de nuit, possibles, en droit commun, seulement entre 6 heures et 21 heures (articles 706-89 à 706-94).
b. Le cadre constitutionnel
Depuis sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel considère que « si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées » (143).
En 2013, au sein de ces mesures d’investigation spéciales, il a établi un distinguo entre les mesures dérogatoires de garde à vue d’une part, applicables aux seules infractions susceptibles de porter atteinte « à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », et les autres pouvoirs spéciaux d’enquête d’autre part, qui peuvent, eux, dans la mesure où ils portent une atteinte de moindre ampleur aux libertés individuelles, être appliqués à certaines infractions graves en raison de la difficulté d’appréhender leurs auteurs. Il a ainsi jugé que la possibilité donnée par la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale de prolonger la garde à vue jusqu’à quatre jours et de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la 72e heure pour les délits de corruption, de trafic d’influence et de fraude fiscale aggravée, « qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », constituait une atteinte à la liberté individuelle et aux droits de la défense « qui ne [pourrait] être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (144).
C’est la raison pour laquelle le législateur a décidé, en 2014, de ne viser que les infractions présentant une gravité particulière – les seuls délits d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) à la double condition qu’ils soient commis en bande organisée et qu’ils visent des traitements de données personnelles mis en œuvre par l’État – et de ne leur appliquer que certains pouvoirs spéciaux d’enquête, à l’exclusion notamment de la prolongation de la garde à vue et de l’intervention différée de l’avocat.
c. L’extension des règles procédurales dérogatoires applicables aux délits, commis en bande organisée, d’atteintes aux systèmes informatiques de l’État comportant des données personnelles
Le VI du présent article a pour objet d’étendre le périmètre des dispositions procédurales de la criminalité et de la délinquance organisées applicables aux atteintes, commises en bande organisée, aux STAD mis en œuvre par l’État et comportant des données personnelles, à l’exception de l’article 706-88 du code de procédure pénale relatif à la prolongation de la garde à vue à quatre jours et à la possibilité de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la 72e heure.
À cette fin, il complète le 1° de l’article 706-73-1 du code de procédure pénale, qui prévoit que toutes les dispositions spécifiques à la criminalité et à la délinquance organisées sont rendues applicables au délit d’escroquerie en bande organisée, à l’exception de l’article 706-88 du même code. Cet article a été introduit par le législateur en 2015 afin de créer un régime procédural spécifique, excluant expressément la prolongation de la garde à vue à quatre jours, à l’enquête, à la poursuite, à l’instruction et au jugement des délits d’escroquerie en bande organisée (145) ainsi que d’autres infractions qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en elles-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes.
En l’état du droit, seules les infractions suivantes sont soumises à ce régime dérogatoire :
– le délit d’escroquerie en bande organisée (1°) ;
– les délits de dissimulation d’activités ou de salariés, de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, de marchandage de main-d’œuvre, de prêt illicite de main-d’œuvre ou d’emploi étranger sans titre de travail, commis en bande organisée (2°) ;
– les délits de blanchiment ou de recel du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° (3°) ;
– les délits d’association de malfaiteurs lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 3° (4°) ;
– le délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie lorsqu’il est en relation avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 4° (5°).
En pratique, l’inscription de cette infraction à l’article 706-73-1 précité a pour conséquence, par rapport au droit actuel :
– d’une part, d’étendre la compétence des juridictions interrégionales spécialisées à la poursuite, à l’instruction et au jugement de ces atteintes en vertu des articles 706-75 à 706-79-1 du même code ;
– d’autre part, d’autoriser la mise en œuvre de perquisitions de nuit, entre 21 heures et 6 heures le lendemain, dans les conditions prévues par les articles 706-89 à 706-94 du même code.
Le blanchiment du délit, commis en bande organisée, d’atteinte aux STAD mis en œuvre par l’État et comportant des données personnelles ainsi que l’association de malfaiteurs ayant pour objet sa préparation seraient également soumis à cette procédure dérogatoire, en application des 3° et 4° de l’article 706-73-1.
En conséquence, le V du présent article abroge le titre XXIV du livre IV et les dispositions de l’article 706-72 du code de procédure pénale qui fixent, en l’état du droit, le régime procédural applicable à l’enquête, à la poursuite et au jugement du délit prévu par l’article 323-4-1 du code pénal et qui, par souci de rationalisation, ont davantage leur place au sein de l’article 706-73-1 précité.
3. L’extension du régime procédural de la criminalité et de la délinquance organisées au délit d’évasion commis en bande organisée
Sans que cette disposition présente un lien avec l’objet du présent article, consacré à la lutte contre la « cybercriminalité », le VI complète également le 1° de l’article 706-73-1 précité afin d’inclure le délit d’évasion commis en bande organisée prévu par l’article 434-30 du code pénal dans le périmètre des infractions soumises à l’ensemble des dispositions procédurales de la criminalité et de la délinquance organisées, à l’exception de l’article 706-88 relatif à la garde à vue prolongée.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL294, l’amendement de précision CL295 et l’amendement de clarification rédactionnelle CL296 du rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL184 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Le délit d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données commis en bande organisée, prévu à l’article 323-4-1 du code pénal, a été créé par une loi de novembre 2014, et les amendes ont été alourdies par la loi sur le renseignement. Or, l’article 706-72 du code de procédure pénale prévoit déjà que de nombreuses dispositions du titre XXV du livre IV dudit code sont applicables à ce délit, à l’exception de la garde à vue spéciale et des perquisitions de nuit.
Rien ne me semble donc justifier une troisième modification du cadre législatif en deux ans, d’autant plus que le présent projet de loi ne revient pas sur l’article 706-72 précité.
M. le rapporteur. Avis défavorable. En l’état du droit, la poursuite, le traitement et le jugement des atteintes portées aux systèmes de traitement automatisé des données à caractère personnel mis en œuvre par l’État sont déjà soumis à la plupart des règles dérogatoires applicables à la criminalité organisée, à l’exception de la compétence des juridictions interrégionales spécialisées et des perquisitions de nuit. Ce sont ces deux nouvelles règles que le présent article applique à ces infractions.
Il aligne le régime procédural dérogatoire applicable à ces atteintes informatiques sur celui qui est prévu pour toutes les infractions de gravité comparable qui figurent à l'article 706-73-1 du code de procédure pénale. Rien ne justifiait en effet de leur appliquer des règles distinctes. Je rappelle que les infractions visées sont particulièrement graves: elles relèvent du cyberterrorisme, puisqu'elles portent sur des données informatiques détenues par l'État mais relatives à la vie privée des individus.
En revanche, il demeurera impossible d'appliquer à ces infractions les règles dérogatoires de la garde à vue prolongée, qui sont réservées aux seules infractions susceptibles de porter atteinte « à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes », dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Enfin, contrairement à ce que vous affirmez dans votre exposé sommaire, l’article 706-72 du code de procédure pénale, qui fixe actuellement les règles applicables à la poursuite de ces infractions, est bien abrogé par cohérence au V du présent article.
La Commission rejette l’amendement.
Elle adopte les amendements de précision CL297 et CL298 et l’amendement de coordination CL299 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 11 modifié.
Chapitre IV
Dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
Article 12
(art. 421–2–7 [nouveau] du code pénal et art. 706–24–1 et 706–25–1 du code de procédure pénale)
Création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes
Le présent article crée une nouvelle infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes.
1. Le trafic de biens culturels
Les conflits qui ravagent aujourd’hui la zone irako–syrienne ont des conséquences dramatiques sur des patrimoines d’une valeur historique, artistique et culturelle inestimable. Le rapport de M. Jean–Luc Martinez, président–directeur du musée du Louvre, sur « la protection du patrimoine en situation de conflit armé », a établi un constat sévère de la réalité du trafic des biens culturels, qualifiés d’« antiquités du sang » :
« À l’échelle mondiale, on estime communément que le trafic illicite des biens culturels arrive au troisième ou au quatrième rang des commerces illicites dans le monde, après les armes et la drogue. Même si, comme le rappelle INTERPOL, les instruments de mesure et les chiffres sur les mouvements de circulation illicites ne sont pas disponibles, certains estiment que le seul trafic d’antiquités pourrait brasser des sommes de 6 à 15 milliards d’euros par an. » (146)
La situation est particulièrement dramatique dans les zones qui sont le théâtre d’opérations de groupements terroristes. À propos de l’Irak et la Syrie, certains chiffres estiment que le trafic des antiquités pourrait représenter entre 1 % et jusqu’à 15 à 20 % des ressources de Daech, ce qui en ferait le deuxième mode de financement de cette organisation terroriste, après les ressources pétrolières. Comme le souligne le rapport précité, Daech a créé un département des antiquités « Diwan al Rikaz » chargé de délivrer des permis de fouilles contre le versement de « dîmes » imposées aux fouilleurs. Surtout, il est certain que les principaux sites de Syrie et d’Irak font l’objet d’un nombre incalculable de fouilles sauvages. Ainsi, « les photos satellites révèlent des sites constellés de trous (on les estime à plus de 10 000 sur le site d’Apamée en Syrie), semblables aux trous d’obus de la Première Guerre mondiale. Daech a probablement récupéré les plus belles pièces du musée de Raqah (en plus de celles volées dans les musées en Irak) pour les revendre à des trafiquants qui bénéficient de réseaux parfaitement organisés et qui existaient bien avant l’apparition de Daech. » (147)
Principaux cas récents de destruction et de pillage du patrimoine culturel
dans les pays en situation de conflit armé
Mali
Au printemps 2012, sept des douze mausolées de saints soufis de Tombouctou ont été détruits par le groupe Ansar Dine aux motifs qu’ils étaient la matérialisation de formes perverties de l’Islam véritable. Des bibliothèques furent également détruites et pillées. Un des chefs de ce groupe a comparu pour crime de guerre pour destruction de ces mausolées devant la Cour pénale internationale le 30 septembre 2015.
Irak
Le patrimoine muséal, archéologique et monumental en Irak a subi des destructions majeures au cours de la dernière décennie. En 2003, le musée national de Bagdad a été pillé par des réseaux criminels organisés, qui ont également vandalisé l’inventaire informatisé. Le musée a depuis récupéré une partie de ses œuvres.
Depuis la prise de Mossoul en 2014, les destructions et pillages se sont succédés à un rythme effréné : destructions d’objets archéologiques au musée de Mossoul, vandalisations de sites archéologiques à Hatra, Uruk et Nimroud…
Syrie
Depuis le début du conflit armé, de nombreux biens syriens font l’objet de bombardements ciblés, d’explosions délibérées et de fouilles illicites de grande ampleur. L’UNESCO (148) a indiqué que le conflit avait affecté six biens du patrimoine mondial en Syrie : l’ancienne ville de Damas (en particulier la mosquée des Omeyyades), l’ancienne ville de Bosra, le site archéologique de Palmyre (anéantissement à l’explosif du petit temple de Baalshamin et de l’arc de triomphe situé à l’entrée de la colonnade…), la Vallée des tombes, le Camp de Dioclétien et la ville d’Alep.
Si l’on n’observe pas encore de recrudescence du trafic d’objets en provenance de pays en guerre, en particulier de pièces importantes, il est cependant probable que ce phénomène interviendra dans les années à venir. Ce décalage s’explique par le fait que les œuvres provenant de pillages ou de fouilles clandestines transitent « par des réseaux de trafiquants expérimentés qui savent brouiller les pistes en produisant de faux documents d’authentification et en stockant les œuvres quelques années notamment dans des ports « francs » (149), le temps de leur « inventer une histoire » avant de tenter de les écouler sur le marché.» (150). Il existe donc un temps de latence relativement important entre une fouille clandestine et l’écoulement des objets sur le marché. Les États-Unis ont par exemple restitué en 2015 aux autorités irakiennes 700 objets et fragments issus de trafics illégaux, pillés lors de la guerre d’Irak en 2003.
