André Morellet
1727 - 1819
Député au Corps législatif de 1808 à 1815, né à Lyon (Généralité de Lyon, France) le 7 mars 1727, mort à Versailles (Seine-et-Oise) le 12 janvier 1819, « fils de sieur Claude-Joseph Morellet, marchand, et de demoiselle Catherine Gabriel, son épouse », il était l'aîné de quatorze enfants. Son père le mit au collège chez les jésuites. Ses humanités finies, le jeune Morellet songeait à entrer dans la société de Jésus, quand ses parents l'envoyèrent à Paris, au séminaire dit des Trente-trois. C'est de cette maison, où la discipline était des plus rigoureuses et les études des plus fortes, que Paris tirait ses curés, les évêques, leurs grands-vicaires, et l'université ses professeurs. Morellet s'y distingua : ses succès n'eurent toutefois d'autre résultat que de lui ouvrir l'accès de la Sorbonne. Là il se fortifia dans les études théologiques. Après avoir passé cinq ans en Sorbonne, « toujours lisant, toujours disputant, toujours très pauvre, et toujours content, » il en sortit en 1752, philosophe et licencié. Il s'était lié avec plusieurs jeunes gens, qui, alors abbés comme lui, devinrent par la suite des personnages importants : Turgot, l'abbé de Loménie, et autres. Sur la recommandation du supérieur du séminaire des Trente-trois, Morellet fut chargé de l'éducation de l'abbé de la Galaizière, fils du chancelier du roi de Pologne. Dès lors il se trouva à l'abri du besoin.
Ayant visité l'Italie avec son élève, il compléta sa propre éducation : c'est pendant son séjour à Rome qu'il tira d'un in-folio intitulé Directorium inquisitorium, par Nicolas Eymerick, grand inquisiteur au XIVe siècle, un petit volume qu'il publia sous le titre de Manuel des inquisiteurs. C'est à Rome aussi qu'il prit le goût de la musique.
De retour à Paris, libre. et, grâce à une pension que le père de son élève lui fit avoir sur une abbaye, n'étant pas obligé d'aliéner sa liberté, peu disposé du reste à vivre de l'autel, il se livra à l'étude du droit public et de l'économie politique, tout en cultivant la philosophie. La tendance de son esprit, la nature de ses opinions le mirent bientôt en rapport avec les hommes les plus influents du moment, les économistes et les encyclopédistes. Les uns et les autres l'adoptèrent et il compta parmi leurs plus assidus collaborateurs. Pendant soixante ans, il exposa et soutint leurs opinions dans ses ouvrages, où le ton de sa plaisanterie égayait la sévérité de la discussion, parfois même aux dépens des convenances, comme dans ce pamphlet où, se proposant de venger les encyclopédistes des attaques qui leur avaient été portées par Palissot, dans la comédie des Philosophes, et attaquant, avec l'auteur même de cette satire, les personnes qui l'avaient applaudie, il allait jusqu'à révéler à une dame, la princesse de Robecq, le secret que lui cachaient les médecins et toute l'intensité du danger où la jetait la maladie incurable dont elle était, attaquée. Voltaire lui-même s'éleva contre ce procédé. C'est au sujet de cette pièce, intitulée Vision de Charles Palissot, que Morellet fut mis à la Bastille.
Sa vie, plus féconde en travaux qu'en événements, ne fut guère remarquable, depuis lors, que par les nombreux écrits qu'il a publiés. Au premier rang se place la traduction de l'ouvrage de Beccaria, le Traité des délits et des peines. Puis il donna les Réflexions sur les préjugés qui s'opposent au progrès et à la perfection de l'inoculation en France. Apologiste de toutes les découvertes utiles, dénonciateur des abus, il avait dévoilé la jurisprudence du Saint-Office dans le Manuel des inquisiteurs ; il ne mit pas moins d'obstination à combattre les opinions de l'abbé Galiani et de Necker sur le commerce des grains.
