N° 4245
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 novembre 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse,
Par Mme Catherine COUTELLE,
Députée.
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 4118.
SOMMAIRE
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Pages
DISCUSSION GÉNÉRALE 7
EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 21
Article unique (Art. L. 2223-2 du code de la santé publique) : Extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse 21
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 27
On ne devrait plus avoir à rappeler le droit des femmes à disposer de leur corps. Il est aujourd’hui pleinement reconnu par la loi. Toutefois, ce droit n’est jamais définitivement acquis. Les résistances perdurent. Elles mutent même en utilisant les outils de la modernité pour promouvoir un discours destiné à entraver l’exercice des droits d’autrui et en particulier des femmes.
Avec la légalisation de la contraception en 1967 puis la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1975, la société a peu à peu renoncé à exercer un quelconque contrôle sur les naissances et, en conséquence, sur le corps des femmes. La législation a alors laissé celles-ci exercer leur pleine liberté en ce domaine. Cependant, les opposants n’ont pas disparu et n’ont cessé de vouloir restreindre voire empêcher l’accès à ce droit fondamental.
Ces oppositions, parfois violentes, ont amené le législateur à protéger les droits des femmes désireuses de recourir à une IVG ou de s’informer sur cette éventualité. Le législateur a ainsi prévu des peines pouvant aller à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende en cas d’entrave à l’accès au droit des femmes à disposer de leur corps. Aujourd’hui, la bataille que mènent ces opposants trouve un nouveau champ sur internet. En effet, internet constitue souvent la première source d’information et d’orientation en matière de santé, comme le montre le rapport de 2013 du Haut Conseil à l’égalité (HCE) entre les femmes et les hommes sur l’information sur l’IVG sur Internet. Parmi les 15-30 ans, plus de 57 % des femmes (et près de 40 % des hommes) utilisent internet pour s’informer sur des questions relatives à la santé et 80 % des jeunes qui y ont eu recours jugent crédibles les informations recueillies. Depuis 2012, le gouvernement agit contre la désinformation en matière d’IVG et face la multiplication des pratiques trompeuses sur internet, avec notamment la création d’un site officiel
– www.ivg.gouv.fr – qui apporte une information fiable sur la nature et les conséquences d’une IVG sans chercher ni à la promouvoir, ni à la décourager ou encore du lancement de campagne visant à conforter le libre choix. La loi du 4 août 2014 a également étendu le délit d’entrave non plus seulement à l’acte d’IVG mais également à la recherche d’information sur la question.
La présente proposition de loi poursuit ce même objectif : étendre le délit d’entrave à l’IVG aux nouvelles pratiques trompeuses, aujourd’hui déployées sur internet, qui peuvent aller jusqu’à la pression psychologique et morale sur les femmes enceintes ou les personnels des établissements pratiquant l’IVG.
Elle rappelle que le choix de recourir à l’avortement ne relève pas de l’expression d’une opinion personnelle, mais de l’exercice d’une liberté fondamentale qui doit être protégée et garantie en tant que telle.
Elle s’inscrit dans la démarche d’égalité réelle entre les femmes et les hommes poursuivie depuis 2012 afin de permettre aux femmes de choisir leur avenir en totale liberté.
La commission des affaires sociales examine la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, Mmes Catherine Coutelle, Catherine Lemorton, Maud Olivier et plusieurs de leurs collègues relatives à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse sur le rapport de Mme Catherine Coutelle (n° 4118), lors de sa séance du mercredi 23 novembre 2016.
Mme la présidente Catherine Lemorton. La proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, que nous abordons ce matin, sera examinée en séance publique jeudi 1er décembre.
Mme Catherine Coutelle, rapporteure. La présente proposition de loi a pour objet d’étendre le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) aux nouvelles pratiques trompeuses déployées aujourd’hui sur internet. Elle repose sur deux convictions.
Le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, reconnu par la loi du 27 janvier 1993, a pour objet de garantir l’accès à l’IVG pour toutes les femmes. Le choix de recourir à l’IVG ne relève pas de l’expression d’une opinion personnelle. Alors qu’un débat sur ce sujet agite aujourd’hui l’opinion publique, je le dis, c’est l’exercice d’une liberté fondamentale qui doit être protégée et garantie en tant que telle. Nous avons, d’ailleurs, en 2014, adopté, à l’unanimité des groupes, une proposition de résolution visant à réaffirmer que l’IVG est un droit fondamental. C’est pourquoi l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse est un délit, déjà puni sévèrement par la loi – deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 30 000 euros d’amende.
L’entrave à l’interruption volontaire de grossesse trouve sur internet un nouvel espace où s’exercer. Or internet est souvent la première source d’information en matière de santé, particulièrement pour les plus jeunes, comme le montre un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) de 2013. Parmi les quinze-trente ans, plus de 57 % de femmes et 40 % d’hommes utilisent internet pour se renseigner sur des questions relatives à la santé ; 80 % des jeunes qui y ont recours jugent crédibles les informations recueillies, sans vérifier l’origine des sites ni la fiabilité de ceux qui les alimentent.
Face à la multiplication des pratiques trompeuses sur internet, il est crucial d’agir contre la désinformation en matière d’IVG. Cette désinformation volontaire est une stratégie de lobbies. Ces lobbies ne s’expriment pas dans le simple but de partager une opinion ; leurs pratiques peuvent aller jusqu’à la pression psychologique et morale sur des femmes enceintes ou des personnels d’établissements pratiquant l’IVG.
Ainsi, certaines femmes s’orientent sans se méfier vers le site IVG.net, qui est le plus connu, car il est très référencé et propose un numéro vert. Une femme de vingt-neuf ans raconte : « On m’a demandé s’il n’y avait pas, au fond de moi, une petite voix me disant que je voudrais garder mon enfant et me conseillant de repousser mon rendez-vous chez le gynécologue ». Cette jeune femme a ensuite été harcelée par sms et au téléphone jusqu’à ce qu’elle accepte de repousser le rendez-vous. Elle ne l’a pas fait et a menacé de déposer plainte. Les sms ont alors cessé. Quand elle s’est tournée vers d’autres structures, comme le Planning familial, elle a raconté comment elle avait été trompée.