2. Les limites des dispositifs internationaux
Plusieurs instruments internationaux ont été élaborés dans le but de prévenir et d’interdire les actes de pillage et de trafic de biens culturels :
– les conventions UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété des biens culturels, de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, de 2000 contre la criminalité transnationale organisée, de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ;
– la convention UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés ;
– la convention de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de 2000 contre la criminalité transnationale organisée.
La protection du patrimoine et la lutte contre les trafics ont par ailleurs fait l’objet de plusieurs résolutions de l’ONU et de l’UNESCO. Ainsi, le Conseil de sécurité de l’ONU a intégré la protection du patrimoine culturel au mandat de la mission de la paix au Mali (MINUSMA) (151). Le Conseil de sécurité a également adopté une résolution condamnant en particulier les destructions du patrimoine culturel irakien et syrien et dénonçant le pillage et la contrebande d’objets (152).
Pourtant, le rapport précité de M. Jean–Luc Martinez a identifié quatre freins à ces dispositifs :
– le principe de souveraineté des États, ces traités ne s’appliquant qu’aux États les ayant ratifiés ;
– la dispersion des initiatives ;
– la difficulté de dépasser le stade de la condamnation et de mettre en place des mesures concrètes ;
– un contexte international de plus en plus complexe avec des États qui ne contrôlent plus l’intégrité de leur territoire, une vaste zone étant sous l’emprise d’une organisation terroriste.
3. Un arsenal juridique national en évolution : les apports du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine
Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 octobre 2015 et par le Sénat le 16 février 2016, comporte un article 18 B tendant à renforcer la législation en matière de lutte contre la circulation illicite des biens culturels.
Il crée une faculté de contrôle douanier à l’importation spécifique pour les biens culturels, alors qu’en l’état du droit, les contrôles exercés en France sur les mouvements internationaux de biens culturels sont orientés vers l’exportation, principalement par souci de protection du patrimoine national. L’introduction d’un contrôle à l’importation doit permettre à la France de se conformer pleinement à ses engagements internationaux, en particulier à la convention de l’UNESCO du 17 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels.
Il vise par ailleurs à interdire la circulation de biens culturels ayant quitté illicitement un État lorsqu’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a été prise en ce sens. Seront ainsi concernés les biens culturels irakiens et syriens enlevés illégalement d’Irak depuis le 6 août 1990 et de Syrie depuis le 15 mars 2011, conformément à l’article 17 de la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Il crée en France des refuges pour les biens culturels menacés, en prévoyant la possibilité de mise à disposition de locaux sécurisés pour recevoir en dépôt les biens culturels se trouvant dans une situation d’urgence et de grave danger en raison d’un conflit armé ou d’une catastrophe sur le territoire d’un État étranger qui les possède ou les détient.
Enfin, il institue un dispositif permettant aux propriétaires publics de biens acquis de bonne foi, mais dont il s’avérerait qu’ils ont en réalité été volés ou exportés illicitement dans un autre État partie à la convention de l’Unesco de novembre 1970 précitée, de demander au juge judiciaire l’annulation du contrat ou du legs par lequel ils en ont fait l’acquisition.
4. La création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes
Le I du présent article crée au sein du chapitre 1er relatif aux actes de terrorisme du titre II du livre IV du code pénal une nouvelle infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de « théâtres d’opérations de groupements terroristes » (153).
Aux termes du nouvel article 421–2–7 du code pénal, est puni de cinq d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait d’importer, d’exporter, de faire transiter, de détenir, de vendre, d’acquérir ou d’échanger un bien culturel présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique en sachant qu’il provient d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes.
Afin de respecter les principes fondamentaux du droit pénal et les règles européennes en matière de circulation des biens et marchandises, cette incrimination est précisément définie, ne visant que les biens soustraits d’un territoire qui constituait, au moment de la soustraction, un théâtre d’opérations de groupements terroristes et pour lesquels la licéité de l’origine du bien ne peut être justifiée.
Le II a pour objet d’exclure, pour l’application de cette infraction, trois des règles procédurales dérogatoires prévues en matière terroriste.
Les deux premières exclusions sont mises en œuvre par l’introduction d’une référence au délit de trafic de biens culturels provenant d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes à l’article 706-24-1 du code de procédure pénale, qui écarte déjà l’application, pour les délits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme prévus à l’article 421-2-5 du code pénal :
– de l’article 706-88 du code de procédure pénale, qui permet de prolonger la garde à vue jusqu’à quatre jours et de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la soixante-douzième heure en matière de criminalité organisée et, par conséquent, en matière de terrorisme ;
– des articles 706-89 à 706-94 du même code, qui autorisent les perquisitions de nuit.
La troisième règle dont l’application est écartée est celle qui est prévue à l’article 706-25-1 du code de procédure pénale, qui allonge les délais de prescription de l’action publique et des peines à vingt ans pour les délits terroristes.
Les règles procédurales dérogatoires prévues en matière terroriste
Le titre XV du livre IV du code de procédure pénale, intitulé « De la poursuite, de l’instruction et du jugement des actes de terrorisme », et le titre XXV de ce même livre, intitulé « De la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisée », soumettent les infractions terroristes prévues aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal à un certain nombre de règles dérogatoires par rapport aux règles générales de la procédure pénale.
Les principales règles dérogatoires sont les suivantes :
– les articles 706-17 à 706-22-1, qui confient au parquet près le tribunal de grande instance de Paris, à ce tribunal et à la cour d’assises de Paris une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application des règles ordinaires de détermination du parquet et de la juridiction compétents ; cette compétence concurrente permet la centralisation à Paris des affaires complexes et la spécialisation des magistrats sur ce contentieux sensible ;
– l’article 706-25, qui prévoit que la cour d’assises de Paris est composée exclusivement de magistrats professionnels ;
– l’article 706-25-1, qui prévoit des règles particulières en matière de prescription : en matière terroriste, l’action publique des crimes et des délits se prescrit, respectivement, par trente et vingt ans, au lieu de dix et trois ans en droit commun ; les peines prononcées pour ces crimes et délits se prescrivent, respectivement, par trente et vingt ans, au lieu de vingt et cinq ans en droit commun ;
– l’article 706-25-2, qui autorise les enquêtes sous pseudonyme sur internet ;
– l’article 706-80, qui permet aux enquêteurs chargés des enquêtes en matière terroriste d’étendre à l’ensemble du territoire national la surveillance des personnes soupçonnées d’actes de terrorisme ;
– les articles 706-81 à 706-87, qui autorisent le recours à l’infiltration, technique spéciale d’enquête consistant, pour un enquêteur, à « surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs » ;
– les articles 706-88 et 706-88-1, qui permettent de prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à six jours, contre deux en droit commun et quatre en matière de criminalité organisée, et de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la soixante-douzième heure ;
– les articles 706-89 à 706-94, qui autorisent les perquisitions de nuit, alors qu’en droit commun les perquisitions ne sont possibles qu’entre 6 heures et 21 heures ;
– l’article 706-95, qui permet de procéder à des écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, alors que pour les crimes et délits de droit commun le recours aux écoutes n’est possible que dans le cadre d’une instruction ;
– les articles 706-96 à 706-102, qui autorisent le recours aux sonorisations et aux fixations d’images de certains lieux ou véhicules, technique d’enquête consistant à « mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé » ;
– les articles 706-102-1 à 706-102-9, qui permettent la captation de données informatiques par la mise en place d’« un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données ou telles qu’il les y introduit par saisie de caractères » ;
– enfin, l’article 706-103, qui rend possible le prononcé de mesures conservatoires sur les biens des personnes soupçonnées d’actes de terrorisme, afin de « garantir le paiement des amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l’indemnisation des victimes ».
Cette triple exclusion est justifiée par le fait que l’application des règles précitées à des délits qui, bien qu’ils deviennent des délits de nature terroriste, sont fondés sur un élément matériel constitué par un trafic qui n’est pas susceptible de porter atteinte en lui–même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, soulèverait vraisemblablement des difficultés constitutionnelles au regard de la nécessaire proportionnalité que doit respecter le législateur entre la gravité et la complexité des infractions commises et les mesures d’enquêtes mises en œuvre pour rechercher et condamner leurs auteurs.
Dans sa décision n° 2004–492 DC du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel a énoncé que « le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s’impose non seulement pour exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions » (154). En conséquence, il a considéré que « si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que (…) les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées ».
Appliquant ces principes, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2013–679 DC du 4 décembre 2013 sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, considéré qu’en prévoyant la possibilité de prolonger la garde à vue jusqu’à quatre jours et de différer l’intervention de l’avocat jusqu’à la soixante–douzième heure pour des délits qui n’étaient « pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » – en l’espèce, des délits de corruption, de trafic d’influence et de fraude fiscale aggravée – le législateur avait « permis qu’il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (155).
Si le législateur appliquait aux délits de trafic de biens culturels provenant d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes les trois règles dérogatoires prévues pour les infractions terroristes en matière de garde à vue, de perquisitions de nuit et de délai de prescription, il est probable que le Conseil constitutionnel y verrait une rigueur non nécessaire à leur répression. Il n’en va pas de même des autres règles dérogatoires précédemment décrites, qui portent aux libertés individuelles une atteinte de moindre ampleur.
5. Les modifications opérées par votre commission des Lois
À l’initiative de votre rapporteure, la Commission a adopté une précision visant à permettre l’incrimination du « transport » de biens culturels soustraits des zones d’opérations de groupements terroristes.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL241 de Mme Colette Capdevielle, rapporteure.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Cet amendement vise à ajouter à l’alinéa 2 les mots « de transporter » au mot « transiter ».
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL185 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser les théâtres d’opérations concernés par le nouveau délit d’importation illégale de biens culturels afin que la liste en soit fixée par arrêté, et non par la jurisprudence.
Mme la rapporteure. Je comprends l’objectif de cet amendement, mais la définition de ces territoires a été adoptée en miroir de celle qui motive l’interdiction de sortie de territoire prévue à l’article L. 24-1 du code de la sécurité intérieure. Certes, on pourrait a priori croire nécessaire de fixer la liste des zones en question pour garantir la sécurité juridique du dispositif, mais les débats au Conseil d’État ont montré qu’il convient de conserver une certaine souplesse dans la définition de ces « théâtres d’opérations de groupements terroristes », et que ce n’est pas incompatible avec des garanties sérieuses : d’une part, la charge de la preuve repose naturellement sur l’accusation et, d’autre part, la personne poursuivie a la possibilité de prouver la licéité de l’origine du bien. Si l’amendement est maintenu, j’émettrai donc un avis défavorable.
M. Sergio Coronado. Je le maintiens : je suis d’accord pour que cette définition soit souple, mais pas aléatoire, ce qui serait le cas si elle se fondait sur la jurisprudence.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 12 modifié.
La Commission examine les amendements identiques CL29 de M. Philippe Gosselin et CL49 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.
M. Philippe Gosselin. L’amendement CL29 est le premier d’une série qui porte sur le commerce illicite et le lien très souvent avéré qu’il entretient avec le terrorisme. Il faut en effet prévenir davantage la vente d’objets provenant d’actes de vol, de contrefaçon, de contrebande ou de fraude réalisée en violation de la réglementation propre à ces objets.
C’est pourquoi cet amendement vise à modifier l’article 131-21 du code pénal afin de faciliter la répression et de mieux cibler le dispositif en abaissant de cinq à trois ans d’emprisonnement le quantum de la peine au-delà de laquelle la charge de la preuve de la propriété est renversée.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le projet qui nous est soumis traite notamment des sources internationales de financement et des instruments assurant la circulation des fonds auxquels ont recours les mouvements terroristes. La lutte contre le commerce illicite passe nécessairement par des dispositifs efficaces de confiscation des biens issus du trafic. Dans plusieurs cas, la loi présume le lien entre l’infraction et le bien sur lequel porte la confiscation, de sorte que la preuve de l’origine licite de l’acquisition du bien repose sur la personne condamnée. Toutefois, dans sa rédaction actuelle, l’article 131-21 du code pénal applique ce mécanisme aux seules infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement lorsqu’elles ont procuré à leur auteur un profit direct ou indirect. L’amendement CL49 vise à assurer une plus grande efficacité répressive en l’élargissant à toutes les infractions dont la peine encourue est d’au moins trois ans d’emprisonnement.
