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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (no 4071)
DE M. JEAN-NOËL CARPENTIER, MME DANIELLE AUROI,
M. JEAN-PAUL CHANTEGUET, ET MME SUZANNE TALLARD
ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES
pour que la France s’oppose à toute application provisoire de l’Accord économique et commercial global avec le Canada et s’assure de sa compatibilité avec les traités de l’Union européenne
PAR M. Jérôme LAMBERT
Député
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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.
La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Philip CORDERY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Luc BELOT, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mme Isabelle BRUNEAU, M. Jean-Claude BUISINE, Mme Nathalie CHABANNE, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Guy DELCOURT, William DUMAS, Mmes Sophie ERRANTE, Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Mme Régine POVÉDA, MM. Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LA SIGNATURE DE L’ACCORD ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL GLOBAL (AECG) ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE CANADA EST IMMINENTE 7
A. L’AECG : UN ACCORD COMMERCIAL DE « NOUVELLE GÉNÉRATION » PRÉSENTÉ COMME FAVORABLE À L’UNION EUROPÉENNE 7
B. LA SIGNATURE DE L’AECG, PRÉVUE LE 27 OCTOBRE, N’EST QU’UNE PREMIÈRE ÉTAPE DANS L’ENTRÉE EN VIGUEUR DE L’ACCORD 9
II. LES RISQUES JURIDIQUES DE L’AECG ET L’IMPASSE DÉMOCRATIQUE D’UNE ENTRÉE EN VIGUEUR PROVISOIRE 10
A. UN ACCORD DONT LA COMPATIBILITÉ AVEC LE DROIT EUROPÉEN ET LES DROITS NATIONAUX N’EST PAS CERTAINE 10
1. Les doutes sur la compatibilité avec le droit européen 10
2. Les doutes sur la compatibilité avec le droit constitutionnel allemand 11
B. LA « MIXITÉ » DE L’AECG NE GARANTIT PAS UN RÉEL CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX 11
III. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 11
TRAVAUX DE LA COMMISSION 13
AMENDEMENTS EXAMINÉS EN COMMISSION 23
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE EXAMINÉE PAR LA COMMISSION 27
MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION 31
Mesdames, Messieurs,
Compétence exclusive de l’Union européenne depuis le Traité de Rome (1957), la politique commerciale a subi, depuis les années 2000, une profonde évolution. En effet, confrontée à l’enlisement des négociations multilatérales à l’OMC (cycle de Doha), l’Union a fait le choix de multiplier les accords bilatéraux de libre-échange. Après la signature d’accords de libre-échange, incluant ou non l’investissement, avec la Corée du sud (2010), l’Amérique centrale (2012) et la Colombie et le Pérou (2012) et la conclusion des négociations avec Singapour (2014), le Canada (2014) et le Vietnam (2015), sont aujourd’hui en cours des négociations avec, notamment, les États-Unis, le Japon, le Mercosur ou la Chine.
Désormais principalement bilatérale, la politique commerciale de l’Union européenne a en outre élargi ses objectifs en donnant aux accords de libre-échange une portée bien plus importante, au point qu’ils ont pu être présentés comme des accords de « nouvelle génération ».
En effet, les ALE dits « d’ancienne génération » contenaient, comme les accords du GATT puis de l’OMC, pour l'essentiel des dispositions sur la circulation des marchandises (plus particulièrement la suppression des droits de douane) et, le cas échéant, des services. Or, avec la transformation du commerce mondial et la place toujours plus importante des services et des droits de propriété intellectuelle, les nouveaux accords vont bien au-delà des seuls échanges de marchandises. Non seulement ils intègrent les services et les droits de propriété intellectuelle mais ils traitent également de l’investissement, des normes, ou encore des marchés publics. Le changement de portée est d’ailleurs visible dans le titre même des accords. C’est ainsi que le traité en voie d’être signé avec le Canada s’intitule « Accord Économique et Commercial Global (AECG) ».
Or, la signature de l’AECG est imminente et les inquiétudes sont nombreuses quant à la portée de cet accord, lequel est inédit, par son ampleur, dans l’histoire commerciale de l’Union. En effet, pour la première fois, l’Union européenne (et ses États-membres) va se retrouver liée par un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs (RDIE ou, en anglais, ISDS) ainsi que par des mécanismes de coopération réglementaire, lesquels présentent des risques majeurs pour les préférences collectives des Européens.
Dès lors, il apparaît nécessaire que la conformité d’un tel accord au droit européen soit certaine et qu’il entre en vigueur dans des conditions permettant la tenue d’un véritable débat démocratique. Tel est l’objet de la présente proposition de résolution européenne qui demande au gouvernement :
– d’une part, de s’opposer, au Conseil, à l’entrée en vigueur, même provisoire, de l’AECG tant que l’ensemble des procédures nationales de ratification n’auront pas été achevées ;
– d’autre part, de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour qu’elle se prononce sur la compatibilité de l’AECG avec le droit européen, et suspendre à son avis favorable le processus menant à son entrée en vigueur.
I. LA SIGNATURE DE L’ACCORD ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL GLOBAL (AECG) ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE CANADA EST IMMINENTE
A. L’AECG : UN ACCORD COMMERCIAL DE « NOUVELLE GÉNÉRATION » PRÉSENTÉ COMME FAVORABLE À L’UNION EUROPÉENNE
L’AECG est, comme son nom l’indique, un accord économique et commercial global. Comme tout accord de libre-échange, il vise à supprimer les barrières tarifaires aux échanges que sont les droits de douane. Cette suppression sera pour l’essentiel actée dès l’entrée en vigueur de l’accord et, sept ans plus tard, il ne subsistera plus de droits de douane entre l’Union et le Canada pour les produits industriels. En revanche, si 92 % des produits agricoles et alimentaires pourront être exportés librement, les droits de douanes seront maintenus pour quelques produits sensibles (viande de bœuf et de porc et maïs doux pour l’Union européenne, produits laitiers pour le Canada, notamment) et l’accès préférentiel ne sera ouvert qu'à des quantités limitées de ces produits.
Toujours s’agissant des produits agricoles et alimentaires, l’AECG assure la protection, sur le marché canadien, de 173 indications géographiques européennes, parmi lesquelles 42 françaises (dont 28 de fromages), liste qui pourra être complétée à l’avenir.
