N° 3758
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mai 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE sur la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne,
Par M. Patrick BLOCHE,
Député.
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 3713 et 3712.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LES INITIATIVES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE DROIT D’AUTEUR 7
II. LES OBJECTIFS DE LA PRÉSENTE PROPOSITION DE RÉSOLUTION 11
A. POUR LE MAINTIEN DES ÉQUILIBRES DE LA DIRECTIVE « SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION » DE 2001 11
B. POUR L’ENCADREMENT DE LA RÉFORME EN COURS DANS DE STRICTES LIMITES 13
C. POUR UNE RÉFLEXION ACCRUE EN VUE D’UN MEILLEUR PARTAGE DE LA VALEUR AU SEIN DE LA CHAÎNE CULTURELLE 14
TRAVAUX DE LA COMMISSION 17
La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation est saisie de la proposition de résolution européenne sur la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne (1), présentée par nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard et adoptée par la commission des Affaires européennes de notre assemblée le 3 mai dernier (2).
Cette proposition de résolution européenne, déposée en application de l’article 151-2 du règlement, a été renvoyée à notre Commission qui disposait d’un délai d’un mois pour déposer un rapport sur le texte. À défaut, cette proposition de résolution aurait été considérée comme adoptée tacitement.
Devant l’importance des enjeux soulevés par les initiatives prises par la Commission européenne depuis plusieurs mois, notre Commission ne pouvait se contenter d’une telle adoption tacite et, de la même manière qu’elle s’était saisie avec vigueur en 2013 de la question du respect de l’exception culturelle dans le cadre des négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis (3), elle a souhaité par le présent rapport apporter tout son soutien à l’excellente proposition de résolution adoptée par la commission des Affaires européennes et permettre à l’Assemblée nationale d’exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles en matière européenne.
Notre Commission a toujours été particulièrement attentive à la question de la protection des droits d’auteur au niveau européen ; en juin 2015, elle a même publié, avec la Commission de la culture et des médias du Bundestag, une Communication sur l’avenir des droits d’auteur en Europe, à l’issue de deux journées de travail communes à Paris (cf. encadré infra). Ce texte marque ainsi, au niveau parlementaire, l’unité du couple franco-allemand sur ces questions, de la même manière que les gouvernements des deux pays ont eu l’occasion de le faire au sein du Conseil des ministres franco-allemand qui a adopté une déclaration conjointe sur le droit d’auteur en Europe le 7 avril dernier (4).
Communication commune sur l’avenir des droits d’auteur en Europe
de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale et de la commission de la Culture et des Médias du Bundestag, 3 juin 2015
La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale, présidée par M. Patrick Bloche, et la commission de la Culture et des Médias du Bundestag, présidée par M. Siegmund Ehrmann,
après s’être rencontrées à Berlin en décembre 2014, se sont à nouveau réunies à Paris les 2 et 3 juin 2015 afin de poursuivre leurs échanges sur les questions culturelles d’actualité dans leurs deux pays et au sein de l’Union européenne, et de faire progresser leur approche commune de ces sujets.
La délégation allemande, composée de sept député(e)s appartenant aux différents groupes politiques du Bundestag, a notamment échangé durant toute une matinée avec les député(e)s français sur la question de l’avenir des droits d’auteur en Europe.
Alors que la Commission européenne a annoncé qu’une évolution de la réglementation des droits d’auteur était nécessaire afin de l’adapter à la mise en place d’un marché unique numérique au sein de l’Union, il semblait en effet important que le rôle joué par les droits d’auteur comme fondement de l’activité de création en Europe et comme stimulant de la diversité culturelle soit réaffirmé.
À l’issue de cette nouvelle séquence de travail en commun et en résumé des échanges entre les deux commissions, le président Patrick Bloche et le président Siegmund Ehrmann tiennent à souligner :
– que le système européen des droits d’auteur peut s’adapter aux évolutions technologiques en demeurant un dispositif intelligent et équilibré, essentiel pour la préservation de la diversité culturelle en Europe, et donc pour le dynamisme et le développement futur de l’Union ;
– que la multiplication des supports et des usages culturels qu’autorise la révolution numérique ne doit se faire ni au détriment des créateurs, qui ont droit à une protection et une juste rémunération pour leurs œuvres, ni au détriment des utilisateurs finaux, qui doivent bénéficier du meilleur accès possible à toutes les œuvres disponibles ;
– que les industries créatives et culturelles, qui emploient des millions de citoyens européens et recèlent un potentiel de croissance considérable, sont prêtes à s’adapter aux défis posés par la révolution numérique, pour peu qu’un cadre légal équitable garantisse un exercice équilibré de la concurrence et la possibilité pour tous les acteurs, quels que soient leur taille et leur modèle économique, de se développer de façon harmonieuse.
Le calendrier d’examen des initiatives européennes en matière de droit d’auteur est particulièrement resserré : la proposition de règlement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur a été déposée le 10 décembre 2015 et, d’ici l’automne 2016, la Commission européenne veut avoir abouti à un « paquet droits d’auteur » plus ambitieux. Il y avait donc urgence pour notre assemblée de réaffirmer ses convictions sur l’ensemble de ces questions.
La Commission européenne a fait de la révision du cadre du droit d’auteur l’un des vecteurs essentiels de la mise en place d’un marché unique numérique.
Dans sa communication pour une « stratégie pour un marché unique numérique », en date du 6 mai 2015, la Commission européenne s’est fixé pour objectif de créer un espace « dans lequel la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux est garantie », un espace « où les particuliers et les entreprises peuvent, quels que soient leur nationalité et leur lieu de résidence, accéder et se livrer à des activités en ligne dans un cadre garantissant une concurrence loyale et un niveau élevé de protection des consommateurs et des données à caractère personnel ».
Sa stratégie repose sur trois piliers.
Le premier vise à « améliorer l’accès aux biens et services numériques dans toute l’Europe pour les consommateurs et les entreprises » et se décline en huit initiatives, parmi lesquelles figurent, notamment, la promotion de règles facilitant le commerce électronique transfrontière, la réduction des coûts de livraisons par colis ou l’interdiction des blocages géographiques pour accéder aux sites web, mais surtout des propositions législatives en vue d’une réforme du régime du droit d’auteur que la Commission européenne a précisées quelques mois plus tard (cf. infra).
La « mise en place d’un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques innovants » constitue le deuxième pilier de cette stratégie ; il se décline en cinq initiatives, dont les réexamens de la directive sur les services de médias audiovisuels et de la directive « vie privée et communications électroniques », mais aussi une « analyse détaillée du rôle des plateformes en ligne ». Dans ce cadre, la Commission a annoncé qu’elle s’intéresserait notamment à l’absence de transparence des résultats de recherche et des politiques tarifaires, à la réutilisation des informations obtenues par les plateformes et aux relations entre plateformes et fournisseurs.
Enfin, le troisième pilier consiste à « maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique européenne » et se décline en trois initiatives relatives à la propriété des données, à leur libre circulation et à la constitution d’un « nuage » européen.
La stratégie de la Commission européenne a été examinée lors du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015, au cours duquel les dirigeants de l’Union européenne ont insisté pour que des mesures soient prises pour s’attaquer au problème de la fragmentation du marché, mettre en place les infrastructures numériques nécessaires et faciliter le passage des entreprises européennes au numérique. Ils ont aussi demandé que soient adoptées rapidement de nouvelles règles pour les télécommunications, la cybersécurité et la protection des données. En matière de protection du droit d’auteur, le Conseil européen est convenu qu’il faut prendre des mesures pour « garantir la portabilité du contenu en ligne protégé par le droit d’auteur et faciliter son accessibilité transfrontière, tout en assurant un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle et en tenant compte de la diversité culturelle, et aider les industries créatives à prospérer dans un contexte numérique ».
Les propositions en matière de droit d’auteur ont été par la suite précisées dans le cadre du plan d’action de la Commission européenne pour « la modernisation du droit d’auteur », dévoilé le 9 décembre 2015 et qui vise à réduire les disparités entre les régimes nationaux de protection des droits d’auteur et à élargir l’accès en ligne aux œuvres dans l’ensemble de l’UE, via des mesures d’harmonisation supplémentaires.
Ce plan d’action est décliné en quatre piliers :
● Le premier pilier vise à « élargir l’accès aux contenus dans toute l’Union » et repose sur une proposition de règlement sur la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne, qui doit permettre aux citoyens de l’Union ayant acheté des contenus – films, musique, livres électroniques – ou s’y étant abonné dans leur pays d’origine de pouvoir continuer à y accéder lorsqu’ils se trouvent temporairement dans un autre État membre.
C’est ce premier point qui avance le plus rapidement puisque la proposition de règlement a d’ores et déjà été déposée (5) ; il pose d’ailleurs relativement moins de difficultés que les autres initiatives attendues. Ce texte est avant tout destiné à faciliter la vie de ceux qui sont amenés à se déplacer souvent sur le continent, pour des raisons professionnelles ou personnelles. Il convient néanmoins de rester tout particulièrement vigilant à ce que la portabilité soit bien temporaire et ne remette pas en cause le principe de territorialité des droits, qui constitue l’un des piliers du financement culturel en France, ainsi que le réaffirme la présente proposition de résolution (cf. infra, II).
