Denys, Pierre, Augustin, Marie Cochin
1851 - 1922
Né à Paris le 1er septembre 1851, mort à Paris le 24 mars 1922.
Député de la Seine de 1893 à 1919.
Ministre d'Etat de 1915 à 1916.
Sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères (Blocus) de 1916 à 1917.
Parisien de Paris - « Un Cochin, disait Georges Goyau, peut errer à travers Paris comme à travers un musée familial » - arrière-petit-neveu de l'abbé Cochin, curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas qui fonda en 1780 l'hôpital qui porte toujours son nom, fils d'Augustin Cochin qui fut maire-adjoint et maire du Xe arrondissement, puis conseiller municipal de Paris, et avait été nommé préfet de Seine-et-Oise après la défaite de la Commune, Denys Cochin naquit le 1er septembre 1851. Il fit ses études secondaires à Louis-le-Grand et à Stanislas. En 1870, il s'engagea, fut nommé maréchal des logis au 8e lanciers et porte-fanion de Bourbaki dans la campagne de l'Est : quand l'armée fut bloquée à Besançon, il passa en Suisse et demanda à retourner à son dépôt pour pouvoir continuer à se battre, mais la police de Genève l'arrêta et il dut accepter de rester prisonnier sur parole. Il reçut pour ses faits d'armes la médaille militaire et ne voulut jamais porter une autre décoration.
La guerre finie, il passa sa licence ès lettres et sa licence en droit et chercha sa voie. Il fit un court apprentissage de la diplomatie à Londres auprès du duc de Broglie, passa quelque temps au Ministère de l'Intérieur et en sortit pour se livrer à des recherches scientifiques. Il fut attaché au laboratoire Schutzenberger, puis à celui de Pasteur : il imagina un appareil pour étudier l'action de l'air sur les fermentations. Il collaborait au Correspondant et à la Revue des deux mondes et écrivit un livre l'Evolution et la vie, publié en 1886, où il transmettait aux philosophes le message de Pasteur sur l'inexistence des générations spontanées ; il revint à la charge dans un deuxième ouvrage Le Monde extérieur, publié en 1895, où il concluait que la science reste étroitement liée à la métaphysique, en fait même partie. En 1913, il devait consacrer une importante étude à Descartes.
Bien qu'il accordât la prééminence à la science et à la philosophie sur la politique - « La politique, écrivait-il, me parait la servante des autres œuvres de l'intelligence humaine, un Colbert me fait l'effet d'un respectable et utile intendant chargé de tenir convenablement la maison où travaille un Descartes » -, il jugea de son devoir de se lancer dans la mêlée pour défendre les grandes causes qui lui étaient chères. Mais le mandat politique fut pour lui un moyen et non une fin et il n'accepta jamais la moindre compromission.
Après un échec aux élections législatives d'octobre 1877 dans l'arrondissement de Corbeil - il n'obtint que 2 858 voix contre 3 297 au prince de Wagram et 10.244 au député sortant, Léon Renault, qui fut réélu - il fut élu en 1881 conseiller municipal dans le VIIe arrondissement de Paris pour le quartier des Invalides : il a exposé son action au sein de l'Assemblée parisienne dans deux ouvrages, La Compagnie du gaz et la ville de Paris (1883), Quatre années au conseil municipal (1885).
Après un nouvel échec aux élections législatives de 1885, qui eurent lieu au scrutin de liste, il aurait pu devenir député en 1889 s'il ne s'était ouvertement déclaré adversaire de l'alliance des conservateurs avec le boulangisme qu'il jugeait menaçante pour les libertés parlementaires : candidat dans le 7e arrondissement, il serra de très près cependant Terrail-Mermeix, l'un des plus ardents polémistes révisionnistes, qui ne l'emporta sur lui au second tour de scrutin que par 220 voix.
Aux élections générales des 20 août et 3 septembre 1893, il se présenta dans la première circonscription du 8e arrondissement de Paris, arriva en tête au premier tour et fut élu au second tour par 3 053 voix contre 2 512 à Frédéric Passy, sur 5 637 votants.
