Edouard Daladier
1884 - 1970
* : Un décret de juillet 1939 a prorogé jusqu'au 31 mai 1942 le mandat des députés élus en mai 1936
Né le 18 juin 1884 à Carpentras (Vaucluse).
Député du Vaucluse de 1919 à 1942, Député du Vaucluse à la deuxième Assemblée Nationale Constituante en 1946, Député du Vaucluse à l'Assemblée Nationale de 1946 à 1958, Ministre des colonies du 14 juin 1924 au 17 avril 1925, Ministre de la guerre du 29 octobre au 28 novembre 1925, Ministre de l'instruction publique et des beaux-arts du 28 novembre 1925 au 9 mars 1926 et du 19 au 23 juillet 1926, Ministre des travaux publics du 21 février au 2 mars 1930 du 13 décembre 1930 au 27 janvier 1931 et du 3 juin au 17 décembre 1932, Ministre de la guerre du 18 décembre 1932 au 29 novembre 1934 Président du Conseil, Ministre de la guerre du 31 janvier au 25 octobre 1933 Président du Conseil Ministre des affaires étrangères du 30 janvier au 8 février 1934 Vice-président du Conseil, Ministre de la défense nationale et de la guerre du 4 juin 1936 au 21 juin 1937 Ministre de la défense nationale et de la guerre du 4 juin 1937 au 21 juin 1937, Ministre de la défense nationale et de la guerre du 22 juin 1937 au 17 janvier 1938 Vice-président du Conseil, Ministre de la défense nationale et de la guerre du 18 janvier au 9 avril 1938 Président du Conseil, Ministre de la défense nationale et de la guerre du 10 avril 1938 au 13 septembre 1939, puis Ministre des affaires étrangères du 13 septembre 1939 au 20 mars 1940 Ministre de la défense nationale et de la guerre du 21 mars au 18 mai 1940 Ministre des affaires étrangères du 18 mai au 5 juin 1940.
Claude Daladier, boulanger à Carpentras, avait deux fils. L'aîné, Gustave, tôt habitué à mettre la main à la pâte, devint son successeur. Le second, Edouard, montrait des dons particuliers pour les études. On décida qu'il serait professeur. Reçu au concours des bourses en 1894, l'enfant fit ses études secondaires au lycée de la ville. Puis, pour préparer l'Ecole normale supérieure, il entra comme interne au lycée Ampère de Lyon. Mais si l'atmosphère intellectuelle de la « khâgne » lui plaisait, il supportait fort mal la vie cloîtrée du pensionnaire. Aussi, après une année d'internat, préféra-t-il s'inscrire en faculté. Reçu premier de sa série à la licence d'histoire et de géographie, il affronta, en 1909, l'agrégation, où son succès fut plus brillant encore : quatrième après les épreuves écrites, il devança tous ses concurrents lors des exposés oraux. Un membre du jury résumait ainsi l'impression que lui avait faite le lauréat : « Candidat très bien préparé et qui a du talent. Sera sans doute un excellent professeur. »
Le pronostic était juste : pendant les cinq années qui suivent, jusqu'à la guerre, Edouard Daladier sera, à Nîmes d'abord, puis à Grenoble, et enfin au lycée Saint-Charles de Marseille, un « excellent professeur ». Il aurait même pu n'être que cela si, de bonne heure et l'on peut dire dès sa plus petite enfance, la politique n'était intervenue dans sa vie. Républicains de père en fils, les Daladier ont pris vigoureusement parti pour Dreyfus au moment où l' « affaire » divisait la petite ville en deux clans ennemis, et Claude Daladier partage son temps entre sa boulangerie et le Conseil municipal. A Lyon, le jeune « khâgneux » a pour professeur un homme de haute culture qui est aussi un « politique » passionne : Edouard Herriot, l'autre « Edouard » qu'il retrouvera en mainte circonstance de sa carrière. Aussi ne faut-il pas s'étonner si le professeur d'histoire - dont un inspecteur général, M. Gallouédec, note avec un soupçon d'inquiétude le « ton combatif », l'allure de « chef de groupe » - s'occupe dès l'hiver 1911, de constituer à Carpentras une liste pour les élections municipales et fonde, pour faire connaître ses idées, un mince hebdomadaire, Le Coq, «journal des hommes nouveaux».
Malgré la coalition des extrêmes - réactionnaires et socialistes, - la liste « radicale » obtient vingt élus au second tour et Edouard Daladier devient maire de Carpentras. Germinal, «journal républicain d'extrême gauche » succède au Coq. Les articles que son directeur y publie régulièrement témoignent d'un double souci : «maintenir à tout prix l'indépendance du pays», «lutter avec énergie contre les abus». Intransigeant sur le chapitre du patriotisme, Edouard Daladier ne croit pas aux doctrines extrêmes en matière sociale. Le collectivisme lui semble généreux, mais chimérique ; il préfère, pour sa part, un plan de réformes pratiques, que l'on appliquera avec méthode et ténacité, « sans jamais reculer ».
Les événements ne lui laisseront pas le loisir de développer ce plan : la guerre approche. La défense nationale passe donc avant tout. En 1913, Edouard Daladier fait campagne pour la loi de trois ans et lorsqu'au printemps de 1914, il se porte candidat pour la première fois aux élections législatives, à Marseille, c'est encore ce thème qu'il développe dans ses conférences. Distancé au premier tour, il se désiste, comme l'exige la discipline républicaine, en faveur du candidat de gauche le mieux placé : le député sortant Guichard.
Mobilisé dès le 1" août 1914, il est d'abord versé dans un régiment de marche de la Légion étrangère. En 1918, après avoir traversé quelques-unes des batailles les plus meurtrières de la guerre, il se retrouve lieutenant, décoré de la croix de guerre avec quatre citations, mais hanté, aussi, par le souvenir des conditions dans lesquelles ont été gaspillées tant de vies humaines ; la doctrine militaire qu'il élaborera quelques années plus tard - et peut-être toute sa vie politique - seront la conséquence de cette douloureuse expérience.
Quelques mois après sa démobilisation, en mars 1919, Edouard Daladier épouse la fille d'un médecin parisien, Madeleine Laffont, dont il aura deux fils, et vient s'installer à Paris, où il a été nommé professeur au lycée Condorcet. Il n'exercera ses fonctions qu'un mois : les radicaux du Vaucluse le pressent de se présenter aux élections législatives du 16 novembre. Candidat à Avignon, il est élu à la plus forte moyenne, par 19.641 voix, sur 47.428 votants, second de la liste du parti républicain.
A la Chambre, le nouveau député se tient d'abord sur une prudente réserve : il observe, il écoute, il réfléchit. La guerre a profondément transformé la physionomie de l'Europe. Quelle doit être, face à cette situation nouvelle, la politique extérieure de la France ? Telle est la première question que se pose Edouard Daladier. Membre de la Commission des affaires étrangères, lorsqu'il affronte la tribune, c'est pour critiquer l'expédition française en Syrie et inviter le Gouvernement à « tenir compte des événements » qui se sont produits en Russie, autrement dit à prendre contact avec le Gouvernement des Soviets, au lieu de rester dans une réserve méprisante. Lui-même, pour se faire une idée précise de la réalité soviétique, accompagne Edouard Herriot qui se rend en Russie au cours de l'été 1922. Mais une politique extérieure ferme et réaliste suppose une défense bien assise. L'ancien combattant du Mort Homme a, sur ce point des idées arrêtées qu'il expose pour la première fois au cours du projet de loi sur le recrutement de l'armée en 1923. A ses yeux, le problème est moins d'avoir une armée nombreuse que d'avoir une armée forte, solidement équipée. S'il oppose au projet du Gouvernement une solution transactionnelle qui permettrait de ramener le service militaire a un an, c'est parce que sa principale préoccupation est de doter la France d'un appareil militaire moderne. L'industrie a gagné la guerre : à elle maintenant de garantir la paix en fournissant au pays les moyens de défense dont il a besoin. Lorsqu'arrivent les élections de 1924, le Cartel des gauches, dirigé par Painlevé et Herriot, charge Edouard Daladier de rédiger, dans le volume programme sur la «politique républicaine », le chapitre consacré à la défense. Le député du Vaucluse y souligne la nécessité de liaisons régulières entre l'Etat-major, la science et l'industrie, pour préparer une mobilisation industrielle méthodique et demande qu'un gros effort soit fait dans le domaine du matériel.
Le corps électoral donne raison aux « professeurs » qui dirigent le Cartel. Après la démission de Millerand et son remplacement à la présidence de la République par Doumergue, Herriot est chargé de former le nouveau ministère. Edouard Daladier, qui a été réélu député le 11 mai, tête de liste du Cartel des gauches avec 28.949 voix sur 53.584 votants, devient, le 14 juin 1924, Ministre des colonies. Il va faire à ce poste l'apprentissage du pouvoir. Le domaine sur lequel s'étend sa compétence est très vaste, les problèmes qu'il doit traiter nombreux et divers. Soucieux avant tout de développer l'économie des pays d'outre-mer, et singulièrement de l'Afrique, Edouard Daladier lance un programme de grands travaux, accorde une attention particulière à l'hygiène et à l'assistance médicale, met sur pied le projet de liaison ferroviaire Congo-Océan, et surtout décide de créer la Banque d'Etat de Madagascar. Ce dernier projet, qui se heurte, bien entendu, à l'hostilité des banques privées, lui permet de mesurer la force du fameux « mur d'argent » contre lequel le ministère tout entier, paralysé par les difficultés financières, vient buter le 10 avril 1925. Edouard Herriot, renversé au Sénat, cède la place à Paul Painlevé. Le nouveau Gouvernement dure six mois. Renversé le 27 octobre, Painlevé se succède à lui-même, le 29, pour une durée plus brève encore. Edouard Daladier, qui s'est vu confier le portefeuille de la guerre, ne restera qu'un mois à ce poste, le temps de prendre contact avec ses services. Le 28 novembre 1925, Briand remplace Painlevé. Cette fois, le député du Vaucluse est chargé de l'Instruction publique et des Beaux-arts. Il occupera cette fonction jusqu'au remaniement ministériel qui suit le départ de Loucheur. Le successeur de Loucheur, Paul Doumer, ayant préparé et fait adopter par le Gouvernement des projets financiers qu'il estime à la fois maladroits et inefficaces, il démissionne. Quelques mois plus tard, il se retrouve rue de Grenelle pour cinq jours : à peine né, le Cabinet Herriot est renversé, le 24 juillet 1926. Cette chute sonne le glas du Cartel.