L’Union européenne a également obtenu du Canada l’ouverture de ses marchés publics, y compris au niveau subfédéral, en particulier ceux des provinces qui gèrent des budgets importants. C’est la première fois que le Canada accepte, dans le cadre d’un ALE, un accès aussi large d’entreprises étrangères à ses marchés publics. Au-delà des marchés publics, sera également ouvert l’accès des entreprises européennes aux marchés canadiens des services financiers, des télécommunications, de l’énergie ou encore du transport maritime.
S’agissant des droits de propriété intellectuelle, les règles applicables à ces derniers seront harmonisées entre le Canada et l’Union européenne. L’harmonisation des règles constitue, d’une manière générale et au-delà de cet exemple, l’un des points majeurs de l’AECG puisque les deux parties ont convenu de créer un Forum pour la coopération réglementaire. Celui-ci permettra aux autorités de réglementation européennes et canadiennes d'échanger expériences et informations utiles. Par ailleurs, la coopération entre l’Union européenne et le Canada sera également renforcée dans le domaine de la réglementation technique.
Toutefois, l’AECG est susceptible de présenter plusieurs risques, tels que ceux mis en avant par la Présidente Danielle Auroi dans son rapport du 7 octobre 2014 1 :
– les 50 000 tonnes de viande de bœufs pourraient ainsi déstabiliser une filière d’élevage dont on sait, avec la crise actuelle de l’élevage en Europe, qu’elle est particulièrement fragile ;
– si l’AECG ne contient pas de mécanismes d’harmonisation ou de reconnaissance des normes, le fait qu’il facilite la convergence des réglementations actuelles et futures, y compris celles touchant à la protection des consommateurs, des salariés ou de l’environnement, est susceptible d’entraîner un alignement de celles-ci sur les moins-disantes ;
– aux termes de l’article X.8 de l’AECG, les mesures en faveur de la protection de l’environnement ne seront admises qu’à la condition de tenir compte « des informations scientifiques et techniques pertinentes ». Il n’est pas interdit de penser qu’une telle disposition puisse être invoquée pour imposer la fracturation hydraulique dans l’Union européenne ou d’ouvrir celle-ci, plus largement encore, aux importations d’OGM, voire à la culture des OGM elle-même ;
– enfin, le mécanisme de RDIE est susceptible, même sous sa forme de Cour permanente d’investissement 2, de menacer les préférences collectives des Européens en permettant à des entreprises multinationales de contester les choix de politique publique des États devant une juridiction internationale ad hoc.
Avant l’ouverture des négociations, en 2008, la Commission européenne et le gouvernement canadien avaient rendu publique une évaluation des effets de l’AECG sur leurs économies respectives. Sans rentrer dans le détail de cette étude d’impact, réactualisée en 2011, il en ressort que le niveau de l’activité économique, mesurée par le PIB, dans les deux économies devrait croître à la fois pour le Canada et l’Union européenne mais dans des proportions différentes. Les simulations montrent que le surcroît d’activité économique devrait être de 11,6 milliards d’euros pour l’Union européenne (soit 0,08 % du PIB) et 8,2 milliards d’euros pour le Canada (0,77 % du PIB).
Toutefois, outre que ces études remontent à plusieurs années et n’ont pas été réactualisées depuis, elles reposent toutes sur l’utilisation de modèles économiques dont nos collègues Hervé Gaymard et Joaquim Pueyo ont montré les limites dans un récent rapport d’information 3. Dans ces conditions, les bénéfices de l’AECG sont rien moins qu’assurés, alors que ses risques, eux, sont bien réels.
B. LA SIGNATURE DE L’AECG, PRÉVUE LE 27 OCTOBRE, N’EST QU’UNE PREMIÈRE ÉTAPE DANS L’ENTRÉE EN VIGUEUR DE L’ACCORD
Finalisé le 29 février 2016 après cinq ans de négociation et dix-huit mois de « toilettage juridique », l’AECG devrait, selon le souhait de la Commission, être signé en marge du sommet UE-Canada prévu à Bruxelles le 27 octobre prochain. Cependant, comme toujours en matière d’accord de libre-échange de l’Union européenne, la signature n’est que l’une des étapes aboutissant à l’entrée en vigueur définitive et complète de l’AECG sont en effet nécessaires, au niveau européen :
– la signature de l’accord, donc, autorisée par le Conseil sur proposition de la Commission européenne ;
– l’approbation de l’accord par le Parlement européen ;
– la conclusion de l’accord, autorisée par le Conseil sur proposition de la Commission, si l’accord a été préalablement approuvé par le Parlement européen.
Les accords de libre-échange de « nouvelle génération », ainsi qu’il a été dit supra, ne se limitent pas à des dispositions de nature commerciale, qui relèvent exclusivement de la compétence de l’Union européenne, mais intègrent de nombreuses clauses portant sur des sujets aussi variés que l’investissement, la coopération réglementaire ou le développement durable. Certaines de ces clauses relèvent de la compétence des États-membres. Dans ce cas, l’accord concerné est considéré comme « mixte ». Cette qualification a pour conséquence que l’unanimité est nécessaire au Conseil pour autoriser sa signature et sa conclusion et, surtout, que cette dernière ne peut intervenir qu’après la ratification de l’accord par chacun des États-membres selon ses procédures internes.
Le 5 juillet, la Commission a considéré que l’AECG était un accord « mixte », faisant droit à une demande constante de la société civile, relayée par de nombreux États-membres.
La « mixité » d’un accord de libre-échange a également une autre conséquence procédurale. Le Conseil peut décider, sur proposition de la Commission et sous réserve de l’approbation du Parlement européen, une application provisoire de l’accord mais, dans le cas d’un accord « mixte », celle-ci est limitée aux seules dispositions relevant exclusivement de la compétence de l’Union européenne.
Tous les accords de libre-échange de l’Union européenne aujourd’hui en vigueur ont été appliqués de manière provisoire et la Commission souhaite qu’il en soit de même pour l’AECG.
A. UN ACCORD DONT LA COMPATIBILITÉ AVEC LE DROIT EUROPÉEN ET LES DROITS NATIONAUX N’EST PAS CERTAINE
L’AECG comporte une innovation lourde de conséquences pour l’Union européenne. Il soumet en effet celle-ci (et les États-membres), pour la première fois, à une juridiction internationale pour le règlement de leurs différends avec les investisseurs étrangers. L’accord ouvre le droit aux investisseurs canadiens de contester une mesure européenne (ou nationale) dont ils estimeraient qu’elle porte atteinte à leurs intérêts. Ce différend, qui pourrait porter sur un choix de politique publique comme, par exemple, l’interdiction d’un OGM ou l’abandon du nucléaire, serait réglé non par les juridictions européennes (ou celle de l’État-membre concerné) mais par un « système de Cour d’investissement » (en anglais : « International Court System » ou ICS) institué par l’AECG.
