N° 3841 - Avis de M. Eduardo Rihan Cypel sur le projet de loi, adopté, par le Sénat, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali (n°3498).




N
° 3841

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 juin 2016.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI (n° 3498), ADOPTÉ PAR LE SÉNAT,

autorisant la ratification du traité de
coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali,

PAR M. Eduardo RIHAN CYPEL,

Député.

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Voir les numéros :

Sénat : 483 (2014-2015), 358, 359 et T.A. 87 (2015-2016).

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SOMMAIRE

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Pages

I. LE MALI, UN PARTENAIRE STRATÉGIQUE DE PREMIÈRE IMPORTANCE POUR LA FRANCE 7

A. UNE RELATION DE PARTENARIAT ÉTROITE ET DE LONGUE DATE, QUI A PROUVÉ SA SOLIDITÉ AVEC L’OPÉRATION SERVAL 7

1. Un partenariat riche et de longue date 7

2. L’opération Serval 11

a. Un cadre politique et diplomatique qui dépasse le cadre de l’accord de coopération militaire technique de 1985 11

b. Un indéniable succès militaire, qui a évité l’effondrement de l’État et ouvert la voie à une stabilisation politique au Mali 12

i. Au début de l’année 2013, l’existence même de l’État malien était sérieusement menacée par l’action de groupes armés 12

ii. C’est l’opération Serval qui a mis un coup d’arrêt à l’offensive des groupes armés et permis la reconquête du territoire malien 14

B. UN THÉÂTRE PLUS QUE JAMAIS STRATÉGIQUE POUR LA SÉCURITÉ DE LA FRANCE 14

1. Un théâtre de première importance dans la lutte contre le terrorisme international d’inspiration djihadiste 15

a. La lutte contre les groupes armés terroristes et leurs appuis au Mali 15

i. Les groupes armés « signataires » 15

ii. Les groupes armés terroristes 16

b. L’opération Barkhane, fer de lance de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel 17

2. Des forces armées maliennes qui avancent dans la voie de la reconstruction et de la modernisation, avec l’appui de la France et de l’Union européenne 18

a. La reconstitution des forces armées et des forces de sécurité maliennes progresse 18

b. L’appui de l’Union européenne est décisif pour la formation des armées maliennes 19

II. LES PRINCIPALES STIPULATIONS DU TRAITÉ DE COOPÉRATION EN MATIÈRE DE DÉFENSE 20

A. UN TRAITÉ DE COOPÉRATION « CLASSIQUE », QUI NE CONCERNE PAS L’OPÉRATION BARKHANE 20

1. Un traité inscrit dans la refonte des accords de défense entre la France et ses partenaires africains 20

2. Un champ d’application qui ne remet pas en cause le cadre juridique de l’opération Barkhane 22

B. DES MESURES À MÊME DE MODERNISER ET DE RAFFERMIR NOTRE COOPÉRATION DE DÉFENSE AVEC LE MALI 22

1. Les orientations générales 22

2. Les stipulations du traité 24

a. Les principes généraux de la coopération 24

b. Des dispositions relatives au statut des personnels 24

c. Des facilités accordées pour les activités de coopération 25

d. Entrée en vigueur 25

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

INTRODUCTION

Le traité franco-malien de coopération en matière de défense a été signé un an et demi après le lancement de l’opération Serval, et deux semaines avant celui de l’opération Barkhane. Il s’inscrit ainsi dans un contexte particulier, qui montre combien le Mali est, pour la France, un partenaire stratégique de premier rang dans la lutte contre les menaces communes ‒ notamment le terrorisme d’inspiration djihadiste.

La lutte contre cette menace appelle cependant une réponse globale : si, dans le court terme, notre solidarité avec notre partenaire malien se traduit par des opérations militaires françaises telles que Serval et désormais Barkhane, dans le long terme, en revanche, l’objectif des deux parties consiste à ce que le Mali, comme ses partenaires africains, dispose de forces armées susceptibles d’assurer la sécurité du continent.

C’est de façon cohérente avec cette vision que le choix a été fait de donner à la relation militaire franco-malienne un cadre dual, distinguant ce qui relève des opérations actuelles ‒ placé hors du champ du présent traité ‒ de ce qui relève de notre coopération de long terme, qui constitue l’objet de ce traité.

Ce texte s’inscrit ainsi dans la « nouvelle génération » de nos accords de coopération en matière de défense avec nos partenaires africains. Ces nouveaux accords reposent sur une logique plus partenariale que les précédents, et intègrent la dimension collective de nos politiques de défense, au sein de l’Union européenne comme de l’Union africaine.

C’est avec cet horizon que les stipulations du présent traité rénovent les modalités de la coopération franco-malienne en matière de défense.

La ratification proposée du traité franco-malien de coopération en matière de défense s’inscrit dans un contexte qui lui confère une importance particulière. Elle intervient en effet en aval de l’opération Serval, qui a vu les armées françaises porter un coup d’arrêt à l’extension territoriale des groupes armés terroristes depuis le Nord du Mali, et dans un contexte où notre pays est plus engagé que jamais dans la lutte contre le terrorisme international d’inspiration djihadiste, dont la bande sahélo-saharienne constitue l’un des foyers.

Le présent traité, signé à Bamako le 16 juillet 2014, marque une nouvelle étape dans l’histoire d’une coopération en matière de défense qui est déjà ancienne, entre deux pays amis et alliés, dont l’opération Serval a montré la solidarité.

La France entretient avec le Mali une coopération étroite en matière de défense, formalisée par un accord de coopération militaire technique, signé le 6 mai 1985, qui a organisé la mise à disposition de coopérants militaires techniques français intégrés aux structures de commandement maliennes, ainsi que la formation et le perfectionnement de cadres des forces armées maliennes au sein des écoles militaires françaises. L’effort français de coopération avec le Mali en matière de défense représente ainsi 4,6 millions d’euros par an en moyenne.

