Audition de l'ambassadrice de Suisse sur les votations populaires (12 février 2019)

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Étaient présents : Mme Marion Lenne, députée de Haute-Savoie, présidente du groupe d’amitié, Philippe Berta, vice-président du groupe d’amitié, député du Gard, Olga Givernet, vice-présidente du groupe d’amitié, députée de l’Ain, Carole Bureau-Bonnard, vice-présidente de l’Assemblée nationale, députée de l’Oise, Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, député des Hautes-Alpes, Marie-Christine Dalloz, députée du Jura, Raphaël Gérard, député de Charente-Maritime.

Étaient représentés : Laurence Maillart-Méhaignerie, Pierre-Alain Raphan, Isabelle Rauch, Xavier Roseren, députés.

Marion Lenne, présidente du groupe d’amitié. Cette réunion a été organisée à la suite d’une discussion avec Mme l’ambassadrice au sujet des demandes de mise en place d’initiatives citoyennes en France ; Mme l’ambassadrice m’a proposé de venir débattre de ce qui se fait en Suisse et de l’intérêt de la population suisse pour les référendums et les initiatives populaires qui peut nourrir la réflexion des députés français sur les projets de même nature en cours d’étude chez nous.

Son Exc. Mme Livia Leu, ambassadrice de Suisse en France. Un document vous a été remis sur table faisant la synthèse des instruments de démocratie directe en Suisse. La mise en place de ces instruments a été longue ; elle a débuté avec la première Constitution fédérale de 1848 qui a instauré le référendum obligatoire. En 1874 le référendum facultatif a été mis en place et, en 1891, l’initiative populaire ; en 1921 le référendum facultatif a été étendu à certains traités internationaux et en 1987 le « double oui » a été introduit afin de permettre à la population d’approuver à la fois une initiative populaire et le contre-projet du Parlement tout en prévoyant une question pour connaître la préférence du votant en cas de double approbation. Par ailleurs, aux échelons cantonaux et municipaux, de multiples possibilités de votations populaires existent.

Le terme de référendum renvoie aux votations portant sur un acte du Parlement. Le référendum est obligatoire et déclenché automatiquement pour tous les actes portant révision de la Constitution ou adhésion à une organisation de sécurité collective ou à une communauté supranationale. Pour être approuvé, le référendum doit réunir une double majorité des voix et des cantons. Le référendum peut être facultatif lorsqu’il porte sur une loi fédérale ou un acte voté par le Parlement ou sur l’adhésion à une organisation internationale ; il ne peut être déclenché que si 50 000 citoyens ou 8 cantons l’ont demandé. Une majorité des voix suffit à approuver un référendum facultatif (c’est-à-dire à rejeter une loi fédérale).

L’initiative populaire a pour objet de réviser la Constitution (elle ne permet pas de modifier une loi fédérale). Elle ne peut être déclenchée que si 100 000 signatures sont réunies en sa faveur sur une période de 18 mois. L’initiative peut consister en une proposition rédigée en termes généraux (environ 10 % des initiatives) ou en un projet de texte entièrement rédigé (environ 90 % des cas). Dans les deux cas, l’initiative populaire doit respecter le principe d’unité de forme (soit l’initiative est présentée en termes généraux, soit c’est projet rédigé), le principe d’unité de la matière (il est interdit de soumettre plusieurs questions au travers d’une même initiative : a ainsi été déclarée nulle en 1995 l’initiative « pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix ») et le principe de respect du droit international (a ainsi été déclarée nulle en 1996 l’initiative « pour une politique d’asile raisonnable »). Après contrôle de la recevabilité de l’initiative populaire, le parlement fédéral se prononce sur le projet et peut présenter un contre-projet.

En tout état de cause, une initiative populaire ne peut constituer un vote de confiance ou de défiance ; il ne peut s’agir d’un vote dirigé contre une personne. Une initiative doit conduire à introduire dans la Constitution une nouvelle règle, ce qui entraîne cependant l’incorporation dans la Constitution de dispositions qui sont peu d’ordre constitutionnel.

Le taux de participation moyen aux votations populaires est de l’ordre de 45 %. Dans certains cantons et certaines villes, les étrangers peuvent voter.

M. Joël Giraud. J’ai effectivement moi-même voté en tant qu’étranger dans une votation à Berne en faveur de la préservation de la fosse aux ours.

Son Exc. Mme Livia Leu. Ces mécanismes de vote renforcent la confiance de la population en faveur du système politique suisse. Les sondages indiquent que 80 % des Suisses sont satisfaits du système. Néanmoins, le mécanisme des référendums et des initiatives populaires n’est pas rapide car il peut s’écouler jusqu’à 6 ans entre son lancement et sa conclusion.

