______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juin 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2706)
visant à lutter contre le recours à une mère porteuse
PAR Mme Valérie BOYER,
Députée
——
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. L’INTERDICTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI, JUSTIFIÉE PAR DES MOTIFS ÉTHIQUES, EST AUJOURD’HUI REMISE EN CAUSE 8
A. APPRÉHENDÉE DE MANIÈRE DIFFÉRENCIÉE DANS LE MONDE, LA GESTATION POUR AUTRUI DOIT DEMEURER PROHIBÉE EN FRANCE 8
1. Pratique soumise à des législations variables selon les États… 8
2. … la gestation pour autrui doit demeurer prohibée en France en raison des lourdes interrogations éthiques qu’elle soulève 10
B. UN CADRE JURIDIQUE INSUFFISAMMENT DISSUASIF 13
1. Une interdiction, fondée sur la protection de l’indisponibilité du corps et de l’état des personnes, sanctionnée civilement et pénalement 13
2. Des sanctions faibles et inefficaces à l’égard de la gestation pour autrui pratiquée à l’étranger 15
C. LA PRISE EN COMPTE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME DU DROIT DES ENFANTS NÉS D’UNE GPA AU RESPECT DE LEUR VIE PRIVÉE 17
1. La nullité des conséquences juridiques attachées à la gestation pour autrui… 17
2. … remise en cause par la jurisprudence de la CEDH relative au droit des enfants au respect de leur vie privée 19
II. LA PROPOSITION DE LOI TEND À RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE RECOURS À LA GESTATION POUR AUTRUI SUR LE PLAN PÉNAL, CIVIL ET INTERNATIONAL 22
A. DE NOUVELLES INCRIMINATIONS PÉNALES RÉPRIMANT SPÉCIFIQUEMENT LA GESTATION POUR AUTRUI (ARTICLES 1ER ET 2) 22
B. L’INTERDICTION DES ACTES ET DÉCISIONS TENDANT À LA RECONNAISSANCE D’UNE GESTATION POUR AUTRUI (ARTICLE 3) 23
C. LA NÉCESSITÉ D’UNE CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’INTERDICTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI (ARTICLE 4) 24
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION 25
Avant l’article 1er 55
Article 1er(art. 227-12 du code pénal) : Distinction entre l’entremise en vue d’une gestation pour autrui et les autres infractions relatives à l’abandon d’enfant 55
Article 2 (art. 227-12-1 [nouveau] du code pénal) : Renforcement de la répression pénale de la gestation pour autrui 59
Après l’article 2 62
Article 3 (art. 47-1 [nouveau] du code civil) : Interdiction de tout acte et de toute décision portant reconnaissance d’une filiation avec un enfant obtenue par une gestation pour autrui 63
Article 4 : Demande de rapport sur l’adoption d’une convention internationale relative à l’interdiction de la gestation pour autrui 70
Le principe de dignité occupe une place éminente parmi les valeurs protégées socialement et dans la hiérarchie des normes. Car si, comme le posait Emmanuel Kant, « ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre à titre équivalent », « ce qui est supérieur à tout prix, ce qui n’admet aucun équivalent, c’est ce qui a une dignité » (1).
Il appartient au législateur de veiller à ce que ce principe soit strictement respecté, face aux évolutions sociétales et médicales, y compris lorsque la tentation d’y déroger est animée par des intentions louables. Tel est le cas lorsqu’est en cause la conception d’un enfant. Certains couples, qui ne peuvent en avoir par eux-mêmes, soit en raison de l’infertilité de la femme l’empêchant de porter l’enfant, soit parce qu’il s’agit de couples de personnes de même sexe, empruntent des chemins détournés pour y parvenir et ont recours à la gestation pour autrui.
Cette pratique, qui remonte à l’Antiquité (ventrem locare), consiste pour un couple à conclure une convention avec une femme afin que celle-ci porte un enfant qu’elle s’engage à abandonner après sa naissance. Elle s’est développée avec les derniers progrès des techniques d’assistance médicale à la procréation, permettant, avec la fécondation in vitro, une dissociation de la maternité gestationnelle et de la maternité génétique, et rendant possible le transfert à la mère porteuse d’un embryon issu des gamètes des deux parents d’intention.
Les termes de « gestation pour autrui », qui se sont imposés dans le débat public, ne sont pas les seuls à désigner une pratique qui revêt plusieurs réalités. D’autres termes sont utilisés, comme ceux de « mères porteuses », « maternité de substitution », « maternité pour autrui » ou « maternité par autrui ». Tous n’étant pas équivalents, votre rapporteure a choisi de retenir ici l’expression « gestation pour autrui », la plus usitée dans le débat public, même si celle de « grossesse pour autrui » paraîtrait plus appropriée et exacte.
La gestation pour autrui est interdite en France parce qu’elle contrevient aux principes d’ordre public d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes. Dégagée une première fois en 1991 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, cette prohibition a été inscrite par le législateur aux articles 16-6, 16-7 et 16-9 du code civil et son non-respect est sanctionné pénalement.
Cette interdiction fait l’objet d’un large consensus dans notre pays. Aussi bien l’Assemblée nationale et le Sénat – à travers les travaux menés, avant la révision des lois de bioéthique en 2010 par une mission d’information (2) ou l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (3) et, plus récemment, sur l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui (4) – que les plus hautes autorités compétentes sur le sujet – le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (5), le Comité consultatif national d’éthique (6) ou le Conseil d’État (7) – se sont prononcées pour le maintien de cette interdiction.
Réaffirmée avec constance par la Cour de cassation, la prohibition de la gestation pour autrui se trouve aujourd’hui fragilisée par l’inefficacité des sanctions civiles et pénales françaises à l’égard des couples qui y ont recours à l’étranger, dans des pays où elle est autorisée. De retour en France, ces personnes ne peuvent pas être poursuivies pénalement en raison des règles d’application territoriale de la loi française.
De manière plus préoccupante encore, la position prise par la Cour européenne des droits de l’homme dans deux affaires, Mennesson contre France et Labassée contre France, a partiellement remis en cause le refus opposé par la France à la transcription en droit français des actes de l’état civil étrangers établis à la suite d’une convention de gestation (I).
Il y a un an et demi, M. Jean Leonetti proposait à notre Assemblée d’adopter un texte visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui (8).
Hélas, une fin de non-recevoir lui était opposée en commission des Lois puis en séance publique tant par la majorité parlementaire que par le Gouvernement.
Depuis, aucune disposition n’a été proposée ou mise en œuvre par le Gouvernement afin de mettre un terme à ce qu’il est convenu d’appeler un « tourisme procréatif » destiné à contourner nos règles protectrices de la filiation, de l’intérêt de l’enfant et de la dignité des femmes.
Pourtant, dans le même temps, les appels de la société civile à légiférer sur la question se multipliaient (9) tandis que le Premier ministre, M. Manuel Valls, réaffirmait que la gestation pour autrui est « une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes » (10).
Afin de passer des déclarations d’intention aux actes, le présent texte se propose de renforcer la lutte contre le recours à la gestation pour autrui en agissant sur les plans pénal, civil et international (II).
Votre rapporteure regrette que la commission des Lois ait écarté, une nouvelle fois, les solutions avancées par cette proposition de loi, même si c’est au terme d’un débat particulièrement riche, qui aura démontré une large acceptation, au-delà des clivages partisans, des objectifs poursuivis par ce texte (III).
I. L’INTERDICTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI, JUSTIFIÉE PAR DES MOTIFS ÉTHIQUES, EST AUJOURD’HUI REMISE EN CAUSE
La prohibition de la gestation pour autrui, qui ne fait pas consensus au niveau international, demeure pleinement justifiée en France eu égard aux lourdes interrogations éthiques que soulève cette pratique (A). Elle est aujourd’hui fragilisée en raison du caractère insuffisamment répressif de la loi française (B). Elle se trouve même partiellement remise en cause par la position de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de la transcription en droit français des actes de l’état civil étrangers établis à la suite d’une convention de gestation (C).
A. APPRÉHENDÉE DE MANIÈRE DIFFÉRENCIÉE DANS LE MONDE, LA GESTATION POUR AUTRUI DOIT DEMEURER PROHIBÉE EN FRANCE
Même si elle fait l’objet de législations contrastées dans le monde (1), la gestation pour autrui est légitimement interdite en France compte tenu des lourdes interrogations éthiques qu’elle soulève (2).
La gestation pour autrui recouvre deux réalités différentes, selon le moment auquel intervient la fécondation. Il s’agit, d’une part, de la gestation pour autrui stricto sensu, pratiquée après une fécondation in vitro et qui permet à un couple de faire porter par une autre femme un enfant conçu avec ses propres gamètes. Il s’agit, d’autre part, de la procréation pour le compte d’autrui : après insémination artificielle, la fécondation a lieu in utero avec les ovocytes de la femme porteuse.
Elle est légalement interdite dans plusieurs pays européens, notamment en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Suisse, en Suède et en Norvège, et d’Asie, comme le Vietnam, le Japon ou les Philippines, ainsi que dans certains États des États-Unis, en particulier ceux de Washington, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, de l’Utah, du Michigan et de New-York.
Elle est en revanche autorisée dans d’autres pays, soit en vertu d’une législation expresse, soit parce que les autorités la tolèrent et ont adapté en conséquence leur droit de la filiation, notamment le Royaume-Uni, la Grèce, certains États des États-Unis comme la Californie, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas, Israël, le Brésil ou l’Inde. Toutefois, dans le cas de la Californie, votre rapporteur observe la contradiction de la législation de cet État en matière de gestation pour autrui avec les règles qui s’y appliquent dans d’autres domaines du vivant. Ainsi la Cour suprême californienne a-t-elle refusé de reconnaître à M. John Moore un droit de propriété sur certaines parties de son corps qui avaient été brevetées à son insu parce qu’elles généraient des agents anticancéreux.
Sur les 35 États membres du Conseil de l’Europe parmi les 47 qu’il comporte, la gestation pour autrui est expressément interdite dans 14 d’entre eux, dont la France, et prohibée en vertu de dispositions plus générales ou non tolérée dans 10 autres. Seuls 7 États l’autorisent expressément et 4 la tolèrent. L’établissement juridique du lien de filiation entre les parents d’intention et les enfants nés d’une gestation pour autrui légalement pratiquée à l’étranger n’est possible de façon certaine que dans 13 États membres et « semble également possible » dans 11 autres États ; elle est expressément exclue dans 11 pays (11).
LA GESTATION POUR AUTRUI DANS 35 ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE
Pays |
Pratique interdite expressément |
Pratique interdite en vertu de dispositions générales, non tolérée |
Pratique autorisée |
Pratiquée tolérée |
Établissement juridique |
Andorre |
Non | ||||
Albanie |
Oui | ||||
Allemagne |
Non (sauf pour le lien de filiation paternelle si le père d’intention est père biologique) | ||||
Autriche |
Oui | ||||
Belgique |
Oui | ||||
Bosnie-Herzégovine |
Non | ||||
Espagne |
Oui | ||||
Estonie |
Oui | ||||
Finlande |
Oui | ||||
Géorgie |
Oui | ||||
Grèce |
Oui | ||||
Hongrie |
Oui | ||||
Irlande |
Oui | ||||
Islande |
Oui | ||||
Italie |
Oui (pour le lien de filiation paternelle si le père d’intention est le père biologique) | ||||
Lettonie |
Non | ||||
Lituanie |
Non | ||||
Luxembourg |
Oui | ||||
Malte |
Oui | ||||
Moldavie |
Non | ||||
Monaco |
Non | ||||
Monténégro |
Non | ||||
Pays-Bas |
Oui | ||||
Pologne |
Oui | ||||
Tchéquie |
Oui | ||||
Roumanie |
Non | ||||
Royaume-Uni |
Oui | ||||
Russie |
Oui | ||||
Saint-Martin |
Oui | ||||
Serbie |
Non | ||||
Slovénie |
Oui | ||||
Suède |
Oui | ||||
Suisse |
Oui | ||||
Turquie |
Non | ||||
Ukraine |
Oui |
2. … la gestation pour autrui doit demeurer prohibée en France en raison des lourdes interrogations éthiques qu’elle soulève
Les risques que cette pratique fait courir aux femmes porteuses, et ses conséquences en termes d’aliénation et de marchandisation du corps humain, ont justifié son interdiction en France.
Les délicates interrogations éthiques qu’elle soulève ont parfaitement été recensées, en 2010, par la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, présidée par M. Alain Claeys et rapportée par M. Jean Leonetti, qui avançait quatre séries d’arguments.
En premier lieu, la gestatrice s’expose à des risques physiques et psychologiques importants. Au titre des risques physiques, la mission d’information s’interrogeait en ces termes : « [s]’il est vrai que certains de ces risques, et notamment les plus graves, sont statistiquement limités, est-il cependant éthiquement acceptable, alors qu’aucun intérêt vital ou thérapeutique n’est en jeu contrairement par exemple aux dons d’organes, de faire prendre à une personne en bonne santé de multiples risques, y compris celui de mourir pour autrui ? » (12).
Elle mettait en lumière les autres risques de la gestation pour autrui, notamment la négation des relations entre la mère gestatrice et l’enfant, les répercussions sur l’entourage de la mère porteuse, les risques pour le couple d’intention, les interrogations qui ne manqueront pas de naître chez l’enfant et « le danger d’une parenté fragmentée » (13), la gestation pour autrui pouvant faire intervenir au minimum trois parents – le père d’intention et deux mères « biologiques » (mère génétique et mère utérine) – et jusqu’à cinq parents dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (donneur de sperme, donneuse d’ovocytes, gestatrice, parents d’intention).
En deuxième lieu, la mission d’information relevait que la gestation pour autrui constitue « une forme d’aliénation et de marchandisation du corps humain » (14). La mère porteuse, contrainte de dissocier son existence corporelle et psychique de son histoire personnelle, peut avoir le sentiment d’être aliénée et dépossédée d’elle-même. Les clauses prévues dans certains contrats de gestation pour autrui en témoignent, soumettant la gestatrice à des sujétions nombreuses. Loin de constituer un contrat de travail, la gestation pour autrui, ainsi que l’avait fait observer Mme Sylviane Agacinski, fait « entrer les organes humains dans l’ordre d’une production artisanale et d’un commerce [qui] contribue à défaire le lien établi par le droit entre la personne et son corps, qui assure que la même dignité est reconnue aux deux » (15).
La plupart des femmes qui acceptent d’être porteuses le font en contrepartie d’une compensation financière, qu’il s’agisse du remboursement des frais supplémentaires, directs et indirects, causés par la gestation pour autrui ou des dédommagements de la perte de revenus et des inconvénients de la maternité. Facteur d’exploitation des femmes les plus vulnérables, la gestation pour autrui contrevient donc au principe de non-patrimonialité du corps humain posé par l’article 16-1 du code civil, lequel interdit que le corps humain, ses éléments et ses produits puissent faire l’objet d’un droit patrimonial.
Ainsi que l’a fait observer lors de son audition Mme Claire de La Hougue, docteure en droit, avocate au barreau de Strasbourg, la gestation pour autrui est susceptible de recevoir plusieurs qualifications en droit international au titre de la vente d’enfant, de l’esclavage et de la traite. Lorsque la contrepartie de l’acquisition de l’enfant est une somme d’argent, elle peut entrer dans la définition de la vente d’enfant prohibée par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant du 25 mai 2000 concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (16). Par ailleurs, la mère porteuse ainsi que les intermédiaires et les commanditaires disposent de l’enfant et exercent ainsi sur lui l’un des attributs du droit de propriété, l’abusus : l’enfant se trouve donc cédé, soit à titre onéreux, soit à titre gratuit, à un tiers. Cette pratique est condamnée par le droit international qui réprime l’esclavage (17), « état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » (18), et la traite, c’est-à-dire « tout acte de capture, d’acquisition ou de cession d’un individu en vue de le réduire en esclavage » (19).
Comme le résumait devant la mission d’information Mme Françoise Héritier, « il convient bien de considérer que la location d’utérus doit davantage à la nécessité qu’à l’altruisme et qu’elle aboutit au don (vente ?) d’une personne humaine » (20). Le consentement de la gestatrice, à supposer qu’il soit libre et éclairé, n’affranchit pas de toute réflexion éthique, au regard notamment du principe constitutionnel de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ».
En troisième lieu, la mission d’information soulignait l’impossibilité de définir un encadrement susceptible de garantir l’absence de toutes dérives de cette pratique. Elle jugeait illusoire l’interdiction de la rémunération des mères porteuses. Elle estimait qu’un encadrement de celle-ci, tel qu’il est par exemple pratiqué au Royaume-Uni, serait difficile à faire respecter et, en tout état de cause, contraire à la cohérence des lois de bioéthique, reposant sur les principes d’anonymat, de gratuité et de consentement libre et éclairé de la personne. Après avoir examiné l’opportunité de limiter le recours à cette pratique à certaines indications médicales, elle considérait qu’une telle évolution ouvrirait la voie à « une pente glissante » et ferait courir « le " risque d’un glissement vers une pratique de convenance ", comme s’en est inquiété le Conseil d’État dans son rapport de mai 2009, dès lors qu’il serait difficile d’affirmer a priori qu’une grossesse sera sans danger » (21).
Enfin, elle doutait qu’une légalisation de la gestation pour autrui permette de lutter contre le tourisme procréatif, comme l’illustre le cas du Royaume-Uni où de nombreux couples continuent de se rendre à l’étranger en raison notamment de l’insuffisance du nombre de gestatrices. Au surplus, elle relevait qu’une telle légalisation ne résoudrait pas les difficultés soulevées par la reconnaissance en droit interne des enfants nés d’une convention de mère porteuse à l’étranger.
L’Association des familles homoparentales (22) et le Comité de soutien pour la légalisation de la gestation pour autrui et l’aide à la reproduction assistée (23), tous deux favorables aux gestations pour autrui dites « éthiques » destinées à répondre aux situations d’infertilité, ont proposé à votre rapporteure la légalisation de parcours encadrés afin d’éviter toute dérive.
À l’instar des médecins et biologistes qu’elle a entendus, votre rapporteure estime qu’aucune gestation pour autrui ne peut être « éthique » ou « altruiste », y compris lorsqu’elle est pratiquée dans un cadre familial ou amical, lequel n’est pas exempt de pressions psychologiques. Le même constat a été formulé par MM. René Frydman, gynécologue obstétricien à l’hôpital Foch à Suresnes, Manuel Maidenberg, pédiatre à Paris, Pierre Boyer, responsable du laboratoire d’assistance médicale à la procréation à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille, et Pierre Tourame, gynécologue à Marseille.
En dernier lieu, l’autorisation de la gestation pour autrui emporterait d’importantes répercussions sociales, juridiques et anthropologiques. Elle « survaloriserait la transmission génétique » par rapport aux autres formes de parentalité d’intention. Par ailleurs, elle remettrait en cause les fondements du droit de la filiation en inaugurant « une rupture entre la grossesse et l’accouchement et la filiation » (24) et en affaiblissant la portée de l’interdiction de la provocation à l’abandon d’enfant.
Nombre de personnes entendues par votre rapporteure ont formulé le même constat. Pour le professeur René Frydman, la gestation pour autrui est une pratique destinée à répondre à une « demande d’enfants génétiquement de soi » tandis que pour M. Jean-François Mattei, membre de l’Institut et de l’Académie nationale de médecine, rapporteur des lois de bioéthique de 1994 et ancien ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, elle est le marqueur d’un « retour à l’identité biologique ». M. Hervé Chneiwess, neurobiologiste et président du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), s’exprimant à titre personnel, a considéré que cette pratique révélait une « biologisation à outrance, une fétichisation de l’ADN ».
En définitive, votre rapporteure observe qu’aucun de ces motifs d’interdiction n’a disparu ou perdu de sa pertinence et qu’il appartient au législateur de veiller à son respect effectif.
Pourtant justifiée par l’impératif de protection de la dignité de la personne humaine (1), la prohibition de la gestation pour autrui est aujourd’hui fragilisée par la faiblesse des sanctions encourues par les personnes qui ne la respectent pas et l’inefficacité de ces sanctions à l’égard des gestations pour autrui pratiquées à l’étranger (2).
