N° 4298 - Rapport de M. Pascal Popelin sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (n°4295).




N° 4298

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI
prorogeant l’application de la loi
n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (n° 4295)

PAR M. Pascal POPELIN

Député

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SOMMAIRE

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Pages

I. UN NÉCÉSSAIRE PROLONGEMENT DE L’ÉTAT D’URGENCE 7

A. L’ADOPTION DE MESURES PÉRENNES RENFORÇANT L’ARSENAL LÉGISLATIF DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME … 7

B. … N’EXCLUT PAS QUE L’ÉTAT D’URGENCE SOIT NÉCESSAIRE POUR FAIRE FACE À L’ORGANISATION DES PROCHAINES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES… 9

C. … DANS UN CONTEXTE DE MENACE TERRORISTE PERSISTANTE 11

II. UNE PROROGATION DE L’ÉTAT D’URGENCE RENFORCÉ JUSQU’AU 15 JUILLET 2017 13

A. LES PERQUISITIONS ADMINISTRATIVES RESTERONT POSSIBLES 13

B. LIMITER DANS LE TEMPS L’ASSIGNATION À RÉSIDENCE EN L’ABSENCE D’ÉLÉMENTS NOUVEAUX 15

C. ÉVITER LA CADUCITÉ DE L’ÉTAT D’URGENCE DU FAIT DE LA DÉMISSION DU GOUVERNEMENT APRÈS LES PROCHAINES ÉLECTIONS NATIONALES 17

III. DES ÉVOLUTIONS COMPLÉMENTAIRES DE LA LOI DU 3 AVRIL 1955 PARAISSENT, À TERME, SOUHAITABLES 18

A. ENGAGER DE NOUVEAU LE DÉBAT SUR LA CONSTITUTIONNALISATION DE L’ÉTAT D’URGENCE 19

B. DES ÉVOLUTIONS PONCTUELLES 20

1. Un meilleur encadrement des perquisitions 20

a. Les perquisitions de nuit 20

b. Le recours à la force 22

2. Une modification du régime des assignations à résidence 22

a. L’information préalable du Parquet 23

b. La déconcentration de l’examen des aménagements de l’assignation à résidence 24

c. La problématique des mineurs assignés 25

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS 25

DISCUSSION GÉNÉRALE 27

EXAMEN DES ARTICLES 33

Article 1er : Prorogation de l’état d’urgence 33

Article 2 (art. 6 de la loi n° 55–385 du 3 avril 1955 relative à l’état d'urgence) : Création d’une durée maximale d’assignation à résidence de quinze mois consécutifs 39

Après l'article 2 48

Article 3 : Non caducité de l’état d’urgence après la démission du Gouvernement consécutive à l’élection du Président de la République ou à celle des députés de l’Assemblée nationale 49

Après l'article 3 50

TABLEAU COMPARATIF 57

Mesdames, Messieurs,

Le soir des attentats du 13 novembre 2015, le Président de la République a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national. Par la loi du 20 novembre 2015 (1), le Parlement en a autorisé, une première fois, sa prolongation pour trois mois et également renforcé son cadre juridique. L’état d’urgence a été, ensuite, prorogé pour trois mois supplémentaires par la loi du 19 février 2016 (2), pour deux mois par la loi du 20 mai 2016 (3), puis pour six mois par la loi du 21 juillet 2016 (4).

La France va aborder, au printemps de l’année prochaine, une phase d’élections nationales, moment charnière de la vie démocratique de notre pays. Les rassemblements seront nombreux. Alors que la menace terroriste n’a pas diminué, les pouvoirs publics ont le devoir d’assurer la sécurité des Français dans cette période cruciale.

C’est la raison pour laquelle une nouvelle prorogation de l’état d’urgence – qui devait prendre fin le 21 janvier 2017 à minuit – a été annoncée par le chef de l’État et le Premier ministre il y a plusieurs semaines. Le remaniement intervenu le mardi 6 décembre précipite quelque peu notre calendrier.

En effet, aux termes de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 (5), « [l]a loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ». Le précédent Gouvernement ayant démissionné le mardi 6 décembre, le délai de quinze jours a commencé à courir le mercredi 7 à zéro heure. Il sera caduc le jeudi 22 décembre à zéro heure.

Le présent projet de loi s’inscrit donc dans ce calendrier très resserré mais traduit une résolution plus large, visant à maintenir cette légalité d’exception au cours des prochains mois pour « enjamber » la période électorale à venir.

L’état d’urgence n’a pourtant pas vocation à être prolongé indéfiniment, comme l’ont justement rappelé le président de la commission des Lois, M. Dominique Raimbourg, ainsi que le co-rapporteur Jean–Frédéric Poisson dans le cadre de leurs travaux sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence (6), de même que le Conseil d’État (7) et le Conseil constitutionnel (8). La responsabilité des pouvoirs publics est de mobiliser tous les ressorts de notre législation, dans les limites de l’État de droit, afin de permettre aux moyens opérationnels de se déployer.

Notre arsenal juridique a d’ailleurs été sensiblement renforcé par l’adoption de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, qui est venu compléter utilement la législation d’urgence.

Enfin, le Gouvernement a consenti des efforts sans précédent pour renforcer les effectifs et les moyens de la Police et de la Gendarmerie nationales :

––  à la suite des attentats de janvier 2015, le Premier ministre a décidé la mise en place d’un plan triennal (2015-2017) de renforcement des moyens pour lutter contre le terrorisme, le plan de lutte anti-terroriste (PLAT) ;

––  le Président de la République a annoncé un plan supplémentaire de renforcement des moyens en novembre 2015 : le pacte de sécurité, sur la période 2016-2017 ;

––  le ministre de l’Intérieur a rendu public, le 26 octobre dernier, un plan pour la sécurité publique, prolongement et amplification de la politique de sécurité menée par le Gouvernement, dont le coût s’élève à 250 millions d’euros.

Cette action déterminée et l’action vigilante de nos services de renseignement ont permis de déjouer dix–sept attentats depuis le début de l’année 2016.

Le présent projet de loi a donc pour objet :

––  d’éviter la caducité de l’état d’urgence du fait de la démission du Gouvernement ;

––  de permettre l’ « enjambement » de la période électorale du premier semestre 2017 ;

––  de prévoir expressément la faculté pour les préfets d’ordonner les perquisitions administratives de jour et de nuit ;

––  de limiter à quinze mois consécutifs – en l’absence d’éléments nouveaux – la durée maximale d’une assignation à résidence.

S’agissant du terme de l’état d’urgence votre rapporteur estime nécessaire que le débat soit porté devant nos compatriotes à l'occasion des prochaines élections, ce qui permettra au Gouvernement qui en sera issu de disposer d’un mandat clair lui donnant les moyens, au vu de l’évolution de la menace, de se prononcer sur l’opportunité de le prolonger et de songer à son inscription dans la Constitution.

L’examen du présent projet de loi impose, d’une part, de vérifier que les conditions de l’état d’urgence sont toujours réunies et, d’autre part, de fixer la durée de la prorogation. L’adoption de mesures pérennes renforçant l’arsenal législatif de lutte contre le terrorisme (A) n’exclut pas que des pouvoirs renforcés en matière de maintien de l’ordre soient nécessaires pour faire face à l’organisation des prochaines échéances électorales (B) dans un contexte de menace terroriste accrue (C).

Il convient tout d’abord de noter que le recours à l’état d’urgence n’est pas une solution par défaut, faute d’avoir recherché des réponses pérennes dans la lutte acharnée que nous devons mener contre le fléau du terrorisme. Notre pays a considérablement renforcé, depuis le début du quinquennat, l’arsenal juridique permanent à la disposition des services d’enquête et des magistrats pour mieux détecter et réprimer les menaces terroristes :

––  la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme a permis d’appliquer la loi pénale française aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français ;

––  la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a instauré un dispositif administratif d’interdiction de sortie du territoire et, sur le plan judiciaire, un délit d’entreprise terroriste individuelle. Elle a en outre facilité les perquisitions de données informatiques, étendu l’enquête sous pseudonyme à l’ensemble de la criminalité et de la délinquance organisées et ouvert la possibilité de capter des données informatiques reçues ou émises par des périphériques audiovisuels de type Skype ;

––  la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement a doté notre pays d’un cadre juridique de surveillance administrative des activités susceptibles de porter atteinte à certains intérêts protégés, par la mise en place d’un régime d’autorisation des techniques de recueil de renseignements sous un double contrôle administratif et juridictionnel ;

––  la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales a autorisé, aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger ;

––  la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a accru les moyens mis à la disposition des juges d’instruction et des procureurs de la République. Ils peuvent désormais utiliser des dispositifs techniques spéciaux d’investigation, dont certains étaient jusque-là réservés aux services de renseignement ou à l’instruction. Les perquisitions domiciliaires nocturnes, en enquête comme à l’instruction, ont été facilitées dans les affaires présentant un caractère terroriste.

Cette loi a également créé de nouvelles infractions terroristes en incriminant la provocation à la commission d’actes de terrorisme ainsi que l’entrave au blocage des sites faisant l'apologie du terrorisme. Elle a par ailleurs donné la possibilité au Gouvernement d’intégrer le renseignement pénitentiaire dans la communauté du renseignement.

La loi du 3 juin 2016 a enfin accru l’efficacité des contrôles d’identité, décidés par le procureur de la République et sous son contrôle, en autorisant l’inspection visuelle et la fouille des bagages. Les personnes dont le comportement paraîtrait lié à des activités terroristes peuvent désormais être retenues, afin d’examiner leur situation, pendant une durée maximum de quatre heures. Les individus qui se sont rendus sur des théâtres d’opérations terroristes peuvent également faire l’objet d’assignation à résidence ou d'autres mesures de contrôle administratif à leur retour ;

––  la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste a enfin durci les modalités d’aménagement de peine des personnes condamnées pour terrorisme, allongé les délais de détention provisoire pour les mineurs mis en cause dans des procédures terroristes, aggravé les peines encourues en matière d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste et rendu systématique, sauf en cas de décision motivée du juge, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les condamnés terroristes étrangers.

Ces lois, qui ont renforcé la capacité d’action des autorités judiciaire et administrative, produisent leurs effets. En un an, le nombre de personnes mises en examen ou condamnées dans des affaires en lien avec le terrorisme a augmenté de plus de 50 %. On dénombre, au 18 novembre 2016, 244 mesures d’interdiction de sortie du territoire, 202 interdictions administratives du territoire concernant des individus liés aux mouvances terroristes et islamistes radicales, 82 mesures d’expulsion de personnes en lien avec le terrorisme et 319 mesures de déréférencement de sites faisant l’apologie du terrorisme.

L’élection du Président de la République, en avril et mai 2017, suivie des élections législatives en juin 2017 représente un double défi en matière de maintien de l’ordre public, dans un contexte de forte menace terroriste.

En effet, ces échéances vont se traduire par l’organisation de primaires par les partis politiques, par la multiplication de rassemblements et de réunions publiques ainsi que par des opérations de vote, qui occasionneront des concentrations de populations en de très nombreux points du territoire, susceptibles de représenter autant de cibles.

En outre, un attentat dans cette période si importante pour la vie démocratique d’un peuple serait susceptible de causer un retentissement considérable et symbolique, qui pourrait être recherché par une organisation telle que Daech.

À cet égard, il convient de rappeler que l’état d’urgence n’a pas été conçu comme un instrument de lutte contre le terrorisme. Si certaines des mesures qu’il emporte ont un intérêt moindre aujourd'hui – ou ont progressivement perdu celui-ci – pour prévenir la menace terroriste, d’autres complètent utilement les dispositions de droit commun. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont jugé que l’état d’urgence permettait de prendre des mesures de police pour d’autres motifs que ceux ayant justifié son application (9).

Les dispositions de la loi du 3 avril 1955 se révèlent en effet essentielles pour assurer, en période de péril imminent, le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est la sauvegarde de l’ordre public, en permettant à l’autorité administrative :

––  d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté (1° de l’article 5) ;

––  d’instituer par arrêté des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé (2° de l’article 5) ;

––  d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics (3° de l’article 5) ;

––  de dissoudre des associations ou des groupements de fait (premier alinéa de l’article 6–1) ;

––  de fermer provisoirement des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion (premier alinéa de l’article 8) ;

––  d’interdire les cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique dès lors qu’elle n’est pas en mesure d’en assurer la sécurité compte tenu des moyens dont elle dispose (second alinéa de l’article 8) ;

––  d’autoriser les contrôles d’identité, l’inspection visuelle et la fouille des bagages, ainsi que la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public (article 8–1) ;

––  d’imposer la remise des armes des catégories A à C et de celles de catégorie D soumises à enregistrement (article 9) ;

––  de réquisitionner des personnes ou des biens (article 10) ;

––  d’assigner à résidence (article 6) toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ;

––  de procéder à des perquisitions administratives de jour comme de nuit (I de l’article 11), dans un cadre renforcé par la récente loi du 21 juillet 2016 précitée s’agissant des saisies de données informatiques ;

––  de bloquer des sites Internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie (II de l’article 11).

Ces trois dernières mesures s’articulent particulièrement bien avec les dispositions permanentes de notre arsenal juridique de lutte contre le terrorisme en entravant l’action des personnes constituant par leur comportement une menace et en désorganisant les cellules djihadistes. L’état d’urgence permet ainsi d’accroitre l’efficacité de l’action administrative tout en s’inscrivant étroitement dans une complémentarité avec le droit commun.

Début novembre 2016, 687 personnes de nationalité française ou résidant habituellement en France étaient présentes sur la zone irako-syrienne, chiffre auquel il faut ajouter les 203 personnes revenues sur le territoire après un séjour sur zone, les 183 personnes en transit dans un pays tiers et les 955 qui ont manifesté des velléités de départ vers cette destination (10).

La réduction très sensible, depuis le début de l’année, des territoires sous l’emprise de Daech, ainsi que l’engagement d’opérations militaires pour reconquérir les villes de Mossoul et de Raqqah, par des forces soutenues par la coalition à laquelle participe militairement la France, accroit fortement le risque d’attentat dans notre pays. Comme le note l’exposé des motifs du présent projet de loi : « qu’il s’agisse pour les groupes terroristes de projeter sur notre territoire national de nouveaux individus chargés de passer à l’acte terroriste en Europe, de la probable tentation de retour sur le sol national de combattants français qui seront inévitablement confrontés à une impasse et soumis à des risques de représailles par les belligérants, ou de la fermeture de plus en plus hermétique des zones de passage via la Turquie, qui maintiennent sur le sol national les éléments radicaux prêts à s’engager dans des actions violentes, la menace se nourrit de plusieurs manières. Confrontée à ce recul de ses positions en Syrie et en Irak et à l’infléchissement récent des arrivées des volontaires européens dans cette zone, l’organisation terroriste Daech exhorte depuis plusieurs semaines ses partisans à privilégier un passage à l’acte dans leur pays d’origine ou de résidence. »

De facto, en 2016, les attaques perpétrées et les projets déjoués en France étaient principalement le fait d’individus résidant sur notre sol : sur les dix–sept projets d’attentats déjoués depuis le début de l’année, un seul est attribuable à des individus de retour de zones de combat.