Mais il peut parfois être trop tard pour faire pratiquer une IVG, les contacts pris par certains sites promettant des rendez-vous qui n’arrivent jamais. En outre, certains numéros verts indiquent des centres d’IVG qui n’existent pas.
Il suffit donc de creuser un peu pour s’apercevoir que les personnes qui sont derrière ces sites sont tout, sauf neutres. Ainsi, derrière IVG.net, on trouve une association SOS-Détresse, créée par des militants antichoix. Comment s’étonner alors des propos tenus par les personnes qui répondent aux numéros verts indiqués sur ces sites ?
Un chroniqueur de France Inter, vous l’avez peut-être entendu, a appelé un de ces numéros verts en se disant opposé à ce que son amie se fasse avorter. Voici ce qu’on lui a répondu : « 80 % des couples se séparent après une IVG » ; « après une IVG, elle fera une fausse couche » ; « elle va avoir des cauchemars, des angoisses, elle se demandera d’où vient ce mal-être et, dès qu’elle verra un bébé, elle deviendra agressive ».
Ces agissements relèvent sans aucun doute du délit d’entrave à l’IVG, défini à l’article L. 2223-2 du code de la santé publique comme étant « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ». Ce délit d’entrave se caractérise soit par la perturbation de l’accès aux établissements qui pratiquent l’IVG et la libre circulation des personnels médicaux, soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux, des femmes venues subir une IVG ou de l’entourage de ces dernières. Ce délit a été inscrit dans la loi dès 1993, lorsque les antichoix s’attachaient aux grilles des établissements ou empêchaient, voire menaçaient les personnels qui y travaillaient.
La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a étendu ce délit au fait de perturber l’accès des femmes à l’information sur l’IVG. Nous souhaitons compléter à nouveau cet article, en ajoutant que le délit se caractérise « par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant, par voie électronique ou en ligne, des allégations ou indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse. »
Le droit des femmes à disposer de leur corps est aujourd’hui pleinement reconnu par la loi, mais nous devons rester vigilants en permanence. C’est ce que nous faisons ici. C’est pourquoi je m’étonne que les sénateurs aient refusé d’examiner l’amendement initial du Gouvernement sur ce sujet.
M. Dominique Tian. Ils ont bien eu raison !
Mme la rapporteure. S’agissant de la première lecture de la loi relative à l’égalité et la citoyenneté, la règle de l’entonnoir ne s’appliquait pas et l’amendement était tout à fait en rapport avec l’objet du texte.
Ce choix montre qu’il faut continuer à étendre le délit d’entrave. Recourir à l’avortement n’est pas l’expression d’une opinion personnelle, mais l’exercice d’une liberté fondamentale que le législateur se doit de protéger et de garantir en tant que telle.
M. Alain Ballay. Sujet sociétal s’il en est, l’égalité entre les femmes et les hommes occupe toujours la sphère médiatique et plus encore aujourd’hui dans le cadre des débats liés aux primaires. Il est inquiétant de voir qu’à cette occasion, certains hommes politiques puissent souhaiter revenir sur le droit à l’IVG.
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. C’est faux !
Mme Bérengère Poletti. Lamentable ! Scandaleux !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Laissez parler M. Ballay. Vous aurez tout le temps de lui répondre.
M. Alain Ballay. Il n’y a qu’à regarder la presse : la porosité qu’il y a entre certains (Protestations véhémentes des députés du groupe Les Républicains) ...
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je demande à l’opposition de se calmer. (Vives exclamations des députés du même groupe.) Je suspends la séance !
Reprise des travaux après quelques instants de suspension
Mme la présidente Catherine Lemorton. À ceux qui seraient mécontents des propos tenus, je rappelle qu’il n’y a aucune interdiction de prendre la parole. Nous pouvons débattre jusqu’à treize heures, mais je crois me rappeler que, la semaine dernière, certains groupes n’étaient déjà plus présents à douze heures trente. Pour ma part, cela ne me dérange pas de rester là jusqu’à treize heures
M. Ballay va reprendre son intervention.
M. Dominique Tian. Qu’il ne dise pas n’importe quoi ! (Exclamations des députés du groupe Socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente Catherine Lemorton. M. Ballay s’exprime comme il le souhaite. Si vous me cherchez, monsieur Tian, vous allez me trouver : je suspendrai la séance et nous reprendrons à douze heures quarante-cinq. Vous me connaissez, je le ferai !
Vous et votre groupe aurez tout le temps de vous exprimer. Vous êtes neuf. À raison de deux minutes chacun de temps de parole, vous aurez dix-huit minutes pour répondre.
M. Dominique Tian. Ce n’est pas dans les habitudes de la Commission, où l’on parle avec sérénité.
M. Denis Jacquat. Madame la présidente, s’il vous plaît…
Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous n’aurez la parole que quand je vous la donnerai, puisque vous êtes tous inscrits. Si, dans deux minutes, cela continue, je suspends la réunion et nous reprendrons à douze heures trente.
M. Denis Jacquat. Madame la présidente, s’il vous plaît, au nom de la modération…
Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Ballay, veuillez reprendre.
M. Alain Ballay. Je vais m’efforcer de rétablir un climat serein, mais vous ne m’empêcherez pas d’observer ce qui se passe aujourd’hui et d’en tirer certains enseignements.
C’est à Simone Veil que nous devons le droit à l’IVG, qui a considérablement changé la vie des femmes.
M. Denis Jacquat. Simone Veil est des nôtres !
M. Alain Ballay. En effet. Je dis cela pour vous calmer.
M. Denis Jacquat. Je ne suis pas un excité. Mais qui est ce con ? (Vives protestations des députés du groupe Socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je suspends la séance ! Nous reprendrons à douze heures quinze.
Reprise des travaux après une suspension de deux heures trente.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je souhaite revenir sur le grave incident de ce matin.