1. Une interdiction, fondée sur la protection de l’indisponibilité du corps et de l’état des personnes, sanctionnée civilement et pénalement
L’interdiction de la gestation pour autrui résulte, en droit civil français, de l’application du principe d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes :
– le principe d’indisponibilité du corps humain signifie que le corps ne peut être ni mis à disposition, ni vendu, ni donné ou faire l’objet d’une convention, sauf, sous conditions, certains de ses éléments ;
– l’indisponibilité de l’état implique que les personnes ne peuvent pas modifier les éléments par lesquels elles sont individualisées (nom, âge, sexe, filiation, situation matrimoniale…) comme elles le souhaitent, notamment par convention.
Ces principes résultent de la lecture combinée des articles 6 et 1128 du code civil, lesquels prévoient respectivement qu’il n’est pas possible de « déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » et qu’« [i]l n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions ».
Dès 1989, la Cour de cassation a appliqué le principe d’indisponibilité de l’état des personnes en confirmant la dissolution de l’association Alma mater qui se proposait, sans but lucratif, de mettre en relation des couples stériles désireux d’avoir un enfant et des mères porteuses.
Elle avait jugé que « l’objet même de l’association est de favoriser la conclusion et l’exécution de conventions qui, fussent-elles verbales, portent tout à la fois sur la mise à la disposition des demandeurs des fonctions reproductrices de la mère et sur l’enfant à naître et sont donc nulles en application de l’article 1128 du Code civil ; que ces conventions contreviennent au principe d’ordre public de l’indisponibilité de l’état des personnes en ce qu’elles ont pour but de faire venir au monde un enfant dont l’état ne correspondra pas à sa filiation réelle au moyen d’une renonciation et d’une cession, également prohibées, des droits reconnus par la loi à la future mère ; que l’activité de l’association, qui tend délibérément à créer une situation d’abandon, aboutit à détourner l’institution de l’adoption de son véritable objet qui est, en principe, de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu » (25) .
Mettant un terme à plusieurs années d’incertitude juridique, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, pour la première fois en mai 1991, a condamné la convention par laquelle une femme s’engage, « fût-ce à titre gratuit », à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance, au motif qu’elle constitue un détournement de l’institution de l’adoption et contrevient « tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’état des personnes » (26).
La filiation, l’un des éléments de l’état, ne peut donc pas être modifiée unilatéralement par les personnes mais en respectant certaines exigences d’ordre public. Ainsi, l’établissement de la filiation maternelle repose sur le principe selon lequel la mère est celle qui accouche de l’enfant (mater semper cerna est), principe qui figure aux articles 325 et 332 du code civil. Seule l’adoption peut permettre d’attribuer la maternité d’un enfant à une femme qui n’en a pas accouché mais elle ne peut faire l’objet d’une convention privée de maternité pour autrui.
Sur le plan civil, le législateur a consacré, en 1994, les principes relatifs au respect du corps humain aux articles 16 à 16-9 du code civil :
– les articles 16-5 et 16-7 prévoient respectivement que « [l]es conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » et que « [t]oute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » ;
– l’article 16-9 confère un caractère d’ordre public à ces règles.
Le Conseil constitutionnel a considéré que ces principes, « au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine (…) tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine » (27).
La gestatrice, le couple demandeur et les intermédiaires qui prennent part à une procréation ou à une gestation pour le compte d’autrui encourent également les sanctions pénales prévues par la section 4 du chapitre VII du titre II du livre II du code pénal, relative aux atteintes à la filiation. L’article 227-12 réprime la provocation à l’abandon d’enfant et l’entremise en vue d’une adoption ou d’une maternité de substitution.
L’article 227-13 punit de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende la supposition d’enfant ou sa tentative, c’est-à-dire la « substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant ». Les comportements visés consistent, pour la mère d’intention, à simuler sa grossesse et sa filiation avec l’enfant et la dissimulation de la maternité de celle qui a effectivement accouché. Ont été condamnés à trois ans d’emprisonnement avec sursis, sur le fondement de cet article, deux époux qui avaient introduit clandestinement en France un nouveau-né originaire du Brésil et l’avaient faussement déclaré à l’état civil après avoir simulé un accouchement en 1993 (28).
L’article 227-14 prévoit que les personnes morales déclarées responsables pénalement, par exemple les agences faisant l’intermédiation entre le couple commanditaire et la mère porteuse, encourent, outre le quintuple de l’amende prévue pour l’infraction, certaines peines prévues par l’article 131-39 (dissolution, interdiction d’exercice, placement sous surveillance judiciaire, confiscation…).
2. Des sanctions faibles et inefficaces à l’égard de la gestation pour autrui pratiquée à l’étranger
Votre rapporteure relève la faiblesse des sanctions pénales encourues par les personnes qui concluent une convention de gestation pour autrui. Celles-ci peuvent atteindre un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour les délits d’entremise ou trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour la supposition. Les peines prévues en matière d’entremise en vue d’une gestation pour autrui peuvent être doublées seulement lorsque les faits sont commis à titre habituel ou dans un but lucratif. Ces peines sont manifestement trop peu dissuasives eu égard à la nature et à la gravité des comportements en cause.
Les condamnations sont rares, principalement en raison du caractère clandestin des infractions en cause. À titre d’exemple, la mission d’information sénatoriale sur l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui n’avait recensé que dix-huit condamnations prononcées entre 2009 et 2013 au titre de l’une des infractions réprimées par l’article 227-13 du code pénal (29).
Par ailleurs, le code pénal n’appréhende qu’une partie des pratiques de recours à la gestation pour autrui, en poursuivant seulement la provocation à l’abandon d’enfant, l’entremise et la supposition d’enfant entraînant une atteinte à l’état civil de l’enfant.
Paraissent exclus du champ pénal les démarches effectuées par une personne auprès d’agents ou d’organismes permettant ou facilitant, contre paiement, la pratique de la gestation pour autrui et, plus généralement, tous les comportements tendant à l’obtention de la naissance d’un enfant par cette pratique.
Enfin, en raison des règles d’application territoriale de la loi pénale française, ces peines sont sans effet lorsque la gestation pour autrui est pratiquée à l’étranger conformément aux lois du pays dans lequel elle est légale.
Lorsque le délit est commis à l’étranger, les faits ne peuvent être réprimés par la loi française que si la loi du pays les incrimine également et après une plainte de la victime ou une dénonciation officielle par l’autorité du pays où ils ont été commis, conformément aux articles 113-6 à 113-8 du code pénal.
Les couples qui ont recours à la gestation pour autrui dans un pays où cette pratique est légale ne peuvent être poursuivis à leur retour en France que si l’un des faits constitutifs de cette infraction a eu lieu sur le territoire de la République. C’est le cas lorsque l’enfant est né en France ou lorsqu’il y a été introduit secrètement. En revanche, lorsque tous les faits se sont produits à l’étranger, aucune poursuite en France n’est possible.
Dans le cas de l’affaire Dominique et Sylvie Mennesson, un couple français ayant eu recours à une gestation pour autrui aux États-Unis, le procureur de la République avait délivré à leur encontre un réquisitoire introductif du chef d’entremise en vue de gestation pour le compte d’autrui et de tentative de simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil des enfants. Toutefois, toutes les démarches du couple ayant été entreprises sur le sol américain (tentatives infructueuses de recueil des ovules, insémination de la mère porteuse, jugement de la Cour suprême de l’État de Californie qui légitime leur qualité de père et de mère des enfants à naître, établissement des actes de naissance et des passeports…), le tribunal de grande instance de Créteil a rendu, le 30 septembre 2004, une ordonnance de non-lieu.
Par ailleurs, les personnes qui ont recours à la gestation pour autrui dans un pays où cette pratique est légale disposent d’actes d’état civil étrangers en bonne et due forme.
En principe, ces actes, s’ils ont été régulièrement établis, font foi en France, sans qu’il soit obligatoire de procéder à leur transcription sur les registres de l’état civil français (30). Pour produire leur plein effet en France, ces actes doivent simplement avoir été établis conformément à la loi locale, traduits et authentifiés.
Cela résulte de l’article 47 du code civil aux termes duquel « [t]out acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
Afin de faciliter leurs démarches en France, les couples ayant eu recours à une gestation pour autrui à l’étranger ont la faculté de demander la transcription en droit français des actes de naissance étrangers. Alors que cette transcription était demeurée interdite par la Cour de cassation (1), deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont remis en cause cette position, ouvrant la possibilité à de nombreux couples de contourner la prohibition française (2).
Les couples ayant eu recours à une gestation pour autrui à l’étranger peuvent, s’ils le souhaitent, chercher à faire reconnaître en France le lien de filiation que le droit étranger leur a garanti, soit par l’adoption plénière, soit par la transcription des jugements ou actes de naissance étrangers, soit encore par la transcription d’un acte du juge des tutelles reconnaissant leur possession d’état de parents à l’égard de l’enfant.
La transcription d’actes de l’état civil étrangers n’est pas automatique : elle peut être réalisée d’office, sur réquisition du procureur de la République, ou à la demande de la personne concernée mais après l’accord de ce dernier. Le procureur de la République vérifie alors que l’acte n’est pas contraire à l’ordre public français ou qu’il n’a pas été réalisé en fraude à la loi nationale. Dans ce dernier cas, la fraude peut être constituée lorsque le comportement des intéressés a été motivé par leur volonté d’échapper aux dispositions de la loi nationale qui aurait dû s’appliquer. Il en va de même lorsque l’acte de l’état civil étranger a été dressé en exécution d’un jugement étranger : les deux étant indissociables, les magistrats doivent vérifier la régularité du jugement, en particulier la compétence du juge, la non-contrariété du jugement avec l’ordre public international français et l’absence de fraude.
Tirant les conséquences de la nullité en droit français des conventions de gestation pour le compte d’autrui, la Cour de cassation s’est prononcée de manière constante contre l’établissement d’un lien juridique de filiation entre l’enfant issu d’une telle convention et les parents d’intention :
– par l’effet de la transcription sur les registres de l’état civil des mentions figurant sur un acte de naissance régulièrement dressé à l’étranger (31) ;
– par l’adoption (32) ;
– par la possession d’état (33) ;
– ou par la reconnaissance de paternité faite préalablement à la naissance par un père d’intention qui, ayant fourni ses gamètes en vue de la conception, était pourtant le père biologique (34).
La Cour de cassation a ainsi confirmé le refus de transcription décidé par la cour d’appel de Paris à l’encontre du couple Mennesson en jugeant qu’était « justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ». À cette occasion, elle a rappelé « qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ».
Elle a également estimé que ce refus de transcription, « ne priv[ait] pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêch[ait] de vivre avec les époux X... en France » et que, par conséquent, il « ne port[ait] pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant » (35).
En effet, la reconnaissance en droit français des conséquences juridiques attachées à la gestation pour autrui n’est pas nécessaire à l’exercice par les parents des actes de la vie quotidienne à l’égard de leurs enfants. Dès 2009, le Conseil d’État, dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, faisait le même constat en relevant que « [l]’absence de transcription de l’acte d’état civil étranger ne fait pas obstacle à ce que cet état civil soit reconnu et utilisé par les parents dans les actes de la vie courante (rapports avec les administrations, les écoles, les structures de soins…), d’autant que la formalité de transcription ne revêt pour les couples concernés aucun caractère obligatoire » (36).
En vertu de la délégation de l’autorité parentale prévue par l’article 377-1 du code civil, le juge aux affaires familiales peut décider, par exemple lorsque la filiation paternelle est établie, d’autoriser l’autre membre du couple à effectuer les actes de la vie courante visés dans la décision de délégation. En application des articles 394 à 413 du même code, la tutelle des mineurs permet également au parent avec lequel le lien de filiation est établi de désigner l’autre membre du couple comme tuteur de l’enfant par testament ou par une déclaration spéciale devant notaire. À défaut, l’article 404 du même code dispose que le tuteur est choisi par le conseil de famille selon l’intérêt de l’enfant ; l’un des parents d’intention peut donc être désigné tuteur.
Enfin, le Gouvernement, de manière plus discutable, a entrepris de faciliter la délivrance de certificats de nationalité aux enfants issus d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger en indiquant aux autorités chargées de cette délivrance que « le seul soupçon du recours à une telle convention [de mère porteuse] conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus » (37).
2. … remise en cause par la jurisprudence de la CEDH relative au droit des enfants au respect de leur vie privée
Toutefois, la jurisprudence dissuasive de la Cour de cassation a été récemment fragilisée par la position prise par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans deux arrêts du 26 juin 2014, Mennesson contre France (38) et Labassée contre France (39).
Dans ces deux affaires, des couples français ayant eu recours à une gestation pour autrui à l’étranger contestaient le refus de l’État français de procéder à la transcription des actes de naissance des enfants à l’état civil français.
De prime abord, ces arrêts ne paraissent pas remettre en cause l’interdiction d’ordre public de la gestation et de la procréation pour le compte d’autrui. La Cour observe, d’une part, qu’« il n’est pas question de la compatibilité avec la convention de l’interdiction de la gestation pour autrui par un État membre » et, d’autre part, que l’absence de consensus en Europe sur cette question « reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique » justifiant « que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision (…) d’autoriser ou non ce mode de procréation ». La prohibition de la gestation pour autrui paraît donc conforme à la Convention européenne des droits de l’homme.
Malgré tout, la CEDH, après avoir écarté le grief tiré de la violation du droit des parents à une vie familiale normale, a jugé que le refus d’établir le lien de filiation entre des enfants issus d’une gestation pour autrui et leur père d’intention également père biologique porte atteinte au droit des enfants au respect de leur vie privée, dont font partie les droits à la reconnaissance de l’identité et à l’établissement de la filiation.
La décision de la Cour de Strasbourg ne vaut donc que lorsque la filiation alléguée correspond à la réalité biologique. La CEDH l’a confirmé dans l’affaire Paradisio et Campanelli, où l’enfant n’avait aucun lien biologique avec les deux parents d’intention ayant eu recours à une gestation pour autrui en Russie. À cette occasion, la Cour a estimé que les juges nationaux, en refusant de reconnaître la filiation établie à l’étranger « au motif que les requérants n’avaient pas un lien génétique avec l’enfant, (…) n’ont pas pris une décision déraisonnable » (40).
Votre rapporteure s’interroge sur la double incohérence de la position de la CEDH, qui la conduit, d’une part, à reconnaître aux États une marge d’appréciation sur ce sujet mais à leur imposer une solution contraire aux choix de l’interdiction faits par certains d’entre eux et, d’autre part, à juger légitimes et proportionnées les ingérences dans la vie familiale des parents mais à les considérer comme inacceptables pour le droit au respect de la vie privée des enfants, laissant penser que la vie privée et familiale des premiers serait dissociable de celle des seconds.
Votre rapporteure regrette également le choix fait par le Gouvernement français de ne pas interjeter appel d’un arrêt de cette importance, prononcé par une chambre de la Cour de Strasbourg, alors même qu’il a la faculté, dans les trois mois suivant le prononcé d’un arrêt de chambre, de demander le renvoi de l’affaire devant la grande chambre pour un nouvel examen.
Comme le remarque M. Frédéric Sudre, professeur à l’Université de Montpellier I, « l’arrêt de la Cour, rendu au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, est source d’incohérence juridique à l’égard de la GPA (…) parce qu’il confère des effets juridiques à une situation formellement interdite par le législateur » et « parce qu’il place les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger dans une situation différente quant à leur filiation paternelle et à leur filiation maternelle. À cet égard, l’arrêt n’a pour seul effet que d’imposer à la France la reconnaissance de la filiation paternelle fondée sur la vérité biologique et il suffira à la Cour de cassation de modifier sa jurisprudence et d’admettre, notamment, la transcription de l’acte de naissance étranger. Par contre, la mère d’intention étant laissée à l’écart par l’arrêt de la Cour européenne, la question de la reconnaissance de la filiation maternelle reste entière » (41).
Suivant ces deux arrêts, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré, en juillet 2015, un revirement de sa jurisprudence. Elle a décidé qu’une convention de gestation pour autrui conclue à l’étranger ne fait pas obstacle à la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance, établis à l’étranger et rédigés dans les formes usitées de ce pays, établissant le lien de filiation entre l’enfant et les parents biologiques, dès lors que ces actes ne sont ni irréguliers, ni falsifiés et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité (42).
La nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation ne tranche pas toutes les questions nées des deux arrêts de la CEDH, compte tenu de la spécificité des cas de recours à la gestation pour autrui dont il était question. En l’espèce, les deux couples ayant eu recours à cette pratique en Russie étaient des couples d’hommes, dont l’un était le père biologique, et la mère porteuse avait été reconnue mère de l’enfant dans les actes de naissance russes. Si la question de la filiation paternelle biologique a été réglée, demeure donc en suspens l’hypothèse dans laquelle la mère d’intention aurait donné ses ovocytes dans le cadre d’une gestation pour autrui. Ces questions sont aujourd’hui réglées de manière diverse par les juridictions de premier et second degrés, comme en attestent les divergences d’appréciation entre le tribunal de grande instance de Rennes, le tribunal de grande instance de Paris et la cour d’appel de Rennes :
– le tribunal de grande instance de Nantes a, le 13 mai et le 17 septembre 2015, ordonné la transcription d’actes de naissance établissant la filiation d’une mère d’intention et, le 17 septembre 2015, s’est prononcé sur la reconnaissance en France d’une adoption prononcée à l’étranger par le conjoint de l’enfant issu d’une gestation pour autrui ;
– le 30 septembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé l’adoption de l’enfant du conjoint alors que le parent d’origine avait eu recours à une gestation pour autrui en Inde ;
– à l’inverse, le 28 septembre 2015, la cour d’appel de Renne a confirmé des refus de transcription d’actes de naissance d’enfants issus de gestation pour autrui sur lesquels figuraient les noms des deux parents d’intention.
II. LA PROPOSITION DE LOI TEND À RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE RECOURS À LA GESTATION POUR AUTRUI SUR LE PLAN PÉNAL, CIVIL ET INTERNATIONAL
Afin de garantir l’effectivité de la prohibition de la gestation pour autrui en France, la proposition de loi comporte trois volets destinés à répondre aux carences du droit existant : le renforcement des sanctions pénales (A), l’interdiction des actes et décisions tendant à la reconnaissance, directe ou indirecte, d’une gestation pour autrui ou de ses conséquences juridiques en France (B) et l’appel à une évolution du cadre juridique international (C).
A. DE NOUVELLES INCRIMINATIONS PÉNALES RÉPRIMANT SPÉCIFIQUEMENT LA GESTATION POUR AUTRUI (ARTICLES 1ER ET 2)
Les articles 1er et 2 ont pour objet de créer des incriminations pénales spécifiques à la gestation pour autrui, distinctes de celles existantes en matière d’abandon d’enfant et d’entremise en vue d’une adoption, et d’aggraver les peines encourues, aujourd’hui trop peu dissuasives.
L’article 1ersupprime de l’article 227-12 du code pénal l’infraction d’entremise « entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ».
En conséquence, l’article 2 crée un nouvel article 227-12-1 regroupant plusieurs infractions susceptibles d’être commises à l’occasion de la conclusion d’un contrat de gestation pour autrui, dont celle d’entremise :
– le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la naissance d’un enfant par le recours à une mère porteuse serait puni de peines de cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende (premier alinéa) ;
– l’entremise ou la tentative d’entremise, aujourd’hui punies d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, verraient leurs peines aggravées à cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, ou le double lorsque les faits sont commis à titre habituel ou dans un but lucratif (deuxième alinéa) ;
– la provocation, même non suivie d’effet, à l’une de ces infractions ou la présentation sous un jour favorable de celles-ci seraient punies de cinq ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende (avant-dernier alinéa).
Votre rapporteure fait observer que le relèvement du quantum des peines auquel cet article procède reprend la proposition n° 2 du rapport d’information des sénateurs Yves Détraigne et Catherine Tasca sur l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui (43).
Ce nouvel article écarte les règles traditionnelles d’application territoriale de la loi pénale française. Ces règles, prévues par les articles 113-6 et 113-8 du code pénal, disposent que la loi pénale française n’est applicable aux délits commis par des Français hors de France que « si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis ». La poursuite de ces délits n’est possible que sous réserve d’être « précédée d’une plainte de la victime (…) ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ».
Le code pénal écarte déjà, pour la poursuite en France d’un certain nombre de délits, l’application des conditions de réciprocité d’incrimination et de dénonciation officielle de l’État de commission des faits, comme en matière d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, d’infractions commises contre des agents consulaires français, de délits terroristes, d’agressions sexuelles contre mineurs, de proxénétisme, de recours à la prostitution de mineurs, de mise en péril de mineurs, de participation à une activité mercenaire ou de clonage humain.
