Louis, Joseph Buffet
1818 - 1898
Représentant du peuple aux Assemblées constituante et législative de 1848-49, député au Corps législatif de 1864 à 1870, représentant à l'Assemblée nationale de 1871, ministre et sénateur inamovible, né à Mirecourt (Vosges), le 26 octobre 1818, il fut d'abord avocat (1840).
Sa carrière politique, qui fut si remplie, ne commence qu'à la révolution de 1848. Elu, à la suite d'une profession de foi assez avancée, représentant des Vosges à l'Assemblée constituante, le 23 avril 1848, par 71 492 voix (85 950 votants, 106 755 inscrits), il essaya, dit un biographe, d'allier ses promesses et ses tendances en allant siéger à droite et en votant la plupart des mesures adoptées par la majorité conservatrice, mais en adoptant l'ensemble de la Constitution qui proclamait la République.
Après l'élection du 10 décembre, il se rallia au gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte, qui l'appela au ministère de l'Agriculture et du Commerce après la démission de M. Bixio. Il y resta jusqu'à la fin de 1849, et se retira avec Odilon Barrot, quand il vit s'accentuer la politique personnelle du prince-président.
Réélu par son département à l'Assemblée législative, le 1er sur 9, par 43 442 voix (71 000 votants, 116 982 inscrits), il s'y consacra aux questions d'affaire avec un zèle qui ne tarda pas à lui donner une sérieuse influence sur ses collègues. En 1850, il fit partie de la commission chargée d'élaborer avec Baroche le projet de réforme électorale : la loi du 31 mai dont il fut un des parrains, eut ce double effet de le faire rentrer au ministère avec Léon Faucher (10 avril 1851), et de le forcer à en sortir quand le président se prononça pour le retrait de la loi (14 octobre). Quelques jours après, il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur.
Au Deux-Décembre, M. Buffet, qui s'était associé jusqu'au bout à la politique de la majorité de l'Assemblée, se trouva parmi les représentants séquestrés à la caserne d'Orsay ; le coup d'Etat ne l'exila pas plus loin que Mirecourt, mais il l'y maintint jusqu'en 1864. Il n'avait rempli, durant cette période, que les fonctions de conseiller général des Vosges.
Il avait sollicité le mandat de député au Corps législatif, sans obtenir, comme candidat « indépendant », le 22 juin 1857, dans la 2e circonscription des Vosges, plus de 2 494 voix contre 24 354 accordées à l'élu, M. Aymé de la Herliére.
Le 1er juin 1863, dans la 1re circonscription, il réunissait 14 334 voix contre 14 524 à M. Bourcier de Villers. Ce dernier, que soutenait le gouvernement, fut proclamé élu, mais l'élection fut invalidée et un nouveau scrutin fit triompher M. Buffet, avec 18 321 voix (31 876 votants, 40 083 inscrits), contre 13 478 à M. Bourcier de Villers. M. Buffet siégea dans le tiers parti, dont il devint bientôt un des chefs, et montra le souci de concilier la cause des « libertés parlementaires » avec la fidélité à la dynastie. Il prit plusieurs fois la parole sur les questions de finances, et combattit particulièrement la théorie gouvernementale qui consistait à équilibrer les budgets par des emprunts. En 1868, il se prononça, avec ses amis, MM. Brame, Lambrecht, Plichon, de Grammont, etc., contre la nouvelle loi militaire qui rétablissait le remplacement dans les conditions édictées par la loi de 1832, et qui élevait à neuf années, dont cinq dans l'armée active et quatre dans la réserve, le temps de présence sous les armes. Le tiers-parti s’était joint à l'opposition de gauche pour demander que la durée du service actif fut moins longue en temps de paix, quitte à rendre le service obligatoire pour un plus grand nombre de jeunes gens. Au début de la session de 1869, M. Buffet prit l'initiative d'une interpellation « sur la direction que le gouvernement se proposait de donner à la politique intérieure. »
Réélu le 24 mai 1869, par 23 993 voix sur 25 459 votants et 42 605 inscrits, il signa, au cours de la session extraordinaire qui suivit les élections générales, la fameuse interpellation des 116, tendant à la constitution d'un « ministère responsable ». L'empereur étant décidé à entrer dans cette voie, des négociations furent entreprises, en vue de la formation du premier ministère de « l'Empire libéral ». Ces négociations furent laborieuses; dès leur début, le nom de M. Buffet y fut mêlé, au vif déplaisir de M. Rouher qui écrivait alors dans une note destinée à Napoléon III : « M. Buffet est un esprit doctrinaire, et cependant toujours indécis, qui ne se donnera jamais tout entier, qui se présentera dans une combinaison ministérielle avec des conditions et un programme sur les choses et sur les personnes. Nous n'en sommes point, que je sache, à ce degré de régime parlementaire, et je ne crois pas l'empereur disposé à passer ainsi sous ses fourches caudines. »
Le 2 janvier 1870, le ministère Ollivier fut péniblement enfanté ; M. Buffet y prit le portefeuille des Finances, en remplacement de M. Magne. Parmi les principaux actes de son administration, le décret du 9 janvier sur les admissions temporaires, et le projet de budget présenté pour 1871 par le nouveau ministre soulevèrent au Corps législatif de vives discussions.
