Georges, Jacques Danton
1759 - 1794
Membre de la Convention et ministre, né à Arcis-sur-Aube (Généralité de Châlons en Champagne), le 26 octobre 1759, mort à Paris (département de Paris), le 5 avril 1794, il était le fils de « Jacques Danton procureur au bailliage d'Arcis et de Marie-Madeleine Camut. »
Il montra de bonne heure, pour l'art oratoire, des dispositions qui le firent destiner au barreau. Il exerçait à Paris la profession d'avocat au conseil du roi, quand la Révolution l'arracha à l'étude paisible des lois. La nature, qui suivant l'expression même de Danton, lui avait donné en partage « les formes athlétiques et la physionomie âpre de la liberté », semblait lui avoir dévolu, dans ce grand drame, un rôle particulier. De bonne heure, il se constitua l'orateur et le tribun des masses populaires, et se lia d'amitié avec Mirabeau dont le caractère n'était pas sans analogie avec le sien. La morale indulgente et facile de Danton, son goût pour les plaisirs, son genre d'éloquence, tout le rapprochait du célèbre orateur.
Lors de la première division de la capitale en districts, Danton obtint la présidence de celui des Cordeliers : ce fut de là que partit sa renommée. Le club des Cordeliers, centre des révolutionnaires les plus ardents, était fait pour partager l'enthousiasme et l'audace de Danton et pour suivre son élan. Au surplus, les événements fournirent rapidement à Danton mainte occasion d'exercer sa puissance oratoire et son empire sur la foule. Au 14 juillet, dans les journées des 5 et 6 octobre, au Champ-de-mars, partout, il se montra prompt à exciter le peuple du geste et de la voix ; et lorsque le drapeau rouge fut déployé et la loi martiale proclamée, il abandonna, un des derniers, aux « Constitutionnels » l'autel de la patrie, autour duquel, s'étaient rassemblés les pétitionnaires qui réclamaient la déchéance du roi. Sa conduite en cette circonstance le fit décréter d'arrestation ; déjà, dit-on, il était poursuivi pour dettes ; mais les électeurs de Paris l'ayant nommé substitut du procureur de la Commune, il put braver les poursuites de l'autorité judiciaire. La cour, qui voyait en lui un de ses plus redoutables ennemis, essaya de le réduire au silence. Accepta-t-il les offres d'argent qui lui furent faites ? Plusieurs historiens ont incliné à le croire ; d'autres ont défendu sa mémoire contre ce qu'ils appelaient une calomnie. D'après le rapport de Saint-Just, Danton, déjà corrompu à l'époque des événements du Champ-de-mars, n'aurait été, en rédigeant la pétition et en la proposant à la signature du peuple, que l'agent de la cour, qui voulait forcer la municipalité à faire usage de la loi martiale, et par là, compromettre aux yeux du peuple cette municipalité, la garde nationale et l'Assemblée constituante. Le peu d'empressement que l'on mit à exécuter le décret de prise de corps lancé contre lui donne à cette assertion une certaine vraisemblance.
Aux approches du Dix-Août, Danton alla passer quelques jours à Arcis-sur-Aube, et ne reparut à Paris que la veille du jour décisif. C'est du comité insurrectionnel du club des Cordeliers que fut lancé le signal de l'action. Si Danton, qui présidait l'Assemblée, avait pris des engagements avec la cour, il les oublia, pour servir la cause de la Révolution, car il donna lui-même l'élan aux volontaires marseillais. « Le peuple, s'écria-t-il, ne peut recourir à l'Assemblée; il ne reste plus que vous pour vous sauver. Hâtez-vous donc ! car, cette nuit même, des satellites cachés dans le château doivent égorger le peuple avant de partir pour Coblentz. Aux armes ! aux armes ! » Il quitta ensuite le fauteuil et ne reparut qu'après la victoire, pour aller, à la tête d'une députation de la Commune, demander à l'Assemblée législative la convocation d'une Convention nationale. « Le peuple qui nous envoie vers vous, dit-il aux députés, nous a chargés de vous déclarer qu'il vous croit toujours dignes de sa confiance ; mais qu'il ne reconnaît d'autre juge des mesures extraordinaires auxquelles la nécessité l'a contraint, que le peuple, notre souverain et le vôtre, réuni dans les assemblées primaires. »
L'Assemblée après avoir fait droit à la réclamation de la Commune, et décrété la suspension du roi et la formation d'une Convention nationale, procéda à l'élection d'un nouveau ministère, et Danton fut nommé ministre de la justice, par 222 voix sur 284. Il était trois heures de la nuit, lorsque Camille Desmoulins et Fabre d'Eglantine réveillèrent Danton, qui était couché, pour lui apprendre sa nomination. Suivant un mot de lui, bien connu, un coup de canon venait de le porter au pouvoir. Bientôt après on apprit la désertion de Lafayette, l'entrée des Prussiens sur le territoire français et la redditionde Longwy. C'est alors que Danton vint proposer au comité de surveillance de la Commune les énergiques moyens de défense qui sauvèrent la patrie, et qui ont réhabilité devant la postérité le nom de leur promoteur.