● Ces crédits financent plusieurs projets de coopération, dans des domaines classiques pour la coopération militaire française en Afrique francophone, que décrit l’encadré ci-après :

‒ appui au commandement et à l’organisation des armées, par la mise à disposition de coopérants militaires à l’état-major général des armées ;

‒ appui à la formation des cadres, par le placement de coopérants au sein des structures d’enseignement militaire maliennes ;

‒ appui à la chaîne logistique et de maintenance ;

‒ appui à l’aviation légère d’observation et à la garde nationale malienne.

Projets de coopération bilatérale franco-malienne en matière de défense

‒ Le projet « appui au commandement et à l’organisation des armées » apporte conseil et expertise au ministère de la Défense et à l’état-major général des armées ;

‒ Le projet « appui à la formation des cadres » est positionné auprès du directeur des écoles militaires à Bamako. Le coopérant travaille en liaison étroite avec l’Advisory Task Force d’EUTM. Il est assisté d’un officier chargé de l’appui aux écoles de formation initiale des officiers et sous-officiers ;

‒ Le projet « appui à la chaîne logistique et de maintenance » apporte une aide à la formation des techniciens et à la mise en place des structures nécessaires au fonctionnement de la chaîne logistique, au niveau de la direction du matériel, des hydrocarbures et des transports des armées (DMHTA). Ce projet est porté par un officier ;

‒ Le projet « appui à l’aviation légère d’observation » est composé de deux coopérants. Le chef de projet est conseiller du chef d’état-major de l’armée de l’air. Un sous-officier mécanicien spécialiste ULM Tétras apporte son appui dans le domaine de la formation et de maintien en condition de la flotte d’ULM. Le poste de sous-officier sera fermé à l’été 2016. Le projet évoluera progressivement pour se concentrer exclusivement, à cette échéance, sur le conseil de haut niveau auprès du chef d’état-major de l’armée de l’air ;

‒ Le projet « appui à la garde nationale malienne » consiste à conseiller le commandant de la Garde.

Source : Sénat, rapport n° 358 (2015-2016) de M. Claude Nougein, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 3 février 2016, sur le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali.

En outre, la France accueille des stagiaires maliens dans ses écoles et instituts militaires de formation et de perfectionnement. En 2015, 28 personnels maliens ont ainsi été reçus en France.

● C’est aussi dans le cadre de cette politique de coopération militaire que la France a soutenu la création et le fonctionnement de deux écoles nationales à vocation régionale (ENVR) au Mali : une école de maintien de la paix à Bamako et une école militaire d’administration à Koulikoro. Si l’école de maintien de la paix Alioune Blondin Béye a changé de statut pour devenir une école à statut international soutenue par un nombre élargi de partenaires ‒ l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, le Japon, les Pays-Bas et la Suisse ayant rejoint la France ‒, elle n’en reste pas moins bénéficiaire de subventions françaises, et accueille des coopérants militaires français. Ces écoles appartiennent à leur pays hôte, mais la France les soutient de deux façons :

– elle contribue par des subventions au budget des écoles, aliment par ailleurs par les contributions des États qui y envoient des stagiaires et par les subventions d’autres partenaires (États ou organisations internationales) ;

– elle met à la disposition de ces écoles des coopérants militaires français, qui occupent souvent le poste de directeur des études.

Comme nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion l’ont bien montré dans un récent rapport d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours (1) dont l’encadré ci-après présente une partie des conclusions, ce type d’écoles constitue un outil particulièrement prometteur pour la coopération franco-africaine en matière de défense. Avec deux écoles sur un réseau qui en compte dix-sept pour l’ensemble du continent africain, le Mali peut être vu comme un centre particulièrement important de la coopération militaire française.

Les écoles nationales à vocation régionale (ENVR)

Les rapporteurs sont très convaincus de l’utilité et de l’efficience de l’outil que constitue ce réseau d’écoles nationales à vocation régionale, et ce pour plusieurs raisons :

– en accueillant des stagiaires de différents pays africains, il contribue à forger une culture commune parmi les cadres africains repérés comme prometteurs (ils sont recrutés aux ENVR sur concours, dans le cadre de quotas nationaux) ;

– cette formule permet à la France de conserver un levier d’influence appréciable et à moindre coût, à l’heure où elle n’a plus les moyens de former en masse les officiers africains dans ses propres écoles. D’ailleurs, avec 2 400 stagiaires par an, le réseau des ENVR permet de diffuser les doctrines et les savoir-faire beaucoup plus largement que la politique d’accueil d’officiers africains dans nos écoles ne le permettait, même au temps où les ressources disponibles étaient moins comptées qu’aujourd’hui ;

– en développant des stages d’étude en français, mais aussi dans d’autres langues (l’anglais et le portugais principalement), ce réseau d’école offre la possibilité à la France de rayonner au-delà des pays avec lesquels elle partage les liens historiques les plus étroits.

Source : rapport d’information n° 2114 fait par nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours, juillet 2014.

Le rapport précité présente d’ailleurs une étude complète du fonctionnement des deux écoles militaires maliennes soutenues par la France, dont les encadrés ci-après présentent les conclusions.

L’école militaire d’administration de Koulikoro

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Source : op. cit.

L’école de maintien de la paix
Alioune Blondin Béye de Bamako

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Source : op.cit.

● Signe de la constance de ce partenariat et de la confiance mutuelle des partenaires, il faut rappeler que la France est le seul pays engagé dans une coopération militaire avec le Mali à n’avoir pas suspendu (partiellement ou totalement) ses contributions lors de la crise malienne de 2012-2013. Tel est le cas, notamment, pour l’école de maintien de la paix de Bamako, qui a perdu tous ses contributeurs à l’exception de la France, privant de ce fait les armées africaines d’une offre de formations agréées par l’ONU en matière de maintien de la paix.