Cet ICS, composé d’un tribunal et d’un organe d’appel au sein desquels siègeront des juges nommés par l’Union européenne et le Canada, a vocation à se subsister aux tribunaux arbitraux privés qui, jusqu’alors, étaient la règle en matière de règlement des différends entre les États et les investisseurs. Initialement conservés dans le texte initial de l’AECG, tel que conclu le 26 septembre 2014, la mobilisation de la société civile, relayée au niveau national et européen par de nombreuses personnalités politiques, a réussi à contraindre la Commission à revoir sa copie et à proposer une réforme du RDIE, finalement acceptée par le gouvernement canadien et intégrée dans l’AECG.
Toutefois, même si les tribunaux arbitraux privés ont disparu de l’AECG, les problèmes posés par l’ICS au regard du droit européen reste les mêmes : même composé de juges nommés par les États, il est susceptible de remettre en cause l’exclusivité des juridictions de l’Union européenne dans l’interprétation du droit européen, telle qu’elle résulte des Traités européens. Un tel risque, qui rendrait l’AECG incompatible avec le droit européen, a été relevé notamment par les juristes de l’ONG ClientEarth 4. De même, la principale association de magistrats allemands (DRB) a exprimé, en février dernier, des doutes sérieux en ce qui concerne la compétence de l’Union Européenne pour établir une telle Cour internationale d’investissement. Selon elle, celle-ci interférerait en effet gravement avec les systèmes juridiques et législatifs des États membres et de l’Union.
Au-delà du RDIE, l’ONG Foodwatch a également pointé, dans une étude récente 5, le risque que l’AECG, comme le TTIP, remette en cause le principe de précaution, principe pourtant au cœur du droit européen.
Contrairement au droit français, le droit allemand ouvre la possibilité à des citoyens de contester directement la légalité d’un accord international devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. C’est ainsi que fin août, une plainte a été déposée contre l’AECG devant la Cour constitutionnelle allemande, à laquelle se sont jointes plus de 100 000 personnes, s’ajoutant à plusieurs autres plaintes, dont une déposée par le parti Die Linke. Les plaignants considèrent que l’AECG est de nature à menacer les droits des travailleurs et des consommateurs ainsi que la protection de l’environnement, lesquels sont garantis par la constitution allemande.
B. LA « MIXITÉ » DE L’AECG NE GARANTIT PAS UN RÉEL CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX
Ce n’est qu’après une forte mobilisation de la société civile, relayée au niveau européen par les gouvernements et les Parlements nationaux, que la Commission, le 5 juillet dernier, a fini par accepter de soumettre l’AECG au Conseil en tant qu’accord « mixte ». Ce faisant, elle ouvrait la voie à une ratification de cet accord par l’ensemble des États-membres.
Votre rapporteur, bien sûr, se félicite de cette décision qui va dans le sens d’un meilleur contrôle démocratique sur une politique commerciale commune encore loin d’être parfaitement transparente. Toutefois, il ne faut pas s’en exagérer la portée. En effet, tous les accords de libre-échange de l’Union européenne sont, jusqu’à présent, entrés en vigueur de manière provisoire. Certes, cette entrée en vigueur provisoire n’a porté que les dispositions relevant exclusivement de la compétence de l’Union européenne mais force est de reconnaître que ces dernières représentent l’essentiel de ces accords. En outre, une fois entré en vigueur provisoire, il n’est pas certain que le rejet d’un accord par un Parlement national entraîne sa nullité complète. Il est au contraire plus que probable que les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union et déjà en vigueur le restent, privant ainsi de quasiment toute sa portée le vote des représentants du peuple concerné.
Par conséquent, bien que reconnu « mixte », une entrée en vigueur provisoire de l’AECG, telle que le souhaite aujourd’hui la Commission européenne, réduirait à sa plus simple expression le débat démocratique sur cet accord dans les États-membres.
La présente proposition de résolution européenne a pour objet de prévenir le risque juridique de non-compatibilité entre l’AECG et le droit européen et d’assurer une réelle portée au contrôle démocratique des Parlements nationaux sur la politique commerciale commune. Elle demande donc au gouvernement :
– de s’opposer, au Conseil, à toute entrée en vigueur provisoire de l’AECG jusqu’à ce que l’ensemble des procédures nationales de ratification soient achevées. C’est à cette seule condition que le vote des Parlements nationaux pourra avoir une véritable portée ;
– de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne afin de s’assurer de la compatibilité de l’AECG avec le droit européen. Naturellement, toute entrée en vigueur de l’accord devra être suspendue à l’avis favorable des juges européens.
La Commission s’est réunie le 5 octobre 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.
« M. Jérôme Lambert, rapporteur. La proposition de résolution européenne que notre commission examine aujourd’hui porte sur un sujet qu’elle connaît bien mais qui est désormais d’une actualité brûlante : l’Accord économique et commercial global (AECG ou, en anglais, CETA), c’est-à-dire l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada.
Les négociations de l’AECG, qui ont été lancées en mai 2009, sont conclues depuis septembre 2014 et le texte définitif de l’accord, après « toilettage juridique », a été rendu public en février dernier. Nous sommes donc aujourd’hui dans la dernière ligne droite puisque la signature officielle de cet accord est attendue le 27 octobre prochain, lors de la venue à Bruxelles du Premier ministre canadien pour le sommet UE-Canada.
Cependant, la signature de l’AECG, autorisée par le Conseil sur proposition de la Commission européenne, ne sera pas suffisante pour une entrée en vigueur complète et définitive de cet accord. Elle devrait être complétée par les actes suivants :
– l’approbation de l’accord par le Parlement européen ;
– la conclusion de l’accord, autorisée par le Conseil sur proposition de la Commission, si l’accord a été préalablement approuvé par le Parlement européen.
