N° 3573
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 2016
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930,
PAR M. Boinali SAID
Député
——
ET
ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Sénat : 630 (2014-2015), 317, 318 et T.A. 74 (2015-2016).
Assemblée nationale : 3454.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. MALGRÉ LE RENFORCEMENT DE L’ARSENAL JURIDIQUE CONTRE LE TRAVAIL FORCÉ, CE PHÉNOMÈNE EST ENCORE TROP RÉPANDU 7
A. UN PHÉNOMÈNE DONT LA NATURE, MAIS NON L’AMPLEUR, À CHANGÉ DEPUIS 1930 7
B. AU NIVEAU INTERNATIONAL, UN ARSENAL JURIDIQUE RENFORCÉ QUE LA FRANCE PROMEUT ACTIVEMENT 8
II. LES APPORTS DU PROTOCOLE À LA CONVENTION N°29 DE DE L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL DE 1930 : PRINCIPALES DISPOSITIONS ET APPORTS 11
A. LA DÉFINITION DU TRAVAIL FORCÉ DEMEURE INCHANGÉE, MAIS LE PROTOCOLE INSISTE LA NÉCESSITÉ DE PLANS NATIONAUX DE LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS 11
B. LE PROTOCOLE ACCORDE UNE PLACE PRIVILÉGIÉE À LA PRÉVENTION DU TRAVAIL FORCÉ 13
C. LE RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES VICTIMES ET DE LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE SUBI 14
D. LA FIN DE LA PÉRIODE TRANSITOIRE PRÉVUE PAR LA CONVENTION DE 1930 16
E. L’OBLIGATION DE COOPÉRATION INTERNATIONALE ET L’ENTRÉE EN VIGUEUR DU TEXTE 17
CONCLUSION 19
EXAMEN EN COMMISSION 21
ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 23
ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 25
L’Assemblée nationale est saisie en deuxième lecture du projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail forcé, de 1930.
Plus de 75 ans après l’adoption de ce texte, le travail forcé est encore loin d’être éradiqué. C’est pourquoi la 103ème session de la Conférence internationale du travail, qui a rassemblé, en 2014, les délégués des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des États membres de l’OIT, a procédé à sa révision, afin d’éliminer le travail forcé et d’apporter des réponses efficaces aux nouvelles formes qu’il peut prendre.
La France est un des premiers États à avoir ratifié la Convention n° 29 de l’OIT relative au travail forcé. Notre pays est très engagé dans la lutte contre le travail forcé et la traite des êtres humains. C’est pourquoi il a fortement soutenu la mise à jour de la convention de 1930 par un protocole et a participé aux travaux de révision en commission.
Après avoir rappelé le contexte dans lequel cette révision s’inscrit – le maintien d’une forte proportion de personnes touchées par le travail forcé – et les instruments juridiques existants pour lutter contre ce phénomène, le présent rapport présente le contenu du protocole à la convention n°29 et ses effets attendus.
I. MALGRÉ LE RENFORCEMENT DE L’ARSENAL JURIDIQUE CONTRE LE TRAVAIL FORCÉ, CE PHÉNOMÈNE EST ENCORE TROP RÉPANDU
Le rapport final de la Réunion tripartite d’experts sur le travail forcé et la traite des personnes à des fins d’exploitation au travail (Genève, 11-15 février 2013), indique que « la convention n°29 a été adoptée à une époque où les gouvernements étaient les principales entités qui imposaient des pratiques de travail forcé ».
À partir de l’entrée en vigueur de la convention n°29, on observera un recul progressif du recours au travail forcé du fait des autorités gouvernementales dans les pays concernés par ces pratiques. Un changement de paradigme va alors s’opérer et les pratiques de travail forcé vont alors se concentrer principalement dans les sphères privées et domestiques.
Aujourd’hui, le Bureau international du travail (BIT) estime que 20,9 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont en situation de travail forcé dans le monde (victimes de traite, asservis pour dettes ou travaillant dans des conditions analogues à l’esclavage). Cela concerne 11,4 millions de femmes et de filles et 9,5 millions d’hommes et de garçons. Cela représente environ 3 personnes sur 1 000 dans la population mondiale.
90 % de ces victimes (19 millions) sont exploitées dans l’économie privée et 2 millions de personnes sont exploitées par des États ou des groupes rebelles.
