Joachim Murat
1767 - 1815
Député au Corps-législatif en l'an XII et roi de Naples, né à La Bastide-Fortunière (Généralité de Montauban) le 25 mars 1767, fusillé à Pizzo (Royaume de Naples, Italie) le 13 octobre 1815, « fils du sieur Pierre Murat, négociant (aubergiste), et de demoiselle Jeanne Loubières », il fit ses études au collège de Cahors où la protection d'une famille noble l'avait fait entrer comme boursier.
Destiné par ses parents à l'état ecclésiastique, il se rendit à Toulouse pour étudier la théologie, et il parvint au sous-diaconat ; mais une incartade de jeunesse le fit renvoyer du séminaire, et, fort mal reçu par sa famille, il s'engagea brusquement au 12e chasseurs, qui passait en ce moment à Toulouse. Au bout de deux ans, il était maréchal des logis ; envoyé pour une mutinerie, il resta quelque temps dans l'auberge paternelle, tout en conservant le goût le plus vif pour la vie militaire.
La protection de J.-B. Cavaignac, député du Lot, le fit entrer dans la garde constitutionnelle de Louis XVI. Avant le licenciement du corps, il passa, le 30 mai 1791, avec le grade de sous-lieutenant, au 21e chasseurs à cheval, qui fit la campagne de Champagne, puis fut envoyé à l'armée des Pyrénées occidentales. Il y prit part à plusieurs affaires, notamment à celle de Hastou, et devint officier d'ordonnance du général d'Hure et chef d'escadron
Enthousiaste de la Révolution, il écrivit d'Abbeville où il était en garnison, aux Jacobins de Paris, lors de l'assassinat de Marat, qu'il voulait changer son nom en celui de Marat : dénoncé pour ce fait, après le 9 thermidor, il réclama une nouvelle intervention de J.-B. Cavaignac, conventionnel du Lot, qui fit rayer la dénonciation sur les registres du comité de salut public. Mais il perdit son grade, resta quelque temps sans emploi, et ne fut réintégré que par Bonaparte (13 vendémiaire an IV) qui, lors de l'insurrection des sections contre la Convention, lui confia la. mission de ramener des Sablons, à la pointe du jour, 40 pièces de canon qui furent installées aux Tuileries. La rapide exécution de cette mission lui valut le grade de chef de brigade, en frimaire an IV : en germinal suivant, Bonaparte, devenu général en chef de l'armée d'Italie, le choisit pour aide-de-camp. Murat se distingua à Ceva, à Mondovi, à Chérasco, où il prépara avec Salicetti l'armistice du 15 mai 1796 ; puis il fut chargé avec Junot de porter au Directoire les drapeaux pris à l'ennemi. Revenu de Paris, et peu après général de brigade (14 pluviôse an V), il prit part aux opérations devant Mantoue, poursuivit, après la bataille de Rivoli, Alvinzi sur Trente, força, le 16 mars 1796, le passage du Tagliamento à la tête de quelques escadrons de cavalerie, et contribua, le 19, au succès de Gradisca. Après la signature des préliminaires de Léoben, il fut quelque temps employé dans la République cispadane.
Le 19 mai 1798, il s'embarqua pour l'Egypte avec Bonaparte, assista à la prise d'Alexandrie et à la bataille des Pyramides, commanda la cavalerie lors de l'expédition de Syrie, obtint de monter en tête des colonnes d'assaut à Saint-Jean-d'Acre, fut légèrement contusionné au con, et battit (avril 1799) le fils du pacha de Damas qui venait au secours des assiégés. À Aboukir, en combat singulier, il fit rendre son cimeterre à Mustapha-pacha. Ce fait d'armes est représenté en bas-relief sur l'Arc-de-Triomphe. En récompense, Bonaparte demanda pour lui le grade de général de division, qui lui fut conféré en octobre 1799.
Rentré en France avec Bonaparte, Murat accompagna ce général au Conseil des Cinq-Cents, le 18 brumaire. Quelques jours après, le 20 janvier 1800, il épousait Caroline-Annonciade Bonaparte, la plus jeune sœur du premier Consul.
Commandant de la garde consulaire, Murat prit part à la campagne de Marengo. Il s'empara de Verceil le 27 mai, occupa Plaisance le 7 juin, rejoignit Lannes à Stradella, soutint à Montebello les efforts de Ott, et, le jour de Marengo, chargea à plusieurs reprises les Autrichiens pour arrêter leur marche en ayant. Après la victoire, il reçut de Bonaparte un sabre d'honneur.