Sans perdre une minute, il fit décréter : qu'une solde et des armes seraient distribuées a tous les indigents dans chaque section : que les barrières seraient fermées pendant 48 heures ; que des visites domiciliaires seraient opérées dans tout Paris pour désarmer et arrêter les suspects ; enfin, que les communes environnantes seraient chargées d'arrêter les fuyards. L'effet de ses mesures fut l'arrestation de 15 000 suspects.
Le 30 août, le comité de défense de l'Assemblée législative se réunit et appela dans son sein tous les ministres et un grand nombre de députés. Le ministre de la guerre, Servan, soutint qu'il était impossible d'empêcher les Prussiens d'arriver sous les murs de Paris et proposa, de transférer le gouvernement à Saumur. Danton s'éleva avec force contre cette motion. « Reculer, dit-il, c'est nous perdre. Il faut nous maintenir ici par tous les moyens et nous sauver par l'audace. Il faut faire peur aux royalistes !... » Le 2 septembre, il se rendit à l'Assemblée et redoubla d'énergie : « La patrie va être sauvée ; tout s'émeut, tout brûle de combattre... Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme ; c'est la charge sur les ennemis de la patrie, Pour les vaincre, pour les atterrer, que faut-il ? De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !... » Le même jour les massacres, dits de septembre, commencèrent dans les prisons. On a dit qu'après ces terribles journées, Danton aurait adressé ses remerciements aux « exécuteurs de la justice populaire. » Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il ne fit rien pour arrêter les égorgements. « Périsse notre mémoire, répondit-il aux députés qui lui reprochaient son rôle en cette circonstance, pourvu que la patrie soit sauvée ! »
Cependant les assemblées primaires se réunirent pour nommer les députés à la Convention nationale, qui devait remplacer, sous peu de jours, l'Assemblée législative. Danton et les membres de la Commune du 10 août dirigèrent le choix des électeurs parisiens, et Danton lui-même fut élu, le 6 septembre 1792, membre de la Convention par le département de Paris, le 2e sur 14, avec 638 voix (700 votants). Il avait assuré en même temps que sa propre nomination, celle de son secrétaire général Fabre d'Eglantine, celle de Camille Desmoulins, son ami, secrétaire du sceau, et celle du duc d'Orléans, dans le dessein, prétendit-il, de donner à la représentation de Paris, plus d'importance aux yeux de l'Europe. Il ne tarda pas d'ailleurs à abandonner (8 octobre) le ministère de la justice pour remplir son mandat législatif, impatient qu'il était de faire retentir sa voix à la tribune nationale.
La victoire de Valmy ayant conjuré le terrible danger qui avait menacé la patrie, Danton put se livrer de nouveau à son penchant pour le luxe et les plaisirs : il eut de nombreux équipages, des chevaux provenant, des écuries royales. « Nous avons entendu raconter, écrit Louis Blanc (Histoire de la Révolution, tome VII) à Godefroy Cavaignac, fils du conventionnel de ce nom, lequel tenait l'anecdote de sa mère, qu'un jour que Danton dînait avec Cavaignac et plusieurs Jacobins de ses amis, il lui échappa de dire, dans les fumées du vin, que leur tour était venu de jouir de la vie ; que les hôtels somptueux, les mets exquis, les étoffes d'or et de soie, les femmes dont on rêve, étaient le prix de la force conquise ; que la Révolution, après tout, était une bataille, et devait comme toutes les batailles, avoir pour résultat le partage de dépouilles opimes entre les vainqueurs. A ces mots inattendus, les convives se regardant l'un l'autre avec étonnement, et le plus rigide d'entre eux. Romme, laissant paraître sur son front l'expression d'une douleur austère, Danton, qui s'en aperçoit, se lève brusquement, et s'écrie avec un immense et sardonique éclat de rire : Mais croyez-vous donc que je ne puisse pas, si je m'en mêle, être sans-culotte tout comme un autre ? Croyez-vous que, tout comme un autre, je ne puisse pas, ajouta-t-il avec un geste cynique, montrer mon derrière aux passants ? »
Danton eut part aux négociations qui furent entamées en septembre, entre Dumouriez et l'armée prussienne. Il prit la parole à la première séance de la Convention (21 septembre) pour demander que toutes les propriétés fussent déclarées inviolables, et pour faire décréter qu'il ne pourrait y avoir de constitution que celle qui serait acceptée par le peuple. Trois jours après, il intervint dans la discussion qu'amena la sortie violente de Rebecqui contre Robespierre, repoussa les accusations vagues de dictature, de triumvirat, désavoua Marat, « dont l'âme, dit-il, se sera ulcérée dans les souterrains, dans les cachots », et reporta l'accusation sur la tête de ceux qui avalent osé menacer indirectement la sienne : « N'y aurait-il pas un parti qui voudrait morceler la France, sous le ridicule prétexte de former une république fédérative. » Et il fit prononcer la peine de mort contre « quiconque proposerait ou tenterait de détruire l'unité et l'indivisibilité de la République. » Le 29 octobre, il répondit de nouveau aux inculpations adressées à la Commune de Paris, dans le rapport du ministre Roland, et soutint Robespierre contre les murmures et les clameurs de leurs ennemis communs : Louvet, Roland et autres. « Il existe, fit-il, un système de calomnie dirigé contre les plus ardents patriotes.
