Jean-Baptiste Louvet de Couvray
1760 - 1797
Membre de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, né à Paris (Généralité de Paris) le 12 juin 1760, mort à Paris (Seine) le 25 août 1797, fils d'un papetier de la rue Saint-Denis, il reçut une éducation incomplète, y suppléa par la précoce vivacité de son intelligence et de ses passions, et, dédaignant le métier paternel, entra, à 17 ans, comme secrétaire auprès du savant minéralogiste Philippe-Frédéric de Dietrich. Quelque temps après, il devint commis à la librairie Prault, ou il trouva, dans la lecture des livres mis en vente, l'inspiration des Aventures du chevalier de Faublas (1787-1788), son premier ouvrage, qui obtint un vif succès de scandale. Il se retira alors à Nemours, où il fut rejoint par Mme Cholet, sa maîtresse, femme d'un riche bijoutier du Palais-Royal, et qui a servi de modèle à la Lodoïska de Faublas. Louvet l'épousa à Vire, en 1793, après l'avoir fait divorcer.
Partisan de la Révolution, il revint à Paris après la prise de la Bastille, publia une apologie des journées des 5 et 6 octobre sous le titre de Paris justifié (janvier 1790), fréquenta assidûment le club des Amis de la Constitution et y manifesta des opinions républicaines. Un nouveau roman, sorti de sa plume à cette époque : Emilie de Valmont, fut un plaidoyer en faveur du divorce et du mariage des prêtres. Etroitement lié avec les principaux membres du parti de la Gironde, dont les qualités brillantes séduisaient son imagination, il devint le rédacteur d'une feuille politique qui parut sous leurs auspices : la Sentinelle, et qui dirigeait contre la cour d'incessantes attaques.
Le 26 décembre 1791, Louvet se présenta à la barre de l'Assemblée législative au nom du club des Jacobins, et demanda la mise en accusation des princes émigrés : un décret conforme à cette mention fut rendu, le 2 janvier 1792, sur le rapport de Guadet.
Mêlé à la journée du 10 août, Louvet s'attacha à Roland, lorsque celui-ci revint au ministère ; et ce fut sous le patronage de Roland et de sa femme qu'il se fit élire, le 8 septembre 1792, membre de la Convention par le département du Loiret, le 8e sur 9, avec 323 voix (350 votants). Il ne tarda pas à se placer au rang des orateurs les plus passionnés du parti girondin, et des plus hostiles aux vues de la Montagne ; dès les premières séances, il attaqua Danton, Marat, Robespierre, ce dernier surtout, à qui il ne pouvait pardonner de l'avoir fait expulser des Jacobins à cause de l'immoralité de ses écrits. Louvet résolut donc de démasquer « l'ambitieux tribun » et, le 29 octobre 1792, il entama hardiment la lutte. Roland venait de présenter un mémoire à la Convention. Une des pièces annexées à ce mémoire, où l'état des choses était vivement décrit, désignait un parti auquel Vergniaud, Buzot, Guadet, Lasource, Roland, Brissot, déplaisaient fort et qui « ne voulait entendre parler que de Robespierre, comme du seul homme capable de sauver la patrie ». Robespierre vit dans ce passage le dessein arrêté par ses ennemis de le rendre odieux et de le perdre. Il demanda la parole, l'obtint avec peine et essaya de répondre ; mais des murmures systématiques étouffèrent sa voix. « Quoi ! s'écria-t-il, lorsque ici il n'est pas un homme qui osât m'accuser en face... ! » A ces mots, Louvet s'élance à la tribune et s'écrie :
« C'est moi, moi qui t'accuse ! »
« Alors, écrit Louis Blanc, parut un homme, petit, fluet, négligé dans sa mise, mais au front noble et dont l'œil bleu lançait des éclairs. Une rumeur s'éleva, où la curiosité se mêlait à la bienveillance : « Voilà Faublas! »
Louvet commença ainsi : « Une grande conspiration publique avait un instant menacé de peser sur toute la France, et avait trop longtemps pesé sur la ville de Paris : vous arrivâtes... » Et l'orateur continua, en sommant la Convention de décréter Robespierre d'accusation, sur l'heure, parce qu'il occupait trop fréquemment la tribune des Jacobins, parce que des intrigants subalternes le déclaraient le seul homme vertueux de la France, parce qu'après avoir vanté la souveraineté du peuple il ajoutait qu'il était peuple lui-même : ruse dont s'étaient servis tous les usurpateurs ; parce qu'il importait qu'on ne substituât pas à l'amour de la patrie l'idolâtrie d'un homme ; parce que, deux jours avant le 10 août, Robespierre avait accepté le titre d'officier municipal ; parce que, la veille du jour des égorgements de septembre, il avait accusé des représentants du peuple d'avoir vendu la France à Brunswick ; enfin parce que, « par l'intermédiaire du comité de surveillance », il était de ceux qui avaient invité toutes les communes de France à l'assassinat des individus et à l'assassinat de la liberté. Le discours de Louvet, animé, brillant, coloré par la haine, fut applaudi chaleureusement et à diverses reprises, et l'orateur put se croire victorieux lorsque, arrivé au terme de sa péroraison dont chaque phrase commençait par cette formule : « Robespierre, je t'accuse... » il descendit de la tribune au milieu des acclamations d'une partie de l'Assemblée.