Pendant les quatre années qui suivent, Edouard Daladier, redevenu simple- député, se consacre à son mandat et à son parti. Il Intervient à la Chambre. Mais ses discours, prononcés d'une voix bien timbrée, à l'éloquence puissante et rigoureuse, provoquent toujours une profonde impression. C'est ainsi qu'en 1927, à l'occasion des débats sur l'organisation de l'armée, il développe à nouveau ses idées sur la défense nationale.
A l'automne 1927, le parti radical tient son congrès à Paris. L'atmosphère est mauvaise. Après l'échec du Cartel, les députés radicaux se sont divisés en trois fractions : les uns votent pour le Gouvernement, les autres votent contre, un troisième groupe s'abstient. Devant ces querelles intérieures qui menacent de désagréger le parti, les amis d'Edouard Daladier, estimant qu'il est seul capable -de redresser la barre, le poussent à la présidence. Elu sans concurrent le député du Vaucluse se met aussitôt à la tâche, avec la force de travail, l'esprit d'organisation et l'entêtement qui le caractérisent. Il réussira si bien que l'année suivante, au congrès de Reims, les militants réélisent par acclamations l'homme qui a su leur rendre à la fois une doctrine et l'unité. Entre temps ont eu lieu les élections de 1928, qui marquent le retour au scrutin d'arrondissement. Négligeant Avignon où son succès serait facile, Edouard Daladier choisit une circonscription dont personne ne veut : Orange. Contre un candidat communiste solidement appuyé et un candidat modéré, l'un et l'autre venus de Paris, il mène une campagne très dure. Une impressionnante réunion contradictoire a lieu au théâtre antique, où se pressent plusieurs milliers d'électeurs. Arrivé de justesse en tête au premier tour, le 22 avril, il est élu au second, le 29 avril, par 7.772 voix contre 3.923 à M. Fontenay et 2.895 à M. Mittler, sur 14.822 votants.
Une nouvelle crise ministérielle éclate pendant le congrès de Reims. Appelé par Doumergue comme chef du parti le plus important de l'opposition, Edouard Daladier tente pour la première fois de former un ministère. Mais après de longs pourparlers, les socialistes lui refusent leur concours et il est obligé de renoncer. Trois mois plus tard, il devient Ministre des travaux publics dans un ministère Chautemps qui ne durera qu'une journée : il est renversé le jour même de sa présentation devant les Chambres. A l'automne 1930, le parti radical décide de réformer ses statuts pour permettre à son président de rester à sa tête. Auprès des radicaux comme du Parlement, l'autorité d'Edouard Daladier ne cesse de grandir. L'homme est intègre, travailleur et se fait une haute idée des devoirs d'un homme politique. Dans la période d'instabilité que traverse le pays, il apparaît comme un des seuls hommes d'Etat susceptibles de redresser une situation déjà fort compromise. Mais il lui faudra attendre trois ans l'occasion de donner sa mesure et, entre temps, les choses auront gravement empiré.
Après un intermède ministériel de cinq semaines aux travaux publics, sous la présidence de Steeg (13 décembre 1930 - 22 janvier 1931), c'est au sein du Parlement qu'il s'efforce d'agir et d'imposer ses idées. Il intervient à plusieurs reprises en 1930 et en 1931 sur les questions agricoles, pour la protection de l'épargne, et pour l'arbitrage. Les débats budgétaires lui permettent de faire de nouvelles propositions sur l'organisation de la défense. Préoccupé, d'autre part, par la crise économique, il expose dans un long discours sa conception d'un projet d'outillage national et dresse un vaste programme d'équipement.
Aux élections générales du 1er mai 1932, Edouard Daladier est réélu sans difficultés au premier tour de scrutin, par 9.148 voix contre 2.038 à M. Guilloré, sur 13.767 votants. Un ministère Herriot (3 juin-14 décembre) inaugure la nouvelle législature. Le député du Vaucluse y retrouve le portefeuille des travaux publics. Son premier souci est de réduire le déficit des chemins de fer qui a doublé en un an. Après une étude du dossier, il conclut à la nécessité d'une fusion des réseaux. Reprenant ensuite l'étude de son projet de 1931, il dresse un programme de travaux échelonnés sur cinq ans, concernant aussi bien l'équipement ferroviaire que les routes et les liaisons fluviales, et dont l'utilité militaire n'est pas moins importante à ses yeux que l'intérêt économique. La Compagnie nationale du Rhône est paralysée depuis plusieurs années parce qu'elle n'a pas de président. Par décret rendu en Conseil des Ministres, il nomme le Sénateur Perrier, qui se révèle un animateur exceptionnel.
Au milieu de ce travail, de graves préoccupations familiales l'assaillent : Mme Daladier, malade depuis longtemps, meurt à l'automne 1932. Peu après, Edouard Daladier devient Ministre de la guerre dans un Cabinet Paul Boncour, qui durera du 18 décembre 1932 au 28 janvier 1933. C'est, comme toujours, sur un projet financier, comportant cette fois cinq milliards et demi de recettes nouvelles, que le Gouvernement est renversé. Albert Lebrun fait alors appel à Edouard Daladier. Comme en 1928, le député du Vaucluse souhaite obtenir le concours des socialistes. Mais la situation financière est grave : le déficit atteint 10 milliards. Obligé de faire appel à l'épargne, et désireux, au moins dans un premier temps, de ne pas l'effrayer par la menace des mesures hardies que préconisent Léon Blum et ses amis, Edouard Daladier se limite à un programme d'urgence et constitue un Cabinet radical, sans la participation du groupe socialiste, mais avec son soutien. Sa déclaration ministérielle, que la Chambre approuvera par 370 voix contre 200 est exempte d'illusions. Il évoque « l'inquiétude des esprits », met en garde le pays contre les « solutions d'aventure » et assure un premier train de mesures financières. Quoiqu'il ne comble qu'une partie du déficit (cinq milliards environ), ce projet, critiqué de toutes parts, provoque une vive agitation dans le pays. La droite d'un côté, la majorité des socialistes de l'autre, répugnent à le voter. Il est néanmoins adopté après de longues discussions dans les deux Assemblées. Avec six mois de retard, le Parlement aborde ensuite la discussion budgétaire, qui ne s'achèvera que le 8 juillet. Les adversaires du régime, parmi lesquels des journaux comme L'Action Française et L'Ami du Peuple se distinguent par leur véhémence, en tirant argument pour développer leur propagande anti-parlementaire.
Tandis que le nouveau Président du Conseil se débat ainsi avec des difficultés intérieures considérables, la situation, au dehors, s'assombrit. Le jour même de son arrivée au pouvoir, l'Allemagne s'est donné un nouveau chancelier, Adolf Hitler, qui ne tarde pas à monopoliser tous les pouvoirs. Edouard Daladier répugne à négocier avec ce dictateur au nationalisme agressif, Mais pour contenir ses ambitions, il ne peut s'appuyer ni sur une Société des Nations moribonde, ni sur une Conférence du désarmement qui a fait, depuis un an, la preuve de son impuissance. II se rallie donc, malgré la vive résistance des milieux de gauche anti-fascistes, en France, et les critiques de 'nos alliés d'Europe Orientale, à la proposition d'un «pacte à quatre » (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie) que Mussolini a reprise au début de 1933 et que Hitler se déclare prêt à accepter. Le pacte est signé à Rome le 7 juin 1933. Il ne sera jamais ratifié. Dès la fin de la même année, Hitler fait son premier coup d'éclat : sous prétexte qu'on ne reconnaît pas à son pays l' « égalité des droits», il retire la délégation allemande de la Société des Nations et de la Conférence du désarmement. Le 12 novembre, de nouvelles élections en Allemagne lui assurent une majorité écrasante.
La situation est désormais claire : tous les esprits lucides - et le Président du Conseil français est de ceux-là - comprennent que le nouveau gouvernement allemand ne reculera devant rien pour satisfaire ses revendications. Contre ce danger nouveau, une solide organisation défensive est plus nécessaire que jamais. Edouard Daladier, qui a conservé le portefeuille de la guerre, prépare un projet qui reprend ses idées de 1927 : derrière un « bouclier » de fortifications frontalières, il veut mettre en place un petit nombre de divisions motorisées « extrêmement puissantes et mobiles », susceptibles de combler les brèches creusées par l'ennemi. Pendant l'été 1933, il a parcouru les frontières, observé les lacunes de notre système défensif, activé les programmes de fortification et d'armement. Mais une nation peut-elle être forte militairement si son équilibre intérieur reste précaire, ses finances menacées ? Le déficit budgétaire atteint encore 6 milliards. Pour compléter l'effort de redressement qui a marqué son arrivée au pouvoir, Edouard Daladier prépare un second train de mesures financières qu'il soumet au Parlement dès la rentrée d'automne. Critiqué par les associations d'anciens combattants et par les fonctionnaires qui voient leurs pensions et leurs traitements menacés, ce projet est rejeté par les socialistes. Apres un dialogue pathétique entre Edouard Daladier et Léon Blum, le 23 octobre, le Cabinet est renversé par 329 voix contre 241.
Deux courts ministères lui succèdent : le Cabinet Sarraut (27 octobre-23 novembre) et un Cabinet Chautemps (26 novembre 1933-27 janvier 1934). Edouard Daladier y conserve ses fonctions de Ministre de la guerre. Tandis que Sarraut tombe à son tour sur la question financière, c'est une affaire apparemment beaucoup plus mince qui va causer la chute de Chautemps et mener la France au bord de la guerre civile : exploitée par la presse de droite et par les ligues « patriotiques », favorables à un régime fort, l'escroquerie de Stavisky prend bientôt l'allure d'un scandale national. Plusieurs ministres sont accusés d'avoir facilité les opérations de l'escroc, et le Président du Conseil, lui-même, est mis en cause par L'Action Française et par des députés de l'opposition comme Philippe Henriot. Pour un grand nombre de Français de bonne foi, et surtout pour les anciens combattants, le parti radical devient le responsable de toutes les difficultés du pays. Obligé de se retirer devant une vague de protestation qui rassemble, sous la houlette des défenseurs de l' « ordre », les mécontents les plus divers, Camille Chautemps cède à Edouard Daladier une difficile succession.