Parmi celles qui sont exploitées par des particuliers ou des entreprises, 4,5 millions subissent une exploitation sexuelle forcée. L’exploitation sexuelle concerne 22 % des victimes tandis que l’exploitation à des fins de main-d’œuvre représente 68 % du total. Le travail domestique, l’agriculture, la construction, la production manufacturée et le spectacle figurent parmi les secteurs les plus concernés. La durée moyenne du temps passé dans le travail forcé varie selon les formes et les régions. L’OIT estime que les victimes passent en moyenne 18 mois dans le travail forcé avant d’être secourues ou d’échapper à leurs exploiteurs.
Le phénomène affecte tout particulièrement les migrants. 44 % des victimes seraient des travailleurs migrants (travaillant souvent mais pas toujours dans l’illégalité) ou des travailleurs saisonniers pauvres qui quittent les campagnes pour les villes, ou se déplacent entre des régions ou des provinces éloignées à la recherche d’un emploi. 29 % des victimes se sont retrouvées à exercer un travail forcé après avoir franchi des frontières internationales, la majorité d’entre elles étant contraintes de se prostituer. 15 % devinrent victimes du travail forcé après s’être déplacées au sein de leur pays, alors que les 56 % restants n’avaient pas quitté leur lieu d’origine ou de résidence.
Le travail forcé affecte d’une manière ou d’une autre chaque pays dans le monde.
Les statistiques de prévalence sont très significatives puisqu’elles indiquent le niveau de risque qu’affrontent les populations des différentes régions. La région ayant la prévalence la plus élevée de travail forcé (c’est-à-dire le nombre de victimes pour 1 000 habitants) est l’Europe centrale et du Sud-Est (hors UE) et la Communauté des États indépendants (4,2 pour 1 000 habitants), suivie par l’Afrique (4 pour 1 000), le Moyen-Orient (3,4 pour 1 000), l’Asie-Pacifique (3,3 pour 1 000), l’Amérique latine et les Caraïbes (3,1 pour 1000) et les économies développées et l’Union européenne (1,5 pour 1 000). L’Asie détient le record en chiffres absolus (plus de la moitié du total des victimes), suivie par l’Afrique et l’Amérique latine. Les victimes se recrutent fréquemment dans les groupes minoritaires ou socialement marginalisés, à l’instar de nombreuses régions d’Asie du Sud, d’Afrique ou d’Amérique latine.
Enfin, le travail forcé génère 150 milliards de dollars de profits illicites chaque année. Il constitue une concurrence déloyale pour les industries et les entreprises et entraine de lourdes pertes pour les États, sur la fiscalité et les contributions aux régimes de sécurité sociale.
Les problématiques relatives au travail forcé sont étroitement liées à la traite des êtres humains, laquelle fait partie des priorités de la diplomatie française.
La France est très engagée dans la lutte contre la criminalité organisée et toutes les formes de trafic, au sein desquelles la traite des êtres humains constitue une forme particulièrement inacceptable, en ce qu’elle est aussi une violation des droits de l’Homme et de la dignité humaine. La lutte contre la traite des êtres humains constitue donc une priorité française en matière de protection et de promotion des droits de l’Homme. La France veille à son traitement par les principales enceintes internationales ainsi qu’à la cohérence des mandats des différentes institutions internationales ou régionales.
La France a ratifié les instruments internationaux pertinents : la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée dite « Convention de Palerme » de 2000 ainsi que son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ; la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains de 2005. La France est également partie aux différentes conventions de l’OIT sur le travail forcé et à la Convention internationale des droits de l’enfant, dont un des protocoles facultatifs concerne la traite des enfants.
La France est très active dans la promotion de ces instruments par un plaidoyer en faveur de leur mise en œuvre et le soutien à l’action des organisations et des instances internationales sur cette thématique, en particulier au Conseil des droits de l’Homme, à l’Assemblée générale des Nations unies, à la Commission des Nations unies pour la prévention du Crime et la Justice pénale, à l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ainsi qu’au Conseil de l’Europe.