Il devait être réélu à cinq reprises, toujours au premier tour de scrutin, le 8 mai 1898 par 4 776 voix contre 3 604 à Allou, sur 8 659 votants, le 27 avril 1902 par 7 303 voix contre 2 508 à Maréchal, sur 10 161 votants, le 6 mai 1906 par 7 058 voix contre 1 919 à Lipman, sur 9 425 votants, le 24 avril 1910 par 6 389 voix contre 1.863 à Poupinel, sur 8 703 votants, le 26 avril 1914, par 6 028 voix contre 1 680 à Parenty, sur 8 347 votants.
Lors de sa première campagne électorale, il disait aux électeurs de Corbeil que ses traditions ne l'attachaient à aucun parti et ses lettres de jeunesse le montrent indécis au sujet des régimes politiques. Ses méditations le conduisirent ensuite à considérer la monarchie parlementaire comme le meilleur système pour assurer le libéralisme pratique. « Nous croyons au roi et aux Chambres, écrira-t-il, aux Chambres pour manifester l'opinion dominante ; au roi, pour être le roi de tous et faire respecter les faibles après chaque revirement d'opinion. » Il se classa donc dans l'opposition de droite, mais il se sentait incapable de faire une opposition systématique à la République s'il la jugeait gouvernée par des hommes modérés, libéraux et intègres. Il concevait la politique, non comme un duel de personnalités, mais comme un duel d'idées et il savait rendre justice à ses adversaires quand ils soutenaient des thèses ou prenaient des décisions qu'il trouvait justes.
L'un de ses premiers actes de parlementaire fut de déposer une proposition de loi tendant à ouvrir un crédit pour la participation de l'Etat au monument de Pasteur (1895). Il resta toujours, en effet, un serviteur de la science, intervenant à plusieurs reprises pour soutenir l'action des savants : ainsi, au cours de la discussion du budget de l'exercice 1895, il soutint deux amendements, l'un demandant la création d'une chaire de chimie, l'autre relatif à l'installation d'un laboratoire de chimie à la faculté des sciences de Paris : en 1902, il déposa une proposition de loi tendant à ouvrir un crédit pour l'institut Murey ; il fut, pour les exercices 1903 et 1904, rapporteur du budget de l'Ecole centrale des arts et manufactures.
Au cours de son premier mandat, il déposa une proposition de loi tendant à l'abolition de l'esclavage à Madagascar (1896) et prit part à plusieurs discussions relatives à des questions intéressant Paris : établissement d'une gare sur l'Esplanade des Invalides (1894), assainissement de la Seine (1894), entretien des chaussées de Paris (1895), projet relatif à l'Exposition universelle de 1900 (1896). Mais, déjà, il aborda à la tribune les grands problèmes politiques sur lesquels il devait être, tout au long de sa carrière, l'un des porte-parole les plus écoutés de la droite libérale : politique étrangère, spécialement question d'Orient, défense de l'Eglise, des congrégations religieuses et des libertés scolaires.
Il est impossible de citer tous les discours qu'il prononça au cours des vingt années qui s'écoulèrent entre 1894 et 1914 et dont certains, tels ceux sur la liberté des funérailles, sur les massacres d'Arménie, sur le statut de la Crète, sur les affaires marocaines eurent un particulier retentissement. « On était, a écrit Alexandre Ribot, sous le charme d'une parole qui, tout en gardant le ton d'une conversation élevée, plus que d'un discours, arrivait sans effort à la véritable éloquence. Quand il prenait en main les droits et les libertés de l'Eglise catholique ou quand il s'indignait contre les atrocités commises par les Turcs en Arménie, il éprouvait cette joie de l'orateur de sentir que ceux-là mêmes qui sont séparés de lui par leurs convictions ou par des intérêts de parti sont forcés de l'écouter avec respect et de rendre hommage à la sincérité et à la noblesse de ses sentiments. » En politique extérieure, il approuvait tous les efforts entrepris pour rompre l'isolement de la France, était donc partisan de l'alliance russe et, à une époque où cette attitude était méritoire, de l'alliance britannique ; il demandait que la France, fidèle à sa vocation historique, se prononçât toujours en faveur des opprimés quels qu'ils fussent, « chrétiens, musulmans, juifs, bohémiens ». Dans la querelle religieuse, s'il fut toujours d'une intransigeance absolue sur les principes et s'opposa vivement aux cabinets Waldeck Rousseau et Combes, toute surexcitation des passions lui déplaisait. En 1904 et 1905, il tenta de suprêmes démarches pour conjurer la rupture entre la France et la papauté et, en 1906, il signa la lettre dite des « cardinaux verts » qui envisageait l'acceptation par le pape du régime que la loi voulait imposer à l'Eglise catholique. De même, dans le domaine scolaire, s'il lutta ardemment aux côtés de Chesnelong, fonder la ligue pour la liberté de l'enseignement et, d'autre part, s'inscrire à la société des amis de l'Université, étaient pour lui un seul et même geste ; il voulait aimer la science partout où elle s'enseignait.