● Dans le cadre du deuxième pilier « pour une société innovante et inclusive », la Commission européenne a annoncé son intention de « travailler sur les exceptions au droit d’auteur » à l’échelle européenne, par la révision de directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (6), qui en a défini les principales lignes. C’est ce point qui concentre les principales difficultés, même si le projet de la Commission a été assoupli par rapport aux premières annonces, qu’il s’agisse des orientations présentées par le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2014 (7) ou du rapport de la députée européenne Julia Reda (8), dont les propositions initiales entraient en contradiction avec le système français de protection du droit d’auteur (9). Mais il faut d’emblée garder en tête que, malgré cet assouplissement, la Commission n’a pas renoncé à certaines des perspectives de long terme qui figuraient dans ce rapport, telle l’instauration d’un code européen unique du droit d’auteur et d’un titre de droit d’auteur unifié ; il conviendra donc d’être particulièrement vigilant à l’avenir sur l’évolution du cadre réglementaire européen !
La position plus équilibrée que défend désormais la Commission européenne – équilibre auquel les interventions de plusieurs États membres, dont la France, ne sont pas étrangères (10) – l’a conduit à privilégier la voie de l’harmonisation des exceptions au droit d’auteur dans quelques domaines restreints :
– la mise en œuvre du traité dit de Marrakech, signé au nom de l’Union européenne le 30 avril 2014 et qui vise à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées (11) ;
– la possibilité pour les organismes de recherche d’intérêt public d’appliquer les techniques analytiques automatisées de fouille de textes et de données (dites « TDM » pour « Text and Data Mining ») aux contenus auxquels ils ont légalement accès à des fins de recherche scientifique ;
– la clarification du champ d’application de l’exception de l’Union à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement et son application aux utilisations numériques et à l’apprentissage en ligne ;
– la fourniture d’un espace officiel aux activités de conservation des institutions de sauvegarde du patrimoine culturel, en tenant compte de l’utilisation des technologies numériques pour la conservation et des besoins propres aux œuvres numérisées ou créées en format numérique ;
– la possibilité de consulter à distance, sur des réseaux électroniques fermés, des ouvrages conservés dans les bibliothèques universitaires et de recherche et d’autres établissements analogues pour les activités de recherche et des études privées ;
– la clarification de l’actuelle exception de l’Union permettant l’utilisation d’ouvrages conçus pour être installés à demeure dans l’espace public (la « liberté de panorama »), afin de prendre en considération les nouveaux canaux de diffusion.
● La Commission européenne a par ailleurs annoncé sa volonté de « créer un marché plus juste » – c’est le troisième pilier –, d’évaluer le caractère équitable du partage des bénéfices de l’exploitation en ligne des œuvres protégées par le droit d’auteur et de s’interroger sur le rôle des plateformes et des services d’agrégation d’actualités. Cette initiative, qui va dans le sens d’une meilleure protection des ayants droit, doit être saluée, même si ses ambitions pourraient être encore plus fortes en la matière.
● Enfin, dans le cadre du quatrième pilier consacré à la lutte contre la contrefaçon, la Commission a annoncé vouloir renforcer les moyens pour faire supprimer efficacement les contenus illicites par les intermédiaires en ligne, mais aussi poursuivre une approche dite « suivre l’argent » (ou « follow the money ») destinée à interrompre les flux financiers vers les entreprises qui font du profit grâce à la contrefaçon. Là encore, l’initiative européenne doit être soulignée.
La présente proposition de résolution vise à réaffirmer l’attachement de notre assemblée aux équilibres trouvés en 2001 dans le cadre de la directive « Société de l’information », dont il n’est nullement prouvé qu’elle constituerait un obstacle à la constitution d’un marché unique numérique (A), et à limiter au strict nécessaire les évolutions qui pourraient être apportées au régime européen de protection du droit d’auteur, dans le respect du principe de subsidiarité (B). Elle salue enfin les avancées promises par la Commission européenne dans la direction d’un meilleur partage de la valeur au sein de la chaîne culturelle (C).
Le rapporteur, tout comme les corapporteurs au nom de la commission des Affaires européennes, n’est pas convaincu, bien au contraire, de la nécessité, pour aboutir aux objectifs que s’est assigné la Commission européenne dans sa communication du 6 mai 2015, de réviser la directive 2001/29/CE « Société de l’information » précitée, qui constitue la base de la protection des droits d’auteur en droit européen. Cette directive n’a nullement empêché la circulation des œuvres dans le monde numérique et ne constitue en aucune manière un obstacle à la construction d’un grand marché unique numérique. L’émergence en Europe de nouveaux acteurs culturels majeurs depuis une quinzaine d’années en est la preuve patente.
Il convient donc de maintenir les équilibres si difficilement trouvés en 2001 : il y aurait bien plus de risques à vouloir harmoniser obligatoirement les exceptions à l’échelle européenne qu’à maintenir la réglementation actuelle, faite de vingt et une exceptions au monopole d’exploitation par l’auteur, dont vingt facultatives, laissées à la discrétion de chaque État membre (12).
La proposition de résolution rappelle l’attachement de notre assemblée à ce que les initiatives de la Commission européenne n’aboutissent pas à l’uniformisation des modes de protection des droits d’auteur dans l’Union européenne (alinéa 12 de la proposition de résolution), le caractère actuellement facultatif des exceptions au droit d’auteur en droit européen conférant aux États membres une souplesse suffisamment grande pour protéger les créateurs et assurer la circulation des œuvres (alinéa 14 de la proposition de résolution).
Elle marque donc l’inquiétude de notre assemblée devant une possible prolifération des exceptions obligatoires aux droits d’auteur, susceptible de restreindre le potentiel d’adaptation des États membres (alinéa 20 de la proposition de résolution). Notre assemblée doit en effet réaffirmer avec force que toute exception obligatoire nouvelle ne saurait être instaurée qu’en dernier ressort, lorsque des études d’impact sérieuses et documentées auront permis d’identifier des besoins précis et spécifiques, qui justifient l’intervention du législateur européen et ne permettent pas de faire usage de solutions alternatives, telles que les licences ou, plus généralement, toute solution contractuelle.
La présente proposition de résolution marque également notre attachement au respect du principe de territorialité des droits (alinéa 15 de la proposition de résolution). La territorialité du financement de la création, telle qu’elle prévaut aujourd’hui dans notre pays – notamment pour le cinéma et l’audiovisuel –, a permis l’émergence et le maintien de champions nationaux et européens ; la production culturelle française doit beaucoup au système de licences territoriales qui permet d’amortir des projets qui ne trouveraient pas nécessairement leur public à l’échelle européenne. Une harmonisation trop poussée du système de protection des droits d’auteur ne permettrait pas de maintenir ce principe.
De même, une portabilité transfrontière des contenus culturels qui ne serait pas limitée à un caractère temporaire nuirait au maintien de ce principe. Il est donc crucial dans ce cadre de bien s’assurer du caractère temporaire de la portabilité transfrontière des contenus culturels mais aussi de préciser la durée de portabilité des œuvres, de telle sorte qu’elle soit effectivement utilisée par les citoyens européens, tout en évitant de constituer une nouvelle exception de facto ; tel est le sens de l’alinéa 15 de la proposition de résolution.
Le principe de territorialité ne nuit pas à la circulation des œuvres à l’échelle européenne : il peut se combiner avec des licences multi-territoriales, comme c’est déjà le cas dans le domaine de la musique. La proposition de résolution – dans son alinéa 24 – demande d’ailleurs la valorisation des solutions contractuelles transfrontières.
Dans le prolongement des travaux de la commission des Affaires européennes, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation souhaite réaffirmer avec force que la création européenne ne pourra être renforcée qu’en confortant l’apport essentiel des créateurs. C’est la raison pour laquelle nous devons porter une belle ambition : promouvoir la diversité culturelle, permettre l’accès aux œuvres et assurer la juste rémunération de la création.
Les auteurs de la présente proposition de résolution, s’ils ont salué le caractère plus équilibré des initiatives de la Commission européenne que ne l’auraient laissé présager les premières interventions publiques sur le sujet ou le contenu initial du rapport de la députée européenne Julia Reda, n’en ont pas moins estimé nécessaire, à très juste titre, de marquer la détermination de notre assemblée à limiter les effets de la réforme envisagée.
En ce qui concerne l’exception pour les bibliothèques, la possible consultation à distance de livres numériques dans un circuit fermé apparaît comme une initiative intéressante. Elle fait d’ailleurs partie de demandes pérennes des associations de bibliothécaires. Il reste à trouver le bon point d’équilibre avec les intérêts des auteurs et le modèle économique des éditeurs, comme le demande la présente proposition de résolution à son alinéa 25.
En ce qui concerne la « liberté de panorama », la proposition de résolution rappelle que cette question est actuellement discutée en droit interne dans le cadre du projet de loi pour une République Numérique, en cours de navette parlementaire (13) (cf. article 18 ter de ce projet de loi). Les auteurs de la proposition de résolution ont estimé que, si cette liberté était reconnue en droit français, cette exception au droit d’auteur devrait faire l’objet d’une définition stricte dans un cadre européen, évitant tout risque d’insécurité juridique (14). Le rapporteur insiste sur la question de la limite entre utilisation marchande et non-marchande de clichés pris dans l’espace public.