L’orateur du groupe majoritaire, Alain Ballay, a pris la parole après que notre rapporteure, Catherine Coutelle, a présenté la proposition de loi émanant du groupe Socialiste, écologiste et républicain. Pendant son intervention, il a, d’une phrase, évoqué un sujet qui a fait l’objet de nombreux propos à l’occasion de la primaire de la droite – la gauche organisera la sienne en son temps. Il n’est pas inhabituel d’avoir, en ces périodes, une petite phrase sur les sujets qui s’imposent à nous au travers des médias. J’ai moi-même entendu, hier, les deux candidats encore en lice dans la primaire de la droite parler de sujets récurrents : l’IVG, à propos duquel il s’agissait de savoir si l’un des deux candidats était plus soucieux des droits des femmes ; la réduction du nombre de fonctionnaires, que l’un voulait porter à 500 000 et l’autre à 300 000. Ce n’est pas le groupe Socialiste, écologiste et républicain qui a lancé le débat sur ces sujets. Cela s’est passé en dehors de l’Assemblée nationale.
La petite phrase qu’a prononcée M. Ballay n’avait rien de méchant. Il arrive à l’opposition d’en faire autant à propos de sujets lancés par les groupes de la majorité. En tout cas, elle n’avait rien à voir avec la réaction « quasi hystérique » qu’elle a provoquée. En entrant dans la salle, ce matin, j’ai eu l’impression d’entrer dans une bouteille de gaz qu’une étincelle suffirait à faire exploser. Et ce fut le cas. Je regrette que les caméras ne filment pas intégralement ce qu’il se passe. En l’occurrence, j’ai vu des députés debout, hurlant et vociférant. J’ai entendu, je cite : « C’est un connard ». J’ai eu un doute, mais j’ai entendu ensuite : « Qui est ce con ? ». C’est tout à fait audible sur la vidéo.
Puis, alors que nous reprenons nos travaux après la suspension, j’entends encore : « De toute façon, il n’est que suppléant ! » M. Ballay, qui a remplacé notre regrettée Sophie Dessus, décédée trop tôt, vaut autant qu’un autre député. Tout comme, je le dis moi-même souvent, un député de l’opposition est égal à un député de la majorité. Lorsqu’il arrive un drame, comme un décès, ou lorsqu’un député est nommé ministre, les suppléants deviennent députés, et ils ont la même légitimité. Ces trois propos m’ont heurtée à titre personnel comme ils ont heurté l’ensemble des députés des groupes majoritaires. J’ai donc interrompu la réunion afin que nous puissions reprendre nos débats dans des conditions normales.
Je tiens à souligner, pour les gens qui nous regardent, que contrairement à ce qu’on peut lire dans les communiqués de presse, il n’a jamais été question de refuser la parole à qui que ce soit. J’ai regardé la vidéo. J’ai dit que vous auriez tout le temps de parole que vous vouliez puisque les groupes peuvent s’exprimer chacun cinq minutes et qu’ensuite, tout député qui le souhaite peut intervenir, quitte à ce que nos débats nous entraînent jusqu’à treize heures ou treize heures quinze, ce qui est tout à notre honneur, d’ailleurs. J’avais donc l’intention de donner la parole à tout le monde. Certes, l’IVG est toujours un sujet délicat, mais la phrase de M. Ballay n’aurait pas dû susciter une telle crise d’hystérie. J’invite chacun d’entre vous à aller regarder la vidéo de ce qu’il s’est passé ce matin entre 9 heures 30 et 9 heures 45.
Je souhaiterais maintenant que nous en revenions tranquillement à l’examen de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Door. Madame la présidente, j’ai essayé, sans succès, de vous joindre au téléphone, ce matin, vers 9 heures 40.
Mme la présidente Catherine Lemorton. J’assistais à une réunion de groupe.
M. Jean-Pierre Door. Après avoir débattu avec certains de mes collègues qui étaient présents au début de la réunion, j’ai été chargé, au nom de groupe, de faire une déclaration.
L’orateur du groupe Socialiste, écologiste et républicain a porté une accusation inadmissible et infondée contre notre groupe. C’est une calomnie, une manipulation politique qui empêche la tenue d’un débat équilibré et intelligent, surtout au sein d’une commission, qui n’a pas à entrer dans ces considérations. Dans ces conditions, nos débats, aujourd’hui, ne peuvent pas se dérouler sereinement. Notre groupe ne siégera donc pas ici ce midi.
M. Denys Robiliard. Même pas pour faire des excuses ?
M. Jean-Pierre Door. Vous pourriez en faire aussi de votre côté !
M. Bruno Le Roux. J’ai souhaité intervenir au titre de président du groupe Socialiste, écologiste et républicain, et signataire de la proposition de loi.
Madame la présidente, vous avez dit ce qu’il fallait concernant cette séance. Comme je n’étais pas présent tout à l’heure, je me contenterai de rappeler que, quels qu’ils soient, les débats en commission et dans l’hémicycle ne sont jamais que des débats techniques qui s’appuient sur une actualité. Je conçois que puisse poser difficulté le fait que ce texte, adopté par mon groupe il y a seulement quelques jours, ait été inscrit dans l’urgence à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Cette inscription résulte du recours au Sénat, dans le cadre de la navette, à une procédure inusitée pour que le délit d’entrave à l’IVG que l’on constate aujourd’hui ne puisse pas être examiné ni intégré dans la loi. L’incident d’aujourd’hui ne relève pas simplement d’une question d’actualité ; il est lié à l’utilisation d’une procédure visant à empêcher l’adoption d’un texte par le Parlement. Les débats politiques de ces derniers jours ne font qu’ajouter à cela.
Je suis venu ici pour rappeler tout l’attachement que le groupe majoritaire porte à ce texte et au fait qu’il puisse être adopté le plus rapidement possible. Pour ce qui est des relations entre les députés, vous avez dit vous-même, madame la présidente, ce qui était admissible et ce qui ne l’était pas : sont admissibles les débats qui portent sur les textes en examen et la situation politique de notre pays sur ces sujets ; sont inadmissibles les invectives et les tentatives de déstabilisation ou d’atteinte à un parlementaire. Je dirais la même chose si un député de mon groupe invectivait un autre député, quel qu’il soit.
