Louis Legendre
1752 - 1797
Membre de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, né à Versailles (Généralité de Paris) le 22 mai 1752, mort à Paris (Seine) le 13 décembre 1797, « fils de Pierre Legendre, marchand boucher, et de Françoise Marche », il fut d'abord matelot pendant dix ans, puis vint s'établir boucher à Paris avant la Révolution.
Son caractère remuant et l'influence qu'il avait acquise le mirent en relations avec plusieurs personnages marquants de l'époque, et notamment avec les Lameth dont il était le fournisseur ; le 13 juillet, il conduisit à travers les rues une manifestation en l'honneur de Necker et du duc d'Orléans ; le 14, il eut part à la prise de la Bastille. Mêlé ensuite aux événements du 5 octobre, il fut avec Danton, Camille Desmoulins, Fabre d'Eglantine, un des principaux instigateurs du mouvement dont le résultat devait être la signature par le peuple et la présentation à l'Assemblée nationale d'une pétition demandant la déchéance du roi. Legendre s'abstint d'ailleurs de paraître au Champ-de-Mars ou les pétitionnaires furent sabrés et fusillés en exécution de la loi martiale. Ce fut vers cette époque que commença la liaison de Legendre avec les hommes politiques qui fondèrent le club des Cordeliers. Il fut aussi l'un des principaux acteurs des journées des 20 juin et 10 août 1792, et ce fut lui qui, dans la première de ces deux journées, présenta le bonnet rouge à Louis XVI.
Elu, le 10 septembre 1792, membre de la Convention par le département de Paris, le 9e sur 24, avec 661 voix (749 votants), il siégea sur les mêmes bancs que les Dantonistes, ses amis; envoyé à Lyon en qualité de commissaire, il prit plusieurs fois la parole à l'Assemblée à propos du procès du roi : il fit décréter par exemple que tous les discours relatifs à ce procès seraient imprimés ; demanda, qu'attendu les pièces trouvées dans l'armoire de fer, tous les membres de l'Assemblée législative se récusassent, et s'écria qu'il fallait que « le silence des tombeaux effrayât Louis XVI lorsqu'il serait à la barre » ; enfin, il s'opposa à l'expertise des pièces déniées par ce prince, et pressa vivement la date du jugement.
Il vota la mort du roi, sans appel ni sursis, en répondant au 2e appel nominal :
« Intimement convaincu qu'il reste assez de républicains pour combattre les tyrans ; convaincu qu'il y a assez d'acier en France pour forger des poignards destinés à frapper ceux qui voudraient monter au trône, ou s'y faire porter par une cabale quelconque ; que je me sens assez de courage pour les frapper moi-même ; qu'il est un grand nombre de citoyens qui me ressemblent, je dis non ! »
Et au 3e appel nominal :
« Je me suis voué depuis la Révolution à la poursuite des tyrans. Le sang du peuple a coulé. J'étais un de ceux qui, à la journée du Dix Août, dirigeaient les efforts des citoyens contre la tyrannie ; je les invitai à respecter les jours de Louis, pour que les représentants donnassent, dans sa personne, un grand exemple. Je vote pour la mort. Je respecte l'opinion de mes collègues qui, par des considérations politiques, ont voté pour une autre peine. Cette même politique me fait voter la mort »
On prétendit que la veille de l'exécution, le 20 janvier, il fit à la tribune des Jacobins la motion que le corps de l'ex-roi fût divisé en 84 morceaux afin qu'on pût en envoyer un à chacun des 84 départements de la République.
Devenu membre du comité de sûreté générale, il fut envoyé en mission dans la Seine-Inférieure (15 août), au sujet des subsistances, y renouvela les administrations, passa de là à Lyon et, à son retour, formula plusieurs motions violentes contre les Girondins. Il attaqua le président Isnard, demanda l'arrestation des représentants qui avaient voté l'appel au peuple dans le procès du roi, contribua à la chute du parti modéré dans les journées des 31 mai et 2 juin, et menaça brutalement Lanjuinais (v. ce nom) de le jeter en bas de la tribune, s'il persistait à vouloir défendre la commission des Douze.