Au Conseil des droits de l’Homme, la traite des êtres humains est abordée sous l’angle des formes contemporaines d’esclavages et du trafic des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants. Des mandats de rapporteurs spéciaux ont été créés pour le suivi de ces thématiques (dès 2004 pour le trafic des êtres humains en particulier les femmes et les enfants et en 2007 pour les formes contemporaines d’esclavage). Le mandat du rapporteur spécial sur la traite des êtres humains en particulier les femmes et les enfants a été renouvelé pour trois ans en 2014 (résolution 26/8). La France a apporté son co-parrainage à ces initiatives et encourage tous les Etats à coopérer pleinement avec ces mécanismes.
En 2006, 2009, 2012 et 2013, la France a soutenu les résolutions portant sur l’amélioration de la coordination de l’action contre la traite des personnes et ses autres résolutions sur la traite des personnes. Elle a également soutenu en 2012 et 2014 la résolution « Traite des femmes et des filles » et la résolution « Mémorial permanent et commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves » de 2013 et 2014 ;
A l’Assemblée générale des Nations unies, la France, avec l’Union européenne, a soutenu l’initiative du Portugal, du Cap Vert et de la Biélorussie d’un Plan d’action mondial contre la traite des êtres humains, adopté en 2010 (résolution 64/293), qui vient renforcer le travail engagé par le Conseil des droits de l’Homme et le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme et qui a créé un fonds fiduciaire pour l’assistance aux victimes.
L’éradication de la traite des êtres humains est en outre incluse dans les Objectifs de Développement Durable (ODD n°8, en particulier sa cible 5 : « Prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé, mettre fin à l’esclavage moderne et à la traite d’êtres humains, interdire et éliminer les pires formes de travail des enfants, y compris le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats et, d’ici à 2025, mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes »).
Au sein de la Commission des Nations unies pour la prévention du Crime et la Justice pénale, organe subsidiaire du Conseil économique et social, la France mène un plaidoyer constant en faveur de la lutte contre la traite : déclarations nationales, soutien à des résolutions, promotion de la création d’un mécanisme d’examen (associant les ONG) pour la Convention de Palerme qui permettrait de renforcer sa mise en œuvre et celle de ses protocoles, organisation et participation à des ateliers. Cette action s’accompagne d’un financement d’actions de coopération conduites par l’Office des Nations unies contre la Drogue et le Crime.
Au Conseil de l’Europe, la France, en tant que membre fondateur, État-hôte et grand contributeur, attache une grande importance aux valeurs défendues par le Conseil, la démocratie, les droits de l’Homme et l’état de droit. La France a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.
Cette Convention, qui affirme que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine et constitue une atteinte à la dignité et à l’intégrité de l’être humain, met la victime au cœur du dispositif de lutte. Elle vise toutes les formes et types de traite (nationale, transnationale, liée ou non au crime organisé, aux fins d’exploitation) au titre de son champ d’application, notamment aux fins des mesures de protection des victimes et de la coopération internationale. Par ailleurs, la Convention met en place un mécanisme de contrôle, afin d’assurer une mise en œuvre efficace de ses dispositions par les Etats parties. Le Conseil de l’Europe s’est ainsi doté d’un organe conventionnel, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), qui a pour mission de veiller à la bonne application de cet instrument juridique. La France coopère activement avec le GRETA et a reçu sa visite en 2012 dans le cadre de l’évaluation de notre pays.
L’Union européenne a enfin adopté une approche globale de lutte contre la traite des êtres humains.
Pour coordonner les efforts des Etats-membres, la stratégie de l’UE 2012-2016 en vue de l’éradication de la traite définit ainsi 40 mesures concrètes contre le trafic des êtres humains, avec une priorité portée aux droits des victimes.
La Commission européenne signale aussi l’importance de l’application de la directive 2004/81/CE sur les titres de séjour délivrés aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains.
La directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes détermine une série de règles communes pour qualifier les délits relatifs à la traite des êtres humains et leur répression et établit des mesures permettant de mieux lutter contre ce phénomène et de renforcer la protection des victimes.
En outre en septembre 2014, la Commission européenne a proposé au Conseil de l’UE que les États membres soient autorisés à ratifier le nouveau protocole relatif à la convention sur le travail forcé de l’Organisation internationale du travail (OIT).
II. LES APPORTS DU PROTOCOLE À LA CONVENTION N°29 DE DE L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL DE 1930 : PRINCIPALES DISPOSITIONS ET APPORTS
Le protocole à la convention n° 29 sur le travail forcé de 1930 comporte douze articles.