Madame la présidente, je sollicite de votre commission qu’elle poursuive ses travaux sur ce texte afin qu’il puisse être débattu lors de la semaine d’initiative parlementaire, selon l’ordre du jour que nous avons fixé, à ma demande, en conférence des présidents.
M. Philippe Vigier. Comme Bruno Le Roux, je n’étais pas présent à l’ouverture des débats.
J’ai une pensée pour Simone Veil, carte maîtresse de ma famille politique, qui, en 1975, a mené ce combat sur le sujet si difficile de l’IVG. Elle l’a mené avec un courage et une détermination que nul, ici, ne peut contester.
S’agissant de questions si graves, on ne peut pas tomber dans la caricature. Comme l’a dit Bruno Le Roux, nos débats doivent avoir lieu dans un respect mutuel entre parlementaires de l’opposition et de la majorité. La représentation nationale ne peut pas faire ou dire n’importe quoi, parce que les Français nous regardent.
Vous connaissez l’attachement que nous portons à cette immense avancée pour les femmes. Tout comme notre famille politique n’a jamais manqué un rendez-vous pour avancer sur ce texte, je serai présent dans l’hémicycle, le 1er décembre, pour avancer à vos côtés, au nom de mon groupe et apporter notre vision des choses dans le débat. Comme vous, nous avons constaté le délit d’entrave à l’IVG. Il faut trouver des moyens pour condamner ceux qui se servent aujourd’hui des moyens numériques et d’internet pour exercer des pressions morales et empêcher, par divers procédés, les femmes d’accéder aux centres où elles pourraient être prises en charge. Néanmoins, la matière requiert une démarche équilibrée et l’emploi de moyens aussi bien dissuasifs qu’incitatifs.
Sachez que, sur des questions aussi graves, nous serons toujours là. Avec ma famille politique – que toutes les familles politiques ont fini par suivre –, nous insistons sur notre attachement à ce droit. À quelques exceptions près, l’immense majorité sait qu’il est des sujets sur lesquels nous devons nous rassembler. Et nous avons su être présents sur les textes concernant le terrorisme et l’état d’urgence.
Aussi, ne comptez pas sur nous pour faire de la surenchère ni pour tomber dans l’invective. Nous accompagnerons toutes les mesures visant à préserver ce droit pour les femmes, sans prosélytisme exacerbé. Ne tombons pas dans la caricature qui est du niveau de la primaire ; ici, c’est le Parlement. Que je sache, ni vous ni moi ne sommes candidats à l’élection présidentielle, mais chacun devra prendre ses responsabilités.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je redonne la parole à l’orateur du groupe Socialiste, écologiste et républicain, pour les deux minutes trente qui lui restent.
M. Alain Ballay. J’invite ceux qui n’étaient pas présents ce matin à se référer à l’enregistrement, à écouter les propos que j’ai tenus et qui, à mon avis, ne méritaient pas un tel déchaînement ni d’insulte.
Pour nous, socialistes, l’IVG est un droit fondamental. Nous l’avons rappelé notamment en 2014, par une résolution issue de nos rangs et signée par l’ensemble des autres groupes. Cette résolution a été adoptée à la quasi-unanimité de l’hémicycle. L’IVG est bien un droit fondamental mais nous observons que des débats demeurent. On peut s’en étonner, plus de quarante ans après la loi Veil.
En quoi les socialistes souscrivent-ils au contenu de cette PPL ? Il n’est pas normal d’induire en erreur des femmes qui souhaitent exercer un droit – je dis bien un droit – qui leur est reconnu. Une entrave à l’IVG, c’est un délit ; une entrave à l’IVG sur internet, c’est le même délit. Il est important que la loi le précise, compte tenu de la multiplication des sites.
De quoi parle-t-on ? De sites qui avancent masqués. De sites qui prennent souvent l’apparence de sites officiels du Gouvernement. De lignes téléphoniques où les interlocuteurs découragent les femmes sans dire qu’ils sont là pour ça. Ces méthodes sont odieuses. Il ne s’agit pas de l’exercice d’une liberté d’opinion ; ce sont des tentatives de limitation de l’exercice d’un droit fondamental.
Pour cette raison, le groupe Socialiste, écologiste et républicain soutient pleinement la proposition de loi.
Mme Dominique Orliac. Les auteurs de la proposition de loi reconnaissent le droit de chacun à exprimer son opinion, ce qui relève de la liberté d’expression. En revanche, ils estiment problématique que des sites internet induisent délibérément en erreur, intimident, exercent des pressions afin de dissuader de recourir à l’IVG. Notre groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste est totalement de cet avis. Il partage aussi le constat que, la plupart du temps, ces sites se font passer pour des outils purement informatifs et omettent de signaler clairement les opinions anti-IVG de leurs auteurs ; ils utilisent souvent les codes des sites web officiels en proposant notamment des numéros verts.
À l’instar des cosignataires, nous déplorons que ces sites arrivent souvent en tête lors du lancement de moteurs de recherche sur ce thème, avant même ceux du ministère des affaires sociales et de la santé. J’ai fait le test hier soir sur un célèbre moteur de recherche américain. J’ai pu constater que le premier site référencé était celui du Gouvernement, et que le deuxième était l’un de ceux dont je viens d’évoquer les caractéristiques. Ce site de plusieurs pages mettait en avant un numéro vert et des témoignages divisés en rubriques intitulées « J’ai mal vécu l’IVG », « J’ai bien vécu l’IVG » et « Je l’ai gardé ». Même les témoignages regroupés dans la rubrique « J’ai bien vécu l’IVG » sont plutôt négatifs.