Vers la fin d'octobre, il fut appelé à faire partie du comité de constitution et présida la société des Jacobins lors de la réception solennelle que ce club fit à Dumouriez. Il refusa, quelque temps après, de rendre compte des dépenses secrètes de son ministère, appuya la proposition de Buzot, pour le bannissement à perpétuité des émigrés et la condamnation à mort de ceux qui rentreraient en France, se prononça, d'autre part, contre la motion de priver les prêtres de leur salaire, et demanda que l'on hâtât le jugement de Louis XVI.
Nommé le 30 novembre, avec Camus, Lacroix, Gossuin et Dubois-Crancé, commissaires de la Convention auprès de l'armée de Dumouriez, il partit le soir même pour la Belgique.
A son retour il trouva l'Assemblée occupée par le procès du roi. Il opina pour le rejet d'une proposition de Lehardy (du Morbihan), tendant à ce que la condamnation ne put être prononcée qu'à la majorité des deux tiers des voix. Il rappela à ce propos que la République avait été proclamée à la simple majorité. « Vous avez été envoyés, ajouta-t-il, pour juger le tyran, non pas comme juges proprement dits, mais comme représentants. » Il vota la mort sans sursis en disant (3e appel nominal) : « Je ne suis point de cette foule d'hommes d'Etat qui ignorent qu'on ne conspire point avec les tyrans, qui ignorent qu'on ne frappe les rois qu'à la tête, qui ignorent qu'on ne doit rien attendre de ceux de l'Europe, que par la force de nos armes. Je vote pour la mort du tyran. »
Danton contribua ensuite à faire déclarer la guerre à l'Espagne, et retourna en Belgique d'où il revint avec Lacroix au commencement de mars, après les revers de nos armées, pour recevoir la nouvelle de la mort prématurée de sa femme.
Interrogé par la Convention sur la situation de l'armée, il prit chaleureusement la défense de Dumouriez. Le 9 mars 1793, il interrompit les délibérations relatives à l'établissement du tribunal révolutionnaire, pour proposer l'abolition de la contrainte par corps, qui fut votée séance tenante.
Puis il revint avec l'Assemblée à l'organisation du tribunal révolutionnaire, dont la pensée première lui appartenait : « Profitons des fautes de nos prédécesseurs; soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être ; organisons un tribunal, non pas bien, cala est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de ses ennemis. » A cette époque Danton travaillait à un rapprochement entre la Gironde et la Montagne ; mais la Gironde repoussa ses avances.
Le 27 mars, il essaya de fermer la bouche à ceux qui avaient élevé des soupçons sur son républicanisme, et, affectant de déployer avec plus de violence que jamais son génie révolutionnaire, demanda instamment que la Convention nationale fût « peuple », et qu'elle déclarât « la guerre la plus implacable aux ennemis de l'intérieur ». Ce jour-là, de vives acclamations, dans la salle et dans les tribunes, répondirent au discours de Danton, et la Convention décréta la mise hors la loi des aristocrates. Mais la nouvelle de la défaite de Nerwinde et la défection de Dumouriez fournit au girondin Alba-Lasource l'occasion de demander compte à Danton de sa liaison avec le général transfuge ; celui-ci ne répondit que par des récriminations et des menaces et conclut en s'écriant : « Je me suis retranché dans la citadelle de la raison, j'en sortirai avec le canon de la vérité, et je pulvériserai les scélérats qui ont voulu m'accuser ! » Dans cette même séance, il fit voter que la Convention pouvait mettre en accusation ceux de ses membres qui seraient soupçonnés de complicité avec les ennemis de la République.