Mais c'est surtout contre Linguet qu'il déploya ses ressources de polémiste. Réunissant les opinions absurdes, contradictoires, ou hasardées, éparses dans les nombreux écrits de ce publiciste, il en composa la Théorie du paradoxe, celui de ses ouvrages où il a peut-être le plus multiplié les preuves de son talent.
Morellet écrivit fréquemment, à l'invitation des ministres, sur des questions d'économie politique. Les services qu'il leur rendit sont constatés par un arrêt du conseil, qui, en 1773, lui alloua, sur la caisse du commerce, une gratification perpétuelle de 2 000 livres, pour « différents ouvrages et mémoires publies sur les matières de l'administration. » C'est à son ancien camarade de séminaire, à Turgot, alors ministre, qu'il fut redevable de cette gratification.
n 1769, Morellet avait annoncé un Nouveau dictionnaire du commerce, que les événements ne lui permirent pas d'entreprendre. Il passa en Angleterre en 1772, parcourut plusieurs contrées de ce pays, se lia avec lord Shelburne, depuis marquis de Lansdown, avec Franklin, Garrick, et l'évêque Warburton. En 1783, le marquis de Lansdown, devenu ministre, et, en cette qualité, négociant la paix entre la France et l'Angleterre, sollicita et obtint de Louis XVI, pour l'abbé Morellet, une pension de 4 000 livres: on remarqua beaucoup que ce fut à la recommandation d'un étranger et d'un hérétique que le théologien de l'Encyclopédie fut récompensé sur les fonds du clergé de services rendus à la France. Le ministre anglais motivait sa demande sur ce que l'écrivain français avait libéralisé ses idées.
La fortune de l'abbé Morellet s'accrut encore à la mort de Mme Geoffrin, qui avait placé, tant sur sa propre tête que sur la tête de Morellet, une rente de 1 200 livres, en jouissance de laquelle il entra à la mort de son amie. « Je ne veux pas, lui avait-elle dit en lui annonçant ce placement, que vous dépendiez des gens en place, qui peuvent vous retirer ce qu'ils vous donnent. » Morellet s'acquitta, autant qu'il la pouvait, dans un écrit intitulé : Portrait de Madame Geoffrin.
Le parti philosophique, que l'abbé Morellet avait constamment servi, le poussa à l'Académie française ; il y fut admis (1765) à la place de l'abbé Millot. S'étant beaucoup occupé de grammaire et d'étymologie, il avait fait une étude approfondie de l'origine et du mécanisme de la langue française ; il contribua, autant qu'aucun de ses confrères, à la confection du Dictionnaire. En 1788, un fort bon bénéfice, le prieuré de Thimers, lui échut en vertu d'un indult dont ce bénéfice avait été grevé vingt ans auparavant par Turgot au profit de l'abbé Morellet. C'était une terre située en Beauce et qui valait 16 000 francs de rente. L'abbé se hâta d'en prendre possession, l'embellit et l'améliora.
Mais bientôt survint la Révolution. M. de Brienne eut plus d'une fois recours à sa plume. Morellet soutint, contre une partie de la noblesse, à propos de la double représentation du tiers état, une opinion qui lui était commune avec M. Necker. Lors des élections, le prieur de Thimers eut un moment l'espérance d'être nommé député de son ordre aux Etats généraux. Trompé deux fois dans ses espérances, le candidat en conçut quelque humeur contre les assemblées électorales, et particulièrement contre celle qui s'était tenue a Paris dans l'église de Saint-Roch, et qui lui avait préféré l'abbé Fauchet. Cette déconvenue refroidit son patriotisme ; le décret qui supprimait les dîmes et ordonnait la vente des biens du clergé lui porta le dernier coup. Le philosophe disparut, et on ne vit plus en lui que l'ecclésiastique; pour lui, la perte de ses revenus le rendit insensible au triomphe de ses principes.
