Audition Jean-Louis Levet (GA France-Algérie, 10 avril 2019)

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Le 10 avril 2019, le groupe d’amitié a auditionné M. Jean-Louis Levet, ancien haut responsable à la coopération technique et industrielle franco-algérienne de juin 2013 à janvier 2019.

Étaient présents : Fadila Khattabi, présidente, Saïd Ahamada et Belkhir Belhaddad, vice-présidents, Joaquim Pueyo, secrétaire, Delphine Bagarry, Mounir Belhamiti et Brahim Hammouche, députés.

Mme Fadila Khattabi, présidente, a remercié M. Jean-Louis Levet, qui a été haut responsable à la coopération technique et industrielle franco-algérienne pour le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de l’économie et des finances de 2013 à 2019, d’avoir bien voulu accepter de venir présenter, devant les membres du groupe d’amitié France-Algérie, son rapport de fin de mission. A cet égard, elle a salué la qualité du travail mené par M. Levet dans le cadre de ses fonctions.

M. Jean-Louis Levet, ancien haut responsable à la coopération technique et industrielle franco-algérienne, a tout d’abord rappelé le contexte dans lequel cette mission lui avait été confiée en 2013. A la suite du voyage officiel effectué par le Président François Hollande en Algérie les 19 et 20 décembre 2012, il a été décidé de nommer un « Monsieur Algérie » en la personne de M. Jean-Louis Levet. En Algérie le ministre de l’industrie a été désigné comme son interlocuteur. M. Jean-Louis Levet s’est vu confier la tâche de faire passer la relation franco-algérienne d’une relation fondée sur l’échange basé sur l’import/export à une relation de coopération technique et industrielle.

La première démarche qu’a effectuée M. Jean-Louis Levet a consisté à aller à la rencontre des clubs d’entreprises, des préfets, des universitaires de tout le pays, au-delà de la seule ville d’Alger. Cette démarche lui a permis d’identifier trois priorités pour cette coopération : la formation, les infrastructures techniques et technologiques d’appui aux PME (RSE, normalisation…) et les partenariats de coproduction. Un comité mixte franco-algérien a ensuite été mis en place qui s’est réuni annuellement ainsi qu’un comité intergouvernemental.

Au total, depuis septembre 2013, une cinquantaine d’accords de coopération ont été signés et des outils ont été créés pour pérenniser ces accords, identifier des chefs de projets, établir des feuilles de routes et procéder à des évaluations. Le premier outil a consisté à construire des plans d’action avec les interlocuteurs industriels et en particulier avec les deux principaux clubs d’entreprises algériens (FCE et CEIMI). Le deuxième outil a été la création d’un comité stratégique pour réunir les grands groupes français qui comptent en Algérie et ceux qui souhaitent s’y implanter. Le troisième outil a pris la forme d’un groupe de travail France-Algérie sur les problématiques liant les universités, les entreprises et les territoires. C’est le président de l’université de Tlemcen et le Haut responsable qui ont présidé ce groupe de travail depuis sa création en 2015 et dont l’objectif est de dépasser le stade des simples échanges entre les universités françaises et algériennes et de développer des projets qui les associent aux entreprises et territoires concernés. Enfin, le quatrième outil a consisté à nouer une relation étroite avec les élus locaux de France chargés des questions internationales ainsi que ceux chargés des relations économiques pour lancer des partenariats entre certaines villes et certains territoires français et algériens. Il a insisté sur l’importance du travail de proximité, de terrain, d’écoute avec les opérateurs algériens (entreprises, clubs d’entreprises, universités, etc.), qui est fondamental pour arriver, malgré une bureaucratie très centralisée et très lourde, à initier et développer des projets de coopération. C’est d’autant plus important que les opérateurs algériens sont très demandeurs de travailler avec des opérateurs français et que les coopérations sont indispensables pour diversifier une économie algérienne mono-activité, dédiée aux hydrocarbures.

Au cours des trois dernières années, M. Jean-Louis Levet a veillé à ce que sa mission change d’échelle en y intégrant plus de principes d’action. L’accent a été mis sur la recherche de l’excellence, l’association du co‑investissement et de la co‑localisation au sens où le développement des territoires français doit s’accompagner de celui des territoires algériens, et sur la co‑innovation en veillant à ne pas reproduire le modèle de simple transfert de technologies des années soixante‑dix. Changer d’échelle signifie également travailler davantage avec les territoires algériens. Par exemple, Tizi Ouzou concentre beaucoup d’entreprises. Jumelée avec La Roche-sur-Yon, peu d’activités entre ces deux villes avaient cependant été constatées depuis dix à quinze ans. Un groupe de travail a été créé réunissant tous les acteurs locaux (associations, chambres de commerce, universités…) pour identifier les besoins de 123 entreprises de Tizi Ouzou intéressées par une coopération.

M. Jean-Louis Levet a également cherché à identifier les enjeux de coopération communs aux deux pays. Il s’agit de l’agro‑écologie et des effets du changement climatique, du numérique et des industries et services du futur.