Douze projets d’attentats ont été déjoués depuis les attentats de juillet 2016

––  le 29 juillet, une personne ayant été en contact avec les auteurs du double assassinat de Magnanville, le 11 juin, ainsi qu’avec l’un des auteurs de l’assassinat de Saint-Étienne du Rouvray, était interpellée. Des armes blanches étaient saisies, interrompant un projet d’attentat imminent ;

––  le 30 juillet, une personne était interpellée, Daech ayant accepté de financer son projet avancé d’attentat ciblant une université d’une grande métropole régionale ;

––  les 4 et 25 août, deux mineurs appelant à des actions violentes sur des canaux numériques cryptés étaient interpellés, ce qui a permis d’interrompre un projet d’attentat avancé ;

––  les 2 et 20 septembre, deux personnes en relation avec Daech étaient interpellées alors qu’elles se préparaient à viser des militaires ;

––  le 8 septembre, un mineur, déjà placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d’une information judiciaire distincte, était interpellé alors qu’il se préparait à commettre une action violente sur le territoire national ;

––  le même jour, trois personnes se préparant à viser des passants et des policiers à l’aide d’armes blanches étaient interpellées en région parisienne, deux d’entre elles ayant été impliquées dans une tentative d’attentat à la voiture piégée avec des bonbonnes de gaz à Paris, le 4 septembre ;

––  le 10 septembre, une personne était interpellée à Nice alors qu’elle recevait des instructions de Daech et s’apprêtait à commettre une action violente, en réaction notamment à la mort du chef opérationnel de cette organisation terroriste ;

––  le même jour, un mineur en lien avec Daech était interpellé à Paris, alors qu’il projetait de s’attaquer à des passants à l’aide de couteaux de cuisine ;

––  le 14 septembre, un mineur en lien avec Daech était interpellé à Paris alors qu’il évoquait le meurtre d’un professeur de son lycée ;

––  le 28 septembre, un autre mineur, en lien avec le précédent, était interpellé alors qu’il envisageait un passage à l’acte ;

––  le 11 octobre, deux personnes en lien avec Daech étaient interpellées alors que cette organisation les avait convaincues de passer à l’acte ;

––  le 20 novembre, un réseau était démantelé avec l’interpellation de sept personnes à Strasbourg et à Marseille, faisant suite à une première série d’interpellations en juin au moment du championnat européen de football. L’enquête correspondant à cette affaire a duré plus de huit mois et a mis en échec une action terroriste envisagée de longue date sur le sol national. Par sa durée, elle illustre la complexité et la minutie de la préparation des projets terroristes organisés par les personnes en lien avec Daech.

Au regard de ce risque, la condition de « péril imminent », posée par l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 pour la mise en œuvre de l’état d’urgence, paraît donc satisfaite. Le Conseil d’État l’a confirmé en plusieurs occasions :

––  lorsqu’il a statué en référé, le 27 janvier 2016, sur la décision implicite des pouvoirs publics de ne pas mettre fin à l’état d’urgence de manière anticipée (11) ;

––  lorsqu’il a été consulté sur les deuxième (12), troisième (13) et quatrième (14) avant-projets de loi de prorogation ;

––  et enfin lorsqu’il a été consulté sur le présent projet de loi (15).

Votre rapporteur fait sienne l’analyse de la haute juridiction administrative.

Au moment de la déclaration de l’état d’urgence le 14 novembre dernier, le Président de la République et le Gouvernement avaient fait le choix de permettre aux autorités administratives compétentes, c’est-à-dire au ministre de l’Intérieur ou aux préfets, d’ordonner des perquisitions administratives.

Le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit, en effet, que celles-ci doivent être autorisées par une disposition expresse du décret instituant l’état d’urgence ou de la loi de prorogation. Est ainsi fondée une distinction entre l’état d’urgence « simple » et l’état d’urgence « aggravé », qui permet la mise en œuvre de mesures plus attentatoires aux libertés publiques.

Cette mesure a été massivement utilisée, en particulier au cours des premières semaines de l’état d’urgence, comme le montre le graphique ci–dessous.


NOMBRE DE PERQUISITIONS RÉALISÉES DANS LE CADRE DE L’ÉTAT D’URGENCE


Source : rapport n° 4281 de MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson (Assemblée nationale, XIVème législature).

Les perquisitions ont alimenté un contentieux significatif, qui a récemment conduit le Conseil d’État à préciser leur régime et les conditions d’indemnisation applicables (16).

La loi du 20 mai 2016 n’a pas reconduit cette autorisation. En effet, les perquisitions administratives ne présentaient plus le même intérêt opérationnel qu’au début de l’état d’urgence dès lors que, comme le précisait l’exposé des motifs du projet de loi correspondant, « la plupart des lieux identifiés avait déjà fait l’objet des investigations nécessaires ». En outre, l’efficacité de cette mesure avait été largement amoindrie par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 censurant la faculté de copier des supports informatiques lors des perquisitions administratives.

La loi du 21 juillet 2016 ayant prévu, pour les saisies informatiques, les garanties légales nécessaires, les perquisitions ont été de nouveau autorisées dans le cadre de la nouvelle prorogation. Dans un télégramme adressé aux préfets le 23 juillet 2016, le ministre de l’Intérieur a souligné qu’à « la différence de la première vague de mesures qui avait suivi le déclenchement de l’état d’urgence à la mi–novembre 2015 et dont le large spectre poursuivait notamment le but de vérification par les services de renseignement des viviers d’objectifs qu’ils avaient en compte, cette nouvelle prorogation doit donner lieu à des opérations ciblées dirigées vers le terrorisme et la radicalisation violente ».

543 perquisitions administratives ont ainsi été réalisées entre le 21 juillet 2016 et le 10 novembre. Elles ont donné lieu à 91 interpellations et 64 gardes à vue, à la saisie de 35 armes ainsi qu’à 140 copies de données qui ont révélé des éléments inquiétants caractérisant des risques de passage à l’acte. Sur l’année écoulée, près de 10 % des saisines du parquet antiterroriste de Paris sont liées à des perquisitions administratives et 16 % des perquisitions administratives ont donné lieu à une procédure judiciaire.

En conséquence, comme l’ont souligné nos collègues Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson, « les perquisitions administratives, bien que nettement moins nombreuses au cours de la deuxième période, sont plus fructueuses sur le front de la lutte anti–terroriste, accréditant ici l’idée d’un meilleur ciblage. » (17)

Une utilitÉ renouvelÉe des perquisitions administratives

en matiÈre de lutte antiterroriste (18)

Depuis le 1er décembre 2015, le parquet de Paris a ouvert 20 enquêtes pour association de malfaiteurs en matière terroriste (AMT) à la suite de perquisitions administratives, dont 8 depuis le 21 juillet 2016. Sur cette même période, s’y ajoutent quelque 41 procédures pour des faits d’apologie du terrorisme ou, depuis juin 2016, pour des faits liés à l’extraction, la reproduction ou la transmission de données faisant l’apologie du terrorisme et la consultation de sites invitant au terrorisme ou faisant son apologie.

Lorsqu’elles ont été fructueuses, les perquisitions administratives ont permis la découverte de stupéfiants, d’armes, d’argent liquide, d’infractions au droit du travail ou au droit des étrangers (étrangers en situation irrégulière).

L’ouverture de ces procédures se répartit très inégalement sur les deux périodes au cours desquelles les perquisitions ont été autorisées :

––  du 14 novembre 2015 au 25 mai 2016 : 605 perquisitions ont abouti à une procédure judiciaire dont 36 avaient entraîné l’ouverture d’une procédure judiciaire pour des faits en lien avec le terrorisme. Sur ces 36 procédures, 27 ont visé des faits d’apologie de terrorisme et 9 ont été initiées par la section anti-terroriste du parquet de Paris du chef d’AMT ;

––  entre le 21 juillet 2016 et le 2 décembre 2016, 65 perquisitions ont abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire parmi lesquelles 25 ont révélé des faits de nature terroriste, dont 23 avec une saisie informatique. Parmi les 25 procédures, 11 ont été initiées par la section anti-terroriste du parquet de Paris du chef d’AMT. Dans 8 d’entre elles, la perquisition a été l’élément déclencheur de l’ouverture de l’enquête, corroborant des éléments de renseignements.

Ces chiffres montrent la grande pertinence des mesures de saisies de données informatiques à l’occasion des perquisitions puisque 92 % des procédures ouvertes pour des faits de terrorisme avaient donné lieu à ce type de saisie.

Les perquisitions restent toutefois une contribution modeste à l’activité générale du parquet anti-terroriste. Depuis 2012, 462 procédures judiciaires en lien avec la zone irako-syrienne ont été ouvertes au pôle anti-terroriste de Paris. Durant l’état d’urgence renforcé, 169 procédures ont été ouvertes pour ce chef, 95 procédures entre le 14 novembre 2015 et le 25 mai 2016 et 74 autres depuis le 21 juillet 2016.

Depuis le 22 juillet 2016, 112 arrêtés d’assignation à résidence ont été pris et 91 personnes demeurent assignées à résidence au 18 novembre 2016. Le graphique ci-après détaille la date de prise du premier arrêté d’assignation pour les mesures toujours en vigueur, montrant qu’au 15 novembre 2016, quelque 47 personnes sont assignées depuis un an.

DATE DE LA PREMIÈRE MESURE D’ASSIGNATION POUR LES ASSIGNATIONS

EN VIGUEUR AU 15 NOVEMBRE 2016

Source : rapport n° 4281 de MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson (Assemblée nationale, XIVème législature).

Si l’assignation à résidence ne peut pas être assimilée à une privation de liberté, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, et si elle obéit à une logique distincte des sanctions pénales, comme le relèvent les juridictions de première instance (19), elle restreint considérablement la liberté d’aller et venir des personnes concernées. Celles–ci se voient, dans l’immense majorité des cas, soumises à un régime contraignant de pointage et de maintien à domicile, en l’absence même d’éléments de nature à constituer une infraction pénale.

Sans se prononcer sur la menace que le comportement de ces assignés représente pour l’ordre et la sécurité publics, Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson se sont interrogés sur l’absence de procédure judiciaire engagée à leur encontre. Sur ces 47 cas, ils relèvent qu’au moins 6 d’entre eux concernent des personnes ayant séjourné ou tenté de rejoindre un théâtre d’opération de groupements terroristes sans que les arrêtés ne fassent état d’une procédure judiciaire sur ce fondement.

Les auditions menées par votre rapporteur dans le cadre de la loi du 3 juin 2016 précitée ont toutefois montré la difficulté, dans certains de ces cas, à judiciariser les dossiers, faute d’éléments suffisamment incriminants. De même, plusieurs cas semblent entrer dans le champ d’application des articles 421-2-5-1 (extraction, reproduction ou transmission de données faisant l’apologie du terrorisme) et 421-2-5-2 (consultation de site invitant au terroriste ou faisant son apologie) du code pénal. Les arrêtés d’assignation mentionnent explicitement des éléments constitutifs de ces infractions, sans que la date de constatation de ces éléments ne soit précisée. Ces infractions étant de création récente, cela peut expliquer que les poursuites n’aient pu être engagées.

Il convient de mobiliser, quand c’est possible, les outils administratifs de droit commun qui permettent de surveiller la personne ou d’entraver, le cas échéant, la commission d’une infraction (interdictions de sortie du territoire, gel des avoirs,…).

Le présent projet propose donc, à l’article 2, de modifier l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 pour limiter à quinze mois la durée ininterrompue de l’assignation à résidence d’une même personne. Il prévoit toutefois qu’en cas de faits nouveaux ou d’informations nouvelles, la mesure d’assignation à résidence pourra être prolongée au-delà de cette limite.

Le régime légal de l’état d’urgence prévoit plusieurs modalités de cessation de l’état d’urgence : l’expiration, la cessation de plein droit (ou caducité) et la cessation résultant d’une manifestation de volonté du législateur ou de l’exécutif.

Les modalités de cessation de l’état d’urgence

« L’État d’urgence dans la durÉe », Pr. Denis Baranger (20)

L’expiration. On peut parler d’expiration lorsque la fin du régime de l’état d’urgence provient de l’écoulement d’un certain délai fixé par un texte légal. Ce serait ainsi le cas d’un état d’urgence déclaré par décret en conseil des ministres et qui, au terme d’un délai de douze jours, ne serait pas prorogé par une loi. On peut aussi parler d’expiration si, au terme du délai de trois mois qu’elle ouvre, une loi de prorogation n’est pas suivie par une autre.

La caducité. La loi de 1955 établissait un lien entre certains évènement institutionnels et la cessation automatique, ou caducité, de l’état d’urgence. Elle prévoyait dans son article 3, alinéa 2, une « caducité » de la loi fixant la durée de l’état d’urgence si le nouveau gouvernement, faisant suite à une démission d’un précédent gouvernement ou à la vacance de la présidence du conseil, ne demandait pas la confirmation par le Parlement de la loi portant déclaration initiale de l’état d’urgence « dans un délai de quinze jours francs à compter de la date à laquelle il a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale ». La même loi, dans son article 4, prévoyait cette fois l’abrogation de plein droit de la loi ayant déclaré l’état d’urgence « en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ». Dans la rédaction issue de l’ordonnance de 1960, cette disposition a été abrogée au profit d’un nouvel article 4 prévoyant que : « la loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ». Cette disposition est toujours en vigueur.

La fin de l’état d’urgence résultant d’une manifestation de volonté d’un organe de l’État. La fin de l’état d’urgence peut être décidée par le législateur. Il pourrait tout d’abord mettre fin à l’état d’urgence en refusant de voter un projet de loi de prorogation. (…) La fin anticipée de l’état d’urgence peut aussi être décidée par le Président de la République. Il résulte ainsi de l’article 3 de la loi du 20 novembre 2015 que : « il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant la fin de l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement ». Cette possibilité n’existait pas dans le texte de 1955 ou dans celui du 15 avril 1960. Elle fut créée par l’article 3 de la loi n° 2005–1425 du 18 novembre 2005 et reprise en 2015. (…) La possibilité de déclarer l’état d’urgence revient à l’exécutif, et il peut sembler logique, par un parallélisme des formes, qu’il revienne donc au même pouvoir d’y mettre fin sans attendre l’expiration du délai légal. 

Comme l’a souligné le président de la commission des Lois Dominique Raimbourg en janvier 2016 dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation : « ces dispositions cadrent mal avec les équilibres institutionnels de la Vème République : il est désormais plus aisé aux députés de mettre fin à l’état d’urgence par l’adoption d’un texte ad hoc à la majorité simple que de voter la censure du Gouvernement. Quant à la dissolution, elle devrait être envisagée moins comme une cause de caducité, que comme une limite posée à la mise en œuvre de l’état d’urgence » (21).

L’article 3 du présent projet de loi prévoit qu’au cours de la prochaine période de prorogation, les dispositions de la loi du 3 avril 1955 précitée prévoyant la caducité de l’état d’urgence en cas de démission du Gouvernement consécutive à l’élection du Président de la République ou à celle des députés de l’Assemblée nationale ne sont pas applicables. Il s’agissait également de l’une des préconisations du récent rapport de nos collègues Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson.

Les lois du 20 novembre 2015 et du 21 juillet 2016 ont rénové et renforcé le cadre juridique relatif à l’état d’urgence. Mais elles l’ont fait chaque fois dans un contexte dramatique : les attentats du 13 novembre 2015 et ceux du 14 juillet 2016. Elles ne pouvaient donc pas épuiser l’ensemble des problématiques posées par cette législation d’exception.

Le rapport de Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson sur le contrôle de l’état d’urgence a permis de mettre en lumière un certain nombre de points sur lesquels une évolution en profondeur de l’état d’urgence serait souhaitable. Leurs préconisations, d’ampleur variable, méritent un examen dédié.