Mme la rapporteure. Vous proposez d’élargir la peine complémentaire de confiscation à tous les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, au motif que cela permettrait d’inclure les délits de recel. Je vous rappelle néanmoins qu’en vertu de l’article 321-1 du code pénal, le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Autrement dit, votre intention est satisfaite puisque le recel est inclus dans les infractions visées. Je vous propose donc de retirer ces amendements, faute de quoi j’y serai défavorable.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine les amendements identiques CL45 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier et CL111 de M. Philippe Gosselin.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. En droit, le commerce illicite ne fait pas l’objet d’une incrimination spécifique, ce qui semble préjudiciable à l’action des services d’enquête et à l’exercice de poursuites. L’amendement CL45 vise à y remédier.
M. Philippe Gosselin. L’amendement CL111 a le même objet : il est important de prévoir une incrimination spécifique pour le commerce illicite.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. Vous souhaitez créer une infraction autonome de commerce illicite. Je rappelle néanmoins les termes de l’article 321-1 du code pénal : « Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ». La notion de recel permet déjà, selon moi, d’appréhender cette source de financement en incriminant tout à la fois la détention et la transmission des biens concernés. La vente illicite d’un objet relève bien de cette catégorie ; il n’est donc pas nécessaire de créer une nouvelle incrimination.
De surcroît, la question du commerce illicite dépasse les enjeux de lutte contre le financement du terrorisme même si, j’en conviens, il peut constituer l’une de ses sources de financement.
La Commission rejette les amendements.
Elle passe aux amendements identiques CL46 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier et CL112 de M. Philippe Gosselin.
M. Pierre Morel-À-L’Huissier. L’amendement CL46 vise à créer une nouvelle circonstance aggravante au délit de recel prévu à l’article 321-1 du code pénal en visant expressément la vente comme une activité délictuelle. Le receleur qui revend ou qui fait commerce de produits obtenus frauduleusement encourrait ainsi une peine de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende.
M. Philippe Gosselin. L’amendement CL112 a le même objet. Cette mesure présente l’avantage d’adapter la répression du délit de recel à la réalité et à la gravité des réseaux structurés qui existent, et permettrait de mieux s’attaquer à l’économie criminelle.
Mme la rapporteure. La définition que donne le code pénal du recel est suffisamment large et permet d’inclure le commerce illicite. Il paraît donc inutile de prévoir que la vente constitue un délit aggravant, puisqu’elle est l’un des éléments constitutifs du délit de recel.
La Commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques CL28 de M. Philippe Gosselin et CL48 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.
M. Philippe Gosselin. L’amendement CL28 vise à abaisser de cinq à trois ans la peine maximale encourue pour que le délit de non-justification de ressources s’applique, de sorte que de nombreuses situations délictuelles qui échappaient jusqu’à présent à la répression pourront désormais être appréhendées par la justice.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL48 est défendu.
Mme la rapporteure. Ces amendements me semblent n’avoir qu’un rapport assez lointain avec le projet de loi, car ils ne visent pas spécifiquement des infractions qui financent le crime organisé ou le terrorisme. L’article 321-6 du code pénal punit déjà d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien détenu. Est puni des mêmes peines le fait de faciliter la justification de ressources fictives. Dès lors, il me paraît tout à fait prématuré d’aggraver comme vous le proposez les sanctions sans justification particulière, alors même que les juges ne prononcent que rarement les peines maximales.
La Commission rejette les amendements.
Elle est saisie des amendements identiques CL26 de M. Philippe Gosselin et CL52 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.
M. Philippe Gosselin. Pour démontrer une fois de plus le lien qui existe entre la contrefaçon et le terrorisme, l’amendement CL26 vise à ajouter le délit de contrefaçon en bande organisée à la liste des actes de terrorisme au sens de l’article 421-1 du code pénal.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL52 est défendu.
Mme la rapporteure. Avis défavorable. L’article 421-1 du code pénal permet d’incriminer les actes terroristes, notamment les atteintes volontaires à la vie, mais aussi les infractions en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires. La qualification d’« acte terroriste » entraîne l’application d’un certain nombre de règles dérogatoires tenant à la spécificité des juridictions, concernant la prescription et les enquêtes sous pseudonyme, par exemple.
L’application de ces règles aux délits de contrefaçon en bande organisée qui, bien qu’ils puissent contribuer au financement du terrorisme, sont fondés sur un élément matériel et relèvent d’un trafic qui n’est pas susceptible de porter atteinte en lui-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes peut soulever de graves difficultés constitutionnelles au regard de la proportionnalité qu’il convient de respecter entre la gravité et la complexité des infractions et les mesures d’enquête. Je rappelle en outre que la législation actuelle permet déjà d’incriminer de manière substantielle le délit de contrefaçon.
M. Philippe Gosselin. Certes, mais nous visons là le délit de contrefaçon en bande organisée.
La Commission rejette les amendements.
Puis elle examine les amendements identiques CL30 de M. Philippe Gosselin et CL50 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.
M. Philippe Gosselin. L’amendement CL30 est défendu.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL50 l’est également.
Mme la rapporteure. Avis défavorable : l’extension de la peine complémentaire de confiscation aux délits punis d’une peine de cinq ans d’emprisonnement est disproportionnée.
Mme Cécile Untermaier. Nous suivrons naturellement l’avis de la rapporteure sur ces amendements, mais nous estimons que la contrefaçon est un élément majeur du financement du terrorisme, comme la vente illicite de biens culturels. Sans doute serait-il opportun d’envisager d’ici la séance comment cibler cette source de financement.
M. Philippe Gosselin. Je remercie Mme Untermaier de souligner ce point, car la lutte contre la contrefaçon est un objectif partagé sur tous les bancs. Je rappelle que la loi relative à la contrefaçon de 2007 a été adoptée à l’unanimité, de même que la loi de 2014. Il s’agit d’un véritable fléau dont le lien avec le financement du terrorisme et des réseaux mafieux – qui ne sont pas tous terroristes – est de plus en plus avéré. C’est un vrai pillage qui dépasse les seules atteintes à la propriété intellectuelle et industrielle.
J’apprécie donc beaucoup que la majorité et l’opposition s’associent sur ce sujet, et je participerai volontiers aux travaux qui permettront de formuler en séance une proposition sérieuse et susceptible d’envoyer un véritable signal opérationnel.
Mme la rapporteure. Vous avez raison, monsieur Gosselin, mais il existe déjà des sanctions à la disposition des juges.
M. Philippe Gosselin. J’en conviens, mais il faut aller au-delà et envoyer un message ciblé.
Mme Untermaier. En effet, le recel n’est pas la contrefaçon.
Mme la rapporteure. La contrefaçon est déjà incriminée ; or, les juges ne prononcent pas toujours les peines maximales en la matière.
La Commission rejette les amendements.
Article 13
(art. L. 315–9 [nouveau] et L. 561–12 du code monétaire et financier)
Plafonnement des cartes prépayées et modalités de recueil d’informations relatives à l’utilisation de ces cartes
Le présent article prévoit le plafonnement des cartes prépayées, de manière à éviter qu’elles ne fassent l’objet d’utilisations abusives permettant la réalisation de transactions financières indétectables dans le cadre de la criminalité organisée ou du terrorisme. Il permet par ailleurs de soumettre les établissements de crédit et les établissements de monnaie électronique à l’obligation de recueillir et de conserver les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’une carte prépayée.
1. L’instauration d’un plafonnement des cartes prépayées
La monnaie électronique est une valeur monétaire stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement et acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique.
Comme le souligne l’étude d’impact associée au projet de loi, les « cartes prépayées permettent la circulation discrète d’importantes sommes d’argent, avec la possibilité de faire passer le support (similaire à celui d’une carte bancaire) de main en main, y compris par-delà les frontières ». En permettant la circulation de fonds en marge du système bancaire, ces cartes sont donc susceptibles d’être utilisées par des groupes criminels.
Le I du présent article introduit au sein du chapitre V relatif à l’émission et à la gestion de la monnaie électronique du titre Ier du livre III du code monétaire et financier une section 4 intitulée « Plafonnement » qui comprend un article unique L. 315–9 plafonnant la valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d’un support physique.
La valeur monétaire maximale sera fixée par décret, en tenant compte des caractéristiques du produit et des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme que celui–ci présente. Cette disposition est conforme à la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention et à l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, qui a retenu une approche « fondée sur le risque » (156).
Dans son avis sur le présent projet de loi, le Conseil d’État a relevé que « la pleine efficacité de ces mesures, en raison notamment du risque d’importation de cartes prépayées non plafonnées acquises à l’étranger ou d’achat à distance de ces cartes, dépendant de leur combinaison avec l’application des règles, de niveau réglementaire, relatives à la limitation du montant des paiements réalisés au moyen de la monnaie électronique et avec celles, que le Gouvernement envisage d’introduire par voie réglementaire, tendant à imposer une obligation d’identification du client quel que soit le montant chargé sur la carte prépayée. »
2. Les modalités de recueil d’information relatives à l’utilisation de ces cartes prépayées
En application du code monétaire et financier, certaines personnes sont soumises à des obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Aux termes de l’article L. 561–12, et sous réserve de dispositions plus contraignantes, les personnes mentionnées à l’article L. 561–2 conservent pendant cinq ans à compter de la clôture de leurs comptes ou de la cessation de leurs relations avec eux les documents relatifs à l’identité de leurs clients habituels ou occasionnels. Elles conservent également, dans la limite de leurs attributions, pendant cinq ans à compter de leur exécution, les documents relatifs aux opérations faites par ceux-ci, ainsi que les documents consignant les caractéristiques des opérations présentant un risque de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme.
Les personnes soumises à des obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en application de l’article L. 561–2 du code monétaire et financier
– Banques et établissements de crédit ;
– Compagnies d’assurances et intermédiaire d’assurance ;
– Établissements de paiement ;
– Établissements de monnaie électronique ;
– Mutuelles et institutions de prévoyance ;
– Entreprises d’investissement, conseillers en investissements financiers, sociétés de gestion de portefeuille ;
– Banque de France et Institut d’émission ;
– Changeurs manuels ;
– Agents immobiliers ;
– Responsables de casinos, cercles et sociétés de jeux (Pari Mutuel Urbain, Française des Jeux) et opérateurs de jeux en ligne ;
– Experts comptables et commissaires aux comptes ;
– Notaires, huissiers de justice, avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocats, administrateurs et mandataires judiciaires, commissaires-priseurs judiciaires ;
– Opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;
– Marchands de pierres précieuses, de matériaux précieux, d’antiquités et d’œuvres d’art ;
– Sociétés de domiciliation ;
– Agents sportifs.
Le II complète l’article L. 561–12 du même code consacré aux obligations de vigilance à l’égard de la clientèle des établissements financiers :
– le 1° apporte au a) et au b) deux précisions rédactionnelles – les éléments à conserver ne doivent pas seulement être des « documents », comme le prévoit actuellement le droit, mais également les « informations », et ce, « quel qu’en soit le support » ;
– le 2° ajoute un nouvel alinéa imposant aux prestataires de services bancaires et aux établissements de monnaie électronique de recueillir et conserver les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support physique. Un arrêté du ministre de l’économie précise les informations et les données techniques qui sont recueillies et conservées ;
– le 3° procède à une coordination rendue nécessaire du fait de l’ajout d’un nouvel alinéa (par le 2°).
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL229 de la rapporteure.
Puis elle adopte l’article 13 modifié.