La Convention n° 29 et le Protocole 2014 sont complétés par la Recommandation n° 203 sur le travail forcé (mesures complémentaires), de 2014, instrument juridiquement non-contraignant.
A. LA DÉFINITION DU TRAVAIL FORCÉ DEMEURE INCHANGÉE, MAIS LE PROTOCOLE INSISTE LA NÉCESSITÉ DE PLANS NATIONAUX DE LUTTE CONTRE LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS
L’article 1 paragraphe 3 du Protocole réaffirme la définition du travail forcé ou obligatoire figurant à l’article 2 de la convention n° 29 : « le terme de travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de son plein gré ».
Selon le Bureau international du travail, cette définition englobe toutes les formes de travail ou service, qu’il soit formel ou informel, légal ou illégal. Elle couvre toutes les formes d’exploitation résultant de la traite telle que définie par le Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000) à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (2000), à l’exception de la traite à des fins de prélèvement d’organes, ainsi que l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage tels que définis par la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage (1956).
L’OIT a retenu un faisceau de 11 indicateurs qui permettent de reconnaître une situation de travail forcé :
– la rétention de salaire ;
– la servitude pour dette ;
– l’intimidation et la menace ;
– l’isolement ;
– la restriction de la liberté de mouvement ;
– l’abus de vulnérabilité ;
– la tromperie ;
– la violence physique ou sexuelle ;
– les heures supplémentaires excessives ;
– les conditions de vie et de travail abusives ;
– la confiscation des papiers d’identité.
Selon l’article 1 paragraphe 3, les mesures nationales doivent inclure une action spécifique contre la traite des personnes à des fins de travail forcé ou obligatoire. La question de la traite des personnes n’était pas abordée dans la convention n° 29.
À titre liminaire, on rappellera que la France s’est dotée d’un arsenal juridique renouvelé en matière de lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation depuis la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France. Celle-ci a notamment créé l’infraction de traite aux fins de travail forcé à l’article 225-4-1 du code pénal.
En outre, la France dispose d’un plan national de lutte contre la traite des êtres humains pour la période 2014-2016 qui a été élaboré par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, créée par le Gouvernement en janvier 2013. Ce plan a été adopté, en mai 2014, par un Conseil des ministres, qui a également désigné la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) comme rapporteur national indépendant sur la traite des êtres humains.
Ce plan qui intègre les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) « pose pour la première fois les fondements d’une politique publique transversale de lutte contre la traite des êtres humains sous toutes ses formes d’exploitation : proxénétisme, réduction en esclavage, servitude domestique, soumission à du travail ou des services forcés, trafics d’organes, mendicité forcé, contrainte à commettre des délits ».
Ce plan se décline autour de trois grandes priorités : premièrement, identifier et accompagner les victimes, deuxièmement, poursuivre et démanteler les réseaux de la traite et troisièmement, faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière.
Comme le rappelle le rapport présenté par le sénateur Gaëtan Gorce sur le présent projet de loi, les 23 mesures de ce plan, qui trouvent une application dans le domaine de la traite aux fins de travail forcé, ont notamment pour objet d’identifier les victimes pour mieux les protéger, de donner de la sécurité aux victimes, d’assurer une protection inconditionnelle des mineurs victimes, de mobiliser de façon concertée tous les moyens d’enquête contre les réseaux ainsi que de renforcer la coopération européenne et internationale. La plupart de ces mesures ont été mises en œuvre ou sont sur le point de l’être.
Par ailleurs, la circulaire du 22 janvier 2015 de politique pénale en matière de lutte contre la traite des êtres humains encourage le recours à la qualification de traite des êtres humains, ainsi que le cumul de qualifications complémentaires, notamment celle de travail forcé, si celle-ci a connu un début de réalisation.