S’inspirant de ces dérogations, le nouvel article 227-12-1 précise que la loi pénale française sera applicable aux délits de recours à une mère porteuse, d’entremise en vue de recourir à cette pratique et de provocation à la commission de ces infractions, lorsqu’ils ont été commis à l’étranger par un Français ou une personne résidant habituellement en France, même s’ils ne sont pas également répréhensibles dans le pays où ils ont été commis et qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une plainte ou d’une dénonciation préalable (dernier alinéa).
Le délit de substitution volontaire, de simulation ou de dissimulation demeurera poursuivi sur le fondement de l’article 227-13 du code pénal.
B. L’INTERDICTION DES ACTES ET DÉCISIONS TENDANT À LA RECONNAISSANCE D’UNE GESTATION POUR AUTRUI (ARTICLE 3)
La proposition de loi complète les dispositions du code civil relatives à la validité en droit français des actes de l’état civil étrangers afin d’interdire toute reconnaissance d’actes étrangers ayant pour objet de prouver une filiation issue d’une gestation pour autrui.
En l’état du droit, l’article 47 de ce code prévoit que « [t]out acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
L’article 3 insère un nouvel article 47-1 dérogeant à l’article 47 précité et disposant que « [t]out acte étranger, civil ou non, quelle que soit sa nature juridique, qui constate, atteste, reconnaît ou prouve une filiation issue d’une procréation ou d’une gestation pour le compte d’autrui, est réputé nul, y compris dans les cas où elle concernerait un ou des parents de nationalité française ».
Le même article interdit également à toute autorité de prendre une décision ou un acte, de quelque nature que ce soit, ayant pour objet de reconnaître en droit français la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui.
C. LA NÉCESSITÉ D’UNE CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’INTERDICTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI (ARTICLE 4)
L’article 4 demande au Gouvernement la remise d’un rapport « relatif aux propositions qu’il pourrait soumettre [en vue de] l’adoption d’une convention internationale spécifique sur l’interdiction de la gestation et de la procréation pour autrui ».
Dans un entretien accordé au journal La Croix le 3 octobre 2014, quelques mois après les arrêts rendus par la CEDH, le Premier ministre, M. Manuel Valls, avait assuré de la détermination du Gouvernement à engager la responsabilité de tous les États dans la lutte contre la commercialisation des êtres humains. Il avait notamment annoncé que « [l]a France [entendait] promouvoir une initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent ». Bien que largement insuffisante, cette proposition représentait un premier pas vers l’instauration d’un ordre public international protecteur des femmes et de l’intérêt des enfants. À ce jour, elle n’a toutefois pas abouti.
Votre rapporteure considère que des initiatives fortes et ambitieuses doivent être lancées et que, malgré la diversité des législations nationales, un consensus international sur le sujet est possible et même souhaitable.
Preuve en est la condamnation par le Parlement européen, le 17 décembre 2015, de la pratique de la gestation pour autrui « qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises ». Le Parlement estimait à cette occasion « que cette pratique, par laquelle les fonctions reproductives et le corps des femmes, notamment des femmes vulnérables dans les pays en développement, sont exploités à des fins financières ou pour d’autres gains, [devait] être interdite et qu’elle [devait] être examinée en priorité dans le cadre des instruments de défense des droits de l’homme » (44).
À l’initiative de Mme Anne-Yvonne Le Dain et contre l’avis de votre rapporteure, la commission des Lois a supprimé les quatre articles de la proposition de loi.
Ces suppressions ont empêché votre rapporteure de défendre plusieurs amendements qu’elle avait déposés afin de préciser la portée du texte et mieux concilier la défense du principe d’interdiction de la gestation pour autrui en France et l’exigence de protection des intérêts des enfants, premières victimes de cette pratique, en particulier :
– le recentrage du volet pénal de la réforme sur une plus grande répression des intermédiaires et des activités de promotion de la gestation pour autrui, notamment sur les réseaux numériques ;
– le maintien de la présomption de bonne foi des actes de l’état civil étrangers établis à la suite d’une convention de gestation pour autrui, qui permet aux enfants concernés de mener une vie privée et familiale normale ;
– l’inscription dans la loi du refus de transcription à l’état civil français de l’acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère « lorsque des indices sérieux laissent présumer l’existence d’un processus frauduleux comportant une convention de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui ».
La Commission a également rejeté d’autres amendements présentés par votre rapporteure, lesquels auraient pourtant permis de compléter utilement la proposition de loi afin d’étendre le champ d’application de la loi pénale française aux atteintes à la filiation commises par un Français à l’étranger et de mieux réprimer la vente d’enfants par la création d’une incrimination spécifique, distincte de celles de provocation à l’abandon d’enfant ou de traite des êtres humains.
La fin de non-recevoir opposée par votre Commission à ce texte est d’autant plus regrettable que nombre de personnes entendues par votre rapporteure, notamment Mmes Marie-Christine Le Boursicot, conseiller à la Cour de cassation (45), et Marie-Anne Frison-Roche, professeure à l’Institut d’études politiques de Paris, ont rappelé le législateur à ses responsabilités en l’invitant à prendre position dans un domaine d’une telle importance.
Lors de sa réunion du mercredi 8 juin 2016, la commission des Lois procède à l’examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à rendre constitutionnel le principe d’indisponibilité du corps humain (n° 1354) (M. Philippe Gosselin, rapporteur) et de la proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse (n° 2706) (Mme Valérie Boyer, rapporteure).
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Mme Valérie Boyer et moi-même vous proposons d’examiner deux propositions de loi concernant la gestation pour autrui (GPA). Nous avons en effet travaillé en commun et procédé ensemble aux auditions nécessaires à l’élaboration de ces deux propositions de loi, qui constituent les deux étages d’une fusée destinée à affermir le principe de l’interdiction de la gestation pour autrui, alors que celui-ci semble de plus en plus menacé, au vu notamment du nombre croissant d’États dans le monde qui permettent, explicitement ou implicitement, le recours à la GPA. Si notre corpus juridique semble assez solide, du moins en ce qui concerne notre droit interne, il n’est plus protégé, en réalité, que par des digues de sable.
On ne rappellera jamais assez ce qu’est en réalité la gestation pour autrui : une marchandisation du corps de la femme, une réification, la logique de marché poussée à l’extrême, qui en incite certaines, par besoin d’argent, à céder à une forme de prostitution.
Les républicains de tous bords doivent donc s’unir pour lutter contre la GPA, et ces propositions de loi peuvent ici faire office de passerelles, dans le prolongement de l’initiative qu’a prise Mme Laurence Dumont, le 2 février dernier, en organisant des Assises pour l’abolition universelle de la maternité de substitution. Il faut en effet dire stop à la réification et à la marchandisation du capital humain, et affirmer avec force qu’il ne saurait y avoir de GPA ou de maternité de substitution « éthique » – qu’elle concerne des couples hétérosexuels ou homosexuels. C’est un oxymore, une atteinte intrinsèque au respect fondamental des droits humains, la négation de la dignité humaine. Surmontons donc nos différences pour nous retrouver dans l’affirmation du respect des droits humains. À défaut, les générations suivantes ne manqueront pas de nous juger durement.
Je parlais d’une fusée à deux étages. Il y a d’abord une proposition de loi constitutionnelle, que j’ai déposée en septembre 2013 et qui vise à inscrire dans la Constitution le principe d’indisponibilité du corps humain. Il y a ensuite une proposition de loi ordinaire, déposée par Valérie Boyer et qui a pour objet de renforcer l’arsenal juridique relatif à l’interdiction de la GPA. J’ajouterai, bien que cela ne soit pas de notre ressort ici, qu’il faudrait à cette fusée un troisième étage, à savoir une action vigoureuse au plan international. La France doit en effet prendre la tête de ces pays qui entendent abolir la gestation pour autrui jusqu’à l’extérieur de leurs frontières.
Je ne sous-estime pas la difficulté et n’oublie pas que les « standards » divergent selon les peuples, mais certaines causes, qui paraissaient des causes perdues, ont fini un jour par triompher. Je pense en particulier à l’abolition de l’esclavage, à laquelle certains pays, aujourd’hui parfaitement à l’aise avec les mères porteuses, se sont ralliés après 1848, continuant à organiser la ségrégation raciale sur leur territoire alors que le xixe siècle était achevé depuis longtemps. Je ne vois donc pas à quel titre ces pays où la GPA est une pratique parfaitement organisée devraient nous servir de modèles. Je refuse en tout cas le « dumping éthique », cette forme d’alignement sur le moins-disant moral qui rallie à la loi du marché des hommes et des femmes dont nous n’ignorons pas la douleur de ne pas pouvoir être parents, mais à qui nous disons avec empathie qu’il y a, derrière tout cela, des enfants dont l’intérêt n’est pas forcément d’être ainsi conçus. Posons-nous en effet la question des conséquences physiques et psychologiques pour la mère qui a porté l’enfant, et pour ce dernier.
Il nous paraît donc important d’user des pouvoirs législatif et constituant qui nous ont été confiés par nos concitoyens pour légiférer aujourd’hui sur la GPA.
Quel est en effet, aujourd’hui, le statut du principe d’indisponibilité du corps humain ? C’est un principe d’ordre public consacré par le juge, en particulier depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1991, dans lequel l’assemblée plénière a considéré que la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes.
Ce principe n’a pas été explicitement affirmé par le législateur, mais il a, en revanche, fait l’objet d’une reconnaissance indirecte de sa part, puisque la loi de 1994 relative au respect du corps humain a introduit, aux articles 16 et suivants du code civil, des règles dont le respect concourt à son effectivité. Il en va ainsi du principe de non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et produits, ou encore de l’affirmation de la nullité des conventions portant sur la procréation ou la gestation pour autrui.
De fait, le corpus alors adopté par le législateur paraît consacrer, mais implicitement seulement, le principe d’indisponibilité du corps humain, tout en organisant, à titre exceptionnel, les conditions de la circulation de ses produits et éléments, laquelle se trouve régie par les principes de gratuité et d’anonymat, qu’il n’est donc pas question de remettre ici en cause.
Pourquoi inscrire dans la Constitution ce principe d’indisponibilité ? Ma proposition de loi constitutionnelle repose sur un constat clair : si la France s’est dotée, sous l’impulsion de François Mitterrand – et, une fois n’est pas coutume, je lui rends ici hommage – d’un corpus juridique particulièrement élaboré en matière de bioéthique, si elle a créé la première un Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et a joué un rôle moteur dans l’élaboration de la convention d’Oviedo, les principes posés il y a un quart de siècle se trouvent de plus en plus fragilisés.
Depuis 1994, l’évolution législative se caractérise en effet par la constitution d’un double corpus juridique. D’un côté, les principes fondamentaux posés par la loi de 1994 relative au statut du corps humain – en particulier l’inviolabilité, l’intégrité et la non-patrimonialité du corps humain, ainsi que la primauté de la personne humaine – continuent à structurer le champ de la bioéthique ; de l’autre, le droit de la bioéthique, décliné dans un nombre croissant d’activités médicales et scientifiques, apparaît de moins en moins comme un droit d’exception.
Parallèlement, plusieurs décisions prises à différents niveaux, ces dernières années, en matière de filiation, constituent autant d’éléments de fragilisation des principes posés en 1994, comme celui de l’interdiction de la gestation pour autrui. Il en va ainsi de la circulaire de la garde des Sceaux du 25 janvier 2013, relative à la délivrance des certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’une GPA, qui a ouvert une première brèche. Il en va également ainsi, au plan européen, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur le droit des enfants au respect de leur vie privée – les fameux arrêts Mennesson et Labassee du 26 juin 2014. Tout en rappelant qu’elle ne se prononce pas sur la compatibilité de l’interdiction de la gestation pour autrui posée par un État membre avec la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a en effet jugé que le refus d’établir le lien de filiation entre des enfants issus d’une gestation pour autrui et leur père biologique portait atteinte au droit des enfants, au respect de leur vie privée, dont font partie les droits à la reconnaissance de l’identité et à l’établissement de la filiation. La Cour de cassation a commencé à en tirer les conséquences dans deux arrêts du 3 juillet 2015, tandis que la Suisse en tirait, dans un arrêt du Tribunal fédéral de septembre 2015, des conclusions radicalement différentes, ce qui montre bien que des lectures divergentes sont possibles ou, à tout le moins, qu’il était envisageable de saisir la Grande chambre de la CEDH en 2014, ce qui n’a pas été le cas. Les choses ne sont donc pas aussi claires que certains veulent bien le dire.
En définitive, il apparaît que, si aucune recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique ces dernières années, l’approfondissement des techniques existantes et, surtout, leur diffusion croissante élargissent la portée des questions d’ordre éthique. Les coups de boutoir portés au principe de l’indisponibilité du corps humain se multiplient, rendant d’autant plus nécessaire son inscription dans la Constitution.
L’idée n’est pas nouvelle. Dès 1975, la Commission spéciale des libertés présidée par Edgar Faure achevait ses travaux par l’adoption, en 1977, d’une proposition de loi constitutionnelle sur les libertés et les droits de l’homme, qui prévoyait notamment que « tout homme a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale ».
En 1993, dans son rapport remis au Président de la République, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par Georges Vedel proposait de compléter l’article 66 de la Constitution avec un alinéa reconnaissant le droit au respect de la dignité de la personne.
Plus récemment, les comités Balladur et Veil se sont interrogés sur l’opportunité d’inscrire dans le Préambule de la Constitution le principe de la dignité de la personne humaine, principe à valeur constitutionnelle affirmé en 1994 à l’occasion de l’examen des lois de bioéthique.
Aujourd’hui, je considère que, eu égard aux défis croissants auxquels la société française est confrontée, il convient de ne plus différer l’inscription dans la Constitution du principe d’indisponibilité du corps humain. Depuis quarante ans que la question se pose, nous avons donné du temps au temps.
À cet égard, je ne partage pas les conclusions relativistes du comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution présidé par Simone Veil, selon lesquelles certains principes ne devraient pas être inscrits dans la Constitution au motif qu’ils seraient susceptibles d’évoluer avec le temps. On ne peut qu’être inquiet pour la protection des personnes, et notamment des individus les plus fragiles ou les plus faibles, de la proclamation d’un tel relativisme ! La dignité est ou n’est pas ; il en est de même pour le respect de l’être humain, qui n’est pas à géométrie variable.
La Constitution, ce sont les libertés essentielles. Or, dès lors qu’elle touche à la vie et à la mort de l’être humain, à sa santé, à la qualité de son existence ou encore au choix de sa descendance, la bioéthique ne se situe-t-elle pas au cœur même de nos libertés les plus fondamentales ?
La Constitution doit intégrer les principes que nous énonçons, car elle transmue en droit un système de valeurs qui sont au centre des problématiques biomédicales. Il serait en outre paradoxal qu’elle contienne des principes propres à la protection de l’environnement, tout en demeurant muette sur la protection de l’être humain.
Enfin, ce n’est pas parce que le législateur ou le juge a reconnu tel ou tel principe que le constituant doit s’en abstenir. Je rappelle, à cet égard, que le comité présidé par le doyen Vedel allait dans ce sens, considérant que certains principes inscrits dans la loi devaient être élevés au rang de principes constitutionnels, précisément pour les préserver d’éventuels revirements de la législation ou de la jurisprudence. Le constituant peut et doit avoir le dernier mot ; il doit savoir surmonter la sentence d’une cour. Je vous invite donc à inscrire dans l’article 1er de la Constitution le principe d’indisponibilité du corps humain.
Je veux être ici très précis. L’inscription dans la Constitution du principe d’indisponibilité du corps humain n’a pas pour objet de proscrire le don d’organes, de moelle osseuse ou de sang et de ses dérivés, un don altruiste et respectueux, fondé sur le volontariat ; je me suis d’ailleurs moi-même engagé en faveur du collectif « Don de soi, don de vie », cette grande cause nationale que j’ai eu l’honneur de présider en 2009. Je précise également que cette inscription n’a pas non plus pour objet de remettre en cause le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Elle vise simplement à clarifier la place, dans la hiérarchie des normes, du principe fondamental qu’est l’indisponibilité du corps humain et à prévenir ainsi tout risque de remise en cause de l’interdiction de conclure des conventions de gestation pour autrui.
Je crois que les hommes et les femmes de demain nous jugerons sévèrement si nous ne faisons rien. Avec les mères de substitution, je le dis solennellement, mais sans emphase, c’est l’avenir d’une certaine forme d’humanité que nous avons entre les mains.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je remercie votre Commission de m’accueillir en son sein pour l’examen de cette proposition de loi qui, comme celle que j’ai déjà eu l’honneur de défendre devant vous à la fin de l’année dernière, concerne le respect de la dignité humaine.
La proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse forme naturellement un tout avec la proposition de loi constitutionnelle que vient de présenter M. Philippe Gosselin. Comme cette dernière, elle devrait nous rassembler bien au-delà des clivages partisans : quand il s’agit de dignité humaine, on ne saurait en effet être de droite ou de gauche.
Les auditions que nous avons menées m’ont confortée dans la conviction que l’opposition à la gestation pour autrui – préférons l’expression de « grossesse pour autrui », et évitons l’emploi d’un mot appartenant au lexique vétérinaire – était un sujet qui devait rassembler tous ceux qui portent une même vision de l’homme et de l’éthique.
Cette proposition de loi entend protéger des principes et des valeurs que nous avons en partage, à savoir le respect de la dignité de la personne, la garantie de l’indisponibilité du corps humain face aux tentatives d’aliénation et de marchandisation, la protection des femmes et des enfants contre toute forme d’exploitation et, in fine, la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui passe avant tout par le fait de ne pas être cédé comme une vulgaire marchandise. Elle n’a du reste qu’une ambition : concrétiser les engagements pris par nombre de nos collègues de la majorité et par le Gouvernement en matière d’interdiction de recours à la procréation pour autrui, pratique contraire aux principes essentiels de notre droit.
En effet, depuis les deux arrêts du 26 juin 2014 rendus par la CEDH, dans les affaires Mennesson et Labassee contre France, notre politique de prohibition de la GPA est plus fragilisée que jamais, et nous sommes aujourd’hui face à l’alternative suivante : soit nous admettons qu’elle existe et nous nous soumettons à la volonté d’autres pays ou de certains lobbys qui défendent cette pratique, soit nous jouons notre rôle de législateur, nous croyons en la politique, en ce qu’elle a de plus noble, et nous travaillons à renforcer notre droit pour empêcher ce trafic d’êtres humains.
La grossesse pour autrui ou la procréation pour autrui consiste pour un couple à conclure ce que l’on appelle une convention, mais qui est en réalité un contrat de cession, avec une femme, afin qu’elle porte un enfant qu’elle s’engage à abandonner au terme de sa grossesse. Bien souvent d’ailleurs, le contrat stipule que l’accouchement aura lieu par césarienne afin que la mère porteuse ne voie pas l’enfant et que celui-ci soit livré « tout beau, tout propre » aux parents acquéreurs.
Les progrès des techniques d’assistance médicale à la procréation ont permis une dissociation de la maternité gestationnelle et de la maternité génétique, rendant possible le transfert à la mère dite « porteuse » d’un embryon issu des gamètes des deux parents d’intention, de l’un d’entre eux et de celles d’un tiers ou encore de deux donneurs : cinq personnes peuvent ainsi être impliquées dans la venue au monde de cet enfant si cher – dans tous les sens du terme – et tant attendu. Bref, en autorisant la GPA, nous consacrons la maternité éclatée.
Pourtant, cette pratique est interdite en France depuis un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de 1991, dont la solution, qui s’appuie sur le respect des principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, a été inscrite dans le code civil par le législateur en 1994.
La grossesse pour autrui doit demeurer interdite pour plusieurs raisons, au premier rang desquels les risques physiques et psychologiques qu’elle fait courir à la mère porteuse. On ne peut en effet minimiser les risques pris par une femme qui va porter un enfant pour autrui. Si la grossesse n’est pas une maladie, ce n’est pas non plus une aventure anodine, et elle a des conséquences qu’il ne faut pas négliger. Il serait à ce propos intéressant de disposer d’études sérieuses sur l’état des mères qui portent un enfant pour autrui ; or il n’en existe aucune à ce jour.