Roland Drago indiquait ainsi à juste titre que « les textes d’exception sont rarement votés, en France, dans le calme d’une période de stabilité politique, en prévision d’un temps de crise. C’est fréquemment sous la pression des circonstances que les législateurs délibèrent et leurs actes portent ainsi la marque de leur époque et des besoins auxquels ils répondaient » (22). C’est la raison pour laquelle les rapporteurs jugeaient eux–mêmes opportun de mettre l’état d’urgence à l’abri des « emballements » causés par les circonstances.

La campagne présidentielle doit faire l’objet, aux yeux de votre rapporteur, d’un véritable débat sur ces points, afin que les élus de la prochaine législature disposent d’un mandat clair du peuple français, notamment sur l’opportunité de la constitutionnalisation de l’état d'urgence.

D’intéressantes voies d’encadrement de l’état d’urgence ont été explorées lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. Comme l’indiquait le Premier ministre lorsqu’il est venu présenter ce projet de loi le mercredi 27 janvier 2016 devant notre Commission, « il s’agit d’empêcher la banalisation de l’état d’urgence ou tout recours excessif » à cet instrument.

La discussion engagée dans les deux assemblées avait notamment permis de proposer, sur le fondement d’un ancrage constitutionnel, de conférer un caractère organique à la loi d’application sur l’état d’urgence.

Introduite par le Sénat à l’initiative de son rapporteur M. Michel Mercier, cette proposition s’inscrit dans le droit fil des propositions faites par le comité Balladur chargé, en 2007, de présenter les grands axes d’une réforme constitutionnelle. Les contraintes procédurales propres aux dispositions organiques – examen dans des délais spécifiques prévus par le troisième alinéa de l’article 42 de la Constitution, majorité renforcée pour l’adoption en lecture définitive à l’Assemblée nationale, contrôle préalable de sa conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel plutôt que des décisions successives de ce dernier au gré de questions prioritaires de constitutionnalité – paraissent autant de garanties de nature à éviter des modifications législatives improvisées dans l’urgence des débats sur une prorogation car, comme cela était relevé dans le rapport sur le projet de loi constitutionnelle : « rien n’empêche en effet une loi de prorogation de revenir sur la loi ordinaire d’application […] afin de modifier, « à chaud », les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre » (23).

De même, actuellement, aucune disposition ne plafonne la durée pendant laquelle l’état d’urgence est prorogé et cette prorogation peut être renouvelée sans limitation. L’Assemblée nationale avait alors introduit, sur proposition de notre collègue Jean-Christophe Lagarde, une disposition ayant pour effet de limiter à quatre mois la durée maximale d’une prorogation législative de l’état d’urgence, durée ramenée à trois mois par le Sénat sur proposition de son rapporteur M. Michel Mercier.

Un tel encadrement offrirait plusieurs avantages. Il garantirait au Parlement d’être consulté à intervalles rapprochés et, potentiellement, au Conseil constitutionnel de se prononcer sur l’opportunité d’une prorogation de l’état d’urgence s’il devait considérer qu’elle ne répond plus aux conditions posées à leur déclenchement. Il permettrait aussi aux personnes à l’encontre desquelles sont prononcées des mesures administratives sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 de voir leur situation réexaminée régulièrement.

Des évolutions plus ponctuelles du régime des perquisitions (1) et des assignations à résidence (2) paraitraient également propres à assurer une meilleure garantie des droits des personnes qui les subissent.

Le rapport du président de notre Commission Dominique Raimbourg et du co-rapporteur Jean–Frédéric Poisson a mis en lumière deux améliorations possibles du régime des perquisitions, l’une relative aux perquisitions de nuit (a), l’autre à l’usage de la force (b).

Dans sa rédaction actuelle, le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que lorsque l’état d'urgence aggravé est déclaré, les autorités administratives peuvent procéder à des perquisitions de jour comme de nuit, sans autre précision. Or, il apparait excessif de laisser l’appréciation de l’heure de la perquisition aux seuls services, au regard de leur caractère très dérogatoire au droit commun.

Dans l’avis contentieux précité du 6 juillet, le Conseil d’État a indiqué que « la perquisition de nuit doit être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer le jour ». Comme le notaient Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson, « cette préconisation permettrait de surcroit de mettre en conformité le texte et la pratique. (…) Les perquisitions de nuit sont utilisées de façon marginale depuis le 21 juillet dernier. Sur la période considérée, moins de 18 % des perquisitions administratives se sont déroulées entre 21 heures et 6 heures, soit 2,5 fois moins souvent que lors de la précédente période ».

les perquisitions de nuit (24)

L’article 11 de la loi du 3 avril 1955 ne fixe aucune borne en termes horaires. Pour autant, l’analyse des données période par période fait apparaître des différences très significatives. Comme le montre le graphique suivant, durant la première semaine de l’état d’urgence, 68 % des perquisitions ont commencé entre 21 heures et 6 heures, c’est-à-dire par dérogation au régime applicable aux perquisitions judiciaires.

Heure de dÉbut des perquisitions rÉalisÉes
entre le 14 et le 20 novembre 2015

Source : rapport n° 4281 de MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson (Assemblée nationale, XIVème législature).

En revanche, les horaires des perquisitions conduites après le 20 novembre 2015 et jusqu’au 25 mai 2016 se rapprochent des horaires judiciaires. Sur la période considérée, 44 % des perquisitions ont commencé entre 21 heures et 6 heures, étant entendu que le recours à des opérations de nuit diminue dans le temps. Contrairement à la première semaine, les horaires auxquels débutent les perquisitions correspondent de plus en plus aux pratiques judiciaires ordinaires.

Le graphique ci-après montre que le recours aux perquisitions de nuit correspond bien aux circonstances exceptionnelles de la première semaine de l’état d’urgence, notamment pour conserver un effet de surprise, et qu’il est nettement moins utilisé depuis le début de l’année 2016 comme le confirme la courbe de tendance ci-dessous et l’analyse des perquisitions conduites ces derniers mois. Sur la période considérée, moins de 18 % des perquisitions administratives se sont déroulées entre 21 heures et 6 heures, soit 2,5 fois moins souvent que lors de la précédente période.

Heure de dÉbut des perquisitions rÉalisÉes
entre le 21 juillet et le 24 novembre 2016

Source : rapport n° 4281 de MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson (Assemblée nationale, XIVème législature).

S’agissant du recours à la force, Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson ainsi que le Conseil d’État ont souligné que l’ouverture brutale d’une maison ou d’un appartement pouvait causer à ses occupants un véritable traumatisme, en particulier dans le cas de présence sur les lieux de jeunes enfants. Ils proposent donc une modification de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 afin de préciser les conditions de l’usage de la force par les unités intervenantes.

Il faut toutefois saluer l’action rapide et efficace du ministre de l’Intérieur en la matière, qui, par une circulaire en date du 25 novembre 2015, avait déjà rappelé les règles de déroulement opérationnel des perquisitions. Là encore, il s’agirait d’inscrire les pratiques vertueuses dans la loi afin qu’elles se généralisent sur le terrain.

Depuis le 22 juillet dernier, 112 arrêtés d’assignation à résidence ont été pris et 95 personnes demeurent assignées à résidence au 18 novembre 2016 – les abrogations résultant par ailleurs le plus souvent de l’incarcération des individus concernés.

CARTE DES ASSIGNATIONS PAR DÉPARTEMENT EN VIGUEUR AU 15 NOVEMBRE 2016

Source : rapport n° 4281 de MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson (Assemblée nationale, XIVème législature).

MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson ont également émis des propositions permettant d’améliorer le régime des assignations à résidence en prévoyant l’information systématique du Procureur de la République territorialement compétent lors de la mise en œuvre d’une assignation à résidence (a), une déconcentration de la prise de décision en matière d’aménagement de l’assignation à résidence (b), l’information du juge des enfants lors de la mise en œuvre d’une assignation à résidence – fait assez rare – d’un mineur (c).

Aux termes de la loi du 3 avril 1955, et contrairement aux dispositions qui prévalent en matière de perquisitions, aucune information préalable du parquet n’est prévue. Dans les faits, elle existe toutefois puisqu’une circulaire du ministre de l’Intérieur du 11 décembre 2015 recommande d’informer le parquet territorialement compétent, mais aussi, depuis juillet 2016, le parquet parisien qui détient une compétence spécifique en matière d’anti-terrorisme.

Il serait dès lors souhaitable d’introduire dans la loi une disposition prévoyant l’information systématique du parquet pour chaque mesure d’assignation à résidence, comme cela existe d’ailleurs dans le droit commun pour les assignations à résidence de personnes de retour de zones d’opérations de groupements terroristes (25).

La modification d’une assignation à résidence suit un circuit administratif assez complexe. La direction des libertés publiques et des affaires juridiques. (DLPAJ) est saisie d’une demande de modification – émanant de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), d’une préfecture ou de l’individu assigné lui-même – qu’elle instruit, avant de rédiger ensuite un projet d’arrêté modificatif, qui doit recevoir l’avis favorable de l’UCLAT. L’arrêté signé est envoyé à la préfecture concernée pour notification à la personne concernée.

Comme l’ont souligné Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson, « les aménagements liés à la scolarité ou à l’activité professionnelle sont appréciés de façon rigoureuse : l’assignation initiale est par exemple rétablie en cas de renoncement à la formation. Un aménagement obtenu pour suivre une formation a été annulé parce que l’intéressé n’avait finalement pu s’inscrire dans les délais à cette formation. De même, une personne assignée avait obtenu un aménagement pour pouvoir rejoindre un centre de prévention de la radicalisation. Étant revenue sur sa décision, l’aménagement a été aussitôt supprimé. Plus généralement, le ministère a donné droit à des demandes liées aux contraintes d’organisation de la vie privée et familiale.

Sur la période, deux aménagements ont été accordés pour se conformer à des décisions judiciaires, dans un cas pour permettre à la personne d’exercer son droit de visite et d’hébergement et dans l’autre cas pour rendre compatibles les obligations liées à l’assignation et celles du contrôle judiciaire dont la personne fait l’objet. Sur la dernière période, les aménagements apparaissent être examinés avec bienveillance et dans un délai rapide » (26).

Afin d’éviter une surcharge de travail à l’échelon central et d’assurer le traitement de ces demandes d’aménagement au plus près du terrain, il pourrait être opportun que ces aménagements soient examinés et décidés par le préfet dès lors qu’ils portent sur les modalités de pointage et les plages horaires de l’assignation à domicile.

Entre le 14 novembre 2015 et le 15 novembre 2016, 11 mineurs ont été assignés à résidence, étant précisé que 8 autres personnes ont été assignées dans le courant de leur dix-huitième année.

La loi de 1955 n’imposant aucun dispositif spécifique pour les mineurs, le ministre de l’Intérieur était fondé à procéder de la même manière que pour les adultes. Si leur dangerosité ne doit pas être minorée, les mineurs délinquants peuvent également être en situation de grande détresse et avoir besoin de mesures d’assistance ; l’assignation à résidence peut alors servir utilement de mesure d’urgence dans l’attente de la mise en œuvre d’un dispositif plus pérenne.

Dans deux cas, les arrêtés d’assignation ont d’ailleurs été abrogés après que les intéressés ont été l’un placé dans un centre éducatif fermé, et l’autre incarcéré dans le cadre d’une procédure judiciaire liée à des faits de terrorisme. Dans les deux cas, l’assignation ne s’accompagnait pas d’une obligation de demeurer à son domicile la nuit. Dans le cas d’un mineur de 15 ans, les obligations de pointage ont été adaptées et apparaissent moins contraignantes que pour la plupart des majeurs.

Indépendamment des cas particuliers évoqués, il convient de s’interroger sur la spécificité des assignations concernant des mineurs et sur la possibilité d’introduire un mécanisme spécifique à leur endroit, par exemple en prévoyant une information systématique du juge pour enfants territorialement compétent, lui ouvrant ainsi ensuite la possibilité de prendre une mesure d’assistance éducative.

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale dans la matinée du samedi 10 décembre 2016, le présent projet de loi a été examiné par votre commission des Lois le lundi 12 décembre.

Votre rapporteur rappelle, à cet égard, que les délais minimaux de six et quatre semaines, prévus par l’article 42 de la Constitution entre le dépôt d’un projet de loi et le début de son examen puis au stade de sa transmission à la seconde assemblée saisie, ne sont pas applicables à un « projet relatif aux états de crise ».

L’article premier du projet de loi prévoit que l’état d’urgence est prorogé jusqu’au 15 juillet 2017, sur le territoire métropolitain et sur celui des collectivités d’outre-mer mentionnées par le décret du 18 novembre 2015. Il dispose expressément que les préfets pourront, à nouveau, ordonner des perquisitions domiciliaires administratives, de jour comme de nuit.

L’article 2 modifie le régime des assignations à résidence prévues dans le cadre de l’état d'urgence en fixant, dans la loi du 3 avril 1955, une limite de quinze mois à la durée ininterrompue de l’assignation à résidence d’une même personne, en l’absence d’éléments nouveaux. Votre Commission, à l’initiative de son rapporteur et de son président, a adopté un amendement de réécriture de cet article de manière à fixer une durée maximale d’assignation à résidence de douze mois. À l’issue de ce délai, le ministère de l’Intérieur, s’il souhaite maintenir l’assignation à résidence, devra saisir le Conseil d’État aux fins de prolongation de la mesure.

L’article 3 prévoit que pendant cette période de prorogation, les dispositions de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 sur la caducité de l’état d’urgence ne sont pas applicables en cas de démission du Gouvernement, afin de « neutraliser » celle qui suit traditionnellement l’élection du Président de la République et celles des députés.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du lundi 12 décembre 2016, la commission des Lois examine le projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (n° 4295) (M. Pascal Popelin, rapporteur).

M. le président Dominique Raimbourg. Mes chers collègues, nous examinons ce soir, sur le rapport de M. Pascal Popelin, le projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

Notre calendrier est très contraint : aux termes de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955, « la loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ». M. Manuel Valls a remis sa démission le mardi 6 décembre ; en conséquence, en l’absence de prorogation, l’état d’urgence en vigueur depuis le 14 novembre 2015 cesserait de produire ses effets le mercredi 21 décembre à minuit.

C’est la raison pour laquelle nous débattrons en séance publique dès demain soir de ce projet de loi, déposé samedi par le Gouvernement.

Sans plus attendre je donne la parole à notre rapporteur, puis à ceux qui souhaiteront s’exprimer.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Au moment où notre Commission engage le débat sur une cinquième prorogation de l’état d’urgence, je souhaite rappeler quelques faits.

La France va vivre, au printemps prochain, une phase d’élections nationales qui constituera un moment crucial de la vie démocratique de notre pays. Les rassemblements seront nombreux. Alors que la menace terroriste n’a pas diminué – douze projets d’attentats ont été déjoués depuis ceux qui ont ensanglanté une nouvelle fois notre pays en juillet dernier –, les pouvoirs publics ont le devoir d’assurer la sécurité des Français dans cette période particulière.

C’est la raison pour laquelle une nouvelle prorogation de l’état d’urgence – qui devait prendre fin le 21 janvier 2017 à minuit – a été annoncée par le chef de l’État et le Gouvernement il y a de cela déjà plusieurs semaines. Comme le président de la Commission vient de le rappeler, le remaniement intervenu le 6 décembre a précipité les échéances puisque c’est finalement avant le jeudi 22 décembre qu’il nous faut procéder à une prorogation.

Le présent projet de loi s’inscrit dans ce calendrier très resserré ; mais il traduit une résolution plus large : maintenir cette légalité d’exception au cours des prochains mois et jusqu’au terme de la période électorale à venir.