Le député du Vaucluse forme son Cabinet le 30 janvier. Un de ses premiers gestes est de déplacer le Préfet de police, Jean Chiappe, soupçonné de faiblesse à l'égard des ligues. Cette mesure provoque une vive émotion dans Paris. Deux ministres, Piétri et Fabry, démissionnent. Le 6 février, lorsque Edouard Daladier se présente devant la Chambre avec un Cabinet hâtivement remanié, c'est l'émeute. On se bat place de la Concorde et les manifestants menacent de prendre le Palais Bourbon d'assaut. La bataille, marquée par plusieurs épisodes sanglants, dure toute la nuit et fait 16 morts et des centaines de blessés. Edouard Daladier a un tempérament de lutteur : l'orage qu'il avait prévu ne l'effraie pas. Mais pour rétablir l'ordre, il lui faudrait, avec l'accord du Parlement, proclamer l'état de siège. Les présidents des Chambres, les principaux chefs de partis consultés, se déclarent opposés à une telle décision. Plusieurs ministres menacent de se retirer. Le Président de la République, lui-même, expose au Président du Conseil qu'il est de l'intérêt de sa « carrière future » de passer la main. Le 7 février, à 14 heures, Edouard Daladier se résout à démissionner.
Pour rétablir le calme, on fait appel à l'ancien Président de la République, Gaston Doumergue. Revenu de sa retraite de Tournefeuille, Doumergue constitue, le 9 février, un ministère d'union, où Herriot, ministre d'Etat, représente le parti radical, et qui restera au pouvoir neuf mois. Lui succéderont un Cabinet Flandin (8 novembre 1934-31 mai 1935) et, après un éphémère Gouvernement Buisson, un Cabinet Laval (7 juin 1935-22 janvier 1936) et un Cabinet Sarraut (24 janvier-4 juin 1936). Cette période marque un tournant de l'histoire de la Troisième République.
A l'extérieur, Hitler ne cesse de marquer des points. La Conférence du désarmement s'achève, en juin 1934, sur un échec. Le 25- juillet, le Chancelier autrichien Dollfuss est assassiné par les nazis. Le 13 janvier 1935, le plébiscite sarrois donne une écrasante majorité à l'Allemagne. Le 15 mars, un grand débat sur l'organisation militaire a lieu à la Chambre. L'Etat-major demande le rétablissement du service de deux ans. Fidèle à sa conception traditionnelle d'une organisation défensive fondée essentiellement sur la « mobilisation industrielle », Edouard Daladier combat le projet, avec Léon Blum. Le Gouvernement l'emporte par 340 voix contre 210. Le lendemain, 16 mars, Hitler qui, en fait, a déjà commencé à réarmer, dénonce officiellement les clauses militaires du traité de Versailles. La diplomatie française, menée successivement par Barthou, puis par Laval, cherche à l'Est des alliances qui permettraient de faire contrepoids à la pression germanique. Le principal résultat de ces efforts est la signature du pacte franco-soviétique que la Chambre ratifie le 27 février 1936. Mais n'étant assorti d'aucune convention militaire, ce pacte reste théorique, et Hitler en profite pour dénoncer le traité de Locarno et réoccuper la rive gauche du Rhin. Il serait encore temps de réagir. Malheureusement, le Gouvernement français ne peut compter ni sur la Société des Nations, dont l'impuissance est maintenant évidente, ni sur la Grande-Bretagne qui se refuse à prendre conscience du péril, ni sur l'Italie, que la guerre d'Ethiopie et l'affaire des « sanctions » vient de rejeter dans le camp allemand. Il cède d'autant plus volontiers que l'approche des élections rend sa position plus précaire.
A l'intérieur, la menace des Ligues a provoqué un regroupement des forces de gauche. Dès mars 1934, sur l'initiative de quelques intellectuels, s'est fondé un « Comité d'action antifasciste et de vigilance », première amorce du Front populaire. Edouard Daladier, à la tête de l'opposition radicale, va jouer dans la formation de ce Front un rôle décisif. L'obstacle communiste une fois levé par la signature du pacte franco-soviétique, un « comité de Rassemblement populaire » est créé le 8 janvier 1935. Le 14 juillet, 300.000 personnes défilent de la place de la Bastille au Cours de Vincennes. Le député du Vaucluse y participe au coude à coude avec Léon Blum, Maurice Thorez et le professeur Lange-vin. Dans son esprit ce rassemblement a pour but essentiel et unique de barrer la route au « fascisme étranger ». Il s'en explique en ces termes devant le congrès de Wagram, en 1935 : « L'adhésion au Front populaire n'implique d'aucune manière la moindre atteinte à l'autonomie nécessaire des partis politiques, bien au contraire ; mais elle les place tous sur le terrain commun de l'action et du combat pour la défense de la liberté, du travail et de la paix. »
Un programme commun, très général, élaboré en vue des élections, est publié le 10 janvier 1936. Le 14 janvier, le parti radical, en élisant Edouard Daladier à la tête de son Comité exécutif, marque son accord complet avec la politique d'union qu'il préconise. Les élections des 26 avril et 3 mai marquent le triomphe de cette politique. Le déplacement des voix est mince ; mais la discipline du Front populaire a joué assez rigoureusement, au second tour, pour que les partis de gauche obtiennent une majorité de 386 sièges.
Réélu à Orange, au premier tour de scrutin, par 7.922 voix contre 4.824 à M. Chartier, sur 15.471 votants, Edouard Daladier entre dans le Gouvernement de Léon Blum, formé le 5 juin, comme Ministre de la guerre. Ce Gouvernement se heurte immédiatement à une grave agitation sociale que les « accords Mati gnon », passés avec le patronat dès le 8 juin, parviendront difficilement à faire cesser. Peu après la grandiose manifestation du 14 juillet 1936, qui marque l'apogée du Front populaire, la guerre d'Espagne éclate. Faut-il intervenir pour soutenir les Républicains, comme le réclament de nombreuses organisations de gauche ? Ce serait dans la logique du Front ; mais ce serait aussi courir le risque d'une guerre générale dont personne ne veut et à laquelle la France est d'autant moins préparée que son économie, freinée par la loi de 40 heures, reste stagnante, que les capitaux boudent, que la situation financière va se dégradant. Le 28 septembre, le Gouvernement est obligé de dévaluer. Le fossé entre les partisans de l' « ordre » et les «anti-fascistes » se creuse. Au sein même du Front populaire, les premières fissures commencent à apparaître. L'espoir immense éveillé par sa victoire dans les masses comporte en effet un danger qu'Edouard Daladier, conscient des devoirs de sa charge, a tout de suite aperçu : dans une Europe tranquille, où chaque Gouvernement ne se soucierait que d'améliorer le sort de ses citoyens, la lutte pour le progrès social pourrait passer avant toutes les autres préoccupations. Mais dans une Europe où la fièvre monte, où les nuages s'amoncellent, l'action revendicative, pour justifiée qu'elle soit, risque d'entraîner de nouveaux désordres et d'affaiblir le potentiel défensif de la Nation. Le Ministre de la guerre ne se contente pas de réorganiser, en les coordonnant sous sa direction, les trois départements militaires, de faire adopter un programme d'armements de plus de 18 milliards, de mettre à l'étude un projet de loi sur l'organisation de la Nation en temps de guerre, de passer commande d'avions aux Etats Unis, de poursuivre le programme de fortifications, de veiller au moral des troupes. Il prend nettement position, dans plusieurs discours publics au sujet de l'agitation sociale : « Le champ de revendications ne saurait être illimité. Il faut bien tenir compte des possibilités de l'économie qui, à l'heure présente, exige surtout l'accroissement de la production... Pour que la France soit libre et heureuse, il faut qu'elle soit forte. » Le 13 février 1937, dans son discours sur la « pause » financière et économique, le Président du Conseil lui-même se rallie à ces vues. Il annonce de nouveaux impôts, le lancement d'un emprunt et demande la possibilité d'agir par décrets-lois pour redresser la situation. Mais la méfiance des banques et de ceux que l'on appelle alors « les deux cents familles » est la plus forte. Vainqueur à la Chambre, Léon Blum est battu au Sénat. Il démissionne le 21 juin, sans même poser la question de confiance.
Trois Ministères se succèdent du 21 juin 1937 au 10 août 1938 : les deux premiers sont présidés par Camille Chautemps, le second par Léon Blum. Au cours de ces huit mois, Edouard Daladier qui a conservé le portefeuille de la guerre voit avec tristesse la situation empirer au dedans comme au dehors. Les difficultés financières ne sont pas résolues, la guerre d'Espagne a relancé l'hostilité des syndicats au Gouvernement, qui s'efforce en vain d'obtenir l'allongement de la durée de travail dans certains secteurs, les querelles s'aggravent entre socialistes et radicaux. L'Italie quitte la Société des Nations le 11 décembre 1937. Le 11 mars 1938 c'est l'Anschluss. La France se trouve ce jour-là sans Gouvernement : Chautemps a démissionné la veille et l'Europe assiste sans réagir à ce nouveau coup de force. Lorsque Léon Blum tombe pour la seconde fois devant l'hostilité du Sénat, le 10 août 1938, c'est à Edouard Daladier que le Président de la République fait appel.
Le député du Vaucluse forme aussitôt un Cabinet à prédominance radicale, avec quelques socialistes indépendants et des modérés. Georges Bonnet est aux Affaires étrangères, Paul Marchandeau aux Finances. Le Président du Conseil a gardé pour lui la défense nationale et la guerre. Dès les premiers mots de sa déclaration ministérielle apparaît l'inquiétude qui le hante : « Un grand pays libre ne peut être sauvé que par lui-même. Le Gouvernement de défense nationale qui se présente devant vous est décidé à être l'expression de cette volonté de salut.» Affirmant ensuite que le « salut du pays se présente comme un bloc », Edouard Daladier définit les exigences essentielles de la défense : une monnaie saine, une économie vigoureuse, l'application sans défaillance du programme d'armements mis en train depuis 1936, la « défense républicaine » et « l'application de tous les pactes et traités » que la France a conclus. Remarquable par sa brièveté et sa sobriété, ce discours s'achève sur l'affirmation de la volonté pacifique de la France. Mais l'orateur, ni ceux qui l'écoutent, ne peuvent nourrir beaucoup d'illusions : dans sa lutte désespérée pour sauver la paix, le Gouvernement français risque, comme tous ses prédécesseurs, de ne trouver que des appuis précaires. Il lui faut donc à la fois préparer le pays au conflit qui s'approche et mettre tout en œuvre pour éviter que la France ne l'aborde seule. Telles sont les deux constantes de la politique que mènera Edouard Daladier jusqu'a septembre 1939.