Parmi les autres raisons qui doivent nous pousser à prohiber cette pratique figurent ensuite l’aliénation et la marchandisation du corps qu’elle représente, l’impossibilité d’inscrire cette pratique dans un cadre interdisant toute dérive. Je m’attarderai ici sur la notion de GPA éthique ou altruiste : pour reprendre l’expression d’une de nos collègues, ce n’est rien moins qu’une illusion « pathétique », car cela n’existe pas, et l’on parle toujours à travers cette expression de la chair et du sang de la femme qui porte l’enfant, semblant considérer, au mépris de ce qu’est réellement la nature humaine, la grossesse comme un état banal.
Je songe enfin au risque de survalorisation de la transmission génétique par rapport à d’autres formes de parentalité. Avec l’essor de la demande d’« un enfant génétiquement de soi », pour reprendre les termes du professeur René Frydman, avec la promotion de la GPA, nous assistons à une sorte de triomphe du père et à l’introduction à bas bruit du droit du sang dans nos pratiques et dans notre droit.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, la GPA n’a absolument rien d’altruiste : elle consacre au contraire le triomphe du désir individuel sur le bien d’autrui, à commencer par le bien de l’enfant porté et celui de la mère porteuse. Que celle-ci soit consentante ou non – on pourrait d’ailleurs s’interroger sur la manière dont on recueille son consentement –, son corps n’en est pas moins réduit à l’état de bien meuble, tout comme le fruit de sa gestation, avec tous les risques médicaux que cela comporte.
On retrouve ici la définition inscrite à l’article 1er de la convention de 1926 relative à l’esclavage : « L’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux. » En effet, avec la GPA, l’enfant devient un produit, mis au monde sur commande. En défendant aujourd’hui la GPA, au nom du progrès ou, comme nous l’ont dit certains, de l’amélioration de la fertilité – un comble ! –, on fait régresser notre pays de près de deux siècles : cela revient à décréter que l’humain est une chose et que l’enfant fait l’objet d’un droit de propriété.
Avec la GPA, nous avons affaire à une adoption illégale, incluant commande, fabrication, traite et vente d’enfant. Or n’est-ce pas le premier droit de l’enfant que de ne pas être une marchandise, de ne pas être cédé ?
Pourtant, cette pratique fait l’objet d’un large consensus dans notre pays, d’autant plus large que l’effectivité de sa prohibition française est menacée ; et elle l’est doublement.
Premièrement, le non-respect de l’interdiction de recourir à la GPA est insuffisamment réprimé. Notre politique pénale en la matière sanctionne principalement les intermédiaires : en dehors des délits d’entremise en vue d’une adoption ou d’une gestation pour autrui, de provocation à l’abandon d’enfant et de supposition d’enfant, aucune infraction ne permet d’incriminer spécifiquement la présentation de cette pratique sous un jour favorable – au sens juridique de la formule – ou le fait d’entreprendre des démarches en vue d’une GPA. En outre, les sanctions notoirement faibles encourues pour les délits existants sont rarement mises en œuvre, compte tenu des règles de territorialité de la loi pénale française.
Deuxièmement, la CEDH, en condamnant la France, a exigé que notre pays transcrive à l’état civil français des actes de naissance établis à l’étranger en vertu d’une convention de gestation pour autrui, au motif – à mon sens fallacieux – que le refus de transcription porterait atteinte au droit des enfants au respect de leur vie privée, dont relèvent les droits à la reconnaissance de l’identité et à l’établissement de la filiation.
Ces arrêts, qui ont mis un terme à la jurisprudence dissuasive de la Cour de cassation, sont contestables et doivent être contestés. Car les enfants nés d’une GPA peuvent vivre normalement en France, hériter de leurs parents et acquérir la nationalité française. Vous n’ignorez pas, en effet, qu’ils deviennent français au bout de cinq ans de scolarisation en France. Ce ne sont donc pas eux qui sont gênés dans leur vie privée, mais leurs parents. Je ne vois pas en quoi cela leur porterait atteinte. Le Gouvernement français aurait dû contester ces arrêts devant la grande chambre de la CEDH au moment où ils ont été rendus. Il ne l’a pas fait ; je le regrette vivement, pour des raisons de fond, mais aussi parce que cela aurait montré à la France et au monde que nous ne sommes pas d’accord avec la GPA et que nous le manifestons par des actes concrets au lieu de nous contenter de paroles.
Aujourd’hui, le législateur a l’ardente obligation d’intervenir pour garantir l’effectivité de la prohibition en droit français des grossesses pour autrui. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui vise à agir à trois niveaux.
En matière pénale, d’abord, les articles 1er et 2 créent de nouvelles incriminations permettant de sanctionner plus sévèrement la GPA, en particulier le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la naissance d’un enfant par le recours à une mère porteuse, la provocation à la gestation pour autrui et la présentation de cette pratique sous un jour favorable. Il s’agit également d’étendre le champ d’application de la loi pénale française en cette matière, en supprimant la double exigence de réciprocité d’incrimination et de dénonciation officielle par l’État dans lequel les faits ont été commis, à laquelle est subordonnée la poursuite des délits commis par un Français à l’étranger.
J’insiste sur ces articles en raison des enjeux financiers de cette pratique : la fabrication et la vente d’enfants sont aujourd’hui un business international.
En matière civile, ensuite, l’article 3 permet au législateur de se prononcer sur cette délicate question de sorte que la CEDH, constatant que le droit français ne prive pas les enfants nés d’une GPA du droit à une vie privée normale, reconsidère sa position. Cet article tend en effet à maintenir la présomption de bonne foi dont bénéficient en France les actes d’état civil étrangers régulièrement établis, traduits et authentifiés. Cette règle permet aux enfants concernés de vivre dans notre pays comme n’importe quel autre enfant. En revanche, je vous inviterai à inscrire dans notre droit le refus de transcription des actes étrangers établis en vertu d’une convention de gestation pour autrui.
Au niveau international, enfin, aux termes de l’article 4, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les perspectives d’adoption d’une convention internationale interdisant la gestation et la procréation pour autrui, dans le prolongement des conventions existantes sur la traite des êtres humains et la vente d’enfants.
Je vous proposerai de compléter le texte par trois dispositions.
Premièrement, le Gouvernement devrait également remettre au Parlement un rapport sur les raisons pour lesquelles il n’a pas interjeté appel des deux arrêts de la CEDH et sur ses intentions de maintenir l’effectivité de la prohibition française.
Deuxièmement, je souhaite étendre l’extraterritorialité de la loi pénale française à l’ensemble des atteintes à la filiation, et non aux seules infractions créées par la proposition de loi.
Troisièmement, il convient de sanctionner pénalement la vente d’enfants, qui ne fait l’objet dans notre pays d’aucune incrimination spécifique, comme l’a fait observer le comité des droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Ainsi que M. Philippe Gosselin l’a rappelé, nous avons un droit original de la bioéthique que nous devons à la volonté de notre ancien Président de la République ; l’exception française qu’est l’existence d’un Comité national d’éthique devrait servir d’exemple aux autres pays. Ce sont les lois de bioéthique qui ont conduit à la convention d’Oviedo, que la France a ratifiée et dont de nombreux États se sont inspirés. Nous avons un devoir de cohérence. Aucun d’entre nous ne veut d’une société où tout s’achète et où tout se vend, où la marchandisation triomphe. L’histoire nous oblige, notre héritage nous oblige : c’est un rendez-vous que nous ne devons pas manquer. Nous ne devons pas participer à la fabrication et au trafic d’êtres humains, qui rapportent des milliards et dans lesquels les femmes sont la matière première et les enfants des objets convoités. Ne soyons pas complices de cette production infinie ; ne réduisons pas le corps humain, la personne humaine à une simple marchandise ; inscrivons ce refus dans la loi. Tel est le sens de la proposition de loi que M. Philippe Gosselin et moi-même avons déposée. J’espère que le débat et l’adoption de nos amendements permettront de répondre aux attentes de ces femmes considérées comme des marchandises et de ces enfants que l’on a fabriqués pour les céder.
M. Jacques Bompard. Je salue le travail des rapporteurs, en particulier le texte de M. Gosselin. Car la question de l’indisponibilité du corps humain est cruciale si nous voulons que notre manière de considérer la politique se fonde de nouveau sur une anthropologie saine : animation du fœtus, refus de toute marchandisation du corps humain et politique publique enfin porteuse d’autres ambitions que les recherches sur l’embryon, la chasse aux trisomiques si bien évoquée par M. Jean-Marie Le Méné et toute une série d’incitations à peine masquées à déconsidérer l’inviolabilité de la vie, depuis son commencement jusqu’à son terme naturel.
J’ai adressé il y a peu au ministère de la santé une question écrite concernant une révolution scientifique susceptible de nous soustraire enfin à une logique qui ne pourra conduire qu’aux horreurs récemment révélées à propos du planning familial américain. Les organoïdes, cellules artificielles, sont en quelque sorte de mini-organes, découverts par MM. Shinya Yamanaka et John Gurdon, prix Nobel de médecine. Cellules pluripotentielles, elles ont la capacité d’opérer une transformation en n’importe quel genre de tissu du corps humain par le fait d’une stimulation adéquate. Or aucune politique publique ne soutient leur développement en France.
Il faut espérer que le texte que nous examinons permettra de faire de la vie le pivot de toute réflexion politique, pour que nous ne défassions pas ce que le politique devrait s’interdire de toucher : l’homme, digne non parce qu’on le désigne comme tel, mais justement parce qu’il est.
M. Jean-Christophe Lagarde. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est favorable à la proposition de loi constitutionnelle. En effet, nous considérons que l’on ne saurait utiliser la personne humaine pour en produire une autre. Comme l’a répété M. Philippe Gosselin, il n’est pas question de ne pas pouvoir faire don de soi : il s’agit de ne pas pouvoir faire don d’un autre. Cette position est intimement liée à notre vision humaniste.
Ces dernières années, les évolutions législatives ont accompagné la science. Mais nous devons aussi savoir la diriger, l’encadrer, la limiter lorsqu’elle va au-delà de ce que nous pouvons admettre.
Si nous sommes confrontés au problème qui nous est ici soumis, c’est parce que d’autres pays, qui ne doivent pas nous servir de modèles, offrent cette possibilité et parce que des jurisprudences successives menacent notre capacité à décider de la limite à imposer au progrès technique au nom de l’humanisme.
Nous souhaitons que se dégage une majorité suffisante pour procéder à cette révision constitutionnelle. C’est un texte court, simple, dont je ne vois pas qui il pourrait choquer, et qui ne risque pas d’être interprété comme applicable au don d’organes, de sang ou à d’autres dons. Je le répète, avec la pratique de la GPA, il ne s’agit pas de faire don de soi, mais de faire don d’un autre ; en autorisant ce don, nous nous soumettrions à une logique marchande qui réduit l’être humain à un objet, le privant de son humanité.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Les questions qui se posent à nous sont lourdes de sens, car elles concernent le rapport à la vie. Alors que celui-ci semble généralement joyeux, car une naissance est toujours source de joie, tandis que notre rapport à la mort est toujours douloureux, ici le rapport à la vie dépend de l’instrumentalisation du corps d’autrui en vue de procréer – dans des conditions compliquées, qui n’empêchent pas le phénomène de se développer dans le monde entier.
Plutôt que de « gestation pour autrui », j’aimerais d’ailleurs que l’on parle de « maternité de substitution » : l’expression est plus claire, sans compter que le terme de gestation convient aux animaux, non aux femmes.
La France fait, avec l’Allemagne, figure d’exception : notre droit protège les femmes. La maternité de substitution est interdite en France, et le restera. Le problème est que des enfants sont là, qui ont été, qu’on le veuille ou non, achetés dans un autre pays du monde : on a payé une donneuse d’ovocytes inconnue et une femme qui a porté l’enfant et qui a juridiquement disparu au bout de quelques semaines, voire dès l’accouchement.
De plus, le contexte international est délicat. Ainsi, aux États-Unis, les conventions, longues de soixante à quatre-vingts pages, enrichissent toute une « batterie » de gens de droit qui en font leur métier, alors qu’en Grande-Bretagne aucune convention ni aucun transfert d’argent ne sont possibles. Or de nombreuses GPA ont lieu aux États-Unis, tandis qu’elles se raréfient en Grande-Bretagne, faute de candidates prêtes à s’exposer aux risques d’une maternité – lesquels ne concernent pas uniquement l’accouchement, mais englobent le développement de maladies hormono-dépendantes, par exemple. Le droit sur le fœtus, en particulier au moment de l’accouchement, les décisions à prendre en cas de difficulté et la situation de l’enfant ne sont pas non plus stabilisés au niveau international.
Si les questions posées sont donc pertinentes, il ne me paraît pas possible de les résoudre par ces deux textes principiels, qui n’abordent pas les problèmes techniques, fondamentaux, charnels auxquels pourraient être confrontées les femmes. En France, celles-ci sont protégées ; mais le sort de l’enfant reste pendant, étant donné les décisions de la CEDH. Les procureurs traitent les situations au cas par cas ; c’est très bien ainsi. Nous ne sommes pas prêts à nous engager dans ce débat jusqu’à son terme, qu’il s’achève par un oui ou par un non.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Pas encore !
Mme Anne-Yvonne Le Dain. C’est votre opinion. Nous pensons qu’en France, il n’est pas temps.
On sait qu’existe en la matière un nomadisme, certains payant à l’étranger des sommes parfois considérables – 100 000 à 120 000 euros aux États-Unis –, pour des femmes par ailleurs très peu payées. Les intermédiaires apparaissent en nombre, y compris sur le territoire national, par le biais d’internet, où l’on trouve publicité et incitations. Le phénomène auquel nous sommes confrontés est donc bien plus complexe que l’objet de votre texte.
Pour ces raisons, le groupe Socialiste, écologiste et républicain ne vous suivra pas sur cette voie.
M. Guillaume Larrivé. Je voterai la proposition de loi ordinaire présentée par Mme Valérie Boyer, qui me semble avoir pour objet et pour portée de rendre effective la prohibition de la GPA. Car, si cette prohibition existe en droit français, où elle est même d’ordre public, comme l’ont dit nos deux excellents rapporteurs, c’est la question de son effectivité que nous devons nous poser, sur quelque banc que nous siégions.
De ce point de vue, les deux voies explorées par la proposition de loi de Mme Valérie Boyer sont tout à fait pertinentes.
D’une part, il faut qu’au pénal nous réprimions de manière plus sévère et plus effective les différentes interventions d’intercesseurs. C’est précisément le sens de la proposition de loi telle qu’elle sera amendée par la rapporteure.
D’autre part, il est essentiel que nous, législateur, intervenions pour remettre d’aplomb une situation que Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, avait traitée de manière assez funeste en demandant, dans sa circulaire du 25 janvier 2013, que soit accordé le certificat de nationalité française aux enfants nés à l’étranger par GPA. Nous avions alors été un certain nombre à saisir le Conseil d’État au contentieux afin que cette circulaire soit annulée pour excès de pouvoir. Le Conseil nous avait donné tort dans une décision du 12 décembre 2014. L’amendement CL10 de la rapporteure, qui modifierait le code civil pour disposer que « ne peut être transcrit à l’état civil l’acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère lorsque des indices sérieux laissent présumer l’existence d’un processus frauduleux comportant une convention de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui », me semble tout à fait bienvenu en vue de casser cet arrêt du Conseil d’État et d’expurger notre droit des effets de la GPA sur le droit de la nationalité.
M. Erwann Binet. J’abonderai pour ma part dans le sens de Mme Le Dain.
La proposition de loi constitutionnelle me semble totalement inutile : l’indisponibilité du corps humain est un principe solide de notre droit, dont les contours sont précis et stables, et qui a valeur constitutionnelle puisqu’il découle du préambule de la Constitution. En modifiant cet équilibre, nous risquons de remettre en cause la force du principe et son champ d’application, ainsi que toutes les exceptions à celui-ci. À cet égard, vous avez parlé du don du sang, monsieur le rapporteur, mais vous aviez aussi évoqué au cours des auditions la recherche sur les embryons surnuméraires, les expérimentations médicales, l’interruption volontaire de grossesse et le don d’organes. Prenons donc garde de toucher à l’équilibre actuel, même si je ne doute pas de vos bonnes intentions.
J’en viens à la proposition de loi ordinaire. S’agissant d’abord de l’alourdissement des peines – dont nous avons déjà longuement discuté en examinant ici même, il y a quelques mois, la proposition de loi de notre collègue Leonetti –, j’ai de sérieux doutes, dès lors qu’un désir d’enfant est en jeu, quant au pouvoir dissuasif des sanctions que nous pourrions inscrire dans le code pénal, quelles qu’elles soient.
Par ailleurs, il est très difficile de prouver l’existence d’une GPA. La raison actuelle d’un refus de retranscription est la suspicion de GPA ; or, pour justifier une peine pénale, il faut plus qu’une suspicion. Le fait que, sur l’acte de naissance, le père soit français et la mère indienne, par exemple, ne suffit pas à établir formellement qu’il y a eu GPA.
Est-ce dans l’intérêt de l’enfant que l’on mette ses parents en prison ? Sur ce point aussi, j’ai quelques doutes.
Surtout, les parents risquent de chercher à contourner cette loi par des méthodes encore plus secrètes, encore moins encadrées, encore plus inacceptables.
Mme Boyer, vous proposez d’interdire de présenter le recours à la GPA sous un jour favorable. Ce pourrait être intéressant si les propos que vous avez tenus au cours des auditions n’éclairaient pas votre intention d’un jour nouveau : vous n’avez cessé de faire référence à un reportage diffusé il y a quelques semaines sur France 2, réalisé par des journalistes parfaitement indépendants, et qui n’avait rien d’un publireportage sur les agences de GPA. Je ne vous suivrai pas sur cette voie : nous n’avons pas à empêcher les journalistes de faire leur métier ; la liberté de la presse est un principe important dans notre pays.
Enfin, l’article 3, que vous proposez d’amender, annulait dans sa version initiale la valeur probante de l’acte de naissance étranger dans ses effets en France. S’il est assurément contestable de parler de « fantômes de la République », votre intention était ici tout bonnement d’en créer ! Cette idée a naturellement été critiquée par les plus motivés des participants aux auditions, y compris M. Gosselin, à bon droit. Vous la remettez en cause par voie d’amendement, mais je note que plusieurs des personnes que vous avez auditionnées sont favorables à la possibilité, que vous ne les avez pas dissuadées d’envisager, de retirer les enfants à leurs parents d’intention, comme on l’a fait en Italie – un cas qui fera probablement l’objet d’une condamnation de la CEDH au cours des mois qui viennent.
Deux questions se posent à nous. La première est celle de la GPA, dont il faut naturellement garantir et consolider l’interdiction en France par une convention internationale. Le Gouvernement l’a proposé dans l’hémicycle lors de l’examen de la proposition de loi de M. Leonetti et travaille en ce sens. Notre point de vue ne sera pas facile à défendre au niveau international – le Parlement portugais est favorable à la GPA, malgré le veto présidentiel annoncé ce matin –, mais c’est le seul moyen de réussir.
Le deuxième problème, à distinguer absolument du premier, est celui des enfants. Ceux-ci doivent pouvoir jouir de tous leurs droits, quel que soit leur mode de conception, car ils n’y sont pour rien. Je veux le dire aux enfants nés de GPA : il y a ici des gens qui ne sont pas favorables à la GPA, mais qui jamais ne parleront d’eux comme de marchandises ou de produits !
M. Patrick Mennucci. Très bien !
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Personne n’en parle en ces termes !
M. Gilbert Collard. Nous sommes au cœur de la question ontologique : quel est le devenir de l’être ? Sera-t-il marchandisable ou non ?
Dans ce contexte, l’alternative est simple : agir ou ne pas agir. Car le débat d’idées ne changera rien. On peut parler de maternité de substitution ou de gestation pour autrui : la querelle des mots traduit l’inquiétude de l’inconscient. Nous savons, que nous le voulions ou non, que la marchandisation du corps est devenue possible ; nous devrions tous avoir l’honnêteté de le reconnaître, quel que soit notre point de vue sur la question.
La chose n’est pas nouvelle : sous le Bas-Empire, des contrats de droit privé sur les esclaves affranchis permettaient la location de leur ventre. Cela montre que la location du ventre est liée à l’esclavage, par la possibilité de disposer du corps d’autrui.