Il n’y a pas vraiment d’informations sur les détenteurs du site. Ceux-ci disposent néanmoins d’un numéro SIRET (Système informatique pour le répertoire des entreprises sur le territoire), ce qui permet aux visiteurs de faire un don via le site. Les personnes les plus averties peuvent consulter la liste des abonnés du compte Twitter du site et se faire une idée de l’orientation de ses auteurs : des comptes revendiquant leurs valeurs chrétiennes, des comptes locaux du collectif Sens Commun, la Fondation Lejeune ou encore des membres du Parti chrétien-démocrate et quelques curés adeptes des tweets.
Notre groupe des radicaux de gauche et apparentés est attaché à la liberté d’expression et d’opinion. Cependant, en matière d’information sur l’IVG destinée au grand public, seuls les sites gouvernementaux et de surcroît non lucratifs doivent être mis en valeur. Les femmes mais aussi les hommes – cette décision peut concerner un couple – doivent pouvoir être orientés en premier lieu vers les sites gouvernementaux afin de bénéficier d’une explication neutre, objective et impartiale. Les professionnels de santé pourront prendre le relais et répondre au mieux aux interrogations des personnes concernées.
J’ai consulté le site ivg.social-sante.gouv.fr. La redirection ivg.gouv.fr est bien plus efficace que ces longues adresses URL remplies de tirets et de points, dont le citoyen ne comprend pas forcément le sens. Je profite de mon intervention pour vous alerter sur le fait que si l’URL simple ivg.gouv.fr est bien inscrite en titre sur le site du ministère des affaires sociales et de la santé, les redirections ne sont pas souvent prises en compte dans les moteurs de recherches et les sites sources ont plus de chance d’être référencés. Aussi, serait-il utile que le site service-public.fr renvoie vers le site du Gouvernement, non pas avec l’URL ivg.social-santé.gouv.fr mais avec une URL de redirection simple faisant ainsi remonter l’URL ivg.gouv.fr dans les moteurs de recherche. Cela semble bien compliqué mais ce serait beaucoup plus efficace.
Les membres de notre groupe pensent qu’il est important de lutter contre la désinformation. À l’heure du tout numérique, une communication simple de l’État et des pouvoirs publics est nécessaire. Cette communication numérique passe par des URL très simples qui auront plus d’impact que les trop nombreuses URL à rallonge qui foisonnent sur les sites de l’administration et des pouvoirs publics.
Nous souscrivons donc pleinement à l’article unique de cette proposition de loi. Nous voterons évidemment pour un texte qui s’inscrit dans la volonté manifestée par la majorité depuis 2012 : faciliter les démarches ; rendre gratuits et anonymes les consultations et les actes relatifs à l’IVG ; mener des politiques publiques adaptées à la problématique de l’IVG.
Mme Chaynesse Khirouni. Depuis la loi Veil, l’interruption volontaire de grossesse est dépénalisée et elle donne aux femmes la possibilité d’avorter dans des conditions sûres et légales. Ce droit fondamental à pouvoir disposer de leur corps, les femmes l’ont obtenu de haute lutte, après des dizaines d’années de combat contre les éléments les plus réactionnaires de la société. Nous avons longtemps cru que ces avancées étaient irréversibles. Pourtant, nous devons bien convenir qu’il nous faut encore réaffirmer que le droit à l’avortement n’est pas une opinion mais bien une liberté fondamentale pour toutes les femmes.
Tout comme vous, madame la rapporteure, j’observe la force et la vigueur des activistes et des lobbyistes anti-IVG qui disposent de solides relais au sein même de notre Parlement. Durant cette législature, nous avons déjà dû, dans cette commission, nous opposer vivement à l’initiative d’une vingtaine de députés de droite qui, en 2014, souhaitaient dérembourser l’interruption volontaire de grossesse, considérant que la suppression de la notion de détresse interdit tout remboursement de l’avortement par la sécurité sociale puisque l’acte devient un libre choix. Pour d’obscurs motifs juridiques, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, la majorité sénatoriale a refusé d’examiner un amendement gouvernemental qui proposait d’étendre le délit d’entrave à l’IVG à toute action visant à bloquer l’information.
Alors oui, il est plus qu’urgent de lutter contre l’influence grandissante et préoccupante de ces sites anti-IVG ne s’affichant pas comme tels et qui diffusent des informations faussées sur l’IVG ou ses conséquences. Dotés d’un numéro vert fonctionnant sept jours sur sept, ils prétendent être à l’écoute des femmes dans le but de les aider à prendre la bonne décision. En réalité, ils orientent les choix. C’est ainsi qu’ils inondent leur site de témoignages de femmes qui ont mal vécu leur IVG et le regrettent. Ils se focalisent sur les risques encourus et les amplifient : hémorragies, affections, embolies, stérilité, accouchements prématurés lors de grossesses ultérieures. Ils affirment que les tentatives de suicide sont six fois plus élevées parmi les adolescentes qui ont eu recours à un IVG.
Oui, il est plus qu’urgent de sanctionner ceux qui tentent de culpabiliser les femmes afin de les dissuader de recourir à l’IVG, niant la capacité de ces dernières à décider, à faire leur propre choix.
M. Philippe Noguès. L’IVG est un droit fondamental, fruit d’un long combat mené par les femmes mais aussi les hommes de notre pays. Si nous considérons, à l’instar d’une majorité de nos concitoyens, que ce droit est acquis et immuable, il nous faut, malgré tout, rester vigilants, compte tenu des mouvements réactionnaires que nous pouvons observer en France et en Europe.
Au milieu des années 1970, les opposants à l’IVG se montraient au grand jour et se constituaient en association. Ici même, à l’Assemblée nationale, un forcené anti-IVG avait pris en otage une journaliste, lors de la deuxième journée des débats sur la loi Veil. Actuellement, le combat se joue ailleurs et emploie un mode opératoire différent. Les anti-IVG sont en passe de remporter une bataille en ligne : lorsqu’on tape IVG sur un moteur de recherche, ce n’est pas le site du ministère de la santé qui arrive en premier mais une page ayant une apparence officielle avec un numéro vert, visant à désinformer ou à exercer des pressions psychologiques sur la personne qui la consulte.