Article 14
(art. L. 561–29–1 [nouveau] et L. 574–1 du code monétaire et financier)
Signalement par TRACFIN aux personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme de situations générales et individuelles présentant des risques élevés
Le présent article a pour principal objet de permettre à TRACFIN de signaler aux personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme des situations générales et individuelles présentant des risques élevés de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
1. Les déclarations de soupçon reçues par TRACFIN
Le service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins, connu sous le nom de TRACFIN, a été créé par la loi n° 90–614 du 12 juillet 1990 (157). Initialement institué pour combattre le blanchiment de l’argent de la drogue, ce service du ministère de l’Économie et des finances, a désormais une mission plus large, consistant à lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Pour exercer cette mission, TRACFIN reçoit de la part d’un certain nombre de professions, dont la liste est fixée à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier (158), des informations signalant des opérations financières atypiques, appelées déclarations de soupçon. Ces déclarations sont analysées par le service et peuvent, le cas échéant après la réalisation d’investigations complémentaires, conduire TRACFIN à transmettre une note d’information à l’administration fiscale si l’opération permet de suspecter une fraude fiscale ou au procureur de la République territorialement compétent en cas de suspicion d’une autre infraction.
Le nombre de déclarations de soupçon reçues et analysées par TRACFIN n’a cessé de croître avec les années, passant de 11 553 en 2005 à 36 715 en 2014 (159). Parmi les professions soumises à l’obligation de déclaration, les banques et établissements de crédit sont celles qui en transmettent le plus grand nombre (29 508 en 2014). En revanche, si les notaires commencent à transmettre un nombre croissant de déclarations (1 040), le volume de celles qui proviennent des compagnies d’assurance (1 423), des commissaires-priseurs (26) et des avocats (une seule déclaration) paraît réduit par rapport au volume des transactions douteuses dont ils peuvent avoir connaissance.
Comme l’a souligné notre collègue Yann Galut dans son rapport sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, « s’agissant des avocats, le Conseil national des barreaux et les avocats fiscalistes ont fait valoir, lors de leurs auditions, que les avocats mettaient en œuvre l’obligation de vigilance que la loi met à leur charge par un refus ou une interruption de collaboration lorsqu’ils ont un doute sérieux sur l’origine licite de fonds. Ils font valoir que le secret professionnel qui protège les relations avec leurs clients ne les autoriserait pas à transmettre des déclarations de soupçon à TRACFIN. Cependant, votre rapporteur estime qu’une meilleure participation des avocats au dispositif de déclaration de soupçon à TRACFIN serait sans doute possible, notamment dans les cas où la relation avec le client est uniquement une activité de conseil, à l’exclusion de toute activité de défense, comme cela est fréquemment le cas dans le domaine du conseil fiscal » (160).
2. Les obligations de vigilance mises à la charge de certains professionnels
a. Les obligations standards (articles L. 561–5 et L. 561–6 du code monétaire et financier)
La loi articule deux phases de vigilance pour les professionnels : la première au moment de l’entrée en relation avec la clientèle, la seconde lors du suivi des clients et de leurs opérations.
Les professionnels sont tenus, avant l’entrée en relation d’affaires ou avant d’assister leur client dans la préparation ou la réalisation d’une opération, de procéder :
– à l’identification du client de la relation d’affaires ou de l’opération sollicitée, étant précisé que cet impératif s’étend au bénéficiaire effectif, c’est à dire « la personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, le client ou de celle pour laquelle une transaction est exécutée ou une activité réalisée » (articles L. 561-2-2) ;
− à la vérification de son identité sur la base de tout document écrit probant ;
− au recueil d’informations concernant l’objet et la nature de la relation d’affaires envisagée.
À défaut d’obtention de ces données, le professionnel ne peut nouer la relation d’affaires, ni la poursuivre ou exécuter des opérations.
Il doit ensuite assurer une vigilance constante tout au long de la relation d’affaires permettant ainsi d’avoir une « connaissance actualisée » du client et d’assurer « un examen attentif des opérations » afin d’être en mesure d’évaluer la cohérence de ces dernières et de détecter celles devant faire l’objet d’une déclaration auprès du service TRACFIN.
b. La vigilance renforcée (articles L. 561-10, L. 561-10-1 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier)
Aux termes du I de l’article L. 561–10–2, la mise en œuvre de mesures de vigilance complémentaires par rapport aux obligations standards s’impose en toutes circonstances dans les situations suivantes :
– le client ou son représentant légal n’est pas physiquement présent au moment de l’identification ;
– le produit ou l’opération favorise l’anonymat, sans préjudice de la prohibition absolue des produits anonymes ;
– l’opération pour compte propre ou pour compte de tiers est effectuée avec des personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements domiciliés, enregistrés ou établis dans un État ou un territoire dont la liste est arrêtée par décret ;
– le client répond à la qualification de « personne politiquement exposée », à savoir « une personne résidant dans un autre État membre de l’Union européenne ou un pays tiers et qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives qu’elle exerce ou a exercées pour le compte d’un autre État ou de celles qu’exercent ou ont exercées des membres directs de sa famille ou des personnes connues pour leur être étroitement associées ». L’article R. 561-18 du code monétaire et financier précise les catégories de personnes ainsi concernées non seulement à principal, telles que « les chefs d’État et de gouvernement, les ministres, les parlementaires, les membres des cours suprêmes, constitutionnelles et des comptes, les ambassadeurs » mais aussi celles qui, de par la nature de leurs liens, y sont assimilées.
Le II du même article prévoit que ces personnes effectuent un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d’un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite. Dans ce cas, elles se renseignent auprès du client sur l’origine des fonds et la destination de ces sommes ainsi que sur l’objet de l’opération et l’identité de la personne qui en bénéficie.
À l’issue de cet examen, le professionnel apprécie, en fonction de la pertinence des données recueillies, ou du défaut d’obtention de celles-ci, la nécessité de procéder à une déclaration auprès de TRACFIN (article L. 561–15 du code monétaire et financier).
3. Signalement par TRACFIN des situations générales et individuelles présentant des risques élevés de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme
Afin de renforcer l’efficacité des obligations de vigilance, le I du présent article crée un article L. 561–29–1 permettant à TRACFIN de désigner, pour une durée maximum de six mois renouvelable, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État, aux personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les opérations (eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques qu’elles concernent) (1°) et les personnes (2°) qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
Les personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, de même que le président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et le bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit ne peuvent porter à la connaissance de leurs clients ou à des tiers autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales les informations transmises par TRACFIN dans ce cadre.
Il ne s’agit donc pas de nouvelles mesures de vigilance mises à la charge des personnes soumises au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme mais de permettre à TRACFIN d’appeler leur attention sur des risques précisément identifiés.
Comme l’indique l’étude d’impact, « TRACFIN a déjà réalisé deux appels à vigilance à destination des professionnels assujettis à l’occasion des événements du printemps arabe en 2011 et au regard de la situation politique et sécuritaire en Ukraine en 2014. Ces messages avaient conduit les professionnels déclarants à renforcer l’intensité des mesures de vigilance à l’égard de toutes les opérations financières susceptibles de se rapporter à ces événements et avaient montré leur efficacité (hausse des déclarations de soupçons en lien avec ces problématiques). »
Le II complète l’article L. 574–1 du même code par une disposition aux termes de laquelle la méconnaissance de l’interdiction de divulgation est punie d’une amende de 22 500 euros.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL230 de Mme Colette Capdevielle, rapporteure.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
La Commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL232 de Mme la rapporteure,
Mme la rapporteure. Amendement rédactionnel également.
La Commission adopte l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL186 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à préciser que les territoires mentionnés au nouvel article L. 561-29-1 du code monétaire et financier et la liste des opérations qui seraient considérées comme risquées sont fixés par arrêté, afin de sécuriser les opérateurs concernés.
Mme la rapporteure. Cet amendement est satisfait : aux alinéas 2 à 4, il est précisé que c’est bien TRACFIN qui signale aux personnes soumises aux obligations de vigilance les opérations et les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux. Par ailleurs, l’alinéa 6 indique qu’un décret fixe les modalités d’application de ce nouvel article L. 561-29-1 du code monétaire et financier.
Je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Coronado.
L’amendement CL 186 est retiré.
La Commission adopte l’article 14 modifié.
Article 15
(art. L. 561–26 du code monétaire et financier)
Extension du droit de communication de TRACFIN
Le présent article étend le droit de communication de TRACFIN, qui existe déjà à l’égard des établissements financiers, aux entités (associations, groupements, etc.) chargées de gérer les systèmes de paiement. L’interdiction de divulguer les informations communiquées à TRACFIN s’appliquera également à ces groupements et réseaux.
1. Le droit en vigueur
TRACFIN travaille à partir de deux sources d’information complémentaires :
– les « déclarations de soupçons », transmises par des catégories de professions définies à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier (institutions bancaires, experts comptables, etc.) lorsqu’elles constatent des opérations financières atypiques (161) ;
– les documents conservés par ces professions (article L. 561-26) et par les administrations publiques (article L. 561-27), à l’égard desquels TRACFIN dispose d’un droit d’obtention.
L’article 16 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a élargi ce droit d’obtention aux entreprises de transport et aux opérateurs de voyage ou de séjour. TRACFIN peut leur demander des informations concernant leurs clients et leur parcours, les éléments d’identification des personnes ayant payé ou bénéficié d’une prestation ainsi que les dates, les heures et les lieux de départ et d’arrivée de ces personnes et, s’il y a lieu, les éléments d’information relatifs aux bagages et aux marchandises transportés. Toutes les catégories de transport sont concernées (transport routier, ferroviaire, maritime et aérien). Ce dispositif s’inspire du droit de communication reconnu à l’administration des douanes.
2. L’extension du droit de communication de TRACFIN
Le présent article modifie l’article L. 561–26 du code monétaire et financier sur le droit de communication de TRACFIN.
Au 1° et au 2°, il apporte une précision rédactionnelle en substituant à l’expression « pièces conservées », les mots « documents, informations ou données conservés ».
Au 3°, il ajoute un II ter autorisant TRACFIN à demander aux gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il s’agira par exemple du groupement d’intérêt économique CB ou des sociétés Visa et Mastercard.
Cette disposition a été jugée par le Conseil d’État compatible avec le cadre réglementaire de l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment (162), qui fait obligation aux États membres de veiller à l’accès en temps utile de leur cellule de renseignement financier aux informations financières nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
En conséquence, le 4° étend aux gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait l’interdiction de divulgation prévue par le III de l’article L. 561–26 du code monétaire et financier.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL233 de Mme la rapporteure.
Mme la rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
La Commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 15 modifié.
Article 15 bis (nouveau)
(art. L. 561–27 du code monétaire et financier)
Extension de l’accès des agents habilités de TRACFIN au fichier des antécédents judiciaires
À l’initiative de votre rapporteure, la commission des Lois a adopté un amendement permettant d’élargir l’accès des agents habilités de TRACFIN au fichier des antécédents judiciaires (TAJ).
1. Le droit en vigueur
Aux termes de l’article 230-10 du code de procédure pénale, « les personnels spécialement habilités des services de la police et de la gendarmerie nationales désignés à cet effet ainsi que les personnels spécialement habilités de l’État investis par la loi d’attributions de police judiciaire, notamment les agents des douanes, peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans les traitements de données personnelles d’antécédents judiciaires ».
En l’état du droit, l’accès direct au TAJ par les agents habilités de TRACFIN est possible dans deux hypothèses :
– dans un objectif de recrutement (article L. 234–2 du code de la sécurité intérieure tel que modifié par la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire (163)) ;
– pour les besoins relatifs à l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ainsi que pour les besoins relatifs à la prévention du terrorisme (article L. 234–4 du code de la sécurité intérieure issu de la loi n° 2015-912 sur le renseignement du 24 juillet 2015).