La procédure est par ailleurs compliquée par le fait que l’AECG est un accord « mixte », c’est-à-dire qu’il comporte à la fois des dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne et des dispositions relevant de la compétence des États-membres. Ce fait a pour conséquence que la conclusion de l’AECG ne pourra intervenir qu’une fois celui-ci ratifié par l’ensemble des États-membres selon leur procédure nationale, ce qui peut prendre plusieurs années.
C’est pourquoi la Commission européenne souhaite une entrée en vigueur provisoire de l’AECG, qui ne porterait que sur les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne.
Voilà pour les rappels concernant la procédure et le contexte de l’AECG. Ils sont nécessaires pour comprendre la portée de cette proposition de résolution européenne.
L’AECG est souvent présenté, notamment par le gouvernement, comme un bon accord. Il est vrai qu’il contient des dispositions qui sont a priori favorables à l’Union européenne et, en particulier, à notre pays. C’est ainsi que l’AECG ouvre largement les marchés publics canadiens, y compris au niveau subfédéral, et qu’il protège 173 indications géographiques européennes, dont 42 françaises (incluant 28 appellations fromagères).
Cependant, l’AECG comporte également des risques juridiques et son entrée en vigueur provisoire placerait les peuples européens dans une impasse démocratique.
L’incertitude est grande, en effet, s’agissant de la conformité de l’AECG avec le droit européen comme avec certains droits constitutionnels nationaux. Il y a un an, en octobre 2015, un collectif de juristes rassemblés au sein de l’ONG ClientEarth a publié une étude soulevant de sérieux doutes quant à la compatibilité avec le droit européen du mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs (RDIE ou, en anglais, ISDS). Plus récemment, l’Association allemande des juges a souligné également la fragilité juridique de ce RDIE, y compris dans sa nouvelle formule de Cour permanente d’investissement.
En effet, comme vous le savez, par un « tour de passe-passe », la Commission a substitué aux tribunaux arbitraux privés initialement prévus par l’AECG un système de Cour permanente d’investissement qu’elle a réussi à faire accepter in extremis aux Canadiens. Mais selon l’Association des juges allemands, c’est un simple changement de dénomination qui ne règle en rien les problèmes juridiques posés par le RDIE. En particulier, ils doutent que l’Union européenne ait la compétence pour créer une telle juridiction qui interfère nécessairement avec les systèmes législatifs et judiciaires des États-membres.
Enfin, cet été, une plainte a été déposée en Allemagne contre l’AECG, devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, à laquelle se sont jointes plus de 100 000 personnes.
En outre, le souhait de la Commission d’une entrée en vigueur provisoire de l’AECG risque de nous conduire dans une impasse démocratique. Comme je l’ai déjà indiqué, l’AECG est un accord mixte qui devra donc être ratifié par l’ensemble des États-membres. S’il faut se réjouir de voir les Parlements nationaux intégrés dans le processus, leur vote risque d’être privé de toute portée par l’entrée en vigueur provisoire.
Certes, cette entrée en vigueur provisoire ne porte, par principe, que sur les dispositions relevant exclusivement de la compétence de l’Union européenne mais force est de reconnaître que ces dernières représentent l’essentiel de ces accords. En outre, une fois entré en vigueur provisoire, il n’est pas certain que le rejet d’un accord par un Parlement national entraîne sa nullité complète. Il est au contraire plus que probable que les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union et déjà en vigueur le restent, privant ainsi de quasiment toute sa portée le vote des représentants du peuple concerné.
Par conséquent, bien que reconnu « mixte », une entrée en vigueur provisoire de l’AECG, telle que le souhaite aujourd’hui la Commission européenne, réduirait à sa plus simple expression le débat démocratique sur cet accord dans les États-membres.
La présente proposition de résolution européenne a donc pour objet de prévenir le risque juridique d’incompatibilité entre l’AECG et le droit européen et d’assurer une réelle portée au contrôle démocratique des Parlements nationaux sur la politique commerciale. Elle demande donc au gouvernement :
– de s’opposer, au Conseil, à toute entrée en vigueur provisoire de l’AECG jusqu’à ce que l’ensemble des procédures nationales de ratification soient achevées. C’est à cette seule condition que le vote des Parlements nationaux et, le cas échéant, un rejet de l’accord, aura une véritable portée.
– de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne afin de s’assurer de la compatibilité de l’AECG avec le droit européen. Naturellement, il convient d’attendre l’avis de la Cour avant de signer l’accord, à supposer qu’il soit favorable.
Je propose donc, en tant que rapporteur, que notre commission adopte cette proposition de résolution, modifiée le cas échéant par les amendements que j’ai déposés.
M. Philip Cordery. Le groupe socialiste, écologiste et républicain considère que cette proposition de résolution européenne n’est pas opportune et votera contre. Comme l’a rappelé le rapporteur, l’AECG comporte de nombreuses dispositions très favorables à l’Union européenne. Je pense en particulier à l’ouverture des marchés publics canadiens ou à la protection de 173 indications géographiques européennes. Il ne fait pas de doute que ces dispositions favoriseront les exportations européennes. En outre, quoi qu’on en dise, le principe de précaution n’est pas remis en cause et les tribunaux d’arbitraux privés ont été supprimés, notamment grâce à l’action de la France et du Secrétaire d’État Matthias Fekl. L’international Court System, qui est désormais la nouvelle forme du mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, constitue un indéniable progrès qui a vocation à être reproduit dans les autres accords de libre-échange. Enfin, cet accord comporte des dispositions en faveur du développement durable. Bref, c’est l’ensemble de nos « lignes rouges » qui ont été respectées. Il faut s’en réjouir. Aussi, lorsqu’un accord est bon, il est de notre responsabilité de le reconnaître et d’agir en conséquence.
Par ailleurs, au-delà du fait que cette proposition de résolution a pour objet de retarder l’entrée en vigueur de ce bon accord qu’est l’AECG, ce qui me gêne le plus, c’est le peu de cas qu’elle fait du Parlement européen. Ce dernier est la voix du peuple européen comme les Parlements nationaux sont la voix de leur peuple respectif. Par conséquent, le fait que le Parlement européen approuve l’AECG légitime l’entrée en vigueur provisoire de cet accord qui, comme l’a rappelé le rapporteur, ne concernera que des dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne. Quant aux Parlements nationaux, ils se prononceront sur l’accord le moment venu, qui peut être dans plusieurs années. C’est pourquoi il m’apparaît important que ce bon accord qu’est l’AECG soit appliqué rapidement pour ce qui concerne, en particulier, ses dispositions commerciales. Nous demandons dans le même esprit la levée de la réserve parlementaire sur les textes concernés.