Sans revenir en détail sur le déroulement de l’opération Serval, qui a été décrit avec précision par nos collègues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau dans un rapport d’information présenté en juillet 2013 (2), le rapporteur tient à souligner que le lancement de cette opération le 11 janvier 2013, qui a permis d’éviter l’effondrement de la République du Mali sous l’effet d’une offensive menée conjointement par des groupes indépendantistes touaregs et des groupes armés djihadistes, ne résultait pas de la mise en œuvre de l’accord franco-malien de coopération militaire technique datant de 1985. En effet, celui-ci ne comportait pas de clause de défense. L’opération Serval doit donc être vue, avant tout, comme l’expression de la solidarité de la France avec son partenaire malien à l’appel de celui-ci.

Dès le début de la dégradation de la situation sécuritaire dans le Nord du Mali, en 2011 et 2012, la France a joué un rôle moteur dans la résolution de la crise, au-delà même de ce à quoi elle était tenue par les accords qui la liaient avec la République du Mali, y compris l’accord de coopération militaire technique.

● Ainsi, la France a œuvré à ce que l’Union européenne établisse, en mars 2011 une « stratégie européenne de sécurité et de développement pour le Sahel » et formellement appelé l’attention des Européens, dès septembre 2011, sur la détérioration de la situation sécuritaire au Mali. Comme le notent nos collègues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau dans leur rapport précité, « cette démarche a conduit à l’annonce par le Conseil de l’Union européenne du 16 juillet 2012 du lancement au 1er août 2012 de la mission Politique de Sécurité et de Défense Commune « EUCAP Sahel Niger », dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne pour le développement et la sécurité au Sahel ».

● En parallèle, la France a appelé l’attention des Nations unies sur la détérioration de la situation au Mali et sur les menaces que faisaient peser les groupes armés sur sa sécurité, voire sur son intégrité territoriale.

Ainsi, dès le 25 septembre 2012, le président de la République a vivement souligné devant l’Assemblée générale des Nations unies « l’urgence » qu’il y avait déjà à traiter « la situation créée par l’occupation d’un territoire au Nord Mali par des groupes terroristes est insupportable, inadmissible, inacceptable, pas seulement pour le Mali qui est affecté par ce mal terroriste mais pour tous les pays de la région et au-delà de la région, par tous ceux qui peuvent être frappés un jour par le terrorisme ».

C’est ensuite la France qui a pris l’initiative de l’adoption de plusieurs résolutions relatives au Mali par le Conseil de sécurité des Nations unies :

‒ la résolution 2056 du 5 juillet 2012, qui fixe le cadre d’une solution politique globale de la crise malienne passant par un soutien à la réforme des forces de sécurité maliennes ;

‒ la résolution 2071 du 12 octobre 2012, qui laisse 45 jours à l’Union africaine et la sous-région concernée, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), pour présenter un concept d’action militaire ;

‒ la résolution 2085 du 20 décembre 2012, qui autorise le déploiement d’une force sous-régionale au Mali pour un an : ce sera la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) ;

‒ la résolution 2100 du 25 avril 2013, qui substitue à la MISMA une opération de maintien de la paix : la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

● Surtout, c’est sur le fondement d’une demande d’assistance adressée à la France le 10 janvier 2013 par M. Dioncounda Traoré, président de la République du Mali par intérim, pour la mise en œuvre du droit du Mali à la légitime défense sur le fondement de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, que l’opération Serval a été lancée. Il s’agit d’une opération de grande envergure : les effectifs engagés pour l’opération Serval ont atteint jusqu’à 6 500 hommes, dont 5 170 de l’armée de terre, 950 de l’armée de l’air et 370 de la marine nationale.

Elle l’était, initialement, par l’entreprise sécessionniste de groupes armés touaregs dans le Nord, qui se sont rebellés en 2012. Le 16 octobre 2011 avait été fondé le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), dont une partie, suivant Iyad Ag Ghali qui avait échoué à prendre la tête du MNLA, se détache pour fonder un groupe islamiste plus radical : Ansar Eddine. Si le MNLA comptait environ 4 000 membres, dont un noyau dur de 1 500 combattants, c’est en 2012 Ansar Eddine qui, comme le dit le rapport précité, « s’est illustré la première fois en mars de la même année par la prise conjointe des principales grandes villes du nord-Mali ». Ansar Eddine s’était rapidement rapproché d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), créée en 2007 et elle-même issue du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC). AQMI avait auparavant connu une scission d’une partie de ses combattants parmi les plus agressifs, provenant du groupe de Mokhtar Belmokhtar et menés par le Mauritanien Hamada Ould Mohammed El Kheirou, qui ont fondé le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Ce groupe s’est fait connaître à partir de décembre 2011 par des rapts d’Européens, et a tissé des liens étroits avec des miliciens peulh et songhaï ainsi que des trafiquants de toute spécialité.

Ces groupes ont d’abord menacé l’intégrité du territoire malien par une entreprise sécessionniste. En effet, le 14 janvier 2012, le MNLA allié à Ansar Eddine et aux groupes armés terroristes tenant leurs sanctuaires dans le Nord du Mali ont lancé une offensive depuis l’Adrar des Ifoghas vers le sud du Mali, prenant notamment les villes de Ménaka, de Tessalit, d’Aguelhok et de Léré. Fort de ces succès, le MNLA a proclamé le 6 mars 2012 l’indépendance du Nord, sous le nom d’Azawad.

Moins d’un an plus tard, les groupes armés terroristes ont poursuivi leur offensive vers le Sud, franchissant la boucle du fleuve Niger pour prendre la ville de Konna et menacer ainsi la ville de Sévaré, qui leur aurait offert l’accès à un aéroport et ouvert la voie vers Bamako, puis vers l’ensemble du Sud. Dans les territoires conquis, les groupes armés djihadistes et leurs alliés ont instauré un ordre directement inspiré de l’islamisme radical. Comme le soulignent nos collègues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau, « la République du Mali était alors menacée dans son existence même et la perspective de l’instauration d’un sanctuaire contrôlé par des djihadistes et des narcotrafiquants au cœur de l’Afrique de l’ouest faisait peser une menace directe sur la sécurité régionale et internationale ». La carte ci-après montre la ligne de front au jour du déclenchement de l’opération Serval.