Chacun d’entre nous en a pleinement conscience : l’état d’urgence n’a pas vocation à être prolongé indéfiniment, comme l’ont fort justement rappelé Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson dans le cadre de leurs travaux sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, mais aussi le Conseil d’État – tout en estimant une nouvelle fois rempli, dans son avis du 8 décembre dernier, le critère de « péril imminent » – et le Conseil constitutionnel. La responsabilité du Parlement, et des pouvoirs publics dans leur ensemble, est de mobiliser tous les ressorts de notre législation, dans les limites de l’État de droit, afin de permettre aux moyens opérationnels de se déployer.

J’ai la conviction que le débat sur l’état d’urgence doit être mené devant nos compatriotes à l’occasion des prochaines élections, ce qui permettra au chef de l’État et au Gouvernement qui en seront issus de disposer d’un mandat clair du peuple français sur la question complexe du terme de cette période d’exception.

Le présent projet de loi prolonge l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017 et évite sa caducité consécutivement au changement de Gouvernement qui interviendra au printemps prochain. Il permet en effet l’« enjambement » de la période électorale du premier semestre 2017 en proposant une dérogation à la règle définie à l’article 4 de la loi de 1955. Les nouveaux élus ne seront donc pas obligés de travailler dans des délais impossibles. Toutefois, nous ne supprimons cette caducité que pour cette fois-ci : cette clause constitue aux yeux du Gouvernement comme aux miens un garde-fou utile, qu’il paraît nécessaire de maintenir dans le droit commun.

Le projet de loi prévoit expressément la faculté pour les préfets d’ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit – c’est ce que nous appelons l’état d’urgence « aggravé » – et limite à quinze mois consécutifs la durée maximale des assignations à résidence en l’absence de faits nouveaux. C’est la version du Gouvernement ; mais, sur ce dernier point, nous aurons, je le sais, une discussion. Le président de notre Commission et moi-même vous proposerons une nouvelle rédaction, qui prendra en considération à la fois le rapport de contrôle de Dominique Raimbourg et de Jean-Frédéric Poisson, l’avis du Conseil d’État, et la situation concrète d’une quarantaine de personnes encore aujourd’hui assignées à résidence, et qui l’ont été depuis le début de la période d’état d’urgence.

Beaucoup d’autres points pertinents ont été soulevés dans le rapport de contrôle présenté la semaine dernière. Nous avons, je crois, besoin d’un peu de temps pour approfondir notre réflexion. À mes yeux, l’idéal demeure d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, et je regrette que nous n’ayons pas pu y parvenir au mois de janvier dernier. À tout le moins, une refonte de la loi de 1955 me semble nécessaire, même si la loi simple présente moins de garanties de stabilité, et donc moins de freins à un éventuel emballement.

Je rappelle aussi que nous examinerons au mois de janvier un projet de loi relatif à la sécurité publique : ce véhicule législatif nous permettra, le cas échéant, de revenir sur les questions soulevées par le rapport de contrôle.

Je ne serai pas plus long. J’espère que nous saurons conduire nos travaux dans un temps raisonnable et avec toute la sérénité et la hauteur de vues qu’exigent ces matières.

M. Yves Goasdoué. Je serai bref, moi aussi. La récente démission du Gouvernement nous amène à traiter à nouveau de cette question dans un calendrier extrêmement contraint, ce que la plupart, voire la totalité, d’entre nous ne peuvent que regretter : nous aurions aimé avoir plus de temps pour réfléchir aux voies et moyens qui auraient pu nous permettre de sortir de l’état d’urgence.

En raison des revers subis par Daech un peu partout dans le monde, la menace est sans doute plus grande que jamais : cette organisation incite explicitement des Français à commettre des actes terroristes sur notre territoire.

Le Gouvernement propose donc une prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017, afin d’« enjamber » la période électorale. Celle-ci sera émaillée de nombreuses réunions, de grands meetings, de grands rassemblements, qui constitueront des cibles éminentes. Je ne crois pas que nous puissions prendre la responsabilité de ne pas renouveler l’état d’urgence.

Je lis ici et là – et je suis sensible à ces arguments – que les modifications que nous avons apportées à notre droit devraient nous permettre de nous passer de l’état d’urgence. C’est en partie vrai, mais en partie seulement : en particulier, le droit commun ne serait pas suffisant pour gérer les grands rassemblements. En l’état actuel de notre droit, nous ne pouvons pas gérer les fouilles ou les contrôles d’identité comme nous autorise à le faire l’état d’urgence. Le droit commun ne nous permet pas non plus d’empêcher telle ou telle personne de s’approcher de tel ou tel grand rassemblement.

S’agissant de l’assignation à résidence, rappelons – comme le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, l’a très bien fait dans un entretien qu’il a accordé au journal Le Monde – que les assignations à résidence sont contrôlées par le juge administratif. Ce contrôle est approfondi, et il porte à la fois sur la nécessité et la proportionnalité de l’assignation. Pouvoir faire appel, en quarante-huit heures, au juge des référés dans le cadre des référés-liberté, ce n’est pas rien : l’assignation à résidence fait alors l’objet d’un débat contradictoire. Et le juge administratif n’est pas moins protecteur des libertés publiques que le juge judiciaire !

Cela étant, il faut sans doute limiter les assignations dans la durée et vérifier la manière dont on peut en sortir, notamment lorsqu’elles durent depuis plus d’un an.

Je lis, et j’y suis également sensible, que les perquisitions de jour et de nuit sont moins utiles qu’au début de l’état d’urgence, mais le nombre de saisines du parquet antiterroriste et de poursuites judiciaires augmente de nouveau depuis la réinstauration des perquisitions.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, écologiste et républicain votera, dans sa grande majorité, pour la prolongation de l’état d’urgence.

M. Guillaume Larrivé. Au nom des collègues du groupe Les Républicains, je déplore, sans intention polémique, l’absence du ministre de l’Intérieur à nos débats. Il est assez regrettable qu’il n’ait pas jugé utile de venir présenter à la commission des Lois ce projet de loi, qui est tout sauf banal. En effet, c’est la première fois dans l’histoire de la République que l’Assemblée nationale est saisie pour la cinquième fois consécutive par le Gouvernement d’une demande de prorogation de l’état d’urgence, et il aurait été légitime que le ministre de l’Intérieur vienne nous présenter ce texte et nous faire partager l’appréciation du Gouvernement sur les préconisations contenues dans le rapport du président Raimbourg et de M. Jean-Frédéric Poisson.

Le calendrier d’examen de ce projet de loi résulte en fait de celui du parti socialiste : si le précédent Premier ministre n’avait pas démissionné pour convenance personnelle, nous aurions été saisis dans des conditions normales d’une éventuelle prorogation de l’état d’urgence, qui devait s’arrêter le 21 janvier prochain. On peut regretter que les travaux du Parlement soient dictés par un calendrier qui n’est pas directement lié à la sécurité nationale.

Faut-il ou non proroger l’application de ces mesures de police administrative renforcée que constitue l’état d’urgence ? À la lecture du rapport du président Raimbourg et de M. Jean-Frédéric Poisson et de l’exposé des motifs, assez précis, du texte du Gouvernement, la réponse est positive. Notre groupe votera en tout cas la prorogation dans son principe, même si l’état d’urgence ne représente pas l’intégralité de la réponse à la menace terroriste. Il ne s’agit que de mesures de police administrative qui viennent compléter les investigations judiciaires et qui n’ont pas vocation à s’y substituer. Il est utile de continuer de donner aux préfets la faculté de procéder à des perquisitions administratives et à l’autorité administrative celle de procéder à des assignations à résidence.

Néanmoins, il nous semble nécessaire que notre assemblée complète rapidement notre arsenal juridique, en renforçant notamment la protection de ceux qui nous protègent, à savoir les fonctionnaires de la Police nationale et les militaires de la Gendarmerie nationale, mais également tous les agents dépositaires de l’autorité publique. Depuis un certain temps, les députés du groupe Les Républicains proposent au Gouvernement et aux députés de la majorité un certain nombre de mesures allant en ce sens – je pense à l’alignement des conditions d’emploi des armes par les fonctionnaires de la Police sur celles applicables aux militaires de la Gendarmerie, aux peines planchers visant à réprimer des atteintes à l’autorité publique, et à l’abrogation de dispositions pernicieuses de la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, notamment celle qui étendra, le 1er janvier prochain, la contrainte pénale à l’ensemble des délits, y compris ceux punis de plus de cinq ans de prison. Nous avons déposé une dizaine d’amendements à cette fin. Il nous semble en effet nécessaire de corriger certaines malfaçons législatives que vous avez introduites dans le droit positif depuis cinq ans, mesdames et messieurs les députés de la majorité.

Il n’est pas cohérent de proroger l’état d’urgence et de laisser subsister dans le droit des dispositions qui affaiblissent les forces de sécurité intérieure !

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, lors de la présentation du rapport d’évaluation que vous avez eu l’amabilité d’effectuer devant notre commission avec M. Jean-Frédéric Poisson, un consensus s’était formé pour constater que nous étions confrontés au piège et au casse-tête juridique redoutés par le précédent président de la commission des Lois. M. Jean-Jacques Urvoas avait affirmé en effet en janvier dernier qu’il était aisé d’entrer dans l’état d’urgence, en raison de l’émotion légitime suscitée par la violence et la brutalité des attaques, mais qu’il serait très difficile d’en sortir. L’histoire parlementaire offre la meilleure preuve de ce constat, et nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation.

Avec cinq collègues, j’ai refusé de voter la première prorogation de l’état d’urgence, car je considérais d’une part que l’état de droit n’était pas un état de faiblesse et qu’il n’était pas évident de devoir avoir recours à une législation d’exception pour nous défendre et que, d’autre part, l’intérêt de l’état d’urgence, au-delà des douze jours octroyés par notre législation au Gouvernement, n’était pas non plus manifeste – d’ailleurs, le premier rapport d’évaluation en convenait presque puisqu’il affirmait qu’au bout de deux semaines, la brutalité de l’effet de surprise passait et le dispositif perdait de sa force et de sa pertinence.

À entendre mes collègues, les termes du débat ont changé. Il y a plus d’un an, on nous disait que nous ne disposions que de l’état d’urgence pour nous défendre face à une menace si nouvelle et si grave. Aujourd’hui, on entend une musique différente : on nous explique qu’il s’agit d’un dispositif complémentaire permettant de gérer l’ordre public, notamment lors de grands rassemblements selon mon collègue socialiste ; pour M. Larrivé, l’état d’urgence représente même un « véhicule législatif » pour rouvrir des débats sur la législation pénale tenus dans cette assemblée.

Monsieur le président, je crois, et votre rapport le montre bien, que nous avons atteint la limite de l’efficacité du dispositif. Cela transparaît dans l’évaluation des enquêtes ouvertes, des perquisitions administratives et de l’ensemble de ce dispositif, qui n’est pas fait pour durer. Dans sa conclusion, le rapport avance des propositions pour tenter de sortir de l’état d’urgence, que plus personne n’estime totalement pertinent et efficace, mais dont personne ne sait comment sortir : la constitutionnalisation de l’état d’urgence et la transformation de la loi d’application en loi organique.

Cette volonté de sortir de l’état d’urgence m’apparaît comme un aveu. Nous constatons que nous sommes dans une impasse, avec ce dispositif qui nous échappe et dont plus personne ici, au sein de cette Commission, ne défend la pertinence. Je ne suis pas de ceux qui, devant une telle situation, se réfugient derrière une responsabilité quelque peu virtuelle. Il faut parler un langage de vérité à nos concitoyens. Nous avons adopté de nombreux dispositifs qui sont aujourd’hui dans le droit commun : autorisation des perquisitions de nuit à domicile ; reconnaissance, au profit du Parquet, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, de prérogatives quasiment équivalentes à celles des magistrats instructeurs ; procédure pénale permettant la mise en œuvre des contrôles d’identité et autorisant l’inspection visuelle et la fouille des bagages. Notre arsenal législatif ayant été fortement durci, rien ne justifie aujourd’hui une cinquième prorogation de l’état d’urgence d’autant que nous ne savons pas comment nous pourrons en sortir.

M. Guillaume Garot. Face au péril terroriste, qui reste imminent, la prorogation de l’état d’urgence s’impose mais cela ne doit pas nous faire oublier en effet tout l’arsenal juridique que nous avons voté depuis 2012 et qui s’inscrit dans le droit commun. Pour rassurer ceux qui seraient inquiets ou dubitatifs, il importe que le rapporteur montre dans ses réponses en quoi le dispositif de l’état d’urgence est parfaitement complémentaire du droit commun que nous avons institué depuis plus de quatre ans, en ce qu’il lui confère toute son efficacité.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je rebondirai sur ce que vient de dire notre collègue Guillaume Garot. C’est la cinquième fois effectivement que nous examinons un texte visant à proroger l’état d’urgence. Dans le cadre du rapport relatif au contrôle parlementaire, vous avez fait le point, M. le Président, sur toutes les mesures administratives. Il eût été intéressant qu’un audit soit fait afin de déterminer si les dispositions prévues à titre dérogatoire et exceptionnel par l’état d’urgence étaient encore utiles, et si d’autres ne devraient pas leur être ajoutées. Vous avez souligné en effet la semaine dernière qu’on constatait une baisse assez sensible d’un certain nombre de mesures. Il est donc dommage qu’on nous propose à nouveau un dispositif identique alors que la situation a peut-être un peu évolué.

M. le rapporteur. Mon rapport devrait apporter des éléments de réponse à vos différentes questions. Il permet de considérer qu’il est un peu hâtif de balayer d’un revers de main la pertinence du recours à l’état d’urgence dans la période que nous traversons et dans celle que nous allons connaître. Je crois d’ailleurs que les faits contredisent le procès d’intention selon lequel l’autorité administrative mettrait sous l’éteignoir la vie démocratique ou les mouvements sociaux : nous avons vu au cours du premier semestre de 2016 ce qu’il en a été réellement. Il n’est naturellement pas dans l’intention du Gouvernement ni de la majorité d’entraver le libre exercice démocratique du débat préalable aux élections présidentielle et législatives. En revanche, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de disposer de tous les moyens d’assurer la sécurité des rassemblements de personnes et donc de prérogatives pour discuter avec les organisateurs desdits rassemblements.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Prorogation de l’état d’urgence

L’article 1er prolonge, jusqu’au 15 juillet 2017, l’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015 et prorogé, depuis, à quatre reprises.

A. L’ÉTAT DU DROIT

La loi du 3 avril 1955 (27) prévoit que l’état d’urgence peut être déclaré par décret en Conseil des ministres sur tout ou partie du territoire, soit en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », soit en cas d’« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Conformément à son article 3, la prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par une loi, laquelle fixe la durée définitive de son application.

Dans le contexte des attentats meurtriers du 13 novembre 2015, le Président de la République a déclaré l’état d’urgence sur le territoire métropolitain à compter du 14 novembre, à zéro heure, par le décret n° 2015-1475 du même jour. Un second décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015, pris dans des formes analogues, a étendu le périmètre de l’état d’urgence aux cinq départements d’outre-mer, ainsi qu’à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

Cet état d’urgence a déjà été prorogé :

––  jusqu’au 25 février 2016, à minuit, par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 qui a également procédé à l’actualisation du régime des mesures de la loi du 3 avril 1955 (28) ;

––  jusqu’au 25 mai 2016, à minuit (29), par la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;

––  jusqu’au 25 juillet 2016, à minuit (30), par la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 ;

––  jusqu’au 21 janvier 2017 à minuit, par la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste (31).

