Fernand Labori
1860 - 1917
Né le 18 avril 1860 à Reims (Marne), mort le 14 mars 1917 à Paris.
Député de Seine-et-Marne de 1906 à 1910.
Labori était peu connu lorsqu'il affronta pour la première fois les luttes électorales en 1893 : celui qui allait devenir l'honneur du barreau français n'avait pas encore rencontré de cause à sa mesure.
Il avait commencé ses études de droit à 20 ans, par vocation et non par tradition. Son père, après une longue carrière administrative aux Chemins de fer de l'Est, avait choisi pour lui l'Ecole Polytechnique, puis, devant son refus d'une vie monotone de fonctionnaire, avait décidé qu'il serait négociant en champagne. En vain ; après deux années passées en Allemagne et en Angleterre, une brève expérience du métier l'en éloigna à tout jamais. - « Toute la jeunesse de Labori avait été un élan instinctif vers un idéal indécis ; l'aspiration, contrariée, devint par réaction une pensée précise » : forçant l'opposition de sa famille, il décidait d'être avocat et partait à Paris pour obtenir en 1881 un premier prix de code civil, en 1883 un premier prix de droit romain, en 1884 sa licence et son inscription au barreau.
Il était alors surtout connu comme rédacteur à la Gazette du Palais lorsque, le 20 novembre 1888, à la rentrée de la conférence du stage, il prononça en qualité de deuxième secrétaire le premier grand discours qui révélait déjà ce qu'il serait - « un cœur chaud, une tête froide » -, en se faisant l'avocat rétrospectif de la Reine dans l'Affaire du Collier. Après avoir été commis d'office dans l'affaire des parricides de Niort et pour sauver, malgré lui, l'anarchiste Duval, à défaut d'autre succès dans le prétoire il chercha dans l'arène politique à déployer ce talent, cette passion et cette énergie dont il débordait. Candidat dans la 1re circonscription de Reims, sa ville natale où son père était encore inspecteur principal des Chemins de fer de l'Est, il arrivait en tête le 20 août 1893 avec 6.880 voix face au socialiste Mirman qui en obtenait 5.620 et au député radical sortant Langlet. Mais celui-ci s'étant retiré, tandis qu'une autre candidature radicale était suscitée trop tard, la plus grande partie des voix de gauche se reportait sur le socialiste, qui était élu avec moins de 300 voix d'avance sur Labori, candidat des républicains modérés et trop ouvertement soutenu par les partis de droite pour l'emporter dans cette conjoncture.
C'est immédiatement après, en 1894, avec la cause de l'anarchiste Vaillant, que se scelle son destin : il sera d'abord et avant tout « la défense » et sa plaidoirie, dans un superbe langage, impose à la salle un long et émouvant examen de conscience.
En 1897, il a déjà commencé la publication de son monumental répertoire encyclopédique ; épris de littérature, il a fondé La Revue du Palais qui deviendra bientôt La Grande Revue et sa situation au Palais est, de son aveu même, une des premières parmi ses contemporains.
Il ne renonce pas pour autant à une carrière politique et exprime son mécontentement lorsqu'il doit constater que « sa » circonscription a été amputée de ses meilleures communes pour assurer la réélection menacée de M. de Montebello. Les modérés ne renoncent pas davantage à la candidature de ce brillant avocat dont « le regard franc, la voix chaude, le geste sobre et net » peuvent mettre en péril, ou du moins immobiliser pendant les élections, un grand ténor de l'opposition. Le préfet de la Marne, puis tour à tour Barthou et Méline lui proposent Châlons contre Léon Bourgeois ; hostile alors au « radicalisme de mots », il est près de s'engager dans cette bataille. Mais le 4 janvier 1898, alors-que la campagne de Scheurer-Kestner était commencée depuis quelques semaines, Labori est sollicité d'assister Mme Lucie Dreyfus et de prendre la défense de Dreyfus dans le procès Esterhazy.
Il n'est plus question de carrière politique; d'emblée il choisit, dans cette période qui fut « un moment de la conscience humaine », d'incarner la justice , contre l'arbitraire et la défense du droit des hommes contre la raison d'Etat. S'ouvre alors la partie la plus tumultueuse de son existence : procès Esterhazy, procès Zola, plaidoirie pour le colonel Picard, et surtout procès de révision.