Ligne de front au jour du déclenchement de l’opération Serval

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Source : rapport d’information n° 1288 fait par nos collègues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau sur l’opération Serval au Mali, juillet 2013.

● Sans reprendre ici le détail des opérations militaires, le rapporteur précise que l’opération Serval, lancée le 11 janvier 2013, est marquée par une remarquable réactivité. Elle s’est en effet déroulée en trois temps, dans un délai très resserré :

‒ la première phase de l’opération, du 11 au 25 janvier 2013, a consisté à donner un coup d’arrêt à l’offensive des groupes armés djihadistes ;

‒ la deuxième phase, du 25 janvier au 1er février 2013, a consisté à reprendre les plateformes aéroportuaires du Nord, sur la boucle du Niger ;

‒ la troisième phase, durant les mois de février, mars et avril 2013, a consisté à neutraliser les groupes armés djihadistes dans leurs sanctuaires du Nord, par des combats atteignant une haute intensité, par exemple dans le massif de l’Adrar des Ifoghas.

Ce n’est qu’ensuite que la force Serval a passé le relais aux forces africaines, pour se concentrer sur des opérations « coup de poing » de lutte contre les éléments résiduels des groupes armés djihadistes.

● Le bilan de l’opération Serval est unanimement décrit comme éminemment positif. En effet, l’intégrité du territoire malien a été restaurée, les menaces directes sur la sécurité du Sud ont été levées, une large part des groupes armés a été neutralisée, et plus de 200 tonnes d’armement et de munitions ont été récupérées. Comme l’a souligné le ministre de la Défense devant la commission, « l’ampleur des arsenaux que nous avons découverts, en particulier au nord, montre qu’il existait une réelle volonté d’exporter le terrorisme au-delà des frontières maliennes » (3).

Même réduit par l’opération Serval, le risque que fait peser l’existence de groupes armés djihadistes dans la bande sahélo-saharienne pour la sécurité de la sous-région ‒ ainsi que, par répercussion, pour celle de la France ‒ demeure réel. C’est pourquoi l’opération Serval a vu lui succéder une nouvelle opération de lutte contre les groupes armés terroristes au Sahel, dénommée Barkhane, dont le théâtre est étendu depuis le 1er août 2014 aux territoires des cinq pays réunis au sein du « G5 Sahel » : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.

La persistance d’une menace terroriste d’inspiration djihadiste et le caractère transnational de cette menace, qui peut métastaser de son foyer sahélien jusqu’à notre territoire national, font que le Sahel en général ‒ et le Mali en particulier ‒ demeure un théâtre stratégique pour la France.

Plusieurs groupes armés sont encore présents au Mali. Schématiquement, on distingue entre ceux qui sont engagés dans le processus national de réconciliation ‒ dont le rapport précité de nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard a montré qu’il avait pu être marqué par certaines lenteurs ‒, et ceux qui ne le sont pas.

On qualifie de « signataires » les groupes armés qui se sont engagés dans un processus de réconciliation nationale en signant les accords conclus à Alger en mai et juin 2015 entre, d’une part, la République du Mali et, d’autre part, deux ensembles de groupes :

‒ des groupes soutenant l’indépendance ou, à tout le moins, l’autonomie de l’Azawad, réunis au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui regroupe le MNLA, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), une aile du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), et dont sont issus les premiers groupes à avoir signé les accords d’Alger dès mai 2015, à savoir la Coalition du peuple pour l’Azawad (CPA) et une aile de la Coordination des mouvements et front patriotique de résistance 2 (CM-FPR2) ;

‒ des groupes dits « pro-Bamako », réunis au sein de la « Plateforme du 14 juin », qu’une récente note de l’International Crisis Group (4) décrit comme « une coalition de mouvements créée à l’instigation des autorités algériennes le 14 juin 2014 pour faciliter les négociations d’Alger en permettant aux groupes politico-militaires qui ne sont pas en belligérance avec l’État de présenter un front uni », précisant qu’« à l’origine, cette plateforme regroupe la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (CMFPR), le Mouvement arabe de l’Azawad-1 (MAA-1, dit de la Plateforme) et la Coalition des peuples de l’Azawad (CPA) » ‒ cette dernière ayant toutefois quitté la Plateforme pour la CMA ‒, ainsi que d’un groupe de création récente, le Gatia.

Ces deux ensembles de groupes, longtemps rivaux, ont conclu un accord à Anéfis en octobre 2015. Les discussions devaient se poursuivre entre la Plateforme et la Coordination à Kidal, mais elles ont connu des difficultés au début de l’année 2016.

Les accords d’Alger prévoient à la fois un processus politique de dialogue intercommunautaire et un processus classique de « désarmement, démobilisation, réintegration » (DDR) visant à permettre aux forces armées maliennes et aux forces de sécurité, réformées, d’effectuer leurs missions sur l’ensemble du territoire malien.

Ce processus de DDR paraît bien engagé. Devant la commission (5), le ministre de la Défense a jugé que la « reconstitution de l’armée malienne » était « en bonne voie comme l’atteste l’arrestation récente de Soleymane Keïta, le plus important chef djihadiste malien au sud du pays ». Ce processus se traduit notamment par des patrouilles mixtes entre l’armée malienne, la Coordination et la Plateforme dans le nord du pays, principalement à partir de Gao ; M. Jean-Yves Le Drian a déclaré à la commission qu’il voyait dans ces patrouilles « une avancée significative », qui mériterait selon lui d’être soutenue par la mission de l’Union européenne au Mali (cf. infra).