L’article 2 du Protocole décline le contenu des mesures de prévention du travail forcé que les États membres doivent prendre :
– l’éducation et l’information des personnes considérées comme particulièrement vulnérables, de la population et des employeurs ;
– l’élargissement du champ d’application et du contrôle de la législation applicable en matière de prévention du travail forcé en vue de couvrir tous les travailleurs et tous les secteurs ;
– le renforcement des services de l’inspection du travail et autres services chargés de faire appliquer la législation relative à la prévention du travail forcé ;
– la protection des personnes, en particulier, les travailleurs migrants, contre des pratiques abusives ou frauduleuses au cours du processus de recrutement et de placement ;
– l’appui à la diligence raisonnable dont doivent faire preuve les secteurs publics et privés pour prévenir les risques de travail forcé et y faire face ;
– et l’action contre les causes profondes et les facteurs qui accroissent le risque de travail forcé.
Par ailleurs, la Recommandation n° 203 précitée invite les États membres notamment à :
– établir et/ou renforcer les politiques et plan d’actions nationaux, les capacités des autorités compétentes (inspection du travail, institutions judiciaires, organismes nationaux) ;
– collecter, analyser et diffuser des informations et des données statistiques en garantissant le respect du droit à la protection de la vie privée s’agissant des données personnelles ;
– prendre des mesures préventives qui comprennent le respect, la promotion et la réalisation des principes et droits fondamentaux au travail ; la promotion de la liberté syndicale et de la négociation collective ; des programmes visant à combattre la discrimination ; des initiatives de lutte contre le travail des enfants ;
– prendre d’autres mesures préventives telles que des campagnes de sensibilisation ciblées (moyens de défense existants, sanctions encourues etc.) ; des programmes de formation professionnelle destinés aux populations à risque ; des services d’orientation et d’information pour les migrants ;
– et à orienter et à appuyer les employeurs et les entreprises afin qu’ils prennent des mesures efficaces pour identifier, prévenir et atténuer les risques du travail forcé.
Sur ce point, s’agissant de l’extension de la compétence des services de l’inspection du travail, il conviendra de modifier l’article L.8112-2 du code du travail qui donne la liste des infractions que les inspecteurs du travail sont habilités à constater pour y inclure expressément, notamment l’infraction de travail forcé créée par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 précitée.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur, cette modification serait en cours.
En effet, l’article 261 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité de chances économiques, dite loi Macron, a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures visant notamment à renforcer le rôle de surveillance et les prérogatives du système d’inspection du travail et qu’actuellement, des consultations officielles sont diligentées en vue de présenter un texte au Conseil d’État en début d’année 2016.
L’article 3 oblige les États membres à prendre des mesures efficaces en vue d’identifier, libérer et protéger toutes les victimes du travail forcé. Ils doivent également prendre des mesures pour permettre le rétablissement et la réadaptation des victimes, ainsi que pour leur prêter assistance et soutien sous d’autres formes.
Aux termes de l’article 4 paragraphe 2, les victimes du travail forcé doivent être protégées des poursuites et des sanctions pour avoir pris part à des activités illicites, sous la contrainte, et qui seraient une conséquence directe de leur soumission au travail forcé.
La Recommandation n° 203 précitée invite les États membres à :
– déployer des efforts ciblés pour identifier et libérer les victimes ;
– ne pas subordonner les mesures de protection à la volonté des victimes de coopérer dans le cadre d’une procédure pénale ou autre et à encourager les victimes à coopérer à l’identification et à la condamnation des auteurs d’infraction ;
– reconnaître le rôle et les capacités des organisations de travailleurs et autres organisations intéressées en matière d’appui et d’assistance aux victimes du travail forcé ;
– prendre les mesures nécessaires pour que les autorités compétentes ne soient pas tenues d’engager des poursuites ou d’imposer des sanctions à l’encontre de victimes de travail forcé pour avoir pris part à des activités illicites qu’elles auraient été contraintes de réaliser et qui seraient une conséquence directe de leur soumission au travail forcé ;
– prendre des mesures pour éliminer les abus et les pratiques frauduleuses des agences d’emplois ;
– prendre des mesures adaptées aux besoins de toutes les victimes (assistance immédiate, rétablissement et réadaptation à long terme) ;
– et prendre des mesures de protection destinées aux enfants victimes de travail forcé ainsi qu’à l’intention des travailleurs-migrants victimes du travail forcé, quel que soit leur statut juridique sur le territoire national.
L’article 4 paragraphe 1 oblige les États membres à veiller à ce que les victimes, indépendamment de leur présence ou de leur statut juridique sur le territoire national, aient effectivement accès à des mécanismes de recours et de réparation appropriés et efficaces, tels que l’indemnisation. Les victimes de la traite aux fins de travail forcé notamment sont le plus souvent retournées dans leur pays d’origine au moment où elles pourraient demander réparation du préjudice subi.
