N° 4400
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 janvier 2017.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES, EN NOUVELLE LECTURE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, MODIFIÉE PAR LE SÉNAT, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse,
Par Mme Catherine COUTELLE,
Députée.
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1re lecture : 4118, 4245 et T.A. 848.
Commission mixte paritaire : 4396.
Nouvelle lecture : 4290.
Sénat : 1re lecture : 174, 183, 184, 195 et T.A. 33 (2016-2017).
Commission mixte paritaire : 321 et 322 (2016-2017).
SOMMAIRE
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Pages
Article unique (Art. L. 2232-2 du code de la santé publique) : Extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse 12
Le 24 janvier dernier, la commission mixte paritaire chargée de dégager un texte commun aux deux assemblées parlementaires sur la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) s’est conclue par un échec.
En effet, le désaccord profond entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la définition du délit d’entrave numérique et la caractérisation de ses moyens n’a pu être surmonté, ouvrant ainsi la voie à un nouvel examen du texte par notre assemblée.
Le texte issu du Sénat présente en effet trois lacunes principales :
– la première tient au fait que le Sénat a travaillé sur le seul dernier alinéa de l’article L. 2232-2 du code de la santé publique, relatif aux pressions morales et psychologiques caractérisant une entrave à l’IVG. Or, les outils numériques visés par la proposition de loi doivent également couvrir le deuxième alinéa de cet article, relatif à la perturbation de l’accès aux établissements qui pratiquent l’IVG : en effet, certains sites internet diffusent de fausses adresses de centres de planning familial, perturbant ainsi directement l’accès aux établissements. Les moyens numériques doivent donc bien couvrir l’ensemble de l’article L. 2223-2 ;
– la deuxième tient à la suppression par le Sénat de la mention des « allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG », que l’Assemblée nationale avait précisément souhaité introduire pour se prémunir d’un éventuel risque constitutionnel d’atteinte à la liberté d’opinion. En l’absence de ces précisions, on pourrait effectivement considérer que la seule diffusion d’informations contre l’IVG pourrait être pénalisée, alors que ce qui doit l’être, c’est bien cette diffusion dans la seule mesure où elle serait de nature intentionnellement dissuasive et destinée à induire la personne en erreur ;
– enfin, le texte adopté par le Sénat gomme toute référence explicite au délit d’entrave « numérique », qui est l’objet initial et fondamental de la proposition de loi, sa substance même. La suppression de ces éléments conduirait donc à perdre de vue la finalité du texte.
Saisie du texte issu du Sénat, la Commission a adopté, en nouvelle lecture, un amendement de rédaction globale de la rapporteure qui a réintroduit les dispositions votées par l’Assemblée nationale en première lecture, répondant ainsi aux trois remarques formulées à l’encontre des modifications apportées par le Sénat, tout en conservant la clarification de la rédaction du dernier alinéa de l’article L. 2223-2 apportée au cours de la navette.
La rapporteure vous invite donc à confirmer le vote de la Commission et à adopter la présente proposition de loi en nouvelle lecture.
La commission des Affaires sociales examine, sur le rapport de Mme Catherine Coutelle, en nouvelle lecture la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (n° 4290), lors de sa séance du mercredi 25 janvier 2017.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous en venons à l’examen, en nouvelle lecture, de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. La parole est à Mme Catherine Coutelle, rapporteure, dont je salue l’engagement constant et inlassable, notamment en sa qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Catherine Coutelle, rapporteure. La commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie hier soir pour examiner la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a échoué ; nous voici donc saisis de ce texte en nouvelle lecture. Je regrette cet échec et tiens à souligner le travail important que nos collègues sénateurs ont accompli ; il n’aura pas été inutile, puisque je vous proposerai de retenir certaines des modifications apportées par le Sénat. Force est toutefois de constater que nos positions étaient inconciliables, et ce pour trois raisons principales.
Tout d’abord, la rédaction proposée par le Sénat ne mentionne le délit d’entrave numérique qu’au dernier alinéa de l’article, laissant ainsi de côté tout un pan des moyens développés par des sites internet – y compris les conseils téléphoniques qu’ils dispensent – pour diffuser de fausses adresses de centres de planning familial, perturbant directement l’accès à ces établissements.