Concernant le processus politique de réconciliation, les avancées semblent moins significatives. Si un comité de suivi des accords a été constitué et se réunit régulièrement, on peut estimer avec le ministre de la Défense que « l’État malien doit réaffirmer sa présence dans le Nord, pour mettre en œuvre les accords d’Alger et mettre fin à l’insécurité qui y est préoccupante ». Les gouverneurs de Ménaka et de Taoudéni ont été nommés ; pour M. Jean-Yves Le Drian, « c’est un début ». Reste toutefois aux parties à définir en commun les conditions d’une représentation politique des populations du Nord et d’un effort de développement qui soit susceptible d’apaiser les tentations sécessionnistes et de rendre le Nord moins perméable aux groupes armés djihadistes.

Tous les groupes armés terroristes ou djihadistes présents au Mali ne se sont pas ralliés aux accords d’Alger. S’ils ne sont plus capables, depuis l’opération Serval, de conduire des opérations de grande envergure et de prétendre prendre le contrôle d’un vaste territoire, ils n’en restent pas moins actifs.

Ainsi, depuis 2015, on assiste à une évolution de leurs modes opératoires ; selon les termes du ministre de la Défense, « défaits par notre action militaire, évitent désormais le combat, étendent leur action à des pays voisins et privilégient des cibles peu défendues et médiatiques comme les hôtels de Bamako et de Grand Bassam » en Côte d’Ivoire.

En tout état de cause, ce que nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion appelaient dans leur rapport précité la « cosmogonie » des groupes armés évolue rapidement. Ainsi, selon les indications fournies à la commission par le ministre de la Défense, est en train d’émerger, au Sud du Mali, un regroupement de certaines katibas – le Front du Macina – qui s’en prennent directement à l’armée malienne. Autre illustration de la porosité des groupes armés, un groupe neutralisé en décembre 2015 par les forces spéciales françaises s’est avéré être issu du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) ‒ un des partenaires des accords d’Alger ‒ mais avoir rallié le groupe al-Mourabitoune, avec lequel il partageait des intérêts dans divers trafics.

● Face à cette menace, la France conduit depuis le 1er août 2014 une opération d’envergure, dénommée Barkhane, visant à lutter contre les groupes armés terroristes dans la bande sahélo-saharienne dans le cadre d’un mandat accordé à la France par la résolution 2100 du Conseil de sécurité. Il faut souligner l’intérêt d’un dispositif « régionalisé », dont le champ d’action transfrontalier correspond bien au caractère lui-aussi transfrontalier de la menace.

Pour cette opération, 3 500 militaires français sont engagés. Selon les informations présentées à la commission par le ministre de la Défense, ils ont mené en 2015 150 opérations ciblées et découvert une centaine de caches d’armes ainsi que seize tonnes de munitions. L’opération est commandée depuis la base française de N’Djamena, au Tchad, où l’opération Barkhane a succédé à l’opération Épervier en même temps qu’au Mali, elle remplaçait l’opération Serval. Le ministre a estimé qu’avec l’opération Barkhane, « globalement, l’armée française a indéniablement pris l’ascendant sur les groupes terroristes, privant ceux-ci d’une part importante de leur liberté d’action ».

● La force Barkhane n’est pas la seule à opérer dans la bande sahélo-saharienne et particulièrement au Mali. En effet, la résolution 2100 du 25 avril 2013, en même temps qu’elle donnait mandat à la France pour déployer ses forces au Mali, fondait la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et précisait que les forces françaises avaient mandat pour « intervenir en soutien d’éléments de la Mission en cas de danger grave ». Ainsi, l’opération Barkhane peut être vue, pour le Mali, comme le « fer de lance » d’un dispositif plus large de lutte contre la menace terroriste.

La résolution 2227 du 29 juin 2015 a précisé le mandat de la MINUSMA, qui va de l’appui au dialogue politique national et autres activités de réconciliation nationale aux missions de renforcement de la sécurité, de stabilisation et de protection des civils, ainsi qu’aux missions d’appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays et à la reconstruction du secteur de la sécurité malien.

Nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard l’ont montré en détail, la montée en puissance de la MINUSMA a été particulièrement longue. Cette mission compte aujourd’hui environ 8 000 militaires et 1 050 policiers, dont 29 militaires et six policiers français. Néanmoins, elle présente des lacunes capacitaires touchant principalement à la sécurisation des convois, à la protection contre les engins explosifs improvisés (Improvised Explosive Devices, IED) et au transport par hélicoptère. De ce fait, une sorte de répartition des tâches s’établit entre la force Barkhane, qui effectue les missions les plus exigeantes, et la MINUSMA, dont les casques bleus assurent des missions de sécurité qui ne se placent pas au même niveau du spectre d’intensité des combats.

● La crise de 2012-2013 a vu un véritable effondrement des forces armées maliennes, qui présentaient déjà des faiblesses marquées. Comme le note le rapport précité de nos collègues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau, « qu’il s’agisse de ses effectifs, de ses matériels ou de sa qualité opérationnelle, l’armée malienne présentait, au moment du déclenchement de la crise malienne, de nombreuses faiblesses, dont des clivages internes ».

Les Éléments français au Sénégal avaient conduit une évaluation des forces armées maliennes en décembre 2012, dont il ressortait qu’elles apparaissaient comme « une armée à réformer, y compris dans ses structures de commandement ».

● À partir de 2013, l’État s’est engagé dans un processus quinquennal de reconstitution de réforme du secteur de la sécurité, planifiant la reconstitution des forces armées maliennes comme des forces de sécurité.

Dans le cadre de la programmation militaire en cours, les armées maliennes ont remis sur pied six bataillons d’environ 800 hommes chacun, et comptent en disposer de huit. Les forces maliennes sont vues comme étant désormais capables d’assurer seules la sécurité du sud du pays, où elles affrontent régulièrement des groupes armés terroristes tels que le Front de libération du Macina dans l’ouest ou, dans le centre, la katibat Halid Ibn Walid, dont l’émir Souleymane Keïta a été arrêté en 2016.

