Philippe Duprat-Geneau dit Dechartre
1919 - 2014
- Informations générales
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- Né le 14 février 1919 à Truong-thi (Vietnam)
- Décédé le 7 avril 2014 à Paris (France)
1919 - 2014
DECHARTRE (Philippe)
Né le 14 février 1919 à Truhong Thi Vinh (Vietnam)
Décédé le 7 avril 2014 à Paris
Député de Charente-Maritime en 1968
Jean Duprat-Geneau, qui conservera dans la vie politique d’après-guerre son pseudonyme de résistant « Philippe Dechartre », du nom du héros malheureux du Lys rouge, roman d’Anatole France dont sa mère était férue, naît le 14 février 1919 à Truhong Thi Vinh dans l’Annam. Ce fils d’inspecteur général des chemins de fer de l’Indochine, suit une scolarité secondaire au lycée du Havre - sa famille étant originaire de Normandie - où Jean-Paul Sartre est son professeur de philosophie. Il est élevé par sa mère et ses grands-parents. De sa grand-mère voltairienne et amie de Louise Michel comme de son grand-père, violoniste et jardinier amateur, il reçoit une première leçon d’humanisme et de tolérance. Il poursuit ses études au lycée Louis-le-Grand à Paris. Après avoir obtenu une licence en droit, il est mobilisé en novembre 1939. Jeune officier d’artillerie, il est blessé le 18 juin 1940 par un coup de pied de cheval dans le ventre. C’est grâce à la radio du paysan qui le soigne qu’il entend à la BBC le discours du général de Gaulle. Il choisit aussitôt de suivre l’appel à poursuivre la guerre. Bien que malade, il tente d’atteindre la mer pour rejoindre l’Angleterre. Fait prisonnier, il organise la Résistance dans les sept stalags dans lesquels il est successivement détenu. Il tente de s’évader à plusieurs reprises. Les sanctions disciplinaires qu’il subit en retour lui valent de fréquenter quinze prisons différentes et de passer six mois et demi en cellule.
Dès son retour en France en février 1943, il se met à la disposition du Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et des déportés (MRPGD). Il y est chargé de la création, de l’organisation et de la direction de la résistance du mouvement prisonnier en zone Nord. Il participe à la fusion de trois réseaux de résistance Prisonniers selon les souhaits du général de Gaulle. Le 10 août 1943, à Paris, attiré dans un guet-apens par la police allemande dans le quartier du Panthéon, il est blessé de deux balles mais parvient à détruire les codes dont il est porteur avant d’être arrêté et torturé. Après deux nouvelles tentatives d’évasion, il est transféré à Fresnes où on l’inscrit sur deux listes de détenus à fusiller. Il est toutefois délivré à temps par le service de contre-espionnage de son mouvement. Au printemps 1943, il rencontre François Mitterrand, alias « capitaine Morland », à la gare de Lyon-Part-Dieu. C’est la première entrevue entre les deux hommes. En novembre 1943, il reprend son poste au comité directeur du MRPGD où il est chargé de l’organisation sur l’ensemble du territoire. En mai 1944, le mouvement l’envoie en mission à Alger. Il est délégué général des prisonniers de guerre, déportés de la Résistance et déportés du travail auprès du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). C’est là qu’il rencontre pour la première fois Charles de Gaulle. Celui-ci lui aurait confié : « vous appartenez à la gauche humaniste et moi je veux le rassemblement des Français. J’ai besoin de vous. Formez un noyau de militants. Je vous aiderai ». À Alger, il siège comme député de la Résistance intérieure dans l’Assemblée consultative provisoire. À son retour en 1945 dans une France libérée, il appartient toujours à l’Assemblée consultative (dont il est le benjamin) comme député de la Charente-Maritime. Il siège dans la commission des prisonniers et déportés et des pensions, ainsi que dans celle de la justice et de l’épuration. Il devient par ailleurs secrétaire général du Mouvement national des Prisonniers de Guerre et des Déportés (MNPGD). Il est chargé de la coordination et de l’entraide. Il se spécialise dans les services de rapatriement, d’accueil et de réintégration dans la vie civile des prisonniers de guerre et déportés.