Au final, quatre enseignements peuvent être tirés de sa mission. Premièrement, la relation franco-algérienne se transforme même si cela n’est pas visible. C’est le cas si l’on considère les seuls chiffres de part de marché de la France en Algérie qui est passée de 100 % dans les années cinquante à 30 % dans les années soixante et à 12 % aujourd’hui, alors que la Chine a vu sa part de marché augmenter de 2 % à presque 15 %. Cette relation passe par une stratégie de travail commun à l’international avec les universités, les territoires et les entreprises pour constituer des pôles de compétitivité. Il en résulte une présence plus forte de la France ces dernières années en termes de co‑investissement et de formation. Cette présence française est supérieure aux présences italienne, espagnole, allemande et même chinoise. Beaucoup d’efforts restent cependant nécessaires dans la durée. Il faut impérativement se distinguer des concurrents des autres pays en s’appuyant sur un mode de pensée (partenariat) et un mode d’action (co‑investissement, formation, co‑innovation) nouveaux et adaptés aux besoins de l’économie algérienne. Deuxièmement, le tissu entrepreneurial privé, moins lié au pouvoir que les entreprises publiques et plus en phase avec la demande finale, monte en qualité et en compétences. Il ne faut pas le sous-estimer. Troisièmement, si les freins et les blocages sont souvent dénoncés, ils sont d’abord la résultante du système algérien et non pas des Algériens qui cherchent à travailler. Quatrièmement, France-Algérie doit être le duo gagnant en Afrique pour les quarante ans à venir et a vocation à construire la relation entre l’Union européenne et l’Afrique. Encore faut-il que la France se mobilise fortement autour de cet objectif, là où des pays européens comme l’Allemagne, pour ne parler que d’eux, ont fait du Maghreb leur cible économique pour les années à venir.

Tout en partageant l’optimisme de M. Jean-Louis Levet, M. Belkir Belhaddad a rappelé qu’il existait une autre réalité en Algérie, celle de la rente pétrolière qui verrouille le système économique, social et politique et favorise une économie d’importations encourageant les monopoles, au détriment d’une économie productive. Comment l’Algérie peut-elle dépasser cette réalité ? Comment structurer les territoires pour favoriser ces partenariats lorsque les pouvoirs publics locaux n’ont pas de marges de manœuvre ?

M. Mounir Belhamiti a souhaité savoir si des initiatives ont été prises en faveur de la transition énergétique et écologique. La France devrait jouer un rôle en la matière à la suite des Accords de Paris, notamment en favorisant la co‑innovation dans le cadre des objectifs de développement durable.

A l’instar de la Tunisie et du Maroc où nombre d’Européens se rendent chaque année, M. Joaquim Pueyo a demandé si l’Algérie envisageait de renforcer son développement économique avec le secteur du tourisme. Par ailleurs, quelle est la position de l’Alliance française en Algérie ?

M. Jean-Louis Levet a répondu que la langue française avait certes régressé mais qu’elle restait un facteur d’ouverture sur le monde pour les Algériens. L’accès à l’apprentissage du français est resté inégal ces quarante dernières années et depuis une vingtaine d’années seuls ceux qui ont des moyens financiers élevés peuvent suivre des cours pour apprendre le français. Et c’est à l’université que les inégalités explosent dans la mesure où beaucoup de cours sont donnés en français. Actuellement, il y a trois Instituts français à Annaba, Oran et Alger. Il en faudrait dans toutes les grandes villes et il est certain qu’ils auraient du succès car il existe une demande chez les jeunes, les chambres de commerce, etc. Il faut notamment mixer culture et économie dans l’offre de français.

L’économie de rente est une réalité, la richesse sert à acheter la paix sociale, elle n’est pas mise au service de projets de développement. Néanmoins, il faut savoir contourner les institutionnels, aller sur le terrain, prendre le temps de rencontrer les chefs d’entreprises, etc. Les concurrents sont très actifs (l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Corée, les Etats-Unis, la Turquie…) et savent souvent mieux que les opérateurs français jouer collectif.

En matière d’écologie, des projets concrets existent ; le CEA a par exemple été mobilisé par la Mission pour la transition énergétique via par exemple la signature d’un protocole d’accord avec le Centre algérien de développement des énergies renouvelable (CEDER). D’autres sont en cours d’étude. Il faut viser un niveau stratégique ; la France et l’Algérie ont les moyens de créer un consortium de transition énergétique de niveau mondial. Au regard de ce qui se passe actuellement en Algérie, Sonatrach peut être demain un partenaire important dans ce domaine.

Dans les territoires que sont les « wilaya », il faut utiliser les universités et les entreprises comme leviers pour convaincre les « wali », les responsables locaux, partir du terrain et leur proposer des projets. Si le « wali » est intégré au processus, cela se passe bien.

Enfin, il convient d’être très vigilant à l’égard de la situation actuelle en Algérie ; il faut préparer l’après et réfléchir collectivement à ce qui peut être une nouvelle étape de coopération entre les deux pays.