2. Un élargissement de l’accès des agents habilités de TRACFIN au TAJ
L’objet même des lois de 2013 et 2015 précitées a, de fait, limité les possibilités d’accès du service aux missions relatives à la prévention du terrorisme et à l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale. Or, il serait logique de prévoir un accès direct au TAJ pour l’exercice de l’ensemble des missions de TRACFIN, y compris sa mission de lutte contre le blanchiment de capitaux.
TRACFIN est destinataire d’environ 38 000 informations annuelles émanant principalement des professionnels assujettis, lesquels portent à sa connaissance des flux financiers atypiques. L’action de TRACFIN consiste à contextualiser et analyser l’information reçue avant, le cas échéant, de l’enrichir et de l’externaliser, notamment à l’autorité judiciaire dès lors qu’il existe une présomption d’infraction pénale. En effet, l’article L. 561-23 du code monétaire et financier prévoit que « lorsque ses investigations mettent en évidence des faits susceptibles de relever du blanchiment du produit d’une infraction punie d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou du financement du terrorisme (…) le service (…) saisit le procureur de la République par note d’information ». Il est important de souligner qu’alors que la transmission d’information à d’autres services de l’État relève du pouvoir d’appréciation de TRACFIN (article L. 561-29 du code monétaire et financier), celle–ci est obligatoire vis-à-vis de l’autorité judiciaire dès lors que les conditions mentionnées à l’article L. 561-23 sont réunies. 592 transmissions ont ainsi été adressées par TRACFIN à l’autorité judiciaire et aux services de police judiciaire en 2014.
Or, l’activité de contextualisation et d’analyse des flux dès leur réception, ainsi que la nécessaire articulation de l’action de TRACFIN avec celle de l’autorité judiciaire et des services délégués par celle-ci, implique très fréquemment la consultation du TAJ (environ 9 000 consultations annuelles).
Ces consultations s’effectuent actuellement de manière indirecte, à la fois par l’intermédiaire de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et par le biais des trois officiers de liaison police–gendarmerie présents à TRACFIN. Néanmoins, compte tenu de l’augmentation massive et continue du flux d’informations reçus, le système de consultation indirecte trouve ses limites et l’accès direct de TRACFIN au TAJ prévu en matière de prévention du terrorisme ne répond que très partiellement aux besoins de ce service.
Surtout, au stade initial, lorsque TRACFIN reçoit une information financière, il lui est difficile de savoir si les flux portés à sa connaissance sont susceptibles d’être mis en lien avec du financement du terrorisme ou du blanchiment d’une infraction pénale. Seule une consultation du TAJ peut le permettre.
Votre rapporteure a donc déposé un amendement, adopté par la Commission, visant à élargir l’accès des agents habilités de TRACFIN au TAJ pour l’ensemble de ses missions. L’élargissement de cet accès ne contrevient à aucune norme d’ordre constitutionnel ou conventionnel dans la mesure où il est pleinement justifié par les missions du service et où il exclut les données relatives aux personnes enregistrées en qualité de victimes.
Enfin, il est important de rappeler :
– d’une part, que TRACFIN est un service de renseignement spécialisé qui ne peut agir d’initiative (il faut que le service ait été destinataire d’une déclaration ou d’une information de soupçon préalable pour mettre en œuvre des investigations, notamment la consultation du TAJ) ;
– d’autre part, que l’accès au TAJ sera réservé à des agents spécialement habilités et que la traçabilité des consultations sera assurée à la fois par le TAJ et par le système d’information de TRACFIN, appelé STRATRAC.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL234 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement vise à permettre aux agents habilités de TRACFIN d’avoir accès au fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ).
Le principe d’un accès direct au TAJ est d’ores et déjà juridiquement possible dans deux hypothèses : dans un objectif de recrutement ; pour les besoins relatifs à l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ainsi que pour les besoins relatifs à la prévention du terrorisme.
Cet élargissement d’accès demandé par TRACFIN nous paraît pleinement justifié par les missions du service.
Plusieurs garanties sont réunies : TRACFIN est un service de renseignement spécialisé qui ne peut agir d’initiative ; l’accès au TAJ sera strictement réservé à des agents spécialement habilités ; enfin, la traçabilité des consultations sera assurée à la fois par le TAJ et par le système d’information de TRACFIN et les données relatives aux personnes enregistrées en qualité de victimes seront exclues.
M. Jean-Luc Warsmann. J’apporte mon soutien à cette très bonne initiative, madame la rapporteure.
La Commission adopte cet amendement. L’article 15 bis est ainsi rédigé.
Article 16
(art. 415–1 [nouveau] du code des douanes)
Extension en matière douanière du mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds
Le présent article étend en matière douanière le mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds instauré en 2013 pour le délit général de blanchiment afin de renforcer les moyens juridiques de lutte contre le financement du terrorisme.
1. L’introduction en 2013 d’un mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds pour le délit général de blanchiment
L’article 8 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a créé un article L. 324–1–1 du code pénal permettant d’assouplir la preuve du délit de blanchiment. Aux termes de cet article : « Pour l’application des dispositions de l’article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, dissimulation ou de conversion, ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus. »
Comme l’a souligné le rapport de M. Yann Galut sur ledit projet de loi : « Un tel renversement de la charge de la preuve n’est en rien une innovation dans notre droit pénal, qui connaît déjà d’autres cas d’incriminations dont l’un des éléments constitutifs est l’incapacité, pour certaines personnes se trouvant dans des situations précises définies par la loi, à prouver l’origine licite de biens ou de revenus. Tel est le cas, notamment, de l’article 321-6 du code pénal, qui assimile au recel le fait « de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d’une de ces infractions », ainsi que le fait « de faciliter la justification de ressources fictives pour des personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect ». Tel est également le cas du 3° de l’article 225-6 du code pénal, qui assimile au proxénétisme le fait « de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution ». » (164)
La chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas jugé sérieuse la question de la conformité à la Constitution de cet article, dès lors que la présomption d’illicéité n’est pas irréfragable et qu’elle nécessite, pour être mise en œuvre, la réunion de conditions de fait ou de droit faisant supposer la dissimulation de l’origine ou du bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus. (165)
2. L’extension du mécanisme de renversement de la preuve de l’origine illicite des fonds en matière douanière
La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) est chargée de s’assurer du respect de l’obligation de déclaration prévue à l’article 464 du code des douanes, qui s’impose à tout individu franchissant la frontière française avec une somme égale ou supérieure à 10 000 euros (166) conformément à l’article 3 du règlement (CE) n° 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté. Le manquement à l’obligation déclarative constitue un levier important pour les enquêtes administratives et judiciaires en matière de blanchiment et de lutte contre le terrorisme. Sur le fondement de l’article 415 du code des douanes, la DGDDI est également habilitée à constater le délit douanier de blanchiment, constitué dès lors qu’une personne réalise ou tente de réaliser une opération financière entre la France et l’étranger par la voie de l’importation, de l’exportation, du transfert ou de la compensation de fonds provenant directement ou indirectement d’un délit douanier ou d’une infraction à la législation sur les stupéfiants dès lors que cette personne a la connaissance coupable de l’origine des fonds.
Le nombre de dossiers de blanchiment douanier notifiés par la douane en 2015 a progressé de 300 % en un an (167).
Le présent article introduit un nouvel article 415–1 dans le code des douanes aux termes duquel, pour l’application de l’article 415 du même code, les fonds sont présumés être le produit direct ou indirect d’un délit douanier ou d’une infraction à la législation sur les stupéfiants, dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne paraissent obéir à d’autres motifs que de dissimuler les fonds ou une telle origine.
Votre rapporteur estime que ce nouvel article ne contrevient ni aux exigences constitutionnelles ni aux exigences conventionnelles en matière de respect de la présomption d’innocence et de droit à un procès équitable.
Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le législateur peut, à titre exceptionnel, instituer une présomption de culpabilité en matière correctionnelle « dès lors qu’elle ne revêt pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité » (168). De même, la Cour européenne des droits de l’homme admet l’existence de présomptions en matière répressive dès lors qu’elles ne dépassent pas un certain seuil et que les États les enserrent « dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense » (169). Elle veille par ailleurs à ce que les juridictions répressives se gardent de « tout recours automatique aux présomptions » (170).
*
* *
Après le retrait de l’amendement CL 220 de M. Sergio Coronado, la Commission adopte l’article 16 sans modification.
Chapitre V
Dispositions renforçant l’enquête et les contrôles administratifs
Article 17
(art. 78–2–2 du code de procédure pénale)
Dispositions relatives à la fouille des bagages lors d’un contrôle d’identité
Le présent article étend les pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité réalisés en application des articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale. Il introduit la possibilité, pour les officiers de police judiciaire (OPJ) agissant sur réquisition du procureur de la République en application de l’article 78-2-2 du code pénal, de procéder, dans les lieux et pour la période prévus par ce magistrat, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules.
1. Les règles régissant les contrôles d’identité et les fouilles de véhicules
Aux termes de l’article 78-1 du code de procédure pénale, « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées » aux articles 78-2 et suivants du même code.
La compétence pour effectuer ces contrôles appartient aux OPJ et, « sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci », aux agents de police judiciaire et aux agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1 du code de procédure pénale, ce qui inclut la quasi-totalité des militaires de la gendarmerie nationale et des fonctionnaires de la police nationale (171).
a. Les contrôles d’identité
L’article 78–2 du code de procédure pénale pose le cadre général applicable aux contrôles d’identité.
Les contrôles d’identité de police judiciaire, régis par les six premiers alinéas de l’article 78-2, interviennent soit à l’initiative des forces de l’ordre, soit sur réquisition du parquet. Dans le premier cas, ils peuvent concerner toute personne « à l’égard de laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » :
– qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
– ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
– ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;
– ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.
Dans le second cas, l’identité de toute personne peut être contrôlée « sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise (…), dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat ».
Les contrôles d’identité de police administrative sont prévus à l’alinéa 7 : « l’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut (…) être contrôlée (…) pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ».
L’alinéa 8 vise les contrôles d’identité mettant en œuvre la Convention de Schengen de 1990 et ayant pour objet la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière. Ces contrôles peuvent intervenir dans les zones frontalières – dans une bande territoriale de vingt kilomètres – et dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international. Ils tendent à « vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi ». (172)
Tous ces contrôles d’identité peuvent donner lieu à une procédure coercitive de vérification d’identité prévue à l’article 78–3 du code de procédure pénale, en cas de refus ou d’impossibilité de la personne concernée de justifier de son identité (173).
Le régime douanier des contrôles d’identité est moins étendu que celui qui s’applique aux gendarmes et policiers :
– ratione loci, alors que les douaniers ne peuvent procéder qu’au contrôle d’identité des personnes « qui entrent dans le territoire douanier ou qui en sortent, ou qui circulent dans le rayon des douanes », gendarmes et policiers peuvent y procéder sur l’ensemble du territoire ;
– ratione materiae, les gendarmes et policiers peuvent non seulement contrôler l’identité des personnes en lien avec une infraction déterminée (police judiciaire) mais aussi de toutes les personnes afin de prévenir une atteinte à l’ordre public (police administrative).
Le régime des contrôles d’identité est constitutionnellement encadré. Saisi en 1993 d’une loi qui visait à étendre les conditions de mise en œuvre des contrôles et vérifications d’identité, le Conseil constitutionnel a estimé que si « la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle, (…) la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ». Il ajoutait « que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle (…) » (174).
Trois séries de dispositions du code de procédure pénale encadrent aujourd’hui les visites des véhicules effectuées par les officiers de police judiciaire, éventuellement assistés par des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints (175) :
– l’article 78-2-2, sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite d’une série d’infractions (176), dont le Conseil constitutionnel a jugé que la liste « n’est pas manifestement excessive au regard de l’intérêt public qui s’attache à la recherche des auteurs de ces infractions » (177). Cette procédure peut s’accompagner d’un contrôle d’identité de police judiciaire, dans les conditions prévues à l’alinéa 6 de l’article 78-2. Elle doit intervenir pendant une période fixée par le procureur de la République, de vingt-quatre heures au maximum, susceptible d’être prolongée sur décision expresse et motivée ;
– l’article 78-2-3, lorsqu’il existe, à l’égard du conducteur ou d’un passager, « une ou plusieurs raisons de soupçonner » qu’il a commis ou tenté de commettre « un crime ou un délit flagrant » ;
– l’article 78-2-4 « pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ». Cette procédure nécessite « l’accord du conducteur » ou, à défaut, des instructions du procureur de la République. Dans l’attente de ces dernières, le véhicule peut être immobilisé pour trente minutes au maximum. La fouille peut s’accompagner d’un contrôle d’identité de police administrative.