Robespierre, convaincu qu'un examen plus calme détruirait l'effet de l'éloquence de son adversaire, demanda huit jours pour sa réponse ; le 25 novembre, il eut son tour. Prenant un à un tous les faits articulés contre lui, il s'attacha à faire ressortir ce que les uns avaient de puéril et ce que les autres avaient de mensonger. « De quel droit, dit il à son accusateur, feriez-vous servir la convention à venger les disgrâces de votre amour-propre ? Soyez au moins aussi généreux qu'un roi, imitez Louis XII et que le législateur oublie les injures de M. Louvet. »
Louvet voulut répondre ; mais le cri : l'ordre du jour ! l'en empêcha. L'ordre du jour pur et simple fut voté par l'Assemblée.
Louvet sortit de la séance, abattu, découragé, se plaignant d'avoir été abandonné par ses amis, leur reprochant comme une faute énorme d'avoir laissé jouir Robespierre de l'impunité physique, et rentré dans sa maison, il dit à sa chère Lodoïska : « Il faut de loin nous tenir prêts à l'échafaud ou à l'exil. » (Mémoires de Louvet.)
Le 6 décembre, Louvet appuya fortement la proposition tendant à expulser du territoire français tous les membres de la famille royale.
Dans le procès de Louis XVI, il opina pour l'appel au peuple, puis pour la mort, mais différée jusqu'à l'acceptation de la Constitution républicaine. Il s'exprima d'ailleurs en ces termes, au 2e appel nominal :
« Parce que si, comme on le dit, et comme je le crois, il arrive en France beaucoup de guinées angloministérielles, elles sont plus redoutables dans une assemblée de sept cent quarante-cinq membres qu'au milieu d'un peuple composé de vingt-cinq millions d'hommes ; parce que je ne suis que mandataire ; parce que la nation seule est souveraine ; parce que je ne veux pas que Louis Capet soit remplacé par Philippe d'Orléans (on murmure dans une des extrémités de la salle), ni par aucun autre, parce que ce n'est point un jugement que vous renvoyez au peuple, puisque déjà vous avez déclaré le fait et que vous appliquerez la peine, mais seulement une mesure de sûreté générale : oui. »
Au 3e appel nominal :
« Représentants, déjà mon opinion vous est connue : je vous l'ai dit, nulle puissance au monde ne peut m'inspirer l'audace de méconnaître la représentation nationale et de l'usurper. Vous avez rejeté la sanction du souverain ; ainsi, vous-mêmes m'imposez le devoir de ne plus appliquer, sans un amendement devenu nécessaire, la peine rigoureuse que le coupable a méritée, mais qui, étant irréparable en définitive, me conduirait à prononcer souverainement sur une question politique de la plus haute importance, et dont la décision suprême appartient à la nation. Quand l'opinion de l'exécution soudaine d'un jugement irréparable vient à prévaloir, puisse du moins le génie tutélaire de ma patrie détourner loin d'elle les maux qu'on lui prépare ! puisse sa main toute-puissante vous retirer de l'abîme incommensurable où quelques ambitieux auront contribué à vous précipiter ! puisse sa main vengeresse écraser les nouveaux tyrans qu'on nous garde !....
« Citoyens, je voterai la mort, mais à cette condition, que le jugement ne pourra s'exécuter qu'après que le peuple français aura accepté la constitution que vous êtes chargés de lui présenter. Et ne me dites pas que je représente en d'autres termes l'appel déjà rejeté. Pour vous déterminer à rejeter cet appel, que moi aussi je proposais, qu'a-t-on allégué ? Qu'on ne pourrait actuellement assembler le peuple, sans risquer d'allumer la guerre civile. Eh bien ! dans la nouvelle mesure que j'adopte, le peuple ne s'assemble pas actuellement; et, à l'époque que j'indique, rien ne peut empêcher qu'il s'assemble; car vous-mêmes vous avez décrété qu'il n'y aurait de constitution que celle qu'il aurait acceptée. Je sais bien qu'alors tous les aristocrates, dont au reste le nombre n'est plus aussi grand que vous le dites, se réuniront pour tâcher de détruire en sa naissance le gouvernement républicain. Mais, en cette hypothèse, ce serait encore une question à examiner que celle de savoir si l'existence d'un ci-devant roi très criminel ne deviendrait pas plus nuisible que favorable aux projets du rétablissement de la monarchie. En effet, s'il ne vit plus, manquera-t-il de se présenter quelque intrigant dévoré du désir de lui succéder, avide du pouvoir suprême, et plus redoutable, parce que ses forfaits moins connus ne l'auraient pas aussi complètement avili ?
