Etienne, Louis, Joseph Garnier-Pagès
1801 - 1841
Député de 1831 à 1834 et de 1835 à 1841, né à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 27 décembre 1801, mort à Paris le 23 juin 1841, il était fils d'un chirurgien de marine, M. Garnier : il avait vingt jours seulement quand il perdit son père. Deux ans plus tard, sa mère épousa en secondes noces M. Pagès, dont elle eut un second fils.
Liés par une fraternité étroite bien qu'issus d'unions différentes, les deux frères adoptèrent ce double nom de Garnier-Pagès, qu'ils contribuèrent l'un et l'autre à rendre célèbre.
L'aîné eut des commencements pénibles et laborieux. D'abord employé dans une maison de commerce à Marseille, puis commis dans une compagnie d'assurances maritimes à Paris, il trouva cependant le temps d'étudier le droit, et, reçu avocat, fit au palais de brillants débuts. Mais la mort de son beau-père, M. Pagès, puis celle de sa mère, en le livrant à lui-même, le décidèrent à aborder la carrière politique. De bonne heure il était entré dans le mouvement libéral, et il s'était affilié à la Société Aide-toi, le Ciel t'aidera, ainsi qu'à la plupart des groupes démocratiques et maçonniques où la jeunesse conspirait contre le gouvernement de la Restauration. Il prit une part active à la révolution de Juillet fut nommé président du conseil de révision des récompenses nationales, réorganisa sur de nouvelles bases la Société Aide-toi, le Ciel t'aidera, qui le choisit pour son président, et qu'il dirigea, contrairement à l'opinion de la plupart de ses amis de la veille, dans un sens hostile à la dynastie nouvelle.
Garnier-Pagès était de ceux qui avaient cru combattre pour la République, et dont la monarchie de Juillet trompait les plus chères espérances. Son énergie son habileté lui valurent une popularité rapide, et il avait à peine atteint l'âge de l'éligibilité (30 ans), qu'il fut choisi comme candidat de l'opposition dans le 4e collège électoral de l'Isère (la Côte Saint-André), ou la démission de M. Réal venait d'ouvrir une vacance ; il fut élu député, le 28 décembre 1831, par 68 voix (132 votants, 265 inscrits), contre 64 à M. Félix Faure. Il prit place à l'extrême-gauche de la Chambre des députés, et ne cacha point ses tendances républicaines. Un seul député se leva pour protester contre l'admission de ce nouvel élu : ce fut Casimir Perier.
Bientôt Garnier-Pagès partagea avec Armand Carrel la direction du parti républicain. Il se distinguait par sa finesse, par sa pénétration, par sa prudence, « par une habileté singulière, a écrit un historien, à mettre aux prises les partis adverses, de manière à les ruiner l'un par l'autre, on obtenant l'estime et les applaudissements de chacun d'eux. »
Affable et insinuant, son esprit vif, sa simplicité, sa grâce familière, son langage fait de naïveté et de malice, lui conquirent dans le parlement, une influence que ses opinions seules ne lui auraient pas conciliée. Il eut une grande part à la rédaction du fameux compte-rendu de 1832, et son rôle parlementaire grandit chaque jour au milieu des événements.
L'insurrection de 1832 fut pour lui l'occasion d'une lutte de tribune où son sang-froid ne se démentit pas, et lui permit de tenir tête au ministère et à la majorité. Aux accusations incessantes contre les sociétés secrètes, il répondit un jour, non sans à propos, que deux hommes éminents, qui siégeaient là, avaient fait partie, l'un, Guizot, de la société Aide-toi, le Ciel t'aidera, l'autre, Barthe, d'une vente de carbonari. Il fut du nombre des députés qui se récusèrent dans le procès du journal la Tribune (1833).
Garnier-Pagès échoua aux élections générales du 21 juin 1834, dans le 2e collège de l'Isère (Grenoble), avec 141 voix contre 155 à M. Réal. Mais il ne tarda pas à être dédommagé de cet échec : l'option de M. de Cormenin pour le collège de Joigny ayant laissé libre la 2e circonscription de la Sarthe, le Mans, il en devint député, le 3 janvier 1835, par 91 voix (164 votants, 190 inscrits), contre 73 à M. Lelong. Garnier-Pagès reprit sa place dans l'opposition démocratique et continua la lutte contre la politique gouvernementale. Il se prononça contre les lois de septembre 1835, les lois de disjonction, d'apanage, etc.
Réélu, le 4 novembre 1837, par 102 voix (192 votants, 218 inscrits), il prit parti, comme toujours, contre le ministère, lors de la fameuse coalition qui le renversa, mais sans vouloir entrer dans aucune des combinaisons destinées à assurer le pouvoir à telle ou telle fraction de la Chambre.
Il fut un des principaux promoteurs du mouvement réformiste ; plus radical que la plupart de ses collègues de la gauche, il se déclara, dès 1840, partisan du suffrage universel, résuma ses aspirations égalitaires dans cette pittoresque formule, souvent citée : « Allonger les vestes sans raccourcir les habits, » et dit à la tribune de la Chambre : « Pour moi, je ne recule pas devant le titre de révolutionnaire; et pourtant je ne pense pas que tout progrès ne puisse venir que par le moyen des revolutions. Ne croyez pas qu'il y ait dans cette assemblée ni parti ni homme qui veuille entasser débris sur débris... Nous représentons ici des idées philosophiques et des idées pratiques. »
Orateur de l'opposition extrême, il était sans influence sur la marche des événements, mais son entente des affaires et ses connaissances spéciales le faisaient écouter dans plus d'une discussion technique. Membre et rapporteur de diverses commissions, il émit sur la conversion des rentes, la Banque de France, etc., des idées qui depuis ont été appliquées. Ce fut encore lui qui présenta le rapport sur le chemin de fer de Rouen et sur les paquebots de la Méditerranée. Enfin il se mêla activement aux débats sur les affaires d'Orient (1840) et se sépara de ses amis du National pour combattre le projet des fortifications de Paris.
Sa protestation contre « l'embastillement » fut une des dernières qu'il fit entendre à la Chambre. Atteint dès l'enfance l'une maladie de poitrine qui s'était développée depuis, il succomba, le 23 juin 1841, honoré et regretté de tous les partis.
Ses funérailles eurent le plus grand éclat, et une foule immense l'accompagna au cimetière. M. de Cormenin a dit de lui : « Il avait le plus rare des courages dans un pays où tout le monde est brave de sa personne ; il était brave de sa conscience. » Le 24 février 1848, au moment où l'on lisait à la Chambre les noms des membres du gouvernement provisoire, au nom de Garnier-Pagès (le second), une voix du peuple cria des tribunes : « Il est mort, le bon ! »
Outre ses discours politiques, et un certain nombre d'opuscules restés inédits, Garnier-Pagès aîné avait collaboré au Dictionnaire politique publié par Pagnerre.