Charles Lagrange
1804 - 1857
Représentant du peuple en 1848 et 1849, né à Paris le 28 février 1804, mort à la Haye (Hollande) le 22 décembre 1857, il servit d'abord dans l'artillerie de marine, s'embarqua à bord de l'Espérance en 1821 pour un voyage d'exploration sur les côtes du Brésil, puis passa sur l'escadre de l'amiral Roussin pour une croisière dans la mer des Indes. Ayant protesté, un jour, contre les coups de corde donnés à un homme de sa compagnie, il fut mis aux fers, ramené à Brest pour y être jugé, et condamné seulement par le ministre, M. de Clermont-Tonnerre, qui avait retenu l'affaire, à une simple peine disciplinaire.
En 1823, il fit partie d'un « détachement d'élite » embarqué sur le Jean-Bart pour la guerre d'Espagne. Il y tira le canon par devoir, cette guerre étant contre ses principes. Il quitta le service en 1829 avec un congé, et entra dans le commerce, où il ne s'enrichit pas, s'occupant surtout de propagande démocratique.
Insurgé de juillet 1830, il resta, sous le gouvernement de Louis-Philippe, un des soldats les plus ardents de l'idée républicaine, et fut, en avril 1834, comme membre de la Société des Droits de l'homme, au premier rang des promoteurs de l'insurrection à Lyon. Traduit, l'année suivante, devant la cour des pairs, il se fit remarquer entre tous par la vivacité de sa défense et la farouche énergie de son attitude. Le président Pasquier lui ayant refusé la parole, Lagrange s'écria : « Je la prends ! Oui, nous protestons devant la parodie de vos réquisitoires comme nous l'avons fait devant la mitraille ; nous protestons sans crainte, en hommes fidèles à leurs serments et dont la conduite vous condamne, vous qui en avez tant prêté et tant trahi ! »
Condamné à vingt ans de détention, il recouvra la liberté à l'amnistie de 1839. Le gouvernement l'ayant placé sous la surveillance de la haute police, plus d'une fois il eut maille à partir avec elle pour s'être rendu à Paris ; en 1840, il était en prison à Sainte-Pélagie, en compagnie de Lamennais.
La révolution de février le trouva parmi les chefs du mouvement, et il joua, dès le début de la lutte, un rôle qui a été diversement raconté. Dans la soirée du 23 février, alors que la chute du ministère Guizot et les promesses de réforme électorale semblaient devoir conjurer la révolution menaçante, un coup de pistolet tiré sur le commandant du poste du ministère des Affaires étrangères, au boulevard des Capucines, provoqua de la part de la troupe une décharge meurtrière sur la foule rassemblée devant l'hôtel; ce fut le signal du soulèvement qui aboutit à la proclamation de la République. Suivant une version longtemps accréditée, ce coup de pistolet aurait été tiré par M. Ch. Lagrange ; mais il s'est toujours défendu contre cette imputation. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il s'empara, le lendemain, avec M. Marchais, de l'hôtel de ville ; ce fut entre ses mains que tomba l'acte d'abdication de Louis-Philippe. Il le garda, et il le possédait encore plus tard en exil. Cette conquête de l'hôtel de ville lui avait causé une telle joie que ses amis conçurent pendant trois jours des craintes sérieuses pour sa raison.
Nommé, mais pour quelques jours seulement, gouverneur de l'hôtel de ville, il fut élu colonel de la 9e légion de la garde nationale, puis, aux élections partielles du 4 juin, motivées dans le département de la Seine par diverses options ou démissions, il fut porté sur la liste socialiste, et devint représentant du peuple à l'Assemblée constituante, par 78 682 voix (248 392 votants, 414 317 inscrits). M. Lagrange siégea à la Montagne, et fit don, en juin, « de sa première journée d'ouvrier parlementaire » à la caisse du « banquet démocratique » à 25 centimes qui devait se tenir dans la plaine Saint-Denis, le 14 juillet, et qui comptait, dès le 8 juin, 165 532 souscripteurs. Il ne prit aucune part à l'insurrection de juin, mais il ne cessa de s'élever contre les transportations et de réclamer l'amnistie. Il se prononça particulièrement pour l'abolition de la peine de mort qu'il voulait même étendre à l'armée, et vota avec la fraction la plus avancée du parti démocratique :
- contre le rétablissement du cautionnement,
- contre les poursuites contre Louis Blanc et Caussidière,
- pour l'abolition du remplacement militaire,
- pour le droit au travail.
Il adopta l'ensemble de la Constitution, et opina encore :
- contre la proposition Rateau,
- pour l'amnistie,
- contre l'interdiction des clubs,
- pour la mise en accusation du président et de ses ministres, etc.
Réélu, le 13 mai 1849, représentant de la Seine à l'Assemblée législative, le 3e sur 28, par 128 087 voix (281 140 votants, 378 043 inscrits), M. Lagrange reprit son siège à l'extrême gauche, renouvela, chaque fois qu'il en trouva l'occasion, ses protestations contre la répression sans jugement de l'insurrection de juin, vota constamment avec la minorité démocratique, et, arrêté le 2 décembre 1851, fut banni de France par le décret du 9 janvier 1852.
Il se réfugia en Belgique où le gouvernement l'interna d'abord à Bruges, puis, au mois d'octobre de la même année, l'expulsa du territoire. Il passa alors en Angleterre et de là en Hollande, où il mourut.
On a de lui :
- Discours de Lagrange, accusé de Lyon (prononcé devant la cour des pairs, le 2 juillet 1835) ;
- Discours sur l'amnistie (1849).