« Au reste, je vous le déclare, parce que j'en suis fortement convaincu, quelque parti que vous preniez dans cette circonstance trop solennelle, les dangers de la République deviennent immenses et pressants. Cependant son salut est encore dans vos mains. Gardez-vous de presser vos pouvoirs ; rendez hommage aux droits de ceux qui vous ont envoyés ; porter un religieux respect à la souveraineté nationale et si, pour avoir rempli vos devoirs, vous devez tomber sous le poignard des factieux (murmures de l'extrémité), vous tomberez du moins dignes de regrets, dignes d'estime. Vos départements s'armeront, et pour vous venger et pour venger la liberté. Vous serez morts, mais vous conserverez le précieux dépôt de la représentation nationale, mais vous aurez sauvé la République : il n'y a point à balancer.
« D'ailleurs, les principes sont là. Citoyens, les hommes, les temps, les circonstances peuvent changer. Les principes ne varient pas, et je ne varierai pas plus que les principes.
« Je vote pour la mort de Louis, mais à cette condition expresse ; et je déclare formellement que mon opinion est indivisible; à cette condition, dis-je, que le jugement ne pourra recevoir son exécution qu'après que le peuple français aura accepté la constitution qu'il vous a chargés de lui présenter. »
Revenant à la charge contre les Jacobins, Louvet les dénonça encore, les 20 avril et 18 mai 1793, comme préparant, avec la Commune de Paris, une insurrection contre la Convention.
Sur le point d'être arrêté, il se réfugia à Caen, fut, le 2 juin, décrété d'arrestation avec 21 de ses collègues, et déploya une activité fiévreuse pour tenter de créer une armée départementale sous les ordres du général Wimpfen.
Mis hors la loi le 28 juillet, il se retira en Bretagne après la dissolution des fédéralistes réunis en Normandie, passa ensuite dans la Guienne avec Guadet, Barbaroux, Buzot et autres, et se tint caché à Saint-Émilion, dans un souterrain où l'on descendait par un puits de trente pieds ; mais, le 12 novembre, les proscrits, découverts, durent chercher un autre refuge. Louvet prit alors une résolution qui le sauva : il revint directement à Paris, et fut assez heureux pour y rester caché jusqu'au 9 thermidor.
Il ne fut rappelé à la Convention que le 28 ventôse an III. Dès le lendemain, il prit la parole pour prononcer un éloge des députés frappés au 31 mai, et demanda que l'Assemblée décrétât que ceux qui s'étaient armés contre la Montagne « avaient bien mérité de la patrie ».
Il reprit, mais sans succès, la publication de la Sentinelle, répondit le 2 germinal à Robert Lindet, opina, après le 1er prairial, pour que les députés compromis ne fussent pas traduits devant une commission extraordinaire, devint président de la Convention le 1er messidor an III, et membre du comité de salut public le 15 du même mois, parut bientôt effrayé des progrès de la réaction, et demanda la répression des assassinats commis dans le Midi. Il fut un des onze membres de la commission qui rédigea la Constitution de l'an III.
Dans les jours qui précédèrent l'insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV, Louvet publia un placard périodique intitulé Front ! appelant la force militaire à résister aux entreprises des sections. Après le succès de la Convention, il désigna Rovère et Saladin comme les instigateurs du mouvement insurrectionnel et proposa leur arrestation.
Elu, le 23 vendémiaire suivant, député au Conseil des Cinq-Cents par 19 départements, il opta pour la Haute-Vienne et se montra attaché au maintien des institutions républicaines. Louvet se vit en butte à l'hostilité violente du parti royaliste. Il avait ouvert un magasin de librairie dans les galeries de bois du Palais-Royal, et sa femme, qu'on appelait Lodoïska du nom de l'héroïne de Faublas, y était l'objet des insultantes provocations de la jeunesse dorée : Louvet dut se transporter ailleurs.
Compris dans la première organisation de l'Institut, il avait été placé dans la section de grammaire, ce qui fit ressortir davantage son défaut d'instruction classique : poussé à bout par les brocards qui tombaient sur lui, il écrivit un jour sa fameuse réponse à M. Perge sequar ! Il avait pris pour un nom propre ces deux mots latins qui terminaient un violent article dont Suard était l'auteur.
Sorti du Conseil des Cinq-Cents, le 1er prairial an V (20 mai 1797), Louvet mourut peu après, le 25 août, accablé d'ennuis et abreuvé de dégoûts.