Mme Marie-Christine Dalloz. Votre document indique qu’il y a 4 votations par année et que les dates sont publiées. Par ailleurs, qu’en est-il du vote électronique ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Effectivement nous connaissons déjà les dates des futures votations jusqu’en 2038, mais nous ne connaissons pas les sujets soumis au vote. Genève avait lancé un projet de vote électronique à distance mais il a été arrêté parce que trop cher et nécessitant d’être expertisé pour sa sécurité.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai lu que le canton avait fait appel à des hackers pour le tester avec à la clé de fortes primes s’ils réussissaient à pénétrer dans le système.

Son Exc. Mme Livia Leu. Cela est vrai ; il est indispensable de tester au maximum le système.

M. Philippe Berta. Le vote est-il obligatoire ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Le vote n’est pas obligatoire, à l’exception du canton de Schaffhouse où des pénalités financières sont prévues en cas d’absence à un vote.

Mme Rebekka Benesch, conseillère. La démocratie suisse reste une démocratie représentative. On constate que la majorité des recommandations de vote exprimées par les partis politiques est suivie. Le référendum et l’initiative populaire constituent néanmoins des instruments très puissants de contrôle du pouvoir.

Mme Olga Givernet. Comment se préparent les référendums ? Des débats sont-ils organisés ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Les citoyens et les partis disposent de temps pour organiser un référendum. La façon dont le Brexit a été voté au Royaume-Uni serait impensable en Suisse. En pratique, ce sont les partis politiques qui se prononcent pour ou contre une initiative ou un référendum. Dans le bulletin de vote adressé aux citoyens, le Gouvernement résume les positions exprimées par les partis ainsi que les arguments en faveur du oui et du non selon les vues du Gouvernement. Le délai moyen pour aboutir à une votation populaire est de 4 à 6 ans ; le référendum prend moins de temps car il a été préalablement discuté au Parlement et le Parlement a pris position dessus.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le Parlement est-il remis en question par les citoyens au travers du référendum ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Le référendum est l’aboutissement d’un enchaînement : adoption d’une loi par le Parlement, collecte de 50 000 signatures de citoyens demandant l’abrogation de la loi, vote par référendum sur cette loi. Il arrive régulièrement que le peuple déjuge le Parlement. Sur 186 demandes de référendum facultatif, 106 ont abouti (106 acceptations et 80 rejets). Ce mécanisme complique la vie politique mais en Suisse le Gouvernement est toujours une coalition de représentants des quatre grands partis politiques : ces partis ont l’habitude de s’accorder au sein du Conseil fédéral. La culture du consensus est une réalité suisse.

M. Philippe Berta. Je peux participer à un vote fédéral en Suisse. Quelles sont les procédures imposées aux étrangers ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Il vous suffit d’être enregistré auprès d’un consulat de Suisse en France ainsi que dans la dernière commune suisse où vous avez résidé.

M. Joël Giraud. J’ai parfois été surpris par des résultats de votations populaires. Ainsi, alors que tout le monde s’attendait à un rejet, les Suisses ont accepté un relèvement des taxes sur les carburants.

Son Exc. Mme Livia Leu. Le vote des Suisses n’est effectivement pas toujours un vote « pour leur confort ». Par exemple, ils ont refusé la 6e semaine de congés payés en 2012. Il existe cependant un fort soutien populaire en faveur de l’écologie, la taxe sur les carburants ne sera jamais rejetée. Je constate que la jeunesse suisse revient à la politique souvent par l’angle de l’écologie et les préoccupations liées au réchauffement climatique. Ce phénomène l’a « réveillé ».

M. Joël Giraud. S’il y avait des gilets jaunes en Suisse, ils se préoccuperaient effectivement davantage des travaux publics.

Son Exc. Mme Livia Leu. Il faut dire que les Suisses sont moins dépendants de la voiture que les Français. La Suisse a beaucoup investi dans les transports publics.

M. Joël Giraud. Comment est traité le vote blanc ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Ce n’est pas un sujet de débat en Suisse. Le vote blanc est décompté dans la participation au vote mais il n’entre pas dans le calcul des suffrages exprimés (« les bulletins valables ») servant à calculer les majorités de oui ou de non.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Est-ce que les partis politiques apportent un appui aux citoyens souhaitant engager une démarche en faveur d’une votation populaire ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Certains citoyens suisses consacrent leur temps libre à collecter des signatures pour demander des votations. Mais ce sont souvent les partis politiques qui lancent les initiatives populaires, et non des individus, car leur lancement nécessite de gros moyens et de mener une longue campagne dans tout le pays. Il est cependant arrivé que des particuliers parviennent à lancer une initiative populaire, cela a été notamment le cas de l’initiative de 2012 « pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires » visant à interdire d’avoir plusieurs logements secondaires inoccupés (« des volets froids » ou « des volets clos »), qui a abouti à un vote favorable, de justesse, au grand mécontentement des zones touristiques de montagne.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai fait un calcul : si la condition de collecte de 100 000 signatures était transposée à la France, il suffirait d’exiger 750 000 signatures pour déclencher un référendum d’initiative populaire en France. C’est peu.