Puis il fut un des premiers membres du Comité de salut public, dont il avait préparé l'organisation avec Isnard, Barère, Thuriot et Mathieu. Suivant sa tactique ordinaire, Danton, accusé par Guadet, le 12 avril, d'avoir pactisé avec Dumouriez et d'Orléans, détourna cette nouvelle attaque en s'efforçant de paraître le plus acharné parmi les adversaires du prince dont il avait secondé les projets. Il n'en fit pas moins, le 15 avril, à propos de la discussion de la déclaration des droits, une nouvelle tentative pour se rapprocher des Girondins: n'ayant pas réussi, il joignit ses efforts, le 28 à la Montagne, pour faire casser la commission des Douze.
Son attitude dans la journée du 31 mai ne fut pas entièrement nette, et il attaqua le lendemain le commandant de la garde nationale, Henriot, qui était venu envahir la Convention, ce qui ne l'empêcha pas de faire le 13 juin, un pompeux éloge du fait accompli : « Sans les canons du 31 mai, sans l'insurrection, les conspirateurs triomphaient. »
Elu président de la Convention, le 25 juillet, il proposa peu de temps après, d'ériger le comité de salut public en gouvernement provisoire, et déclara qu'il refusait de faire partie de ce nouveau pouvoir. Mais il continua à se mêler activement aux débats de la Convention. Ce fut lui qui provoqua les lois du maximum et de la taxe des grains, et qui appuya la formation d'une « armée révolutionnaire » (3 septembre 1793).
C'est alors qu'il constitua avec les débris de la Gironde et quelques membres du parti de la Montagne « qui, comme Danton, écrit un biographe, avaient intérêt à ce qu'on ne fit pas de leur conduite un examen sévère », le groupe des indulgents (dantonistes). Danton, Fabre d'Eglantine et Camille Desmoulins qui dirigèrent ce groupe, se prononcèrent d'abord contre les hébertistes, contre les fêtes de la Raison et le « règne de l'athéisme », mais ce fut le dernier pas qu'ils firent avec Robespierre.
Après un séjour de quelque mois à Arcis-sur-Aube, avec la jeune femme qu'il avait épousée en secondes noces, Danton, de retour dans les premiers jours du mois de mars 1794, trouva son crédit auprès de l'Assemblée comme auprès du peuple singulièrement diminué. Devenu bientôt tout à fait suspect à Robespierre et aux siens, il fut, dans la nuit du 31 mars, arrêté avec son ami Lacroix, et conduit dans les prisons du Luxembourg. Legendre ne put obtenir qu'il fût entendu par la Convention avant le rapporteur du Comité de salut public. Ce rapporteur était Saint-Just. Sur ses conclusions, Danton fut décrété d'accusation à l'unanimité, ainsi que Camille Desmoulins, Hérault-Séchelles, Philippeaux et Lacroix, comme « prévenus de complicité avec d'Orléans et Dumouriez, avec les ennemis de la République », etc.
Danton et Lacroix furent transférés à la Conciergerie, mis au secret, et placés dans deux chambres séparées, dont le voisinage leur permit néanmoins de converser ensemble. Après quatre jours de détention, ils furent traduits au tribunal révolutionnaire. Danton y parut avec son audace ordinaire, et répondit au président qui l'interrogeait sur ses noms et qualités : « Je suis Danton, assez connu dans la révolution; ma demeure sera bientôt le néant, mais mon nom vivra dans le Panthéon de l'histoire. » A la lecture de l'acte d'accusation, il entra en fureur, éclata en invectives violentes contre la Convention, apostropha le président du tribunal et l'accusateur public, et chercha même à les tourner en dérision en leur jetant « des boulettes de papier » (sic). L'accusateur public rendit compte de ces faits au Comité de salut public ; la Convention décida alors que « tout prévenu de conspiration qui insulterait la justice nationale serait mis hors des débats sur le champ ». A la troisième audience les jurés se déclarèrent suffisamment éclairés : la lecture du jugement qui le condamnait à mort excita encore chez Danton de nouveaux accès de colère ; il ne se calma que lorsqu'il fut rentré à la Conciergerie.
Le lendemain, 5 avril 1794, les dantonistes, furent conduits au supplice. Danton mourut avec courage et, de l'échafaud, promena son regard sur le peuple. Son dernier mot aurait été celui-ci : « Tu montreras ma tête au peuple, dit-il à l'exécuteur, elle en vaut bien la peine ! »