Rwanda - Petit-déjeuner ambassadeur du 19 février 2019

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Le 19 février 2019, le groupe d’amitié France-Burundi-Rwanda a organisé un petit-déjeuner de travail avec Son Exc. M. Jacques Kabale, ambassadeur du Rwanda en France.

Étaient présents : Mme Sira Sylla, présidente du groupe d’amitié, M. Claude de Ganay, vice-président du groupe d’amitié, Mmes Sonia Krimi et Mireille Clapot, députées.

Mme la présidente, Sira Sylla a d’abord expliqué que le groupe cherche à définir des axes de travail. Il s’agit de diplomatie parlementaire, au moment où la France cherche à renouveler sa relation avec le Rwanda, par le biais de la société civile et de la diaspora, notamment. Les axes de travail qui pourraient importer seraient l’éducation, la santé, l’entreprenariat, le numérique.

Son Exc. M. Jacques Kabale s’est dit ravi de ce que le groupe d’amitié permettait d’ancrer des visions d’avenir. Quatre rencontres entre les chefs d’Etat ont déjà eu lieu, et M. Paul Kagame est déjà venu à deux reprises en France rencontrer M. Macron. Il s’agissait d’une politique volontaire du Rwanda de tendre la main pour une relation paisible et saine.

Dans deux mois allaient avoir lieu les commémorations du génocide qui a entraîné un million de morts en trois mois. Il a été très difficile de reconstruire le pays alors que des Rwandais ont tué des Rwandais. C’était une chance que le FPR, Front Patriotique Rwandais, qui a pris le pouvoir, croyait dès le début dans un Rwanda uni. Il y a eu un dialogue France et sans tabou, par le biais de consultations populaires, entre autres. Les discussions avaient notamment porté sur la question de savoir pourquoi les gens du pays avaient vécu sept à huit siècles sans se massacrer, et donc l’impact de la colonisation. Ces discussions ont permis de mettre le doigt sur les problèmes et de permettre un cheminement vers une vie commune. Elles ont aussi permis la justice. Le génocide a commencé dès 1959, au moment des premiers massacres de Tutsis. Ces débats, qui ont eu lieu entre 1994 et 2000, ont donc permis à la fois aux Rwandais de revenir sur leur histoire, mais aussi de régler les conflits par le système des gacaca.

En 1994, il n’y avait plus de système judiciaire mais 125 000 prisonniers. La communauté internationale ne prédisait pas de solution avant moins d’un siècle. Cependant, le système des gacaca a permis de connaître la vérité. Les meurtriers ont montré où étaient les corps. La population a à la fois procureur, avocat de la défense et juge. Les aveux et les demandes de pardon font partie des valeurs fondamentales du peuple rwandais. Les personnes qui avouent bénéficient de remises de peines immédiates, équivalentes à la moitié de celles qu’ils auraient dû purger, à condition que les coupables donnent des détails et des preuves de ce qu’ils avaient fait. Cela a notamment permis aux familles des victimes de faire leurs deuils. Alors que la justice moderne ne permettait pas aux coupables et aux victimes de se rencontrer, les gacaca a permis les demandes directes de pardon.

Le processus a duré de 2000 à 2010, période pendant laquelle un million de cas a été traité. M. l’ambassadeur a indiqué avoir lui-même assisté au procès d’un homme qui niait toute implication du génocide. Une vieille femme, qui résidait sur la colline où tous les habitants avaient été tués, s’était avancée. L’homme avait reculé, crié, s’était voilé la face, puis avait tout avoué. Il avait donné une litanie de noms, et avait ensuite désigné ses complices, dans la salle même du procès, dont le maire. Il est important de mettre fin à l’impunité des notables dont ils ont bénéficié au moment des massacres du début des années 1960.

Mme Sonia Krimi a fait remarquer que la justice ne pouvait plus être donnée aujourd’hui par le Président, notamment compte tenu des doutes qu’il y avait sur son score aux élections.

Son Exc. M. Jacques Kabale a précisé qu’il y a souvent une forme d’incompréhension concernant la justice. Elle a toujours existé au Rwanda, mais la justice occidentale n’aurait pas permis de juger les génocidaires. Lui-même a organisé une consultation à Ruhengeri. En prison, il a rencontré une vingtaines de juges et d’avocats génocidaires. Avocats sans frontières a reconnu que le système occidental ne permettrait pas de traiter d’autant de cas.

