Maximilien, Paul, Emile Littré

1801 - 1881

Informations générales
  • Né le 1er février 1801 à Paris (Seine - France)
  • Décédé le 2 juin 1881 à Paris (Seine - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Assemblée Nationale
Législature
Mandat
Du 8 février 1871 au 7 mars 1876
Département
Seine
Groupe
Gauche républicaine

Mandats au Sénat ou à la Chambre des pairs

Sénateur
du 15 décembre 1875 au 2 juin 1881

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant en 1871, sénateur de 1875 à 1881, né à Paris le 1er février 1801, mort à Paris le 2 juin 1881, il fit de brillantes études classiques, fut un des lauréats du concours général, et embrassa l'étude de la médecine, qu'il poussa jusqu'à l'internat, mais qu'il se contenta de servir par des travaux scientifiques de premier ordre sans y chercher une profession. En même temps il se livrait à des recherches approfondies de philologie et d'histoire : le grec, le sanscrit, l'arabe et les principaux idiomes anciens et modernes lui furent bientôt aussi familiers que la langue et la littérature françaises.

On doit à cette première période de sa vie une édition et une traduction des Oeuvres d'Hippocrate accompagnées d'un commentaire, publication qui, dès le début, fut jugée assez remarquable pour lui ouvrir, le 22 février 1839, les portes de l'Académie des Inscriptions. La partie faible de ce grand ouvrage était la reconstitution du texte, tâche à laquelle Littré n'avait peut-être pas apporté toute la rigueur des principes qui fait loi aujourd'hui.

Républicain dès 1830, Emile Littré s'était distingué parmi les combattants de juillet ; il entra, sous Louis-Philippe, à la rédaction du National, dont il resta, jusqu'en 1851, un des principaux rédacteurs. Il avait quarante ans lorsqu'il fit la connaissance d'Auguste Comte et de ses ouvrages : séduit par le caractère scientifique et méthodique de la doctrine de l'auteur de la Philosophie positive, il l'embrassa avec ardeur et se livra tout entier, sauf les réserves qu'il fit plus tard relativement à la « seconde phase » de Comte et aux idées religieuses que celui-ci essaya d'ajouter à son système. Littré n'hésita pas alors à regarder cette partie de l'œuvre du maître comme indépendante de la première et comme l'effet d'un état mental pathologique nettement caractérisé. Mais, à part cette distinction, d'ailleurs fondée en fait, Littré se proclama toujours hautement disciple de la doctrine et fidèle de « l'église » positiviste. Il écrivait en 1863 : « Aujourd'hui il y a plus de vingt ans que je suis sectateur de cette philosophie, et la confiance qu'après de longues méditations et plus d'une reprise elle m'inspira, ne s'est pas dès lors démentie. Elle suffit à tout, ne me trompe jamais et m'éclaire toujours. » En effet, Littré fut toute sa vie un positiviste convaincu. « Le nom seul l'indique, écrivait-il encore, ce qui est commencement et fin des choses ne tombe pas sous l'expérience. » Sous le titre d'Analyse raisonnée des cours de Philosophie positive, Littré avait donné, en 1845, un résumé lucide et habile des idées d'Auguste Comte.

Il accueillit avec joie la révolution de 1848, et accepta les fonctions non rétribuées de conseiller municipal de Paris ; mais il ne tarda pas à donner sa démission, en voyant la marche des événements, refusa le ruban de la Légion d'honneur qui lui était offert, et se remit au travail avec une ardeur nouvelle.

Pendant toute la durée de l'Empire, il se tint à l'écart de la politique, se consacrant uniquement aux labeurs littéraires et scientifiques qui ont fait de lui un des savants éminents de ce temps. Il reprit le cours de ses recherches sur la médecine, et le Dictionnaire si connu de Médecine et de chirurgie, qui n'avait dû être au début qu'un remaniement du travail de Nysten, devint peu à peu, entre les mains de Littré et de son collaborateur Robin, un ouvrage essentiellement original et personnel. Il continua aussi de s'adonner avec passion à l'étude des langues et principalement à l'histoire de la langue française. Les deux volumes qu'il publia sur ce sujet en 1862 étaient un recueil d'articles qui avaient paru originairement dans la Revue des Deux-mondes, le Journal des Débats et le Journal des Savants, auquel Littré collaborait depuis 1854. La critique littéraire y touche à la linguistique. Membre de la commission chargée de poursuivre l'Histoire littéraire de la France, il fut un des auteurs des tomes XXI, XXII, XXIII.