La présente proposition de résolution réaffirme en outre notre attachement très fort au maintien du système actuel de copie privée (15) – à l’échelle européenne, pas moins de vingt-six États membres ont introduit une exception pour copie privée, seuls l’Irlande et le Royaume-Uni n’ayant pas prévu ce dispositif – alors même que la Commission européenne a déclaré vouloir intervenir « pour assurer une plus grande clarté, mettre un terme aux principales distorsions » et s’assurer « que, lorsque les États membres imposent des redevances pour copie privée et reprographie à titre d’indemnisation des titulaires de droits, leurs différents systèmes fonctionnent de manière satisfaisante dans le marché unique et ne fassent pas obstacle à la libre circulation des biens et des services » (16).
Les auteurs de la proposition de résolution ont par ailleurs émis une demande relative à la liberté de diffusion des résultats de la recherche publique – qui ne relève pas, en l’état actuel des textes, du champ de la réflexion de la Commission européenne mais pourrait y être intégrée : ils souhaitent ainsi que les travaux financés par la recherche publique puissent être mis en circulation le plus rapidement possible, afin que leurs auteurs puissent bénéficier des retombées en termes de notoriété et de citations de leurs articles et que d’autres chercheurs, selon un modèle collaboratif, puissent tirer parti des avancées de leurs collègues, selon un modèle dit de « voie verte » ou « open access green » (alinéa 27 de la proposition de résolution). Un tel système est prévu actuellement à l’article 17 du projet de loi pour une République numérique, qui permettrait aux chercheurs, s’il était définitivement adopté, d’archiver eux-mêmes le résultat de leurs recherches en ligne.
La technique de la fouille de textes et de données – qui permet de traiter des masses importantes de documents par un traitement informatisé pour en ressortir des éléments pertinents – apparaît également intéressante dans le contexte de la recherche scientifique pour permettre aux chercheurs français de pouvoir rivaliser avec leurs homologues étrangers ; elle doit néanmoins être très strictement encadrée et n’entraîner aucune activité commerciale. L’instauration d’une nouvelle exception au droit d’auteur envisagée par la Commission européenne n’est sans doute pas nécessaire, la voie contractuelle – par exemple sous forme de licences –, plus souple, permettant très largement d’aboutir aux mêmes fins sans présenter les mêmes risques pour les ayants droit.
C. POUR UNE RÉFLEXION ACCRUE EN VUE D’UN MEILLEUR PARTAGE DE LA VALEUR AU SEIN DE LA CHAÎNE CULTURELLE
La présente proposition de résolution plaide pour l’ouverture de réflexions destinées à redéfinir le statut et les responsabilités des hébergeurs au sein de la directive « sur le commerce électronique » (17). Cette directive a instauré un régime favorable pour les hébergeurs de contenus qui leur confère un statut général de non-responsabilité à raison des contenus hébergés de manière « purement technique, automatique et passi(ve) » (18), en l’absence de connaissance ou de contrôle des informations transmises ou stockées. Or, la question se pose de savoir si les hébergeurs ont encore une telle activité uniquement passive alors qu’ils s’appuient désormais sur les données qu’ils hébergent pour orienter l’internaute, classer les informations, voire produire des revenus par la vente d’espaces publicitaires ou de données des utilisateurs.
Sans vouloir immédiatement trancher une question éminemment délicate, il semble tout à fait souhaitable d’appeler à une réflexion en la matière afin de permettre une meilleure répartition de la valeur entre les différents acteurs de la création et un régime de responsabilité des hébergeurs à raison des contenus hébergés (alinéa 28 de la proposition de résolution).
Plus largement, la proposition de résolution invite à « aboutir à un meilleur partage de la rémunération au sein de la chaîne de valeur culturelle, par une plus grande contribution des plateformes qui tirent un profit de la distribution des contenus en ligne » (alinéa 31 de la proposition de résolution).
C’est d’ailleurs le sens du colloque international organisé à Cannes le dimanche 15 mai 2016 sur le thème « Le financement de la création : qu’attendre du numérique ? » présidé par Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication, et en présence d’Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne.
La ministre a souligné que son rôle « est de faire en sorte justement que la diffusion numérique soit créatrice de valeur pour les industries culturelles car c’est ainsi que nos auteurs et nos artistes pourront continuer à créer et innover. Il est de promouvoir la richesse et le foisonnement de la production artistique européenne, en permettant que ces nouvelles formes de créations puissent trouver les financements nécessaires à leur développement ».
Le rapporteur souligne, dans la droite ligne du récent examen par notre Commission en deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (19), que la réflexion qu’engagera la Commission européenne sur les agrégateurs d’actualité devrait notamment lui permettre d’apporter une clarification souhaitable du droit européen sur la nature du lien hypertexte et les contours de la définition d’une communication à un public nouveau.
Dans le cadre de l’examen parlementaire du projet de loi précité, un article 10 quater avait été ajouté au Sénat en première lecture afin de permettre une rémunération des photographes et plasticiens dont les œuvres sont reproduites par des services de moteur de recherche et de référencement sur internet, article auquel notre Commission souscrivait sur le fond, mais qu’elle avait dû supprimer en raison de sa contrariété avec la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Dans un arrêt Svensson c/Retriever Sverige AB du 13 février 2014, la Cour a en effet jugé que le fait d’établir un lien cliquable vers une œuvre protégeable par le droit d’auteur pouvait intervenir sans l’accord du titulaire des droits, sous réserve que cette œuvre soit librement accessible sur un autre site ; la Cour avait considéré que ne constitue pas un acte de communication au public la fourniture sur un site internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site. Par analogie, on pouvait estimer que la fourniture de vignettes reproduisant des œuvres librement disponibles sur d’autres sites internet ne constitue pas non plus un acte de communication au public.
La réflexion annoncée par la Commission européenne constituerait une bonne occasion pour elle de se pencher plus précisément sur cette jurisprudence.
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* *
En conséquence, le rapporteur invitera les membres de la Commission à adopter la proposition de résolution, sur la base du texte adopté par la commission des Affaires européennes le 3 mai dernier.
La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’examen, sur le rapport de M. Patrick Bloche, de la proposition de résolution européenne de Mme Marietta Karamanli et M. Hervé Gaymard sur la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne (n° 3713), lors de sa séance du mercredi 18 mai 2016.
M. le vice-président Michel Ménard, président. Nous examinons ce matin la proposition de résolution européenne n° 3713 de Mme Marietta Karamanli et M. Hervé Gaymard sur la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne qui a été adoptée le 3 mai dernier par la commission des Affaires européennes. Comme le prévoit l’article 151-6 du Règlement de l’Assemblée nationale, chaque commission dispose d’un délai d’un mois pour rapporter, si elle le décide, sur les propositions de résolution européennes qui lui sont renvoyées au fond.
Sensible aux enjeux abordés par cette proposition de résolution, notre Commission a souhaité soutenir l’initiative de la commission des Affaires européennes et a désigné notre président Patrick Bloche comme rapporteur lors de notre séance de mercredi dernier.
M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Notre Commission est effectivement saisie aujourd’hui d’une proposition de résolution européenne sur la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne, présentée par nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard et adoptée par la commission des Affaires européennes le 3 mai dernier.
Notre Commission disposait d’un délai d’un mois pour déposer un rapport sur le texte. À défaut, cette proposition de résolution aurait été considérée comme adoptée tacitement. Nous mettons ainsi en œuvre ce matin une procédure facultative et non obligatoire.
Devant l’importance des enjeux soulevés par les initiatives prises par la Commission européenne depuis plusieurs mois, nous ne pouvions nous contenter d’une telle adoption tacite. De la même manière qu’en 2013 nous nous étions saisis – avec quelle vigueur ! – de la question du respect de l’exception culturelle dans le cadre des négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis, il m’a semblé nécessaire d’apporter tout notre soutien à l’excellente proposition de résolution adoptée par la commission des Affaires européennes et de permettre ainsi à l’Assemblée nationale d’exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles en matière européenne.
Notre Commission a toujours été particulièrement attentive à la question de la protection des droits d’auteur au niveau européen ; je ne citerai qu’un exemple, récent : en juin dernier, nous avons publié, avec la Commission de la culture et des médias du Bundestag, une « Communication commune sur l’avenir des droits d’auteur en Europe », à l’issue de deux journées de travail à Paris, communication qui marque, au niveau parlementaire, l’unité du couple franco-allemand sur ces questions.
Comme vous le savez, la Commission européenne a fait de la révision du cadre du droit d’auteur l’un des vecteurs essentiels de la mise en place d’un marché unique numérique. Je ne reviendrai pas trop en détail sur les initiatives en cours, qui vous sont connues : communication de la Commission européenne pour une « stratégie pour un marché unique numérique », du 6 mai 2015, suivie d’un plan d’action pour « la modernisation du droit d’auteur », dévoilé le 9 décembre de la même année.
L’initiative communautaire qui avance le plus rapidement – et qui d’ailleurs pose moins de difficultés que d’autres – est la proposition de règlement sur la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne, qui doit permettre aux citoyens de l’Union ayant acheté des contenus – qu’il s’agisse de films, de musique ou de livres électroniques – ou s’y étant abonné dans leur pays d’origine, de pouvoir continuer à y accéder lorsqu’ils se trouvent temporairement dans un autre État membre. Ce texte entend faciliter la vie de celles et ceux qui se déplacent souvent sur le continent, pour raisons professionnelles ou personnelles, mais il faut rester tout particulièrement vigilant – la proposition de résolution en fait mention – sur le fait que la portabilité soit bien temporaire et ne remette pas en cause le principe de territorialité des droits, principe auquel nous sommes très attachés.