Nous devrions réfléchir à ce problème ontologique, à l’heure où l’on cherche de plus en plus, à juste titre, à protéger la dignité de la personne.
La GPA, la convention de grossesse, la maternité de substitution – peu importe le terme – s’apparente du point de vue financier aux contrats de portage. C’est horrible ! Qu’on le veuille ou non, quelle que soit l’honnêteté dont chacun fait preuve dans la discussion, il s’agit d’acter le principe de séparation entre la grossesse et tous les liens psycho-affectifs qui lui sont associés. Dès lors, le capital humain devient un capital marchand.
Or les lois agissent sur la structuration des mentalités ; de sorte qu’en laissant exister, même de manière théorique, la possibilité de louer un ventre, on introduit dans les esprits l’idée que l’on fait « boutique mon corps » – comme on pouvait dire, à propos de la prostitution, « boutique mon c… ».
Bien sûr, il y aura des gens honnêtes, des familles désemparées, désespérées, dont il faut prendre la souffrance en considération. Mais il y aura aussi tous les escrocs, tous les financiers, tous les rapaces qui essayeront de tirer parti de la souffrance des uns pour faire le profit des autres.
Nous devons donc nous montrer très fermes, sans nous lancer des leçons de morale au visage : il n’y a pas ici de méchants et de gentils, de purs et d’impurs, mais une recherche, dans un monde en devenir qui est un peu effrayant.
Par conséquent, nous avons tout intérêt à aller dans le sens des rapporteurs.
M. Olivier Dussopt. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je vais voter pour les amendements de suppression déposés par Mme Anne-Yvonne Le Dain, dont je suis signataire. Je souscris totalement aux arguments soulevés par la porte-parole du groupe Socialiste, écologiste et républicain, ainsi que par M. Erwann Binet. La proposition de loi constitutionnelle est inutile : l’intégrité et l’indisponibilité du corps humain sont garanties par le Préambule de la Constitution de 1946 et ont été consacrées par une décision du Conseil constitutionnel en 1971, confirmée en 1994. Nous n’avons donc pas besoin de modifier la Constitution dans le sens qui nous est proposé. S’agissant de la GPA, adopter la proposition de loi de Mme Boyer reviendrait à réécrire l’article 227-12 du code pénal qui interdit déjà cette pratique sur le sol français. Ces deux propositions de loi, constitutionnelle et ordinaire, sont de nature à rouvrir et à nourrir un débat qui n’a pas lieu d’être.
En outre, ce débat donne l’occasion de susciter le doute et la suspicion concernant la recherche sur les embryons, telle que prévue par la loi du 6 août 2013, ou les questions relatives à la bioéthique.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. J’ai répondu à cela !
M. Olivier Dussopt. Il est malheureux que ces textes puissent donner l’occasion de remettre en cause la circulaire du 25 janvier 2013 sur l’inscription dans l’état civil français des enfants nés par GPA à l’étranger. Cette circulaire a été confirmée par la Cour de cassation le 3 juillet 2015. Ces propositions de loi ne se contentent donc pas de remettre en cause la décision et l’orientation donnée par la garde des Sceaux en juillet 2013, elles reviennent aussi à contester un arrêt de la Cour de cassation qui fait jurisprudence, qui doit être respecté et qui s’appuie sur une décision de la CEDH.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. C’est le rôle du législateur, le cas échéant !
M. Olivier Dussopt. Vous me permettrez de faire trois remarques sur la GPA, en précisant d’emblée que j’ai bien conscience que ma position n’est majoritaire ni dans ma famille politique ni a fortiori au sein de cette Commission.
Ma première remarque porte sur les mots utilisés. Parler de « parents acquéreurs » ou de « bébés tout propres, tout neufs », par exemple, c’est faire peu de cas de la volonté et de la dignité des femmes et des hommes de notre pays qui ont recours à la GPA à l’étranger – puisqu’ils n’ont pas la possibilité de le faire en France – afin de construire leur projet parental. Certains mots sont extrêmement blessants et peuvent être insultants. Reconnaître le projet parental de couples d’hommes et de femmes, de couples de femmes et de couples d’hommes mérite l’utilisation d’un vocabulaire au moins plus respectueux.
Ma deuxième remarque fait écho aux propos de M. Erwann Binet. À force de parler de « bébés marchandise », à force de parler de femmes comme d’outils de production, à force de dire que reconnaître la GPA sous une forme ou sous une autre consacre le triomphe de celles et de ceux qui veulent s’approprier le bien de quelqu’un d’autre, les adversaires les plus opposés à la GPA participent à la réification de l’enfant. Par le choix de ce vocabulaire, ils sont les principaux responsables de la réification de l’enfant.
Dernière remarque : contrairement à nombre d’entre vous, j’ai la conviction que la GPA peut s’inscrire dans une éthique du don, qu’elle peut être gratuite, qu’elle ne doit pas être vue uniquement au travers de conventions marchandes, comme c’est le cas depuis le début de ce débat. Si la GPA était inscrite dans une éthique du don parfaitement encadrée, conformément à certaines propositions, peut-être pourrions-nous sortir des travers qui consistent à dénoncer une prétendue marchandisation de l’enfant.
Mme Françoise Guégot. Ce sujet difficile touche au plus profond de l’être, particulièrement pour une femme qui a pu avoir des enfants. On sait l’importance que revêt dans une vie et dans une histoire personnelle cette étape de la constitution d’une famille. Certains expliquent que, la question étant délicate à traiter sur le plan législatif, il vaut mieux ne pas l’aborder. Notre Commission a pourtant l’habitude d’examiner des textes difficiles : ainsi, la semaine dernière, nous avons débattu, dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale, de ce que l’on pourrait appeler le « délit d’apparence », qui ne me semble pas beaucoup plus simple à traiter que la GPA. Même si le sujet est délicat, le législateur doit prendre position et réaffirmer ses valeurs, quels que soient les mots qu’il emploie, car, en définitive, ceux-ci ont une importance relative comparée à celle des conséquences de la GPA.
Je voudrais soulever plusieurs questions qui m’ont toujours semblé essentielles. Dans quelques années, comment expliquera-t-on à des enfants qu’ils ont coûté 30 000 euros, 60 000 euros ou 120 000 euros en fonction du pays dans lequel ils ont été conçus ? Comment leur expliquera-t-on que leur mère, qui les a mis au monde, a été obligée de se séparer d’eux pour des raisons financières ? On connaît la vulnérabilité des femmes qui pratiquent ces GPA et on sait qu’elles le font pour des raisons financières. Nous devons avoir à l’esprit ces questions importantes qui se poseront dans vingt ans. Nous avons la chance d’avoir travaillé sur des problématiques d’éthique à propos de toutes les évolutions de société : adoption, parentalité, filiation. Nous avons besoin de débattre de la GPA de manière posée, sans forcément considérer que certains pensent bien et d’autres mal. En tant que législateur, nous devons dire ce qui nous semble important pour notre société et trouver les moyens de répondre aux questions que nos concitoyens se posent.
Il ne s’agit pas de pénaliser tel ou tel enfant en raison de son histoire, mais il nous faut constater que les progrès de la recherche médicale, dont nous profitons, passent souvent par un questionnement du médecin sur nos origines et nos antécédents familiaux. Il serait temps de considérer que la vie de quelqu’un est aussi constituée par sa filiation : c’est pourquoi il est important qu’un enfant puisse connaître son histoire. Or la GPA met à mal cette histoire. Même si je comprends leur projet parental, je souhaite bonne chance aux personnes qui y recourent pour expliquer à ces enfants, qu’ils auront accompagnés dans leur éducation, d’où ils viennent et dans quelles conditions ils ont été mis au monde.
Mme Marie-Françoise Bechtel. La question de société dont nous traitons met en jeu des principes éthiques : aussi, chacun est amené à exercer sa liberté de conscience, et c’est ce qui explique la diversité des positions. L’un d’entre nous a dit que le vrai sujet était le don d’enfant et non pas le don de soi. Je ne le crois pas. En fait, il y a deux sujets : le don de soi, celui du ventre acheté à la mère ; le don d’enfant, qui pose des problèmes délicats en ce qui concerne les droits de l’enfant.
S’agissant du don de soi, la GPA est l’exemple même d’une conception si extensive de la liberté individuelle, caractéristique des sociétés occidentales développées, qu’elle finit, ici comme en d’autres domaines, par rejoindre le libre marché. Sans vouloir être polémiste, je m’étonne de l’illogisme de certains défenseurs de la condition féminine qui sont extrêmement susceptibles vis-à-vis du moindre acte dit sexiste, et qui ne s’offusquent guère devant la marchandisation du ventre féminin. De même, je m’étonne que d’aucuns estiment qu’il faut protéger les prostituées contre elles-mêmes et contre leur tentation de faire commerce de leur corps, sans faire le lien avec le sujet dont nous débattons. N’est-ce pas la même problématique ? Ne faut-il pas protéger des femmes qui vont être tentées de vendre leur corps pour des raisons dans lesquelles la précarité qu’elles subissent peut jouer un rôle ?
En ce qui me concerne, je ne suis pas choquée par les articles 1er et 2 de la proposition de loi présentée par Mme Boyer, sous réserve, lorsque nous en débattrons, de veiller à leur juste rédaction pour prévenir d’éventuels effets pervers. La pénalisation plus précise du don de soi ou de l’incitation au don de soi – c’est-à-dire du don du ventre féminin – mérite certainement d’être prise en compte dans le code pénal.
Plus difficile est la question du don de l’enfant. Diverses jurisprudences avaient embrouillé les choses. La circulaire de la ministre de la justice a eu le mérite d’exprimer la contradiction qui existe entre, d’une part, l’interdiction prévue par la loi française et, d’autre part, les droits de l’enfant qui pourraient rendre nécessaire la transcription de l’acte de naissance sur le registre d’état civil avec l’octroi de la nationalité à la clef.
On nous propose de régler ce problème en passant par la Constitution. Sur le principe, la démarche est juste, puisque seule la Constitution a une valeur supérieure aux traités. Si la révision constitutionnelle était assez précise pour faire pièce aux jurisprudences de la CEDH, ce serait sans doute la voie à suivre, mais cela ne réglerait pas la dimension sociologique, sociétale, de la question. En tout état de cause, la rédaction qui nous est proposée ne me paraît pas suffisante pour qu’un juge dise qu’elle fait obstacle aux arrêts de la CEDH.
En outre, il faut souligner un risque : les juges pourraient s’appuyer sur le texte, tel qu’il est actuellement rédigé, pour remettre en cause certains droits comme l’IVG. La révision constitutionnelle – seul moyen de faire obstacle à l’intrusion du droit étranger dans notre droit par la transcription de l’acte de naissance – n’est pas mûre. Et, même si ce point était résolu, il resterait la question douloureuse des droits de l’enfant. J’avoue ne pas avoir de réponse. Autant ma position est extrêmement ferme sur le don du ventre féminin, autant j’admets qu’il y a de vraies difficultés en ce qui concerne les droits de l’enfant.
M. Éric Ciotti. Je voudrais apporter mon soutien à ces propositions de loi, tout particulièrement à celle de Mme Valérie Boyer, qui me paraît très pertinente et que je voterai avec détermination, car elle répond à des exigences fortes : la protection des enfants, qui doit passer avant tous les désirs qui peuvent s’exprimer ; le refus d’une marchandisation du corps. M. Dussopt a parlé de prétendues conventions marchandes alors qu’il s’agit, hélas, d’une réalité, et d’une éthique du don qui relève de l’utopie. La réalité est tragique – il y a des enfants sur catalogue – et nous devons mettre un terme à ces dérives.
Cette proposition de loi, qui prévoit un dispositif clair et des sanctions indispensables, me paraît totalement pertinente. Elle doit être soutenue par tous ceux qui refusent cette dérive induite par l’idéologie de Mme Taubira, qui s’est concrétisée dans la circulaire évoquée par M. Guillaume Larrivé. La majorité est placée face à ces contradictions, mais elle peut dépasser les clivages habituels. Nous pouvons nous retrouver sur ce refus de la marchandisation de l’enfant, du corps humain. Nous sommes au-delà des débats sur le mariage pour tous. Il s’agit de protéger l’enfant et la dignité humaine. Tous ceux qui sont attachés à ces principes doivent voter cette proposition de loi.
M. Lionel Tardy. Les deux propositions de loi viennent à point nommé, car elles traitent un sujet que, depuis 2012, le Gouvernement se refuse à aborder, avec une constance qui confine à l’aveuglement. La GPA est une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes. Nous sommes nombreux ici à partager les propos qu’a tenus le Premier ministre.
Il ne suffit pas de répéter que la GPA est interdite en France : il faut agir contre cette pratique indigne. Le risque est grand qu’elle se développe et nous échappe. Agir, c’est précisément ce à quoi nous invitent ces propositions de loi. Si la majorité et le Gouvernement refusent à nouveau leur adoption, ils se rendront coupables d’affaiblir la lutte légitime et pressante contre la GPA et le recours aux mères porteuses ; ils cautionneront implicitement ces pratiques et le renoncement de la France à ses valeurs fondamentales.
Pour ma part, je voterai donc pour ces deux textes.
M. René Dosière. Je voudrais tout d’abord dire mon accord avec la finalité des deux propositions de loi, dans la mesure où je suis totalement opposé à la GPA, ce qui démontre que la question dépasse largement les clivages partisans traditionnels. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je regrette que les auteurs aient utilisé le mécanisme de la proposition de loi pour traiter le sujet : c’est sans doute le plus mauvais qui soit pour une question aussi importante et transpartisane. À entendre les différentes interventions, on voit bien que ces textes encouragent les effets de posture. En outre, ils font l’objet d’un examen pour le moins simplifié, même si les rapporteurs ont procédé à des auditions : il nous manque tout le travail d’analyse qu’un tel sujet mériterait ; il nous manque l’avis du Conseil d’État.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Cela relève du Gouvernement, nous en sommes d’accord !
M. Guy Geoffroy. Que ne le fait-il pas !
M. René Dosière. L’opposition a d’autres moyens que des propositions de loi pour faire étudier sérieusement un sujet : les missions d’information, les commissions d’enquête, etc. Il y a d’autres formules pour faire travailler ensemble majorité et opposition sur un texte. Étant donné le sujet traité, la proposition de loi est la plus réductrice et la plus mauvaise des méthodes. En outre, vous le savez très bien, il y aura peu de monde en séance quand ces textes y seront discutés, et les postures – que l’on retrouve déjà dans les exposés des motifs et dans les propos des uns et des autres – joueront à plein. Je m’opposerai donc à l’adoption de ces deux propositions de loi.
Au-delà même de ce refus, il faut bien comprendre que le problème dépasse nos frontières. Nous devons aller vers une sorte de législation commune au moins au niveau européen, sinon au niveau mondial. Je souhaite que le Gouvernement français, appuyé par l’ensemble des forces politiques du pays, s’efforce de faire évoluer la législation européenne. Cela me paraît beaucoup plus urgent que de modifier le code pénal, pour des effets de posture, alors qu’il existe déjà des dispositions.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Vous n’en avez pas, vous, des postures ! Cela nous est réservé !
M. le président Dominique Raimbourg. Avant d’entendre les derniers orateurs inscrits, je vais donner la parole au rapporteur qui doit ensuite quitter la réunion en raison d’obligations personnelles impératives.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. J’entends tout ce qui a été dit sur nos travaux ou sur les véhicules législatifs qui ne seraient peut-être pas adaptés. Il n’empêche que l’objectif est bien de s’intéresser davantage à une question cruciale. Du reste, je constate que, au-delà des propos et des postures, il se passe bel et bien quelque chose : nous assistons à une forme de convergence. Les choses ne sont sans doute pas mûres et l’on ne doit toucher à la Constitution que « d’une main tremblante ». C’est pourquoi j’ai veillé à ce que les mesures envisagées ne se traduisent pas par la remise en cause de l’IVG ou du modèle français de don du sang ou de moelle osseuse. Ce travail cherche en toute bonne foi à réunir les républicains de tous horizons, et ils sont nombreux à s’inquiéter des dérives marchandes et à s’interroger sur ces enfants et sur ces parents. Nous devons avoir de l’empathie, car notre propos n’est pas de faire en sorte que ces enfants soient rejetés, mais nous devons aussi alerter le Parlement sur ses responsabilités.
Le sujet n’est peut-être pas encore totalement mûr, mais je crois que le temps viendra où les positions convergeront davantage. On se souviendra peut-être alors de nos débats – beaucoup plus sereins que naguère – comme des prémices d’un rapprochement dont les Français savent parfois être les acteurs.
C’est sur cette note d’espérance que je vais m’absenter, sans anticiper sur la suite des débats. Mme Le Dain défendra un amendement de suppression de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle. Vous ne serez pas surpris de me voir émettre un avis défavorable à cet amendement. En séance publique, nous poursuivrons le plus sereinement possible, je l’espère, ce débat passionnant, observé, attendu. Nous ne pourrons pas nous contenter de constater ces pratiques avec fatalisme, sans tenter de les arrêter : sinon tous les combats politiques seraient voués à l’échec un jour ou l’autre. Ce qui fait la force et la grandeur d’un Parlement, c’est sa capacité à anticiper certaines questions et à en débattre au-delà des clivages, même quand elles ont été posées par une minorité. Les parlementaires savent parfois utiliser leur talent et leur courage pour rassembler, afin que la minorité devienne une voix à entendre, sinon une majorité.
M. Sergio Coronado. On ne peut débattre d’un sujet sans prendre en compte toute sa complexité. Or, pour être franc, j’ai été un peu déçu et surpris par une présentation à charge d’une question délicate, sur laquelle je n’ai pas d’avis tranché. Si j’ai une opinion particulièrement ferme sur la transcription de la filiation à l’état civil ou sur l’octroi d’une pièce d’identité, que permet la circulaire de Mme Christiane Taubira, ce n’est pas le cas en ce qui concerne la grossesse de substitution, ou GPA.
J’avais pourtant lu avec grand intérêt le rapport rédigé en 2008 par les sénateurs de votre famille politique : bien plus subtil, il se proposait d’encadrer ce qu’il appelait une « gestation altruiste ». Je n’ai pas non plus retrouvé dans vos propos l’écho des débats qui traversent aujourd’hui le mouvement féministe. En soulignant l’illogisme de certains défenseurs de la condition féminine, Mme Bechtel a bien fait de rappeler que la question y est débattue dans des termes plus nuancés et plus complexes que la présentation qu’en font les rapporteurs.
Autre sujet d’étonnement : cette présentation est totalement contraire à l’histoire française de la gestation pour autrui. Dans un très joli livre, L’Empire du ventre, Mme Marcela Iacub retrace l’historique de cette pratique et de son interdiction. Des associations de grossesses de substitution comme Les Cigognes fonctionnaient sur une base altruiste et sans conventions marchandes. Je m’étonne que votre présentation se fasse un peu ex nihilo, sans tenir compte de ce qui s’est passé dans notre pays.
Votre façon de mener le débat est très principielle, dogmatique, idéologique. Les termes utilisés me rappellent ceux qui avaient été employés en 1998-1999, lors des débats sur le pacte civil de solidarité (PACS), pour combattre une revendication à l’époque naissante : l’ouverture du mariage civil et de la filiation aux couples de même sexe. Des inquiétudes folles s’exprimaient alors à propos de l’homoparentalité et de l’histoire douloureuse qu’il faudrait expliquer aux enfants. Mais il existait déjà des familles homoparentales, de même qu’il existe déjà, aujourd’hui, des familles avec des enfants nés de la GPA. On peut rencontrer ces enfants : leur histoire ne leur est pas cachée et on ne constate pas chez eux les traumatismes qu’on redoutait. Depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années, des enquêtes américaines, menées scientifiquement, ont conclu dans le même sens.
Faut-il élargir le débat ? La réalité de la GPA se passe en grande partie dans un monde de très grande inégalité économique et sociale. Mais, une fois passé l’examen et lorsque l’on constate qu’il n’y a ni contrainte ni déséquilibre financier dans la prestation, au nom de quoi est-il permis d’interdire cette disposition ? Au nom de quoi balayer le consentement d’un revers de main ? L’intérêt de l’enfant est un argument, mais on ne peut pas s’y référer tout en s’opposant à la transcription des actes de naissance à l’état civil et à l’octroi d’une pièce d’identité nationale. Il faut choisir.