En France, un mécanisme d’indemnisation existe déjà.
Outre l’indemnisation par l’auteur de l’infraction, lorsque celui-ci est identifié et solvable, lorsqu’une personne est victime d’une infraction ayant entrainé un préjudice corporel correspondant à une ITT (incapacité temporaire de travail) supérieure ou égale à un mois, elle peut être indemnisée par la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI). Une telle commission siège au sein de chaque tribunal de grande instance et statue sur les demandes d’indemnisation présentées par les victimes d’infractions ou leurs ayants droit.
Cette commission est en mesure d’indemniser les atteintes graves aux personnes qui ont été victime :
– d’un fait ayant entraîné une incapacité (permanente ou totale) de travail d’un mois minimum, la mort d’un proche à la suite d’une atteinte grave ;
– d’un viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle sur un mineur ;
– de la traite des êtres humains.
Les sommes allouées sont versées par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.
La Recommandation n° 203 précitée invite les États membres à s’assurer notamment que toutes les victimes ont également accès aux régimes d’indemnisation appropriés existants, bénéficient d’information et de conseil au sujet de leurs droits et des services disponibles, dans une langue qui leur est compréhensible et d’un accès à une assistance juridique, de préférence gratuite.
L’article 7 formalise l’expiration de la période transitoire qui figure dans la convention sur le travail forcé n° 29 de 1930. Dans le contexte colonial de l’époque, les négociations s’étaient achevées avec l’introduction d’une autorisation de recourir au travail forcé sous certaines conditions pendant une période transitoire.
En pratique, la période transitoire n’était plus applicable depuis de nombreuses années. En effet, en 2004, la Conférence internationale du travail a retiré du corpus normatif de l’OIT, la recommandation n° 36 sur la règlementation du travail forcé, de 1930. Cet instrument donnait des orientations aux mandants de l’OIT sur les conditions et la réglementation du recours au travail forcé. Plus récemment, l’étude d’ensemble sur les instruments relatifs au travail forcé réalisée en 2007 par l’OIT a confirmé ce positionnement de « non-applicabilité » des dispositions transitoires : « puisque la convention, adoptée en 1930, exige la suppression du travail forcé dans le plus bref délai possible, il n’apparaît plus possible d’invoquer ces dispositions transitoires dans la mesure où cela serait contraire à l’objet de la convention. Se prévaloir aujourd’hui de ces dispositions reviendrait à méconnaître la fonction transitoire de celles-ci et ne serait pas conforme à l’esprit de la convention ». Par la suite, en 2010, le Bureau international du travail a confirmé la non-applicabilité de la période transitoire en faisant savoir qu’il ne demanderait plus d’information au titre des dispositions transitoires, celles-ci n’étant plus applicables.
L’article 7, à haute valeur symbolique, supprime donc logiquement l’article 1er paragraphes 2 et 3 selon lequel le travail forcé « pourra être employé, pendant la période transitoire, uniquement pour des fins publiques et à titre exceptionnel ». Par coordination, les articles 3 à 24, qui découlaient de l’acceptation de cette période transitoire et qui règlementaient les conditions de recours au travail forcé ainsi que les garanties accordées en contrepartie, sont également supprimés.
Les dispositions transitoires contenues aux articles 1 (paragraphes 2 et 3) et 3 à 24, couvrent des champs différents. L’article 1 paragraphe 2 est celui qui introduit cette notion de période transitoire : « En vue de cette suppression totale, le travail forcé ou obligatoire pourra être employé, pendant la période transitoire, uniquement pour des fins publiques et à titre exceptionnel, dans les conditions et avec les garanties stipulées par les articles qui suivent ». Par conséquent, sa suppression constitue l’avancée la plus significative et symbolique. Les dispositions contenues aux articles 3 à 24 pour leur part de situations spécifiques issus de cette acceptation d’une période transitoire, ainsi leur suppression relève d’avantage d’une cohérence textuelle du fait de la suppression de l’article 1, paragraphes 2et 3. Ces dispositions concernent : la responsabilité de toute décision de recourir au travail forcé ou obligatoire (art8), des conditions nécessaires pour permettre le recours au travail forcé (art 9), des conditions dont doit s’assurer l’autorité lorsque le travail forcé ou obligatoire sera demandé à titre d’impôt et lorsque le travail forcé ou obligatoire sera imposé, par des chefs qui exercent des fonctions administratives (art 10), de la période maximum pendant laquelle un individu quelconque pourra être astreint au travail forcé ou obligatoire (art 12), etc.