En janvier 1801, il eut le commandement de l'armée qui chassa les Napolitains des Etats pontificaux, conclut à Foligno, le 6 février, un armistice qui fut suivi du traité de Florence, et fut chargé de prendre possession de l'île d'Elbe, où il commença le siège de Porto-Ferrajo, qu'interrompit le traité d'Amiens. Nommé, à son retour, président du collège électoral du Lot, puis gouverneur militaire de Paris, il eut en cette qualité à constituer la commission qui jugea le duc d'Enghien ; il ne put obtenir de Bonaparte la grâce de Georges Cadoudal.
Maréchal de l'empire le 30 floréal an XII, prince, grand amiral (12 pluviôse an XIII), grand-aigle de la Légion d'honneur le lendemain, et chef de la 12e cohorte, il avait été élu, le 2 fructidor an XII, par le Sénat conservateur, député du Lot au Corps législatif. Il n'eut pas le loisir d'y siéger longtemps. Des côtes de la Manche, la grande armée marchait précipitamment vers le Danube, et il y commandait la réserve de cavalerie. Avec Ney et Lannes, il culbuta la division Kienmayer à Donanwerth le 6 octobre 1805, puis remonta la rive droite du Danube jusqu'à Ulin, battit avec les dragons d'Exelmans et les grenadiers d'Oudinot, 12 000 Autrichiens à Westingen (8 octobre), et, après l'affaire d'Elchingen, fit prisonnier à Nordlingen (18 octobre) presque tout le corps de Werneck. Le 13 novembre, il entrait à Vienne sans combat. Trois jours plus tard, lancé à la poursuite de Kutusow, il se laissa abuser par le prince Bagration qui lui fit croire à l'existence d'un armistice, et qui se laissa cerner à Ollabrünn pour protéger la retraite de Kutusow.
À Austerlitz, il appuya la déroute des troupes russes.
Créé grand-duc de Berg et de Clèves le 15 mars 1806, il se concilia les sympathies de ses administrés, n'augmenta pas les impôts, repoussa l'introduction de l'enregistrement, le monopole du sel et du tabac, et institua un droit peu élevé et uniforme sur les marchandises qui entraient dans le pays.
En octobre 1806, lors de la rupture avec la Prusse, il prit de nouveau le commandement de la cavalerie indépendante et fut chargé du service d'exploration. Six jours avant Léna, le 8, il écrivait, de son quartier général de Cronach, au général Milhaud, de marcher en ayant avec circonspection et ajoutait : « Vous ferez observer à vos troupes la plus sévère discipline ; vous ferez respecter les personnes et les propriétés ; vous direz aux autorités que nous ne venons point pour faire la guerre aux Saxons, mais pour les délivrer de la présence des soldats d'une puissance qui, la première, a violé leur territoire. »
Après Iéna, il poursuivit avec ses cavaliers les ennemis en fuite sur Weimar, ne cessa de harceler les troupes prussiennes, et, précédant le gros de l'armée, battit Hohenlohe à Zedhenick le 16 octobre, et le força de mettre bas les armes à Prenzlow, le 28 juillet ; puis il se rejeta alors sur Blücher, qu'il atteignit sur les frontières du Danemark. Durant la campagne de Pologne, en 1807, il fut chargé avec Lannes et Davout de couvrir Varsovie, battit Burhowden à Golguim, et, à Eylau, avec 80 escadrons, sabra l'infanterie russe et dégagea l'empereur et le corps d'Augereau. Le 19 juin, après Friedland, il occupa Tilsitt, et ce fut à lui que Bennigsen vaincu s'adressa pour obtenir un armistice. Murat assista à l'entrevue des deux empereurs. Après la paix, et pendant que Junot envahissait le Portugal, Murat, à la tête de 80 000 soldats français, entra en Espagne (novembre 1807). Arrivé à Madrid, il rêva pour lui-même le trône d'Espagne. Mais un mois plus tard, le 2 mai, Madrid se souleva ; Murat fit sabrer le peuple en révolte par les mameluks, les lanciers et les chasseurs à cheval de la garde impériale, reçut alors du roi le titre de lieutenant-général du royaume, et, après une explication assez vive avec son beau-frère Napoléon, obtint, le 15 juillet, la couronne de Naples, devenue vacante par le départ de Joseph.
Proclamé roi le 1er août sous le nom de Joachim-Napoléon, il s'empara de île de Capri et força Hudson Lowe, le futur geôlier de Sainte-Hélène, à capituler. Il se fit bien venir de la population par de sages mesures, interdit toute arrestation arbitraire, affermit les institutions françaises, et porta son armée à 60 000 hommes instruits et disciplinés. Il s'occupa aussi de la marine et fit construire 2 vaisseaux et plusieurs frégates dans les chantiers de Cellamare.