Mais son travail capital et son principal titre, c'est incontestablement le Dictionnaire de la langue française, dont il avait conçu de bonne heure le projet. C'est en 1841 qu'il l'avait fait accepter au chef de la maison Hachette, son condisciple et son ami : mais il ne reçut un commencement d'exécution que six ans après. La rédaction dura de 1847 à 1865 et l'impression, commencée le 27 septembre 1859, fut terminée en novembre 1872, après une interruption d'environ neuf mois en 1870-71. On peut se rendre compte du travail qu'exigea ce Dictionnaire par les chiffres suivants : « La copie (sans le Supplément) comptait 415,636 feuillets. Il y a eu 2,242 placards de composition. Les additions faites sur les placards ont produit 292 pages en trois colonnes. Si le Dictionnaire (toujours sans le Supplément) était composé sur une seule colonne, cette colonne aurait 37,525m,28. » (Littré, Etudes et Glanures.) Le Dictionnaire de Littré est le plus grand travail lexicographique entrepris jusqu'ici sur notre langue, et on ne sait ce qu'on doit le plus admirer dans l'œuvre de ce savant, de la sûreté de sa méthode, de la merveilleuse sagacité de ses jugements, ou de la patience de ses recherches, de son infatigable activité dans un âge avancé, au milieu des plus vives angoisses patriotiques. Les matériaux du Dictionnaire, formant 240 paquets de chacun 1,000 feuillets, avaient été renfermés dans huit caisses en bois blanc. Ces caisses étaient déposées dans la cave de la maison de campagne de Littré, à Mesnil le Roi, et on les tirait au fur et à mesure de l'impression. Au mois d'août 1870, en prévision d'opérations militaires aux environs de Paris, Littré fit transporter à Paris les caisses qui restaient, et dut les placer dans le sous-sol de la maison Hachette pour les mettre hors de la portée des obus.

Fondateur en 1867, avec M. G. Wyrouboff, de la revue la Philosophie positive, M. Littré y publia, en 1870, sous ce titre : Des origines organiques de la Morale, un article qui fit sensation et fournit de nombreux arguments aux théoriciens catholiques qui accusaient Littré d'athéisme. La même année, il soutenait Mme veuve Comte dans son procès contre les exécuteurs testamentaires de son mari, et s'opposait à la publication des dernières œuvres d'Auguste Comte, comme indignes de lui.

Au moment de l'investissement de Paris, Littré fut nommé par Gambetta, alors en province, professeur d'histoire et de géographie à l'Ecole polytechnique (7 janvier 1871). Bientôt après, il rentra dans la vie politique, mais sans renoncer à ses travaux de philologie, d'histoire et de philosophie.

Elu, le 8 février 1871, représentant de la Seine à l'Assemblée nationale, le 33e sur 43, par 87,868 voix (328,970 votants et 547,858 inscrits), il prit place à gauche et vota constamment avec les républicains modérés, par exemple:

- contre le pouvoir constituant de l'Assemblée,
- pour la dissolution,
- contre la chute de Thiers au 24 mai,
- contre le septennat, la loi des maires, l'état de siége,
- pour les amendements Wallon et P. Duprat et pour l'ensemble des lois constitutionnelles.

Lors du renouvellement des conseils généraux, il fut nommé (15 octobre 1871) membre du conseil général de la Seine pour le canton de Saint-Denis, et cette assemblée le choisit pour son vice-président. Dans la séance du 39 décembre 1871, il fut élu en remplacement de Villemain, membre de l'Académie française, qui, précédemment, en 1863, avait repoussé sa candidature à l'instigation de l'évêque d'Orléans. Devant le succès de Littré, l'évêque d'Orléans, qui, cette fois encore, avait fait les plus grands efforts contre cette élection, crut devoir donner avec éclat sa démission d'académicien. A l'Assemblée nationale, Littré, éloquent seulement la plume à la main, ne prit aucune part aux débats parlementaires, et ne parut jamais à la tribune. Mais il n'en fut pas moins très assidu aux séances. « Tous les arrangements de ma vie, a-t-il dit en parlant de l'année 1872, pour me procurer la plus grande somme de temps disponible étaient bouleversés. Membre de l'Assemblée nationale, j'assistais régulièrement aux séances. N'ayant pu prendre résidence à Versailles, à cause de mes livres et de tout ce qu'à Paris j'avais sous la main, j'étais obligé de faire chaque jour le voyage. De la sorte, le milieu des journées m'était enlevé tout entier ; il ne me restait que les matinées, les nuits, les dimanches et les vacances de l'Assemblée. Ces heures dérobées aux devoirs publics, on imaginera sans peine avec quel soin jaloux je les employai, et combien je me réjouis quand je vis qu'elles me suffisaient. » Au mois d'avril 1873, Littré, qui avait fait adhésion à la « République conservatrice », protesta par une lettre adressée au Temps contre la candidature radicale de M. Barodet.

