Casimir, Pierre Perier
1777 - 1832
Député de 1817 à 1832, et ministre, né à Grenoble (Généralité de Grenoble) le 11 octobre 1777, mort à Paris (Seine) le 16 mai 1832, il fit ses études avec ses frères chez les Oratoriens de Lyon, puis à Paris.
Atteint par la conscription, il partit en l'an VII pour l'armée d'Italie, fut promu adjoint à l'état-major du génie et se distingua à San-Giuliano, près de Mantoue. Ayant perdu son père en 1801, il se trouva possesseur d'une grande fortune, quitta l'armée, et, avec le concours de son frère Scipion, entreprit de fonder à Paris une vaste maison de banque, qui s'occupait aussi d'armements maritimes, d'opérations sur les propriétés, de créances publiques et particulières, du commerce des bois, des manufactures, etc. Un riche mariage lui permit bientôt de gérer seul cette entreprise. La haute situation financière qu'il ne tarda pas à acquérir lui facilita l'accès des fonctions publiques. Juge au tribunal de commerce, puis régent de la Banque de France, il s'attacha, en cette dernière qualité, à faire établir un comité d'enquête rigoureuse sur la solvabilité des commerçants. Casimir Perier, qui faisait beaucoup d'escompte, était mieux que personne en situation d'apprécier l'utilité de cette précaution. En 1817, il publia deux brochures financières, qui furent très remarquées, contre un emprunt de 300 millions contracté par le gouvernement à l'étranger, à des conditions fort onéreuses.
Aux élections générales de la même année (20 septembre), il fut élu député du collège de département de la Seine, par 3 736 voix (7 378 votants, 9 677 inscrits). Il s'abstint tout d'abord de prendre rang dans l'opposition et affecta de se renfermer dans l'étude des questions de finances. En politique, ses sympathies étaient pour la Charte et pour les Bourbons, et ses idées n'allaient pas au-delà du « constitutionnalisme » le plus modéré : toutefois il se trouva, sur plusieurs points, en contradiction avec les ministres et le côte droit. On lit à son sujet dans la Biographie pittoresque des députés (1820) : « M. Casimir Perier a été une grande cause de perturbation dans les budgets du ministère. M. Corvetto n'a pu lui paraître qu'un imprudent banquier, maladroitement empressé de chercher des courtiers parmi les étrangers ; il a fait main basse sur tous ses comptes, épluché ses chapitres, disséqué ses négociations, sondé ses caisses, et l'a contraint de déposer son bilan. La nation est redevable à M. Casimir Perier de l'habitude investigatrice que les députés ont contractée à l'égard des chapitres du budget. C'est un beau spectacle que l'empressement de ces dignes tuteurs du peuple français à défendre ses deniers contre la dissipation, à exiger un compte détaillé de leur emploi. Les ministres, déshérités des profits d'intendants, sont contraints de s'en tenir à leur salaire de cent cinquante mille francs ; il n'est plus possible de faire glisser dans un chapitre des frais de justice la dot d'une fille chérie et le cachemire d'une épouse adorée ; dans les dépenses de casernement, le prix d'un somptueux mobilier, le montant d'une petite maison ; d'un voyage de plaisance, dans l'article des routes d'étape ; enfin l'entretien d'une fille d'Opéra, dans les dépenses des orphelines de la Légion d'honneur. M. Casimir Perier a l'éloquence vive et agressive ; les tournures interrogatoires lui sont familières. Il est clair, concis, positif dans ses discours; il va droit au but, ne se laisse arrêter par aucun de ces ménagements, de ces timides réserves qu'impose le ventre et que commande l'estomac. Sa pensée a la rondeur et la franchise des millions. »
Réélu député, le 9 mai 1822, dans le 3e arrondissement de Paris, par 824 voix (1 325 votants, 1 464 inscrits), contre 478 à M. Outrequin, il inclina davantage vers le côté gauche, et, après avoir obtenu encore le renouvellement de son mandat, le 25 février 1824, par 679 voix (1 302 votants), contre 615 à M. Outrequin, il fit au cabinet Villèle une guerre des plus vives. D'accord avec ses amis et collègues Royer-Collard, Laffitte, Foy, il parut plusieurs fois à la tribune ; sa seule apparition suffisait pour soulever parmi les ultra-royalistes un tumulte de cris : La clôture ! Encore du scandale ! A l'ordre le factieux ! Mais lui ne se laissait pas aisément troubler : doué d'une énergie opiniâtre et même d'une véhémence qui allait parfois jusqu'à l'emportement, il parlait d'abord sur la question; vaincu, il se retranchait derrière un, deux ou trois amendements, puis il parlait contre la clôture, et retournait enfin à son banc pour recommencer le lendemain.