Deuxièmement, le Sénat a supprimé la référence à la nature des informations concernées par le délit d’entrave numérique. Or, ces éléments ont précisément été introduits dans le texte pour protéger le dispositif contre le supposé risque d’atteinte à la liberté d’expression et d’opinion, qui a tant occupé nos débats en première lecture. En effet, l’absence de telles précisions pourrait laisser croire que la seule diffusion d’informations contre l’IVG serait pénalisée, alors qu’en réalité, la diffusion ne sera pénalisée que si et seulement si elle est de nature intentionnellement dissuasive et destinée à induire la personne visée en erreur.
Enfin, le texte adopté par le Sénat gomme toute référence explicite au recours à la voie électronique par les auteurs du délit d’entrave, qui constitue précisément l’objet initial, la raison d’être de la proposition de loi. Cela ne nous a pas paru acceptable.
Avant d’en venir à la discussion sur le texte proprement dit et à la présentation de mon amendement de rédaction globale du texte, je tiens à rappeler une fois de plus quelques éléments essentiels. Contrairement à ce que d’aucuns ont pu prétendre, cette proposition de loi n’a pas pour objectif la fermeture de sites internet ou la pénalisation des opinions opposées à l’avortement. J’y insiste : elle ne crée par un nouveau délit d’entrave, mais se greffe sur l’incrimination qui existe déjà depuis plus de vingt ans, sans que personne l’ait jamais estimée contraire à la liberté d’expression. Je rappelle l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » Autrement dit, personne n’a le droit de s’ériger en censeur des autres au nom de ses convictions personnelles, aussi respectables soient-elles.
Je rappelle également que, dans le champ pénal, la Cour de cassation a jugé dès 1996 que la liberté d’opinion et la liberté de manifester ses convictions en public comme en privé, consacrées par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, « peuvent être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui ».
Cette proposition de loi vise simplement à adapter notre législation aux nouveaux moyens techniques qui se sont développés depuis 1993, et qui permettent aujourd’hui à des sites internet, sous le prétexte de donner une information ou de prodiguer un « accompagnement », de proposer un « numéro vert » qui en réalité n’en est pas un, de harceler des femmes par des courriers électroniques, des messages SMS voire des appels téléphoniques incessants – jusqu’à plusieurs dizaines par jour – afin qu’elles reportent un rendez-vous chez le gynécologue, au point que des mineures, à qui il est conseillé de ne surtout pas en parler à leurs parents – je dispose sur ce point de témoignages directs – finissent par renoncer. Comment qualifier ces agissements autrement que de pression morale et psychologique ? En clair, cette proposition de loi permettra simplement d’ouvrir des poursuites là où le texte actuel, qui date, comme je l’ai dit, de 1993, n’est pas assez armé pour le permettre.
J’en viens à mon amendement de rédaction globale de l’article unique. Il vise à rétablir le texte voulu par l’Assemblée nationale tout en conservant la clarification apportée par le Sénat au troisième alinéa de l’article L. 2232-2 du code de la santé publique. En effet, il est souhaitable de rétablir les propositions formulées par notre Assemblée en première lecture concernant l’intentionnalité des indications et des informations visées ainsi que la caractérisation du support, numérique ou électronique, afin de bien caractériser le délit d’entrave numérique. Ces précisions seront rétablies dans le « chapeau » de l’article L. 2232-2, qui définira donc ce délit comme une entrave faite « par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne », et « par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ».
Dès lors, au dernier alinéa dudit article L. 2232-2 relatif aux pressions morales et psychologiques, l’amendement que j’ai déposé reprend la rédaction du Sénat, qui me semble de bon aloi, à la seule réserve que la précision « par tout moyen » soit bien renvoyée dans le chapeau de l’article. Le reste de l’amendement comporte les modifications de coordination nécessaires pour l’application de ces dispositions dans les outre-mer, qui nous ont été signalées par le Sénat et qu’il me semble très important de maintenir.