Les agents des douanes disposent d’importants pouvoirs de visite et de contrôle des véhicules dans l’exercice de leurs missions : ainsi peuvent-ils, sur l’ensemble du territoire douanier (aéroport, gare, port, voie publique, etc.), « procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes » pour l’application des dispositions du code des douanes et aux fins de recherche d’une fraude (article 60 du code des douanes).
Étendu, le pouvoir de visite des moyens de transport par les agents des douanes n’en demeure pas moins conditionné à une finalité principale, la recherche de la fraude douanière. Saisie à plusieurs reprises de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article 60 précité aux droits et libertés garantis par la Constitution, la Cour de cassation, refusant de transmettre au Conseil constitutionnel les questions qui lui étaient soumises, a constamment considéré que « le droit de visite exercé par les agents des douanes, qui, sous le contrôle d’un juge, n’autorise aucune mesure coercitive et ne permet le maintien à disposition des personnes que le temps strictement nécessaire aux vérifications effectuées et à leur consignation, répond, sans disproportion, aux objectifs de valeur constitutionnelle de lutte contre les fraudes transfrontalières et les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne » (178).
En présence d’un véhicule situé dans un lieu clos à usage privé ou spécialement aménagé en lieu d’habitation, elle soumet sa fouille au régime de droit commun de la perquisition (179).
À la différence de la perquisition qui s’opère dans un lieu clos à usage privé, généralement le domicile, la visite consiste dans la recherche d’indices dans tous autres endroits qu’un lieu immobilier clos, un véhicule par exemple. Comme pour les contrôles d’identité, policiers et gendarmes peuvent pratiquer des visites de véhicules dans le cadre de leurs missions de police judiciaire ou de manière préventive. En revanche, dans le relatif silence du code de procédure pénale, c’est la jurisprudence qui a précisé le cadre juridique applicable à la fouille de bagages en décidant de l’aligner totalement ou partiellement sur le cadre applicable à la perquisition domiciliaire. (180)
Si les fouilles de bagages pratiquées par les douaniers, qui relèvent des dispositions de l’article 60 du code des douanes (« procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ») sont pratiquées dans les mêmes conditions que celles précédemment exposées pour les véhicules, les fouilles de bagages réalisées par les policiers et les gendarmes ne sont pas explicitement prévues par le code de procédure pénale.
En matière judiciaire et comme pour les véhicules, le régime de la perquisition domiciliaire régit de plein droit la fouille d’un bagage situé dans un lieu clos à usage privé ou dans l’une ses annexes. Dans les autres cas, la doctrine considère que ce régime s’applique principalement pour la détermination de l’agent compétent pour y procéder et l’exigence du consentement : exécution par un officier de police judiciaire ou un agent de police judiciaire après l’accord de l’intéressé en enquête préliminaire (article 76 du code de procédure pénale), sans le consentement de l’intéressé mais seulement par un officier de police judiciaire ou un juge d’instruction en flagrance (article 56 du code de procédure pénale) ou au cours d’une information judiciaire (article 92 du code de procédure pénale) (181) .
En matière administrative, le code de procédure pénale demeure silencieux sur la possibilité de procéder à la fouille préventive de bagages. Lorsque des textes abordent cette question, ils visent généralement d’autres hypothèses comme les palpations de sécurité, la fouille des bagages par des agents de sécurité privée ou les fouilles aéroportuaires.
Si la jurisprudence (182) et certains textes admettent la palpation de sécurité pratiquée par un policier ou un gendarme afin d’écarter tout objet dangereux ou délictueux dont peuvent être porteurs des individus qui font l’objet de contrôles (183), ils n’évoquent pas expressément le cas de la fouille des bagages.
L’article L. 613-2 du code de la sécurité intérieure, qui autorise à « procéder à l’inspection visuelle des bagages à main et, avec le consentement de leur propriétaire, à leur fouille », ne régit que les agents de surveillance privée, habilités à procéder à ces fouilles seulement à l’intérieur des bâtiments ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde (magasins, musées, aéroports, etc.). Ils peuvent également procéder, sous certaines conditions et avec le consentement de la personne, à des palpations de sécurité « en cas de circonstances particulières liées à l’existence de menaces graves pour la sécurité publique ». Des dispositions similaires réglementent les palpations de sécurité, l’inspection visuelle des bagages et leur fouille « pour l’accès aux enceintes dans lesquelles est organisée une manifestation sportive, récréative ou culturelle rassemblant plus de 300 spectateurs » (article L. 613-3 du même code).
Enfin, des dispositions règlent le cas des fouilles exécutées dans certains lieux sensibles accueillant du public, comme les aéroports : l’article L. 6342-2 du code des transports autorise ainsi les policiers, gendarmes et douaniers d’une part, et certains agents de sécurité privée spécialement agréés d’autre part, à « procéder à la fouille et à la visite, par tous moyens appropriés, des personnes, des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules pénétrant ou se trouvant dans les zones non librement accessibles au public des aérodromes et de leurs dépendances ou sortant de celles-ci ».
2. L’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité
Le présent article modifie l’article 78–2–2 du code de procédure pénale.
Au 1°, il introduit la possibilité pour les officiers de police judiciaire, assistés le cas échéant des agents de police judiciaire adjoints, agissant sur réquisition du procureur de la République, de procéder également à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules.
Au 2°, il prévoit une mesure de coordination rendue nécessaire par le 1° et qui apporte les garanties prévues par l’article 78–2–2, à savoir l’établissement d’un procès-verbal en cas de découverte d’une infraction à l’occasion de la fouille ou si la personne le demande, ce procès–verbal devant être transmis sans délai au procureur de la République.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL187 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. L’article 17 étend les pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles d’identité. Il introduit la possibilité pour les officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire adjoints, de procéder, avec l’autorisation du parquet, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules. La liste des infractions permettant de recourir à ce cadre de contrôle et de fouille est très large et aucun élément objectivable n’est nécessaire pour demander d’y procéder.
Rappelons pour finir que l’important recours aux contrôles qui est fait en France est source régulière de critiques, qui portent notamment sur leur caractère discriminatoire.
C’est pourquoi il est proposé de supprimer cet article.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Le champ de cet article est très large, dites-vous ; permettez-moi de rappeler que sont notamment visés les actes de terrorisme, les infractions en matière de prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs ainsi qu’en matière d’armes et explosifs. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette liste n’était pas excessive au regard de l’intérêt public qui s’attache à la recherche des auteurs de ces infractions.
Compte tenu de la nature des infractions visées, de la courte période pendant laquelle la réquisition du procureur peut être donnée et des garanties qui entourent la fouille – un procès-verbal est établi en cas de découverte d’une infraction ou à la demande de la personne concernée, puis transmis sans délai au procureur de la République –, nous y voyons pour notre part un outil extrêmement utile : cet article permettrait de donner une base légale, très encadrée, aux fouilles de bagages, à l’instar de ce qui existe pour les contrôles d’identité et les visites de véhicule.
Je vous suggère donc de retirer votre amendement, monsieur Coronado.
M. Sergio Coronado. Je le maintiens.
La Commission rejette l’amendement CL187.
Puis elle adopte l’article 17 sans modification.
La Commission est saisie de l’amendement CL188 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement porte sur la délivrance d’un récépissé à la suite d’un contrôle d’identité, qui était un des engagements de campagne de l’actuel Président de la République,…
M. le rapporteur. Non !
M. Sergio Coronado.… et que réclament de nombreuses associations, notamment des associations de quartier.
Le projet de loi élargit les possibilités d’opérer des fouilles, lesquelles sont susceptibles de poser les mêmes problèmes que les contrôles d’identité avec toujours la même impossibilité de contester une éventuelle discrimination du fait de l’absence de dispositif de traçabilité.
L’amendement CL188 propose de tester ce récépissé de contrôle ou de fouille dans le cadre d’une expérimentation qui serait conduite dans deux métropoles, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État. Je vous épargne les références au rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et aux différentes décisions de justice qui ont conduit à une condamnation de l’État.
M. le rapporteur. Une lecture attentive des soixante propositions formulées par François Hollande en 2012 ne m’a pas permis de trouver une quelconque trace d’un engagement portant sur le récépissé en tant que tel… En revanche, il est fait mention de la lutte contre les discriminations dans le cadre de toute procédure qui amène les forces de l’ordre à contrôler telle ou telle personne.
J’aimerais rappeler le travail mené à cet effet depuis le début de ce quinquennat : obligation pour les policiers et les gendarmes de porter de manière visible sur leur uniforme leur numéro de matricule, mise en place d’un nouveau code de déontologie de la police nationale depuis le 1er janvier 2014, dispositions prises dans le cadre de la réforme de l’inspection générale de la police nationale, possibilité de déposer des pré-plaintes en ligne.
Enfin, je précise qu’un article de ce projet de loi, que nous examinerons en fin de discussion, vise à généraliser l’utilisation des « caméras-piétons », qui font désormais l’objet d’un consensus dans la police qui n’avait accepté qu’à contrecœur de les utiliser au début de l’expérimentation. C’est par ce genre de disposition, plutôt que par un récépissé, que nous pourrons mieux encadrer contrôles et fouilles.
Je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Sergio Coronado. Je le maintiens.
La Commission rejette l’amendement CL188.
Article 18
(art. 78–3–1[nouveau] et 78–4 du code de procédure pénale)
Retenue en cas de suspicions sérieuses que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste
Le présent article permet aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité, de retenir une personne lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste, le temps nécessaire – mais qui ne peut excéder quatre heures à compter du début du contrôle – à l’examen de sa situation. Ce délai peut permettre une consultation plus extensive de fichiers de police, la vérification de la situation administrative de la personne concernée et la consultation des services à l’origine de son signalement.
1. Le droit en vigueur
Aux termes de l’article 78–3 du code de procédure pénale, si une personne refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité lors d’un contrôle prévu par l’article 78–2 du même code, elle peut, en cas de nécessité, être retenue sur place ou dans le local de police où elle est conduite aux fins de vérification de son identité.
La personne est alors présentée immédiatement à un officier de police judiciaire qui la met en mesure de fournir par tout moyen les éléments permettant d’établir son identité et qui procède, s’il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires. Elle est aussitôt informée de son droit de faire aviser le procureur de la République de la vérification dont elle fait l’objet et de prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix. Lorsqu’il s’agit d’un mineur de dix-huit ans, le procureur de la République doit être informé dès le début de la rétention. Sauf impossibilité, le mineur doit être assisté de son représentant légal.
La personne qui fait l’objet d’une vérification ne peut être retenue que pendant le temps strictement exigé par l’établissement de son identité. La rétention ne peut excéder quatre heures, ou huit heures à Mayotte, à compter du contrôle effectué et le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment.
Si la personne interpellée maintient son refus de justifier de son identité ou fournit des éléments d’identité manifestement inexacts, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, à la prise d’empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l’unique moyen de l’établir.
L’officier de police judiciaire mentionne, dans un procès-verbal, les motifs qui justifient le contrôle, et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer. Ce procès-verbal est transmis au procureur de la République.
Si elle n’est suivie à l’égard de la personne qui a été retenue d’aucune procédure d’enquête ou d’exécution adressée à l’autorité judiciaire, la vérification d’identité ne peut donner lieu à une mise en mémoire sur fichiers et le procès-verbal ainsi que toutes les pièces s’y rapportant sont détruits dans un délai de six mois sous le contrôle du procureur de la République.