Pour parer d'abord au plus pressé, il demande les pleins pouvoirs en matière financière. Le Parlement les lui ayant accordés à l'unanimité des votants, il majore quelques impôts et procède à une légère dépréciation de la monnaie. Pendant ce temps, le 21 avril 1938, le leader nazi des Sudètes, Henlein, publie son programme autonomiste que le président Bénès ne peut que repousser. Après l'Autriche, la Tchécoslovaquie : comment prévenir cette nouvelle crise ? La France est liée à la République tchécoslovaque par le traité signé en 1925 à Locarno. La Grande-Bretagne, elle, n'a pris aucun engagement. Le 8 avril, le Président du Conseil et son Ministre des Affaires étrangères se rendent à Londres pour sonder les intentions du Gouvernement britannique. Ils n'obtiennent qu'une promesse- de « bons offices » qui se traduira, au cours de l'été, par l'envoi de la mission Runciman. L'accueil triomphal fait aux souverains britanniques en juillet ne change rien à la situation : si la France décidait, en cas de conflit, de se porter au secours de la Tchécoslovaquie, elle ne pourrait compter sur l'assistance anglaise. A l'Est, la situation n'est guère meilleure. L'Union soviétique a signé, elle aussi, un pacte avec la Tchécoslovaquie en 1925 ; mais les deux pays n'ont pas de frontière commune. Ce pacte ne peut donc jouer que si la Pologne et la Roumanie acceptent le passage. des troupes russes sur leurs territoires. Mais elles s'y refusent obstinément.
En France même, la politique de réarmement se heurte - outre de nombreuses difficultés techniques - au problème que le Ministre de la guerre avait rencontré dès 1936 : la semaine de quarante heures, les congés payés sont des conquêtes assez chèrement acquises pour que les syndicats n'acceptent pas de les remettre en question ; mais si la France veut rattraper le retard qu'elle est en train de prendre sur l'Allemagne, où les usines militaires travaillent sans relâche, il est indispensable d'accélérer la mobilisation industrielle. La force des démocraties, qui réside dans la liberté, fait aussi leur faiblesse. Comment convaincre l'opinion du péril sans recourir à des méthodes arbitraires ? Après avoir fait voter par le Parlement, en juillet 1938, la loi sur l'organisation de la nation en temps de guerre, le Président du Conseil décide de s'adresser directement au pays. Dans un discours radiodiffusé, le 21 août, il lance un cri d'alarme et demande aux Français de méditer les exemples étrangers. « Tant que la situation internationale demeurera aussi délicate, il faut qu'on puisse travailler plus de quarante heures, et jusqu'à quarante-huit heures, dans les entreprises de la défense nationale. » Si l'on veut sauver, non seulement la paix, mais la monnaie et les conquêtes sociales de 1936, l'heure est venue de « remettre la France au travail ». Le moins qu'on puisse dire est que cet appel reçoit un accueil mitigé. Le Gouvernement même est divisé, et deux ministres, P.-O. Frossard et Paul Ramadier, démissionnent.
Peu après, la crise tchèque éclate. On sait dans quelles conditions. Le plan de compromis laborieusement établi par Neville Chamberlain et Edouard Daladier et accepté, en désespoir de cause, par Bénès, est rejeté par Hitler et Mussolini. La guerre paraît inévitable. Le 24- septembre, le Gouvernement français décide de rappeler 400.000 réservistes. Le 26, Chamberlain écrit à Hitler que « si la France était entraînée à des hostilités contre l'Allemagne, le Royaume-Uni se sentirait obligé de lui venir en aide ». Le 27, Roosevelt adjure le Gouvernement allemand de ne pas rompre les négociations et suggère la réunion d'une conférence. Est-ce l'effet de cet appel ? Hitler qui, dans la soirée du 26, avait prononcé un discours très violent, accepte qu'une conférence se réunisse à Munich, le 29, à condition que la Russie et la Tchécoslovaquie en soient exclues. Après des négociations difficiles où la rupture a été évitée de justesse, l'esprit de modération de Neville Chamberlain l'emporte. L'accord est 'signé dans la nuit.
Officiellement, c'est la fin du cauchemar. Mais Edouard Daladier n'ignore pas qu'il s'agit, en fait, d'une trêve, et il est le premier surpris de l'accueil triomphal que lui fait la population parisienne à son retour. A la Chambre, quelques députés seulement, hormis les communistes, critiquent l'accord de Munich. Dans un discours d'une grande franchise, le Président du Conseil s'attache à le justifier. Mais, ajoute-t-il aussitôt, « la paix sauvée ne saurait être le signal de l'abandon. Elle doit marquer, au contraire, un nouveau sursaut des énergies de la nation française. Je vous le dis avec toute la force de conviction dont je suis capable : si le pays devait s'abandonner et si le maintien de la paix n'était, pour lui qu'une raison d'insouciance, nous irions avec rapidité, avec plus de rapidité que vous ne pourriez le croire, à des lendemains redoutables. » Le 5 octobre, l'accord est approuvé par 535 voix contre 75. Au Sénat, il ne suscite presque aucune opposition.
Aussitôt après, le Gouvernement demande au Parlement une délégation de pouvoirs étendue qui lui permettra, tout a la fois, d'accélérer le programme d'armements, de lancer des fabrications nouvelles et de restaurer les finances de l'Etat. Le 2 novembre, Paul Reynaud remplace Marchandeau aux Finances. Il soumet au Gouvernement un programme draconien comprenant plusieurs milliards d'impôts nouveaux, le rétablissement de la semaine de quarante-huit heures dans certaines usines et une série de mesures qui reviennent sur les conquêtes du Front populaire ; incontestablement efficaces sur le plan financier, les décrets-lois Reynaud, que la Chambre approuve par 7 voix de majorité seulement, provoquent un tollé dans les organisations ouvrières. Une grève générale-est décidée pour le 30 novembre. Edouard Daladier refuse de céder à la menace et, s'adressant de nouveau à la Nation, comme il l'avait fait le 21 août, rappelle l'impérieuse nécessité d'une production accrue : « Une seule journée de désordre, dit-il, diminuerait la position de la France. » La grève échoue. Mais le climat social reste alourdi.
Au dehors, comme il était facile de le prévoir, Hitler, encouragé par ses précédents succès, lance déjà de nouvelles revendications. La Tchécoslovaquie n'est plus seule en cause : déjà se pose le problème polonais. Obsédé par l'idée de gagner du temps - le temps qui lui permettrait de renforcer le potentiel défensif de la France, et peut-être de lui assurer enfin les concours dont elle a besoin pour résister aux prétentions des régimes totalitaires - le Président du Conseil se rend compte que la trêve risque d'être encore plus courte qu'il ne l'avait prévu. La France est liée depuis 1921 à la Pologne par une alliance beaucoup plus étroite que celle qu'elle avait signée avec la Tchécoslovaquie. Mais l'opinion française n'est guère favorable à la Pologne, qui pratique depuis plusieurs années une politique équivoque « de balance » entre l'Allemagne et la Russie et qui n'a pas hésité, au moment de Munich, à participer au dépouillement de la République tchécoslovaque. Aussi, lorsqu'à l'automne 1938, Hitler formule officiellement ses revendications sur Dantzig, le Gouvernement hésite-t-il entre deux politiques : l'une qui consisterait à détourner l'agression allemande vers l'Est, en dénonçant purement et simplement l'alliance franco-polonaise, l'autre qui consisterait à tenir envers et contre tout les engagements de 1921, renouvelés à Locarno. La signature à Paris, le 6 décembre, d'une déclaration franco-allemande, semble indiquer qu'il a choisi la première solution. En fait, il s'est contenté de temporiser, espérant qu'une négociation permettra, cette fois encore, de sauver la paix.
En 1938, les revendications italiennes viennent s'ajouter aux revendications allemandes. A Rome, des députés réclament le retour à l'Italie de la Savoie, de la Corse, de la Tunisie, de Djibouti, et Mussolini dénonce les accords franco-italiens de 1935. La réaction d'Edouard Daladier est immédiate : au cours d'un voyage officiel en Corse et en Afrique du Nord, il affirme avec force que la France « ne cédera jamais un pouce des territoires qui lui appartiennent ». Son obstination commence à porter ses fruits. Tandis que la production d'armements progresse, que les premiers avions de combat commencent à sortir des usines ou à arriver des Etats-Unis, la violente campagne menée en Grande-Bretagne par Churchill et les anti-munichois secoue enfin l'opinion. Chamberlain, renonçant à sa politique d' «apaisement », semble s'engager dans la voie de la résistance. Le Parlement britannique vote des crédits militaires importants et, lorsque, le 15 mars, au mépris de l'accord de Munich, l'Allemagne annexe purement et simplement la Tchécoslovaquie, l'émotion est intense en Grande-Bretagne. Certes, rien ne peut plus être fait - sinon des protestations platoniques - pour sauver le malheureux Etat tchécoslovaque. Mais le Président Lebrun, au cours du voyage officiel qu'il accomplit à Londres, du 21 au 24 mars 1939, peut constater l'indignation des Anglais devant le « coup de Prague ».