La Commission européenne a par ailleurs annoncé son intention de travailler sur les exceptions au droit d’auteur à l’échelle européenne, par la révision de directive de 2001 sur la « Société de l’information ». C’est ce point qui concentre les principales difficultés, même si le projet de la Commission a été sensiblement assoupli par rapport aux orientations présentées par le nouveau président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker en 2014 ou aux propositions initiales du rapport de la députée européenne Julia Reda.
Mais il faut d’emblée garder en tête que, malgré cet assouplissement, la Commission n’a pas renoncé à certaines des perspectives de long terme qui figuraient dans ce rapport, telle l’instauration d’un code européen unique du droit d’auteur et d’un titre de droit d’auteur unifié ; il conviendra donc d’être particulièrement vigilant à l’avenir sur l’évolution du cadre réglementaire européen !
La Commission européenne privilégie donc désormais la voie de l’harmonisation des exceptions au droit d’auteur dans quelques domaines précis, notamment : la mise en œuvre du traité de Marrakech de 2014 qui vise à faciliter l’accès des aveugles et déficients visuels aux œuvres publiées ; la possibilité pour les organismes de recherche d’intérêt public d’appliquer les techniques analytiques automatisées de fouille de textes et de données, (dites « TDM ») aux contenus auxquels ils ont légalement accès à des fins de recherche scientifique ; l’application de l’exception à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement aux utilisations numériques et à l’apprentissage en ligne ; la possibilité de consulter à distance, sur des réseaux électroniques fermés, des ouvrages conservés dans les bibliothèques ; la clarification de l’actuelle exception de l’Union pour « liberté de panorama » afin de prendre en considération les nouveaux canaux de diffusion. Ce dernier sujet nous avait bien occupés lors de l’examen pour avis, en première lecture, du projet de loi pour une République numérique.
La proposition de résolution qui nous est aujourd’hui soumise poursuit trois objectifs principaux. Le premier consiste à réaffirmer notre attachement aux équilibres de la directive de 2001, dont il n’est nullement prouvé qu’elle constituerait un obstacle à la constitution d’un marché unique numérique, l’émergence en Europe de nouveaux acteurs culturels majeurs depuis une quinzaine d’années étant d’ailleurs, s’il le fallait, la preuve patente du contraire.
La proposition de résolution rappelle, dans son alinéa 12, l’attachement de notre assemblée à ce que les initiatives de la Commission européenne n’aboutissent pas à l’uniformisation des modes de protection des droits d’auteur dans l’Union et, dans son alinéa 14, le caractère actuellement facultatif des exceptions en droit européen conférant aux États membres une souplesse suffisamment grande pour protéger les créateurs et assurer la circulation des œuvres. Le texte marque, dans son alinéa 20, notre inquiétude devant une possible prolifération des exceptions obligatoires aux droits d’auteur. Il y a en effet, entre exceptions obligatoires et exceptions facultatives, un équilibre à trouver ou à maintenir.
Il marque également, dans son alinéa 15, notre attachement au respect du principe de territorialité des droits. La territorialité du financement de la création a permis l’émergence et le maintien de champions nationaux et européens ; la production culturelle française doit beaucoup au système de licences territoriales qui permet d’amortir des projets qui ne trouveraient pas nécessairement leur public à l’échelle européenne. Or, une harmonisation trop poussée du système de protection des droits d’auteur ne permettrait pas de maintenir ce principe. J’y insiste, car la territorialité est un élément déterminant du dispositif de financement de la création dans notre pays.
Le deuxième objectif de la proposition de résolution consiste à limiter au strict nécessaire les évolutions qui pourraient être apportées au régime européen de protection du droit d’auteur, dans le respect du principe de subsidiarité. En ce qui concerne l’exception pour les bibliothèques, la possible consultation à distance de livres numériques dans un circuit fermé apparaît comme une initiative heureuse, même s’il reste à trouver le bon point d’équilibre avec les intérêts des auteurs et le modèle économique des éditeurs, comme le rappelle l’alinéa 25 de la proposition de résolution.
En ce qui concerne la « liberté de panorama », déjà évoquée, la proposition de résolution rappelle que cette question est actuellement discutée en droit interne dans le cadre du projet de loi pour une République numérique, en cours de navette parlementaire. Les auteurs de la proposition de résolution ont estimé que, si cette liberté était reconnue en droit français, l’exception devrait faire l’objet d’une définition stricte dans un cadre européen, évitant tout risque d’insécurité juridique. Il s’agit en effet de bien distinguer entre usage marchand et non marchand, ainsi qu’entre exploitation commerciale et non commerciale, comme nous l’avions souligné au cours de nos débats il y a quelques mois.
La proposition de résolution réaffirme en outre notre attachement très fort au maintien du système actuel de copie privée. Je rappelle que vingt-six des vingt-huit États membres ont introduit une exception pour copie privée, seuls l’Irlande et le Royaume-Uni n’ayant pas prévu ce dispositif.
La proposition de résolution contient également une demande relative à la liberté de diffusion des résultats de la recherche, afin que les travaux financés par la recherche publique puissent être mis en circulation le plus rapidement possible, que leurs auteurs puissent bénéficier des retombées en termes de notoriété et de citations de leurs articles et que d’autres chercheurs puissent tirer parti des avancées de leurs collègues, selon un modèle dit de « voie verte ». Un tel système est actuellement prévu à l’article 17 du projet de loi pour une République numérique, qui permettrait aux chercheurs, s’il était définitivement adopté, d’archiver eux-mêmes le résultat de leurs recherches en ligne. Je salue l’initiative de notre rapporteur pour avis, Émeric Bréhier, sur ce sujet.
La technique « TDM » de la fouille de textes et de données, si elle apparaît intéressante pour la recherche scientifique, doit néanmoins être très strictement encadrée et n’entraîner aucune activité commerciale. Sur ce sujet, l’instauration d’une nouvelle exception au droit d’auteur envisagée par la Commission européenne n’est sans doute pas nécessaire, la voie contractuelle, plus souple et équilibrée, permettant très largement d’aboutir aux mêmes fins sans présenter les mêmes risques pour les ayants droit.
Le troisième objectif de la proposition de résolution vise à saluer les avancées promises par la Commission européenne dans la direction d’un meilleur partage de la valeur au sein de la chaîne culturelle.
La résolution plaide pour l’ouverture de réflexions destinées à redéfinir le statut et les responsabilités des hébergeurs dont le régime actuel, issu de la directive sur le commerce électronique de 2000, leur confère un statut général de non-responsabilité à raison des contenus hébergés. En effet, les hébergeurs ont-ils encore vraiment une activité uniquement et purement passive – qui justifiait ce régime en 2000 – dès lors qu’ils s’appuient désormais sur les données qu’ils hébergent pour orienter l’internaute, classer les informations, voire produire des revenus par la vente d’espaces publicitaires ou de données des utilisateurs ? Qu’il soit permis d’en douter…
Plus largement, la proposition de résolution invite, dans son alinéa 31, à « aboutir à un meilleur partage de la rémunération au sein de la chaîne de valeur culturelle, par une plus grande contribution des plateformes qui tirent un profit de la distribution des contenus en ligne ».
Enfin, dans la droite ligne de nos débats en deuxième lecture du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, j’ajoute que la réflexion qu’engagera la Commission européenne sur les agrégateurs d’actualité devrait lui permettre d’apporter une clarification souhaitable du droit européen sur la nature du lien hypertexte et les contours de la définition d’une communication à un public nouveau. Vous vous souvenez que le Sénat avait introduit en première lecture un article prévoyant une rémunération des photographes et plasticiens dont les œuvres sont reproduites par des services de moteur de recherche et de référencement sur internet, article auquel notre Commission souscrivait sur le fond, mais qu’elle avait dû supprimer en raison de sa contrariété avec la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. La réflexion annoncée par la Commission européenne constituerait une bonne occasion pour elle de se pencher plus précisément sur cette jurisprudence quelque peu incertaine, avouons-le.
En conclusion, je voudrais souligner une fois encore que la création européenne ne pourra être renforcée qu’en confortant l’apport essentiel des créateurs. C’est la raison pour laquelle nous devons porter une belle ambition : promouvoir la diversité culturelle, permettre l’accès aux œuvres et assurer la juste rémunération de la création. Je vous remercie de l’attention que vous avez portée à ce sujet à la fois essentiel et technique, comme c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit de propriété littéraire et artistique.
Je vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de résolution, sur la base du texte adopté par la commission des Affaires européennes le 3 mai dernier.
M. Hervé Féron. Si une réflexion sur le droit d’auteur apparaît légitime au regard des nouveaux usages sur internet, le groupe socialiste, républicain et citoyen se félicite de l’initiative de la commission des Affaires européennes de réaffirmer l’attachement de la France au principe du droit d’auteur au niveau européen.
Il est en effet certain qu’un nivellement par le bas de ce système porterait gravement atteinte à la création artistique en France, en fragilisant la rémunération des auteurs et en raréfiant les sources de financement des œuvres, avec à la clé un appauvrissement de la diversité culturelle.