Dès la déclaration de l’état d’urgence, le ministre de l’Intérieur et les préfets se voient dotés de pouvoirs de police étendus.

LES MESURES ADMINISTRATIVES PERMISES PAR LA LOI DU 3 AVRIL 1955

Article de la loi

Mesure

Acte juridique de mise en œuvre de la mesure

Article 5 (1°)

Interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules

Arrêté préfectoral

Article 5 (2°)

Institution de zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé

Arrêté préfectoral

Article 5 (3°)

Interdiction de séjour

Arrêté préfectoral

Article 6

Assignation à résidence, complétée le cas échéant par :

Arrêté ministériel (Intérieur)

- assignation à domicile à temps partiel

- pointage au commissariat

- interdiction d’entrer en relation

Article 6-1

Dissolution d’associations ou de groupements

Décret en Conseil des ministres

Article 8 (premier alinéa)

Fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion

Arrêté ministériel (Intérieur) ou préfectoral sur l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence

Article 8 (second alinéa)

Interdiction de manifestation

Arrêté ministériel (Intérieur) ou préfectoral sur l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence

Article 8-1

Contrôles d’identité, inspection visuelle et fouilles des bagages, visite des véhicules

Arrêté préfectoral

Article 9

Remise des armes des catégories A à C et de celles de catégorie D soumises à enregistrement

Arrêté ministériel (Intérieur) ou préfectoral

Article 10

Réquisitions de personnes ou de biens

Ordre de réquisition préfectoral

Article 11

(I)

Perquisitions au domicile de jour et de nuit

Ordre de perquisition du ministre de l’Intérieur ou du préfet

Article 11 (II)

Blocage de sites Internet provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie

Arrêté ministériel (Intérieur)

B. LE DROIT PROPOSÉ

Le présent article reprend la formulation désormais classique, en trois points, fixant l’étendue de la prorogation – périmètre géographique et durée –, les mesures autorisées et les modalités de cessation anticipée.

Les alinéas 1 à 3 (I) prorogent jusqu’au 15 juillet 2017 « l’état d’urgence déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 (…) et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 (…) et prorogé en dernier lieu par la loi n° 2016–987 du 21 juillet 2016 ». Comme votre rapporteur l’avait déjà souligné au mois de mai (32), rien ne s’oppose à des prorogations successives de l’état d’urgence, sans qu’il soit besoin d’un nouveau décret présidentiel. Le Conseil d’État l’avait rappelé dans son avis, rendu public, sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation : « si les conditions de fond de l’état d’urgence sont toujours remplies, une nouvelle prorogation par la loi sera possible. Il reviendra au Parlement d’en décider au cas par cas. »

L’alinéa 4 (II) mentionne expressément le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 afin de permettre aux préfets d’ordonner des perquisitions administratives en tous lieux, de jour comme de nuit.

Il faut noter que la loi du 21 juillet 2016 précitée a significativement modifié le cadre légal applicable en matière de perquisitions en prévoyant :

––  la possibilité de maintenir la personne sous contrainte pendant la durée de la perquisition ;

––  la possibilité pour les autorités administratives de prononcer une « perquisition de rebond » ;

––  la délivrance d’une copie de l’ordre de perquisition ;

––  un nouveau régime de saisie de données informatiques.

La décision n° 2016–600 QPC du 2 décembre 2016, M. Raïme A. (perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence III).

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le vendredi 2 décembre 2016 sur les conditions de saisie et de conservation de données informatiques lors d’une perquisition administrative réalisée dans le cadre de l’état d’urgence (33). Il a déclaré conformes à la Constitution l’architecture et le principe du dispositif, à l’exception seulement des dispositions relatives aux données copiées qui « caractérisent une menace sans conduire à la constatation d’une infraction », dont il a reporté les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité au 1er mars 2017.

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portait sur les alinéas 5 à 10 du I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans leur rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016 précitée, qui régissent la procédure de saisie, de conservation et de destruction des données « contenues dans tout système informatique ou équipement terminal » recueillies au cours d’une perquisition lorsque celle–ci « révèle l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatif à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée ». Ces dispositions devaient permettre de répondre à la censure de dispositions de la loi du 20 novembre 2015 précitée par le Conseil constitutionnel, qui donnaient la possibilité à l’autorité administrative de copier toutes les données informatiques auxquelles la perquisition donnait accès, au motif que le législateur n’avait pas prévu de garanties légales propres à assurer un équilibre entre droit au respect de la vie privée et sauvegarde de l’ordre publics (34) .

S’agissant de la saisie et de l’exploitation des données informatiques, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Il a en effet relevé que sont définis :

––  les motifs pouvant justifier la saisie, puisque la perquisition doit avoir relevé l’existence de données relatives à la menace ;

––  les conditions de sa mise en œuvre : la saisie est réalisée en présence d’un officier de police judiciaire, elle ne peut être effectuée sans que soit établi un procès-verbal indiquant ses motifs et sans qu’une copie en soit remise au procureur de la République ainsi qu’à l’occupant du lieu, à son représentant ou à deux témoins.

En outre, l’autorisation préalable d’un juge est nécessaire pour procéder à l’exploitation des données collectées, laquelle ne peut porter sur celles dépourvues de lien avec la menace. Dans l’attente de la décision du juge, les données sont placées sous la responsabilité du chef de service ayant procédé à la perquisition et nul ne peut y avoir accès.

S’agissant de l’atteinte au droit de propriété du fait de la saisie de supports informatiques sans autorisation préalable d’un juge lors qu’une perquisition administrative, le Conseil constitutionnel n’a pas jugé qu’elle était constituée dès lors que :

––  la saisie des systèmes et appareils informatiques est encadrée par des garanties légales ;

––  elle n’est possible que si la copie des données qu’ils contiennent ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition – cette impossibilité devant être justifiée par l’autorité administrative lorsqu’elle sollicite du juge l’autorisation d’exploiter les données contenues dans ces supports ;

––  les systèmes et équipements saisis sont restitués à leur propriétaire à l’issue d’un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés a autorisé l’exploitation des données.

S’agissant de la conservation des données informatiques, le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur avait encadré les conditions de conservation de deux des trois types de données :

––  les données autres que celles caractérisant la menace ayant justifié la saisie en prévoyant un délai de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés en a autorisé l’exploitation sont détruites ;

––  les données constituant une infraction sont conservées selon les règles applicables en matière de procédure pénale.

En revanche, aucune règle n’est prévue s’agissant de la destruction – après la fin de l’état d’urgence – des données copiées caractérisant une menace sans conduire à la constatation d’une infraction.

Or, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que des durées maximales de conservation des renseignements collectés par la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement, au–delà desquelles ces renseignements doivent être détruits, participaient au respect des exigences constitutionnelles, en particulier du droit au respect de la vie privée (35). De ce fait, il a estimé que s’agissant de ce dernier point, le législateur n’avait pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

La durée de conservation des données copiées caractérisant une menace sans conduire à la constatation d’une infraction sera donc de trois mois, durée peu éloignée du droit commun en matière de conservation de données de renseignement (ex : article L. 822–2 du code de la sécurité intérieure), ce qui ne soulève donc aucune difficulté.

Enfin, l’alinéa 5 (III) poursuit la pratique inaugurée par la loi de prorogation du 18 novembre 2005 (36) et autorise l’exécutif à mettre fin à l’état d’urgence, de manière anticipée, par décret en Conseil des ministres à condition d’en rendre compte au Parlement.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

Votre rapporteur rappelle la persistance de la menace terroriste illustrée tragiquement par les attentats du 14 juillet à Nice, du 26 juillet à Saint–Étienne–du–Rouvray et depuis par les 12 projets d’attentats déjoués. Il souligne les risques spécifiques liés à ce nouveau type d’attentat, n’impliquant pas d’armement sophistiqué.

Les mesures autorisées par cette cinquième prorogation doivent permettre de recourir à des moyens adaptés, propres à assurer la protection des Français lors des nombreux rassemblements liés aux périodes électorales à venir.

*

* *

La Commission examine l’amendement CL14 de suppression de l’article présenté par M. Sergio Coronado. 

M. Sergio Coronado. Dans leur rapport de contrôle présenté la semaine dernière, les deux rapporteurs exprimaient clairement un malaise. Il est d’ailleurs regrettable que Jean-Frédéric Poisson ne soit pas présent ce soir car la position qu’il défend dans ce rapport le conduirait à ne pas voter la prorogation de l’état d’urgence.

Il est en tout cas compliqué de proroger un dispositif législatif qui doit être limité dans le temps et géographiquement – telle est l’essence même de l’état d’urgence. Je rappellerai les propos tenus, dans cette enceinte, par Jean-Jacques Urvoas : « Les mesures que nous allons décider ne dureront qu’un temps limité. Elles ne se comprennent d’ailleurs que par leur obsolescence programmée. » C’est aussi l’avis exprimé par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Nous sommes devant une difficulté : nous prorogeons pour la cinquième fois un dispositif législatif hérité de la IVe République, qui a été voté en période coloniale, qui n’était pas, au départ, destiné à la lutte contre le terrorisme et qui devait être limité dans le temps.

En outre, depuis plus d’un an, nous avons renforcé considérablement notre arsenal législatif et nous disposons à présent d’outils qui n’existaient pas au moment où nous avons voté la première prorogation. Or nous faisons comme si rien n’avait changé. Notre collègue Pierre Morel-A-L’Huissier vient d’ailleurs d’exprimer cette interrogation. La situation a changé, à la fois quant à la nature de la menace et quant aux moyens pour y faire face, mais nous faisons comme si nous étions encore en novembre 2015. Nous ne pouvons nous engager dans une nouvelle prorogation de l’état d’urgence sans procéder à l’évaluation de cette situation nouvelle, de ce qui a été fait et, enfin, des nouveaux moyens dont l’État dispose désormais pour se défendre contre le terrorisme.

Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement de suppression de l’article 1er.

M. le rapporteur. Comme vous avez évoqué le Conseil d’État, je vais citer son avis du 8 décembre 2016 : « [Le Conseil d’État] relève la coïncidence entre l’intensité de [la] menace terroriste et la période de la campagne électorale présidentielle et législative qui est importante dans la vie démocratique de la Nation. Le Conseil d’État estime que la conjonction de la menace terroriste persistante d’intensité élevée rappelée ci-dessus et des campagnes électorales, présidentielle et législative, caractérise "un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public" au sens de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955. »

M. Guillaume Larrivé. Notre débat tourne un peu à vide du fait de l’absence, que je n’arrive pas à comprendre, du Gouvernement. Compte tenu de ce qu’est l’hémicycle, le dialogue n’aura pas lieu demain en séance publique. C’est ici, devant la commission des Lois, convoquée comme c’est normal à vingt et une heures un lundi, que le ministre de l’intérieur devrait débattre des différents arguments.

Le rapporteur a raison de citer l’avis du Conseil d’État. Je voudrais mentionner aussi le paragraphe 6 de cet avis : « Enfin le Conseil d’État (…) rappelle que les renouvellements de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment et que l’état d’urgence doit demeurer temporaire. Les menaces durables ou permanentes doivent être traitées, dans le cadre de l’État de droit, par les instruments permanents de la lutte contre le terrorisme, tels ceux issus des lois adoptées ces deux dernières années dans ce domaine ainsi que ceux, le cas échéant, du projet de loi sur la sécurité publique qui sera prochainement examiné par le Parlement. »

Je voterai pour ce texte mais je trouve qu’on nous le fait adopter dans des conditions insuffisamment sérieuses. Il serait utile que le Gouvernement soit représenté. J’aimerais, monsieur le président, que vous nous disiez pourquoi il ne l’est pas ce soir.

M. le président Raimbourg. À la décharge du ministre de l’intérieur, je dois rappeler qu’il n’a été nommé que la semaine dernière et qu’il est confronté à la même difficulté que nous. Tout cela est précipité par la démission du Gouvernement. Il m’a également indiqué qu’il avait dû se rendre à Bruxelles pour le Conseil Justice et affaires intérieures. Le calendrier n’est pas beaucoup plus confortable pour lui que pour nous.

D’après des échanges téléphoniques que j’ai eus avec son cabinet, il me semble que le ministère peaufine la dernière rédaction du texte et procède à des ajustements, en prévision des débats qui vont se dérouler ce soir dans notre commission, demain en séance, mercredi et jeudi au Sénat. Je ne peux pas vous en dire plus car ce sont les seuls éléments en ma possession.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle adopte l’article 1ersans modification.

Article 2
(art. 6 de la loi n° 55–385 du 3 avril 1955 relative à l’état d'urgence
)
Création d’une durée maximale d’assignation à résidence de quinze mois consécutifs

Le présent article instaure une durée maximale d’assignation à résidence de quinze mois consécutifs, en l’absence d’éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure.

A. L’ÉTAT DU DROIT

Les assignations à résidence sont des mesures provisoires, qui cessent en même temps que l’état d’urgence. Dans la décision précitée du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a ainsi précisé que « si le législateur prolonge l’état d’urgence par une nouvelle loi, les mesures d’assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées ». (37)

Chacune des prorogations de l’état d’urgence – le 26 février 2016, le 25 mai 2016 puis le 21 juillet 2016 – a donc déjà entraîné un réexamen des dossiers des personnes précédemment assignées à résidence.

Sur la durée globale de l’état d’urgence, le nombre de personnes assignées à résidence a décru fortement à l’issue de la première période de prorogation (soit au 26 février). Il s’est ensuite relativement stabilisé.

Les assignations à résidence (38)

Au cours des premiers mois, 563 personnes ont fait l’objet d’une proposition d’assignation adressée à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, délégataire du ministre de l’Intérieur sur ce sujet.

La DLPAJ en a rejeté 76 dans le cadre de la COP21 pour n’en garder finalement que 27, dont 15 n’ont pu être notifiées par les services. Ces assignations particulières sont arrivées à échéance le 12 décembre 2015.

Quant aux assignations pour radicalisation violente, la DLPAJ a rejeté 86 demandes, pour en garder au total 374 sur l’ensemble de la période. Au soir du 25 février 2016, cependant, seules 271 d’entre elles étaient en vigueur. Cette différence s’explique par le fait que 16 assignations ont été suspendues ou annulées par le juge administratif, 57 ont été retirées ou abrogées en cours de période, 24 bloquées avant même leur notification ; six, enfin, n’ont pas été notifiées aux intéressés.

À la date du 25 février 2016, l’état d’urgence ayant été prorogé, la DLPAJ a engagé une procédure de réexamen individuel des dossiers. Sur ce fondement, 70 assignations ont été renouvelées. La majeure partie des assignations décidées avant le 26 février n’ont donc pas fait l’objet d’un renouvellement et une minorité d’entre elles ont ensuite fait l’objet d’une mesure administrative de droit commun.

Durant la seconde période, entre le 26 février 2016 et le 25 mai 2016, deux autres mesures ont été prises, soit un total de 72 assignations.

Entre le 25 mai 2016 et le 20 juillet 2016, 79 mesures d’assignation ont été prononcées au total mais deux d’entre elles n’ont pas été notifiées, soit un total de 77 assignations.

Entre le 21 juillet 2016 et le 15 novembre 2016, 111 mesures d’assignation ont été prononcées. Au 15 novembre, 15 ont été abrogées, une a été suspendue par le juge et 95 sont toujours en vigueur. Parmi les personnes concernées, une part non négligeable vise des personnes qui sont assignées depuis le début de l’état d’urgence.