Mais des difficultés ne tardèrent pas à surgir entre l'empereur et le nouveau roi de Naples. Au mois de juin 1809, une flotte anglo-sicilienne avait tenté de soulever la Napolitaine. Murat, pour se venger, fit préparer une expédition contre la Sicile, et parvint à réunir sous le feu des Anglais une flotte suffisante au transport de ses troupes. Mais une seule division, celle du général Cavaignac, put débarquer, et Murat attribua l'insuccès de cette opération au mauvais vouloir des Français. Il demanda l'éloignement des troupes françaises et rendit un décret par lequel tous les étrangers de son royaume devaient se faire naturaliser Napolitains ou renoncer à leurs fonctions. Napoléon y répondit par un autre décret : « Considérant que le royaume de Naples fait partie du grand Empire, que le prince qui règne dans ce pays est sorti des rangs de l'armée française, qu'il a été élevé sur le trône par les efforts et le sang des Français, Napoléon déclare que les citoyens français sont de droit citoyens du royaume des Deux-Siciles. » L'orgueil de Murat fut froissé des termes du décret ; il affecta de ne plus porter le grand cordon de la Légion d'honneur et de différer les fêtes à l'occasion de la naissance du roi de Rome.
Mais la guerre de Russie mit un terme à ces difficultés. Le roi de Naples accepta de l'empereur le commandement de la cavalerie de la grande armée. Il se distingua à Ostrowo le 16 juillet, et en avant de Smolensk, et fut vainqueur de la division Newervskoï qui opposa cependant une résistance opiniâtre à nos cavaliers. À la Moskowa, le 7 septembre, il ne montra pas moins d'héroïque bravoure ; il lança les cuirassiers de Caulaincourt sur la grande redoute, qu'il emporta, après un furieux combat. Pendant la retraite, il commanda « l'escadron sacré » qui constituait la garde de l'empereur, et, quand celui-ci quitta l'année, il reçut le commandement en chef (5 décembre 1812) qu'il remit, le 8 janvier 1813, au prince Eugène, pour retourner précipitamment à Naples. De mystérieuses négociations eurent lieu alors, dit-on, entre le gouvernement napolitain, l'Autriche et l'Angleterre.
Quoi qu'il en soit, Murat rejoignit la grande armée à l'ouverture de la campagne de Saxe, et prit une part glorieuse à la victoire de Dresde. Il quitta de nouveau l'empereur sous prétexte d'aller lever de nouvelles troupes en Italie, puis, cédant aux conseils de Fouché et aux instances de la reine Caroline, sa femme, il signa avec l'Autriche et l'Angleterre, les 6 et 11 janvier 1814, deux traités par lesquels il s'engageait à mettre 30 000 Napolitains au service des puissances alliées, qui lui garantissaient en échange la possession de ses Etats. Alors il se mit en marche, publia à Bologne, le 14 janvier, une proclamation où il disait : « ... L'empereur ne veut que la guerre. Je trahirais les intérêts de mon ancienne patrie, ceux de mes états et les vôtres, si je ne séparais pas sur-le-champ mes armées des siennes pour les joindre à celles des puissances alliées, dont les intentions magnanimes sont de rétablir la dignité des trônes et l'indépendance des nations. » Il s'empara de Reggio et de Plaisance et força le prince Eugène à se retirer avec son armée derrière l'Adige. Napoléon écrivit à sa sœur, la reine Caroline : « Votre mari est très brave sur le champ de bataille ; mais il est plus faible qu'une femme ou qu'un moine quand il ne voit pas l'ennemi. Il n a aucun courage moral... Il a eu peur et il n'a pas hésité à perdre en un instant ce qu'il ne peut tenir que par moi et avec moi... » L'abdication de l'empereur mit en effet le roi de Naples dans une situation difficile. Les princes de la maison de Bourbon s'opposèrent à sa reconnaissance, et Talleyrand, ambassadeur de Louis XVIII à Vienne, demanda, dit-on, à l'Autriche, le passage d'une armée pour aller combattre l'usurpateur de Naples. Aussi à la nouvelle du retour de île d'Elbe, Murat s'empressa-t-il d'envoyer à Napoléon son aide-de-camp, le comte de Bauffremont, pour l'assurer de son dévouement et de sa fidélité. Après avoir ordonné l'organisation de la garde nationale et confié la régence à la reine Caroline, il porta son armée à Ancône. À ce moment le cabinet autrichien lui donna avis des bonnes dispositions de l'Angleterre à son égard et de l'ordre qu'avaient reçu les plénipotentiaires britanniques à Vienne de conclure avec lui un traité définitif. Mais Murat ne s'arrêtait plus; de son quartier général de Rimini, le 30 mars 1815, il appelait les Italiens à la guerre de l'indépendance et s'emparait de Modène et de Florence ; à Parme, il repoussa de nouvelles avances de l'Autriche, mais, à Bologne il se rendit aux représentations du commissaire anglais, William Bentinck, qui lui demanda de respecter le territoire du roi de Sardaigne, allié de la Grande-Bretagne. Le détour qu'il dut faire pour passer le Pô, le fit battre à Tolentino, le 2 mai, après avoir détendu, pendant trois jours, avec les débris de son armée, le passage du Ronce. Le 18, il rentra à Naples presque seul et fit afficher dans la ville un projet de Constitution ; mais une vive effervescence régnait dans cette capitale, et, le 19, Murat se retira à Gaëte.