L’article 5 oblige les États membres à coopérer pour assurer la prévention et l’élimination du travail forcé sous toutes ces formes.
La Recommandation n° 203 précitée invite les Etats membres notamment à renforcer :
– la coopération internationale entre les institutions chargées de l’application de la législation du travail ;
– l’entraide judiciaire ;
– la coopération pour combattre et prévenir le recours au travail forcé par le personnel diplomatique ;
– l’assistance technique mutuelle comprenant l’échange d’informations et la mise en commun des bonnes pratiques et des enseignements tirés de la lutte contre le travail forcé ;
– et à mobiliser des ressources pour les programmes d’action nationaux ainsi que pour la coopération et l’assistance techniques internationales.
Enfin, l’article 8 relatif à la ratification du Protocole, prévoit que celui-ci entre en vigueur douze mois après que les ratifications de deux membres ont été enregistrées par le Directeur général du Bureau international du travail.
Pour mémoire, la convention 29, qui figure parmi les conventions fondamentales de l’OIT, a été ratifiée par 178 États membres. Parmi les 8 États membres ne l’ayant pas ratifiée figurent la Chine, la République de Corée et les États-Unis.
Le protocole additionnel de 2014 à la convention n° 29 de l’OIT sur le travail forcé a initialement été adopté lors de la 103e session de la conférence du travail par 437 votes pour, 8 votes contre et 27 abstentions.
Le 9 décembre 2015, le texte avait été transmis en vue d’une ratification aux autorités compétentes de 43 États, dont la France. Il entrera en vigueur un an après la deuxième ratification, le 9 novembre 2016.
Les articles 9 à 11 contiennent des dispositions classiques relatives à la dénonciation du Protocole et aux obligations du Directeur général du Bureau international du travail en matière de notification et de communication de ratifications, de déclarations et de dénonciations.
Selon l'article 12, les versions anglaise et française du protocole font également foi.
Ce texte vient utilement compléter le corpus juridique destiné à lutter au niveau international contre le travail forcé.
Sa ratification entrainera une amélioration de la protection sociale des victimes du travail forcé, leur indemnisation par les tribunaux, le renforcement des services de l’inspection du travail et autres services chargés de faire appliquer la législation relative au travail forcé lorsque cela est nécessaire. De même, la protection des travailleurs qui recourent à des services de recrutement et de placement contre les abus et les pratiques frauduleuses sera renforcée
À ce jour, l’instrument n’est pas encore en vigueur. Il n’a été ratifié que par deux États, le Niger (14 mai 2015) et la Norvège (9 novembre 2015).
Ainsi, la France figurera parmi les premiers pays à ratifier ce nouvel instrument juridique, témoignant de son engagement dans la lutte contre ce fléau.
Votre rapporteur émet donc un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi.
La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mardi 15 mars, à 16h30.
Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.
M. François Rochebloine. Merci à notre rapporteur pour la présentation de ce texte sur le travail forcé. Cependant, il est question dans le texte de travail « forcé ou obligatoire » ; or, le titre du texte ne mentionne que le travail forcé. Pourquoi en est-il ainsi ?
Par ailleurs, il est agréable de constater que la France fait partie des premiers Etats à ratifier ce texte.
Une dernière question : l’article 12 fait mention des versions « anglaise et française ». Pourquoi pas : « française et anglaise » ?
M. Paul Giacobbi, président. Les langues sont citées dans l’ordre alphabétique.
M. Boinali Said, rapporteur. L’expression « travail forcé ou obligatoire » est celle employé dans le texte des années trente. Elle a simplement été reprise dans celui-ci.
M. François Rochebloine. Dans ce cas, il aurait fallu la faire figurer dans le titre.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 3454) sans modification.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Néant
TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930, adopté à Genève le 11 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
NB : Le texte du protocole figure en annexe au projet de loi (n° 3454).
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