Après avoir participé à des débats similaires, j’ai acquis cette conviction : considérer qu’en aucune circonstance une personne ne peut disposer librement de son corps pour, par exemple, se livrer à la prostitution, participer à une GPA ou demander un suicide assisté, revient à prendre une partie de nos concitoyens pour des incapables. Pour ma part, je crois que le consentement librement éclairé doit être la base d’une société démocratique, ce qui, je vous l’accorde, correspond à une tradition très libérale, mais me convient.
M. Dominique Potier. Je suis heureux de m’exprimer après M. Sergio Coronado, car je souhaite, comme lui, que ces questions soient abordées avec le souci absolu de prendre en compte leur caractère infiniment complexe, mais aussi dans le respect de la dignité de nos interlocuteurs, s’ils pensent différemment de nous. Il convient que nous recherchions une vérité commune avec une certaine humilité. Je rejoins donc M. Coronado dans cette approche précieuse qui a terriblement manqué dans les débats précédents. Ne retombons pas dans les mêmes ornières !
Longtemps, la gauche a été assimilée à une conquête des libertés qui passait parfois par la transgression d’interdits résultant d’un conservatisme sans fondement, transgression qui demandait souvent d’opérer de réelles révolutions. Aujourd’hui, la donne a changé : la conquête des libertés a eu lieu, elles sont désormais largement acquises, et il faut peut-être désormais faire prévaloir les principes de responsabilité et de dignité humaine. Je veux bien croire que ce chemin n’est pas seulement celui de la gauche, et qu’il peut être celui de tous les républicains.
La conquête des libertés va dorénavant de pair avec la redécouverte de nos responsabilités, par exemple à l’égard de la nature. Les débats autour de la COP21 ont fait éclater au grand jour, à l’échelle internationale, une conscience de la fragilité planétaire, qui devient un nouvel élément de la conscience politique universelle. Nous avons certainement le même chemin à parcourir s’agissant de notre rapport au corps humain, à la naissance de l’enfant, aux dimensions éthique et bioéthique de l’identité.
L’ultralibéralisme de notre monde se traduit à la fois par une mondialisation sans foi ni loi, et par un individualisme sans limites. Cet ultralibéralisme nourrit, alimente et fonde une tentation fasciste dans une conscience populaire profondément bouleversée.
Certes, je me rangerai à la position de mon groupe politique, qui estime que ces textes ne sont peut-être pas les véhicules idéaux de ce débat, mais je tiens à dire que, sur les plans philosophique et politique, je partage cette condamnation de la GPA, en l’état et par principe. Je le fais dans un dialogue à gauche qui a été nourri par la réflexion de Mme Sylviane Agacinski, par des échanges avec plusieurs de nos collègues, comme M. Jean Yves Le Déaut ou Mme Anne-Yvonne Le Dain, mais aussi par les travaux effectués sur ce sujet par M. Benoît Hamon et Mme Laurence Dumont. Il y va de la protection de la fragilité et de la dignité humaines, de la non-marchandisation du corps. Sur ces champs, nous devons développer une nouvelle éthique et poser des limites. Être républicain aujourd’hui, être de gauche, n’est-ce pas, au nom de la dignité humaine, poser à nouveau des limites, non pas contre la vie, mais au nom même de la vie ?
M. Philippe Houillon. Je soutiendrai les textes qui nous sont soumis. J’ai cru entendre dans les propos de nos collègues certaines réticences, voire des oppositions. Je crains qu’elles ne soient des combats d’arrière-garde – ce qui ne m’étonne pas plus que cela sachant d’où elles viennent. Il existe en effet une jurisprudence européenne – certes, ce n’est pas la législation européenne que M. René Dosière appelait de ses vœux, mais tout de même –, l’arrêt Mandet contre France, rendu le 14 janvier 2016 par la CEDH, qui affirme le principe simple et lourd de conséquences selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est avant tout de connaître la vérité sur ses origines. Il s’agit d’un arrêt de principe dont les développements viendront mécaniquement balayer la GPA, mais aussi les filiations établies, comme la loi française le permet désormais, avec deux pères et deux mères. Cet arrêt aura forcément des conséquences sur des systèmes auxquels vous vous dites opposés, mais que vous ne voulez pas officiellement combattre.
M. Jean-Frédéric Poisson. Les orateurs qui se sont exprimés avant moi et, à l’instant, le bâtonnier Houillon ont présenté tous les arguments qui auraient été les miens. Je me contente en conséquence d’apporter mon soutien plein et entier aux textes en discussion.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. J’ai été sensible à l’ensemble des interventions, notamment celle de M. Dominique Potier.
Si j’en crois le discours des médecins, il n’y a pas de limites à la science, et la recherche ira de plus en plus loin. Le problème est donc de savoir comment arrêter ce processus, ce qui nous mène sur le terrain de l’éthique. Les propositions de loi que nous examinons constituent des réponses à des questions qui se posent à notre société. Ce débat devait être mené, et je suis plutôt favorable à ce qui est proposé par nos deux collègues.
M. Guy Geoffroy. J’adhère totalement à la majeure partie des arguments présentés par ceux, en particulier au sein de mon groupe, qui soutiennent ardemment ces deux textes – je suis pour ma part cosignataire de la proposition de loi constitutionnelle.
Sans aucune animosité, mais de façon très claire, je voulais très simplement relever l’embarras que je ressens du côté de certains collègues de la majorité qui ne savent pas très bien comment justifier le fait qu’ils ne vont pas voter des textes avec lesquels ils sont, au fond d’eux-mêmes, profondément d’accord.
Nous avons tenu un discours commun sur l’indisponibilité du corps humain pour aboutir à l’adoption d’une loi de la République contre le phénomène prostitutionnel. J’avoue ne pas comprendre que l’on puisse avoir défendu ce texte, et que l’on ne franchisse pas aujourd’hui le pas qui en découle afin d’inscrire l’indisponibilité du corps humain dans la Constitution – la référence au Préambule ne me semble en tout état de cause pas suffisante.
J’entends l’embarras de M. René Dosière, mais son argument selon lequel une proposition de loi serait moins efficace qu’une mission d’information pour faire œuvre législative ou pour réviser la Constitution me paraît d’une très grande légèreté venant d’un collègue chevronné.
La décision de nos collègues de la majorité de ne pas voter ces textes est une erreur.
M. Philippe Houillon. S’il n’y avait que celle-là !
M. Guy Geoffroy. Je ne vais pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une faute, mais, avec le temps, nous constaterons certainement que tel était bien le cas. Il est toujours temps de se reprendre : j’invite nos collègues de la majorité à se mettre en conformité avec ce que pensent la plupart d’entre eux, c’est-à-dire la même chose que nous.
Mme Sophie Dion. Je me joindrai à Mme Valérie Boyer et M. Philippe Gosselin pour voter ces deux textes.
Chers collègues de la majorité, lorsque vous avez adopté la loi sur le « mariage pour tous », vous avez solennellement affirmé que jamais on ne toucherait au principe d’indisponibilité du corps humain et que jamais on ne reconnaîtrait la gestation pour autrui. Je m’étonne donc des réticences que vous avez aujourd’hui à voter ces textes.
L’enfant reste la personne vulnérable par excellence, et vous le laissez, en quelque sorte, aux prises avec l’ultralibéralisme économique le plus absolu. Vous allez à l’encontre des valeurs humanistes dont vous vous prétendez les plus fervents avocats. Je n’y comprends rien, mais sans doute s’agit-il de l’une des erreurs que vous accumulez depuis des mois. Il faut protéger l’enfant et lui permettre de connaître ses origines : notre propre code civil et, désormais, la CEDH l’exigent. Votre erreur est à la fois une faute morale et une faute politique.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. La GPA existe, et elle est indirectement reconnue par la France. C’est la raison pour laquelle M. Philippe Gosselin et moi-même avons estimé que nous devions intervenir. Ce qui, sur le plan théorique, est interdit aux Français en France leur est permis à partir du moment où cela se passe à l’étranger et qu’ils rapportent le produit de leur achat. Je n’emploie pas ce vocabulaire parce que j’approuve ces actes, mais, au contraire, parce que je pense qu’il faut cesser d’habiller la maternité de substitution – il s’agit bien de cela, Mme Le Dain – des atours de l’altruisme ou du consentement éclairé.
Les femmes qui siègent dans cette salle et qui ont connu une grossesse savent parfaitement ce que c’est que de porter un enfant. Qu’il s’agisse ou non de ses propres ovocytes, l’enfant est tout de même le produit de sa chair et de son sang ! Une grossesse n’est pas une maladie, mais elle comporte des risques. J’aurais aimé disposer d’une étude sur l’état psychologique et physique de ces femmes qui sont traitées comme des animaux – je rappelle qu’en Inde elles sont rassemblées dans des lieux que l’on appelle des « fermes ». Il faut donc appeler les choses par leur nom pour pouvoir travailler correctement. Je me permets aussi de rappeler qu’en Europe le régime nazi avait créé les Lebensborn où des femmes étaient fécondées avant qu’elles ne cèdent leur enfant.
Vous avez noté que nous faisions référence à d’autres pays. Aux États-Unis, des contrats permettent à des mères porteuses de céder leurs organes reproductifs, mais ce n’est pas pour autant un modèle auquel nous souhaitons nous référer. Lors de nos auditions, M. Jean-François Mattei, ancien député et ancien ministre, a rappelé que, dans certains pays, on trouve des catalogues d’enfants à adopter : ceux-ci y vantent leurs propres qualités – ils seront sages et affectueux –, et les parents ont la possibilité de rendre les enfants s’ils n’en sont pas satisfaits. Ce n’est pas notre conception des relations humaines ou de la protection de l’enfant.
Comme vous le disiez, Mme Le Dain, la naissance, bien qu’elle comporte des risques, doit être un moment joyeux. C’est difficilement le cas pour une femme dont on a instrumentalisé le corps et dont on se sert comme d’un ventre à louer pour une maternité de substitution. Si, à droite comme à gauche, nous nous retrouvons sur cette question, c’est bien parce qu’il s’agit de dignité humaine et de protection des personnes les plus vulnérables. Je ne connais pas de maternité « altruiste ». Si l’on excepte les militants de la cause, l’ensemble des personnes que nous avons interrogées a réfuté ce mot. Le président du Comité consultatif national d’éthique a, lui aussi, des difficultés avec le terme « altruiste ».
Je ne voudrais pas que le rejet de ces textes permette à la GPA et à la maternité de substitution de prospérer dans notre pays et que les militants d’une gestation que, pour la rendre plus présentable, certains appellent « éthique » nous expliquent, demain, que tout cela s’est tellement développé qu’il est trop tard pour revenir en arrière. Nous ne devons pas nous contenter de dresser des constats, nous ne sommes pas les greffiers des mœurs : nous sommes aussi là pour faire la loi.
Ma proposition de loi n’est pas que principielle, elle est concrète. Dans les amendements que je vous soumets, je propose des solutions concrètes pour lutter effectivement par des actes, au-delà des paroles, contre la gestation pour autrui ou la grossesse de substitution dans notre pays.
Je remercie M. Guillaume Larrivé pour son soutien.
Non, M. Binet, la situation actuelle n’est pas équilibrée, et nous ne cherchons pas davantage à l’être ! Lorsqu’il s’agit de dumping éthique ou de traite d’êtres humains, de femmes et d’enfants, ce n’est pas la question. Nous sommes confrontés à une question de principe, qui touche à la dignité humaine. Je m’oppose au proxénétisme procréatif qui fait des femmes des ventres à louer.
On ne peut pas dire, comme vous le faites, que tout va bien en France. Il faut absolument que l’entremise soit réprimée, et sévèrement. Pourquoi des instruments de propagande sont-ils mis en place pour faire passer un trafic d’êtres humains pour une démarche altruiste ? Tout simplement parce qu’il y a beaucoup d’argent à la clef. C’est la raison pour laquelle, lors de conférences dans de grands hôtels ou à la télévision, des agences présentent la maternité de substitution sous un jour idéalisé – pour ma part, je dirais « mensonger ». Dans l’intérêt de l’enfant, qui consiste en premier lieu à connaître ses origines et, surtout, à ne pas être cédé, je propose que l’entremise soit réprimée.
Quant au mauvais procès que vous m’intentez s’agissant de la répression de la presse, sous prétexte que j’ai évoqué un reportage, je précise que la nouvelle incrimination concernant la provocation à la maternité de substitution et sa présentation sous un jour favorable vise principalement des sites internet qui font la promotion de cette pratique. Ces sites ont des liens très forts avec de grands groupes financiers : c’est un problème de business. Cette nouvelle incrimination est compatible avec le respect du droit à l’information qui a valeur constitutionnelle. Il ne s’agit en aucun cas de porter atteinte à la liberté de la presse. Ces insinuations de mauvaise foi ne sont pas du tout à la hauteur des débats qui nous occupent.
Les conventions internationales ont déjà été invoquées lorsque notre collègue Jean Leonetti a présenté un texte visant à réprimer la maternité de substitution. Le Gouvernement a alors affirmé qu’il mettrait en œuvre des actions afin que la maternité de substitution soit supprimée sur le plan international. Nous avons interrogé le ministère de la justice mais rien n’a été fait depuis en la matière. Le ministère de la famille, de l’enfance et des droits des femmes ne dispose pas d’informations sur ce sujet, et il n’en a pas trouvé auprès du Quai d’Orsay. Il nous a avoué rencontrer de grandes difficultés, compte tenu de la régression des droits des femmes au plan mondial, pour faire en sorte que ce sujet soit traité en priorité. Je remercie Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, d’avoir fait en sorte que nous ayons des réponses précises à nos questions.
Certes, le parlement portugais s’est déclaré favorable à la maternité de substitution, mais je répète qu’il ne s’agit pour moi ni d’un modèle ni d’un curseur, et que nous ne sommes pas obligés de nous référer au moins-disant éthique pour faire notre droit.
Oui, M. Collard, il s’agit bien de proxénétisme procréatif ! Le corps est vraiment découpé en morceaux. Comment ne pas combattre la maternité pour autrui lorsque l’on a combattu le trafic d’organes, comme j’ai pu le faire ? J’ai déposé des propositions de loi, lors de mon mandat précédent et durant cette législature, afin que ces pratiques soient réprimées par la France, et que notre pays signe une convention internationale sur le sujet. Je considère comme vous que le corps n’est ni une marchandise ni une boutique, et que la détresse des riches en mal de maternité ou de paternité ne doit pas être soulagée en instrumentalisant des corps des femmes les plus pauvres. Comme je l’ai dit à la précédente ministre de la justice, ce n’est pas parce que ces femmes sont de couleur et pauvres que l’on doit les abandonner à l’indignité de voir leur corps réduit à une marchandise ou à un instrument ; ce n’est pas parce que des enfants sont commandés et fabriqués que l’on doit avaliser cette pratique.
M. Dussopt, la GPA gratuite n’existe pas, elle n’a jamais existé ; c’est une vue de l’esprit. Il n’y a pas davantage de GPA « éthique ». Je me permets de vous inviter à regarder ce qui se passe en Grande-Bretagne. Plusieurs témoignages nous ont montré ce qu’il en était vraiment : depuis que le commerce est officiellement proscrit en matière de GPA, des conventions sont passées qui comportent des dons à des associations – de mémoire, les montants engagés atteindraient 120 000 euros. Sans doute la femme qui sert d’instrument ne reçoit-elle qu’une petite part de cette somme : cela dit, je ne vois pas ce qu’il peut y avoir d’altruiste dans cette affaire.
Quand j’emploie le mot « esclavage », ce n’est pas pour cautionner l’esclavage. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Ce mauvais procès n’est pas à la hauteur de notre débat. Je dis en revanche que les parents sont des parents acquéreurs, puisqu’il s’agit bien d’une acquisition, et que cette prétendue convention est, en fait, un contrat. Il comporte des points très précis qui entravent la liberté de la mère avec, par exemple, des restrictions sur ses déplacements ou sur son alimentation, et même une obligation de césarienne. C’est une réalité !
Mme Bechtel, comme vous, j’ai été choquée par la différence de traitement que le Parlement réserve à la prostitution et à la maternité de substitution. Comme vous, j’ai fait l’analogie entre les deux sujets, et c’est pourquoi j’ai employé dans l’exposé des motifs de ma proposition de loi l’expression « proxénétisme procréatif ». Je pense aussi que ces femmes qui sont dans une grande détresse doivent être protégées d’elles-mêmes, et qu’en tout cas notre devoir est de ne pas cautionner ces pratiques. Elles nous choquent de la même façon que nous sommes choqués lorsqu’un individu en grande détresse financière vend l’un de ses organes.
Je remercie MM. Lionel Tardy et Éric Ciotti pour leur soutien.
M. Dosière, la question posée ce matin dépasse les clivages partisans. M. Philippe Gosselin et moi-même vous avons tendu la main lors de la rédaction des textes que nous présentons aujourd’hui. Si le Gouvernement avait vraiment souhaité traiter du sujet, j’aurais voté un texte issu de la majorité et sanctionnant l’apologie de la GPA. Je rappelle que, alors que l’Assemblée a rejeté la proposition de loi de M. Jean Leonetti visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui, au motif que le texte devait être retravaillé, nos auditions ont montré qu’il ne l’a pas été.
De façon plus générale, je suis surprise d’entendre dire que l’inscription d’une proposition de loi et d’une proposition de loi constitutionnelle dans une « niche » réservée à l’opposition ne fait pas avancer le débat. Je pense pourtant qu’il s’agit de la façon dont nous travaillons dans cette assemblée. Je comprends la gêne de collègues qui, bien qu’approuvant nos propositions, ne les voteront pas. Ces leçons de fonctionnement de l’Assemblée me paraissent très curieuses, en particulier à la commission des Lois.
Enfin, pour compléter l’information de M. Dosière, je lui indique que j’ai déposé, le 10 juillet 2015, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’interdiction effective de la gestation pour autrui en France. J’aurais aimé que d’autres s’y joignent, comme je l’ai fait pour la pénalisation du négationnisme des génocides. Si je suis engagée dans la vie publique, ce n’est pas pour prendre des postures : c’est, comme vous, mes chers collègues, pour défendre des convictions.
M. Coronado, il est difficile de relativiser la marchandisation. Pour moi, je le répète, la gestation pour autrui « altruiste » n’existe pas.
Je remercie M. Potier pour ses propos auxquels j’adhère complètement. Comme il le soulignait, le dialogue permet d’avancer : nous avons, par exemple, été particulièrement impressionnés, lors de l’audition de Mme Yvette Roudy, par la force de ses convictions et par son engagement. Les auditions nous ont donné l’occasion de partager de belles leçons de vie.
M. Philippe Houillon nous a rappelé à juste titre la position de la CEDH : l’intérêt supérieur de l’enfant exige qu’il connaisse la vérité sur ces origines. Mme Françoise Guégot l’avait dit avec ses mots, ce qui avait suscité les remarques méprisantes de certains collègues. Le sujet est pourtant majeur.
Je remercie M. Guy Geoffroy d’avoir travaillé sur le sujet fondamental du phénomène prostitutionnel. J’ai dit il y a un instant à Mme Bechtel combien il était pertinent d’établir un lien entre ces deux sujets.
Merci également à MM. Jean-Frédéric Poisson et Pierre Morel-A-L’Huissier qui m’ont apporté leur soutien.
Mme Sophie Dion a eu raison de qualifier l’enfant de « personne vulnérable par excellence » : nous sommes aussi là pour le protéger.
Pour citer un dernier collègue, mais disparu depuis longtemps celui-là, je rappellerai les mots de Lacordaire : « Entre le fort et le faible [...], c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. » C’est tout le sens du travail que nous effectuons aujourd’hui sur la maternité de substitution.
La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
La Commission examine l’amendement CL5 de la rapporteure.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement vise à demander au Gouvernement des explications précises et circonstanciées sur les initiatives qu’il a prises depuis les deux arrêts rendus par la CEDH en juin 2014, lesquels ont fragilisé l’interdiction de la maternité de substitution en France. À la suite de ces arrêts, le Gouvernement de M. Manuel Valls avait en effet réaffirmé son attachement à la prohibition française de la GPA. Il est temps de passer des déclarations d’intention aux actes. Il importe de connaître les actions précises que le Gouvernement a menées dans ce domaine.