M. Alain Ballay. Le droit à l’avortement est un droit fondamental. Nous le répétons depuis longtemps déjà et le répéterons jusqu’à ce qu’il ne soit plus remis en cause.
De quoi parle-t-on donc aujourd’hui ? La proposition de loi que nous examinons étend le délit d’entrave à l’IVG par la diffusion d’informations en ligne qui induisent en erreur dans un but dissuasif. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prévoyait l’élargissement du champ du délit d’entrave permettant de sanctionner les actions destinées à empêcher l’accès à l’information sur l’IVG. Il est donc logique d’étendre ce délit au numérique.
Il faut en effet affirmer que l’entrave à l’IVG est un délit quel que soit le lieu où elle est perpétrée, y compris sur internet. On sait que les « anti-IVG » ont changé de méthode. Leur méthode, c’est le discours biaisé, l’usage habile du numérique et le lobbying actif – nos messageries sont tous les jours inondées de messages anti-IVG. La finalité de ces sites est bien de dissuader les femmes d’avorter et d’exercer des pressions psychologiques et morales sur celles qui l’envisagent.
Nous devons adopter cette proposition de loi, car nous refusons que de prétendues informations puissent induire les femmes en erreur sur un sujet aussi crucial. Le problème n’est pas l’existence des sites en question : nous vivons dans un pays où règne la liberté d’expression. Le problème tient au fait que ces sites prennent une apparence de neutralité, voire de sites institutionnels : c’est de la manipulation pure et simple, dont nous connaissons les conséquences dramatiques pour les femmes.
Face aux discours biaisés et mensongers, nous avons le devoir de voter cette proposition de loi, qui ne consiste ni à créer un délit d’opinion, ni à restreindre la liberté d’expression, ni à censurer une pensée, mais au contraire à protéger un droit fondamental. Soyons clair : l’existence de ces sites n’est pas en cause ; il ne s’agit pas de censure. Nous voulons simplement clarifier l’affichage de ces sites qui doivent cesser de dissimuler leur opposition à l’IVG, d’afficher des prétentions de vérité et de se faire passer pour des sites institutionnels. Je vous invite donc, chers collègues, à adopter ce texte.
M. Patrick Hetzel. En matière législative, le principe essentiel de clarté de la loi pénale est de valeur constitutionnelle. S’il n’est pas respecté, le régime de l’arbitraire prévaut malheureusement. Or, les débats qui se sont tenus au Sénat en première lecture montrent bien que ce texte pose un véritable problème de principe au regard de l’exigence démocratique. Le tâtonnement rédactionnel s’est soldé par une modification timide d’un texte qui avait déjà été modifié en 2014, ce qui illustre toute la difficulté qu’ont ses auteurs à concilier les différents objectifs invoqués dans l’exposé des motifs.
Selon nous, ce texte contrevient à l’évidence à la liberté d’expression ; il remet donc en cause les libertés fondamentales. La création de ce que l’on peut appeler un « délit d’entrave intellectuelle », selon l’expression du rapporteur de la Commission des lois du Sénat, M. Michel Mercier, s’apparente dangereusement à celle d’un délit d’opinion.
Pour étayer mon propos, permettez-moi de reprendre l’analyse de Mme Fabienne Siredey-Garnier, présidente de la dix-septième chambre du tribunal de grande instance de Paris, spécialisée dans le droit de la presse, selon qui cette proposition de loi, dans la rédaction proposée, reviendrait à « obliger le juge à entrer dans un débat de nature scientifique et médicale qui n’est pas le sien et dont toutes les données ne sont pas maîtrisées » par l’ordre judiciaire, et aurait pour effet « faire peser sur tous les sites qui prônent de manière générale d’autres solutions que l’avortement la menace de poursuites ».
J’insiste sur le décalage qui existe entre votre discours, madame la rapporteure, et ce que permettrait concrètement de faire le texte proposé, manifestement liberticide – et qui pose en outre un problème de constitutionnalité. Le rapporteur du Sénat souligne également que dans la version votée par l’Assemblée, ce texte pourrait conduire à considérer que les pressions psychologiques constituent une entrave physique. Voilà qui résume bien l’essentiel du débat, et qui montre que le raisonnement initial est biaisé. Même modifié, ce texte ne peut que contrevenir à la liberté d’expression, pourtant garantie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de l’article unique.