Lié alors avec Hébert, il fut menacé, en janvier 1794, d'être exclu des Jacobins, lors d'une épuration de ce club ; mais il se défendit en se réclamant de l'amitié de Marat et parvint à se faire maintenir sur la liste des membres de la société, dont il devint l'un des Présidents. Lors de l'arrestation de Danton, il commença par essayer de le défendre, ne doutant pas que la Convention lui donnerait raison ; mais voyant qu'elle lui était contraire, il se hâta de se dérober, et déclara qu'à l'avenir il ne se porterait plus garant du patriotisme de personne. Robespierre le trouva, dans la journée du 9 thermidor, parmi ses ennemis les plus acharnés; toutefois, craignant sans doute l'issue de la lutte, Legendre ne se montra que lorsque la victoire ne fut plus douteuse. Le décret d'accusation contre Robespierre et les siens était à peine porté, que Legendre s'élança à la tribune, s'emporta en discours d'une violence inouïe contre les vaincus ; puis, courant à la salle des Jacobins, il en fit expulser tous les membres, en ferma lui-même les portes et en saisit les clefs qu'il remit à la Convention.
A partir de cette époque, Legendre ne cessa de poursuivre avec acharnement comme « terroristes » et « buveurs de sang », les membres du parti de la Montagne ; il réclama l'arrestation de David, contre lequel, dit-il, « il y a de grands griefs »; provoqua celle de Lebon ; fit de nombreuses sorties contre les « complices de Robespierre », attaqua Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Barère, et demanda surtout la proscription des anciens membres du gouvernement, « de ces grands coupables, qui obscurcissaient l'horizon des vapeurs du crime ».
Il devint président de la Convention, et on le vit à la fois s'opposer à la marche d'une réaction qui eût pu le menacer à son tour, et continuer ses attaques contre un grand nombre de ses collègues taxés de terrorisme. Il appuya une pétition contre les Jacobins, mais s'opposa à la réintégration des députés proscrits, et opina pour le maintien des mesures contre les prêtres et les émigrés.
Plusieurs fois réélu membre du comité de sûreté générale, il redoubla de violence, multiplia les dénonciations et, dans les journées du 12 germinal et du 1er prairial, se mit à la tête de la force armée pour combattre l'insurrection jacobine. Il fit décréter alors que les représentants délibéreraient en costume et armés : demanda un rapport général sur les événements de prairial ; dénonça Laignelot ; réclama la traduction de Romme et de ses amis devant le tribunal criminel de la Seine ; s'opposa à l'arrestation de Guffroy ; invita la Convention à « mépriser les injures des journalistes » ; fit décréter Bô d'arrestation, prit la défense de Fouché, et eut parfois à répondre à son tour aux attaques dirigées contre lui. Il éprouva surtout le besoin de se défendre d'avoir jamais « demandé la mise en liberté des terroristes », et parla à plusieurs reprises contre les sections de Paris : il soutint même un jour, qu'il s'était opposé de toutes ses forces au « 31 mai ». Enfin il accusa Rovère et Aubry et proposa contre eux des mesures sévères.
Entré au Conseil des Anciens, le 23 vendémiaire an IV, comme l'élu de dix-sept départements, Legendre joua dans cette nouvelle assemblée un rôle moins important qu'à la Convention. Cependant on le vit reparaître à la tribune, le 17 février 1796, pour se plaindre de l'indulgence du gouvernement à l'égard des émigrés et pour menacer Portalis de « la hache de la raison » ; un autre jour à propos de la conspiration de Babœuf, il proposa que tous les ex-conventionnels fussent expulsés de Paris :
« Que les conspirateurs, s'écria-t-il ne vantent pas les services rendus en d'autres temps ce n'est point pour les services passés, mais pour les crimes présents que Manlius fut précipité de la roche Tarpéienne. »
Ce fut la dernière motion de Legendre, qui semblait s'être appliqué, durant sa carrière politique, à prouver la sagesse des lois anglaises, en vertu desquelles les bouchers sont exclus des fonctions de juges.
Il mourut à Paris le 13 décembre 1797, léguant son corps à la faculté de médecine.