M. Jérôme Lambert, rapporteur. J’ai déposé un amendement qui corrige, sur le point que vous soulevez de la légitimité du Parlement européen à se prononcer sur l’AECG, la proposition de résolution européenne.
M. Christophe Caresche. En préalable, je voudrais lever un doute s’agissant de la réserve d’examen de l’Assemblée nationale sur les trois propositions de décisions du Conseil relatives à l’AECG qui nous ont été transmises. Est-elle encore d’actualité ?
Pour le reste, vous n’êtes pas sans savoir qu’à l’origine, la Commission considérait l’AECG comme un accord « non-mixte » car ne comportant, selon elle, que des dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union. Or, c’est sous la pression des États-membres, notamment la France, que la mixité de l’AECG a fini par être reconnue et qu’en conséquence, les Parlements nationaux auront à se prononcer.
La question n’est donc pas de savoir si on est pour ou contre l’AECG mais si on approuve ce processus de ratification. Dans ces conditions, je considère comme Philip Cordery que cette proposition de résolution européenne met en cause ce processus et, en particulier, la légitimité du vote du Parlement européen. Or, si le Parlement européen, voix du peuple européen, approuve l’AECG, il est légitime que les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne puissent immédiatement entrer en vigueur et ce, sans attendre l’achèvement des ratifications nationales qui peut prendre des années. En définitive, cette proposition de résolution européenne, sous couvert de procédure, met en cause l’accord lui-même alors que le débat aura lieu, devant les Parlements nationaux le moment venu.
La Présidente Danielle Auroi. Il n’y a plus, aujourd’hui, de réserve d’examen de l’Assemblée nationale sur les trois textes transmis concernant la signature, l’entrée en vigueur provisoire et la conclusion de l’AECG, compte tenu des délais liés à cette réserve.
M. Jean-Louis Roumégas. La France a adopté une position courageuse concernant le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, en appelant publiquement à l’arrêt des négociations. Dans ces conditions, même si l’AECG n’est pas comparable au PTCI, son entrée en vigueur provisoire ne serait pas comprise par l’opinion publique. En outre, même provisoire, cette entrée en vigueur aurait des conséquences considérables sur de nombreux sujets d’importance en rendant plus difficile, par exemple, l’adoption de mesures concernant le glyphosate, la viande chlorée ou les OGM. Il ne fait pas de doute, s’agissant de ces derniers, que des multinationales comme Bayer ou Monsanto s’appuieront sur l’AECG pour les contester.
S’agissant maintenant du débat très juridique concernant la procédure de ratification et la répartition des rôles entre le Parlement européen et les Parlements nationaux, on peut retourner l’argument et voir dans l’opposition à la proposition de résolution européenne une remise en cause de la légitimité de ces derniers.
En cette période où l’Union européenne est très contestée, il est très important de ne pas donner l’impression, avec l’AECG, d’un engrenage des négociations commerciales duquel il ne sera plus possible, par la suite, de ressortir.
M. Pierre Lequiller. L’AECG est un bon accord. C’est incontestable et il est dans notre intérêt qu’il soit mis en œuvre rapidement, par une application provisoire. Il en va également de nos bonnes relations avec le Canada, qui est un partenaire majeur de l’Union européenne. Naturellement, il est toujours possible de soutenir qu’on aurait pu obtenir plus dans la négociation. C’est le sens des critiques récentes de M. José Bové contre l’AECG. Mais il oublie que même imparfait, cet accord est, en matière de protection des indications géographiques, un progrès par rapport à la situation existante. Philip Cordery a par ailleurs raison lorsqu’il considère cette proposition de résolution européenne comme une mauvaise manière faite au Parlement européen.
Mme Seybah Dagoma. Cette proposition de résolution européenne fait référence au rapport que j’ai présenté, en février dernier, sur le mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs. Il est vrai que je mentionne la controverse sur la compatibilité dudit mécanisme avec le droit européen mais pour présenter les deux positions, opposées, des ONG et de la Commission européenne, entre lesquelles je ne tranche pas.
Il est vrai également que ces accords de libre-échange de « nouvelle génération » suscitent de nombreuses questions et que tous, dans nos circonscriptions, sommes sollicités pour fournir des explications. Certains peuvent ainsi s’étonner que ces accords ne relèvent pas de la compétence nationale et moi-même, je considère que les règles européennes en la matière pourraient évoluer, s’agissant notamment de la durée de validité des mandats de négociation. Un groupe de travail pourrait utilement être constitué. Cependant, les règles sont ce qu’elles sont et il est évident, comme l’ont rappelé Philippe Cordery et Christophe Caresche, qu’une telle résolution remettrait en cause la légitimité du Parlement européen dans le processus de ratification.
En outre, je me souviens avoir interrogé la Commissaire européenne chargée du commerce, Mme Cecilia Malmström, sur les effets du rejet d’un accord de libre-échange « mixte » par un Parlement national. Je n’ai pas eu de réponse. Par conséquent, la proposition de résolution manque son objectif puisqu’elle exige de nous une prise de position dont on ne mesure pas les conséquences.
Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai contre la proposition de résolution qui nous est soumise.
M. Jérôme Lambert, rapporteur. Il est vrai que des questions se posent s’agissant de ces accords et lancer une réflexion sur la politique commerciale commune m’apparaît une excellente idée qui rejoint d’ailleurs l’objet de la proposition de résolution. Si l’AECG pose des problèmes, alors temporisons et évitons l’entrée en vigueur provisoire.
Mme Seybah Dagoma. Ces problèmes appellent une réflexion qui va au-delà de l’AECG et qui ne seront pas résolus par cette proposition de résolution qui est de pure opportunité.
M. Jean-Noël Carpentier. En préalable, je voudrais rappeler que cette proposition de résolution fait écho à une lettre qu’ont récemment envoyée plus d’une centaine de députés au Président de la République sur ce même sujet de l’entrée en vigueur provisoire de l’AECG, lui demandant que la France s’y oppose.