Pendant 1000 ans, la justice rwandaise a bien fonctionné, le système gacaca en est directement l’héritier. Ce n’est pas être une dictature que de s’appuyer sur ses fondements culturels et ses valeurs propres. Le TPIR a jugé une soixantaine de cas. Cela a aussi permis de comprendre que le génocidaire, qui a pris la machette, est souvent lui-même une victime de manipulations d’Etat, d’une éducation qui ne pouvait aboutir qu’à cela. Certains condamnés ont purgé la moitié de leurs peines par des travaux d’intérêt général et ont échangé alors avec des ouvriers parfois victimes du génocide. 

La période entre 1994 et 2000 a été celle d’une intense discussion, que personne n’a imposée. Trois ans de consultations ont également précédé la mise en place d’une nouvelle Constitution, en 2003. Elle a été approuvée par référendum et comprend la nécessité d’un dialogue national chaque année. En effet, malgré le Parlement et les élus, le Président peut être déconnecté de sa base. Ce dialogue direct permet donc de donner une réponse aux demandes des citoyens. Pendant trois jours, les citoyens peuvent se plaindre de leurs maires, demander la démission d’un responsable. Cela permet également d’imposer une logique de performance aux élus, qui doivent se conformer à une évaluation annuelle, tout comme les ambassadeurs. Les ministres signent leurs évaluations, avec un contreseing du Premier ministre.

Mme Mireille Clapot a indiqué qu’elle a un intérêt de longue date pour le Rwanda, qu’elle a lu plusieurs œuvres de Jean Hatzfeld. Elle a été le 17 octobre 2018 à Erevan, pour le XVIIe sommet de la Francophonie et heureuse de voir M. Paul Kagame s’exprimer au milieu des chefs d’Etat. Elle a été également heureuse de l’élection de Mme Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale de la Francophonie. Elle s’est interrogée toutefois du positionnement du français dans le Rwanda, qui semble avoir été délaissé au profit de l’anglais.

En tant que militante des droits humains, elle s’est également interrogée sur la situation de la liberté d’expression et des droits de l’opposition au Rwanda. Elle a fait un rapport sur l’égalité entre femmes et hommes en 2018, et trouve que le Rwanda fournit un exemple très intéressant en la matière. Enfin, en matière de relations commerciales, elle a souhaité savoir comment l’Europe pouvait progresser dans ses relations avec le Rwanda alors que la Chine est désormais son premier partenaire.

Son Exc. M. Jacques Kabale a rappelé que la première langue commune du Rwanda est le kinyarwanda. La seconde est le swahili, importée. Les accidents heureux de l’Histoire ont permis au Rwanda d’accueillir le français, la langue et la culture. Toutefois, en 1994, lors du retour de la diaspora, soit 1 à 1,5 million de personnes, en grande majorité tutsis, l’anglais est apparu. Une grande partie d’entre eux revenait de pays anglo-saxons. En 1994, on entendait beaucoup de langues dans la rue, du lingala, du kiswahili, du français, de l’anglais. Le Rwanda était considéré comme francophone mais à peine 10 % des Rwandais parlaient français.

Le français est un acquis, comme le kinyarwanda. L’anglais était parlé par les intellectuels mais on a décidé de le faire remonter au niveau du français afin d’être parfaitement bilingues, être un trait d’union entre Afrique francophone et Afrique anglophone. Tous les débats au Parlement, les discours, sont prononcés en kinyarwanda. Mais les lois sont disposées en trois colonnes, une en anglais et une en français. Le français a certes perdu quelques plumes, mais le Conseil des ministres, depuis l’élection de Mme Louise Mushikiwabo, a décidé de remettre l’accent sur le français.

Concernant les droits humains, on reproche certes au Rwanda des manques en matière de liberté de la presse. Il faut toutefois lire la presse en kinyarwanda ! Le Gouvernement met également à la disposition des peuples des outils technologiques comme la 4G. Les cars coûtent quelques centimes et offrent le wifi gratuit. Les débats nationaux permettent aux personnes de s’exprimer trois à quatre heures devant le Président. Les droits humains comprennent également le droit à la vie. Cela passe par l’éducation gratuite et obligatoire pour les enfants de 6 à 12 ans, notamment les petites filles. Pour ce qui est du droit à la santé, aujourd’hui, l’assurance est étendue à une grande partie de la population, permettant une chute drastique de la mortalité infantile et maternelle.