Dans la reconstitution des armées maliennes, deux principales marges de progression demeurent :

‒ si elles sont présentes dans le Sud, elles ne reprennent pied dans le Nord que très progressivement, à mesure que se mettent en place des patrouilles mixtes avec les groupes signataires : leur maîtrise du territoire reste pour l’heure contrastée ;

‒ les équipements des forces restent insuffisants, malgré les cessions gratuites faites par la France (pour une valeur de 6,7 millions d’euros), notamment en matière de vecteurs de mobilité aérienne et aéroterrestre. La programmation militaire prévoit cependant l’acquisition de deux hélicoptères Super Puma et d’un avion de transport Casa 235.

● En 2013, après de longs atermoiements et à l’initiative pressante de la France, qui venait de lancer l’opération Serval, l’Union européenne a mis en place une mission de formation des militaires maliens ‒ European Union Training Mission, EUTM Mali – visant à former successivement quatre bataillons. Le mandat de la mission a été renouvelé, pour assurer la constitution de huit bataillons. Le rapport précité de nos collègues Philippe Nauche et Christophe Guilloteau comporte une description détaillée de cette mission, dont l’encadré ci-après présente les grandes lignes.

La mission EUTM Mali

Le Comité politique et de sécurité (COPS) du 12 juin 2012 adopte certes une feuille de route demandant au service européen pour l’action extérieure (SEAE) d’explorer les options d’engagement de l’Union européenne au Mali par un appui à la reconstruction des forces armées maliennes, mais il faut attendre le conseil du 10 décembre 2012 pour que soit adopté le concept de gestion de crise d’EUTM Mali – European Union Training Mission –, après des discussions difficiles lors du Conseil affaires étrangères en format défense du 19 novembre 2012.

Le déclenchement de l’opération Serval va toutefois significativement accélérer le processus de planification opérationnelle d’EUTM Mali. En effet, le Conseil des Affaires étrangères décide, le 17 janvier 2013, de l’établissement de la mission d’EUTM Mali et nomme le général français François Lecointre chef de cette mission.

L’objectif poursuivi par EUTM Mali était initialement de fournir un entraînement militaire et des conseils aux forces armées maliennes dans le sud du Mali, afin de les aider à restaurer leur capacité militaire à conduire des opérations de combat en vue de restaurer l’intégrité du territoire malien.

Concrètement, les missions assignées à l’EUTM Mali visent à :

– la formation de quatre GTIA (groupements tactiques interarmes) d’environ 650 personnels chacun. Les unités sont désignées par les forces maliennes et font l’objet d’un audit avant le début de la formation, afin d’ajuster au mieux les modules de formation ;

– le conseil et l’encadrement pour l’amélioration du fonctionnement de la chaîne de commandement opérationnel ;

– l’assistance pour la réorganisation et la mise à niveau de la chaîne logistique ;

– le conseil dans le domaine de la gestion des ressources humaines, pour la mise en place de capacités de gestion locales, qui permettront aux forces maliennes de développer à moyen terme une loi de programmation.

Source : rapport d’information n° 1288 précité.

● La génération de la force nécessaire à la mise en place de cette mission a suscité dans un premier temps fort peu d’enthousiasme de nos partenaires européens, au point que la majorité des personnels étaient fournis par la France, alors même que ses forces étaient très sollicitées dans le même temps par l’opération Serval. Toutefois, les autres Européens ont fini par prendre une plus grande part dans la génération de la force.

On peut désormais souhaiter que la mission européenne, dont le mandat comporte une mission de conseil au commandement malien, s’engage plus avant dans le soutien au processus de « désarmement, démobilisation, réintégration » en cours. C’est d’ailleurs ce que le ministre de la Défense a appelé de ses vœux devant la commission (6).

Le traité dont est proposée la ratification a fait l’objet d’un an et demi de négociation. Son élaboration a commencé avec une lettre adressée le 16 octobre 2013 au président de la République par son homologue malien, par laquelle le Mali faisait connaître son souhait de conclure avec la France un traité de coopération en matière de défense, afin de donner un élan nouveau et durable à la coopération bilatérale. Un projet de traité, élaboré par les services du ministère français de la Défense, a été transmis à Bamako en janvier 2014, et la partie malienne a fait connaître ses demandes d’ajustements. Le traité a ainsi pu être signé par les ministres français et malien de la Défense le 16 juillet 2014.

Si le Mali constitue un théâtre d’opération et un centre d’intérêt très particulier pour les armées françaises, les arrangements bilatéraux relatifs aux forces engagées dans l’opération Barkhane font l’objet d’un instrument juridique distinct. Aussi, le traité dont est proposée la ratification se présente-t-il comme un traité de coopération classique, comparable aux accords de même nature conclus par la France avec ses autres partenaires africains.

Après la publication du Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale, la France s’est engagée dans un processus de refonte de ses accords de défense avec ses partenaires africains. Ainsi, notre pays a conclu huit accords de coopération en matière de défense entre 2009 et 2012, avec le Togo, le Cameroun, le Gabon, la République centrafricaine, les Comores, Djibouti, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. De ces accords, établis sur le même modèle, le rapporteur relève deux traits saillants :

‒ à la différence des accords de défense « de première génération », conclus peu après l’accession des États concernés à l’indépendance, ces nouveaux accords ne comprennent plus de clause d’assistance militaire automatique en cas de menace de coup d’État ou de déstabilisation extérieure ;

‒ les accords « de nouvelle génération » s’inscrivent dans le cadre d’une politique française vis-à-vis de l’Afrique reposant sur de nouvelles bases. En effet, comme le disent nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion dans leur rapport précité, « la France n’a plus les moyens d’entretenir l’“armée d’Afrique” », et elle n’a pas vocation à être le « gendarme » du continent. Ainsi, ces accords visent à soutenir la volonté d’appropriation de leur sécurité par nos partenaires africains, dans un cadre multilatéral qui repose sur l’action de l’Union africaine et de ses sous-régions et que présente l’encadré ci-après.