Il prit la Révolution en horreur, tandis que le marquis de Lansdown, en l'invitant à chercher dans la considération de l'intérêt public une compensation au dommage subi par son intérêt particulier, lui écrivait : « Vous êtes un soldat blessé dans nue bataille que vous avez gagnée. » Mais Morellet, loin de chanter victoire, tonnait contre les vainqueurs : il porta la rancune jusqu'à détendre la Sorbonne dont il s'était publiquement moqué; sa philosophie lui revint quand il fallut combattre l'adversité.
Echappé aux proscriptions, il chercha dans le travail des ressources contre le besoin et se mit à traduire les romans d'Anne Radcliffe et de Regina Maria Roche. Il attaqua de front les théories politiques de Brissot, et s'éleva avec plus de vivacité encore, en 1795, contre la loi qui confisquait les biens des enfants des condamnés : son ouvrage intitulé: le Cri des familles. fut le signal du revirement qui se manifesta dans la Convention. Il prit aussi la défense des « pères, mères et aïeuls des émigrés » ; en 1799, il attaqua la loi des otages. Désigné pour occuper la chaire d'économie politique et de législation aux écoles centrales, il ne crut pas devoir accepter cette fonction.
Mais le 18 brumaire l'appela de nouveau aux honneurs. Membre de l'Institut réorganisé, il reçut les largesses de la famille Bonaparte, et en particulier celles de Joseph, dont il était le correspondant littéraire. Quand le cardinal Maury prétendit être traité de Monseigneur à l'Institut, on fut assez surpris d'entendre Morellet appuyer cette prétention.
Le désir qu'il avait de parvenir à la députation fut enfin satisfait en 1898. Agé de quatre-vingt-un ans, il se vit, le 18 février de cette année, porté au Corps législatif, comme député de la Seine, par le choix du Sénat. L'exercice du mandat législatif qu'il conserva jusqu'en 1815 n'a rien ajouté à l'éclat de sa réputation.
La Restauration le trouva encore plein de vigueur. L'abbé Morellet était parvenu sans infirmités à l'âge de quatre-vingt-huit ans, lorsqu'une chute qu'il fit, en montant en voiture à la sortie du spectacle, mit ses jours en danger (décembre 1814). S'étant cassé la cuisse, il tut contraint de garder la chambre pendant plus de deux ans. Malgré son extrême affaiblissement, il prenait cependant une part toujours active au travail du Dictionnaire : la commission s'assembla longtemps autour de son lit. Il se leva en 1817 pour assister à une séance publique de l'Institut: les assistants ne manquèrent pas d'applaudir à cette quasi-résurrection. Doyen de 1'Académie française par la mort de Suard, il mourut à Versailles, à quatre-vingt-douze ans.
Morellet, qui fut un très laborieux écrivain, a laissé un très grand nombre d'ouvrages parmi lesquels on peut citer :
- Préface de la comédie des philosophes (1760) ;
- Remarques critiques et littéraires sur la prière universelle de Pope (1760) ;
- les Si et les Pourquoi (1760) ;
- Mémoire des fabricants de Lorraine (1762) ;
- Lettres sur la police des grains (1764) ;
- Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes (1769) ;
- Théorie du paradoxe (1775) ;
- Pensées libres sur la liberté de la presse à l'occasion d'un rapport du représentant Chénier à la Convention nationale (1795) ;
- le Cri des familles, ou discussion d'une motion faite à la Convention par le représentant du peuple Lecointre, relativement à la révision des jugements des tribunaux révolutionnaires (1795) ;
- la Cause des Pères, ou discussion d'un projet de décret de P.-J. Audouin relatif aux pères et mères, aïeuls et aïeules des émigrés (1795) ;
- Mélanges de littérature et de philosophie du XVIIIe siècle (1818) ;
- plusieurs traductions et divers articles insérés dans l'Encyclopédie, les Archives littéraires de l'Empire et le Mercure.
Chevalier de la Légion d'honneur du 25 avril 1806.