Outre une entrave caractérisée au droit à l’avortement, ce genre de site constitue également une entrave à l’action des pouvoirs publics en matière de santé sur internet, qui est le premier moyen d’information des jeunes. Puisque le combat a changé de terrain, il est primordial d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société. C’est ce que fait cette proposition de loi à laquelle je vais évidemment apporter ma voix.
M. Michel Liebgott. Tout d’abord, je veux apporter mon soutien à Alain Ballay. Je suis très surpris et même choqué que de tels propos aient pu être tenus à son encontre par un élu de mon département, d’autant plus qu’il n’est pas dans les habitudes de celui-ci de s’exprimer de cette manière.
Dans le portrait social de la France, publié hier, il apparaît que les jeunes âgés de dix à vingt-cinq ans sont davantage victimes de toutes les formes de violence que les autres classes d’âge de la population. Je pense en particulier à ces jeunes qui, par manque de vécu, ne savent pas éviter des situations dramatiques. Dans ce portrait social, un autre chiffre m’a choqué : 21 % des hommes nés en 1986 et 1987 ont été condamnés au moins une fois pour des faits commis lorsqu’ils avaient entre dix et vingt-quatre ans ; c’est-à-dire que parmi les hommes nés durant deux années étudiées, un sur cinq a été condamné avant l’âge de vingt-cinq ans. C’est dire s’il y a des fragilités et si, dans le domaine de l’IVG comme dans d’autres telles les maladies sexuellement transmissibles (MST), nous devons rester mobilisés. Par manque de recul, les jeunes risquent d’hypothéquer considérablement la qualité de leur vie à venir.
Dans l’un des amendements de M. Jacques Bompard, je lis ceci : « est puni de 30 000 euros d’amende tout moyen de communication faisant la promotion de la culture de mort. » Il y a de quoi être effrayé. Cela devrait nous interpeller, quel que soit le banc où nous siégeons. À cet égard, je me réjouis des propos que vient de tenir Philippe Vigier. Nous n’oublions pas l’apport de Simone Veil et de ceux qui ont voté pour la loi légalisant l’avortement.
Mme Edith Gueugneau. L’examen de cette proposition de loi à laquelle je me suis associée intervient dans un contexte particulier. Pour beaucoup d’entre nous, le droit à l’interruption volontaire de grossesse, chèrement acquis, fait écho à celui des femmes et des jeunes filles à disposer de leur propre corps. Or, en 2016, ce droit est questionné par les plus réactionnaires, quand il n’est pas purement et simplement remis en cause.
Lorsque les conservateurs espagnols de Mariano Rajoy ont voulu restreindre ce droit en 2014, on croyait que la tentative était isolée. Or ils ont fait des émules. À chaque fois, le pire est évité grâce à une grande mobilisation populaire, comme le mouvement des femmes en noir en Pologne. L’élection de Donald Trump aux États-Unis est loin d’être le signe le plus encourageant qui puisse être donné pour la préservation de ce droit. Et voilà qu’en France, à l’occasion des élections primaires de la droite, le résultat des votes témoigne d’un renoncement à aller de l’avant, voire d’une volonté de reculer.
Je tiens à dénoncer vigoureusement ce conservatisme qui se permet de rayer le combat féministe, celui de beaucoup d’entre nous. De même, ce mouvement réactionnaire nie la réalité : l’avortement n’est pas un plaisir ; il sauve souvent la vie de jeunes filles qui sont dans la détresse et qu’il convient de toujours mieux informer et accompagner.
À ce titre, je tiens à saluer l’engagement du Gouvernement qui, depuis 2012, mène une action résolue pour renforcer l’accès à l’IVG : remboursement à 100 % par l’assurance maladie ; possibilité pour les sages-femmes d’effectuer des IVG médicamenteuses ; élaboration d’un plan d’accès à l’avortement dans chaque région afin de permettre une meilleure prise en charge des femmes sur l’ensemble du territoire.
Les premières évaluations de l’impact de ces mesures montrent la cohérence de l’ensemble du dispositif et l’urgence qu’il y avait à le mettre en place. La proposition d’étendre le délit d’entrave vient utilement rappeler nos valeurs et leur importance dans notre société. À la lecture de certains amendements, je constate qu’il faut toujours rester sur nos gardes et poursuivre la résistance. La liberté de chacune en vaut largement la peine.
M. Philip Cordery. Depuis plusieurs années, sous l’influence de nombreux groupuscules militants réactionnaires, l’Europe est en proie à des attaques de plus en plus significatives contre le droit à l’IVG. Pour ne prendre que deux exemples récents, je citerai l’Espagne et la Pologne. En décembre 2013, le gouvernement de Mariano Rajoy proposait un avant-projet de loi visant à interdire l’avortement, à quelques rares exceptions près. Après une mobilisation massive, les parlementaires ont adopté une version assouplie du texte, mais les mineures doivent désormais requérir le consentement de leurs parents pour pouvoir avorter. Nous gardons aussi tous à l’esprit l’extraordinaire mobilisation des Polonais face à la proposition de loi destinée à élargir l’interdiction de l’avortement. Cette mobilisation a payé puisque le texte a été abandonné.
Rien n’est donc acquis. Il faut se battre tous les jours, y compris en France, pour que le droit à l’avortement soit plein et entier, surtout quand on voit l’avenir que dessinent certains programmes présidentiels. C’est bien le renforcement de ce droit que notre majorité propose en voulant élargir le délit d’entrave à l’IVG. Chaque personne physique ou morale qui colporte de fausses informations sur l’avortement, dans le but de convaincre une femme de ne pas y avoir recours, doit être sanctionnée sur le plan pénal. C’est par cette lutte quotidienne contre l’obscurantisme que nous permettrons aux droits des femmes de rayonner dans notre pays et, je l’espère, dans un futur très proche, dans une Europe aussi progressiste.
Je soutiens pleinement ce texte et je remercie vivement Bruno Le Roux et Catherine Coutelle d’avoir pris l’initiative de le déposer.