L’Union européenne, aujourd’hui, est en crise. C’est pourquoi il convient de faire très attention. Or, la politique commerciale européenne trouble l’opinion publique, en France mais aussi dans les autres pays. Toutes les enquêtes le prouvent et les raisons de ce trouble sont nombreuses : craintes pour l’environnement, incertitudes sur la pérennité du principe de précaution, risques de remise en cause des normes sociales, maintien des tribunaux d’arbitrage privés sous un autre nom… Ces problèmes sont réels et, j’ose le dire, plus importants que le juridisme, même si les règles juridiques doivent elles aussi être prises en compte. Quant aux études d’impacts, nombreuses sont celles qui mettent en évidence les bénéfices quasi-nuls de cet accord.
Dans ces conditions, il est normal de se poser des questions et notre responsabilité, c’est d’éclairer l’opinion publique et de prendre le temps de la discussion. Il me semble donc plus prudent de ne pas précipiter l’entrée en vigueur de l’AECG, ce qui est justement l’objet de la proposition de résolution dont je suis signataire.
M. Arnaud Richard. Comme mes collègues Christophe Caresche et Philip Cordery l’ont dit, je comprends qu’on puisse considérer qu’il n’est pas opportun que notre commission adopte cette proposition de résolution, d’autant plus que le Premier ministre doit se rendre très prochainement au Canada. Ceci dit, je suis un peu gêné par le passage en force que peut représenter l’entrée en vigueur provisoire. En effet, si nos lignes rouges ont été respectées, pourquoi s’inquiéter d’attendre une ratification des Parlements nationaux ? Je comprends bien qu’une telle position puisse indisposer le Parlement européen mais c’est la France qui a fait pression pour que les Parlements nationaux soient intégrés au processus de ratification. Je ne vois pas pour quelle raison nous n’irions pas au bout de cette logique.
Mme Brigitte Allain. Je soutiens moi aussi cette proposition de résolution qui m’apparaît nécessaire pour prévenir certains effets de l’AECG sur un secteur que je connais bien : l’agriculture. Alors que ce secteur est en crise et que le gouvernement multiplie les plans d’aide, on voit bien l’importance de disposer d’instruments de régulation du marché. Dès lors, la dérégulation promise par l’AECG ne peut être que contre-productive.
Le gouvernement considère que l’AECG est un bon accord mais sans avoir mené aucune étude d’impact sérieuse, notamment sur le secteur agricole. Or, pour ne prendre qu’un seul exemple, l’étude d’impact réalisée par les professionnels de la filière bovine révèle que l’AECG aurait un impact désastreux sur les revenus et les emplois dans cette filière. En outre, si on doit bien sûr se féliciter que l’AECG protège 173 indications géographiques européennes, elles ne le sont pas toutes, loin de là. Autre sujet d’inquiétude, les semences de ferme, qui pourraient être considérées comme des contrefaçons au regard des droits de propriété intellectuelle que protège l’AECG.
Enfin, le vote des Parlements nationaux est égal en importance à celui du Parlement européen et, de fait, ne doit pas être pris en otage par l’application provisoire, qui pour toutes ces raisons, doit donc être refusée.
M. Gilles Savary. Je ne suis pas adepte de la démocratie d’opinion mais de la démocratie de conviction et les vents contraires, si forts soient-ils, ne remettront pas en cause mes convictions, qui ne fluctuent pas avec les sondages.
Lorsque le moment sera venu de se prononcer sur l’AECG, je le ferais en pleine conscience, mais je ne veux pas confondre la procédure de ratification avec le contenu de l’accord qui, on l’a dit, comporte des avancées significatives, notamment sur les IGP, lesquelles seront utiles dans les futures négociations, notamment avec les États-Unis. A ce propos, il faut faire attention aux implications géopolitiques du commerce et ne pas, par un refus dogmatique des négociations, jeter ces derniers dans les bras de la Chine et isoler l’Europe.
S’agissant de la procédure, les Parlements nationaux ont été intégrés, en raison de la « mixité » de l’AECG, au processus de ratification ; de plus, je rappelle que les négociations commerciales se font sur mandat du Conseil donné à la Commission européenne et que celles-ci font l’objet d’un contrôle par les gouvernements des États-membres. Par conséquent, il ne faut pas que les Parlements nationaux en rajoutent dans la méfiance et veuillent contrôler, en plus des gouvernements, la mise en œuvre des compétences européennes.
Nous sommes tous conscients des causes qui pourraient justifier un rejet de l’AECG – ou d’un autre accord – par un Parlement national. La tenue prochaine d’élection n’en serait pas la moindre. Or, la conséquence d’un tel rejet, si elle devait aboutir à la mort de l’accord concerné, aurait une conséquence allant bien au-delà de celle-ci : ce serait la mort de la politique commerciale commune.
Mme Isabelle Bruneau. Je suis d’accord avec Gilles Savary. C’est lorsque le Parlement français sera saisi de l’AECG que je me prononcerai sur cet accord et comme lui, je sais que les échéances électorales nuisent à une politique de long terme. Toutefois, j’ai de plus en plus l’impression que les accords de libre-échange ne sont plus en phase avec la société qui exige le temps du débat. Certes, je ne veux pas remettre en cause la légitimité du Parlement européen et je suis bien consciente que la croissance repose aussi sur les exportations. Mais en démocratie, il faut laisser le temps à l’opinion publique de s’imprégner de ces accords qui, on le sait, pourrait bouleverser la vie quotidienne de nos concitoyens.
La Présidente Danielle Auroi. Je voudrais pour ma part rappeler le travail de notre commission sur l’AECG. Dès novembre 2014, j’ai présenté une proposition de résolution européenne qui, déjà, posait toutes les questions qui nous préoccupent aujourd’hui : principe de précaution, coopération réglementaire et règlement des différends États-investisseurs. Cette résolution a été largement adoptée. En février 2016, Seybah Dagoma a présenté un rapport sur le RDIE appelant à une réforme de ce mécanisme. Certes, les tribunaux arbitraux ont été supprimés de l’AECG mais le nouveau mécanisme soulève d’autres problèmes. Enfin, en septembre 2016, le rapport d’Hervé Gaymard et Joaquim Pueyo a bien mis en évidence les limites de la modélisation économique dans les études d’impact que fait la Commission européenne de ces accords de libre-échange.
Maintenant, je voudrais expliquer pourquoi je soutiens cette proposition de résolution européenne, dont je suis par ailleurs signataire. L’International Court System, c’est-à-dire les tribunaux arbitraux sous leur nouveau nom, sont encore mal définis. De plus, la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États-membres est incertaine, la Cour de Justice ne s’étant pas encore prononcée. Le principe de précaution ne figure pas dans l’AECG et la coopération réglementaire est lourde de menaces pour nos préférences collectives. Dans ces conditions, cette proposition vise à poser les termes du débat et de ce point de vue, elle n’a pas été inutile puisque nos débats ont été d’une grande qualité.