1 117 voix sur 1 208 votants lui confirmèrent son mandat de député de Paris, le 17 novembre 1827. En même temps, le 1er arrondissement électoral de l'Aube (Troyes) lui donnait 197 voix (324 votants, 350 inscrits), contre 106 à M. V. Masson. Il opta alors pour Troyes, fut remplacé à Paris, le 21 avril 1828, par M. de Salverte, et se rallia au ministère Martignac. On le vit même aux Tuileries figurer au jeu du roi, et il fut question de lui, un moment, pour la présidence de la Chambre, puis pour le ministère des Finances. Aussi garda-t-il, pendant les sessions de 1828 et de 1829, un silence à peu près complet, et une réserve significative. Il ne reparut sur la brèche qu'après l'avènement du ministère Polignac (août 1829). Sa popularité fut ravivée par de nouvelles luttes, et il s'associa à la manifestation des 221. Cependant il ne songeait pas encore au renversement des Bourbons, quoiqu'il fût attiré vers le duc d'Orléans par la communauté des idées et surtout des intérêts. Passionné pour l'ordre matériel, il redoutait par-dessus tout l'inconnu révolutionnaire.
Réélu, le 12 juillet 1830, à Troyes, par 239 voix (341 votants, 369 inscrits), contre 98 au baron de Wismes, il n'est pas douteux qu'il fit, à l'approche de l'insurrection et dans les réunions d'hommes politiques et de députés, tous ses efforts pour arrêter le mouvement. Pendant les trois jours, Casimir Perier s'efforça de montrer une neutralité absolue, et laissa sabrer sous ses fenêtres, par les gendarmes, des jeunes gens qui étaient venus lui faire une ovation compromettante. Le 26 juillet, chez M. de Laborde, il préconisa la temporisation, combattit la protestation rédigée par Bérard, mais ne put refuser son salon à la réunion du lendemain. M. de Schonen étant venu annoncer que les barricades commençaient à s'élever rue Saint-Honoré :
« Vous nous perdez, s'écria-t-il, en sortant de la légalité. »
« Que voulez-vous faire, répliqua un des assistants, d'un homme qui regarde toujours sa langue dans une glace ? »
Il consentit seulement à tenter avec quelques députés, auprès du maréchal Marmont, une démarche conciliatrice qui ne réussit pas.
La victoire populaire le porta au pouvoir. Nommé membre de la commission municipale faisant fonction de gouvernement provisoire, il commença par accepter le ministère de l'Intérieur, puis il le refusa, et ne se rallia définitivement au duc d'Orléans que lorsque la chute de la branche aînée lui parut consommée. Président de la Chambre des députés, ce fut lui qui, le 9 août, lut la déclaration qui investissait Louis-Philippe de la couronne. Quelques jours plus tard, il fut nommé ministre sans portefeuille, et il obtint sa réélection comme député de Troyes, le 21 octobre, par 241 voix (325 votants). Mais la constitution d'un cabinet Laffitte, dont le libéralisme lui semblait trop accentué, l'obligea à se retirer momentanément. Il attendit, pour rentrer en scène un instant favorable, qui se produisit plus rapidement peut-être qu'il ne l'avait espéré.
Le cabinet Laffitte renversé, Casimir Perier fut appelé, le 13 mars 1831, au poste de ministre de l'Intérieur, président du Conseil, et se donna la tâche d'inaugurer, avec toute l'énergie dont il était capable, le système du juste milieu. Contraindre à l'intérieur la révolution par la force, accorder au commerce et à la finance les satisfactions les plus larges, favoriser à l'extérieur, conformément aux vues personnelles du nouveau roi, la paix à tout prix : tel fut le programme qu'il exécuta, soutenu par la majorité parlementaire, dont le dévouement et le zèle n'avaient point de bornes.