À la lecture de l’excellent travail réalisé par notre rapporteur Patrick Bloche en un temps record, il n’apparaît plus nécessaire de rappeler que le droit d’auteur n’est pas un frein à la diffusion des œuvres, mais au contraire une condition nécessaire à la survie des industries culturelles, dont les singularités locales souffriraient immanquablement d’un marché unique numérique inventé dans la précipitation, au bénéfice in fine des géants américains du net.
Or, nous le savons, les industries culturelles et créatives jouent un rôle clé : selon certaines études elles seraient le troisième plus grand employeur de l’Union européenne et seraient à l’origine de plus de 4,2 % de son PIB. Au niveau international, leur poids serait même estimé à plus de 6 % du PIB mondial.
Alors que nous sommes en plein festival de Cannes, il est utile de rappeler que, si le cinéma européen est primé dans tous les grands festivals mondiaux, c’est notamment grâce à son système de financement qui permet aux grands auteurs du monde entier de réaliser leurs films les plus personnels.
Je souhaiterais attirer votre attention sur trois points particuliers. Présentée en mai dernier par le commissaire en charge du numérique, la stratégie de Bruxelles pour un marché unique numérique passe notamment par la limitation des pratiques de « géoblocage », qui empêchent actuellement les Européens en séjour dans un autre pays d’avoir accès aux mêmes contenus en ligne que dans leur pays d’origine.
Or, dans le projet de règlement européen, il y a deux problèmes. D’une part, l’obligation de « portabilité » n’est pas limitée dans le temps, ce qui laisse planer le risque de voir se développer des pratiques déloyales, comme par exemple une personne qui pourrait acquérir des droits de transmission à Malte pour du football anglais. D’autre part, il est nécessaire de définir précisément les critères permettant d’établir avec certitude quel est le pays de résidence des utilisateurs ou ce qu’est un séjour temporaire à l’étranger, afin d’éviter de donner lieu aux mêmes abus.
Ces deux points majeurs du règlement doivent être précisés afin de préserver le principe de territorialité des droits, qui, tout comme l’exception pour copie privée, constitue l’un des piliers du financement culturel en France. Par ailleurs, puisque sans œuvres culturelles les géants américains d’internet ne sont rien, nous sommes persuadés qu’ils doivent être mis à contribution.
Nous avons ainsi besoin d’un système de gestion de droits plus équilibré, permettant d’assurer une rémunération équitable à tous les ayants droit, tout en garantissant une sécurité juridique aux grands groupes – et notamment les moteurs de recherche – dont l’activité sur internet ne doit pas être remise en cause.
À titre personnel, j’ajouterais que la compensation financière pour les ayants droit ne doit pas être supportée par les usagers, mais par les entreprises – telles que Google – qui tirent des bénéfices du référencement d’œuvres protégées par le droit d’auteur.
Enfin, si elle n’est mentionnée que très succinctement dans le rapport, la lutte contre la contrefaçon et le piratage doit rester l’une des priorités de la Commission européenne. Il est appréciable que cette dernière en ait fait le quatrième pilier de son plan d’action communiqué en décembre. En effet, l’absence de législation suffisamment protectrice de la propriété intellectuelle fait perdre entre 166 et 240 milliards d’euros aux industries créatives de l’Union européenne en 2015.
Pour parer à l’échec de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) créée en 2009 par la précédente majorité et qui n’a pas su endiguer la montée du piratage dans notre pays, une réflexion européenne est aujourd’hui nécessaire pour mieux lutter contre ce phénomène. Il nous faudra rester vigilants et force de proposition sur ce sujet de première importance.
M. Frédéric Reiss. Cette proposition de résolution s’inscrit dans le droit fil d’un certain nombre de débats que nous avons eus en matière de droit d’auteur dans une société où la révolution numérique est en marche. Il n’y a d’ailleurs pas qu’elle qui est en marche !
Ce texte, comme bien d’autres, montre la complexité du sujet dans la perspective d’un marché unique numérique. En très peu de temps, internet est devenu le principal mode de diffusion des œuvres culturelles et offre des possibilités quasi illimitées. Aujourd’hui, la pression sur les droits d’auteur, via les réseaux sociaux, est particulièrement forte, allant jusqu’à l’intimidation.
J’ai été membre de la mission d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée en France. Elle a certes pointé du doigt un système en crise, mais qui bénéficie indéniablement à la création. Car la culture n’a peut-être pas de prix, mais elle a un coût auquel il faut sensibiliser le consommateur.
Après le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique sur la révision de la directive 2001/29/CE, le rapport sur la République numérique, le rapport Lescure, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ou encore le rapport Reda, nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard ont souhaité réaffirmer les fondamentaux de la position française en matière de protection du droit d’auteur. Il n’y a pas de raison de vouloir harmoniser au rabais la durée de la protection des droits d’auteur, ni d’envisager davantage d’exceptions souhaitées par des utilisateurs et des fournisseurs de service internet qui ont un intérêt commercial dans la circulation illicite des œuvres.
Ces exceptions et limitations à un droit doivent être justifiées par des raisons objectives, telles que l’éducation ou la recherche. Mais le simple divertissement ou la possibilité technique d’accéder à des œuvres ou la recherche de nouveaux modes opératoires par les fournisseurs de service internet ne sont pas des raisons suffisantes pour restreindre les droits des auteurs, auteurs qui doivent pouvoir bénéficier des fruits de leur création également sur internet.
Les règles relatives aux exceptions et limitations en matière de droit d’auteur varient selon les pays parce qu’elles sont étroitement liées aux politiques culturelles nationales. Au niveau européen, il faut donc améliorer le marché unique numérique, mais il faut aussi garantir un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, car il permet la diversité culturelle et le bien-être économique de nos sociétés.
Cesser de rémunérer la création lui porterait un coup fatal. Le rôle des plateformes doit être redéfini et la question de leur contribution à la création doit être posée. Un géant comme YouTube n’est pas seulement un hébergeur, mais un éditeur qui doit prendre ses responsabilités pour participer à la rémunération des auteurs.
Pour avoir participé aux travaux de notre Commission avec les députés du Bundestag, je ne peux que me réjouir de la déclaration commune franco-allemande qui a marqué un tournant majeur dans la politique européenne commune de la culture. Elle rappelle que le droit d’auteur est le fondement de l’activité de création avec des enjeux de diversité culturelle et de liberté d’expression. Il y a nécessité d’adapter le droit d’auteur au numérique, de discuter de la portabilité des œuvres à travers les États de l’Union européenne, de discuter d’exceptions à des fins non lucratives dans le respect du travail des artistes, des auteurs et des nouvelles formes légales de diffusion.
Le groupe Les Républicains est favorable à cette proposition de résolution.
Mme Isabelle Attard. Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution européenne. J’apprécie le geste. Il est important pour les instances de décision européennes de connaître le point de vue des États membres. J’apprécie cependant moins le contenu de la proposition de la résolution.
Elle demande le respect du principe de territorialité des droits pour limiter au maximum le principe de la portabilité des contenus. Elle nuance aussi la volonté de permettre le prêt de livres numériques par des bibliothèques en rappelant la prise en compte nécessaire de la garantie de la viabilité économique de l’édition. Je ne connais pourtant pas d’étude qui ait démontré que les bibliothèques nuisent à la viabilité économique de l’édition. Au contraire, en facilitant l’accès à la lecture, le travail de médiation des bibliothèques est une garantie que les éditeurs auront toujours une activité à l’avenir.
Le projet de résolution demande par ailleurs que la position française en matière de liberté de panorama soit respectée. Il est pour le moins étrange d’adopter dans cette proposition de résolution une disposition qui fait encore l’objet d’un débat parlementaire. La loi pour une République numérique n’a pas encore été adoptée, mais doit passer en commission mixte paritaire en juin 2016.
Point positif, vous proposez que soit améliorée la libre diffusion des résultats de la recherche publique via un libre accès en voie verte. Enfin, vous demandez le respect du système actuel de copie privée. Il s’agit donc d’une proposition de résolution européenne qui défend le statu quo à la française concernant le droit d’auteur, sans jamais prendre en compte les profondes évolutions que les pratiques numériques ont apportées.
Le marché unique numérique voulu par la Commission européenne est pourtant bien moins ambitieux que le rapport de l’eurodéputée Julia Reda, qui avait lui-même était considérablement amendé par les parlementaires européens. Malgré cela, nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard cherchent à amoindrir encore un peu plus ces évolutions.
Pourtant le droit d’auteur, tel qu’il existe aujourd’hui, ne rémunère pas de façon équitable les auteurs. Il tend, au contraire, à renforcer les inégalités de distribution des richesses de ce système, tout en bloquant certains usages, et donc une meilleure diffusion des produits culturels. Similairement, la proposition de résolution demande de ne pas toucher au système actuel de copie privée qui accuse pourtant de nombreuses faiblesses, comme le reconnaît le rapport d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée, rendu en 2015 par notre collègue Marcel Rogemont.
C’est pourquoi je vous propose deux amendements qui retirent de la proposition de résolution ses dispositions relatives à la copie privée et à la liberté de panorama. À défaut d’une prise en compte de ces amendements, je ne pourrai que voter contre cette résolution.