Le 15 décembre 1875, il fut élu par l'Assemblée nationale sénateur inamovible, le 52e sur 75, par 343 voix (676 votants). La même année, les francs-maçons avaient donné une grande solennité à sa réception par le Grand Orient de France (juillet), et une grande publicité au discours que le savant prononça, le jour de son initiation. Littré siégea à la Chambre haute dans les rangs de la gauche modérée. Il vota contre la dissolution de la Chambre en 1877, se montra l'adversaire du gouvernement du Seize-mai, le partisan du ministère Dufaure et, favorable à la plus large tolérance en matière religieuse, il s'abstint volontairement, de même que ses collègues MM. Cherpin, Eymard-Duvernay, Faye, Joseph Garnier, Issartier, Pons et l'amiral Fourichon, dans le scrutin (mars 1880) sur l'article 7 de la nouvelle loi sur l'enseignement supérieur. Il s'éteignit à Paris le 2 juin 1881. Suivant sa volonté expresse, aucun discours ne fut prononcé sur sa tombe.

Si Littré, comme philosophe, s'interdisait de parti pris les solutions, ce n'était pas qu'il fût insensible à la grandeur des problèmes. Il joignait à une vive intelligence un caractère d'une parfaite droiture et une âme pleine de sentiment. Il a publié, à la fin de son volume Littérature et Histoire, quelques pièces de poésie qui montrent qu'il avait aussi ses heures de rêverie. Parmi les rares épanchements intimes auxquels il s'est livré, un des plus curieux fut le morceau inséré par lui en 1880 dans la Philosophie positive, sous ce titre : Pour la dernière fois. Il y faisait comme son examen de conscience et écrivait : « Certaines âmes pieuses se sont intéressées à mes dispositions intimes, Il leur a semblé que, n'étant point un contempteur absolu du christianisme et lui reconnaissant avec insistance des grandeurs et des bienfaits, il y avait en mon cœur des cordes qui pourraient vibrer... » A ces sollicitations qui l'ont touché, Littré répond avec simplicité, sans humeur et sans faiblesse, ne cherchant ni à blesser les convictions qu'il ne partage pas, ni à leur laisser admettre qu'il pourrait s'en rapprocher. Non seulement il ne croit pas, mais il n'éprouve pas de ces désirs de croire, de ces désespoirs en se sentant incapable de foi, dont quelques incrédules ont exprimé tragiquement l'angoisse. « Je me suis interrogé en vain, je n'éprouve rien de ce qu'ils ont éprouvé, Il m'est, comme à eux, impossible d'accepter la conception du monde telle que le catholicisme l'impose à ses fidèles croyants; mais je suis sans regret d'être en dehors de ces croyances, et ne puis découvrir en moi aucun désir d'y rentrer.» Toutefois, il fit, au moment de mourir, aux sentiments catholiques de Mme et de Mlle Littré cette concession suprême de consentir à recevoir les sacrements, y compris ceux du baptême et du mariage.

Parmi les autres travaux de Littré, il faut citer une brochure sur le Choléra oriental (1832), publiée avant l'invasion de ce fléau à Paris, sa collaboration au Journal hebdomadaire de médecine et de chirurgie, la création avec M. Dezeimeris de l'Expérience, revue (1837-1846) ; une traduction de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien ; Application de la philosophie positive au gouvernement des sociétés (1849) ; Conservation, révolution et positivisme (1852) ; Médecine et médecins (1871) ; la Science au point de vue philosophique (1873) ; Fragments de philosophie positive et de sociologie contemporaine (1870) ; une traduction de la Vie de Jésus de Strauss, et une édition des Oeuvres complètes d'Armand Carrel.