M. Christophe Cavard. Je pense qu’il est très important de compléter notre arsenal législatif pour viser l’entrave à l’IVG qui se manifeste notamment sur internet et les réseaux sociaux. Grâce aux combats passés, les femmes ont acquis des droits fondamentaux. Ces combats entrent en résonance avec des luttes actuelles, auxquelles plusieurs collègues ont fait référence, et avec des craintes que nous pouvons avoir face aux prises de position de régimes très conservateurs ou d’extrême droite. Nous apportons un soutien sans faille à cette proposition de loi.
Cela étant, ce texte rejoint d’autres réflexions que nous menons sur l’application de notre droit national dans un monde numérisé où les sites et leurs responsables peuvent être situés en dehors de l’hexagone. Dans ce contexte, peut-on imaginer une sanction qui soit la fermeture des sites incriminés ? Ce débat, qui dépasse notre sujet du jour, est compliqué en termes de libertés publiques. Pourriez-vous nous donner votre avis sur ce point, madame la rapporteure ?
M. Philippe Vigier. La suggestion de fermer les sites, formulée par notre collègue Cavard, m’incite à reprendre la parole. La fermeture de sites me semble une bonne idée, car il est difficile de maîtriser la communication sur internet. Une fois saisi à propos du contenu d’un site, le juge devra interpréter, bien ou mal, l’appréciation médicale donnée par les instances autorisées. Si le délit d’entrave est avéré, on ne doit pas le laisser perdurer, quitte à fermer des sites. Comme l’a expliqué Dominique Orliac, l’autorité publique doit maîtriser cette communication.
En réponse à une intervention, je souligne que les deux finalistes aux élections primaires de la droite et du centre ne remettront pas en cause l’IVG. En tout cas, je vous le dis avec gravité, dans ma famille politique, jamais nous ne laisserons remettre en cause ce droit. Il faut que les choses soient dites clairement. Nous avons porté cette idée avec d’autres, dont des gens de gauche.
Monsieur Ballay, veuillez ne pas m’interrompre, c’est une question de respect mutuel. Vous venez d’arriver dans cette maison, apprenez qu’on ne doit pas s’essuyer les pieds sur le respect mutuel comme sur un paillasson. Sur le fond de ce débat, nous sommes d’accord. De grâce, n’offrons pas un spectacle qui serait désastreux aux yeux de nos compatriotes ! Avec autant de fermeté, je dis que tous ceux qui voudraient revenir sur ce droit essentiel nous trouveront sur leur route, et aussi déterminés. Sur des sujets aussi graves qui concernent les femmes, nous devons agir dans le respect mutuel, l’écoute et la concorde.
Mme la présidente Catherine Lemorton. De toute façon, les votes parleront le 1er décembre.
Mme Monique Iborra. Mon cher collègue du centre, dans le cadre de votre primaire, certains posent des questions très précises sur la position de M. François Fillon concernant l’IVG, et ce ne sont pas des parlementaires de notre groupe. Vous ne pouvez pas nier cette réalité, sur laquelle nous ne surfons pas du tout. Simone Veil a, en effet, été très courageuse et elle reste pour nous une référence. Nous constatons néanmoins que ce droit est remis en cause. Nous n’en sommes pas étonnés : il sera toujours remis en cause. Il est normal que nous réagissions. Ce qui s’est passé ce matin est inadmissible. Vous n’étiez pas là. Il y a une cohérence : vous êtes à la fois à droite et au centre. Le centre que vous représentez est, pour le moment, favorable à ce qui est défendu ici mais remis en question par les primaires de droite. C’est la réalité.
Article unique
(Art. L. 2223-2 du code de la santé publique)
Extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse
Cet article vise à étendre le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse aux pressions psychologiques et morales sur internet.
1. Le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse : un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende
a. L’interruption volontaire de grossesse avant la douzième semaine de grossesse : un équilibre entre respect de la personne humaine, exercice de la liberté individuelle et du droit des femmes à disposer de leur corps.
L’article 16 du code civil dispose que : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Cet article est rappelé par la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Toutefois, l’article 4 de la loi du 17 janvier 1975, disposait que : « la femme enceinte que son état place en situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la dixième semaine de grossesse ».
Dès lors, s’est posée pour le législateur la question de l’équilibre entre la dignité humaine, l’exercice d’une liberté individuelle consacrée par la loi et le respect du droit des femmes à disposer de leur corps. Le débat a été tranché par le Conseil constitutionnel dès 1975.
Après avoir rappelé que la loi ne peut porter atteinte au respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu’en cas de nécessité et de manière limitée, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 a jugé que la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’était nullement contraire à un quelconque principe fondamental reconnu par les lois de la République ou à un principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 « selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé », non plus qu’à aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle.
La prolongation du délai, porté de dix à douze semaines, a donné l’occasion au Conseil constitutionnel de réaffirmer sa jurisprudence. Ainsi, il a estimé que le législateur n’a pas rompu « l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 (1) de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (2) ». L’IVG, avant la douzième semaine de grossesse, repose de ce fait uniquement sur la volonté de la femme enceinte puisque sa décision d’interrompre ou pas sa grossesse ne porte atteinte à aucun autre être humain (3).
En conséquence, empêcher ou tenter d’empêcher l’exercice d’une liberté individuelle reconnue par la loi devient un délit conformément à l’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui prévoit que « tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché ». Le délit d’entrave trouve là sa justification.
D’autant plus que la situation de détresse initialement prévue dans la loi dépénalisant l’avortement n’a jamais été perçu comme une condition devant être évaluée par un tiers mais comme une appréciation subjective par la femme enceinte elle-même. De ce fait, il s’agissait dès 1975 de la simple manifestation de la volonté de la femme. Le législateur a clarifié la situation dans la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes en supprimant toute référence à l’état de détresse et en soulignant simplement la volonté de la femme enceinte sans autre forme de justification (4).
In fine, l’article L. 2212-1 du code de la santé publique en vigueur dispose désormais que : « la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse ».
La liberté de la femme enceinte est enfin affirmée de manière claire et non équivoque dans la loi.
b. Le délit d’entrave
L’entrave, considérée comme une tentative d’empêcher un être de jouir de ses droits reconnus par la loi, constitue un délit.