Dans le cas où il y a lieu à procédure d’enquête ou d’exécution adressée à l’autorité judiciaire et assortie du maintien en garde à vue, la personne retenue doit être aussitôt informée de son droit de faire aviser le procureur de la République de la mesure dont elle fait l’objet.
La durée de la rétention s’impute, s’il y a lieu, sur celle de la garde à vue.
La procédure de retenue aux fins de vérification du droit au séjour et de circulation
Avant la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, les services de police et de gendarmerie ne disposaient que de la procédure de la vérification d’identité prévue à l’article 78-3 du code pénal, dont la durée maximale est de quatre heures, pour mener à bien l’ensemble des opérations nécessaires au placement en rétention, lorsque l’étranger se trouve dans une situation qui justifie une telle mesure. Cette durée paraissait souvent insuffisante pour faire le point sur la situation administrative exacte de l’intéressé et pour que le préfet puisse éventuellement prendre une décision d’éloignement ainsi que les décisions complémentaires qui peuvent lui être associées.
Cette loi a donc inséré un article L. 611-1-1 dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoyant une nouvelle procédure de retenue aux fins de vérification du droit au séjour et de circulation. Cette retenue, d’une durée maximale de seize heures, peut être déclenchée à la suite de divers contrôles d’identité (ceux prévus par les articles 78-1, 78-2, 78-2-1 et 78-2-2 du code de procédure pénale) ou de titres de séjour (ceux des articles L. 611-1 du CESEDA et 67 quater du code des douanes).
La retenue est entourée de garanties importantes visant à préserver les droits des personnes concernées. En premier lieu, elle est placée sous le contrôle d’un officier de police judiciaire et du procureur de la République, ce dernier étant informé dès son début et pouvant y mettre fin à tout moment. En deuxième lieu, la personne retenue bénéficie de plusieurs droits substantiels :
– le droit à l’assistance d’un interprète ;
– le droit à l’assistance d’un avocat, avec lequel elle pourra s’entretenir 30 minutes dans des conditions garantissant la confidentialité de l’entretien. Elle pourra bénéficier d’une aide juridictionnelle à ce titre ;
– le droit d’être examinée par un médecin, la retenue ne pouvant se prolonger si l’état de santé de l’intéressé s’y oppose ;
– le droit de prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix ;
– le droit d’avertir ou de faire avertir les autorités consulaires de son pays.
2. La retenue en cas de suspicions sérieuses que le comportement d’une personne est lié à des activités à caractère terroriste
a. La pratique de la retenue des personnes faisant l’objet d’une fiche « S »
L’étude d’impact indique qu’il est recommandé aux services de police et de gendarmerie lorsqu’ils contrôlent certaines personnes faisant l’objet d’une fiche dite « S » (Sûreté de l’État) – et notamment d’une fiche S14 (djihadistes revenant d’Irak ou de Syrie) ou S15 (personne suspectée de radicalisation islamiste) – au fichier des personnes recherchées (FPR) (184) de les retenir et d’aviser sans délai le service ayant procédé à leur inscription pour recueillir ses instructions.
Mais cette retenue ne repose stricto sensu sur aucun fondement juridique. En effet, elle n’est pas une retenue ayant pour fin une vérification d’identité au sens de l’article 78–3 du code de procédure pénale.
b. La création d’un cadre légal ad hoc
Le 1° du présent article – en insérant un article 78–3–1 dans le code de procédure pénale – crée un nouveau cas de retenue pour examen de la situation administrative d’une personne à l’encontre de laquelle il existe des « raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ».
Cette retenue doit permettre une vérification d’identité approfondie, par un officier de police judiciaire, qui peut comprendre la consultation de traitements relevant de l’article 26 de la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (185), selon les règles propres à chacun de ses fichiers.
À l’exception du fait que le Procureur doit être obligatoirement prévenu dès le début de la rétention, la procédure relative à cette nouvelle forme de retenue est identique à celle prévue à l’article 78–3 :
– la personne ne peut être retenue que pendant le temps strictement nécessaire à l’accomplissement des vérifications ;
– elle est aussitôt informée de son droit de prévenir à tout moment sa famille. Si des circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui–même la famille ou la personne choisie ;
– la retenue ne peut excéder quatre heures ;
– le procureur de la République peut y mettre fin à tout moment ;
– le mineur de dix–huit ans doit être assisté de son représentant légal, sauf impossibilité ;
– l’officier de police judiciaire mentionne dans un procès–verbal, transmis au procureur de la République, les motifs qui justifient la vérification de situation administrative et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer ;
– dans le cas où une procédure d’enquête ou d’exécution est adressée à l’autorité judiciaire et assortie du placement en garde à vue, la personne retenue doit être aussitôt informée de son droit de faire aviser le procureur de la République de cette mesure ;
– les prescriptions sont imposées à peine de nullité.
Le 2° prévoit que la durée de la rétention s’impute, s’il y a lieu, sur celle de la garde à vue.
Le Conseil constitutionnel a considéré que certaines mesures privatives de liberté organisées à des fins de police administrative ne méconnaissaient pas l’article 66 de la Constitution et ce, même si elles échappaient au contrôle de l’autorité judiciaire dès lors qu’elles étaient :
– nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de préservation de l’ordre public ;
– brèves ;
– consignées par les agents de la police et de la gendarmerie nationale ;
– prises en compte, le cas échéant, dans la durée de la garde à vue (186).
3. Les modifications opérées par votre commission des Lois
À l’initiative de votre rapporteur et de Mme Élisabeth Pochon, votre Commission a adopté plusieurs amendements visant à préciser la rédaction de l’article 18.
De plus, sur proposition de votre rapporteur, la Commission a estimé utile d’adopter un amendement visant à préciser l’objet de la nouvelle retenue administrative introduite par le présent article.
En effet, la rédaction actuelle de l’alinéa 2 de l’article 18 indiquait seulement que la vérification approfondie pouvait comprendre une consultation de traitements relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés selon les règles propres à chacun de ces fichiers. Cette formulation pouvait laisser penser que la retenue pouvait également comprendre d’autres actions de « vérification approfondie » de la part de l’officier de police judiciaire. L’amendement de votre rapporteur visait donc à mieux encadrer cette nouvelle procédure de vérification, au demeurant fort utile, en précisant qu’elle permet :
– de consulter les traitements relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés selon les règles propres à chacun de ces fichiers ;
– d’interroger les services à l’origine du signalement ;
– d’interroger des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.
En outre, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteur permettant d’encadrer la retenue des mineurs en précisant que celui–ci doit être assisté de son représentant légal ou, en cas d’impossibilité dûment justifiée, d’un tuteur désigné par le juge des enfants sur saisine du procureur de la République.
Enfin, sur proposition de M. Sergio Coronado, la Commission a adopté un amendement supprimant l’alinéa 9 qui prévoyait que dans le cas où il y a lieu à procédure d’enquête ou d’exécution adressée à l’autorité judiciaire et assortie du placement en garde à vue, la personne retenue est aussitôt informée de son droit de faire aviser le procureur de la République de la mesure dont elle fait l’objet. En effet, aux termes de l’article 62–3 du code de procédure pénale, « la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République ». Dès lors, la précision apportée à l’alinéa 9 paraissait superfétatoire.
*
* *
La Commission examine deux amendements identiques, l’amendement CL96 de M. Patrick Devedjian et l’amendement CL189 de M. Sergio Coronado.
M. Patrick Devedjian. Mon amendement CL96 est défendu.
M. Sergio Coronado. Mon amendement est identique à celui de mon collègue Devedjian, dont je trouve l’exposé sommaire parfait… L’article 18 permet aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle d’identité, de retenir une personne jusqu’à quatre heures lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste.
Actuellement, rien n’empêche les policiers et les gendarmes de contrôler la situation d’une personne au regard de son inscription dans divers fichiers de sécurité ainsi que du fichier des personnes recherchées (FPR) ; la majorité des personnes recherchées sont d’ailleurs retrouvées à l’occasion d’une consultation de ce fichier.
La procédure hybride proposée par l’article 18 s’appliquerait dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement. Qui plus est, elle ne s’accompagnerait d’aucune garantie pour la personne retenue alors même que la garde à vue pourrait s’appliquer dans ce cas.
Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l’article 18.
M. le rapporteur. J’aimerais repréciser les raisons qui ont motivé l’insertion de cet article dans le projet de loi.
Toutes les dispositions proposées dans ce texte ont pour but de couvrir et d’encadrer par le droit des « angles morts », constatés depuis des années et plus particulièrement au cours de l’année écoulée, autrement dit des situations face auxquelles nos services de police et de la justice perdent toute efficacité car il leur est impossible d’y répondre en l’état actuel du droit.
Les modalités du contrôle d’identité sont encadrées par la loi et il existe un contrôle a posteriori visant à s’assurer qu’il a été effectué de manière conforme à la loi.
Si, à l’issue de ce contrôle d’identité, la découverte d’une infraction permet le placement immédiat en garde à vue, il n’y a pas de difficulté. Mais ce contrôle peut être également l’occasion de s’apercevoir que l’individu fait l’objet d’une de ces fameuses fiches S. Or la fiche S n’est qu’un simple élément de renseignement ; contrairement aux inepties que l’on a pu entendre sur certains bancs de l’Assemblée ou durant certaines campagnes électorales récentes, elle ne saurait constituer en aucun cas un motif suffisant pour placer systématiquement une personne en garde à vue. D’autant qu’une fiche S est constituée d’informations recueillies sur une longue durée ; certains renseignements devenus obsolètes nécessitent des compléments d’information.
M. Patrick Devedjian. Il y a de grandes variations.
M. le rapporteur. De ce fait, elle appelle dans la plupart des cas des vérifications. Cela implique d’interroger d’autres fichiers et des services de police, français ou étrangers. Pendant le temps de ces recherches, il convient de s’assurer que la personne concernée ne s’évanouit pas dans la nature. Elle n’est pas placée en garde à vue…
M. Patrick Devedjian. Elle doit avoir des droits !
M. le rapporteur. Certes, mais pour bénéficier des droits attachés à la garde à vue, il faudrait qu’elle se soumette à un interrogatoire et diverses autres procédures. Dans le cas qui nous occupe, elle est simplement retenue sur place pendant quatre heures au maximum.
M. Patrick Devedjian. Cela n’en est pas moins une atteinte à la liberté d’aller et venir !
M. le rapporteur. Monsieur Devedjian, certains collègues de votre groupe ont proposé une durée bien supérieure.
M. Patrick Devedjian. Peu m’importe : je n’ai pas de mandat impératif !
M. le rapporteur. Au lieu de vous gausser, laissez-moi aller au bout de mon explication. Ceux qui jugent cette mesure inutile ou excessivement attentatoire aux libertés publiques voteront la suppression de cet article ; je me borne à expliquer les raisons pour lesquelles il a été proposé.
Cette durée de retenue sur place de quatre heures maximum doit permettre aux policiers et aux gendarmes de consulter un certain nombre de fichiers. À l’issue de ces recherches, ou bien la personne repart librement, ou bien une garde à vue est prononcée, qui lui donnera tous les droits inhérents à cette procédure, et la durée de cette immobilisation préalable sera intégrée dans le calcul de la durée maximale de la garde à vue.
Si l’on admet le bien-fondé de cette procédure de retenue, il convient de l’entourer de toutes les garanties nécessaires. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé deux amendements à cet article. Le premier vise à préciser expressément l’objet de la retenue : à partir du moment où ce que l’on a le droit de faire pendant ce temps maximal de quatre heures est inscrit dans la loi, on ne peut faire autre chose. Le second vise à trancher la question des mineurs.