Entre temps, Edouard Daladier a demandé au Parlement de lui accorder des pleins pouvoirs, non plus seulement en matière financière, mais pour « prendre l'ensemble des mesures exceptionnelles qu'exige la sécurité du pays ». Il s'en explique après le vote, dans un discours radiodiffusé du 29 mars. Ces pleins pouvoirs lui permettront notamment de porter à quarante-cinq heures la durée normale du travail et d'établir un impôt extraordinaire sur les bénéfices des industries de guerre. Mais plus importante encore que cette loi est la déclaration que, deux jours plus tard, après le refus catégorique opposé par le Gouvernement polonais à toute modification du statut de Dantzig, le Premier Ministre Britannique fait devant la Chambre des Communes. Pour la première fois, ce jour-là, le Gouvernement de Sa Majesté accepte de s'engager inconditionnellement sur le continent : si l'indépendance de la Pologne était menacée, la Grande-Bretagne lui accorderait son « complet appui ». Le 29 avril, le Parlement britannique rétablit le service militaire obligatoire.
Rassuré de ce côté, Edouard Daladier va tenter un ultime effort pour obtenir le soutien soviétique. Tenue à l'écart de la conférence de Munich, rendue méfiante par la déclaration du 6 décembre, l'Union soviétique ne manifeste aucun enthousiasme pour signer avec la France et la Grande-Bretagne un pacte de garantie contre une agression de l'Allemagne. Certains pensent même que Staline, qui sait son armée hors d'état de faire face à un conflit, ne serait pas fâché de laisser les « loups impérialistes » se manger entre eux. Les négociations engagées au début de l'été 1939 achoppent sur le problème des frontières communes. Le 14 août, le maréchal Vorochilov demande au chef de la mission française, le général Doumenc, l'assurance qu'en cas de guerre la Pologne laissera passer les troupes russes sur son territoire. Cette exigence est soumise au gouvernement de Varsovie qui l'écarte de nouveau. Après plusieurs jours de palabres, à bout de patience, Edouard Daladier, le 21 août, convoque l'ambassadeur de Pologne et lui fait comprendre que si le Gouvernement polonais persistait dans son attitude, il serait amené à réviser le traité d'alliance. A seize heures, assuré que le Gouvernement polonais renonce à son opposition, il envoie au général Doumenc un télégramme l'autorisant à signer, au nom de la France, la convention militaire. Pour des raisons qui restent encore aujourd'hui obscures, ce télégramme ne sera transmis à son destinataire qu'à vingt-deux heures. Lorsque, le lendemain soir, après l'avoir fait attendre toute la journée, Vorochilov reçoit le général Doumenc, il formule une nouvelle exigence : le Gouvernement polonais doit lui confirmer lui-même son accord. En fait, les dés sont déjà jetés : dans la nuit du 21 au 22 août, les agences de presse ont annoncé l'arrivée à Moscou du ministre allemand des Affaires étrangères, Von Ribbentrop. Le 23, un pacte d'agression germano-soviétique, dont l'initiative est vraisemblablement due à Staline et dont la négociation secrète durait depuis plusieurs mois, est signé.
Le même jour, à 18 heures, le Comité permanent de la défense nationale se réunit pour décider si, avec le seul appui de la Grande-Bretagne, la France peut raisonnablement s'engager d a n s la guerre. Le chef d'Etat major, Gamelin, consulté, répond que l'armée polonaise tiendra jusqu'au printemps et qu'à cette époque, grâce à l'effort de réarmement entrepris en France et en Grande-Bretagne, les alliés seront en état de lui porter un secours efficace. Il est décidé alors que la France tiendra ses engagements. Le 1er septembre, les troupes allemandes franchissent la frontière polonaise. Après d'ultimes tentatives de compromis, Edouard Daladier convoque le Parlement et lui demande un crédit extraordinaire de 70 milliards « pour faire face aux obligations résultant de la situation internationale ». En clair, cela signifie : pour faire la guerre. Le 3 septembre, les ambassadeurs anglais et français remettent un ultimatum au gouvernement allemand et annoncent le déclenchement des hostilités.
L'événement dément bientôt les prévisions des stratèges : la Pologne, attaquée à la fois par l'Allemagne et par l'Union Soviétique, s'écroule au bout de vingt-huit jours d'une résistance héroïque. Un timide essai d'offensive vers la ligne Siegfried pour lui venir en aide est stoppé le 12 septembre. Dès lors, l'armée française s'installe dans une attente qui durera huit mois. Hitler ayant obtenu ce qu'il voulait, lance des offres de paix. La France et la Grande-Bretagne, d'un commun accord les repoussent. Le 7 octobre, aux acclamations de la Chambre, Edouard Daladier déclare solennellement que la France ne déposera pas les armes tant que des garanties de paix véritable n'auront pas été obtenues et tant que la Pologne et la Tchécoslovaquie n'auront pas été rétablies dans leur souveraineté.
Dix jours après le début du conflit, le Gouvernement a été remanié. Georges Bonnet quittant les affaires étrangères, Edouard Daladier ajoute ce portefeuille à celui de la défense et l'on crée deux ministères nouveaux : celui de l'armement, confié à Raoul Dautry, et celui du blocus, confié à Georges Pernot. Un des premiers actes de ce nouveau gouvernement est de dissoudre le parti communiste (27 septembre). Surpris par le pacte germano-soviétique, les communistes français, après une période de flottement, ont en effet pris parti ouvertement contre les « puissances impérialistes ». Le président du groupe « ouvrier et paysan » - qui a remplacé le groupe communiste - est allé jusqu'à envoyer, le 1" octobre, au Président de la Chambre, une lettre demandant l'ouverture de négociations avec l'Allemagne. A la suite de la publication de cette lettre, des poursuites sont décidées ; entre le 5 et le 10 octobre, 35 députés sont arrêtés et un décret est pris le 18 novembre qui permet de placer en résidence forcée « tout individu dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Quelques mois plus tard, les députés communistes sont déchus de leur mandat.
Pendant l'hiver, la France a pris l'habitude de la « drôle de guerre ». Au Parlement, l'activité est aussi réduite qu'à l'armée. Une nouvelle loi de pleins pouvoirs a été votée sans difficultés ; l'opinion somnole. Pour la réveiller, il faudra l'agression soviétique contre la Finlande. Divers projets sont ébauchés avec l'Etat-major anglais pour soutenir le petit peuple finlandais. Aucun n'aboutit et la Finlande doit capituler le 12 mars. Un peu partout des voix s'élèvent alors pour critiquer la passivité du Gouvernement. Au sein même de celui-ci, deux tendances se manifestent : les « durs », menés par Paul Reynaud, souhaiteraient une politique plus énergique. Les « mous » inclinent à la paix et pensent déjà à faire appel à Pétain. Entre les deux, Edouard Daladier essaie de maintenir un difficile équilibre. Le 26 janvier, le colonel de Gaulle a envoyé à 80 ministres, chefs militaires ou parlementaires, une lettre réclamant d'urgence la formation d'un corps cuirassé capable de riposter à une offensive allemande à l'Ouest. Ce mémorandum est resté sans réponse. Mais peut-être jouera-t-il un rôle dans la crise qui éclate après la capitulation finlandaise. Le 19 mars, devant la Chambre réunie en comité secret, Edouard Daladier fait l'objet de violentes attaques. « Les hommes qui n'ont su éviter, ni préparer la guerre, ne sont pas qualifiés pour l'arrêter ou pour la gagner », déclare Gaston Bergery. L'ordre du jour favorable au Gouvernement est finalement adopté par 239 voix. Mais 300 députés se sont abstenus et Edouard Daladier démissionne.
Il ne sera pas facile de le remplacer. Paul Reynaud, le champion d'une politique d' «énergie», s'attaque à cette tâche et présente le 22 mars une équipe fort nombreuse, adroitement dosée, où Edouard Daladier, à la demande des radicaux, conserve le Ministère de la défense. Il obtient la confiance avec une voix seulement de majorité. Le nouveau Président du Conseil étudie aussitôt le moyen de rendre aux forces alliées l'initiative qu'elles sont en train de perdre. Après discussions avec les Anglais, il est convenu que des mines seront posées dans les eaux territoriales de la Norvège pour « couper la route du fer » aux Allemands. L'opération commence le 8 avril. Le lendemain les Allemands envahissent le Danemark et attaquent la Norvège. Préparée de longue date, l'offensive est foudroyante, et les tentatives de débarquement franco-britannique ne parviennent pas à l'enrayer. La seule qui réussisse, à Narvik, interviendra trop tard, le 26 mai, pour sauver la Norvège.
De ces nouveaux revers, de ces tergiversations, Paul Reynaud rend le général Gamelin responsable, et comme Edouard Daladier se solidarise avec ce dernier, il décide de donner sa démission le 9 mai. Mais les événements ne lui laissent pas le temps, comme il le voudrait, de changer d'hommes et de méthodes : le 10 mai, au matin, l'armée allemande envahit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. En prévision d'une telle attaque, Edouard Daladier avait fait admettre, le 17 novembre 1939, par le Conseil suprême allié, que l'occupation de la Belgique par l'Allemagne serait considérée «comme très grave, presque autant qu'une occupation du territoire français. » Pour porter secours aux forces belges et néerlandaises, la VIIe et la Ire armées françaises, les trois divisions mécaniques et les trois cuirassées disponibles s'ébranlent vers le Nord. Trois jours plus tard, tandis que la Hollande capitule et que les troupes alliées s'installent solidement en Belgique, c'est plus au Sud, sur la Meuse - là où ne l'attendait pas - que se produit l'attaque surprise menée par le général Guderian, grand spécialiste des chars d'assaut. Le front français est percé à Sedan. Edouard Daladier racontera plus tard que le 10 mai, voyant s'engouffrer nos meilleurs éléments en Belgique, il avait eu le sentiment que nous tombions dans un piège. Mais il était trop tard pour reculer, et le général Gamelin tenait à l'exécution de son plan. Le 15 mai, les « Panzerdivisionen » approchent de Laon ; le 18 elles dépassent Cambrai, Saint-Quentin et Péronne. Paul Reynaud décide alors de remplacer Gamelin par Weygand et propose à Edouard Daladier d'abandonner le portefeuille de la guerre et de prendre les affaires étrangères. Pendant les quelques semaines qui suivent, Edouard Daladier se consacrera essentiellement à éviter que l'Italie n'entre à son tour dans la guerre. Considéré comme trop avantageux pour ce pays, le projet qu'il a élaboré et qui, dans son esprit, devrait faciliter, éventuellement, la poursuite de la guerre en Afrique du Nord, suscite de vives critiques de la part du Président du Conseil et de plusieurs ministres. Le 5 juin, en pleine débâcle, Paul Reynaud remanie de nouveau son ministère. Edouard Daladier n'y figure plus.