M. Buffet sortit du cabinet Ollivier avec M. Daru, au moment du plébiscite, qu'il désapprouvait comme opposé aux véritables principes constitutionnels. Jusqu'à la fin du règne, il se tint prudemment sur la réserve ; puis il protesta contre le Quatre-Septembre et se retira à Mirecourt pendant la guerre.
Elu représentant à l'Assemblée nationale, le 8 février 1871, par le département des Vosges, avec 39 332 voix (58 175 votants, 119 746 inscrits), il siégea au centre droit, refusa le ministère des Finances que lui offrit Thiers dans le cabinet formé le 19 février, et ne tarda pas à se montrer en finances comme en politique, l'adversaire déterminé du chef du pouvoir exécutif, avec qui il avait toujours marché d'accord auparavant. Il vota pour les prières publiques, pour l'abrogation des lois d'exil, pour le pouvoir constituant de l'Assemblée ; parla sur la question des indemnités aux départements envahis, et, lors de la discussion sur les attributions et les rapports des pouvoirs publics, défendit l'article qui établissait, disait-il, une « responsabilité ministérielle approximative. »
Au cours du débat touchant le régime municipal de Lyon, une altercation entre deux députés ayant amené un tumulte par suite duquel M. Grévy, président de l'Assemblée, donna et maintint sa démission, M. Buffet, candidat de la droite, fut élu président de l'Assemblée par 304 voix contre 285 données à M. Martel, qu'appuyait le gouvernement. Depuis, M. Buffet fut six fois réélu au fauteuil. C'est sous sa présidence, on pourrait presque dire sous sa direction, que s'accomplirent la chute de Thiers, la prorogation des pouvoirs du maréchal et le vote des lois constitutionnelles. Dans cette dernière circonstance son influence fut un moment décisive. C'était après le vote contre l'ensemble de la loi sur le Sénat. La droite ne voulait plus accepter aucune proposition nouvelle; l'insuccès du projet Wallon ne faisait aucun doute, lorsque M. Buffet expliqua que le règlement permettait le dépôt de nouveaux amendements, et les admit d'office. Il reprit ainsi la campagne qui devait aboutir au vote du 25 février 1875. Aussi fut-il réélu président, la dernière fois, avec le concours de la gauche.
« Comme président, a écrit un biographe, M. Buffet a atteint et réalisé la perfection, l'idéal du genre, au point de vue scénique. Pas la moindre dissonance. A quelque groupe qu'on appartînt, droite, gauche ou centre, il fallait bien applaudir ce gentleman imperturbable et correct, dont rien ne troublait la gravité et ne dérangeait la cravate blanche.
« Au point de vue de l'impartialité pure et de l'équitable distribution des férules, il y aurait bien à formuler quelques réserves. M. Buffet abuse de sa myopie, ou, pour mieux dire, sa myopie l'abuse au point de lui faire prendre, en cas de rappel à l'ordre, M. Naquet pour M. Galloni d'Istria : ce qui humilie réciproquement les deux honorables collègues et jette une certaine confusion dans le banc des sténographes. On se rappelle aussi certaines séances coupées un peu court, certaines discussions brusquées, non pas à l'avantage de la gauche. L'homme n'est pas parfait, et le puritain le plus austère a ses moments de défaillance. » (Les Portraits de Kelkun, 1875.)
