Elie Decazes
1780 - 1860
Député de 1815 à 1816, ministre, pair de France, né à Saint-Martin-de-Laye (Généralité de Bordeaux et Bayonne, France) le 28 septembre 1780, mort à Paris (Seine) le 24 octobre 1860, était fils d'un procureur, plus tard avoué à Libourne.
Elie Decazes faisait ses études au collège de Vendôme quand éclata la Révolution ; il revint à Libourne, se livra à l'étude des lois, débuta au barreau de sa ville natale, et, étant venu perfectionner son savoir à Paris quand les écoles rouvrirent, entra dans les bureaux du ministère de la justice. Son mariage (1805) avec une fille du comte Muraire, premier président de la Cour de cassation, lui valut une place de juge au tribunal de la Seine ; il perdit sa femme l'année suivante. Appelé, en 1807, en Hollande auprès de Louis Bonaparte, il le soutint dans ses velléités de résistance aux impériales exigences de son frère. Il n'en fut pas moins nommé (décembre 1810) conseiller à la cour de Paris, puis secrétaire des commandements de Madame Laetitia.
Sa fortune politique date en réalité de la décision avec laquelle, à la nouvelle du retour de l'île d'Elbe, en 1815, il mobilisa sa compagnie de garde nationale pour défendre la cause des Bourbons (20 mars 1815). La compagnie se sépara vite au cri de vive le roi ! Mais, le 25 mars, la cour impériale s'étant réunie pour voter une adresse à Napoléon, M. Decazes s'y opposa, et comme un de ses collègues s'écriait :
« Est-il besoin d'une autre preuve de sa légitimité que la rapidité de sa marche ? »
« Je n'ai jamais ouï dire, répliqua M. Decazes, que la légitimité fût le prix de la course ».
L'empereur se hâta de l'exiler à quarante lieues de Paris.
De retour à Paris après Waterloo, M. Decazes fut nommé préfet de police par le roi, le 7 juillet 1816 ; il assura la prompte dissolution de la Chambre des Cent-Jours, maintint l'ordre dans la capitale une seconde fois envahie, et fut élu député, le 22 août 1815, par le collège de département de la Seine, avec 110 voix, sur 212 votants et 231 inscrits. De la préfecture, il passa, le 24 septembre 1815, au ministère de la police que Fouché venait de quitter, et fut créé comte par ordonnance royale du 7 janvier suivant. Son poste de chef de la police le mettait en rapports fréquents et directs avec le roi, que charmèrent bientôt l'esprit de sa conversation et la grâce encore jeune de ses manières; une grande intimité s'établit promptement entre eux. Comme ministre, M. Decazes présenta à la Chambre, le 18 octobre 1814, et fit adopter un projet de loi donnant au ministère le droit d'exiler ou de mettre en prison tout individu coupable de délit contre le roi, contre la famille royale ou la sûreté de l'Etat. Ayant adouci dans la pratique l'application de cette loi, dans la circulaire interprétative qu'il envoya aux préfets, le 30 novembre, M. Decazes s'attira les reproches des ultra-royalistes, que l'évasion heureuse du comte de Lavalette vint encore surexciter contre le ministre de la police. La discussion de la loi dite d'amnistie, dans laquelle M. Decazes lutta pied à pied contre l'exagération des ultra-royalistes, acheva de le perdre dans leur esprit ; en mars, ils l'accusèrent à la tribune d'organiser dans la presse la diffamation systématique de leurs principes religieux et monarchiques. On a dit que l'idée de dissoudre la Chambre introuvable avait été inspirée au roi par M. Decazes. Au moment des élections, il écrivit aux préfets :
« Point d'exclusions odieuses, surveillance active, mais liberté entière. Le roi ne veut aucune exagération; il attend des collèges électoraux des députés qui apportent à la nouvelle Chambre les principes de modération qui sont la règle de son gouvernement et de sa politique. »
Les ultras ne lui pardonnèrent pas le résultat des élections, qui furent faites en conformité de ce programme. Le 7 décembre 1816, M. Decazes présenta à la Chambre trois projets de loi, sur l'atténuation de la loi de sûreté générale, sur la liberté de la presse et sur la suppression de la censure pour toute publication autre que les journaux. Souvent directement attaqué dans les discussions de ces divers projets, il se défendait avec un réel talent :
« La police, depuis qu'elle existe, disait-il le 18 février 1817, a le malheur ou le bonheur, je dirai même l'honneur d'avoir beaucoup d'ennemis. La police est inutile, vous a-t-on dit; on s'est mal expliqué : c'est le ministre auquel elle est confiée ; ce ne sont pas les choses, mais les personnes qu'on a en vue. Si au lieu de ces accusations vagues, il eût été possible de citer des faits, d'établir que le ministre a abusé de son pouvoir, on saurait bien alors prouver, et vous-mêmes n'hésiteriez pas à prouver que la responsabilité n'est pas un vain mot. »
M. Decazes appuya, en février 1817, le projet de la nouvelle loi électorale, qui noyait en réalité dans la masse des moyens propriétaires les suffrages de la grande propriété ; les élections nouvelles renforcèrent, plus que n'y avait compté le cabinet, le parti libéral ; l'opposition menaçante changea de forme et de côté. La loi électorale, qui l'avait suscitée, fut attaquée de nouveau par les ultras ; les puissances étrangères ne dissimulèrent pas leurs mauvaises impressions, et ce courant d'opinion amena à la Chambre des pairs la proposition Barthélemy.