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclata - elle devait entraîner la mort héroïque de ses fils Jacques et Augustin et de son gendre Bourmont - il élabora, en mai 1915, un rapport sur les poudres et salpêtres dans lequel il traçait un magistral programme d'application de la chimie aux besoins militaires. Le 29 octobre 1915, il accepta d'entrer comme Ministre d'Etat dans le Ministère d'union formé par Aristide Briand (cinquième Cabinet Briand). Il fut tout d'abord envoyé en mission en Grèce où les influences germanophiles qui prévalaient à la Cour suscitaient des craintes sur le sort des divisions alliées envoyées au secours des Serbes. Il reçut un accueil enthousiaste du peuple à Patras et à Athènes et, dans un banquet à Phalère, face à Salamine où, vingt-cinq siècles plus tôt un colosse comparable au colosse germanique avait succombé, il prononça, au dire des témoins, un magistral discours qui permit aux Grecs de trouver dans leur propre passé des raisons de croire à la victoire de la France ; le lendemain, il était proclamé citoyen d'Athènes. Le pouvoir dut s'incliner devant la volonté populaire et la sécurité du corps expéditionnaire fut assurée. À son retour, il fut chargé d'organiser avec rigueur le blocus économique des empires centraux et conserva cette charge comme sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères dans le sixième Cabinet Briand (14 décembre 1916) et le cinquième Cabinet Ribot (20 mars 1917). Il fut entendu à la Chambre et au Sénat dans la discussion d'interpellations sur les mesures à prendre pour rendre le blocus plus efficace (1917) et du projet de loi concernant l'ouverture et l'annulation de crédits sur l'exercice 1917. Parallèlement à sa tâche ministérielle, il nouait, à titre personnel, des négociations épisodiques avec le Saint-Siège pour préserver la paix religieuse et, par ses interrogations officieuses, il provoqua une lettre formelle du cardinal Gasparri qui l'assurait que le Vatican ne ferait rien pour abolir ou diminuer le protectorat de la France dans le Levant.
Il quitta le Ministère, le 2 août 1917, à la suite de divergences de vues avec Ribot sur les questions religieuses, déclarant qu'il n'avait plus de raisons de demeurer dans un Gouvernement où il était censé représenter une « union sacrée » qui, à ses yeux, n'existait plus. Ayant regagné son banc de député, il prit part à la discussion d'une interpellation sur le personnel et l'action diplomatique (1917), et d'une interpellation sur le consortium des métaux et la démobilisation des usines (1919) ; il déposa une proposition de résolution tendant à placer le buste d'Albert de Mun dans une des salles du palais de la Chambre des Députés (1919).
Il préféra renoncer à se représenter aux élections générales de 1919 que de signer les affiches collectives du bloc national où la fermeté des convictions religieuses lui paraissait fléchir. En novembre 1920, il fut frappé d'une attaque de paralysie qui l'immobilisa à son domicile ; mais il continua de conseiller ses amis du Parlement et du monde politique, à écrire des notes pour un ouvrage qu'il espérait publier sur les différences entre la pensée germanique et la pensée française et à publier d'étincelants articles dans le Figaro et le Gaulois ; ses dernières lignes furent consacrées à saluer l'avènement de Pie XI. Il mourut à Paris le 24 mars 1922, à l'âge de 71 ans.
Denys Cochin était membre de l'Académie française où il succéda en 1911 à Albert Vandal.
Outre les ouvrages que nous avons déjà cités, il publia :
- Contre les Barbares (1899),
- L'Esprit nouveau (1900),
- Ententes et ruptures (1906),
- Louis-Philippe (1918).
Après sa mort, ont été publiés :
- La Guerre, le Blocus,
- l'Union sacrée (1923),
- Entre alliés (1924),
- Les organisations du blocus en France pendant la guerre (1926).