L’architecture africaine de paix et de sécurité

Les efforts de l’Union africaine en vue de développer ses capacités de gestion de crise sont réels :

– dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPSA), elle mène des travaux sur la Force africaine en attente (FAA). Selon la plupart des observateurs, si les cinq brigades en attente prévues par les accords ne sont pas encore opérationnelles, celle de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Sud sont en avance sur celles de la CEDEAO et de la CEEAC ; elles auraient d’ailleurs déjà effectué des exercices en relation avec les forces françaises stationnées à Djibouti et à la Réunion. Lors du sommet de l’Élysée de décembre 2013, la France s’est notamment engagée à soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la Force africaine en attente et de sa Capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015. Dans cette perspective, il a notamment été décidé que le dispositif français (forces pré-positionnées et système de coopération) soit réorienté en appui aux initiatives africaines en cours sur le continent. Dans ce cadre, la France mettra notamment l’accent sur la formation des cadres militaires et renforcera ses actions de coopération en matière de renseignement et d’équipements ;

– constatant ses difficultés à réunir des forces à projeter au Mali et les délais nécessaires à la mise en œuvre d’un dispositif aussi « lourd » que la FAA, l’Union africaine a décidé, en avril 2013, la création d’une sorte de « dispositif intermédiaire » dans l’attente de la pleine opérationnalité de la FAA : la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC). Selon les explications fournies aux rapporteurs, il s’agit d’un groupement tactique de 1 500 hommes déployable en dix jours, armé par un « groupe pionnier » de 13 États (francophones pour la moitié d’entre eux) disposant de capacités militaires plus solides que la moyenne des pays africains ;

– dans le même temps, lors de son 21e sommet en mai 2013, l’Union africaine a adopté le principe de l’instauration, d’ici 2015, d’une taxe de 10 dollars sur les billets d’avion et de deux dollars sur les séjours hôteliers, pour un rendement attendu de 763 millions de dollars par an, destinée à financer les opérations menées sous sa bannière dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité. La direction générale des affaires politiques et de sécurité du Quai d’Orsay note toutefois que le sommet de l’Élysée, tenu en décembre 2013, a montré que s’agissant de la mise en œuvre et du financement de ces initiatives, « on en est très loin » ;

– lors des crises malienne et centrafricaine, les organisations sous-régionales se sont mobilisées – certes, pas de façon parfaite en République centrafricaine, mais selon le directeur chargé de la Délégation aux affaires stratégiques, il y a encore cinq ans, la CEEAC n’aurait pas été en mesure à créer la MISCA dans des délais aussi courts.

Le Livre blanc de 2013 met d’ailleurs l’accent sur le soutien à la formation d’une architecture de sécurité collective en Afrique, qui est ainsi une priorité de la politique de coopération et de développement de la France. Constatant qu’« en Afrique, l’Union africaine et les organisations sous-régionales sont ainsi devenues des acteurs de la sécurité du continent qui apportent une contribution importante à la paix et à la sécurité internationales », il prévoit que « la France tire toutes les conséquences de cette évolution et les opérations auxquelles elle participera seront, autant que possible, menées dans des cadres multilatéraux ». Il précise que la France « veillera à ce que ces opérations fassent l’objet, sous l’égide de l’ONU, d’un large accord sur leurs objectifs politiques et qu’elles relèvent d’une action convergente et coordonnée, associant les organisations multilatérales appropriées, en particulier les organisations régionales ou sous-régionales concernées ».

Source : rapport d’information n° 2114 précité.

L’article 25 du traité prévoit que ce traité abroge et remplace l’Accord de coopération militaire technique du 6 mai 1985 et les accords et arrangements subséquents, mais qu’il s’applique « sans préjudice de la mise en œuvre d’autres accords conclus entre les Parties, en particulier l’accord sous forme d’échange de lettres signées les 7 et 8 mais 2013 ».

Ainsi, le cadre juridique établi pour l’opération Serval, et qui sert aujourd’hui de texte de référence pour l’opération Barkhane, n’est pas remis en cause. Cette dualité instruments juridiques a pour avantage d’établir une claire distinction entre, d’une part, ce qui relève d’une opération extérieure inscrite dans un temps précis et, d’autre part, une coopération plus classique, appelée à être durable.

Pour le cas où des personnels ou des équipements militaires français présents au Mali au titre de la coopération devraient être mis à la disposition de la force Barkhane, le même article du traité précise que la France en informerait le Mali, et que c’est le cadre juridique de l’opération Barkhane qui trouverait à s’appliquer à eux, même rétroactivement.

On relève plusieurs séries de différences entre l’accord technique de 1985 et le présent traité :

‒ le traité met l’accent sur les nouvelles menaces pesant sur les Parties et leurs actions pour y répondre, en citant « la sécurisation des espaces frontaliers et la lutte contre le terrorisme » à l’article 2 ;

‒ le nouveau traité inscrit notre coopération bilatérale avec le Mali dans le cadre multilatéral de la gestion des crises évoqué plus haut, en citant l’action de l’Union européenne et à l’architecture africaine de paix et de sécurité. L’article 2 fait d’ailleurs du soutien européen à la mise en œuvre de cette architecture l’un des objectifs du traité ;

‒ le champ de la coopération envisagée est plus large que celui de l’accord de 1985, en ce qu’il ne se restreint pas à la coopération dite « structurelle » mise en œuvre par la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des Affaires étrangères, mais s’étend à la coopération dite « opérationnelle » animée par l’état-major des armées.