Le ministère du duc de Richelieu offrit sa démission au roi qui l'accepta (28 décembre 1818), et M. Decazes, qui passait cependant pour partisan de la loi attaquée, fut chargé de constituer un nouveau cabinet, dans lequel il prit le portefeuille de l'Intérieur (29 décembre 1818), et dont la présidence fut donnée au général Dessole. Le ministère de la police fut supprimé et devint une simple direction du ministère de l'Intérieur. Pour paralyser l'opposition manifestée par la Chambre des pairs lors de la proposition Barthélemy, M. Decazes fit signer au roi (mars 1819) une promotion de soixante nouveaux pairs, dont un certain nombre étaient des pairs de 1814, exclus à la seconde Restauration. Ces mesures ne réussirent pas à assurer à M. Decazes une majorité docile ; le ministère se disloqua sur la question du changement à faire subir à la loi électorale.
M. Decazes fut encore chargé de reconstituer le nouveau ministère, et y prit, avec le portefeuille de l'Intérieur, la présidence du conseil (19 novembre 1819). Le pays n'était préoccupé que de la question électorale, lorsque survint l'assassinat du duc de Berry (13 février 1820). Attaqué de toutes parts, traité par le Journal des Débats de « Bonaparte d'antichambre », accusé, à la tribune, de complicité avec l'assassin (Voy. Clausel de Coussergues), M. Decazes remit au roi sa démission, le 17 février ; Louis XVIII désolé, mais résigné, le créa duc, membre du conseil privé, et le nomma ambassadeur à Londres. Là, il lui envoya, quelque temps après, le grand cordon du Saint-Esprit; mais le duc Decazes, au bout de six mois, demanda et obtint de rentrer en France, et se contenta d'exercer ses fonctions de pair et de faire de l'agriculture dans ses terres. Il contribua à faire rejeter, en 1826, la loi du droit d'aînesse, parla, en 1827, en faveur du jury et sur l'organisation militaire, et demanda « qu'aucun grade ne pût être enlevé que sur une proposition soumise au tribunal des maréchaux de France, et après que l'officier aura été entendu. »
En août 1819, M. Decazes avait épousé Mlle de Saint-Aulaire, petite-fille par sa mère du dernier prince régnant de Nassau-Saarbruck ; en considération de ce mariage, le roi de Danemark lui donna le titre de duc et la terre de Glückbserg.
Absent de Paris au moment des journées de Juillet, il se rallia au nouveau gouvernement, dès qu'il fut de retour : « J'eusse voulu, dit-il à la Chambre haute, éviter cette catastrophe au prix de tout mon sang ; mais en présence des faits accomplis, je ne vois qu'une ancre de salut pour mon pays, je m'y rallie. » Le 20 septembre 1834, il fut nommé grand référendaire de la Chambre des pairs ; la salle des séances, la bibliothèque, et de nombreuses améliorations dans les jardins du Luxembourg datent de son administration. En 1846, il remplit une courte mission auprès du roi de Danemark.
La révolution de 1848 le rendit à la vie privée, et il fut retraité, comme grand référendaire, le 3 août 1849.
Il fut le fondateur des forges de Decazeville, et était membre actif des Sociétés d'agriculture et d'horticulture. Il fit partie du conseil général de la Gironde, qu'il présida longtemps, de 1831 à 1847 ; Libourne, qui lui doit de nombreux embellissements, lui a élevé une statue en bronze sur l'une de ses places.
Le duc Decazes était grand-maître des francs-maçons du rite écossais.