Mme Dominique Orliac. La CMP qui s’est réunie hier soir ayant échoué, il nous revient d’étudier en nouvelle lecture cette proposition de loi visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG. Nous nous penchons donc une nouvelle fois sur ce délit spécifique, institué dès 1993 et qui sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements de soins concernés ou en exerçant des menaces sur le personnel ou sur les femmes elles-mêmes.
Punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, l’entrave à l’IVG se déploie désormais davantage sur internet qu’au travers d’actions visant à perturber les établissements, comme c’est notamment le cas, par exemple, aux États-Unis.
Rappelons qu’au cours de cette législature nous nous sommes également prononcés sur une proposition de résolution visant à reconnaître le droit à l’avortement comme un droit fondamental. En effet, nous avons pu constater que certains entendaient encore s’y opposer, comme l’ont montré les débats sur la proposition de loi visant à autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui fut l’occasion pour certains de plaider en faveur d’un statut de l’embryon, ce qui va naturellement dans le sens d’une remise en cause de l’IVG.
Alors que les débats au Sénat ont été passionnants et passionnés, nos deux chambres n’ont malheureusement pas réussi à se mettre d’accord sur un texte prenant en compte l’évolution de notre société, notamment son évolution numérique.
Comme en première lecture, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) soutiendra donc les dispositions votées par notre assemblée et l’amendement de réécriture globale du texte porté par la rapporteure Catherine Coutelle. En effet, pour le groupe RRDP, il est essentiel que les femmes, ou les couples, puissent bénéficier d’une information impartiale, claire et précise sur les conséquences d’une IVG. Personne ici ne conteste que recourir à l’IVG soit tout sauf un acte anodin, mais il est important que le message des pouvoirs publics prévale sur les tentatives de désinformation auxquelles se livrent les anti-IVG.
Cette proposition de loi vient combler le vide juridique ouvert par le développement des nouvelles technologies numériques, et nous considérons indispensable de sanctionner les pressions psychologiques qui, sur internet, prennent la forme de témoignages prétendument impartiaux, alors qu’il n’en est rien.
Si notre groupe est naturellement attaché à la liberté d’expression et d’opinion, nous estimons que les patientes doivent être orientées en premier lieu vers les sites gouvernementaux ad hoc – non lucratifs –, afin de bénéficier d’informations objectives et impartiales, les professionnels de santé prenant ensuite le relais pour répondre au mieux aux interrogations des personnes concernées.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, notre groupe votera cette proposition de loi et l’amendement de la rapporteure.
Mme Jacqueline Fraysse. Ce texte sur l’extension du délit d’entrave à l’IVG est rendu nécessaire par le développement des nouvelles technologies de l’information. Il se fonde sur des constats concrets, indiscutables et inadmissibles. Nous l’avons soutenu dès la première lecture, et rien ne nous invite aujourd’hui à modifier notre position. Au contraire, plus nous creusons le sujet, plus nous mesurons l’importance d’adopter ce texte, et dans les meilleurs délais. Nous voterons donc sans hésiter cette proposition de loi.
Mme la rapporteure. La plupart des arguments ont déjà été déclinés en commission, dans l’hémicycle ou au Sénat, où il faut souligner que les débats ont été d’une grande tenue et semblent avoir fait surgir moins de crispations qu’au sein de notre assemblée.
Monsieur Hetzel, nous ne créons nullement un nouveau délit d’entrave mais précisons le délit existant. D’une part, la sanction reste la même et, d’autre part, on ne peut parler de nouveau délit d’entrave intellectuelle puisque le fait d’exercer des pressions morales et psychologiques est puni par la loi, dans ces termes mêmes, depuis 1993, sans que personne y ait trouvé à redire.
