Philippe, Nazaire, François Fabre d'Églantine
1750 - 1794
Membre de la Convention, né à Carcassonne (Généralité de Toulouse, France) le 28 juillet 1750, exécuté à Paris (Département de Paris, France), le 5 avril 1794, il était fils de « M. François Fabre, marchand drapier, et de demoiselle Anne-Catherine-Jeanne-Marie Fons ».
Il passa son enfance à Limoux, s'affilia, dans sa jeunesse, à la congrégation des Doctrinaires et fut quelque temps professeur à Toulouse. A vingt ans, il composa la première en date de ses poésies légères, l'Ode à la lyre (1771). Pour des motifs qui sont restés inconnus, Fabre quitta sa congrégation pour entrer dans une troupe d'acteurs de province, et joua la comédie à Maëstricht et à Liège. En même temps, il continuait de s'exercer, non sans talent, à la poésie. Ayant obtenu aux Jeux floraux l'églantine d'or, il ajouta le nom de cette fleur à son nom de famille. Puis il prit le parti de se fixer à Paris, et de s'adonner plutôt à la composition qu'à l'interprétation des pièces de théâtre. Il y montra des qualités réelles d'auteur dramatique, fit représenter, en 1787 : Les Gens de lettres ou le Poète provincial à Paris ; en 1789, le Collatéral ou l'Amour et l'intérêt, et, en 1790, le Présomptueux ou l'heureux imaginaire. Ces comédies furent presque aussitôt suivies du Philinte de Molière, qui établit enfin la réputation de son auteur.
Fabre d'Eglantine s'était déclaré, dès le début, ardent partisan de la Révolution. L'enthousiasme avec lequel il en propagea les principes, le réconcilia avec le parterre parisien, qui n'avait pas toujours goûté ses productions, et le lia avec plusieurs personnages politiques des plus en vue, Danton, Delacroix, Camille Desmoulins. Quelques pamphlets qu'il publia avant la journée du 10 août le firent nommer membre de la commune provisoire ; puis Danton, en arrivant au ministère de la justice, l'appela aux fonctions de secrétaire général de ce département. Fabre d'Eglantine tut soupçonné d'avoir, en cette qualité, prêté les mains aux massacres de septembre.
Elu, le 16 septembre 1792, par Paris, le 17e sur 24, et avec 437 voix (725 votants) membre de la Convention, il parla sur l'exécution des lois répressives des assassinats, proposa de faire un prêt à la commune de Marseille gour achats de grains, et encourut, le 12 décembre 1792, la censure de l'Assemblée pour avoir réclamé, dans un rapport au nom des comités de sur veillance et de guerre, la levée du décret qui avait ordonné la suspension de Caffarelli, alors capitaine au corps du génie.
Dans le procès de Louis XVI, Fabre d'Eglantine se prononça pour la mort, sans appel au peuple ni sursis, et répondit au 3e appel nominal :
« Depuis qu'il s'agit ici de la mesure à prendre contre le ci-devant roi, beaucoup d'entre nous se sont demandé : Suis-je juge, suis-je législateur, suis-je homme d'Etat dans cette affaire ? Je n'ai pas encore pu comprendre la subtilité de ces différences. Mon entendement n'a pu s'ajuster encore à cette théorie qui peut modifier de trois façons la voix d'une seule conscience. Vous êtes tous représentants du peuple français et, en cette qualité, chargés d'exercer en son nom la souveraineté qu'il ne peut exercer lui-même; je dis plus, c'est que le peuple français ne pourra jamais exercer cette souveraineté. Il faut bien se garder de croire que le pouvoir dont le peuple fait usage dans nos élections soit un acte de souveraineté ; c'est seulement un pouvoir direct et constitué, que le peuple en entier et souverain a cédé à ses diverses parties non souveraines. Ce pouvoir a ses formes et ses limites prescrites, au lieu que le caractère des actes de souveraineté est de vouloir, sans restriction et sans égard pour les volontés préexistantes.