L’article 4 de la proposition de loi tend à demander au Gouvernement des comptes sur les initiatives qu’il a déjà prises et sur celles qu’il envisage de prendre au niveau international en vue de l’adoption d’une convention sur l’interdiction de cette pratique.
Le présent amendement a une portée plus interne : il vise à demander au Gouvernement, premièrement, les raisons qui l’ont conduit à ne pas interjeter appel de ces arrêts alors qu’il en avait la possibilité et, deuxièmement, les démarches qu’il a entreprises depuis ces arrêts et celles qu’il pense entreprendre à l’avenir pour conforter l’interdiction française, en matière pénale et civile.
La Commission rejette l’amendement.
Article 1er
(art. 227-12 du code pénal)
Distinction entre l’entremise en vue d’une gestation pour autrui
et les autres infractions relatives à l’abandon d’enfant
L’article 1er a pour objet d’isoler dans le code pénal l’incrimination pénale d’entremise en vue d’une gestation pour autrui afin de la distinguer de celle d’abandon d’enfant.
1. Le droit en vigueur
En l’état du droit, les atteintes à la filiation sont réprimées, au sein d’un chapitre du code pénal consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille, par les articles 227-12 à 227-14. Ces incriminations peuvent être classées en deux catégories : l’incitation à l’abandon d’enfant ou l’entremise non autorisée en vue d’une adoption d’une part, et l’atteinte à l’état civil et à la filiation par la substitution, la dissimulation ou la simulation d’enfant d’autre part.
L’article 227-12 réprime trois comportements différents :
– la provocation à l’abandon d’enfant : punie de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, la provocation est sanctionnée sans considération de son résultat éventuel et il n’est pas indispensable qu’elle soit faite dans un but lucratif (premier alinéa) ;
– l’entremise non autorisée en vue d’une adoption : punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, l’entremise aux fins d’abandon d’un enfant consiste en la simple mise en relation entre deux personnes, celle désireuse d’adopter l’enfant, l’autre de l’abandonner, à condition que cette relation d’intermédiaire soit « dans un but lucratif » afin de préserver le principe de l’adoption et la dignité de l’enfant (deuxième alinéa) (46) ;
– l’entremise en vue d’une gestation pour autrui : également punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, cette entremise est condamnable quelles que soient les hypothèses de maternité pour autrui – enfant conçu par la mère porteuse avec ses gamètes, enfant conçu in vitro – et les conditions dans lesquelles la femme a accepté cette maternité – dans un but lucratif ou gratuitement (troisième alinéa).
Le même alinéa prévoit deux circonstances aggravantes ayant pour effet de doubler les peines encourues, soit deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, lorsque l’entremise en vue d’une gestation pour autrui présente un caractère habituel ou se fait dans un but lucratif.
Le dernier alinéa de cet article punit la tentative des délits prévus par les deuxième et troisième alinéas des mêmes peines que celles applicables à ces infractions.
L’article 227-13 réprime « [l]a substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant », ou leur tentative, de peines de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende :
– la substitution d’enfant consiste à échanger deux enfants à la maternité ;
– la simulation d’enfant est le fait de prêter à une femme un accouchement qui n’a pas eu lieu ;
– la dissimulation d’enfant consiste à cacher une maternité et l’accouchement mais elle n’est punissable que si elle a pour effet d’attenter à l’état civil de l’enfant (47).
Sont visées les atteintes à la réalité d’une filiation, notamment lorsque les membres d’un couple ayant eu recours à une gestation pour autrui dissimulent l’identité de la femme qui a porté l’enfant.
L’article 227-14 prévoit que les personnes morales déclarées responsables pénalement, comme les agences faisant le lien entre un couple commanditaire et la mère porteuse, encourent, outre le quintuple de l’amende prévue pour l’infraction, certaines peines prévues par l’article 131-39 :
– la dissolution, « lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d’une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés » ;
– l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;
– le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ;
– une peine de confiscation ;
– l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée.
Cette disposition a conduit le Conseil d’État à confirmer le caractère illicite de l’objet des associations de mères porteuses (48).
2. La solution retenue par l’article 1er
L’article 1ersupprime le troisième alinéa de l’article 227-12 précité, relatif à l’entremise aux fins de gestation pour autrui, qui avait été introduit à cet article par le législateur en 1994, afin de distinguer ce délit des autres incriminations pénales relatives à l’abandon d’un enfant (1°).
Par cohérence, au dernier alinéa de cet article, il prévoit que seules les tentatives des délits de provocation à l’abandon d’enfant et d’entremise en vue de l’abandon seront punies des mêmes peines que ces délits (2°).
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL1 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement CL1 et l’amendement CL2 suivant, tous deux déposés par le groupe Socialiste, écologiste et républicain, ont le même objet : supprimer le renforcement de notre arsenal pénal en matière de lutte contre la maternité de substitution. Pourtant, un tel renforcement est absolument nécessaire, car le droit actuel est insuffisant et inefficace.
Il est insuffisant parce qu’il se borne à réprimer les intermédiaires par le délit d’entremise, prévu à l’article 227-12 du code pénal, et la supposition d’enfant, prévu à l’article 227-13 du même code, et que les peines prévues sont peu dissuasives. Or il convient de punir d’autres démarches liées à la maternité de substitution, en particulier la provocation à y recourir et la présentation de cette pratique sous un jour favorable. Ce sont là des dispositions concrètes, que je vous invite à voter.
Le droit actuel est, en outre, inefficace parce que, lorsque ces délits sont commis par un Français à l’étranger, ils ne peuvent être poursuivis en France qu’à la double condition de la réciprocité de l’incrimination et d’une dénonciation officielle par l’État dans lequel les faits ont été commis – tel est le cas pour la plupart des autres délits. Il importe de supprimer ce double verrou pour que ces délits soient poursuivis. Le législateur l’a déjà fait dans d’autres domaines, notamment la mise en péril de mineurs.
Je veux pour preuve de cette inefficacité l’extrême rareté des poursuites ouvertes et plus encore des condamnations prononcées sur le fondement des incriminations actuelles : entre 2009 et 2013, on a dénombré seulement dix-huit condamnations au titre de l’article 227 13 du code pénal.
Plutôt que de supprimer l’article 1er, je vous propose de vous rallier à mon amendement CL6, dont l’objet est de recentrer le volet pénal de la réforme sur une répression plus dissuasive des pratiques d’intermédiation et des comportements promouvant la GPA.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 1er est supprimé.
L’amendement CL6 de la rapporteure n’a plus d’objet.
Article 2
(art. 227-12-1 [nouveau] du code pénal)
Renforcement de la répression pénale de la gestation pour autrui
Conséquence de l’article 1er, l’article 2 crée, dans la section 5 du chapitre VII du titre II du livre II du code pénal, consacrée aux atteintes à la filiation, un nouvel article 227-12-1 renforçant la répression de l’entremise en vue d’une gestation pour autrui et créant deux nouvelles incriminations visant à mieux sanctionner cette pratique. Il aggrave sensiblement les peines encourues par les personnes qui y ont recours et améliore l’effectivité de leur application.
1. L’élargissement du champ de la répression pénale du recours à la gestation pour autrui
Le deuxième alinéa de cet article reprend l’actuel troisième alinéa de l’article 227-12 précité, relatif à l’entremise en vue d’une gestation pour autrui, en incriminant « le fait de s’entremettre ou la tentative de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ».
Afin de renforcer le caractère dissuasif de la répression de ces faits, il porte les peines encourues d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende à cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros. Il conserve les deux circonstances aggravantes, lorsque l’entremise est réalisée à titre habituel ou dans un but lucratif, en vertu desquelles les peines encourues seront doublées.
Le premier alinéa de ce nouvel article vise à punir de cinq ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende « [l]e fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la naissance d’un enfant par le recours à une mère porteuse ». Ce nouveau délit permettrait de mieux réprimer l’ensemble des démarches entreprises en vue d’une gestation pour autrui et qui ne sont couvertes ni par le délit d’entremise, ni par celui de substitution volontaire, de simulation ou de dissimulation prévu par l’article 227-13.
Le troisième alinéa tend à sanctionner pénalement « [l]a provocation, même non suivie d’effet, à l’une des infractions prévues au présent article, ou le fait de présenter l’une de ces infractions sous un jour favorable ». Ces faits seraient punis par une peine d’emprisonnement de cinq ans et 100 000 euros d’amende. Il complète un angle mort de la législation actuelle qui ne réprime que la provocation à l’abandon d’enfant.
Cette nouvelle infraction s’inspire en partie des dispositions de l’article L. 3421-4 du code de la santé publique, lequel sanctionne la provocation à l’usage ou au trafic de produits stupéfiants, alors même que cette provocation n’a pas été suivie d’effet, ou le fait de présenter ces infractions sous un jour favorable.
2. L’amélioration de l’efficacité des sanctions pénales à l’égard des infractions commises à l’étranger
En matière délictuelle, la règle d’application territoriale de la loi pénale française ne permet pas de poursuivre en France tous les agissements répréhensibles commis par des Français à l’étranger. Si les faits sont commis en France, l’application de la loi française ne pose pas de difficulté. En application de l’article 113-2 du code pénal, il suffit qu’un élément de l’infraction ou un fait de complicité ait été commis en France pour que la loi pénale française s’applique.
En revanche, en vertu du deuxième alinéa de l’article 113-6 du même code, la loi pénale française est applicable à tout délit puni d’emprisonnement commis à l’étranger à la double condition que l’auteur de l’infraction soit français et que les faits soient punis par la législation du pays où il a été commis. L’article 113-7 du même code prévoit également qu’elle s’applique si la victime est de nationalité française au moment de l’infraction, mais il est peu probable que ce cas de figure se présente en matière de gestation pour autrui. En toute hypothèse, conformément à la seconde phrase de l’article 113-8 du même code, la poursuite « doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis ».
La rigueur de ces dispositions conduit certaines personnes à les esquiver en se tournant vers des législations étrangères plus permissives, ce qui prive d’efficacité notre arsenal pénal dans un domaine comportant fréquemment une importante dimension internationale. C’est la raison pour laquelle le présent article vise à permettre la poursuite des personnes qui contournent, par des actes commis à l’étranger, l’interdiction française de la gestation pour autrui.
En conséquence, le dernier alinéa du nouvel article 227-12-1 prévoit que « [l]orsque les délits prévus par le présent article sont commis à l’étranger par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l’article 113-6, et les dispositions de la seconde phrase de l’article 113-8 ne sont pas applicables ».
Il supprime donc, pour la poursuite de ces infractions, la double exigence de réciprocité d’incrimination et d’une dénonciation officielle de l’État dans lequel les faits ont été commis.
Cette disposition s’inspire des règles prévues par le code pénal qui écarte déjà l’application de cette double exigence pour la poursuite en France d’un certain nombre de délits commis à l’étranger :
– les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, certains délits de fausse monnaie, de falsification des titres ou autres valeurs fiduciaires et des marques émises par l’autorité publique ainsi que les délits contre des agents ou des locaux diplomatiques ou consulaires français (article 113-10) ;
– sous certaines conditions, les délits commis à bord ou à l’encontre des aéronefs non immatriculés en France ou des personnes se trouvant à bord (49) (article 113-11) ;
– les infractions « commises au-delà de la mer territoriale, dès lors que les conventions internationales et la loi le prévoient » (article 113-12) ;
– depuis 2012, les délits terroristes commis par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français (article 113-13) ;
– les agressions sexuelles contre un mineur par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français (dernier alinéa de l’article 222-22) ;
– le proxénétisme à l’égard d’un mineur par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français (premier alinéa de l’article 225-11-2) ;
– le recours, par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français, à la prostitution de mineurs, commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes, lorsque la personne a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation d’un réseau de communication, lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou lorsque l’auteur des faits a délibérément ou par imprudence mis la vie de la personne en danger ou a commis contre elle des violences (article 225-12-3) ;
– la mise en péril de mineurs par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français (article 227-27-1) ;
– la participation d’un Français ou d’une personne résidant habituellement sur le territoire français à une activité mercenaire (article 436-3) ;
– le clonage humain auquel prend part un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français (article 511-1-1).
Rien ne justifie qu’il n’en soit pas de même pour les atteintes à la filiation, dont le niveau de gravité est comparable à celui de certaines des infractions précédemment mentionnées. Pareil élargissement du champ d’application territoriale de la loi française se justifie par la nécessité de garantir le respect des principes d’ordre public d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes.
*
* *
L’amendement CL7 de la rapporteure est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL2 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
La Commission examine l’amendement CL9 de la rapporteure.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement vise à créer le délit de vente d’enfants. La France se singularise par l’absence d’incrimination spécifique de la vente d’enfants, généralement appréhendée par l’intermédiaire d’autres infractions telles que la provocation à l’abandon d’enfants ou l’entremise en vue d’une adoption ou d’une grossesse de substitution. Or celles-ci ne recouvrent que partiellement les faits dont il est question.
Si nous souhaitons protéger les plus vulnérables, il faut créer une incrimination spécifique dans notre droit. Ainsi que l’a dit M. Guy Geoffroy, « si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant ». Je rappelle que le comité des droits de l’enfant de l’ONU signale régulièrement à la France les lacunes de son droit en la matière. Une affaire récemment jugée à Blois, à laquelle je vous invite à réfléchir, a révélé la faiblesse de notre arsenal juridique : une mère qui vendait les enfants qu’elle mettait au monde a été poursuivie et condamnée du chef d’escroquerie, car elle avait essayé de les vendre à deux familles ; si elle ne les avait vendus qu’à une seule famille, elle n’aurait peut-être pas été poursuivie.
Si, comme je le crois, nous sommes opposés au trafic des enfants sur tous les bancs de notre assemblée, il me semble important que nous votions cet amendement, d’autant que l’ONU nous y engage.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL8 de la rapporteure.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. L’article 2 de la proposition de loi visait à créer de nouvelles infractions et prévoyait l’application de la loi pénale française à ces infractions lorsqu’elles étaient commises à l’étranger par un Français ou une personne résidant habituellement en France, ainsi que le code pénal le prévoit déjà pour d’autres infractions telles que la mise en péril de mineurs. Pour ce faire, il supprimait la double exigence de la réciprocité de l’incrimination et d’une dénonciation officielle par l’État dans lequel les faits sont commis, qui conditionne généralement la poursuite des délits commis à l’étranger.
Le présent amendement tire les conséquences de la suppression de l’article 2 en prévoyant l’extraterritorialité de la loi pénale française pour la poursuite de toutes les atteintes à la filiation commises par un Français à l’étranger, c’est-à-dire des délits actuels de provocation à l’abandon d’enfant, d’entremise en vue d’une adoption ou d’une gestation pour autrui, de substitution volontaire, de simulation ou de dissimulation d’enfant.
Selon moi, nous pouvons tous nous entendre pour adopter cette disposition, qui constituerait un moyen de dissuasion efficace à l’égard des personnes qui se rendent à l’étranger pour recourir à une maternité de substitution interdite en France. De la sorte, nous mettrions enfin notre droit en accord avec nos paroles et nos bonnes intentions.
La Commission rejette l’amendement.
Article 3
(art. 47-1 [nouveau] du code civil)
Interdiction de tout acte et de toute décision portant reconnaissance
d’une filiation avec un enfant obtenue par une gestation pour autrui
L’article 3 insère un nouvel article 47-1 au sein du code civil dont l’objet est double :
– par dérogation à l’article 47 de ce code, il vise à priver d’effet en droit français les actes de l’état civil étrangers lorsqu’ils tendent à la reconnaissance d’un lien de filiation entre un parent et un enfant né d’une gestation pour autrui ;
– plus généralement, il interdit toute décision ou tout acte visant à reconnaître en France la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui.
1. La réception en France des gestations pour autrui réalisées à l’étranger
La reconnaissance en France d’un lien de filiation avec un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger soulève deux questions distinctes : d’une part la validité en droit français des actes de l’état civil étrangers et, d’autre part, la possibilité de les transcrire à l’état civil français.
a. La validité des actes de l’état civil étrangers régulièrement établis
Les personnes qui ont recours à la gestation pour autrui dans un pays étranger où cette pratique est légale disposent d’actes de l’état civil étrangers en bonne et due forme. En l’état du droit, ces actes d’état civil ont une valeur juridique sur le territoire de la République.
Les actes de l’état civil étrangers régulièrement établis font foi en France en l’absence de transcription sur les registres de l’état civil français, à l’exception des actes de mariage concernant des Français, soumis à des règles particulières. Ainsi, l’article 47 du code civil dispose que « [t]out acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
Pour produire leur plein effet en France, les actes de l’état civil étrangers doivent avoir été établis conformément à la loi locale, traduits et authentifiés :
– la preuve du respect de la loi locale incombe à la personne qui produit une copie ou un extrait de l’acte étranger, généralement un certificat de coutume ;
– la traduction de l’acte peut être facilitée grâce à la convention liant la France à plusieurs pays européens relative à la délivrance d’extraits plurilingues d’actes de l’état civil ;
– l’authentification de l’acte suppose sa légalisation par le consul français territorialement compétent ou le consul du pays concerné en France, qui vérifie que le document émane bien d’une autorité qualifiée et que la signature est bien la sienne : en vertu de conventions internationales, les actes de certains pays sont dispensés d’authentification et, en application de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, d’autres actes font l’objet d’un régime d’authentification simplifié, l’apostille, délivrée par une autorité du pays où le document a été établi.
Lorsqu’elle a un doute sur l’authenticité ou l’exactitude de l’acte étranger, l’autorité administrative saisie peut procéder ou faire procéder aux vérifications nécessaires auprès de l’autorité étrangère et en informe l’auteur de la demande. L’absence de réponse de la part de l’autorité administrative dans un délai de huit mois vaut décision de rejet, à charge pour le demandeur d’en solliciter l’annulation par le juge (50).
b. La transcription en droit français des actes de l’état civil étrangers
La transcription, sur les registres consulaires, des actes de l’état civil étrangers n’est pas une obligation mais une possibilité offerte aux Français afin de faciliter leurs démarches en France et faire reconnaître leur lien de filiation avec l’enfant.
S’agissant de couples ayant eu recours à l’étranger à une mère porteuse, la transcription des actes de l’état civil étrangers sur les registres de l’état civil consulaire présente plusieurs avantages. Elle permet d’éviter à l’intéressé de devoir s’adresser aux autorités ayant établi l’acte pour en obtenir un extrait ou une copie, et de supporter la complexité des démarches administratives et, le cas échéant, les frais de traduction. Elle emporte la possibilité d’obtenir une copie ou un extrait, la délivrance ou la mise à jour du livret de famille auprès du consulat français ou du service central d’état civil de Nantes. Lorsque les parents d’intention s’adressent aux officiers de l’état civil des consulats aux fins de transcription de l’acte étranger, leur objectif peut être de faire reconnaître non seulement le lien de filiation biologique avec le parent qui a fourni ses gamètes mais aussi celui entre l’enfant et la mère ou le deuxième père d’intention.
La transcription d’actes de l’état civil étrangers est régie par deux décrets :
– le décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l’état civil prévoit, en son article 7, que « les actes de l’état civil dressés en pays étranger qui concernent des Français sont transcrits soit d’office, soit sur la demande des intéressés, sur les registres de l’état civil » ;
– le décret n° 2008-521 du 2 juin 2008 relatif aux attributions des autorités diplomatiques et consulaires françaises en matière d’état civil dispose, au second alinéa de son article 5, que les agents consulaires transcrivent sur les registres de l’état civil consulaire « les actes concernant les Français, établis par les autorités locales, lorsqu’ils sont conformes aux dispositions de l’article 47 du code civil et sous réserve qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public ».
Jusqu’alors, la Cour de cassation affirmait, de manière constante, son refus de procéder à la transcription d’actes de naissance étrangers consacrant une filiation obtenue par gestation pour autrui (51) au motif qu’une telle filiation était contraire à l’ordre public international et qu’elle constituait une fraude à la loi.
En 2011, dans deux affaires concernant des jumelles et une fille nées aux États-Unis à la suite d’un contrat de gestation pour autrui respectivement conclu par les couples Mennesson et Labassée, elle jugeait qu’« [était] justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque cette décision heurte des principes essentiels du droit français » (52). Elle avait déjà adopté cette solution en 2008 à l’égard d’actes de naissance et d’un jugement de la Cour suprême de Californie reconnaissant la qualité de père génétique et de mère légale à deux personnes ayant eu recours à une gestation pour autrui dans cet État (53).