Le premier effet du vote des lois constitutionnelles fut l'avènement d'un cabinet présidé par M. Buffet, ministre de l'Intérieur (11 mars). M. d'Audiffret-Pasquier lui succéda comme président de l'Assemblée. M. Léon Say faisait partie du cabinet comme ministre des Finances ; un conflit faillit éclater entre M. Buffet et lui, à propos d'un discours où M. Say avait fait ressortir l'amélioration considérable opérée dans la situation financière de la France, discours que le Journal officiel n'avait pas inséré. A la reprise de la session, M. Buffet, qui avait fait mettre en tête de l'ordre du jour la deuxième délibération de la loi électorale, obtint de la majorité de l'Assemblée qu'elle se prononçât (11 novembre) en faveur du scrutin d'arrondissement, contrairement au projet élaboré par la nouvelle commission des trente. Après un grand débat auxquels prirent part Ricard, Dufaure, Gambetta, le scrutin uninominal triompha par 357 voix contre 326. Toutefois, lorsque la loi revint en troisième lecture, l'Assemblée infligea au « vice-président du conseil des ministres » deux légers échecs : l'un, en remaniant la loi pour y insérer des mesures contre les manœuvres de corruption, et instituer des pénalités contre les fonctionnaires qui distribueraient des circulaires ou bulletins de vote ; l'autre, en restituant un député à chacune des colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et de l'Inde française.
Un insuccès plus grave fut éprouvé personnellement par M. Buffet lors des élections des sénateurs inamovibles par l'Assemblée nationale, en décembre 1875. A chaque tour de scrutin, le chef du ministère perdit des voix. On put croire qu'il allait quitter le pouvoir; il y resta pourtant, fit voter, le 29 décembre, malgré l'opposition de la gauche, une loi nouvelle sur la presse, et, aussitôt après sa promulgation, adressa à tous ses agents une circulaire qui donnait au texte adopté l'interprétation la plus rigoureuse. De nouveaux dissentiments entre M. Buffet et M. Léon Say, au sujet de la candidature « centre gauche » de ce dernier au Sénat, posée dans Seine-et-Oise, et que M. Buffet voulut obliger son collègue à retirer, amenèrent, cette fois, la démission du ministre des Finances. Cependant, l'époque fixée pour l'élection des nouvelles assemblées de la République était révolue. En dépit de sa situation, M. Buffet, candidat au Sénat, échoua dans son pays natal, les Vosges. Il fut encore moins heureux auprès du suffrage universel : les quatre circonscriptions de Mirecourt, Commercy, Bourges et Castelsarrasin, où il se porta candidat, le rejetèrent à de fortes majorités. Il résolut alors de donner sa démission de ministre : le cabinet fut maintenu provisoirement, M. Dufaure devenant vice-président du conseil avec l'intérim de l'Intérieur.
Lors du décès de M. Ricard, qui lui avait succédé au ministère de l'Intérieur, M. Buffet entra au Sénat comme membre inamovible, élu le 17 juin 1876 par 144 voix contre 141 à M. Renouard, ancien procureur général. Il prit place parmi les membres de la majorité conservatrice, et combattit à la tribune la nouvelle loi sur les maires.
Pendant la crise qui suivit l'acte du 16 Mai 1877, M. Buffet vota la dissolution de la Chambre; mais n'ayant pas été appelé à faire partie du ministère de Broglie, il se tint en quelque sorte à l'écart de la politique militante : la seule manifestation notable à laquelle il se livra fut un discours très agressif contre la majorité républicaine, prononcé au comice agricole de Vittel (Vosges). Mais, depuis la fin de 1877, M. Buffet n'a cessé de prendre aux travaux du Sénat une part des plus assidues. Parmi les discours, très nombreux, qu'il a prononcés sur les questions les plus importantes soumises à la Chambre haute, il y a lieu de citer ceux qui eurent trait, dans le cours de l'année 1880, aux divers projets de loi de M. Jules Ferry sur l'enseignement ; il défendit l'institution des « jurys mixtes », établis par la loi de 1875, attaqua vivement l'article 7 de la loi nouvelle, et nia formellement que les catholiques eussent la prétention de faire gouverner théocratiquemont la société civile. En novembre, M. Buffet saisit le Sénat, sous forme d'interpellation, de la question de l'exécution des décrets : il accusa M. Jules Ferry d'avoir rompu les négociations entamées avec le Vatican, et d'avoir usé de mauvaise foi à l'égard des congrégations. Quant à l'application même des lois, il affirma que des procédés de « malfaiteurs » avaient été employés : lui-même, un sénateur, n'avait-il pas été expulsé d'une maison religieuse où il assistait ses amis ! Il intervint encore, en décembre de la même année, pour protester à la tribune contre l'enlèvement, ordonné par M. Hérold, préfet de la Seine, de tous les emblèmes religieux dans les écoles de la ville, et obtint le vote, par 151 voix contre 82, d'un ordre du jour « regrettant l'acte qui a fait l'objet de l'interpellation.» Les questions de finances et l'examen critique du budget appelèrent fréquemment aussi M. Buffet à la tribune, où il s'efforça de prouver l'infériorité de la politique financière des républicains au pouvoir. M. Buffet, depuis son entrée au Luxembourg, a constamment voté avec la droite, notamment, en 1882, contre la loi nouvelle sur le serment judiciaire, en 1883, contre la suspension de l'inamovibilité de la magistrature, en 1884, contre le rétablissement du divorce, etc. Il s'est prononcé, plus récemment, contre les projets de loi complémentaires sur l'enseignement, contre la nouvelle loi militaire, etc., et, dans la dernière session, s'est abstenu sur le rétablissement du scrutin uninominal (13 février 1889), a voté contre le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse (18 février), contre la procédure à suivre devant le Sénat pour juger les attentats commis contre la sûreté de l'Etat (29 mars), et s'est associé aux protestations et à la scission de la droite (juillet 1889), provoquées, au cours du procès du général Boulanger, par le refus de la majorité d'examiner préalablement la question de compétence.