Notre objectif est d’empêcher que les personnes souhaitant se renseigner sur l’IVG fassent l’objet de pressions morales et psychologiques, sur internet ou par téléphone, alors qu’elles pensent avoir affaire à des sites officiels.
Article unique
(Art. L. 2232-2 du code de la santé publique)
Extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse
L’article unique de la proposition de loi n° 4118 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse procédait techniquement à un complément de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, instaurant ce faisant une sorte de troisième et nouveau moyen constitutif d’un délit d’entrave.
Lors de son examen du texte en commission, puis en séance publique, l’Assemblée nationale a procédé à une réécriture d’ensemble du texte de la proposition de loi. Sans en modifier nullement l’intention initiale, elle a proposé :
– de ne plus créer de nouveau moyen constitutif d’un délit d’entrave, puisqu’il ne s’agit bien en effet d’une extension d’un délit existant et non de la création d’un nouveau délit d’entrave. Le support numérique n’est en effet qu’un nouvel outil qui offre de nouvelles voies pour exercer des pressions morales et psychologiques sur les personnes qui cherchent à s’informer sur l’IVG ou perturber l’accès aux établissements habilités à la pratiquer ;
– de bien retenir le principe selon lequel les données ainsi communiquées par voie électronique ou en ligne doivent reposer sur des allégations ou avoir pour objectif d’induire délibérément en erreur, dans un but dissuasif, pour être constitutives d’un délit d’entrave.
Saisi du texte voté par l’Assemblée nationale, le Sénat l’a substantiellement modifié :
– en gommant toute référence explicite aux nouveaux outils techniques – courriers électroniques et sites internet – qui permettent de faire entrave à l’IVG ;
– en supprimant la caractérisation des informations concernées – allégations, informations de nature à induire en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG ;
– et enfin, en procédant à la réécriture de l’alinéa relatif aux pressions morales et psychologiques, aux menaces ou actes d’intimidation, à l’encontre des personnes venues s’informer sur ou pratiquer une IVG, ainsi que sur les personnels des établissements. Cette réécriture a l’avantage de clarifier cet alinéa, qui ne faisait pas clairement le départ entre les femmes venues pratiquer une interruption de grossesse et leur entourage et les personnes qui cherchent à s’informer sur une IVG.
Si la rédaction proposée par le Sénat permet incontestablement de clarifier la rédaction du dernier alinéa de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, la rapporteure ne peut que regretter que la finalité première de la proposition de loi ait été véritablement perdue de vue.
Il conviendrait donc d’en revenir à la réaffirmation explicite du délit d’entrave numérique et des caractéristiques qui lui sont propres, tout en conservant la clarification apportée par le Sénat.
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La Commission est saisie de l’amendement AS2 de M. Patrick Hetzel, tendant à supprimer l’article.
M. Patrick Hetzel. Vous avez raison, madame la rapporteure, de rappeler que certaines dispositions législatives sont en vigueur depuis 1993, mais vous passez sous silence le fait que les magistrats sont confrontés, selon leurs propres dires, à des problèmes d’interprétation de la loi.
La liberté d’expression, doit, comme la République, être une et indivisible. Or les débats n’ont pas manqué de faire apparaître que cette proposition de loi menaçait la liberté de pensée. Or, dès lors que l’on cherche à restreindre cette liberté de pensée, on n’est plus très loin d’un régime qui n’a plus grand-chose à voir avec la démocratie.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
Mme la rapporteure. Je ne vois pas où est l’atteinte à la liberté de pensée dans ce texte. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement AS1 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Après l’échec de la commission mixte paritaire, il s’agit de réécrire le texte de la proposition de loi tel qu’issu de la rédaction du Sénat, en précisant qu’est constitutif d’un délit le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher l’IVG par tout moyen, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse.
Nous précisons également, ainsi que l’avait proposé le Sénat que le délit d’entrave est caractérisé lorsqu’il est dirigé contre « des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ».
Enfin, il est spécifié que ces dispositions s’appliquent à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
La Commission adopte l’amendement, et l’article est ainsi rédigé.
Ce faisant, elle adopte par là-même l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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© Assemblée nationale