Après l'armistice, il est mis en résidence surveillée à Chazeron, puis enfermé à Bourrassol où il reste jusqu'à l'ouverture du procès de Riom, en février 1942. Dans l'esprit du maréchal Pétain, ce procès devrait démontrer à l'opinion que la guerre avait été perdue par la faute des hommes politiques. Les responsabilités capitales exercées de 1936 à 1940 par Edouard Daladier font de lui le principal accusé. Mais le procès tourne à la confusion de ses organisateurs. Au cours de son interrogatoire, Edouard Daladier n'a pas de peine à démontrer que la sécurité du pays n'a cessé d'être pendant ces quatre ans, sa préoccupation constante et qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour préparer la France à un conflit qu'il jugeait inévitable. Les chiffres qu'il cite sur la production d'armement et de chars, ceux que cite après lui l'ancien ministre de l'Air, Guy La Chambre, sur les fabrications et les achats d'avions prouvent que, si la . mobilisation industrielle s'est heurtée à de nombreux obstacles - dont le moindre n'a pas été l'incompréhension et les lenteurs de l'Etat-major - elle a, dans l'ensemble, réussi. Et ce n'est pas la faute d'Edouard Daladier si elle a été entreprise trop tard : le Ministre de la guerre du Cabinet Doumergue, en 1934, s'appelait le maréchal Pétain et le premier grand programme d'armements a été lancé par le Gouvernement du Front populaire. La supériorité de l'ennemi en matériel, au moment de l'attaque allemande, n'était d'ailleurs nullement écrasante. Mais l'Etat-major, attaché à une conception essentiellement défensive de la guerre, n'a utilisé qu'une faible partie des ressources dont il disposait. Il n'a pas compris l'intérêt des propositions du colonel de Gaulle, et le colonel de Gaulle lui-même, qui avait reconnu l'importance des blindés dans la guerre moderne, n'a pas vu que l'emploi de bombardiers en piqué en doublait l'efficacité. En somme, ce ne sont pas les politiciens qui ont perdu la guerre : ce sont les Stukas qui l'ont gagnée.
De telles vérités, à Riom, en 1942, ne sont pas bonnes à dire. Le procès est interrompu. Edouard Daladier retrouve sa prison. En avril 1943, il est déporté en Allemagne, d'où il ne reviendra qu'en mai 1945.
Candidat, le 21 octobre 1945, aux élections pour la première Assemblée Nationale Constituante, dans le Vaucluse, il se heurte à une opposition qui ne recule pas devant la violence pour l'éliminer. Mais l'échec ni les injures ne sauraient décourager celui que la presse d'avant guerre avait surnommé « le taureau du Vaucluse ». Huit mois plus tard, quand le peuple est appelé de nouveau à voter pour désigner une deuxième Constituante, il se représente. Cette fois il est élu, à la plus forte moyenne, par 28.845 suffrages sur 124.116 votants, en tête de la liste du Rassemblement des forces républicaines. La campagne contre les « fossoyeurs » dont il n'a cessé d'être la principale cible depuis 1940 l'a profondément blessé, et il entend reprendre devant l'opinion le procès que la censure de Vichy l'a empêché de plaider publiquement à Riom. La demande d'invalidation que dépose son rival communiste va lui fournir l'occasion qu'il attendait. Le 18 juillet 1946, au cours d'un débat tumultueux où il se heurte à la double opposition des communistes et des résistants « anti-munichois », il prononce un long plaidoyer, solidement charpenté mais haché d'interruptions, dans lequel il s'explique sur Munich et condamne l'attitude des dirigeants soviétiques et des communistes français de 1938 à 1941. Deux interventions violentes de Florimond Bonte et de Jacques Duclos l'amènent à remonter à la tribune pour préciser quelques points d'histoire, notamment son attitude dans le domaine social. Constatant que son élection a été parfaitement régulière, l'Assemblée la valide finalement par 311 voix contre 132. Si l'on tient compte de l'hostilité qui règne à cette époque contre les dirigeants des dernières années de la IIIe République, c'est là un assez beau succès.
Edouard Daladier n'en tirera pourtant aucun profit politique. Le passé liquidé, c'est à l'avenir qu'il songe et, sur ce point, il est en désaccord avec beaucoup de ses amis radicaux. Le deuxième projet de Constitution, laborieusement mis au point par des hommes qui, dans le fond de leur cœur, sont favorables à un régime d'assemblée, lui semble inacceptable. Etant au pouvoir, il a eu l'occasion, mieux que d'autres, de mesurer les faiblesses de la Constitution de 1875. Mais le texte proposé aux suffrages du pays, loin d'y remédier - comme la suite le prouvera - en aggrave les défauts. Il ne consolide pas l'exécutif, mais place, en fait, tous les pouvoirs entre les mains de l'Assemblée Nationale. Le droit de dissolution accordé au Président de la République est soumis à des conditions telles qu'il ne pourra pratiquement pas jouer. Aucune limite n'est fixée à la durée de la discussion budgétaire. Comment un gouvernement pourrait-il défendre ses prérogatives devant une Assemblée qui siège en permanence, qui n'est pas obligée de tenir compte des avis d'un Conseil de la République réduit au rôle d'organisme purement consultatif, qui peut, à chaque instant, par le biais des interpellations, paralyser l'action du pouvoir, et que le sabre de bois de la question de confiance ne saurait sérieusement intimider ? Adversaire de la Constitution de 1946, Edouard Daladier, après son adoption, souhaite vivement que le parti radical s'abstienne de participer au Gouvernement. Il le juge trop faible pour y faire entendre la voix de la sagesse. Mais les appétits ministériels sont plus forts que les avertissements de l'expérience. Profitant de leur position centriste, les radicaux vont, au contraire, se poser en arbitres de la situation. Ils fourniront aux gouvernements successifs de la IVe République plusieurs chefs et un contingent appréciable de ministres.
Réélu aux élections générales du 10 novembre 1946 par 32.170 voix sur 121.549 votants (première Assemblée Nationale) Edouard Daladier sera dès lors confiné au rôle de Cassandre. Au printemps de 1947, l'Alliance tripartite a été rompue et la France s'est engagée en Indochine dans une guerre qu'il juge ruineuse et sans issue. A chaque occasion, il interviendra à l'Assemblée pour en faire le procès. On l'écoute parce qu'il sait se faire écouter ; mais on ne le suit pas. Au sein même de son propre parti, il n'a guère qu'un allié véritable : Pierre Mendès-France. La brève période où celui-ci accède au pouvoir est la seule où Edouard Daladier sortira de l'opposition. Il soutient le Président du Conseil à l'occasion du débat sur la C.E.D. : vouloir constituer une armée intégrée, où les soldats français et allemands se retrouveraient côte à côte lui paraît une utopie dangereuse. Battu de justesse par M. Martinaud-Déplat au congrès de Marseille, en 1954, il participe néanmoins, aux côtés de Pierre Mendès-France, à la rénovation du parti radical. On sait ce qu'il adviendra de cette expérience. Renversé en février 1955, abandonné par un grand nombre de ses amis qui se sont servi de l'étiquette du Front républicain pour se faire réélire aux élections du 2 janvier 1956, Pierre Mendès-France rentre bientôt dans l'ombre, et Edouard Daladier, le député du Vaucluse avec lui. En octobre 1956, il a accepté, non sans hésitations, de reprendre la présidence du groupe radical à l'Assemblée. Quand, le 13 mai 1958, le Président du Conseil Pierre Pflimlin, à peine investi, se heurte à la menace d'un coup de force, il est du petit nombre de ceux qui l'incitent à résister. Mais après quelques jours d'hésitation, Pflimlin -cède, comme Edouard Daladier avait lui-même été obligé de céder le 7 février 1934. Fidèle à ses convictions, le député du Vaucluse vote contre l'investiture du général de Gaulle. Distancé dès le premier tour aux élections de novembre 1958, il renonce à se présenter au second et abandonne en même temps la mairie d'Avignon qu'il occupait depuis 1953. Dans la lettre qu'il adresse alors à ses administrés, il déplore que «dans toute la France, une nouvelle droite agressive et bornée triomphe en se couvrant du nom et du prestige du général de Gaulle. » Le 4 avril 1961, il renonce également à faire acte de candidature aux élections cantonales et perd ainsi son dernier mandat.
Agé aujourd'hui de 81 ans, Edouard Daladier se retrouve, après une carrière politique agitée, dans la position du jeune agrégé qui, à vingt-cinq ans, préparait une thèse sur Mazzini. Moins soucieux de défendre sa propre gloire que de faire la lumière sur une époque qui compte parmi les plus dramatiques de l'histoire de France, il songe à écrire ses mémoires. On ne peut que souhaiter le voir mener à bien une tâche qu'il est mieux qualifié que quiconque pour entreprendre et qui constituerait, sur cette période, un document irremplaçable.