B. LE DROIT PROPOSÉ

Ainsi que l’a déjà souligné M. Michel Mercier, sénateur et rapporteur du suivi de l’état d’urgence et des projets de loi de prorogation, les assignations à résidence « ne peuvent se prolonger indéfiniment » (39).

Le récent rapport de Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson, de même que l’avis du Conseil d’État sur le présent projet de loi (40) ont dressé des constats similaires : la succession des prorogations de l’état d'urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard de la liberté d’aller et de venir et justifier la fixation dans la loi d’une durée maximale.

Nos collègues proposaient de préciser qu’une même personne ne peut pas être assignée plus de huit mois au cours d’une période totale de douze mois et de prévoir un réexamen, sur ces bases, des cas des personnes assignées depuis le début de l’état d’urgence. Le Conseil d’État a, quant à lui, préconisé de limiter à douze mois la durée ininterrompue de l’assignation à résidence d’une personne. Dans les deux cas, ces propositions prévoyaient une dérogation dans le cas de faits nouveaux.

Le présent projet de loi complète l’article 6 de la loi n° 55–385 du 3 avril 1955 relative à l’état d'urgence de manière à préciser qu’une même personne ne peut être assignée à résidence plus de quinze mois consécutifs en l’absence d’éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure.

C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

À l’initiative de votre rapporteur et du président de la commission des Lois, M. Dominique Raimbourg, la Commission a adopté un amendement de réécriture globale du présent article ayant pour objet :

––  d’inscrire dans la loi la jurisprudence constitutionnelle précitée du 22 décembre 2015 aux termes de laquelle « la mesure d’assignation à résidence prise en application de cette loi cesse au plus tard en même temps que prend fin l’état d’urgence » ;

––  d’abaisser à douze mois – cumulatifs et non plus consécutifs – la durée maximale durant laquelle une personne peut être assignée à résidence ;

––  d’instaurer un dispositif dérogatoire permettant de prolonger la durée d’assignation à résidence au-delà de douze mois. Cette procédure substitue à la notion d’« éléments nouveaux », difficilement praticable en présence de personnes entravées par des mesures de contrôle administratif, une autorisation par le Conseil d’État.

Le ministre de l’Intérieur pourra ainsi demander au juge des référés du Conseil d’État l’autorisation de prolonger une assignation à résidence au-delà du délai de douze mois mentionné à l’alinéa précédent. Le juge des référés statuera dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative et dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine, « au vu des éléments produits par l’autorité administrative faisant apparaître les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». La prolongation autorisée par le juge des référés ne pourra excéder une durée de trois mois. L’autorité administrative conserve, à tout moment, la possibilité de mettre fin à l’assignation à résidence ou de réduire les obligations qui en découlent.

Ce dispositif s’inspire des dispositions votées par le législateur dans la loi du 21 juillet 2016 pour autoriser l’exploitation de données informatiques copiées à l’occasion d’une perquisition administrative ;

––  de créer un dispositif transitoire pour que les personnes qui, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, auraient été assignées à résidence plus de douze mois, puissent faire l’objet d’une nouvelle mesure d’assignation s’il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

* *

La Commission examine l'amendement CL24 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement est cosigné par le président de notre Commission, qui pourra compléter la présentation que je vais en faire. Il est proposé de ramener de quinze à douze mois la durée maximale de l’assignation à résidence. Il tend aussi à substituer à la condition « d’éléments nouveaux » nécessaires pour reconduire une assignation à résidence au-delà de douze mois, une autorisation expresse par le juge des référés du Conseil d’État. C’est ce dernier qui pourra donner l’autorisation de prolonger une assignation à résidence pour une durée de trois mois éventuellement renouvelable.

Nous mettons en place un dispositif transitoire qui permet de prendre en compte les personnes assignées à résidence depuis plus d’un an à la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Une quarantaine de personnes sont concernées. Nous proposons un délai de quatre-vingt-dix jours durant lequel le Gouvernement pourra solliciter du juge administratif un avis favorable pour prolonger les mesures qui les concernent. Nous avons essayé de tenir compte du rapport parlementaire examiné la semaine dernière et de l’avis du Conseil d’État publié le 8 décembre.

M. le président Raimbourg. Mme Attard et M. Coronado, vous avez présenté des amendements qui tomberont si l’amendement CL24 est adopté. Je vous donne la parole pour que vous puissiez vous exprimer sur cet amendement mais aussi, si vous le souhaitez, pour défendre vos propres amendements.

Mme Isabelle Attard. L’amendement CL24 propose que l’assignation à résidence ne dépasse pas douze mois alors que le texte prévoyait quinze mois. Ces durées sont-elles déterminées « au doigt mouillé » ? En tout cas, le rapport dit « Raimbourg-Poisson » préconisait huit mois. Comme mon collègue Sergio Coronado, je considère que cette durée est suffisante pour une privation de liberté. Pourquoi douze mois ?

J’en viens maintenant à mon amendement CL13. Monsieur le rapporteur, il n’y a pas seulement quelques députés isolés pour trouver que l’état d’urgence a été détourné de son objectif initial. Dans Un président ne devrait pas dire ça, il est rapporté des propos tenus en décembre 2015 par le Président de la République. Dans un passage du livre, que je cite intégralement dans l’exposé des motifs de mon amendement, il explique que l’état d’urgence a été utilisé pour surveiller des gens qui ne sont pas forcément liés au terrorisme.

J’aime bien appeler un chat, un chat et je m’efforce d’être cohérente depuis quatre ans et demi. Dans mon amendement, je suggère donc de remplacer « assignations à résidence » par « lettres de cachet ». Sous l’Ancien Régime, la lettre de cachet permettait l’enfermement d’opposants politiques sans autre forme de procès. Étant donné les dérives que nous constatons en matière d’assignations à résidence illégitimes depuis novembre 2015, étant donné tous les arrêtés supprimés en Conseil d’État après les plaintes de personnes qui ont fait l’objet de cette mesure sur la base de quelques notes blanches peu étayées, étant donné la décision du Gouvernement de supprimer certaines assignations avant qu’elles ne soient soumises au Conseil d’État pour éviter que le ridicule ne soit encore plus visible, je pense que la comparaison se justifie.

Nous pourrions considérer que cet état d’urgence et ces assignations à résidence ont servi à maintenir chez eux des opposants à la COP 21, à la loi travail ou à d’autres mesures gouvernementales. Le juge judiciaire n’apparaît pas en amont des décisions prises : on tire d’abord et on pose la question après. C’est un peu l’impression que donnent les assignations à résidence : d’abord, on enferme, quitte à ce que ces personnes ne puissent plus exercer leur profession et subissent des préjudices financiers et personnels extrêmement importants. Cela se passe effectivement sans autre forme de procès. Je trouve que la situation correspond bien à la définition de la lettre de cachet.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, dans le rapport que vous nous avez présenté la semaine dernière avec Jean-Frédéric Poisson, vous pointiez une sorte de dérive des assignations à résidence, en soulignant le peu de procédures judiciaires auxquelles elles ont donné lieu. Il y a ainsi quelque cinquante personnes assignées à résidence depuis la première période, sans qu’aucun élément ne vienne étayer la menace puisque aucune procédure judiciaire n’a suivi.

Dans son avis publié le 8 décembre, le Conseil d’État « a en conséquence estimé nécessaire de fixer dans la loi une limite maximale de douze mois à la durée ininterrompue de l’assignation à résidence d’une personne ». Monsieur le président, la proposition que vous faisiez dans votre rapport me semblait plus intéressante et plus adaptée aux risques que vous aviez vous-mêmes pointés : vous préconisiez qu’une même personne ne puisse pas être assignée plus de huit mois au cours d’une période totale de douze mois.

Je suis sans doute moins radical que ma collègue Isabelle Attard. Je veux avancer et vous convaincre, vous le savez bien dans cette commission, même si mes efforts n’ont pas rencontré beaucoup de succès depuis un an. Je vais finir par me radicaliser ! Je me contentais seulement de reprendre la proposition que vous nous faisiez, monsieur le président. Comme je connais l’autorité que vous exercez sur les membres de cette commission, je ne doute pas qu’ils décideront de vous suivre vous plutôt que le Conseil d’État.

M. le président Dominique Raimbourg. Puisque vous souhaitez des explications, je vais vous les donner, en prenant en compte les difficultés que pose l’écriture de ce genre de textes.

Première observation, je regrette que nous n’ayons pas constitutionnalisé l’état d’urgence. Si nous l’avions fait, nous aurions un cadre constitutionnel et une loi organique qui nous mettraient à l’abri des dérives – hélas, la déchéance de nationalité, que je n’appelais pas de mes vœux, est venue polluer un débat qui, autrement, aurait été plus facile à mener. Je note cependant qu’une partie des opposants à l’état d’urgence – je ne parle pas de vous, monsieur Coronado – prétendaient qu’en le constitutionnalisant, nous le banaliserions... À mon avis, ce n’était pas vrai ; malheureusement, cette critique a prospéré.

Deuxième observation, nous avons essayé de mettre en place toutes les garanties possibles qui nous permettent de nous tenir sur cette ligne de crête si difficile entre l’efficacité et la protection des libertés. Tout d’abord, l’état d’urgence est limité dans le temps. Ensuite, les durées d’assignation évoquées dans l’amendement sont des durées cumulées et non plus continues comme dans le projet de loi. Dans un certain nombre de cas, en effet, les assignations sont levées parce que les personnes qui en font l’objet sont incarcérées. Dans d’autres cas, assez nombreux, l’assignation est levée parce que les intéressés sont internés en psychiatrie – c’est d’ailleurs inquiétant. Le dispositif est pensé comme celui des heures de garde à vue : tous les jours comptent. Par ailleurs, la prolongation sera désormais ordonnée par le juge administratif, quand bien même il s’agit là d’une légère entorse par rapport à la doctrine qui veut que les opérations de police administrative soient soumises non pas à l’autorisation mais au contrôle du juge. Compte tenu des circonstances particulières dont nous parlons, cette précaution me semble nécessaire, quoiqu’elle ne soit pas tout à fait conforme à l’orthodoxie juridique. Enfin, la prolongation autorisée par le juge ne pourra excéder une durée de trois mois – certes renouvelable. Tous les trois mois, il y aura donc une vérification par le juge. C’est important, car un certain nombre de personnes assignées à résidence depuis longtemps n’ont jamais formé de recours. Il faut néanmoins vérifier si leur situation justifie le maintien de cette assignation.

Troisième observation, si le Gouvernement a retenu une durée de quinze mois plutôt que la durée de huit mois préconisée – in abstracto – par le rapport sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, c’est parce qu’il fallait prendre en compte l’existence de personnes assignées à résidence depuis treize mois. Il était extrêmement délicat de prévoir une durée de huit mois qui ne s’appliquerait pas aux personnes déjà assignées depuis treize mois ; c’était là une rupture d’égalité qui ne nous paraissait pas possible. D’où cette durée de quinze mois, ramenée aujourd’hui à douze, avec la possibilité d’une prolongation.

Dernière observation, madame Attard, si la question des assignations à résidence décidées au moment de la COP21 est toujours posée par certains, à notre connaissance, il n’y a jamais eu d’assignation à résidence pour d'autres opposants. Il n’y en a notamment pas eu à l’occasion des manifestations contre la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Certes, il y eut des interdictions de paraître, ce qui n’est pas la même chose, à l’encontre de manifestants considérés comme violents, et la première vague des interdictions de paraître décidées par la préfecture de police a posé problème puisqu’elles ont été annulées, mais, ensuite, elles n’ont visé que des personnes qui avaient déjà fait l’objet de constatations. Ce ne sont donc pas tout à fait des lettres de cachet, ce n’en sont même pas du tout.

M. Guillaume Larrivé. En l’état, je ne voterai pas cet amendement. La difficulté, pour moi, ne tient pas vraiment au délai. Douze mois ? Quinze mois ? Cela peut se discuter, même si nous aurions aimé entendre les explications du ministre de l’intérieur sur le dispositif proposé et son avis sur celui que tend à lui substituer cet amendement CL24. Cette question est cependant secondaire.

Plus importante me paraît celle de l’autorité qui décidera de l’assignation à résidence. L’amendement que vous proposez marque une véritable dépossession du pouvoir propre du Gouvernement. Dans le texte du projet de loi, c’est toujours l’autorité administrative qui est compétente. Dans son avis, l’assemblée générale du Conseil d’État a noté : « En cas de faits nouveaux ou d’informations complémentaires, [la disposition proposée par le projet de loi] n’interdirait pas aux autorités compétentes de reprendre une mesure d’assignation à résidence d’une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. »

En revanche, l’amendement CL24 aurait pour effet de dessaisir le ministre de sa compétence pour la transférer au juge des référés. Mais le juge de l’administration n’est pas l’administration ; chacun son métier. Je ne comprends pas trop la raison du changement proposé. Aujourd’hui, le ministre est sous le contrôle du juge administratif. Demain, il sera sous le contrôle du juge administratif pendant douze mois et, ensuite, le juge administratif se substituera à l’administration ! Je n’en vois pas l’intérêt, mais j’en vois bien les risques : déposséder l’autorité politique de sa responsabilité, y compris vis-à-vis de nous, puisque le Gouvernement est responsable devant le Parlement, contrairement au juge des référés du Conseil d’État. Étrange idée que celle de déposséder le Gouvernement de son pouvoir propre.

M. le rapporteur. Tout d’abord, je ne crois pas que les lettres de cachet de l’Ancien Régime aient jamais pu faire l’objet d’un recours en référé ni d’un recours au fond, mais peut-être quelque chose m’a-t-il échappé.

Je précise que l’amendement que nous présentons est le fruit non seulement d’un travail en commun entre le président Raimbourg et moi-même mais aussi d’échanges avec nos homologues du Sénat, qui auront à se prononcer après nous. Nous procédons régulièrement ainsi pour ces textes prorogeant l’état d’urgence. La première fois, c’est l’Assemblée nationale qui a été saisie en premier. Pour les deux textes suivants, c’était l’inverse. Nous préférons bien sûr, notamment pour des raisons de délai et compte tenu du calendrier parlementaire, ne pas devoir réunir une commission mixte paritaire. Nous avons donc travaillé, de manière officieuse, non seulement avec le président Philippe Bas mais aussi avec le rapporteur Michel Mercier.

Il n’y a aucune dépossession de l’autorité administrative. La compétence conférée au juge est celle d’autoriser la prolongation, mais c’est bien le ministre qui prend ou ne prend pas la décision en vertu de l’autorisation donnée. L’amendement dispose également que « l’autorité administrative peut, à tout moment, mettre fin à l’assignation à résidence ou diminuer les obligations qui en découlent en application des dispositions [de l’article 2 ainsi rédigé] ».

Cela veut dire que, s’il est nécessaire et légitime que le pouvoir exécutif rende compte, notamment devant le Parlement, c’est bien le ministre et son administration qui auront à rendre compte devant nous des décisions qu’ils auront prises.

M. Guillaume Larrivé. Quand vous écrivez, monsieur le président, monsieur le rapporteur, que « le ministre de l’intérieur peut toutefois demander au juge des référés du Conseil d’État l’autorisation de prolonger une assignation à résidence au-delà de la durée mentionnée à l’alinéa précédent », cela veut bien dire que c’est le juge des référés qui décidera ou pas de prolonger l’assignation ! J’y vois, nonobstant l’éventuel accord du président Philippe Bas, un glissement.