Plus tard, en 2013 et 2014, la Cour de cassation affirmait qu’« [était] justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil » (54). En vertu de l’article 336 du code civil, le ministère public peut en effet contester une filiation légalement établie « si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi ».
Le même raisonnement l’a également conduit à décider le rejet de toutes les autres demandes d’établissement d’un lien juridique de filiation entre l’enfant issu d’une telle convention et les parents d’intention, qu’il s’agisse de l’adoption (55), de la possession d’état (56) ou de la reconnaissance de paternité faite préalablement à la naissance par un père d’intention qui, ayant fourni ses gamètes en vue de la conception, était pourtant le père biologique (57).
Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans deux arrêts du 26 juin 2014, Mennesson contre France (58)et Labassée contre France (59), a condamné la position de la Cour de cassation. Dans ces deux affaires, la CEDH a considéré que le refus opposé par la France de transcrire les actes de naissance établis à la suite d’une gestation pour autrui à l’étranger était contraire au droit au respect de la vie privée des enfants, dont le droit à la reconnaissance de l’identité et de la filiation.
La Cour de Strasbourg a estimé que s’« [i]l est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire », « les effets de la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté ».
Toutefois, la Cour n’a contraint les États à transcrire l’acte de naissance étranger que lorsque la filiation alléguée correspondant à la réalité biologique, c’est-à-dire lorsque le père d’intention, en ayant fourni ses gamètes, est également le père biologique. En effet, « [a]u regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (…), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie ».
En revanche, en l’absence de lien biologique, les États demeurent fondés à rejeter les demandes de reconnaissance de liens de filiation contraires à leur conception de l’ordre public (60).
Extraits de l’arrêt Mennesson contre France
de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 juin 2014
« 96. Comme la Cour l’a rappelé, le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation (…) ; un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation (…). Or, en l’état du droit positif, les troisième et quatrième requérantes se trouvent à cet égard dans une situation d’incertitude juridique. S’il est exact qu’un lien de filiation avec les premiers requérants est admis par le juge français pour autant qu’il est établi par le droit californien, le refus d’accorder tout effet au jugement américain et de transcrire l’état civil qui en résulte manifeste en même temps que ce lien n’est pas reconnu par l’ordre juridique français. Autrement dit, la France, sans ignorer qu’elles ont été identifiées ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française.
97. Par ailleurs, même si l’article 8 de la Convention ne garantit pas un droit d’acquérir une nationalité particulière, il n’en reste pas moins que la nationalité est un élément de l’identité des personnes (Genovese c. Malte, no 53124/09, § 33, 11 octobre 2011). Or, comme la Cour l’a relevé précédemment, bien que leur père biologique soit français, les troisième et quatrième requérantes sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française en application de l’article 18 du code civil (…). Pareille indétermination est de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité.
98. La Cour constate en outre que le fait pour les troisième et quatrième requérantes de ne pas être identifiées en droit français comme étant les enfants des premiers requérants a des conséquences sur leurs droits sur la succession de ceux-ci. Elle note que le Gouvernement nie qu’il en aille de la sorte. Elle relève toutefois que le Conseil d’État a souligné qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, l’enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle que si elle l’a institué légataire, les droits successoraux étant alors calculés comme s’il était un tiers (…), c’est-à-dire moins favorablement. La même situation se présente dans le contexte de la succession du père d’intention, fût-il comme en l’espèce le père biologique. Il s’agit là aussi d’un élément lié à l’identité filiale dont les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger se trouvent privés. »
La position de la CEDH a conduit la Cour de cassation, par deux arrêts en date du 3 juillet 2015, à revenir sur sa jurisprudence refusant la transcription d’actes de l’état civil étrangers établissant ou reconnaissant une filiation obtenue par gestation pour autrui (61). Appliquant strictement les dispositions de l’article 47 du code civil, sans rechercher si les actes avaient été établis en méconnaissance de l’ordre public international ou en fraude à la loi française, la Cour a accepté la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant établi à la suite d’une gestation pour autrui dès lors que l’acte « n'était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité ».
Il convient de souligner que ces deux arrêts ont été rendus alors qu’étaient en cause des actes de naissance mentionnant la filiation paternelle à l’égard du père biologique et la filiation maternelle à l’égard de la mère porteuse. La question de la transcription des actes de filiation à l’égard de parents d’intention fait l’objet, quant à elle, d’une jurisprudence aujourd’hui incertaine.
Certaines juridictions sont allées au-delà de la jurisprudence de la Cour de cassation en acceptant la transcription d’actes de naissance établissant la filiation à l’égard du père et de la mère d’intention (62), en se prononçant en faveur de la reconnaissance en France d’une adoption prononcée à l’étranger par le conjoint de l’enfant issu d’une gestation pour autrui (63) ou en prononçant une adoption de l’enfant du conjoint alors que le parent d’origine avait eu recours à un contrat de gestation en Inde (64).
D’autres, en revanche, ont refusé la transcription à l’état civil français d’actes de naissance d’enfants issus de conventions de gestation pour autrui sur lesquels figuraient les noms des deux parents d’intention (65).
2. Les solutions proposées par l’article 3
Votre rapporteure, attachée à la préservation des principes d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes et au maintien de la prohibition de la gestation pour autrui dans notre pays, souhaite qu’aucun acte non plus qu’aucune décision ne permettent la reconnaissance, en droit français, d’actes de filiation établis à la suite d’une telle pratique. Tel est l’objet principal du nouvel article 47-1 introduit dans le code civil par l’article 3.
a. La nullité des actes étrangers établissant ou reconnaissant une filiation issue d’une gestation pour autrui
Le premier alinéa du nouvel article 47-1 prévoit que « [t]out acte étranger, civil ou non, quelle que soit sa nature juridique, qui constate, atteste, reconnaît ou prouve une filiation issue d’une procréation ou d’une gestation pour le compte d’autrui est nul, y compris dans les cas où elle concernerait un ou des parents de nationalité française ».
Cette disposition constituerait une dérogation à la présomption de bonne foi reconnue aux actes de l’état civil des Français et des étrangers faits en pays étranger et rédigés dans les formes usitées dans ce pays, telle qu’elle est posée par l’article 47 précité.
Elle est pleinement justifiée par l’atteinte portée par les pratiques de gestation pour autrui aux principes de dignité et d’indisponibilité ainsi que, plus généralement, à la conception française de l’ordre public international.
b. L’interdiction de prendre toute décision ou tout acte tendant à la reconnaissance d’une gestation pour autrui
Par ailleurs, l’article 3 entend prévenir toute décision ou tout acte pris par une autorité française qui aurait pour effet de reconnaître la validité d’une procréation ou d’une gestation pour le compte d’autrui réalisée à l’étranger.
À cette fin, le second alinéa du nouvel article 47-1 précité dispose que, « [s]ur l’ensemble du territoire français, aucune décision de quelque autorité que ce soit, aucun acte, quelle que soit sa nature juridique, ne peut avoir pour objet de reconnaître la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui, y compris à l’égard de citoyens étrangers, quelle que soit leur nationalité ».
Il s’agit d’une disposition de portée générale, prohibant tout acte juridique qui aurait pour effet d’admettre, de manière directe ou indirecte, les conventions, établies en France ou à l’étranger, de gestation et de procréation pour le compte d’autrui.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL3 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer le volet civil de la réforme que nous proposons. Je crois nécessaire, au contraire, que le législateur prenne position sur la délicate question de la validité des actes d’état civil établis à l’étranger en vertu d’une convention de maternité de substitution.
Je rappelle que les enfants nés d’une GPA à l’étranger peuvent avoir une vie privée et familiale normale dans notre pays, en utilisant les actes d’état civil étrangers, lesquels font foi en France dès lors qu’ils ont été régulièrement établis, traduits et authentifiés. Cela vaut dans tous les domaines, y compris en matière de nationalité et de succession.
Ainsi, ces enfants bénéficient des mêmes protections et prestations que n’importe quel autre enfant, et leurs parents jouissent à leur égard de tous les attributs de l’autorité parentale. Ce ne sont pas des « fantômes de la République » ; ils ne sont pas inquiétés dans leur vie privée. En revanche, il est vrai que leurs parents peuvent l’être, mais ceux-ci ont contourné sciemment la loi, veulent en tirer les bénéfices et faire retomber la responsabilité de leur choix sur l’État, ce qui n’est pas faire preuve de bonne foi.
Ces enfants n’ont pas non plus de problème au regard de leur droit à une nationalité : ils disposent généralement de la nationalité du pays dans lequel ils sont nés et peuvent acquérir la nationalité française en vertu de l’article 21-12 du code civil s’ils ont été élevés pendant au moins cinq ans en France. Avec la circulaire du 25 janvier 2013, le Gouvernement leur a même facilité la délivrance de certificats de nationalité dès lors qu’au moins un de leurs parents est français.
Enfin, en matière successorale, la preuve de la qualité d’héritier pouvant être apportée par tout moyen, ils peuvent hériter de leurs parents sur le fondement de l’acte d’état civil étranger.
Le Gouvernement n’ayant pas interjeté appel devant la grande chambre, formation solennelle de dix-sept juges, des deux arrêts de la CEDH de juin 2014, rendus par une simple section de ladite Cour comprenant dix juges, il appartient au législateur de prendre position sur la question et d’inviter la CEDH à réexaminer sa position.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Les amendements CL10 et CL11 de la rapporteure n’ont plus d’objet.
Article 4
Demande de rapport sur l’adoption d’une convention internationale
relative à l’interdiction de la gestation pour autrui
L’article 4 vise à demander au Gouvernement la remise d’un rapport au Parlement sur les perspectives d’adoption d’une convention internationale prévoyant l’interdiction de la gestation et de la procréation pour autrui ainsi que sur les initiatives qu’entend prendre la France pour engager la négociation et faciliter l’adoption d’une telle convention.
Le durcissement des règles pénales et civiles applicables à la gestation ou à la procréation pour le compte d’autrui ne suffira pas, à lui seul, à endiguer le « tourisme procréatif » de certains couples désireux d’avoir des enfants dans des pays à la législation plus permissive que la nôtre.
Sur cette question, un premier pas a été franchi par le Parlement européen qui, le 17 décembre 2015, a condamné la pratique de la gestation pour autrui, laquelle « va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises ». Il a estimé « que cette pratique, par laquelle les fonctions reproductives et le corps des femmes, notamment des femmes vulnérables dans les pays en développement, sont exploités à des fins financières ou pour d’autres gains, [devait] être interdite et (…) examinée en priorité dans le cadre des instruments de défense des droits de l'homme » (66).
De nombreux représentants de la société civile plaident dans le même sens, à l’instar de l’initiative No Maternity Traffic lancée par l’Union internationale pour l’abolition de la gestation pour autrui et de la charte internationale Stop Surrogacy Now.
En 2014, le groupe de travail sur la filiation, les origines et la parentalité, présidé par Mme Irène Théry et rapportée par Mme Anne-Marie Leroyer, appelait également à un « engagement ferme de la France pour la création prochaine, sur le modèle de la Convention de la Haye sur l’adoption, d’un instrument international de lutte contre l’asservissement des femmes via l’organisation de gestations pour autrui contraires aux droits fondamentaux de la personne » (67).
La même année, le Premier ministre, M. Manuel Valls, avait lui-même reconnu la nécessité d’avancer sur la question au niveau international à la suite de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il proposait que la France promeuve « une initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent » (68).
Cette initiative, quoique modeste par son objet et cantonnée à plusieurs États européens, n’a pas abouti. Pour le Gouvernement, « les différences existant à ce stade avec nos partenaires européens concernant tant le cadre juridique que l’importance prise dans le débat public local par les questions liées à la GPA rendent difficile, à court terme, une approche commune, qui plus est dans un contexte international évolutif sur cette question ».
Le ministère des affaires étrangères a indiqué que la concertation allait se poursuivre « dans le cadre du suivi des travaux conduits au niveau multilatéral, au sein de la conférence de La Haye, seule enceinte compétente pour les questions de droit international privé relatives à la famille », « [l]es représentants du ministère de la justice [veillant], dans ce cadre, à ce que les positions françaises soient défendues » (69).
Certains pays où cette pratique est légale ont commencé à réserver le bénéfice de la gestation pour autrui aux personnes résidant sur leur territoire, à l’instar du Royaume-Uni et de la Thaïlande. En Inde, le Gouvernement a déposé, en 2015, un projet de loi allant dans le même sens.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL4 de Mme Anne-Yvonne Le Dain.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. En 2014, je le rappelle de nouveau, le Premier ministre Manuel Valls a reconnu qu’il était nécessaire d’avancer sur la question de la maternité de substitution au niveau international et a proposé que la France lance « une initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent ». Pour timide et insuffisante qu’elle soit, cette proposition allait dans le bon sens. Toutefois, deux ans après cette déclaration, rien n’a bougé, et on peine à savoir quelles initiatives la France a prises pour faire avancer ce dossier au niveau international.
Comme nous, d’autres pensent qu’il faut avancer sur la négociation d’une convention de prohibition de la maternité de substitution au niveau mondial : le Parlement européen, qui s’est exprimé en ce sens le 17 décembre 2015 ; de nombreux acteurs de la société civile, notamment le collectif d’associations « No Maternity Traffic » et les promoteurs de la pétition internationale « Stop Surrogacy Now » ; le groupe de travail sur la filiation, les origines et la parentalité conduit par Mme Irène Théry ; les sénateurs M. Yves Détraigne et Mme Catherine Tasca dans leur rapport d’information sur l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui, publié récemment.
Pour toutes ces raisons, l’article 4 est utile.
Je soulève une dernière question : aujourd’hui, si l’on ne fait rien pour endiguer la maternité de substitution, on consacre la prévalence, voire le triomphe du père, ainsi que, de manière indirecte, le droit du sang. On se croirait de retour au XIXe siècle, lorsque seul le nom du père comptait pour l’enfant. Aujourd’hui, je pense franchement que d’autres débats nous attendent. Au nom des droits des femmes et de ceux des enfants, je vous serais reconnaissante de voter l’article 4. Il nous permettrait au moins de connaître les engagements du Gouvernement et les éventuelles avancées qu’il a obtenues s’agissant de la négociation d’une convention internationale afin de lutter contre le trafic des enfants et l’instrumentalisation du corps des femmes.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 4 est supprimé.
L’amendement CL12 de la rapporteure n’a plus d’objet.
L’ensemble des articles ayant été rejetés, la proposition de loi est rejetée.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Je souhaite m’exprimer à titre personnel, en guise de conclusion. Il s’agit de débats de société très délicats et complexes. Nous allons jusqu’à toucher à la notion de droit aux origines, point sur lequel les positions sur les divers bancs de notre assemblée sont extrêmement variées. Cela soulève aussi des questions sur la manière dont la nationalité est confirmée ou infirmée au fil des années, même pour des personnes qui sont devenues françaises – il est arrivé que l’administration remette en cause l’acquisition de la nationalité française en raison des origines des intéressés, en s’appuyant sur une interprétation de la loi. Cette question traverse tous nos groupes politiques, du seul fait que le mot « origine » est utilisé. Pour ma part, je suis très réservée sur les notions d’origine et de droit aux origines : une personne est ce qu’elle fait et ce que son environnement fait d’elle – je le dis en tant que scientifique.
Dans le cadre de ces débats, nous abordons des questions très importantes.
Il y a l’enfant né. Celui-ci a tous les droits, mais il n’a pas forcément droit à tout, en tout cas pas tout de suite. Il doit avant tout être protégé et être en sécurité dans notre pays. Très honnêtement, je crois qu’il l’est.
Il y a l’enfant à naître. Une question se pose tout d’abord concernant ce qu’il est. Je tiens à la répéter : tant qu’il n’est pas né, c’est-à-dire tant que ses poumons ne se sont pas déployés et qu’il n’a pas poussé son premier cri, c’est non pas un enfant, mais un fœtus. Ne l’oublions pas et ne faisons pas trop d’amalgames sur ces grandes questions, car elles touchent au droit et, au-delà, à des choses importantes. S’agissant de l’enfant à naître, une question se pose également concernant la femme qui le porte, ainsi que les gamètes et les ovules qui ont été, le cas échéant, implantés dans son corps. Ce ne sont pas des choses indifférentes.
Il y a l’enfant désiré. Cela renvoie à une notion de satisfaction. Or, dans une société moderne, démocratique, consciente et confiante, la satisfaction de tous les désirs doit-elle être une ambition commune ? La constitution d’un cadre légal où les besoins de tous seraient satisfaits ne signifie pas nécessairement que les désirs de tous doivent l’être. La différence, en droit, entre le désir et le besoin est un point essentiel. À mon sens, une société moderne est une société qui devrait tendre à ce que les besoins soient satisfaits, mais pas forcément tous les désirs. Car, alors, il n’y aurait plus de société, mais seulement un libéralisme outrancier. Il me semblerait dommage que la France soit la première à l’embrasser.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Je remercie tous mes collègues. Je partage les interrogations dont vous venez de faire part, Mme Le Dain. Il s’agit vraiment d’un débat de société majeur.
*
* *
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse (n° 2706).
___
Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi ___ |
Conclusions de la Commission ___ |
Proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse |
Proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse | |
Code pénal |
|
Article 1er |
Art. 227-12. – Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité, les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. |
|
Supprimé amendement CL1 |
Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. |
||
Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double. |
|
|
La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines. |
|
|
|
Article 2 | |
|
Supprimé amendement CL2 | |
|
||
|
||
|
||
|
||
|
Article 3 | |
|
Supprimé amendement CL3 | |
|
||
|
||
|
Article 4 | |
|
Supprimé amendement CL4 |
PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE (70)
• Personnalités qualifiées
— M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique
— M. Jean-René Binet, professeur de droit à l’Université de Rennes 1
— Me Sophie Bottaï, avocate au barreau de Marseille
–– M. Pierre Boyer, responsable du laboratoire d’assistance médicale à la procréation à l’hôpital Saint-Joseph de Marseille
— Mme Clotilde Brunetti-Pons, maître de conférences à l’Université de Reims, responsable du Centre de recherche sur le couple et l’enfant
— M. Hervé Chneiweiss, neurobiologiste, président du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
–– M. Guillaume Drago, professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II, directeur du Centre d’études constitutionnelles et politiques
— Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeure de droit à l’Institut d’études politiques de Paris
–– M. René Frydman, gynécologue obstétricien à l’hôpital Foch à Suresnes
— Me Claire de la Hougue, avocate au barreau de Strasbourg
— M. Jean Leonetti, député
–– M. Manuel Maidenberg, pédiatre
–– M. Jean-François Mattei, membre de l’Institut et de l’Académie nationale de médecine et ancien ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées
— Me Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris
— Mme Aude Mirkovic, maître de conférences à l’Université d’Évry, Centre de recherche Léon Duguit
— Mme Yvette Roudy, ancienne ministre des droits de la femme, députée honoraire
–– Mme Catherine Tasca, sénatrice, première vice-présidente du Sénat, co-rapporteure de la mission d’information sur l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui (contribution écrite)
— M. Pierre Tourame, gynécologue
• Associations
–– Alliance VITA : Mme Caroline Roux, déléguée générale adjointe d’Alliance VITA et directrice de VITA International
— Association des familles homoparentales : M. Alexandre Urwicz, président, et M. Francois Rico, porte-parole
–– La Manif Pour Tous : Mme Ludovine de La Rochère, présidente
–– Comité de soutien pour la légalisation de la GPA et l’aide à la reproduction assistée : Mme Sylvie Mennesson, présidente, et M. Dominique Mennesson, co-président
–– Sens commun : Mme Madeleine de Jessey, porte-parole
• Cour de cassation
–– MM. Bertrand Louvel, premier président, et Jean-Claude Marin, procureur général (contribution écrite commune)
— Mme Marie-Christine Le Boursicot, conseillère à la Cour de cassation
• Ministères
— Cabinet de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice : MM. Grégoire Lefebvre, conseiller droit civil et droit social, Charles Moynot, conseiller législation pénale, et David Rey, conseiller parlementaire
–– Cabinet de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfant et des droits des femmes : Mmes Elisabeth Le Hot, directrice adjointe, Marie Derain, conseillère droits de l’enfant, et Nina Savoye, conseillère parlementaire