Né le 18 juin 1884 à Carpentras (Vaucluse)
Décédé le 10 octobre 1970 à Paris (16°)
Député du Vaucluse de 1919 à 1942 Ministre des Colonies du 14 juin 1924 au 17 avril 1925
Ministre de la Guerre du 29 octobre au 28 novembre 1925
Ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts du 28 novembre 1925 au 9 mars 1926 et du 19 au 23 juillet 1926 Ministre des Travaux publics du 21 février au 2 mars 1930, du 13 décembre 1930 au 27 janvier 1931 et du 3 juin au 17 décembre 1932
Ministre de la Guerre du 18 décembre 1932 au 29 janvier 1934
Président du Conseil
Ministre de la Guerre du 31 janvier au 25 octobre 1933
Président du Conseil
Ministre des Affaires étrangères du 30 janvier au 8 février 1934 Vice-président du Conseil
Ministre de la Défense nationale et de la guerre du 4 juin 1936 au 21 juin 1937
Ministre de la Défense nationale et de la guerre du 22 juin 1937 au 17 janvier 1938 Vice-président du Conseil
Ministre de la Défense nationale et de la guerre du 18 janvier au 9 avril 1938 Président du Conseil
Ministre de la Défense nationale et de la guerre du 10 avril 1938 au 20 mars 1940, et Ministre des Affaires étrangères du 13 septembre 1939 au 20 mars 1940
Ministre de la Défense nationale et de la guerre du 21 mars au 18 mai 1940
Ministre des Affaires étrangères du 18 mai au 5 juin 1940
Membre de la seconde Assemblée nationale Constituante (Vaucluse)
Député du Vaucluse de 1946 à 1958
(Voir première partie de la biographie dans le dictionnaire des parlementaires français 1889-1940, tome IV, p. 1206 à 1216)
Faute d'avoir mené à bien le projet d'écrire des Mémoires annoncés par le précédent Dictionnaire des Parlementaires, Edouard Daladier a laissé sur les années de guerre un témoignage édité par les soins de son fils Jean, et publié sous le titre Journal de captivité 1940-1945 (Calmann-Lévy, 1991). Il s'agit moins d'un plaidoyer pro domo que de notes écrites au jour le jour par un homme qui partageait avec Léon Blum le sort peu enviable d'être rendu responsable de la défaite de
1940. Ce journal suit l'itinéraire de son propriétaire, de son embarquement sur le Massilia le 21 juin 1940 jusqu'à sa déportation en 1943 en Allemagne au château d'Itter, en passant par les lieux d'enfermement de Chazeron et de Bourrassol. Mais, ce livre vaut surtout parce qu'il nous montre un Daladier lucide sur l'évolution de la guerre, prenant en compte dès le début sa dimension mondiale ; un Daladier suffisamment combattif lors du procès de Riom pour démontrer sans difficulté qu'il a été de ceux qui ont le plus contribué à l'effort de guerre ainsi que l'impéritie du haut-commandement, à la suite de quoi le procès est ajourné en avril 1942 pour supplément d'information. A cette nouvelle, Edouard Daladier note le 14 avril : « D'accusé, je suis devenu accusateur (...) » (p. 136).
Quand bien même l'ancien président du conseil a gagné le procès intenté par Vichy, il ne se sent pas exonéré de justifier sa politique devant les Français. Libéré d'Allemagne en mai 1945, il se présente aux élections à la première Assemblée Constituante dans le Vaucluse. Le 21 octobre, sur 116176 suffrages exprimés, la liste radicale qu'il conduit n'en a obtenu que 15498 la plaçant loin derrière les listes socialiste, communiste et MRP. Il faut dire que la campagne a été rude. Les communistes concentrent leurs attaques sur celui qui a interdit leur parti en 1939 au moment où les autres formations ne cachent pas qu'elles entendent écarter, dans un contexte peu favorable aux caciques de la IIIè République, le « taureau du Vaucluse ». Malgré tout, avec détermination, Edouard Daladier fait appel de cette décision le 2 juin 1946, lors de l'élection à la seconde Assemblée Constituante.
Même si l'opposition de ses adversaires ne faiblit pas, Edouard Daladier tire profit d'un contexte politique plus favorable. La dénonciation du premier projet constitutionnel, la lutte contre le tripartisme et le dirigisme, l'entrée dans la guerre froide, et sur le plan intérieur la formation du Rassemblement des Gauches Républicaines qui regroupe radicaux, UDSR et formations de droite comme celle du colonel de La Rocque qui avait noué des relations amicales avec Daladier au château d'Itter, tous ces facteurs contribuent au redressement du parti radical. Dans le Vaucluse, avec 28845 suffrages sur 121415 exprimés, la liste de Rassemblement des forces républicaines devance nettement la liste MRP. Edouard Daladier retrouve le chemin du Palais Bourbon, mais pour livrer une nouvelle bataille, celle de l'invalidation de son élection.
Lorsqu'il pénètre dans la salle des séances ce 18 juillet 1946, personne ne lui serre la main. C'est un homme seul, bouc-émissaire de la défaite de 1940, qui monte à la tribune pour obtenir le droit de siéger à l'Assemblée. Gabriel Cudenet, rapporteur, conclut à la validation de l'élection. La décision a été votée par le 10è Bureau par 21 voix contre 10, toutes communistes. C'est, du reste, du groupe communiste que vient l'assaut. Tour à tour, Charles Benoist, Florimond Bonte et Jacques Duclos, auxquels il faudrait ajouter le « progressiste » de Chambrun, montent à la charge. Daladier est accusé d'avoir fait la politique de Munich par antibolchevisme, de n'avoir pas préparé la guerre contre l'Allemagne, d'avoir persécuté les communistes. Certes, le déroulement des élections dans le Vaucluse n'est entaché d'aucune irrégularité ; mais Jacques Duclos précise sans nuance que l'acte de validation est un acte politique ; autoriser Daladier à siéger reviendrait à approuver en bloc sa politique, de Munich à la défaite de 1940. Au cours de cette séance longue et mouvementée, présidée avec autorité par Vincent Auriol, Edouard Daladier, pendant plus de trois heures et à trois reprises, répond point par point à ses accusateurs, mieux même il attaque le PCF et l'accuse de complicité avec la « Russie des soviets », signataire du pacte germano-soviétique. Il revendique hautement la responsabilité de la dissolution du PCF, et rappelle qu'il est à l'origine du décret du 18 novembre 1939 qui permettait au ministre de l'Intérieur de décider des internements administratifs. Surtout, il prend soin de ramener le débat sur le terrain juridique et non sur celui politique de l'acception de sa politique en cas de validation, ou de soutien à l'attitude du parti communiste en cas d'invalidation. Il est suivi sur ce point par la plupart des intervenants non communistes que ce soient André Le Troquer pour la SFIO ou Yvon Delbos pour le parti radical qui se rallie à la demande socialiste d'enquête pour établir les responsabilités du désastre de 1940. A l'issue de ce long débat, Edouard Daladier est admis à siéger à l'Assemblée Nationale par 311 voix contre 132 pour la plupart communistes.
Aux élections à la première Assemblée législative, le 10 novembre 1946, Edouard Daladier est réélu à la tête d'une liste du Rassemblement des Gauches Républicaines avec 32170 suffrages sur 118873 exprimés, ce qui le place juste derrière le parti communiste. Il est alors nommé membre de la commission des Territoires d'outre-mer et de la commission des Finances. A ce titre, il dépose sur le bureau de l'Assemblée, et défend à la tribune, rapports, propositions de résolution et de loi. Très vite, le député du Vaucluse retrouve au Palais - Bourbon l'audience dont il bénéficiait à la Chambre. La politique économique et la politique étrangère sont les deux thèmes qu'il privilégie, sans oublier la défense des intérêts de ses mandants et la promotion du théâtre d'Orange, puis la création du festival d'Avignon.
Le parti communiste ne désarme pas plus sous cette législature que sous la précédente contre « l'homme de Munich », le responsable de la dissolution du parti en 1939. Ainsi, le débat, en pleine période de grèves, sur le projet de loi tendant à la protection de la liberté du travail, le 29 novembre 1947, donne lieu entre l'ancien président du Conseil et le groupe communiste, à une vive altercation nourrie de la lecture de la lettre de François Billoux au maréchal Pétain par laquelle il demandait au nom de ses camarades de déposer au procès de Riom contre les fauteurs de guerre. La censure est prononcée contre Marcel Hamon qui avait accusé l'ancien président du Conseil d'être un assassin.
Très vite, Edouard Daladier intervient sur l'Indochine et la menace que représente toujours l'Allemagne pour la France. Lors du débat sur les recommandations de la Conférence de Londres signées le 4 juin entre les alliés occidentaux qui définissent le statut politique de l'Allemagne de l'Ouest, le député du Vaucluse vote contre l'ordre du jour obtenu avec difficulté par 296 voix contre 287, car l'« Allemagne est un peuple dur, laborieux, parfois et même souvent cruel, que la nature a doué d'un potentiel économique formidable. » Pour assurer la sécurité de la France face à une possible renaissance du militarisme allemand ou pour endiguer la menace communiste, l'ancien ministre de la défense propose le 19 juillet 1948 lors de la discussion du projet de loi portant fixation du budget des dépenses militaires une réorganisation des armées, une baisse des effectifs jusqu'à 600 000 hommes et à tout le moins une diminution des effectifs sur la base du sous-amendement à l'amendement socialiste présenté par Paul Anxionnaz au nom du RGR. A l'issue de ce débat, le président Robert Schuman remet au Président Auriol la démission de son gouvernement. Un an plus tard, le 9 juin 1949, lors de la discussion du projet de loi portant fixation des dépenses militaires pour 1949, il réitère ses conseils : comprimer les effectifs pour dégager des ressources qui seraient affectées à la modernisation de l'outil militaire, à commencer par l'aviation. Il est l'un des rares parlementaires à ne pas analyser la réalité géostratégique de l'après-guerre avec la grille d'analyse de l'année 1939 ; il fait la synthèse des enseignements stratégiques, des progrès techniques, et de la nouvelle donne internationale, au risque d'être à nouveau incompris, et va alors à contre-courant du conformisme et des pesanteurs qui freinent la rénovation des armées et la définition claire de leurs nouvelles missions. Ainsi, le 15 mars 1950, lors de la discussion du projet de loi relatif à la ratification de l'accord d'aide mutuelle entre la France et les Etats-Unis, au moment où la plupart des observateurs redoutent que la guerre froide ne débouche sur un affrontement direct sur le théâtre centre-Europe entre les deux grands, il ne cache pas son scepticisme, car l'équilibre de la terreur conduit les Etats-Unis et l'URSS à privilégier les stratégies périphériques. Aussi la France doit-elle serrer son destin, moderniser ses forces et proposer sous contrôle international des neutres la réduction des armements et la destruction de la bombe atomique. Enfin, dès le 25 octobre 1950, l'ancien combattant de 1914-1918, sans être hostile à un rapprochement entre la France et l'Allemagne, s'oppose avec la plus grande clarté au projet de création d'une armée européenne dont l'échec certain ne pourrait que favoriser la renaissance d'une armée allemande, se faisant par là même applaudir sur divers bancs à gauche, à droite et au centre.