« Il arrivait aux affaires, a écrit Louis Blanc, avec une colère immense, un orgueil sans bornes et je ne sais quelle impatience farouche d'écraser ses adversaires... Bien convaincu que, dans les intérêts de la classe moyenne, c'étaient les siens propres qu'il venait sauver, il apportait dans le combat sa personnalité tout entière. Le trône, il le voulait sauver aussi, et il accourait pour le défendre, mais sans illusion, sans dévouement, sans amour, et tout simplement parce qu'il couvait dans la royauté une institution protectrice de la banque. » Casimir Perier exigea que le conseil des ministres se tînt habituellement chez lui, hors de la présence du roi, et son despotisme s'imposa à la cour et dans le gouvernement comme à la Chambre et sur le pays. « Je me moque bien de mes amis quand j'ai raison, disait-il ; c'est quand j'ai tort qu'il faut qu'ils me soutiennent. » Il exerçait ce que M. Vitet voulut bien appeler « une dictature libérale ». Il exigea également que le duc d'Orléans cessât d'assister aux séances du conseil, parce que ce prince passait pour être sympathique à quelques-unes des idées du parti démocratique.
À la Chambre, il annonça hautement sa résolution de briser les partis hostiles et d'abandonner les peuples qui, comme la Pologne ou l'Italie, s'étaient soulevés sur la foi des déclarations de la France. Ses premiers et principaux actes furent la loi contre les attroupements, les mesures de rigueur contre la presse, contre les sociétés démocratiques, la répression sans merci des mouvements populaires, et la dissolution d'une Chambre dont la docilité fut jugée par lui insuffisante.
Les exigences impérieuses du ministre se traduisaient parfois, dans la pratique quotidienne des affaires, avec une singulière âpreté. Le maréchal Soult, son collègue, ayant excité son mécontentement, il lui écrivit : « Si cela continue, je vous brise comme verre ! » Un autre jour, comme M. d'Argent répondait maladroitement à une interpellation, Perier, furieux, le rappela à son banc par cette apostrophe : « Ici ! d'Argout ! Ici ! » Enfin, dans la fameuse séance où M. de Montalivet fut pris à partie par l'opposition pour avoir fait usage du mot sujets en désignant les Français, Casimir Perier exprima son indignation dans les termes suivants: « Montalivet, tenez bon ! et le premier qui vous insulte, f... lui votre verre d'eau sucrée à la figure ! » Plus d'une fois, de bienveillants intermédiaires durent atténuer les aspérités de ses rapports avez, le roi, à qui il ne faisait communiquer les dépêches télégraphiques qu'après en avoir pris connaissance, et dont il contrôlait soigneusement les notes personnelles destinées au Moniteur.
Le 5 juillet 1831, il fut réélu député :
1° à Troyes par 239 voix (340 votants, 360 inscrits) ;
2° à Epernay (4e collège de la Marne), par 158 voix (271 votants, 347 inscrits), contre 106 à M. de Férussac ;
3° dans le 1er arrondissement de Paris, par 641 voix (1 057 votants).
Il opta pour Troyes, et fut remplacé à Epernay par le baron Lorin, et à Paris par M. Debelleyme.
Lors de l'ouverture de la session des Chambres, on remarqua que, tandis que le roi lisait le discours de la couronne, le premier ministre, sans aucun souci d'être vu, suivait sur un manuscrit la lecture du discours convenu. Le cabinet du 13 mars s'attira de vives critiques en laissant violer en Italie par les Autrichiens le principe de non-intervention, et en le violant lui-même par son action en Belgique contre la Hollande. Au commencement de 1832, Casimir Perier prit l'initiative hardie d'envoyer une division navale et un corps de troupes occuper Ancône (23 février). Cette audacieuse occupation s'accomplit sans coup férir. Cependant les luttes continuelles du ministre et l'état d'excitation dans lequel il vivait habituellement avaient fini par altérer profondément sa santé. Lorsque le choléra sévit à Paris, il fut décidé à la cour que le duc d'Orléans visiterait les hôpitaux. Casimir Perier accompagna le prince ; malade déjà, il rapporta de cette visite une impression telle que la fièvre ne le quitta plus : il dépérit chaque jour davantage, fut obligé de céder ses fonctions (27 avril 1832) à un successeur intérimaire, et, moins d'un mois après, le 16 mai, il expira.
L'administration de la Ville de Paris fit élever à Casimir Perier au Pére-Lachaise un monument funéraire, orné de bas-reliefs qui représentent l'Eloquence, la Justice et la Force, et que domine la statue en pied de l'homme d'Etat.
Comme député, Casimir Perier fut remplacé, le 2 juillet 1832, par M. Vernier-GuérarcL
Date de mise à jour: septembre 2015