De ce fait, la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social reconnaît pour la première fois le délit d’entrave à l’IVG.
Ainsi, l’article L. 2223-2 du code de la santé publique dispose qu’ : « est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables [à une interruption volontaire de grossesse] ».
L’article précité précise que le délit d’entrave se caractérise de deux manières :
– par la perturbation de l’accès aux établissements pratiquant des interruptions volontaires de grossesse, en entravant la libre circulation des personnels médicaux et non médicaux ou des femmes enceintes ;
– par l’exercice de pressions morales et psychologiques, de menaces ou tout autre acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux ou non médicaux ou des femmes venues subir une IVG, ainsi que leur entourage ;
La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a étendu le délit d’entrave à la perturbation de l’accès aux femmes à l’information sur l’IVG.
c. Le délit d’entrave ne s’oppose pas à la liberté d’opinion
Dès 1996, la Cour de cassation a estimé que le droit à la liberté d’opinion et à la liberté de manifester ses convictions, consacré par l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qui peut s’exprimer en public ou en privé, « peuvent être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui (5) ».
2. Internet, un nouveau lieu où s’exerce l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse qu’il convient de circonscrire
a. Permettre le libre choix des femmes
Le délit d’entrave a été créé à une époque où des militants défavorables à la légalisation de l’IVG venaient perturber physiquement l’accès aux établissements de santé en s’enchaînant devant les portes.
La peine encourue a dissuadé ce genre de pratique. Toutefois, le délit d’entrave n’a pas disparu pour autant. Il s’exerce simplement autrement, notamment à travers des sites internet diffusant des informations fausses visant à dissuader les femmes enceintes désireuses de subir une interruption volontaire de grossesse ou qui s’informent sur cette éventualité.
La présente proposition de loi ne vise ni à favoriser l’interruption volontaire de grossesse ni à la décourager. Son seul objectif est de permettre aux femmes qui le désirent d’accéder à leurs droits sans pression physique ou psychologique d’aucune sorte. L’extension proposée du délit d’entrave n’invente donc pas un nouveau délit mais permet simplement la pleine sanction d’un délit présent dans le droit positif depuis 1993.
b. Le dispositif proposé
L’article unique de la proposition de loi introduit un troisième type d’action caractéristique du délit d’entrave. En effet, il prévoit que le délit d’entrave est constitué lorsque sont diffusés ou transmis « par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse » ou à « exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant » sur l’IVG.
La rapporteure estime que la rédaction de l’article pourrait être interprétée comme une tentative de contrôle de l’objectivité de l’information sur internet alors que l’intention du législateur est simplement de rendre pleinement effectif le délit de pression psychologique et moral exercé sur les femmes cherchant des informations sur l’IVG à travers internet ou sur les personnels médicaux.
Pour clarifier cette intention, elle proposera donc à la commission un amendement de rédaction globale de l’article visant à mentionner clairement les moyens de communication par voie en ligne comme nouveaux moyens relevant des pressions morales et psychologiques, des menaces et de l’intimidation déjà constitutives d’un délit d’entrave aux termes de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique.
En effet, une opinion explicitement exprimée relève des principes de liberté d’expression et d’opinion qu’il ne s’agit pas ici de remettre en cause. En revanche, induire délibérément en erreur, intimider et/ou exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader de recourir à l’IVG, comme le font certains sites internet, se situe sur un tout autre terrain. C’est ce qui est visé par la présente proposition de loi.
*
La Commission en vient à la discussion de l’article unique de la proposition de loi.
La Commission examine l’amendement AS33 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Tout en présentant cet amendement qui propose une nouvelle rédaction de l’article unique, je vais essayer de répondre à Christophe Cavard.
Il est compliqué de légiférer sur internet, j’en ai fait l’expérience lors de l’élaboration du texte sur la prostitution, lorsque nous avons voulu prévoir la fermeture de sites. Dans le présent texte, il n’est pas question de fermer les sites.
Nous visons les sites qui font de la propagande contre l’IVG. À ma connaissance, monsieur Vigier, il n’y a pas de site qui fasse de la propagande pour l’IVG. Nous voulons que les personnes qui désirent recourir à une IVG obtiennent une information qui soit la plus sereine et exacte possible, surtout en ce qui concerne le chemin à suivre. Nous ne visons pas les sites d’opinion. Nous visons ceux qui prennent une apparence officielle – y compris dans la forme, le visuel, la mise en place d’un numéro vert – pour donner de fausses informations, pour faire pression sur les personnes ou retarder les prises de rendez-vous. Nous nous battons contre ces sites qui trompent, mentent, falsifient la réalité.
Pour ne pas encourir la censure du Conseil constitutionnel, qui tient à juste titre à la liberté d’information, je vous propose de compléter l’article L. 2223-2 du code de la santé publique qui dispose : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 : soit en perturbant de quelque manière que ce soit l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ; soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »
L’amendement propose de compléter ainsi cet article : « par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse. »
Nous ciblons clairement les sites qui désinforment de manière volontaire et masquée.
La Commission adopte l’amendement.
L’article unique est ainsi rédigé.
En conséquence, la proposition de loi est adoptée modifiée.
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA RAPPORTEURE
Ø Le Planning Familial – Mme Caroline Rebhi et Mme Véronique Séhier, co-présidentes
Ø Ivg.net – Mme Marie Philippe, fondatrice du site et de la plateforme téléphonique, Mme Claire de Beausse, docteur en droit et responsable juridique de l’association, et M. Grégor Puppinck, docteur en droit et juriste en droit européen auprès de la Cour européenne des droits de l’homme
1 () « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »
2 () Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001.
3 () « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que la Loi ». Article 3 de la déclaration précitée.
4 () Le Conseil constitutionnel a considéré que la suppression de toute référence à l’état de détresse ne rompait pas l’équilibre entre le respect de l’être humain dès le commencement de la vie et le principe de liberté (décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014).
5 () Cour de cassation, chambre criminelle, le 31 janvier 1996, 95-81.319.