C'est d'après ce principe que j'ai rejeté l'appel au peuple relativement au sort de Louis Capet, car la souveraineté du peuple réside dans le vœu de la majorité du peuple entier; le vœu du peuple français se compose de dix millions de volontés, et six mille assemblées primaires ne produisent que six mille volontés partielles.
Lorsqu'il se forme, dit Jean-Jacques Rousseau, plusieurs associations dans l'Etat, il ne peut se recueillir de volonté générale; la volonté de chaque Assemblée devient générale par rapport à ses membres, mais particulière par rapport à l'Etat; vous n'avez plus alors autant de volontés que d'hommes, mais autant que d'associations.
Ainsi que J.-J. Rousseau, je mets une différence totale entre les volontés isolées de quelques votants particuliers, et la volonté complexe du peuple entier. Dans tout corps délibérant, les pensées des votants sont respectivement dépendantes et tributaires les unes des autres, pour se modifier, se rectifier et se diriger, les unes par les autres, vers l'intérêt général.
Sans ce principe que tout corps délibérant ne peut être morcelé, que toute majorité réelle et raisonnée ne peut être produite que par une agrégation immédiate du corps délibérant qui la prononce; sans ce principe, dis-je, il n'y a plus de système représentatif.
Prétendre que la majorité d'un peuple est réelle, lorsque cette majorité est divisée en six mille sections, disséminées à de grandes distances, c'est bien me rappeler la majorité de la ligue achéenne ou du corps helvétique ; mais lier ce système avec celui de l'unité et de l'indivisibilité de la République française, c'est dire une absurdité.
C'est d'après ces vérités incontestables, que j'ai donc regardé l'appel au peuple comme dérisoire et éversif du système de la représentation, le seul qui nous convienne. Arrivé au moment de prononcer au nom du peuple, et pour le peuple, la peine due à Louis, coupable de haute trahison et de conspiration contre la sûreté générale de l'Etat, j'ai arrété un instant ma réflexion sur quelques vertus privées, telles que l'humanité. la dignité, la clémence, qu'on a voulu ériger en vertus nationales, et j'ai senti que la dignité d'une nation consistait dans sa force et dans l'appareil de ses armes; je me suis rappelé cet aspect de quatre cent mille combattants sortant de terre après le 10 août; et j'ai vu qu'alors la nation avait de la dignité; mais la dignité d'un peuple qui pardonne à son tyran, je ne sais ce que c'est. J'ai senti que la clémence était belle dans un individu, mais inique quand elle était exercée par une nation. La clémence, dans ce dernier cas, est-elle autre chose que le silence de la justice ?
La considération des intérêts politiques ne m'a point arrêté davantage ; je rends hommage à la candeur de ceux qui pensent que les rois sont sensibles aux procédés, et capables de résipiscence, que les rois ont d'autre règle de conduite que leur ambition et leur intérêt, que les rois enfin ne font aux nations d'autre mal que celui qu'elles s'attirent; mais moi, qui les juge autrement, je pense que la mort de leurs complices ne leur inspirera pas moins de terreur que de clairvoyance, et d'audace aux peuples qu'ils oppriment.
Enfin, j'ai balancé les trois genres de peines votées contre Louis : que résultera-t-il de la déportation? fureur, rage, vengeance, efforts éternels de nous nuire de la part de Louis; de notre part, signe évident de faiblesse et de pusillanimité, qui enhardira les rois, comprimera leurs esclaves; et nulle espèce d'avantage; je défie qu'on m'en cite un seul réel.
La réclusion de Louis vaudrait-elle mieux que son bannissement ? Nous préserve à jamais le sort, d'un tel tyran dans le sein de la République ! N'offrons pas continuellement un appât aux conspirateurs ; n'offrons pas aux intrigues la personne d'un ci-devant roi à négocier, ni sa liberté à mettre à prix.