Mme Rebekka Benesch. Ce seuil est d’autant plus facile à atteindre aujourd’hui que des outils numériques – par exemple le site wecollect – permettent de collecter des signatures sans avoir à se rendre dans une gare pour signer la pétition. Le vrai défi d’une initiative populaire est en effet d’obtenir une votation et une majorité des voix pour, contrairement au référendum qui est plus facile à obtenir et à adopter.

Son Exc. Mme Livia Leu. Le nombre de signatures exigé est un sujet de discussion en Suisse. Il faut cependant avoir à l’esprit que sur environ 300 tentatives de collecte des 100 000 signatures, seules 16 initiatives ont abouti à une votation. Mais le principe de la participation directe de la population à la prise de décision est utile pour conforter le sentiment de la population d’être partie prenante à la vie politique du pays.

Mme Olga Givernet. Si la France mettait en place le référendum d’initiative populaire, les électeurs devraient s’imprégner de la proposition, or les citoyens français entretiennent une défiance à l’égard de tout ce qui émane du Gouvernement ; ils préfèrent se référer aux réseaux sociaux. Observez-vous en Suisse une concurrence des médias sociaux sur les systèmes d’information publics ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Les médias sociaux ont changé les termes du débat. Les réseaux sociaux constituent cependant une fausse démocratie où l’on pose des questions sans y répondre. Ces réseaux sont importants pour mobiliser la population et appeler l’attention sur l’existence de votations. Mais en Suisse les bulletins de vote contiennent des informations sur la votation ; ils permettent que chaque votant ait exactement la même information. Je ne perçois pas les réseaux
sociaux comme un danger pour l’information fournie par le Gouvernement ; les citoyens suisses ont confiance dans cette information.

Mme Rebekka Benesch. Concernant l’attitude vis-à-vis des partis politiques, il faut savoir que beaucoup de citoyens vont voter en suivant les consignes de vote données par le parti pour lequel ils votent habituellement (et qui sont indiquées sur le bulletin de vote).

M. Raphaël Gérard. Cependant si l’on suivait toujours les partis politiques suisses, il y aurait beaucoup moins d’initiatives populaires.

Son Exc. Mme Livia Leu. Les citoyens suisses se sentent libres dans leur vote, ils n’ont pas le sentiment d’être liés par la consigne de leur parti politique. Tout n’est pas précuit. Mais les Suisses changent moins facilement de parti politique que les Français même si les adhésions aux partis sont peu nombreuses. Les partis politiques restent, en fait, très importants en Suisse pour l’élection au Conseil fédéral.

Certains votes peuvent prendre le contrepied du Gouvernement et le déstabiliser. Ce fut le cas de la votation sur l’adhésion à l’Espace économique européen : le Gouvernement a dû revoir toute sa stratégie après le rejet de l’adhésion, il a été réellement bouleversé mais a accepté le vote populaire.

Mme Marion Lenne. Même si certains sont parfois agressifs, des gilets jaunes montrent un grand amour de la France et un fort désir de changement et font preuve d’une grande liberté d’expression et de réflexion personnelle. La proposition de référendum d’initiative citoyenne serait-elle envisageable en Suisse ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Le référendum d’initiative citoyenne tel que proposé est impossible en Suisse car une initiative ne peut pas porter sur des personnes.

Mme Carole Bureau-Bonnard. De même, pouvez-vous expliquer pourquoi le référendum sur le Brexit tel qu’il a été pratiqué au Royaume-Uni n’aurait pas été possible en Suisse ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Sur le même sujet, le Gouvernement suisse aurait donné beaucoup plus d’informations sur les conséquences du Brexit ; elles auraient été résumées sur le bulletin de vote et chacun aurait reçu toutes les informations. En outre, la campagne aurait été beaucoup plus longue.

Mme Carole Bureau-Bonnard. La question de l’information est centrale car il n’est pas rare d’être confronté à des revirements.

M. Raphaël Gérard. Le fait de cantonner l’initiative populaire à une modification de la norme constitutionnelle limite les possibilités. Cette contrainte ne plairait pas aux gilets jaunes. Qu’en est-il aux niveaux des cantons car la mythologie de la consultation citoyenne suisse s’est davantage construite sur les votations cantonales et municipales ?

Son Exc. Mme Livia Leu. Les possibilités de référendum dans les cantons et les villes sont plus larges ; ainsi le budget cantonal ou toute dépense cantonale peut faire l’objet d’une votation, contrairement au budget fédéral. Et, en effet, quand la question posée touche la vie quotidienne, les citoyens se mobilisent plus.

Mme Marion Lenne. Le 21 février, l’Assemblée nationale examinera une proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe de la France insoumise visant à mettre en place le référendum d’initiative citoyenne. Le Gouvernement étudie en même temps la possibilité d’introduire cette possibilité dans la révision constitutionnelle qui est en cours de discussion à l’Assemblée nationale.