M. Jérôme Lambert. Nos débats ont été très riches et je m’en réjouis. Avant de vous présenter les amendements que j’ai déposés, je voudrais poser une question. Que se passera-t-il, en cas d’application provisoire, si le RDIE devait, par la suite, être considéré incompatible avec le droit européen ? Je n’ai pas la réponse et l’objet de la proposition est, justement, de permettre à la Cour de Justice d’en apporter une.
J’ai déposé trois amendements. L’amendement no 1, rédactionnel, supprime le mot « exclusives » à l’alinéa 3.
La Présidente Danielle Auroi. Je mets l’amendement aux voix.
Philip Cordery. Compte tenu du fait que nous voterons contre la PPRE, le groupe SER ne prendra pas part aux votes sur les amendements.
La commission adopte l’amendement no 1
M. Jérôme Lambert, rapporteur. L’amendement no 2, bien que rédactionnel également, a une portée importante puisqu’il supprime, à l’alinéa 32, ce qui pourrait indisposer le Parlement européen.
La commission adopte l’amendement no 2
M. Jérôme Lambert, rapporteur. L’amendement no 3 améliore la rédaction de l’alinéa 24 qui désormais, demande au gouvernement de saisir, en application de l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de Justice sur la compatibilité de l’AECG avec les Traités européens et de s’opposer, au sein du Conseil, à sa signature tant que son avis n’aura pas été rendu.
La commission adopte l’amendement no 3
La Présidente Danielle Auroi. Je mets maintenant aux voix la proposition de résolution, ainsi amendée.
La commission rejette la proposition de résolution européenne ainsi amendée. »
AMENDEMENTS EXAMINÉS EN COMMISSION
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 5 octobre 2016
Proposition de Résolution Européenne pour que la France s’oppose à toute application provisoire de l’Accord économique et commercial global avec le Canada et s’assure de sa compatibilité avec les traités de l’UE (NO 4071)
AMENDEMENT |
No 1 |
présenté par |
M. Jérôme Lambert, rapporteur |
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ARTICLE UNIQUE
A l’alinéa 13, supprimer le mot : « exclusives ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Amendement rédactionnel.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 5 octobre 2016
Proposition de Résolution Européenne pour que la France s’oppose à toute application provisoire de l’Accord économique et commercial global avec le Canada et s’assure de sa compatibilité avec les traités de l’UE (NO 4071)
AMENDEMENT |
No 2 |
présenté par |
M. Jérôme Lambert, rapporteur |
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ARTICLE UNIQUE
À l’alinéa 23, supprimer les mots « (AECG ou CETA en anglais) c’est-à-dire attendre que toutes les procédures de ratification nationales soient clôturées, afin d’entendre la voix des citoyens européens avant une éventuelle entrée en vigueur de l’accord ; ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Amendement rédactionnel.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 5 octobre 2016
Proposition de Résolution Européenne pour que la France s’oppose à toute application provisoire de l’Accord économique et commercial global avec le Canada et s’assure de sa compatibilité avec les traités de l’UE (NO 4071)
AMENDEMENT |
No 3 |
présenté par |
M. Jérôme Lambert, rapporteur |
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ARTICLE UNIQUE
Rédiger ainsi l’alinéa 24 :
« Demande au gouvernement de saisir, en application de l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de Justice sur la compatibilité de l’AECG avec les Traités européens et de s’opposer, au sein du Conseil, à sa signature tant que son avis n’aura pas été rendu ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Amendement rédactionnel et de précision.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
EXAMINÉE PAR LA COMMISSION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 206, 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la recommandation de la Commission au Conseil, du 27 avril 2009, visant à autoriser la Commission à engager des négociations en vue d’un accord d’intégration économique avec le Canada,
Vu la résolution du Parlement européen, du 8 juin 2011, sur les relations commerciales entre l’Union européenne et le Canada,
Vu le texte de l’accord finalisé lors du sommet bilatéral d’Ottawa du 26 septembre 2014,
Vu la résolution européenne sur le projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada, adoptée par l’Assemblée nationale, no 428, le 23 novembre 2014,
Vu le rapport d’information no 3467 « Le règlement des différends Investisseur – État : la nécessaire réforme d’un mécanisme contesté »
Vu la déclaration conjointe de la Commissaire européenne au Commerce et de la Ministre du Commerce international du Canada sur l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne du 29 février 2016 ;
Vu la proposition du 5 juillet 2016 de la Commission au Conseil de l'UE pour signer et mettre en œuvre provisoirement l’Accord économique et commercial global avec le Canada (AECG ou CETA en anglais),
Considérant la portée de l’AECG sur de nombreux champs tels que l’environnement, le social, les marchés publics, dans des proportions sans précédents dans l’histoire commerciale européenne ;
Considérant qu’il existe une incertitude sur la répartition des compétences exclusives entre l’Union européenne et les États membres ;
Considérant qu’une application, même provisoire, de tout ou partie de l’AECG rendrait caduque et déclarative la mixité de l’accord ;
Considérant que l’AECG est le premier accord dit de nouvelle génération, négocié avec un pays du G7 ou 8 incluant à la fois un mécanisme de coopération réglementaire et un mécanisme d’arbitrage et de protection des investissements ;
Considérant la plainte constitutionnelle déposée en Allemagne sur plusieurs dispositions de l'AECG ;
Considérant les résultats de la consultation publique que la Commission européenne a organisée au sujet de la clause RDIE dans le cadre des négociations du Partenariat transatlantique de commerce et investissement (PTCI, TTIP en anglais) et les réactions très critiques des participants à l’Initiative Citoyenne Européenne ;
Considérant que le mécanisme de règlement de différends investisseurs/États est controversé pour son utilisation accrue par les investisseurs pour contester des mesures de protection de l’environnement, la hausse du salaire minimum, la réglementation de la santé publique et d’autres lois d’intérêt public ;
Considérant que dans le cadre de l’AECG, le très controversé Règlement des différends investisseur-État (RDIE) - Investor-state dispute settlement (ISDS) - a été remplacé par un nouveau système devant apporter, selon la Commission européenne, plus de transparence et de stabilité, baptisé Système de Cour d’investissement (SCI) – Investment Court System (ICS) ;
Considérant néanmoins que pour l’Association allemande des juges (Deutscher Richterbund), l'association européenne des juges, ainsi que de nombreux spécialistes du droit constitutionnel européen et du RDIE, cette nouvelle proposition de la Commission relative au règlement des différends altère l’architecture juridique de l’Union européenne et sape les pouvoirs des juges nationaux au titre du droit européen ;