Pendant que Ferdinand IV reprenait possession du royaume de Naples, il s'embarqua, le 21, avec sa famille, à bord d'un navire français qui le déposa à Cannes. Là, il se mit à la disposition de l'empereur, qui ne lui répondit pas, et lui fit interdire par Fouché l'accès de Paris.
Il se rendait à Lyon quand il apprit le désastre de Waterloo. Il retourna alors à Toulon, d'où il écrivit à Wellington, le 15 juillet : « Mylord, un prince malheureux, un capitaine qui n'est pas sans quelque ressource, s'adresse avec confiance à un capitaine aussi généreux qu'illustre pour obtenir un asile en Angleterre. Ne dédaignez pas mon hommage, Mylord, c'est celui d'un militaire d'honneur qui, tout en vous admirant et sans être jaloux de votre gloire, désira longtemps de vous combattre, dans l'espoir d'enrichir son expérience de vos talents militaires. »
Cette supplique ne reçut pas de réponse, et c'est alors que des conseillers aventureux le lancèrent à tenter la folle entreprise qui devait lui coûter la vie. Il décida donc de s'embarquer et soudoya le capitaine d'un navire marchand qui allait partir pour le Havre. Mais il fut trahi par son domestique ; la barque qui le portait ne put rejoindre le navire par suite de la violence de la mer. Le lendemain, il apprit par son neveu, le colonel Bonafous, que sa tête était mise à prix. Après huit jours passés dans la cabane d'une vieille femme, il s'embarqua sur un mauvais bateau, et fut reçu à bord de la Balancelle qui se rendait à Bastia. En Corse, il fut en butte aux sollicitations d'intrigants, soudoyés par la cour de Naples, qui lui assuraient qu'il n'avait qu'à paraître pour que la Napolitaine saluât son autorité. Malgré les pressants avis du comte Marcirone, son aide-de-camp, qui lui apportait des passeports pour se rendre en Autriche où on lui garantissait la vie sauve en échange d'une abdication pure et simple, il réunit toutes ses ressources, et partit, le 28 septembre, avec 6 barques et 250 hommes, conduit par un nommé Barbara, qui s'était engagé à livrer Murat à la cour de Naples. Les vents dispersèrent la petite flottille. En vue des côtes de Calabre, Murat fit jeter à la mer les proclamations qu'il apportait de Corse et ordonna à Barbara de mettre le cap sur Trieste. Mais celui-ci, prétextant de fortes avaries, voulut entrer dans le port du Pizzo. Murat eut l'imprudence d'y consentir, tout en prescrivant à Barbara de ne pas s'éloigner pour le cas où il serait forcé de se rembarquer. Trente hommes environ l'accompagnèrent sur la plage ; mais, sur la route de Montelleone, un capitaine de gendarmerie, entouré de paysans armés, commanda le feu sur l'escorte. Quand Murat revint au rivage, Barbara avait pris le large à la première fusillade.
Fait prisonnier, Murat fut conduit au fort du Pizzo. Traduit devant une commission militaire, présidée par l'adjudant général Joseph Fassule, et dont tous les membres lui devaient leur grade, il fut condamné à mort le 13 octobre ; l'arrêt portait : « Il ne sera accordé au condamné qu'une demi-heure pour recevoir les secours de la religion. » On refusa de lui laisser voir les généraux Franchescette et Natale et son valet de chambre, Armand. Il écrivit une touchante lettre d'adieux à la reine et à ses enfants, et chargea le lieutenant Frajo, rapporteur du conseil de guerre, de la leur faire parvenir; mais ni cette lettre ni aucun objet ayant appartenu au roi ne fut remis à sa famille. Amené devant le peloton d'exécution, Murat refusa le bandeau et la chaise qu'on lui offrit : « J'ai trop souvent bravé la mort pour la craindre, » dit-il, et il ajouta en s'adressant aux gendarmes : « Sauvez la tête, visez au cœur. »
Ses restes reposent, sans signe distinctif, dans le cimetière du Pizzo.
« Murat appartient ayant tout, a dit Lamartine, au monde de l'imagination et de la poésie ; homme de la fable par ses aventures, homme de la chevalerie par son caractère, homme de l'histoire par son époque. L'histoire qui aura de l'enthousiasme et des reproches, aura surtout des larmes pour lui. »