Nous sommes au cœur du cœur de ce qu’on appelait autrefois la haute police, nous sommes au cœur de la police administrative. Nous parlons d’assignations à résidence préventives, il est question d’un public extrêmement particulier, susceptible de porter très gravement atteinte à l’ordre public. Imaginez-vous concrètement la scène : le ministre de l’intérieur considérant, face à un danger imminent, qu’un individu doit faire l’objet d’une assignation à résidence ne peut plus édicter une telle mesure, il doit aller devant le juge des référés pour faire son métier de police administrative. Je veux bien que M. Bruno Le Roux trouve cela très bien, je veux bien que la commission des Lois du Sénat trouve cela très bien, mais notre responsabilité est de dire ce que nous pensons. Et je pense que ce n’est pas un point de détail, et que cet amendement ne doit pas être adopté.

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur Larrivé, le « cœur du cœur », ce sont les douze premiers mois, au cours desquels c’est le ministre qui décide d’assigner à résidence, le contrôle du juge s’exerçant a posteriori. Cet amendement propose d’inverser cette logique à l’expiration de ces douze mois, en prévoyant une autorisation a priori.

Nous avons déjà inversé cette logique pour mettre en place la procédure de saisie des données informatiques : la perquisition ne permet pas de saisir des données informatiques, car le Conseil constitutionnel a considéré qu’il s’agissait d’une atteinte excessive aux libertés et qu’une autorisation du juge administratif était nécessaire pour y procéder. Dans ce cas, nous avons donc remplacé le contrôle a posteriori par un contrôle a priori.

Nous nous contentons ici de remettre en place un contrôle a priori pour autoriser des restrictions de liberté, après une première période de douze mois.

M. Guillaume Larrivé. L’argument des saisies informatiques est très bon, mais cette évolution a été faite précisément parce que le Conseil constitutionnel nous y invitait. Dans le cas présent, un avis du Conseil d’État valide expressément l’idée que l’autorité administrative reste compétente dans son champ. Ce n’est pas du tout une décision juridictionnelle qui nous pousse à faire cela, c’est bien un choix de votre part.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je ne peux pas suivre Guillaume Larrivé. Je comprends ses hésitations, je les ai partagées. On ne peut demander au juge administratif, ou plus exactement au Conseil d’État – ce n’est pas exactement la même chose – de se substituer à l’autorité de police. Mais l’exemple donné par le président de notre Commission est tout à fait pertinent, et dans ces conditions, il n'y a pas de difficultés.

Le Conseil constitutionnel n’a pas guidé la main du législateur, il s’est borné à indiquer qu’il n’était pas possible de saisir certains types de matériel. Mais il n’a jamais dit qu’il convenait de demander l’autorisation au Conseil d’État, la solution n’était pas donnée dans sa décision. C’est pourquoi je pense que le précédent avancé par le président est particulièrement instructif : sans lui, j’aurais partagé l’hésitation de M. Larrivé.

M. Sergio Coronado. Je vois dans cette mesure un prolongement de l’inquiétude que vous manifestiez dans votre rapport : un certain nombre de personnes sont assignées à résidence depuis plusieurs mois et aucun contrôle ne s’est opéré sur la pertinence et la validité de la prolongation de ces assignations. Le changement relevé par notre collègue Guillaume Larrivé est une façon d’introduire un contrôle du juge sur la validité de l’assignation à résidence.

M. le rapporteur. Je rappelle que le Conseil d’État, dans son avis du 8 décembre, a estimé nécessaire de fixer dans la loi une limite maximale de douze mois à la durée ininterrompue de l’assignation à résidence d’une personne. Si l’on retient ce principe, au-delà de douze mois, il ne peut y avoir de prolongation.

Le Gouvernement proposait une période de quinze mois, mais ajoutait qu’il fallait disposer d’éléments nouveaux. La difficulté est qu’une personne assignée à résidence est consciente d’être surveillée, et très entravée. Trouver ces éléments nouveaux pourrait donc s’avérer compliqué.

La solution que nous proposons semble à la fois plus réaliste et plus protectrice des droits des personnes assignées à résidence. Plus réaliste pour les raisons que je viens d’évoquer : comment trouver des éléments nouveaux ? Et plus protectrice des libertés, car à l’expiration du délai de douze mois, seule une décision expresse du juge des référés du Conseil d’État pourra permettre la prolongation de l’assignation à résidence, pour une durée maximale de trois mois. Il est donc indispensable d’établir solidement les motivations d’une assignation à résidence qui se prolongerait dans le temps, au regard de la menace pour la sécurité et l’ordre public que constitue le comportement de la personne.

Je rappelle qu’en pratique, sur les 95 assignations à résidence qui perdurent, il est question d’une quarantaine de cas – pas davantage. Parmi ceux-ci, nombre d’entre eux ont fait l’objet de recours, à chaque fois rejetés par le juge administratif. Chacun peut ainsi mesurer la juste proportion de ce qui est en jeu en termes de protection des libertés publiques.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Étant avocat en droit administratif, je connais un peu cette matière, et je ne vois pas sur quelle base juridique le juge des référés du Conseil d’État peut donner une autorisation. Le juge administratif ne peut pas faire d’actes d’administrateur. Il peut suspendre, prendre des mesures utiles, mais je ne comprends pas comment il pourrait donner une autorisation.

M. le président Dominique Raimbourg. Il me semble que la base juridique est le texte de loi lui-même.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est une atteinte au principe même de ce qu’un juge administratif est capable de faire en France.

M. le président Dominique Raimbourg. Nous l’avons déjà fait pour les saisies informatiques. La base juridique est la loi, mais vous avez raison, nous sommes à la limite de l’organisation habituelle.

La Commission adopte l’amendement. En conséquence, l’article 2 est ainsi rédigé, et les amendements CL13 et CL15 tombent.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CL19 de M. Julien Dive.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cet amendement soulève deux problèmes : l’excessive sollicitation des services de sécurité du fait de l’état d’urgence ; et les déplacements des ministres qui imposent des déploiements de force importants et entraînent des coûts exorbitants. Alors que nous entrons en période préélectorale, nous devrions être prudents s’agissant des déplacements des ministres, qui agacent souvent la population. Peut-être pourrions-nous limiter tout cela.

M. le rapporteur. Si nous nous replaçons du point de vue du droit, la définition d’un « déplacement facultatif de membres du gouvernement », mentionné dans cet amendement, mériterait d’être précisée. Et mon cher collègue, vous qui connaissez bien les arcanes du droit administratif, ne croyez-vous pas qu’il s’agit d’une injonction au Gouvernement ?

Mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 3
Non caducité de l’état d’urgence après la démission du Gouvernement consécutive à l’élection du Président de la République ou à celle des députés de l’Assemblée nationale

Le présent article prévoit que pendant la nouvelle prorogation de l’état d'urgence, les dispositions de la loi n° 55–385 du 3 avril 1955 modifiée prévoyant la caducité de l’état d’urgence ne sont pas applicables en cas de démission du Gouvernement consécutive à l’élection du Président de la République ou des membres de l’Assemblée nationale.

A. L’ÉTAT DU DROIT

Aux termes de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 : « la loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale. »

B. LE DROIT PROPOSÉ

L’article 1er du présent projet de loi prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017, il convient de prévoir une disposition dérogatoire à la loi du 3 avril 1955 s’agissant de la caducité de l’état d’urgence suite à la traditionnelle démission du Gouvernement intervenant à l’issue de l’élection du Président de la République en mai et des députés de l’Assemblée nationale en juin 2017. Deux choix s’offrent au législateur :

––  la modification ou la suppression de l’article 4 de la loi du 3 avril 1955 ;

––  la création d’une dérogation limitée à la future prorogation de l’état d’urgence. C’est le choix qui a été retenu par le Gouvernement et que votre rapporteur soutient.

C’est également la solution préconisée par nos collègues Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson qui estiment que « dès lors qu’il s’agit du seul verrou procédural disponible, [ils] souhaitent que, dans l’hypothèse de l’examen d’une prochaine loi de prorogation, ces dispositions ne soient pas supprimées de la loi du 3 avril 1955 mais que leur application soit seulement écartée le temps du prochain semestre afin d’ « enjamber » la période électorale ». (41)

*

* *

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Après l’article 3

La Commission examine l’amendement CL5 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Il s’agit du premier des dix amendements que j’ai déposés avec mon collègue Éric Ciotti. Il vise à instaurer une présomption de légitime défense au bénéfice des policiers et des gendarmes qui accomplissent, dans l’exercice de leurs fonctions, un acte proportionné à la gravité de l’atteinte injustifiée commise envers eux-mêmes ou envers autrui. À cette fin, il complète l’article 122-6 du code pénal qui prévoit déjà une telle présomption au bénéfice du citoyen qui tente nuitamment de repousser un cambrioleur.

Ce sujet, que nous évoquons depuis plusieurs années, n’a hélas pas pu trouver d’aboutissement législatif à ce jour. Pourtant, il nous semble nécessaire, alors que le Gouvernement nous demande de proroger l’état d’urgence, de mieux protéger ceux qui nous protègent en faisant évoluer le cadre de l’usage des armes par les policiers et les gendarmes.

M. le rapporteur. L’article 1er du projet de loi relatif à la sécurité publique, qui doit être présenté en Conseil des ministres le 21 décembre prochain, prévoit de fixer un cadre pour l’usage des armes commun aux policiers et aux gendarmes ainsi qu’aux douaniers et militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de réquisitions comme l’opération Sentinelle ou protégeant des installations militaires. Je connais votre impatience sur le sujet, monsieur Larrivé, mais tout vient à point à qui sait attendre. Ce projet de loi sera l’occasion de débattre sereinement et de légiférer en prenant le temps nécessaire, y compris aux échanges entre les deux chambres.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement, à titre temporaire, puisque ce débat, loin d’être renvoyé aux calendes grecques, se tiendra lors de l’examen d’un texte qui devrait être inscrit à l’ordre du jour du Parlement dans moins d’un mois.

M. Sergio Coronado. Guillaume Larrivé sait le respect que je lui porte. Bien que j’en approuve rarement le contenu, ses interventions en commission sont souvent éclairantes et utiles au débat.

En revanche, les dix amendements qu’il a déposés, qui s’apparentent à des cavaliers et qui ont déjà fait l’objet de discussions au sein de notre commission, ne me semblent pas appropriés à cette heure tardive. Je ne crois pas qu’ils participent à enrichir le débat sur la pertinence de l’état d’urgence.

Ces amendements permettront à M. Larrivé et à M. Ciotti de porter le débat devant le Parlement et les Français, comme ils ont l’habitude de le faire au travers de propositions de loi très ciblées et parfaitement relayées dans la presse.

Je demande à notre collègue de faire preuve de la rigueur à laquelle il nous a accoutumés en faisant en sorte que ce débat ait lieu dans l’hémicycle.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission est saisie de l’amendement CL9 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Contrairement à ce que vient de dire M. Coronado, ces amendements n’ont pas seulement vocation à alimenter le débat public.

Depuis que nous débattons de l’état d’urgence, soit depuis plus d’un an, notre groupe a toujours fait part de ses interrogations sur le contenu de l’état d’urgence. Je vous rappelle que lors du précédent débat sur l’état d’urgence, le Parlement s’était prononcé non seulement sur sa prorogation, mais aussi sur des mesures pérennes de nature à renforcer la sécurité de nos concitoyens, que nous jugeons complémentaires de l’état d’urgence stricto sensu.

Nous sommes convaincus qu’on ne peut pas d’un côté proroger l’état d’urgence, et de l’autre, maintenir les policiers et les gendarmes dans un état juridique second, démunis qu’ils sont face à diverses menaces.

Cet amendement fait écho à la récente présentation par le garde de Sceaux d’un rapport sur l’application de la contrainte pénale. Il est déraisonnable, précisément parce que le Gouvernement nous demande de proroger l’état d’urgence, de laisser subsister cette disposition et de l’étendre, ainsi que le prévoit la loi du 15 août 2014 qui a été votée avant les attentats, à l’ensemble des délits passibles d’une peine de cinq ans d’emprisonnement – ce sont des délits très graves – à compter du 1er janvier 2017.

Cet amendement est au cœur du sujet puisqu’il pose la question de l’articulation des différents textes que nous votons.

Il est pour le moins curieux de solliciter du Parlement le vote d’une cinquième prorogation de l’état d’urgence et, dans le même temps, d’accepter que les dispositions sur la contrainte pénale continuent de s’appliquer et que leur extension ne soit pas remise en cause.

M. le président Dominique Raimbourg. Je me départis un instant de la position en retrait que j’adopte habituellement comme président de la commission des Lois pour vous dire que je partage l’avis de M. Coronado. J’écoute toujours vos arguments avec beaucoup d’intérêt, monsieur Larrivé, mais celui que vous avancez me paraît assez faible.

Je vous rappelle qu’en décembre 1958, alors que la guerre d’Algérie faisait rage, sous le gouvernement du général De Gaulle, a été votée la création d’un sursis avec mise à l’épreuve, qui s’applique pour l’ensemble des crimes et délits. Un assassinat, qui est puni d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité, peut aujourd’hui faire l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve ; dans les faits, cela n’arrive jamais parce que le sursis est une possibilité donnée au juge, tout comme la contrainte pénale. Vous niez la réalité en faisant croire que cette peine sera systématiquement prononcée par le juge sous prétexte que la loi le prévoit. La difficulté tient plus aujourd’hui au faible nombre de peines de contrainte pénale prononcées qui ne permet pas de répondre au problème de la surpopulation carcérale.

Je tenais à apporter cette précision sur la loi qui a instauré cette contrainte pénale, dont j’ai été le rapporteur.

M. le rapporteur. Je salue la constance de M. Larrivé. Il comprendra donc la constance de mon avis défavorable sur le même sujet.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission en vient à l’amendement CL4 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Compte tenu du rapport de forces issu des urnes de juin 2012, j’imagine que cet amendement subira le même sort que les précédents. Il vise à instaurer un mécanisme de peine plancher pour la répression des différents types d’agressions commises contre un policier, un gendarme, ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique.

M. le rapporteur. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL3 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Le présent amendement allonge, pour les agressions les plus graves commises contre un policier, un gendarme ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, la période de sûreté pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucune libération conditionnelle, semi-liberté ou autre mesure d’aménagement de peine. La règle proposée consiste à fixer la durée de la période de sûreté aux deux tiers de la peine prononcée, et non plus à la moitié comme actuellement.

M. le rapporteur. Nous avons déjà beaucoup légiféré sur le durcissement des dispositions liées aux aménagements de peine. Cela étant, nous sommes ici en désaccord, donc avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Le présent amendement porte à vingt ans de réclusion criminelle et à 150 000 euros d’amende la peine applicable à la destruction ou à la dégradation d’un bien par incendie ou par utilisation d’explosifs, lorsqu’il s’agit d’un poste de police ou d’une gendarmerie, ou encore du siège de toute autre autorité publique. À cette fin, il modifie l’article 322-8 du code pénal pour d’autres situations. Je comprends bien, là aussi, que cet amendement ne sera pas adopté ce soir mais j’espère qu’il le sera lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurité publique.