J’entends parfaitement que l’on soit opposé au principe même de la mesure, ce qui conduirait à supprimer l’article 18 ; pour ma part, je n’y suis pas défavorable car j’y vois une nécessité, et c’est pourquoi j’ai déposé des amendements qui garantiront les droits des personnes faisant l’objet d’une retenue et éviteront que cette procédure ne fasse l’objet de reproches au regard tant de sa constitutionnalité que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Vous l’aurez compris, mon avis sur les amendements de suppression est défavorable.
M. Patrick Devedjian. Les fiches S sont établies de manière incontrôlée, incontrôlable, voire aléatoire. Une haute autorité – je ne préciserai pas laquelle pour ne pas lui nuire – m’a indiqué que les deux tiers des inscriptions étaient extrêmement discutables.
Ce qui est choquant dans cette procédure, c’est que le seul fait pour ces gens d’être inscrit sur une fiche S vaut réduction de leurs droits : ils pourront être « retenus » pendant quatre heures, autrement dit subir une atteinte à leur liberté d’aller et venir. Il me paraît utile ici, n’en déplaise au Conseil d’État et au Conseil constitutionnel, de rappeler la définition de la liberté telle qu’elle figure à l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Point final !
Je suis scandalisé par la distinction totalement arbitraire opérée par le Conseil constitutionnel entre privation de liberté et restriction de liberté, qui voudrait qu’en dessous de douze heures d’assignation à résidence, il n’y aurait pas d’atteinte aux droits garantis par l’article 66 de la Constitution. Je conteste cette jurisprudence : elle est en contradiction totale avec l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme.
Cette distinction était déjà très discutable quand elle restait du domaine de la théorie. La voilà maintenant intégrée dans la pratique quotidienne des forces de l’ordre, elle est inacceptable : ce sont les libertés individuelles mêmes qui sont mises en cause, sans qu’aucun contrôle ne s’exerce. La personne concernée ne peut même pas savoir pourquoi elle a fait l’objet d’une inscription au fichier S !
Des contentieux devant la juridiction administrative sont en cours et j’ai la conviction que certains recours aboutiront. Je citerai le cas d’une personne qui a été retenue pendant quatre heures et a fait l’objet d’une perquisition simplement parce qu’elle avait montré du doigt un policier, lequel a interprété ce geste comme une menace au motif qu’il simulait un pistolet !
Des conduites aussi banales que celle-ci peuvent aboutir à des mesures attentatoires à la liberté particulièrement graves. La lutte contre le terrorisme est une chose, mais la fin ne justifie par les moyens.
M. le rapporteur. J’aimerais simplement rappeler qu’aux termes de l’article 18, une personne peut faire l’objet d’une retenue « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste ou qu’elle est en relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ». Autrement dit, les personnes potentiellement concernées ne sont pas tous les gens faisant l’objet d’une fiche S mais avant tout ceux relevant d’une fiche S14 – djihadiste revenu d’Irak ou de Syrie – ou S15 – personne soupçonnée de radicalisation islamiste.
M. Patrick Devedjian. Et comment contrôle-t-on cela ? Comment une personne fichée peut-elle vérifier le bien-fondé de son inscription ?
M. le rapporteur. N’oubliez pas que l’article prévoit que le procureur de la République doit être informé sans délai.
M. Sergio Coronado. Ce qui me paraît étonnant, c’est l’assurance de M. le rapporteur quant à la manière dont ces fiches sont établies…
C’est un monde que je découvre et j’ai moins d’expérience que vous. Mais j’ai été particulièrement surpris par un cas dont j’ai été saisi, celui d’un fonctionnaire en poste à l’étranger. Il est parti rejoindre son affectation muni du passeport de service qui lui a été délivré après vérification du ministère de l’intérieur. Le lundi 16 novembre, trois jours après les attentats, il a été convoqué par l’officier de sécurité du poste diplomatique auquel il était rattaché puis renvoyé en France, sans explications, au motif qu’il faisait l’objet d’une fiche S. À l’aéroport, les policiers à qui il a eu affaire lui ont couru après pour l’interroger, tout en reconnaissant qu’ils n’avaient pas grand-chose à lui reprocher. Et depuis qu’il est revenu, il se débat dans les méandres de l’administration. Il ne parvient pas à savoir ce qu’on lui reproche et ignore comme faire supprimer sa fiche S.
Je crois que certains n’ont pas encore mesuré l’étendue des dégâts que la situation que nous vivons provoque – et je ne parle pas seulement des opérations de police administrative mais de l’ambiance générale que tout cela suscite. Il faut bien avoir à l’esprit le fait que ces fiches S sont établies de manière tout à fait subjective et aléatoire.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Cet article pose de multiples questions en termes de respect du droit et plus encore s’agissant des mineurs. Quelle que soit la façon de formuler l’accompagnement dont ils feront l’objet – par un parent, par un tuteur, par une personne mandatée –, leur retenue n’en restera pas moins une mesure d’exception. Même à dix-sept ans trois quarts, une personne reste mineure. Une barrière a été fixée. Selon moi, les mineurs ne doivent absolument pas être concernés par cet article. C’est la raison pour laquelle je voterai ces amendements de suppression.
M. Alain Tourret. Parmi tous les criminels impliqués dans des attentats en 2015, combien faisaient l’objet d’une fiche S ?
M. le rapporteur. Certains terroristes n’étaient pas de nationalité française. Quant à ceux qui l’étaient – sans pouvoir être totalement affirmatif, car il s’agit d’informations relevant du ministère de l’intérieur –, j’ai cru comprendre que la plupart faisaient l’objet d’une fiche S, parfois ancienne dans la mesure où ils avaient quitté le territoire national depuis un moment. Lorsque Salah Abdeslam, franco-belge, a été contrôlé par des douaniers non loin de la frontière belge, après les attentats, l’information selon laquelle il faisait partie des individus dangereux recherchés n’était pas encore parvenue ; on l’a laissé repartir, puisqu’il était en règle… Et pourtant, d’après ce que j’ai compris, il faisait l’objet d’une fiche S.
M. Patrick Devedjian. Autrement dit, ce n’est pas efficace.
M. le rapporteur. Monsieur Devedjian, vous êtes d’une malhonnêteté insigne ! Je suis précisément en train d’essayer de vous expliquer qu’avec ce dispositif, il aurait pu faire l’objet d’une retenue. Et j’avais l’honnêteté intellectuelle d’indiquer que ce n’était pas certain !
M. Patrick Devedjian. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec vous qu’on est nécessairement malhonnête !
M. Alain Tourret. J’ai une autre question : parmi toutes les personnes qui ont fait l’objet de perquisitions ou d’assignations à résidence, sait-on combien faisaient l’objet d’une fiche S ?
M. le président. Je pense que non. Mais cette question a son intérêt dans le cadre du contrôle parlementaire et elle peut donner lieu à des vérifications.
Mme Sandrine Mazetier. Je comprends l’agacement du rapporteur quand il est empêché d’aller au bout de son argumentation, mais il faut qu’il prenne en compte le passé de cette commission et le passé tout court.
Je renverrai l’ensemble de mes collègues à ce qui s’est passé lors de l’avant-dernière campagne pour les élections régionales. Un candidat socialiste a été accusé d’être un délinquant multirécidiviste par des candidats d’une autre liste dont certains avaient accès aux fichiers de police. En réalité, il portait le même nom qu’une personne ayant eu maille à partir avec la maréchaussée. Des homonymes, il y en a beaucoup dans ce pays… N’y a-t-il pas lieu de craindre que certaines personnes ayant le malheur de porter le même nom qu’un individu fiché S ne se trouvent retenues pendant quatre heures ?
M. le président. Madame Mazetier, je comprends vos craintes mais le nom seul ne suffit pas à établir l’identité d’un individu lors de contrôles de police. Des recoupements sont opérés à partir de la date de naissance, qui figure sur les fiches. La seule homonymie ne suffit pas.
M. le rapporteur. Je me souviens parfaitement du cas auquel Mme Mazetier fait référence puisqu’il s’agit d’un élu de mon département. Pour l’exactitude des faits, je dois préciser que c’était la consultation non de fiches S, mais du casier judiciaire qui avait conduit à cette approximation douteuse.
Par ailleurs, l’argument de l’homonymie ne vaut pas spécifiquement pour la retenue : une confusion de personnes peut amener à se retrouver temporairement privé de liberté au moment d’un contrôle, et parfois plus de quatre heures, parce qu’un homonyme fait l’objet d’un avis de recherche, parfois même d’un mandat d’arrêt.
M. Patrick Devedjian. Oui, mais il y a une grande différence : la personne indûment gardée à vue peut exiger des réparations alors que ce n’est pas possible dans le cadre de la retenue !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous sommes face à un problème de fond : il n’est pas possible de priver un individu de liberté sans garanties extrêmement strictes. C’est ce qui explique l’évolution historique de ce processus qui amène à priver quelqu’un de sa liberté : nous n’avons cessé d’année en année de faire en sorte que la garde à vue soit assortie de toutes sortes de garanties, jusqu’au principe du contradictoire. Or le dispositif législatif que nous examinons va encore ouvrir des champs nouveaux.
Nous sommes dans une volonté permanente de ne jamais priver quelqu’un de sa liberté en prenant le risque d’une décision arbitraire. Le risque d’arbitraire est couvert par le processus judiciaire : la rétention administrative d’un étranger sans titre de séjour, par exemple, est accompagnée juridiquement de manière extrêmement forte.
La loi de 2006 a instauré la rétention dans les locaux de police aux fins de vérification d’identité. J’avais déjà contesté ce dispositif au motif qu’il ne saurait y avoir de rétention administrative « sèche ». Je suis troublé de voir à nouveau recourir à cette procédure qui, en la circonstance, n’est plus justifiée par aucun élément concret, mais seulement motivée par la nécessité de vérifier une hypothèse… Qui plus est, ceux qui vérifient sont les mêmes que ceux qui prennent la décision de placer l’individu en rétention. L’intervention du judiciaire, à l’inverse, a le mérite de détacher le fait générateur de la rétention de la décision du placement en rétention.
Ajoutons que la rédaction de l’article 18 est extrêmement complexe. Elle renvoie à des « activités à caractère terroriste » ou à une « relation directe et non fortuite avec une personne ayant un tel comportement ». Les motifs de la rétention sont donc considérablement élargis : il peut s’agir de liens familiaux, voire de simples liens de voisinage. J’estime qu’ils ne sont pas assez précis pour échapper au soupçon d’arbitraire.
Je suis extrêmement gêné par cet article 18. La garde à vue est un dispositif suffisamment « bétonné » pour servir de matière de droit commun pour toute privation de la liberté.
M. le rapporteur. Avant que le président ne mette aux voix ces amendements, j’appelle l’attention de mes collègues sur le fait que s’ils sont adoptés, l’article 18 sera purement et simplement supprimé. Nous n’examinerons pas alors les amendements qui ont fait l’objet de très longues discussions et même, à ce que j’avais cru comprendre, d’un accord.
M. Patrick Devedjian. C’est faire preuve d’honnêteté intellectuelle que de le dire !
M. le président. Chers collègues, je comprends les difficultés que suscite cet article 18 et je n’ai pas de solution. J’appelle simplement votre attention sur le fait que la garde à vue, qui est bel et bien un dispositif protecteur, monsieur Le Bouillonnec, aboutira dans les faits à une retenue d’au moins trois heures, le temps de faire venir un avocat, un médecin, etc.
M. Patrick Devedjian. Robespierre disait : « périssent les colonies plutôt qu’un principe ».
M. le président. Certes, mais il n’a pas bien fini et il n’a toujours pas respecté ce principe à la lettre…
M. Alain Tourret. En tant que président de président du Club des amis de l’Incorruptible, je me permets de rappeler que Robespierre est l’auteur des plus beaux discours en faveur de l’abolition de la peine de mort.
Mme Marie-Françoise Bechtel. En tant que députée de la circonscription de Saint-Just, je ne peux qu’approuver mon collègue.
La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures vingt.
Mme Élisabeth Pochon. Ce déba