M. Rudy Salles. Je remercie les rapporteurs de la commission des Affaires européennes de s’être emparés d’un sujet aussi essentiel. Leur rapport est suffisamment technique et précis pour nous permettre d’avoir une vision complète des enjeux en cours au niveau européen sur le droit d’auteur. En 2001, la directive européenne sur les sociétés de l’information était parvenue à un équilibre qui satisfaisait tant les consommateurs que les artistes. Aussi, au groupe UDI, nous partageons les préoccupations des rapporteurs sur les conséquences que pourrait avoir une remise en cause de cette directive, qui est le fruit d’un délicat compromis entre protection des auteurs et accès aux contenus culturels à l’ère numérique.
À rebours de ce compromis, le rapport Reda rendu en janvier 2015 soulève de nombreuses difficultés. Ses conclusions marquent une rupture certaine avec les principes du droit d’auteur à la française. Si certaines exceptions nationales au droit d’auteur sont justifiées, telle l’exception en faveur des aveugles ou déficients visuels, nous ne pouvons soutenir une harmonisation obligatoire des exceptions à tous les États membres de l’Union européenne. Au contraire, la flexibilité nationale est pour nous une condition nécessaire à la création et à la prise en compte des artistes.
Une harmonisation européenne n’aurait aucun sens, à part créer un marché numérique européen unique. Si nous pouvons regretter qu’une culture européenne peine à émerger, nous considérons que la préservation de la diversité culturelle des États membres de l’Union européenne et la promotion de leur patrimoine culturel commun comme de leur histoire commune doivent être d’autant plus accompagnées qu’elles accroissent le dynamisme et l’attractivité de l’Europe.
Il convient d’agir prudemment en matière de droit d’auteur, sous peine de mettre à mal la rémunération des créateurs, de conduire à une crise du financement des industries culturelles et de limiter dangereusement la diversité culturelle. À ce titre, j’avais soutenu dès 2013 la défense du droit d’auteur dans les cadrages de la négociation sur l’accord de libre-échange bilatéral entre l’Union européenne et les États-Unis concernant les biens et services culturels. Ces derniers ne peuvent être livrés à une seule logique de marché où la rentabilité constituerait l’unique objectif.
Au regard de la place acquise par le numérique dans l’économie de la culture, nous ne pourrons faire l’économie d’une révision de la directive de 2001. Aussi est-il important de poser de façon claire nos exigences. Parce que la France devrait exprimer de manière unanime sa position, nous soutenons la proposition de résolution de nos collègues et l’instauration de règles justes et efficaces en matière de concurrence, de fiscalité et de neutralité technologique.
Permettez-moi de conclure par quelques réflexions sur la politique du Gouvernement en matière culturelle. Nous savons que le développement de plateformes de distribution des contenus numériques perturbe la chaîne de valeur traditionnelle. Or, le piratage est en forte recrudescence et les atermoiements du Gouvernement sur la HADOPI n’y sont pas étrangers. Cette proposition de résolution européenne nous rappelle que la majorité n’est pas à la hauteur des enjeux et que nous sommes toujours dans l’attente d’une grande loi sur la culture. En effet, le projet de loi relatif à la création, l’architecture, et le patrimoine prend la forme d’une loi de façade et ne traite des sujets qu’a minima : une déception parmi tant d’autres dans ce quinquennat.
Mme Gilda Hobert. Respecter, protéger, en particulier contre le piratage mais aussi protéger les créateurs, tels sont les préceptes que nous devons porter.
Cher Patrick Bloche, je vous remercie de nous avoir fait parvenir, dans des délais plus que raisonnables au vu du temps qui vous était imparti, votre rapport sur la proposition de résolution européenne de Mme Marietta Karamanli et de M. Hervé Gaymard sur la protection du droit d’auteur dans l’Union Européenne. Résolution très intéressante, mais qui est aussi le reflet de plusieurs problématiques auxquelles nous sommes confrontés.
Le rapport Reda préconise une harmonisation de ce droit d’auteur au sein de l’Union Européenne, avec une ambition simple : accorder plus de choix aux utilisateurs. Ce rapport, qui a été fort heureusement amélioré après les propositions initiales de la rapporteure, s’inscrit dans une volonté de créer un droit unique, durable et difficilement amendable.
Comme vous l’indiquez monsieur le rapporteur, le principe de territorialité des droits est un acquis. Sa remise en cause ne risquerait-elle pas d’engendrer un nivellement par le bas préjudiciable pour les ayants droit français, sans impact réellement positif pour les consommateurs ? Ce principe de territorialité permet justement l’indispensable exception culturelle, garante du soutien à la création des artistes français. Il propose une alternative à un modèle uniformisé.
La suppression de frontières territoriales ne constituerait-elle pas un paradis pour les GAFA, – Google, Apple, Facebook, Amazon –, et autres Netflix, qui seraient en position de force pour négocier à leur avantage les termes d’un copyright unique européen ?
Je rejoins la position du ministère de la culture, qui demande une étude d’impact plutôt qu’une réforme anticipée du droit d’auteur. Il est nécessaire de ne pas déséquilibrer les accords qui permettent déjà aux œuvres de dépasser les frontières, comme le prouve l’alinéa 24 de la proposition de résolution, à travers la défense de licences multi-territoriales.
Parmi les défenseurs de ce postulat, le professeur Pierre Sirinelli, auteur en octobre 2014 d’un rapport de mission sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur, et en particulier sur la révision de la directive 2001/29 visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Il se positionne clairement contre toute réforme du système de la copie privée, en particulier sur la redevance pour copie privée (RCP). Cette RCP permet à tout auteur, compositeur, interprète de bénéficier d’une partie des recettes générées par la vente de produits d’enregistrement. Elle concilie le droit à rémunération des créateurs et la possibilité pour le public de copier les œuvres. Bref, un bon compromis, qui pourrait être mis à mal par cette harmonisation, sans aucun doute à la baisse, de la réglementation.
Je me pose la question, et je vous la pose : la France doit-elle défendre son système actuel de copie privée au niveau européen, ou doit-elle s’opposer à l’harmonisation qui pourrait contrevenir à la diversité culturelle au sein de l’Union européenne ?
En contrepartie, la mise en place d’exceptions telles celle prévue par le traité de Marrakech, celle concernant les bibliothèques ou l’exception à des fins de recherche me paraît adéquate. De nombreux chercheurs – et nous avons déjà eu ce débat en commission – voient leur recherche se limiter à cause des frontières imperméables. Autant nous devons les renforcer quand il s’agit de défendre la création française, autant nous avons l’obligation de permettre à ces scientifiques et à la pensée en général de naviguer aisément au sein de l’Europe. Il s’agit d’un devoir éthique tout autant que pratique, dans le cadre d’une valorisation des articles publiés.
Enfin – et ce n’est pas vraiment une question parce que vous avez déjà répondu – sur la liberté de panorama, nous nous étions prononcés avec plusieurs collègues, lors des débats autour du projet de loi relatif à la création, l’architecture, et le patrimoine, sur l’importance du droit de diffuser ses propres photographies ou films de sculptures ou de bâtiments, dont le créateur est décédé depuis moins de soixante-dix ans, et qui se trouve à demeure sur la place publique. Je partage la volonté de la commission de voir un cadre européen sécuriser les différentes pratiques en la matière, et vous rejoins, monsieur le rapporteur, et permettez-moi de vous citer, sur la question de la limite à instaurer entre utilisation marchande et non-marchande de clichés pris dans l’espace public.
Le groupe Radical, Républicain, Démocrate et Progressiste votera favorablement cette résolution.
Mme Dominique Nachury. Mes questions dépassent peut-être le cadre de la présente proposition de résolution européenne, mais je voudrais ouvrir des réflexions sur les responsabilités des hébergeurs, car nous ne pouvons en rester au stade de l’incantation.
Il y a un équilibre européen à trouver en matière de droit d’auteur. Le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, a déclaré vouloir « briser les barrières nationales » du droit d’auteur. L’Allemagne et la France ont, quant à elles, des positions très proches sur le sujet. Y a-t-il d’autres États membres qui partagent leurs positions ? Nous pourrions nous appuyer sur leur soutien.
M. Pascal Demarthe. Monsieur le Rapporteur, je tenais tout d’abord à vous féliciter pour l’excellent rapport que vous avez bien voulu nous transmettre. Dans ce rapport, vous souhaitez réaffirmer avec force que la création européenne ne pourra être renforcée qu’en confortant l’apport essentiel des créateurs. C’est bien évidemment notre ambition commune, celle de promouvoir la diversité́ culturelle, de permettre l’accès aux œuvres et assurer la juste rémunération de la création.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, a quant à elle récemment souligné lors d’un colloque organisé dans le cadre du festival de Cannes, que son rôle « est de faire en sorte justement que la diffusion numérique soit créatrice de valeur pour les industries culturelles car c’est ainsi que nos auteurs et nos artistes pourront continuer à̀ créer et innover ». Elle a expliqué qu’il fallait « promouvoir la richesse et le foisonnement de la production artistique européenne, en permettant que ces nouvelles formes de créations puissent trouver les financements nécessaires à leur développement ».
