Jean-Baptiste, Sylvère Gaye de Martignac
1778 - 1832
Député de 1821 à 1832, et ministre, né à Bordeaux (Généralité de Bordeaux et Bayonne, France) le 20 juin 1778, mort à Paris (Seine) le 3 avril 1832, il était fils d'un ancien lieutenant au régiment de Flandre qui devint avocat à Bordeaux, bâtonnier de l'ordre, membre de la jurade, conseiller général, et, en 1816 conseiller à la cour royale.
Destiné au barreau, Jean-Baptiste préféra une vie moins sédentaire : en 1792, il était secrétaire de Sieyès ambassadeur de la République française à Berlin. Quelques années plus tard, il entrait dans l'armée, et écrivait en même temps des, vaudevilles pour les théâtres de Paris. De retour à Bordeaux au début du Consulat, il se fit recevoir avocat, et, suppléant aux fortes études qui lui manquaient par une extrême vivacité d'esprit et par une diction incomparable, acquit rapidement une brillante réputation.
En 1814, il accueillit sans enthousiasme le retour des Bourbons; en avril 1815, il fut chargé des négociations de la reddition de Bordeaux au général Clausel qui venait au nom de l'empereur, et protégea le départ de la duchesse d'Angoulême. Dévoué désormais à la famille royale, il fut nommé, en 1818, avocat général à Bordeaux et chevalier de la Légion d'honneur, et passa procureur général a Limoges l'année suivante; dans ces postes difficiles, sa réputation ne fit que grandir.
Le 1er octobre 1821, le 2e arrondissement électoral du Lot-et-Garonne (Marmande) l'élut député par 216 voix sur 301 votants et 544 inscrits, contre 84 voix à l'amiral de Lacrosse. Il prit place dans la majorité de M. de Villèle, en devint un des orateurs écoutés, et fut rapporteur du projet de loi sur la presse qu'il fit adopter. Il entra au conseil d'Etat en juin 1822, fut nommé vice-président de la Chambre en 1823, et contribua pour la plus grande part au vote des crédits pour la guerre d'Espagne. Attaché au duc d'Angoulême dans cette expédition en qualité de commissaire civil du roi, il montra un esprit de justice et de modération qui lui valut la grand croix de l'ordre de Charles III, et une tabatière ornée du portrait de Ferdinand VII encadré de diamants, ce qui lui faisait dire : « Avouez qu'on a bien tort de dire que le roi d'Espagne est mal entouré. »
Au retour, Louis XVIIII le nomma ministre d'Etat, puis directeur général de l'enregistrement et des domaines, et le créa vicomte (1824). Réélu, aux élections du 25 février de la même année, député de Marmande, par 257 voix (345 votants, 473 inscrits) contre 56 voix à M. Suriray et 30 à M. Drouilhet de Sigalas, il prit à la Chambre un rôle plus actif, appuya l'admission de Benjamin Constant, la loi sur le milliard des émigrés, mais se montra très réservé sur la loi du sacrilège et sur la loi contre la liberté de la presse.
Lorsque les élections du 17 novembre 1827, qui le renvoyèrent à la Chambre par 190 voix (248 votants, 380 inscrits) contre 52 à M. Delong, eurent amené la retraite du ministère Villèle, il se trouva désigné au choix du roi tant par son attitude à la Chambre que par la recommandation même du ministre tombé, pour entrer dans la nouvelle combinaison ministérielle, où il prit le portefeuille de l'intérieur (4 janvier 1828), et où son talent oratoire le mit bientôt au premier rang, « J'ai entendu un jour Dupont de l'Eure, a dit M. Guizot, lui crier doucement de sa place, en l'écoutant : Tais-toi, sirène ». Il n'en fallait pas moins pour se maintenir dans la situation délicate que lui faisaient la défaveur à peine dissimulée du roi, hostile à son libéralisme, et la suspicion réciproque que lui témoignaient à l'envi la gauche et la droite de la Chambre. Il supprima le cabinet noir, remplaça à la préfecture de police M. Delaveau par M. de Belleyme, abolit la censure et l'autorisation préalable, abaissa le chiffre du cautionnement, et put faire signer au roi les ordonnances du 16 juin 1828, qui enlevaient le droit d'enseigner aux congrégations non autorisées ; mais les libéraux ne lui pardonnèrent pas l'échec de leur demande de mise en accusation du ministère Villèle, et la droite, irritée des quelques mesures libérales qu'il avait fait aboutir, ne chercha plus que l'occasion de le renverser.
La présentation du projet de loi destinée à rendre électifs les conseils généraux et d'arrondissement fournit le prétexte attendu: repoussé par la gauche qui ne le trouvait pas assez démocratique, et par la droite qui voulait élever le cens d' éligibilité, le projet dut être retiré par le ministre, qui remit au roi sa démission (31 juillet). Huit jours après, le ministère Polignac était constitué, et M. de Martignac recevait, avec la grand croix de la Légion d'honneur, une pension de 12,000 francs. Il reprit sa place à la Chambre, et vota l'adresse des 221.
Réélu, le 23 juin 1830, député de Marmande, par 287 voix (308 votants, 390 inscrits), il ne prit aucune part à l'établissement du gouvernement de juillet, prêta serment au nouveau roi et siégea à droite. Lors du procès des ministres de Charles X, M. de Polignac le choisit pour défenseur devant la cour des pairs, et M. de Martignac mit au service de son ancien adversaire politique ce qui lui restait de forces et son immense talent. A la Chambre, il protesta contre l'exil de la branche aînée, et fut réélu, le 1er octobre 1831, par 285 voix (530 votants, 740 inscrits), contre 219 à M. A. Suriray. Il eut encore l'occasion (13 novembre) de défendre Charles X qu'on accusait de cruauté ; il mourut six mois après, laissant la réputation d'un homme politique plein de droiture, plus dilettante qu'ambitieux, sans vues profondes ni suivies, mais d'un orateur incomparable. « Pendant que son regard animé, a écrit Cormenin, parcourait l'assemblée, il modulait sur tous les tons sa voix de sirène, et son éloquence avait la douceur et l'harmonie d'une lyre. »
Une statue de bronze a été élevée à sa mémoire à Miramont en 1845. En 1858, Napoléon III accorda à sa veuve une pension de 6,000 francs « pour services rendus à l'Etat par son mari ».
On a de M. de Martignac : Esope et Xantus, comédie-vaudeville (1801); Essai historique sur la révolution d'Espagne et l'intervention de 1823 (1832) ; Bordeaux en mars 1815 (1830), etc.