Né le 26 octobre 1818 à Mirecourt (Vosges),
mort le 7 juillet 1898 à Paris.
Représentant des Vosges à l'Assemblée nationale de 1871 à 1876.
Sénateur inamovible de 1876 à 1898.
Vice-Président du Conseil et Ministre de l'Intérieur de 1875 à 1876.
(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. 1, p. 526.)
Malgré un isolement discret qui ne lui échappait pas, son activité, au Sénat, ne faiblit pas. Si ses amis ne lui manifestaient plus les mêmes égards, ses adversaires avaient le même respect pour sa redoutable dialectique, aussi continua-t-il à participer aux débats les plus divers. C'est ainsi qu'on l'entendit parler des constructions neuves de bâtiments de la flotte, du travail des femmes, des filles mineures et des enfants dans les établissements industriels, du mode d'aliénation des terres domaniales de colonisation en Algérie pour en assurer le développement (1889) ; de la police rurale et administrative, de l'expiration du traité de commerce avec la Turquie, de la vaine pâture, de la laïcisation de l'école congréganiste de Vicq et des incidents qui ont suivi, de la fabrication du vin de raisins secs, des syndicats professionnels de patrons et d'ouvriers, du contrat de louage, du budget de l'exercice 1891 (1890).
Cette même année, il succéda à son ami Daru à l'Académie des sciences morales et politiques où il apportait une longue expérience politique et l'incarnation de l'ordre moral rigoureux. Investi de cette nouvelle autorité, il redoubla d'ardeur dans la défense de ses opinions. Il se fit entendre notamment sur : les rapports de l'Eglise et de l'Etat (1891) ; l'exercice de la médecine, (1892) ; l'émission des billets de la Banque de France, les Caisses de retraites, de prévoyance et de secours en faveur des employés et ouvriers, l'assistance médicale gratuite, les syndicats professionnels, l'acquisition ou le refus de la nationalité française, les caisses d'épargne, les sociétés coopératives de production de crédit et de consommation, les habitations ouvrières (1893) ; la création d'un Ministère des colonies, l'organisation du crédit agricole et populaire, l'exercice de la pharmacie, l'acquisition par l'Etat de l'Ecole Monge (1894) ; l'amnistie, la réforme de l'impôt des prestations, les dépenses de l'expédition du Siam, les accidents du travail, les coalitions dans les exploitations industrielles de l'Etat, le tarif des douanes, la majoration des pensions de la Caisse nationale des retraites (1895) ; l'exposition universelle de 1900, la constitution des Universités, la proposition de loi déclarant Madagascar et les îles qui en dépendent colonie française, la réforme de l'impôt des boissons, l'interdiction de la fabrication, de la circulation et de la vente des vins artificiels (1896) ; la protection de la santé publique, le renouvellement du privilège de la Banque de France, le rachat par l'Etat du Canal du Midi et du canal latéral à la Garonne (1897) ; le placement des ouvriers et employés, les accidents du travail (1898).
La mort vint brutalement mettre fin à cette prodigieuse activité, le 7 juillet 1898 à Paris. Le Président Loubet prononça son éloge funèbre à la séance du même jour. Après avoir retracé la longue carrière du disparu, il rendit hommage à « l'adversaire résolu de la majorité républicaine, qui était cependant convaincu que le régime de libre discussion est encore celui qui garantit le mieux les libertés publiques et la grandeur du pays ». Deux de ses collègues : M. Barbey qui était son adversaire politique et M. Audren de Kerdrel qui appartenait à son groupe, s'associèrent à cet hommage.