Le Président exhorte à sortir des sentiers battus, à ne pas s’acharner à mettre en place des plans du FMI ou de la Banque mondiale qui ne fonctionnent pas nécessairement. Il faut peut-être une définition différente des droits humains. Concernant la liberté d’expression, le Rwanda est dans une phase de transition, mais il ne faut pas oublier le rôle des médias dans le génocide, comme le montre le livre Les médias du génocide. La liberté d’expression doit parfois être réduite pour protéger les acquis de la réconciliation. Une bonne éducation permettrait de faire également progresser la liberté d’expression.

Pour ce qui est de l’égalité entre les femmes et les hommes, il est absurde d’écarter 50 % de la population. Les petites filles connaissent très bien leurs droits aujourd’hui.

Pour ce qui est des relations commerciales, le Rwanda fait partie des pays en Afrique qui commercent le moins avec la Chine. Il y a eu des problèmes de corruption, notamment. Les partenaires les plus importants restent l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Mme Sira Sylla a annoncé qu’elle serait présente pour les commémorations d’avril 2019. Son Exc. M. Jacques Kabale l’a invité  à assister aux veillées.

Mme Sonia Krimi a remarqué que la justice coutumière a certes permis de guérir le Rwanda, mais cela ne doit pas justifier les attaques contre des candidats à la présidentielle en vertu de leur passé. Le score de M. Kagame aux dernières présidentielles, de 98,75 %, interroge beaucoup. Le déficit public élevé, la productivité agricole insuffisante ainsi que la dépendance du Rwanda envers les aides internationales sont inquiétants. S’il est impressionnant que 91 % des Rwandais sont couverts par une assurance sociale, la combinaison entre le déficit public et une faible liberté d’expression la fait penser à la situation en Tunisie, sous la présidence de M. Ben Ali. Enfin, elle s’est interrogée sur les relations avec la RDC et le Burundi.

Son Exc. M. Jacques Kabale a rappelé que les élections diffèrent entre l’Europe et le Rwanda. En Europe, la participation atteint de plus en plus rarement 50 %. Cela tient peut-être à une forme de perte de foi dans la démocratie. La participation au Rwanda est de 95 %. Les citoyens sont libres d’aller aux élections, mais aussi sensibilisés à l’importance de choisir les élus. Le Président Kagame incarne également le retour de la diaspora. Par ailleurs, en 1994, les génocidaires ont pris en otage une partie de la population en RDC, 3,5 millions de personnes. Devant l’inaction de la communauté internationale, l’armée rwandaise a ramené cette population dans le pays, ce qui explique la reconnaissance envers le président.

Aujourd’hui, le Rwanda est un pays réconcilié, reconstruit, qui bénéficie d’une croissance économique de l’ordre de 7 à 8 % depuis près de 12 ans. Les citoyens rwandais qui voyaient leur vie changer, par l’éducation, l’hygiène, la fin de la malaria, ne souhaitaient pas changer de gouvernants.

En 1994, le Rwanda dépendait à 80 % des aides internationales. Ce taux est revenu à 20 % aujourd’hui.

Enfin, les relations avec le Burundi n’étaient pas très bonnes. Alors qu’au Rwanda, la population avait demandé au président de se représenter, au Burundi, c’était le président qui a pris l’initiative. 500 000 Burundais sont actuellement au Rwanda. Les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) sont encore présentes au Burundi, même si le Rwanda est bien protégé par son armée.

À l’inverse, les relations avec la RDC ne sont pas mauvaises, le Rwanda espère que le nouveau pouvoir apportera la paix et la stabilité. La principale difficulté concerne le Kivu, où la frontière est trop poreuse.

M. Claude de Ganay a salué l’ouverture d’un master en intelligence artificielle à Kigali, qui a vocation à devenir l’un des grands pôles mondiaux en la matière. Son Exc. M. Jacques Kabale a rappelé que l’Université de Kigali délivre les mêmes diplômes dans cette matière que les universités américaines.

Mme Sira Sylla a conclu qu’elle souhaitait organiser au mieux son déplacement prochain, accompagné par plusieurs de ses collègues.