M. le rapporteur. Je propose en effet que nous en débattions à cette occasion, c’est-à-dire au mois de janvier prochain. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL2 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Il s’agit ici de renforcer la répression des menaces proférées contre un policier, un gendarme ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique - particulièrement lorsque ces menaces s’étendent à l’environnement personnel, à savoir à la famille, de cet agent public. Il est donc proposé de punir de trois ans d’emprisonnement – contre deux actuellement – lesdites menaces.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL17 de M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Le présent amendement fait suite à mon exposé liminaire. Le Président de la République et le Premier ministre ont déclaré, après les attentats perpétrés en France, que nous étions en situation de guerre. Il a d’ailleurs fallu un certain temps pour qu’ils s’adaptent à la situation. Or nous nous sommes rendu compte que la coordination des services – notamment le renseignement extérieur – n’était pas au niveau souhaitable, tous les fichiers n’étant pas disponibles pour toutes les forces de police et de sécurité.

Aussi est-il proposé que, pendant l’état d’urgence, soit rendus directement accessibles à toutes les forces de l’ordre et aux services de renseignement, les fichiers ayant un lien direct ou indirect avec la lutte contre le terrorisme.

M. le rapporteur. J’émets un avis défavorable non parce que je serais contre l’amélioration de la fluidité des échanges d’informations entre services – et beaucoup a été réalisé en la matière depuis le début de la législature –, mais pace que votre amendement présente un risque d’inconstitutionnalité pour incompétence négative : comment, en effet, renvoyer à un décret les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre et les services de renseignement seraient autorisés à accéder aux fichiers concernés sans aucune précision ?

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL6 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Il s’agit de préciser les conditions d’emploi de la force armée par les fonctionnaires de la police nationale en les alignant sur celles définies pour les militaires de la gendarmerie.

M. le rapporteur. Cette question sera au cœur de la discussion à venir sur le projet de loi relatif à la sécurité publique. Nous pourrons alors nous efforcer de faire évoluer le droit dans les meilleures conditions possibles, à savoir le rendre conforme à la jurisprudence conventionnelle. Il s’agit en effet d’éviter une doctrine doublement obsolète : d’une part parce que certaines dispositions de la loi de 1903 ne peuvent plus être appliquées et d’autre part parce que la jurisprudence permet d’aller au-delà des limites fixées par la loi en vigueur. Mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL7 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Le présent amendement fait écho à un débat ancien au sein des forces de sécurité intérieure, portant sur les tâches indues. Certaines missions aujourd’hui assurées par les policiers ou les gendarmes pourraient en effet l’être par d’autres personnels, notamment ceux de sécurité privée.

C’est pourquoi il s’agit ici de préciser le cadre dans lequel les entreprises de sécurité privée pourraient assurer des missions de garde statique, par l’intermédiaire d’agents pouvant être armés. Comme le préconise le collège du conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), les agents concernés devraient bénéficier d’une formation exigeante et répondre à des conditions très strictes et très précises de moralité.

Cet amendement n’est pas sans lien avec l’état d’urgence puisque, à mesure que ce dernier est prorogé, les forces de police et de gendarmerie sont très sollicitées – si bien qu’il serait intelligent de recourir de façon plus précise, « bornée », à des personnels de sécurité privée pour certaines missions périphériques qui ne relèvent donc pas directement des missions régaliennes de l’État.

M. le rapporteur. Je prends votre présente proposition pour un amendement d’appel, monsieur Larrivé, et je puis vous assurer que vous ne serez pas frustré d’un débat sur ce point lors de l’examen du texte sur la sécurité publique. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL8 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Dans la continuité du précédent amendement, celui-ci propose d’en finir avec la règle selon laquelle un garde du corps privé ne peut en aucun cas porter une arme, quand bien même il serait formé par le CNAPS. C’est pourquoi nous proposons que des agents de protection physique des personnes, spécialement formés et habilités, soient désormais autorisés à porter une arme lorsqu’ils assurent la protection d’une personnalité reconnue par l’autorité administrative comme particulièrement menacée.

M. le rapporteur. Même réponse que précédemment – peut-être pourriez-vous avoir satisfaction en la matière, le moment venu…

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL10 de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. J’imagine que le présent amendement est celui qui recueillera l’assentiment le plus large de la commission puisqu’il entend commencer, enfin, à solder le passif des années Taubira (Sourires), en abrogeant le II de l’article 19 de la funeste loi du 15 août 2014.

M. le rapporteur. Vous l’avez exprimé avec moins de conviction qu’auparavant - conviction peut-être émoussée par la répétition... Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL18 de M. Julien Dive.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cet amendement, dont M. Dive est le premier signataire, prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement sur l’impact des prorogations de l’état d’urgence sur les conditions de travail des forces de police et de gendarmerie.

Mme Isabelle Attard. Il s’agit certes d’une demande de rapport mais elle me paraît légitime puisqu’il est question du droit au repos des forces de l’ordre, de leur permettre de travailler dans les meilleures conditions possibles. La question m’a tenu à cœur dès la première prorogation de l’état d’urgence : j’avais alors interrogé le préfet du Calvados, mon département, sur sa manière d’organiser les effectifs, de répartir les repos afin de limiter toute bavure en cas de fatigue excessive. Car personne n’est un surhomme et chacun a droit à des heures de récupération. Or certaines tâches ne sont plus effectuées à cause de l’état d’urgence, comme les extractions – la lenteur de la justice, souvent dénoncée, risque d’en être aggravée.

M. le rapporteur. La question n’est pas illégitime mais ce n’est pas le propos. Lorsque, sous l’impulsion de son président de l’époque, M. Jean-Jacques Urvoas, la commission a adopté cette forme de doctrine consistant à ne pas inciter les députés à demander des rapports au Gouvernement, c’est parce que nous considérions que l’Assemblée dispose des moyens qui lui permettent, sur tout objet l’intéressant – et celui présenté par M. Morel-A-L’Huissier en est un – d’établir ses propres rapports. Et c’est une bonne chose, en tout cas pour tous ceux qui demeurent attachés à l’indépendance du Parlement.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. En l’occurrence, enquêter au sein des forces de police et de gendarmerie serait pour l’Assemblée quelque peu compliqué.

M. le rapporteur. Nous avons toute prérogative pour le faire, mon cher collègue. D’ailleurs, de nombreuses missions d’information s’y sont employées. L’administration est tenue de nous répondre. Or cette attitude que nous avons eue pendant des années, consistant à nous en remettre à l’information que le Gouvernement voulait bien nous communiquer, pourrait être révolue – à condition qu’elle commence de l’être dans notre propre esprit.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

La Commission adopte ensuite l’ensemble du projet de loi modifié.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi (n° 4295) prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte du projet de loi

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Texte adopté par la Commission

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Projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

Projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

 

Article 1er

Article 1er

 

I. – Est prorogé jusqu’au 15 juillet 2017 l’état d’urgence :

(Sans modification)

 

– déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

 
 

– et prorogé en dernier lieu par la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

 
 

II. – Il emporte, pour sa durée, application du I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

 
 

III. – Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration de ce délai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.

 

Loi n° 55-385 du 3 avril 1955
relative à l’état d’urgence

Article 2

Article 2

Art. 6. – Le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l’article 2 et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. Le ministre de l’intérieur peut la faire conduire sur le lieu de l’assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie.

À l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, est ajouté l’alinéa suivant :

I. – L’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

amendement CL24

La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d’habitation déterminé par le ministre de l’intérieur, pendant la plage horaire qu’il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures.

   

L’assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l’objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d’une agglomération.

   

En aucun cas, l’assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes mentionnées au premier alinéa.

   

L’autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille.

   

Le ministre de l’intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence :

   

1° L’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu’il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s’applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ;

   

2° La remise à ces services de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Il lui est délivré en échange un récépissé, valant justification de son identité en application de l’article 1er de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité, sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document retenu.

   

La personne astreinte à résider dans le lieu qui lui est fixé en application du premier alinéa du présent article peut se voir interdire par le ministre de l’intérieur de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Cette interdiction est levée dès qu’elle n’est plus nécessaire.

   

Lorsque la personne assignée à résidence a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d’acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d’emprisonnement et a fini l’exécution de sa peine depuis moins de huit ans, le ministre de l’intérieur peut également ordonner qu’elle soit placée sous surveillance électronique mobile. Ce placement est prononcé après accord de la personne concernée, recueilli par écrit. La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d’un dispositif technique permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l’ensemble du territoire national. Elle ne peut être astreinte ni à l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie, ni à l’obligation de demeurer dans le lieu d’habitation mentionné au deuxième alinéa. Le ministre de l’intérieur peut à tout moment mettre fin au placement sous surveillance électronique mobile, notamment en cas de manquement de la personne placée aux prescriptions liées à son assignation à résidence ou à son placement ou en cas de dysfonctionnement technique du dispositif de localisation à distance.

   
   

« La décision d’assignation à résidence d’une personne doit être renouvelée à l’issue d’une période de prorogation de l’état d’urgence pour continuer de produire ses effets.

amendement CL24

 

« Une même personne ne peut être assignée à résidence plus de quinze mois consécutifs en l’absence d’éléments nouveaux de nature à justifier le maintien de la mesure. »

« Une même personne ne peut être assignée à résidence plus de douze mois.

   

« Le ministre de l’intérieur peut toutefois demander au juge des référés du Conseil d’État l’autorisation de prolonger une assignation à résidence au-delà de la durée mentionnée au douzième alinéa. La demande lui est adressée au plus tôt quinze jours avant l’échéance de cette durée. Le juge des référés statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative et dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine, au vu des éléments produits par l’autorité administrative faisant apparaître les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics. La prolongation autorisée par le juge des référés ne peut excéder une durée de trois mois. L’autorité administrative peut, à tout moment, mettre fin à l’assignation à résidence ou diminuer les obligations qui y en découlent en application des dispositions du présent article.

   

« La demande mentionnée à l’avant-dernier alinéa peut être renouvelée dans les mêmes conditions. »

amendement CL24

   

II (nouveau). – Par dérogation aux quatre derniers alinéas de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, toute personne qui, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, a été assignée à résidence plus de douze mois sur le fondement de l’état d’urgence déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 peut faire l’objet d’une nouvelle mesure d’assignation s’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Cette nouvelle assignation ne peut excéder une durée de quatre-vingt-dix jours. Dans ce délai, s’il souhaite prolonger l’assignation à résidence, le ministre de l’intérieur peut saisir le Conseil d’État sur le fondement des quatre derniers alinéas de l’article 6 de la loi n° 55-385 précitée.

amendement CL24

 

Article 3

Article 3

 

Pendant la période de prorogation prévue à l’article 1er, les dispositions de l’article 4 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ne sont pas applicables en cas de démission du Gouvernement consécutive à l’élection du Président de la République ou à celle des députés à l’Assemblée nationale.

(Sans modification)

© Assemblée nationale

1 () Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions.

2 () Loi n° 2016-162 du 19 février 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

3 () Loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

4 () Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

5 () Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

6 () Voir le rapport n° 4281 de MM. Dominique Raimbourg et Jean–Frédéric Poisson (Assemblée nationale, XIVème législature, 6 décembre 2016). http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r4281.asp

7 () Dans ses avis des 2 février, 28 avril, 18 juillet et 8 décembre 2016 sur les projets de loi de prorogation de l’état d’urgence, le Conseil d’État avait souligné que « les renouvellements de l’état d’urgence ne sauraient se succéder indéfiniment » et que « l’état d’urgence doit demeurer temporaire ».

8 () Conseil constitutionnel, décision n°2016–536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme (perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence) « Les effets d’un régime de pouvoirs exceptionnels doivent être « limités dans le temps et l’espace ».

9 () Comme l’a rappelé M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’État lors de son audition par la commission des Lois sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, le 7 janvier 2016 : « le Conseil d’État a jugé que la loi sur l’état d’urgence permettait de prendre des mesures de police, notamment d’assignation à résidence, pour d’autres motifs que ceux ayant justifié l’application de l’état d’urgence. Cette lecture a été confirmée par la décision du Conseil constitutionnel du 22 décembre. C’est d’autant plus significatif qu’il s’agissait alors d’assignations à résidence liées à la tenue de la COP21, et non au terrorisme. »

10 () Exposé des motifs du présent projet de loi.

11 () Conseil d’État, Ord., 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme et autres, requête n° 396.220. Le recours dont le Conseil d’État avait été saisi était postérieur à la prorogation de l’état d’urgence par la loi du 20 novembre 2015 ; celle-ci faisait donc obstacle à ce que le juge ordonne la suspension totale ou partielle de l’état d’urgence.

12 () Conseil d’État, Avis, 2 février 2016, n° 391.124.

13 () Conseil d’État, Avis, 28 avril 2016, n° 391.519.

14 () Conseil d’État, Avis, 18 juillet 2016, n° 391.834.

15 () Conseil d’État, Avis, 8 décembre 2016, n° 392.427.

16 () Conseil d’État, Avis, 6 juillet 2016, n° 398.234 et 399.135.

17 () Voir le rapport n° 4281, op. cit.

18 () Ibid.

19 () Le tribunal administratif de Rennes rappelle ainsi que « l’assignation à résidence [est une] mesure de police administrative qui n’a pas pour objet de tirer les conséquences d’un comportement répréhensible ou délictuel mais de prévenir des risques ».

20 () Pr Denis Baranger, « L’état d’urgence dans la durée » in Revue française de droit administratif, mai–juin 2016, 447.

21 () Rapport n° 3451 fait au nom de la commission des Lois par M. Dominique Raimbourg sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, 28 janvier 2016, p. 89. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3451.asp

22 () R. Drago, « L’état d’urgence et les libertés publiques », in Revue du droit public, 1955, pp. 670 et s.

23 () Rapport n° 3451 de M. Dominique Raimbourg, op. cit., p. 90.

24 () Voir le rapport n° 4281, op. cit.

25 () Article L. 225–2 du code de la sécurité intérieure : « Le ministre de l’intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris, faire obligation à la personne mentionnée à l’article L. 225-1, dans un délai maximal d’un mois à compter de la date certaine de son retour sur le territoire national, de : 1° Résider dans un périmètre géographique déterminé permettant à l’intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle normale et, le cas échéant, l’astreindre à demeurer à son domicile ou, à défaut, dans un autre lieu à l’intérieur de ce périmètre, pendant une plage horaire fixée par le ministre, dans la limite de huit heures par vingt-quatre heures (…) ».

26 () Voir le rapport n° 4281, op. cit.

27 () Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

28 () Voir le rapport n° 3237 de M. Jean-Jacques Urvoas (Assemblée nationale, XIVème législature). http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3237.asp

29 () Voir le rapport n° 3495 de M. Pascal Popelin (Assemblée nationale, XIVème législature). http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3495.asp

30 () Voir le rapport n° 3753 de M. Pascal Popelin (Assemblée nationale, XIVème législature). http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3753.asp.

31 () Voir le rapport n° 3978 de M. Pascal Popelin (Assemblée nationale, XIVème législature). http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3978.asp

32 () Voir le rapport n° 3753, op. cit.

33 () Conseil constitutionnel, décision n° 2016–600 QPC du 2 décembre 2016, M. Raïme A. (perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence III).

34 () Conseil constitutionnel, décision n° 2016–536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l'homme [Perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l'état d'urgence].

35 () Conseil constitutionnel, décision n° 2015–713 DC du 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, cons. 38, 39 et 78.

36 () Loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

37 () Décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, M. Cédric D. [Assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence].

38 () Voir le rapport n° 4281, op. cit.

39 () Rapport n° 368 (2015-2016) de M. Michel Mercier au nom de la commission des Lois du Sénat sur le projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

40 () Conseil d’État, Avis, 8 décembre 2016, n° 392.427.

41 () Voir le rapport n° 4281 op. cit.