La présente proposition de résolution invite à « aboutir à un meilleur partage de la rémunération au sein de la chaîne de valeur culturelle, par une plus grande contribution des plateformes qui tirent un profit de la distribution des contenus en ligne ». Dans la continuité de la future loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, la Commission européenne devrait engager un travail sur les agrégateurs d’actualité. Cela permettrait notamment d’apporter une clarification souhaitable du droit européen sur la question. Monsieur le Rapporteur, pouvez-vous me donner davantage d’information sur le sujet, tout en sachant qu’il est bien évident pour moi, en tant que membre de la Commission, que j’approuverai la proposition de résolution ?
Mme Laurence Arribagé. Monsieur le Rapporteur, je voudrais remercier nos collègues pour cette proposition de résolution et saluer également l’harmonie franco-allemande sur le sujet des droits d’auteur au sein de l’espace européen.
Dans sa volonté de concrétisation d’un marché unique du numérique, la Commission européenne a initié, à juste titre, une réflexion élargie sur l’encadrement européen du droit d’auteur aujourd’hui incarné par la directive « Société de l’information » de 2001.
Si je rejoins bien évidemment la position de mes collègues en faveur du maintien des équilibres garantis par cette directive, les mutations technologiques et l’évolution des pratiques de consommation réclament sans aucun doute une adaptation du cadre normatif en vigueur dans les États membres à la réalité qui est désormais la nôtre.
Il s’agit de garantir le plus haut niveau de protection des auteurs et ayants droit, tout en permettant une conduite efficace de politiques publiques tout aussi essentielles que celles des programmes éducatifs, de recherche, d’innovation, de protection du consommateur ou encore d’accès des personnes handicapées aux produits culturels.
À ce titre, la redéfinition du statut et des responsabilités des hébergeurs au sein de l’arsenal juridique européen me semble inévitable, du fait du statut de « non-responsabilité » que les textes actuels leur confèrent. En effet, force est de constater que les évolutions du marché numérique ont métamorphosé le paysage digital et instauré des rapports de force que personne n’aurait pu imaginer en 2001. Aujourd’hui, il convient de redéfinir les rôles des acteurs de la production culturelle et de plaider en faveur d’une meilleure répartition de la valeur. Dès lors, il m’apparaît nécessaire d’établir un régime de responsabilité des hébergeurs lorsque ceux-ci profitent commercialement de l’hébergement des contenus.
Monsieur le rapporteur, estimez-vous souhaitable de contrôler l’activité des hébergeurs et l’usage qu’ils font des données transmises ou stockées afin de faire un distinguo précis entre hébergeurs passifs et actifs ? Plus largement, dans quelle mesure estimez-vous possible de procéder à une définition européenne unifiée d’une telle responsabilité de ces acteurs, pour minimiser les stratégies d’évitement géographiques ?
Mme Julie Sommaruga. Monsieur le Rapporteur, tout d’abord je tiens à rappeler à quel point cette proposition de résolution est indispensable pour garantir l’exception culturelle française qu’il nous faut protéger, tant elle est constitutive de notre identité collective et de notre vivre-ensemble.
Je souhaite, par ailleurs, vous interroger sur la rémunération des artistes plasticiens, graphistes et photographes dont les œuvres sont reproduites par les moteurs de recherche et de référencement sur internet. Je connais votre attachement à trouver un moyen de rémunération satisfaisant pour ces artistes, attachement que je partage pleinement. Nous avions d’ailleurs débattu précisément sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.
Or, comme l’avait souligné le débat d’alors et comme vous le rappelez si justement dans votre rapport, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne nous empêche aujourd’hui de mettre en place un système juste et efficient de gestion des droits d’auteur pour les artistes plasticiens, graphistes et photographes.
Aussi, pouvez-vous me préciser en quoi cette proposition de résolution permettra de faire évoluer notre droit dans le sens d’une meilleure rémunération de ces artistes qui sont sans doute les plus touchés par la gestion des œuvres via les plates-formes numériques ?
Mme Véronique Besse. Dans votre examen de la proposition de résolution européenne, vous soulignez votre attachement au principe de territorialité des droits, votre souci de permettre l’accès aux œuvres ainsi que la nécessaire et juste rémunération de la création.
Dans cette perspective, vous indiquez que la possible consultation à distance de livres numériques dans un circuit fermé apparaît comme une initiative intéressante et qu’elle fait partie de demandes pérennes des associations de bibliothécaires.
Je souhaiterais tout d’abord savoir plus précisément ce que recouvre le terme « circuit fermé » et quelle déclinaison concrète on peut en faire dans les bibliothèques municipales ou intercommunales. D’autre part, je souhaiterais savoir quelles sont les mesures qui peuvent inciter les bibliothèques à développer la numérisation d’ouvrages. Enfin, je voudrais savoir si des critères ont été définis pour inciter aussi à la numérisation et à la mise à disposition d’œuvres locales ou régionales, dans le juste respect de la rémunération de la création.
M. Émeric Bréhier. J’aurais une question toute simple, étant entendu que le texte de la proposition de résolution ne se trouve pas en apesanteur, mais s’inscrit au contraire dans un contexte législatif. Les points 16 et 17 font référence aux plateformes. Mais le Sénat, qui vient d’achever la première lecture du projet de loi relatif à la République numérique, a supprimé de son article 23 les dispositions qui prenaient en compte le rôle des hébergeurs, acteurs à part entière des industries culturelles. Comment assurer l’équilibre entre leurs intérêts et le besoin d’une création diverse et active ? Comment lier ces deux éléments ?
M. Christian Kert. Je demanderai seulement une précision. Lorsque notre rapporteur nous indique que, s’agissant des clichés photographiques, cette proposition peut résoudre le problème, faut-il comprendre que notre Commission pourrait alors cesser de travailler à ce que les travaux des photographes ne soient plus pillés par les grands opérateurs ? Ou devrons-nous continuer malgré tout ?
M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Merci, chers collègues, de toutes ces interventions riches de questionnements. Nous abordons la question du droit d’auteur sans dogmatisme, sans vouloir nourrir un quelconque esprit de résistance ou conduire une quelconque bataille de retardement. Nous voulons au contraire prendre acte de la révolution numérique. Le droit d’auteur a déjà fait la preuve de son extraordinaire capacité à s’adapter aux révolutions technologiques successives. Nous devons l’adapter à nouveau pour ne pas handicaper l’accès aux œuvres. La Commission européenne voudrait que ce dernier soit toujours plus large. Elle développe le même état d’esprit vis-à-vis des entreprises. C’est là que le bât blesse : la France l’a constamment souligné au plan européen, au-delà des alternances politiques.
Vous avez toutes et tous évoqué la nécessité de maintenir la territorialité des droits. Certes, nous souhaitons pouvoir lire, écouter de la musique ou regarder des films que nous avons acquis lorsque nous sommes en déplacement dans un autre État européen, mais il s’agit de trouver le bon équilibre. Nous y faisons référence de manière explicite dans la proposition de résolution européenne.
Cher Hervé Féron, la portabilité que nous appelons de nos vœux serait en effet une portabilité temporaire. La notion de lieu de résidence devra être précisément définie, de sorte qu’il n’y ait pas de contournement possible des règles.
De même, il ne faut pas confondre la rémunération des créateurs et les répercussions possibles de cette rémunération sur les usagers. L’idée serait plutôt de faire porter ce coût sur Google, Apple, Facebook ou Amazon, notamment. Je vous rejoins tout à fait sur la question.
Cher Frédéric Reiss, vous avez évoqué, avec beaucoup d’autres, les travaux de la mission d’information sur les trente ans de la législation relative à la copie privée. Mais la référence à la copie privée n’est faite qu’à l’alinéa 29 de la proposition de résolution, en quatre mots en tout et pour tout. Il s’agit donc d’un élément accessoire de la proposition de résolution européenne, que nos collègues Marietta Karamanli et Hervé Gaymard ont plutôt évoqué pour rappel. La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine a élargi le champ des actions culturelles éligibles au soutien financé par 25 % des montants perçus au titre de la rémunération au titre de la copie privée. Si une harmonisation est nécessaire sur un certain nombre de points, nous refusons toutefois une harmonisation au rabais.
Parmi les nombreuses questions à évoquer, celle du rôle des plateformes en ligne et des hébergeurs n’est pas nouvelle. Elle est tout à fait essentielle. Avant même la directive européenne sur le commerce électronique, entrée dans notre droit interne en 2004, la loi sur l’audiovisuel de 2000 avait été enrichie par voie d’amendement d’une disposition qui établissait une chaîne de responsabilité dégressive de l’éditeur au fournisseur d’accès, en passant par l’hébergeur. Il s’agissait, dans le sillage de l’affaire Altern, de protéger les hébergeurs et les fournisseurs d’accès. Mais les frontières entre éditeurs et hébergeurs ne sont plus si nettes aujourd’hui. La Commission européenne a donc entamé une réflexion sur ce point. Ces réflexions semblent déjà sur des rails.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la liberté de panorama. De même que nous légiférons et que nous produisons notre droit interne, il me semble important de prendre position sur les initiatives de la Commission européenne en ce domaine. À notre collègue Isabelle Attard, je voudrais dire qu’il ne me semble pas y avoir incohérence à le faire. Vous avez cité en particulier l’alinéa 26 de la proposition de résolution, qui fait référence à une réflexion parlementaire en cours. Je rappelle qu’on entend par utilisation « à titre privé » le fait de se faire par exemple photographier en famille devant le viaduc de Millau.