En effet, la coopération militaire prend deux formes :

– la coopération « structurelle » est animée par les attachés de défense et se traduit le plus souvent par la mise à disposition de coopérants militaires français « insérés » dans les structures de commandement du pays hôte ;

– la coopération « opérationnelle » assurée par les commandants des forces françaises déployées sur place, que ce soit au titre d’une opération extérieure ou des forces « prépositionnées », qui consiste en des activités d’entraînement, par exemple par des exercices conjoints.

L’encadré ci-après explique en quoi la combinaison de ces deux formes de coopération est un facteur de réussite d’un partenariat militaire.

Qu’est-ce qu’une coopération réussie ?

Une coopération « réussie » est assurément la combinaison d’une coopération structurelle et opérationnelle selon une complémentarité à planifier finement. Au cours des dernières années, les effectifs globaux consacrés à la coopération de défense n’ont eu de cesse de baisser, conduisant les armées africaines à s’autonomiser et à se structurer (concept de forces africaines en attentes, etc.). La présence permanente auprès de nos alliés africains, le plus souvent intégrée au sein de leurs unités, est ainsi devenue de plus en plus épisodique. Pour pallier cette situation, le dispositif militaire français s’est progressivement restructuré en pôles de coopération.

Cette coopération opérationnelle est remarquable par sa réactivité, la connaissance du milieu et l’influence qu’elle nous procure, en comparaison avec l’effort humain, matériel et financier relativement limité qu’elle exige. Ainsi, les forces françaises font bénéficier les armées locales de leur expérience et de leur action par effet d’entraînement et de modèle.

Il convient cependant de constater que la coopération opérationnelle doit être de proximité et s’inscrire dans la durée pour obtenir des résultats pérennes. La réussite de la coopération de défense auprès des forces tchadiennes en est l’illustration, s’appuyant sur une coopération structurelle à plusieurs niveaux et profitant dans une moindre mesure de la présence du contingent « Épervier ».

Il est à noter également qu’au bout de la logique de coopération opérationnelle, le principe des DAMO (détachements d’assistance militaire opérationnelle), DLA (détachements de liaison et d’appui), puis enfin DLAO (détachements de liaison et d’appuis opérationnels), expérimentés en Afghanistan et généralisés au Mali, permet de compléter au combat la formation initiale assurée par la mission EUTM.

Source : rapport d’information n° 2114 précité.

Après un article 1er précisant les définitions des termes employés, les articles 2 à 6 établissent les principes généraux de la coopération franco-malienne en matière de défense.

Au titre des objectifs de la coopération, l’article 2 inscrit ainsi le partenariat franco-malien dans la double optique de la réponse aux menaces nouvelles ‒ principalement le terrorisme ‒ et de la montée en puissance des organisations multilatérales au sein desquelles les Parties sont engagées : d’une part, l’Union européenne et, d’autre part, l’Union africaine et ses « sous-régions » (7).

Les domaines de coopération sont énumérés à l’article 4 :

‒ « échanges de vues et d’informations relatifs aux vulnérabilités, risques et menaces à la sécurité nationale et régionale », ce qui confère à la coopération une dimension politique et réciproque qui n’était pas au cœur de l’accord technique de 1985 ;

‒ « organisation, équipement et entraînement des forces », le cas échéant par un soutien logistique « pouvant se concrétiser par la cession gratuite ou onéreuse de matériels et équipements militaires », ainsi que l’organisation d’exercices mixtes et conjoints ;

‒ transits, stationnements temporaires et escales aériennes ;

‒ mise à disposition de coopérants militaires techniques français, dans la lignée des stipulations de l’accord de 1985 ;

‒ formation de militaires maliens dans les écoles françaises ou dans les écoles « soutenues par la France », ce qui renvoie principalement aux ENVR.

En outre, un comité de suivi est institué par l’article 6 « afin de donner une cohérence aux activités prévues par le présent traité », et de régler les éventuels différends entre les Parties, en application de l’article 24.

Les articles 7 à 17 comportent un ensemble détaillé de stipulations réglant le statut des personnels militaires de l’une des Parties présents sur le territoire de l’autre. Il en ressort principalement que :

‒ le pouvoir disciplinaire demeurera exercé par l’État d’origine ;

‒ les personnels resteront imposés dans leur pays d’origine ;

‒ lorsqu’ils sont mis en cause devant une juridiction de l’État hôte, les personnels bénéficieront de garanties. Notamment, la peine de mort (encore en vigueur en droit malien) ne pourra être ni requise, ni prononcée ;

‒ excepté le cas où un dommage résulte d’une faute lourde et intentionnelle, chaque Partie renonce par avance aux recours qu’elle pourrait avoir contre l’autre pour les dommages causés à ses biens ou à son personnel.

On notera que les échanges d’informations classifiées devront faire l’objet d’un accord distinct.

Les articles 18 à 23 énumèrent les facilités que les Parties s’accordent mutuellement dans le cadre de leur coopération. Par principe, les activités organisées sur le territoire d’une des Parties devront avoir été agréées.

Des facilités sont prévues en outre pour l’organisation d’exercice en commun, pour l’entrée de militaires français sur le sol et dans l’espace aérien malien, pour l’utilisation des fréquences hertziennes ‒ ce qui est indispensable, par exemple, pour les transmissions de l’armée de terre. Un régime fiscal d’exonération de droits et taxes est prévu pour l’importation et la réexportation de tous les matériels, ressources financières, approvisionnements et autres marchandises nécessaires à l’exécution des activités conduites au titre de la coopération.

Les articles 24 à 26 comprennent diverses dispositions finales.

L’article 25 prévoit que le traité abroge et remplace l’accord technique de 1985, mais pas l’accord par échange de lettres de 2013 qui fixe aujourd’hui le statut de la force Barkhane au Mali.

L’article 26 prévoit notamment que le traité est conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission examine pour avis, sur le rapport de M. Eduardo Rihan Cypel, le projet de loi relatif adopté, par le Sénat, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali (3498), au cours de sa réunion du mardi 14 juin 2016.

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Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

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