Il n'est donc qu'une peine qui convienne au tyran; la patrie, la justice et la politique me font un devoir de la prononcer; je vote pour la mort. »
Il fit ensuite renouveler le Comité de Sûreté générale, donna son opinion sur le projet d'organisation du ministère de la guerre, fit mettre les Hollandais et les Anglais, qui se trouvaient en France, sous la protection de la loi, et rédigea une adresse au peuple anglais.
Il fut membre du Comité de Salut public. Ce fut lui qui présenta à la Convention le rapport des comités sur la loi du maximum, et qui prononça, touchant la confection du nouveau calendrier, un remarquable discours, dont l'impression fut ordonnée. Chargé du rapport sur ce sujet, il en donna lecture dans la séance du 3 brumaire an II :
« La commission que vous avez nommée, y disait-il, pour rendre le nonveau calendrier plus sensible à la pensée et plus accessible à la mémoire, a cru qu'elle remplirait son but, si elle parvenait à frapper l'imagination par les dénominations, et à instruire par la nature et la série des images. L'idée première qui nous a servi de base est de consacrer, par le calendrier, le système agricole, et d'y ramener la nation, en marquant les époques et les fractions de l'année par des signes intelligibles ou visibles pris dans l'agriculture et l'économie rurale. Plus il est présenté de stations et de points d'appui à la mémoire, plus elle opère avec facilité : en conséquence, nous avons imaginé de donner à chacun des mois de l'année un nom caractéristique, qui exprimât la température qui lui est propre, le genre de productions actuelles de la terre, et qui tout à la fois fit sentir le genre de saison où il se trouve dans les quatre dont se compose l'année. Ce dernier effet est produit par quatre désinences affectées chacune à trois mois consécutifs, et produisant quatre sons, dont chacun indique à l'oreille la saison à laquelle il est appliqué. Nous avons cherché même à mettre à profit l'harmonie imitative de la langue dans la composition et la prosodie de ces mots et dans le mécanisme de leurs désinences: de telle manière que les noms des mois qui composent l'automne ont un son grave et une mesure moyenne, ceux de l'hiver un son lourd et une mesure longue, ceux du printemps un son gai et une mesure brève et ceux de l'été un son sonore et une mesure large..., etc. »
Et plus loin : « Nous avons pensé que la nation, après avoir chassé cette foule de canonisés de son calendrier, devait y retrouver en place tous les objets qui composent la véritable richesse nationale, les dignes objets, sinon de son culte, au moins de sa culture, les utiles productions de la terre, les instruments dont nous nous servons pour la cultiver, et les animaux domestiques, nos fidèles serviteurs dans ces travaux, animaux bien plus précieux sans doute, aux yeux de la raison, que les squelettes béatifiés tirés des catacombes de Rome. »
Il proposa la suppression de la Compagnie des Indes, dénonça Vincent et demanda son arrestation, fut dénoncé lui-même par Hébert et ne tarda pas à perdre la confiance des Cordeliers, comme celle des Jacobins, qui lui reprochaient « sa vie fastueuse et les déréglements de sa conduite ».
Fabre d'Eglantine suivit jusqu'au bout les inspirations de Danton et se perdit avec lui. Arrêté sous l'inculpation de malversations financières et de fabrication d'un faux décret relatif à la Compagnie des Indes, au moyen duquel il aurait réalisé, de complicité avec Julien de Toulouse et Delaunay, une somme considérable, il fut déclaré traître à la patrie, décrété d'accusation et condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, le même jour que Danton, Camille Desmoulins, etc.
À la Conciergerie, il n'était préoccupé que d'une pièce en cinq actes : l'Orange de Malte, dont il avait laissé le manuscrit au Comité de Salut public ; il avait peur qu'elle ne lui fût volée par Billaud-Varennes. Cette pièce n'a jamais vu le jour. Il fut exécuté le 5 avril 1794.
Outre les pièces de théâtre citées plus haut, on a de Fabre d'Eglantine un recueil de poésies que sa famille a publiées en 1802 : on y remarque la célèbre chanson : Il pleut, il pleut, bergère, dont il était l'auteur.