Au cours de cette législature, Edouard Daladier accorde un soutien à éclipses aux gouvernements de Troisième Force. Ainsi, s'oppose-t-il, le 23 septembre 1948, à la proposition faite par le gouvernement de repousser les élections cantonales sous le prétexte que les divisions de la majorité profiteraient au RPF. Le 13 octobre 1949, il saisit l'occasion que lui offre le débat d'investiture du président du conseil désigné Jules Moch pour résumer les orientations qu'il entend voir emprunter par le gouvernement: allègement hardi de la fiscalité, économies brutales, réforme révolutionnaire de l'Etat, retour à la liberté des prix et des salaires. Daladier prend la tête des radicaux hostiles à toute participation gouvernementale. Au congrès radical de 1949, le député du Vaucluse pose sa candidature à la présidence du parti. Il s'agit moins de rejouer « la guerre des deux Edouard » que de dénoncer la politique économique défendue par René Mayer et Edgar Faure. Au total, le maire de Lyon l'emporte sur l'ancien maire de Carpentras par 759 mandats contre 382. Aussi, pour faire entendre sa petite musique dans la partition radicale, Daladier prend-il, le 5 mai 1950, la présidence du Rassemblement des Gauches Républicaines vacante depuis le décès de Gabriel Cudenet. Edouard Herriot y voyant un geste d'hostilité à son égard décide sur le champ d'abandonner la présidence d'honneur du Rassemblement. Pour ramener Daladier de l'opposition au soutien, Henri Queuille essaye, en vain, de le faire entrer dans le gouvernement en juillet 1950. Ces deux événements sont salués par la presse comme la véritable rentrée politique de l'ancien président du Conseil.
A l'approche des élections législatives, le président du RGR publie avec Roger Duchet et les Indépendants le manifeste de la « Quatrième Force » qui doit regrouper toutes les forces politiques à l'exception des gaullistes et des communistes.
Le 17 juin 1951, Edouard Daladier conduit une liste R.G.R. apparentée aux listes SFIO et MRP. Il fait campagne sur le thème du danger de guerre civile que fait courir à la France la double opposition communiste et gaulliste. Dans sa profession de foi, Edouard Daladier renvoie, en effet, dos à dos, le PCF - « il s'efforce de parler français mais il pense russe » - et de Gaulle, nouveau Napoléon III. Pour le reste, son programme est celui du R.G.R. Tous les sièges sont attribués aux listes apparentées. Avec 31719 suffrages sur 119520 exprimés, la liste RGR obtient deux élus : Edouard Daladier et Marcel Perrin. A l'Assemblée, Edouard Herriot et l'UDSR repoussent la proposition qui leur est faite par son président de créer un groupe RGR.
Au cours de la deuxième législature, Edouard Daladier est nommé membre de la Commission de la défense nationale, de la Commission des affaires étrangères, et en 1951 il représente la France métropolitaine à l'Assemblée consultative prévue par le statut du Conseil de l'Europe. Il dépose sur le bureau de l'Assemblée plusieurs propositions de loi dont la plupart touchent à la défense de ses mandants : ainsi, le 1er décembre 1953, une proposition de loi tendant à créer un comité interprofessionnel des vins des Côtes-du-Rhône.
Ses interventions sont nombreuses et très écoutées. Elles portent pour l'essentiel sur l'Indochine et l'Europe, les deux grandes questions du moment, inextricablement liées dans son esprit. Que ce soit le 28, le 29, le 30 décembre 1951 ou le 28 février 1952, lors de la discussion du projet de loi relatif aux dépenses de fonctionnement et d'équipement des services militaires, l'ancien ministre de la défense rappelle avec fermeté que la situation économique et financière de la France est suffisamment difficultueuse pour lui interdire de lutter à la fois en Asie et en Europe. Aussi, le risque est-il grand d'aboutir à un réarmement de l'Allemagne sous le prétexte que la France est à la limite de ses possibilités. L'effort de guerre en Indochine est démesuré par rapport aux moyens et aux objectifs fixés. S'il s'agit d'y défendre la liberté, la France ne peut y rester seule ; elle doit internationaliser le conflit en demandant à l'ONU de réunir les conditions d'un armistice, suivi d'une trêve pour réaliser par province un plébiscite. Pendant la trêve, les troupes françaises se replieraient sur les bases littorales ; proposition qui suscite des mouvements divers dans l'Assemblée. Sinon, la France engagée dans ce conflit sans autre issue que celle de la défaite, s'interdirait de peser sur les événements internationaux qui engagent à long terme l'avenir. Son intervention est suffisamment forte pour que le Président du conseil se sente obligé de monter au créneau pour défendre sa politique.
Le 11 février 1952, soit quelques jours avant l'ouverture à Lisbonne du Conseil atlantique, Edouard Daladier, dans un discours très remarqué, développe son interpellation sur l'armée européenne à l'efficacité « à peu près nulle » : « La résurrection d'une armée allemande (...) soulève un sentiment pénible d'angoisse ». Aussi, entraînant neuf autres radicaux, Daladier ne vote pas la question de confiance le 19 février. Lors du 46e congrès du parti radical qui se tient à Bordeaux le 17 octobre, c'est moins la répétition par Daladier des arguments déjà énoncés au parlement qui fait l'effet d'une bombe tant en France qu'à l'étranger que le soutien apporté par Herriot. Les deux Edouard se retrouvent pour dénoncer le danger que fait courir à la France la CED. A la veille des conférences de La Haye et des Bermudes, il renouvelle, le 19 novembre 1952, ses mises en garde avec encore plus de fermeté, ce qui lui vaut d'être applaudi à plusieurs reprises par les gaullistes. Sa farouche hostilité à la CED le conduit en octobre 1953 à envoyer un message de sympathie au Mouvement pour la paix d'obédience communiste, ce qui ne manque pas de susciter une vive émotion Place de Valois et au RGR, plus habitués qu'ils étaient à l'entendre inlassablement dénoncer le danger communiste. Le 19 décembre, à nouveau, il souligne l'inanité des sacrifices humains et financiers consentis en Indochine. En attendant une solution qui pour l'heure ne passe pas par une négociation directe avec Ho-Chi-Minh, Daladier propose d'occuper le « pays utile » c'est-à-dire la région d'Haïphong, Honkaï, Dong-Trieu, la base de Tourane, le Sud-Annam, la Cochinchine et le Cambodge, ce qui permettrait de réduire les effectifs sans trop compter sur l'armée vietnamienne. Le 19 novembre 1953, à nouveau, il intervient longuement sur l'Indochine. Pour ne pas se laisser enfermer dans ce conflit qui ressemble de plus en plus au guépier mexicain, il propose l'ouverture de toutes négociations susceptibles de conduire à l'armistice, préalable à la tenue d'un plébiscite conduisant à la paix. Enfin, en mars 1954, il refuse une éventuelle internationalisation du conflit, la mission du corps expéditionnaire devant être ramenée à la défense des deux deltas. C'est dire qu'il est favorable à l'investiture et à la politique du président Pierre Mendès France qui défend sur la politique économique et sur l'Indochine les mêmes considérations. Après l'échec de la CED, il félicite, le 12 octobre 1954, le président de la conduite des négociations lors de la Conférence de Londres tout en soulignant qu'il faudrait aussi négocier avec l'URSS. Mais, le 22 décembre 1954, lors de la discussion des projets de loi portant ratification des Accords de Paris, les inquiétudes l'emportant sur l'adhésion, il réclame une nouvelle négociation avec l'Est. Il vote contre les accords. Au cours de la législature suivante, il combat les projets d'Euratom et de marché commun.
Le 2 novembre 1955, il fait savoir qu'il s'oppose à la décision d'Edgar Faure de brusquer les élections législatives et de maintenir la représentation proportionnelle. Le 3 novembre, au congrès de Wagram, il devient l'un des six vice-présidents du parti contrôlé désormais par Mendès France.
A la suite de la dissolution de l'Assemblée Nationale, Edouard Daladier, maire d'Avignon depuis 1953 et conseiller général depuis 1955, conduit dans le Vaucluse une liste cette fois-ci du parti républicain radical et radical-socialiste apparentée à la liste SFIO. La multiplication des apparentements conduit à la répartition des sièges à la proportionnelle. Aussi, avec 24898 voix sur 133481 suffrages exprimés, Edouard Daladier est-il le seul élu de sa liste le 2 janvier 1956. Au cours de cette dernière législature de la Quatrième République, le maire d'Avignon est élu vice - président de la Commission des Affaires étrangères et siège pendant quelques mois à la Commission de la justice et de la législation. Lors du débat d'investiture du gouvernement Mollet, il regrette au nom du groupe radical dont il est le nouveau président la manœuvre qui a écarté Pierre Mendès France du quai d'Orsay. Malgré tout, pour déjouer précisément l'œuvre de dislocation du Front républicain, le groupe unanime apporte son soutien au gouvernement qui doit répondre par la réforme du règlement de l'Assemblée à l'hostilité manifestée par le corps électoral contre le régime. Il faut, en outre, rétablir la paix en Algérie en se départissant de la « politique de conservatisme borné » menée depuis des années par les gouvernements successifs. En attendant de pouvoir négocier après des élections libres un nouveau statut pour l'Algérie, il serait bon de procéder à une réforme agraire, économique et sociale. Le 12 mars, le groupe radical approuve les pouvoirs spéciaux tout en rappelant qu'une politique de réformes doit accompagner une politique de pacification. A la suite de l'échec de la tentative de rénovation du parti radical menée par Mendès France, Daladier accepte de diriger avec Paul Anxionnaz le parti jusqu'au congrès d'octobre 1957. A ce moment, Daladier accepte d'être ministre d'Etat sans portefeuille dans le gouvernement avorté de Guy Mollet.
Trois jours après le coup de force du 13 mai, Edouard Daladier déclare : « Notre devoir est de défendre la République contre les ultras servis par des traîtres à leur serment. Le peuple, tout entier, uni autour de son gouvernement défendra les libertés démocratiques. Aux prétentions du pouvoir personnel, il opposera le respect de la souveraineté nationale, à l'anarchie des factions, la loi et l'ordre républicains ». Le 28 mai, aux côtés de Pierre Mendès France et de François Mitterrand, il participe à la manifestation pour la défense de la République. Le 1er juin, il n'accorde pas sa confiance au gouvernement de Gaulle, et le lendemain refuse les pleins pouvoirs et vote contre la révision constitutionnelle.
Aux élections législatives de novembre 1958, distancé au premier tour, Edouard Daladier retire sa candidature et abandonne la mairie d'Avignon.