S’agissant des droits alloués aux bibliothèques et à la recherche publique, nous sommes en face d’un élément très dynamique. Notre collègue Émeric Bréhier l’avait évoqué dans son avis établi au nom de la Commission sur le projet de loi pour une République numérique.
Pour répondre à la question de notre collègue Véronique Besse sur le circuit fermé, je dirais qu’il s’agit de la possibilité de consulter à distance les livres numériques, mais sans y avoir pour autant un accès illimité. Un contrôle des accès et de la diffusion serait ainsi maintenu. S’agissant des œuvres régionales que vous avez également évoquées, il n’y a pas, à ma connaissance, de restriction sur le champ des ouvrages pouvant être numérisés.
Quant au statut des hébergeurs, ils sont sortis d’un rôle passif qui les dégage de toute responsabilité.
Vous avez eu raison, M. Demarthe, d’évoquer le récent colloque de Cannes qui montre que nos réflexions s’inscrivent parfaitement dans le contexte de l’actualité.
Je remercie notre collègue Julie Sommaruga de sa question sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Au moment de la commission mixte paritaire, il faudra effectivement apporter une vraie réponse au problème de la rémunération des artistes plasticiens, qu’ils soient peintres, sculpteurs ou photographes.
Cher Émeric Bréhier, le II de l’article 23 du projet de loi relatif à la République numérique a été en effet supprimé par le Sénat. L’Assemblée nationale devra reprendre la main sur ces dispositions.
Cher Christian Kert, le chantier législatif que vous évoquez reste à poursuivre, puisque réaffirmer les principes du droit d’auteur constitue un chantier permanent.
Vous avez été nombreux à évoquer la révision nécessaire de la directive de 2001 sur la société d’information. En 2005 et 2006, le projet de loi de transposition relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI, avait fait couler beaucoup d’encre. La révision de la directive ne doit toutefois pas remettre en cause ses éléments fondamentaux. Au niveau européen, le couple franco-allemand est attentif à revendiquer le respect du droit d’auteur en tant que tel.
La Commission examine l’amendement AC2 de Mme Isabelle Attard.
Mme Isabelle Attard. Nous demandons la suppression de l’alinéa 26 de la proposition de résolution. Il prévoit la prise en compte de la position française en matière de « liberté de panorama », s’agissant de l’utilisation de photographies, de séquences vidéo ou autres images d’œuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics, telle que cette position sera définie dans la loi pour une République numérique.
Or, nous ne pouvons prédire, non plus que quiconque du reste, l’issue de la commission mixte paritaire qui se réunira sur le projet de loi pour une République numérique. Nous ne saurions accepter par avance n’importe quelle décision de commission mixte paritaire.
M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Je n’ai honnêtement pas compris votre amendement, ni la présentation que vous venez d’en faire. Lorsque je relis l’alinéa 26, je trouve qu’il est difficile d’être plus clair, puisque nous laissons ouvert le chantier du projet de loi pour une République numérique. En outre, les positions du Sénat et de notre assemblée, telles qu’elles ressortent de l’examen en première lecture, sont très proches sur ce point. Il y a une volonté partagée de différencier entre une utilisation marchande et une utilisation non marchande.
La proposition de résolution européenne que nous examinons n’est pas normative, alors que la loi, une fois adoptée, le sera. Aussi je vous suggère le retrait de votre amendement, faute de quoi je serai au regret d’émettre à son endroit un avis défavorable.
Mme Isabelle Attard. Je maintiendrai pourtant mon amendement. Je ne peux concevoir que nous puissions demander que soit prise en compte la position française alors qu’elle n’est pas même pas encore définie. Cela me gêne profondément.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement AC3 de Mme Isabelle Attard.
Mme Isabelle Attard. L’alinéa 29 porte sur la demande de respect du système actuel de copie privée tel qu’il existe en France. Or, la mission d’information sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée, présidée par Virginie Duby-Muller et dont le rapporteur était Marcel Rogemont, a conclu, en 2015, à l’existence de dysfonctionnements dans le système actuel, parlant notamment de « paralysie totale de la commission ».
Il est étrange de vouloir étendre cette paralysie à toute l’Union européenne. Je me demande même dans quelle mesure nous n’allons pas aujourd’hui au rebours des recommandations formulées par la mission d’information. Elle appelait à davantage de simplification et de facilitation pour les artistes.
Hier, le site Nextinpact publiait que « le ministère de la Culture a décidé de déplacer discrètement la localisation informatique de sa notice explicative sur la copie privée. Ignorant visiblement ce déménagement, des géants comme Dell continuent ainsi d’informer leurs acheteurs professionnels en pointant aujourd’hui vers une jolie page 404 », ce qui signifie « message d’erreur ». Non contents d’aller au rebours des recommandations de la mission d’information que nous avons tous soutenues, nous ne facilitons pas non plus la tâche aux professionnels.
M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Avis défavorable. Faut-il vraiment reprendre ce matin tous nos débats sur la copie privée ? Je ne voudrais pas que nous donnions une fausse lecture des conclusions de la mission d’information et de ses recommandations de transparence.
Dans ses conclusions, la mission d’information renouvelait sa confiance au système actuel de la copie privée. Le dispositif affecte 25 % des montants perçus au titre de la rémunération à des actions d’intérêt culturel. Le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine élargit du reste le champ des actions culturelles éligibles à ce soutien. En revanche, contrairement à la position que j’avais prise sans doute hâtivement lors des premières lectures, j’estime aujourd’hui que le règlement intérieur de la commission pour la rémunération de la copie privée devrait être connu de tous et publié au Journal officiel.
L’alinéa 29 de la proposition de résolution se borne à évoquer le respect actuel du système de copie privée fondée sur une exception au droit d’auteur. Il donne lieu à une contrepartie, bien plutôt qu’à une compensation, car il ne fait naître en soi aucun préjudice.
Mme Isabelle Attard. Je considère moi aussi que les créateurs doivent être payés et rémunérés pour leur travail par de justes sommes. Mais ils dépendent aujourd’hui d’un système de copie privée qui est opaque et instable. Cela est dommageable pour toute la création française, qui mérite mieux que ce dispositif bancal. Je préférerais que les 58 millions d’euros qu’il permet de lever au profit des auteurs proviennent d’un prélèvement sain et transparent.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement AC1 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Je suis partisan de la protection du droit d’auteur dans l’Union européenne, une protection sensée, adaptée et harmonisée dans un marché commun. Les objectifs que vous avez cités sont dans la lignée de ceux que les autorités françaises évoquent régulièrement depuis 2012. Sur la liberté de panorama, vous savez que je suis partisan d’une exception claire et sans restriction s’agissant de l’usage commercial. J’espère que nous pourrons aller plus loin à la faveur des débats sur le projet de loi pour une République numérique.
Mais la mention du respect du « système actuel de la copie privée » m’a particulièrement fait réagir. Car il n’est pas souhaitable : n’allons pas exporter un dispositif français qui présente des dysfonctionnements majeurs. Le rapport Rogemont, présenté devant cette Commission, avait décrit un système en crise et nécessitant des réformes urgentes. L’absence de remboursement effectif aux professionnels n’est pas une spécificité française qu’il faudrait sauvegarder, mais bien une atteinte au droit européen.
Nous devrions plutôt demander une harmonisation au niveau européen qui permette d’arriver à un bon niveau de remboursement des professionnels. Cela fait encore défaut en France. Je parle d’harmonisation et non d’uniformisation, chaque pays ayant un fonctionnement différent. Cela permettrait d’éviter du moins le développement du marché gris. Alimenté par des barèmes plus élevés en France que chez nos voisins, il constitue un vrai problème. Au Luxembourg, il n’y a pas de compensation en cas d’usage pour copie privée. Pour l’Allemagne, le rapport Rogemont rapporte le cas d’un distributeur allemand chez qui 100 DVD coûtent 121,99 euros, là où distributeur français en propose dix pour 25,99 euros. Les différentiels de barème constituent un vrai problème que cette proposition de résolution ne peut ignorer.
M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Alors que le système de la copie privée était bloqué, nous avons souhaité une plus grande transparence. À l’initiative de la ministre, la commission pour la rémunération de la copie privée, qui avait cessé de se réunir, le fait de nouveau. Le système fonctionne désormais. Je rappelle que la loi Lang de 1985 avait été votée à l’unanimité, permettant de couvrir les entorses au droit d’auteur que constituaient les cassettes audio enregistrées qui s’échangeaient notamment dans les cours de récréation, au titre d’une exception aménagée pour l’usage dans le « cercle familial ».
Trente ans après, les enjeux ne sont plus les mêmes à l’ère numérique. Gardons-nous toutefois de tout contre-sens sur l’alinéa 29 qui évoque le respect du système actuel de la copie privée en faisant référence aux règles européennes en vigueur, et non aux règles franco-françaises.
M. Frédéric Reiss. Il est incontestable que la commission pour la rémunération de la copie privée a besoin d’une transparence accrue. Je crois que notre mission d’information n’aura pas été inutile si nous y arrivons. Le système de la copie privée est en plein développement, puisque vingt-six des vingt-huit États membres l’ont adopté. J’apporte donc mon soutien à l’amendement de notre collègue Lionel Tardy, car nous pouvons soutenir la copie privée sans remettre en cause la juste rémunération des auteurs et artistes.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Elle adopte ensuite l’ensemble de la proposition de résolution sans modification.
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