Considérant qu’aux termes de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l'avis de la Cour de Justice sur la compatibilité d'un accord envisagé avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités » et que le rapport d’information no 3467 de l’Assemblée nationale d'information sur « le règlement des différends Investisseur - État : la nécessaire réforme d’un mécanisme contesté » souligne les incertitudes qui persistent sur la compatibilité du nouveau dispositif avec les traités européens et rappelle qu’il reviendra au Parlement européen ou au gouvernement français, s’ils le souhaitent, de donner l’occasion à la Cour de Justice de l'Union européenne d’apporter une réponse définitive à cette question ;
Considérant qu’il existe une incertitude juridique sur la compatibilité de l’accord proposé avec les traités européens, en particulier l’article 19 du Traité sur l’Union européenne ainsi que les articles 49, 54, 56, 267 et 340 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Demande au Gouvernement de s’opposer au sein du Conseil de l’Union européenne à toute mise en œuvre provisoire de l’Accord économique et commercial global avec le Canada (AECG ou CETA en anglais) c’est-à-dire d’attendre que toutes les procédures de ratification nationales soient clôturées, afin d’entendre la voix des citoyens européens, avant une éventuelle entrée en vigueur de l’accord ;
Demande au gouvernement de solliciter l’avis de la Cour de Justice de l'Union européenne sur la compatibilité du CETA avec les Traités européens sur la base de l’article 218 (11) du Traité de fonctionnement de l’Union européenne pour éviter qu’un accord incompatible avec les Traités européens soit conclu et de ne pas procéder à la ratification de cet accord tant que la Cour de Justice de l'Union européenne ne s’est pas prononcée
MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION
Single article
1/ The National Assembly,
2/ In the light of Article 88-4 of the Constitution,
3/ In the light of Articles 151-5 et seq. of the Rules of Procedure of the National Assembly,
4/ In the light of Articles 206, 207 and 218 of the Treaty on the Functioning of the European Union,
5/ In the light of the Recommendation from the Commission to the Council, of 27 April 2009, in order to authorise the Commission to open negotiations for an Economic Integration Agreement with Canada.
6/ In the light of the resolution of the European Parliament, of 8 June 2011, on trade relations between the European Union and Canada,
7/ In the light of the agreement finalised at the bilateral Ottawa summit of 26 September 2014,
8/ In the light of the European resolution on the draft economic and trade agreement between the European Union and Canada, adopted by the National Assembly, no. 428, 23 November 2014,
9/ In the light of the information report no. 3467 'Settlement of Investor-to-State disputes : need to reform a disputed system',
10/ In the light of the joint statement of the European Trade Commissioner and Canada's International Trade Minister on the trade agreement between Canada and the European Union of 29 February 2016,
11/ In the light of the proposal of 5 July 2016 of the Commission to the Council of the European Union to sign and provisionally apply the Comprehensive Economic and Trade Agreement,
12/ Considering the scope of the CETA as regards many fields like the environment, social affairs, public procurements, in unprecedented proportions in European trade history ;
13/ Considering that uncertainty exists as to the sharing of exclusive competences between the European Union and the Member States ;
14/ Considering that even provisional application of all or part of the CETA would make the mixed nature of the agreement null and void and declaratory ;
15/ Considering that the CETA is the first so-called new generation agreement negotiated with a G7 or G8 country including both a regulatory cooperation mechanism and an investments arbitration and protection system ;
16/ Considering the constitutional complaint lodged in Germany as regards several provisions of the CETA ;
17/ Considering the results of the public consultation organised by the European Commission on the ISDS clause as part of the negotiations of the Transatlantic Trade and Investment Partnership and the highly critical reactions of the participants in the European Citizens' Initiative ;
18/ Considering that the Investor-to-State Dispute Settlement system is controversial due to its increased use by investors to challenge : measures to protect the environment, the minimum wage increase, public health regulations and other public Acts of Parliament ;
19/ Considering that in the framework of the CETA, the highly controversial Investor-to-State Dispute Settlement system (ISDS) has been replaced by a new system called the Investment Court System (ICS) that is to provide, according to the European Commission, more transparency and stability ;
20/ Considering nevertheless that according to the German Association of Judges (Deutscher Richterbund), the European Association of Judges, and many specialists of European constitutional law and of the ISDS, this new proposal of the Commission on the settlement of disputes adversely affects the legal architecture of the European Union and undermines the powers of national judges under European law ;
21/ Considering that under the terms of Article 218 of the Treaty on the Functioning of the European Union, 'a Member State, the European Parliament, the Council or the Commission can seek the opinion of the Court of Justice as to whether an agreement envisaged is compatible with the Treaties. If the Court gives a negative opinion, the envisaged agreement cannot enter into force unless it is modified or unless the treaties are revised' ; and considering that the information report no. 3467 of the National Assembly on 'Settlement of Investor-to-State disputes : need to reform a disputed system' emphasises the persisting uncertainties as regards the compatibility of the new system with the European treaties and recalls that it will lie with the European Parliament or the French government, if they so desire, to provide the Court of Justice of the European Union with the opportunity to give a definitive answer to this issue ;
22/ Considering there is a legal uncertainty as to the compatibility of the proposed agreement with the European treaties, especially Article 19 of the Treaty on European Union as well as Articles 49, 54, 56, 267 and 340 of the Treaty on the Functioning of the European Union ;
23/ Calls on the Government to oppose at the Council of the European Union any provisional application of the Comprehensive Economic and Trade Agreement with Canada (CETA), in other words wait for all the national ratification procedures to be completed, in order to heed what European citizens say before any possible entry into force of the agreement ;
24/ Calls on the government to ask the European Court of Justice for its opinion on the compatibility of the CETA with the European treaties on the basis of Article 218 (11) of the Treaty on the Functioning of the European Union in order to avoid the conclusion of an agreement incompatible with the Treaties and also calls on the government not to proceed with the ratification of this agreement as long as the European Court of Justice has not stated its position.
© Assemblée nationale