Deux années pendant lesquelles il sacrifie tout à l'idée qu'il se fait du droit de la défense, où il lutte sans relâche, sans même connaître l'homme qu'il défend, pour le droit éternel des hommes contre le pouvoir d'un moment. « Torrent qui emporte tous les obstacles », il est le « gladiateur défiant le cirque tout entier », celui à qui Zola écrit : « le jour où la vérité triomphera, ce sera vous le vainqueur », mais aussi celui qu'un coup de revolver blesse grièvement à Rennes, le 14 août 1899.
En 1902, les passions nées de l'affaire Dreyfus apaisées, il est de nouveau candidat aux élections législatives, dans l'arrondissement de Fontainebleau, mais il n'est plus le candidat des modérés. S'il rêve, comme il l'a écrit en 1901 dans La Grande Revue, de la constitution d'un parti nouveau aux « principes très hauts, très généreux, très clairs » (« Le mal politique et les partis »), arrivé en troisième position au premier tour, avec 5.086 voix contre 8.969 à Dupuich, républicain modéré, il se désiste en la faveur du radical-socialiste Girod qui est élu.
Plus heureux à des élections locales partielles, il devient conseiller municipal de Samois-sur-Seine, le 30 novembre 1902, et maire le 10 juillet 1903, un peu malgré lui car ses occupations au Palais - l'affaire Humbert - ne lui permettent pas de participer effectivement à la gestion municipale. En 1904, il se refuse à être de nouveau candidat.
C'est en 1906 qu'il arrive enfin, célèbre, dans ce milieu parlementaire qu'il ne connaît pas. Il a été élu comme indépendant, au deuxième tour, avec 11.339 voix sur 25.141 inscrits et 20.956 votants, battant le député sortant radical, Girod (9.378 voix), pour lequel il s'était désisté en 1902, avec un programme assez proche, approuvant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'impôt progressif sur le revenu et la réduction du service militaire à deux ans.
Il s'inscrit à la gauche radicale et tout au long de la législature ses prises de position s'accordent avec son programme électoral : il vote le 21 décembre 1906 la loi sur la dévolution des biens d'Eglise, le projet Caillaux d'impôt sur le revenu le 9 mars 1909, et soutient constamment le ministère Clemenceau, aussi bien dans son attitude à l'égard du syndicalisme (14 mai 1907) qu'à l'égard du droit de grève des fonctionnaires (26 mars 1909). Son passé lui fait approuver, cela va de soi, l'ordre du jour Pressens demandant au gouvernement de prendre les mesures nécessaires contre les « acteurs ou complices » de l'affaire Dreyfus. Ses interventions sont peu nombreuses et, comme ses rapports, presque toujours de caractère technique: l'amnistie, la peine de mort dont il est partisan, l'adoption, les incompatibilités parlementaires.
Il donna sa mesure dans le discours qu'il fit en novembre 1907 sur la dévolution des biens ecclésiastiques, plaçant, comme toujours, le débat à son plus haut niveau, frappant ses collègues par l'élévation de sa pensée. Il apporta enfin toute sa compétence dans son rapport sur la suppression des conseils de guerre, adopté d'ailleurs dans des conditions telles que ce fut lui qui se plaignit des « capitulations » du gouvernement. A vrai dire il n'avait jamais trouvé sa place dans cette assemblée. Il n'était pas habité par la passion de la politique ; son éloquence n'était pas celle d'un tribun ; son amour de la vérité s'accommodait mal des tractations de couloirs et des soucis électoraux. Aucun parti ne le reconnaissait comme l'un des siens.
Le malaise devint vite de la lassitude puis de l'amertume. Comme le dit Henri Merlin: « Il pensait se trouver à l'honneur dans une assemblée politique... ; il avait compté sans les circonstances qui, dans tous les temps, interviennent avec une fâcheuse nécessité dans la vie quotidienne d'une nation. » Dans un article paru le 7 mars 1910 (le Matin), il expliqua longuement pourquoi il ne se représenterait pas et quelles étaient les réformes nécessaires : scrutin de liste, validation des élections par une cour de justice indépendante du pouvoir, et surtout un Président de la République chef véritable de l'Etat.
En 1911, il fut élu bâtonnier, soutint encore quelques causes célèbres (Mme Caillaux en 1914) et fut reçu avec enthousiasme par les barreaux d'Angleterre, des Etats-Unis et du Canada.
Très affecté par la guerre, douloureusement atteint par la maladie, il plaida une dernière fois en décembre 1916 à La Panne, devant la Cour militaire de Belgique. Peu s'en fallut qu'il ne fût frappé à la barre même.
Il mourut quelques mois après, à Paris, le 14 mars 1917.