Après-guerre, l’ancien chef de bataillon des FFL, l’ancien colonel FFI et l’ancien chef de réseau des Forces françaises combattantes entame une carrière dans le secteur de la culture et de l’audiovisuel. Producteur-réalisateur d’émissions (dont « Les routes du monde » et « Théâtre français ») à la Radio-Télévision française, tout comme son épouse Eléonore Cramer, metteur en scène de spectacle son et lumière, il est en 1952 directeur des chorégies d’Orange puis du festival du théâtre antique d’Arles. Sur le plan politique, ce membre du Grand Orient de France, proche de 1954 à 1958 de Pierre Mendès France, dont il partage la règle fondamentale selon laquelle « il n’y a pas de progrès économique qui vaille s’il ne débouche pas sur un progrès social », est membre du comité exécutif et trésorier de la fédération radical-socialiste de la Seine. À la demande de Pierre Mendès France et d’Edouard Daladier, il est candidat sous la double étiquette radical-socialiste et Centre de la réforme républicaine à une législative partielle dans la 25ème circonscription de la Seine les 16 et 30 mars 1958, suite au décès de Marcel Cachin. Attiré par la dimension humaniste et sociale du gaullisme et plus précisément par ce qu’il appelle « une morale de la volonté », Philippe Dechartre, membre du comité exécutif du Centre de la réforme républicaine à l’été 1958, rejoint alors les gaullistes de gauche au sein de l’Union Démocratique du Travail (UDT). Ceux-ci sont attachés à la pensée gaullienne relative à la question sociale et à la participation dont le fondement est la liberté, que René Capitant définit comme une autonomie qui « consiste non pas à n'être soumis à aucune obligation juridique, auxquelles on est habituellement soumis, mais qui garantit à chaque associé son autonomie personnelle ». Le contrat d'association est le garant d'une vraie participation puisqu'il est un contrat démocratique : « En régime capitaliste, la démocratie est [...] limitée aux relations qui s'établissent entre possédants et ne s'étend pas aux relations entre possédants et travailleurs ». Membre du comité directeur puis du bureau provisoire de l’UDT dès avril 1959, Philippe Dechartre en démissionne en juin. Il crée plusieurs mouvements relevant de cette tendance, comme la Convention de la Gauche Vème République dont il est le secrétaire général à partir d’octobre 1966 et qu’il représente au sein du comité central et du bureau exécutif du mouvement gaulliste, l’Union pour la nouvelle République (UNR)- UDT, sans parvenir à développer réellement ce « travaillisme à la française » qu’il appelle de ses vœux et qui se résume souvent à des petites formations riches en intellectuels brillants mais modestes en nombre de militants et qui, au-delà d’un même combat pour l’association Capital-Travail, ne parvient pas à dépasser des querelles de personnes et de pures oppositions doctrinales.
Contrairement à la plupart des gaullistes de gauche très antipompidoliens comme Louis Vallon et René Capitant, qui dénoncent le conservatisme économique et social et l’immobilisme du Premier ministre et accusent ce dernier de bloquer une participation dont ils font le cœur de la politique sociale gaullienne, Philippe Dechartre ne cache pas le soutien qu’il apporte à Georges Pompidou. Fin novembre 1967, comme secrétaire général de l’Union de la Gauche Ve République, formation relevant de la majorité présidentielle, il fait partie des gaullistes de gauche qui acceptent de se rendre à Lille aux assises de l’Union des démocrates pour la Ve République (UD Ve), succédant à l’UNR, qui amorcent, selon les termes de Jean Charlot, « la transformation d’une majorité parlementaire en un parti majoritaire ».
Dans le domaine professionnel, à partir de 1965, Philippe Dechartre est membre du comité des programmes radio de l’Office de radio-télédiffusion française (ORTF) puis en 1964 conseiller technique de l’Office de coopération radiophonique (OCORA), avant d’en prendre la direction générale adjointe de 1965 à 1969. Expert à l’Unesco, il assume diverses responsabilités associatives liées à la coopération et s’engage dans la lutte contre l’illettrisme comme rapporteur général du comité international pour l’alphabétisation.
Lors de la crise de mai 1968, il fait partie de ces gaullistes de gauche qui, avec Léo Hamon, continuent de soutenir le gouvernement de Georges Pompidou même s’il recommande le dialogue avec les contestataires, dont il comprend l’aspiration aux réformes. À la radio, il appelle les étudiants à ne pas « gâcher leur cause » en s’abandonnant au « romantisme » et adjure les ouvriers de ne pas « politiser » leur grève. Cette position modérée qui tranche avec la logique de rupture d’un Edgard Pisani ou le ton très critique d’un Louis Vallon et d’un René Capitant, lui vaut d’entrer comme secrétaire d’Etat à l’Equipement et au logement dans le dernier gouvernement remanié de Georges Pompidou du 31 mai au 10 juillet 1968, consécration du combat que mène depuis le début des années 1960 Philippe Dechartre contre le maintien de taudis en région parisienne.
Il obtient l’investiture de l’Union des démocrates pour la République (UDR) lors des législatives anticipées de juin 1968, dans la première circonscription de Charente-Maritime détenue par André Sarladaine UD Ve, maire de La Rochelle. Dans cette circonscription difficile, il domine au premier tour le candidat de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), l’avocat Michel Crépeau recueillant 25 526 voix contre 17 564 à son adversaire. Mais ce dernier peut en principe compter sur le soutien des 8 841 voix des suffrages communistes du premier tour qui se sont portés sur Léon Belly, secrétaire fédéral permanent du PCF et conseiller général, alors que Philippe Dechartre ne dispose pas d’un réservoir de voix important. Finalement au terme d’un second tour très disputé, le gaulliste de gauche l’emporte le 30 juin par 27 608 voix contre 25 666 à Michel Crépeau.
Philippe Dechartre siège à peine à l’Assemblée nationale car le 12 août 1968 il est nommé dans le gouvernement Couve de Murville au même poste que précédemment. Il est remplacé par son suppléant Albert Dehen, ingénieur et directeur commercial. À l’Assemblée nationale, il prend part en qualité de membre du gouvernement à la discussion d’une proposition de loi tendant à humaniser les opérations de rénovation urbaine. Il prend part aussi à la discussion d’un projet de loi relatif aux voies rapides et complétant le régime de la voirie nationale et locale.
Après l’élection de Georges Pompidou à la présidence de la République, il est nommé secrétaire d’Etat auprès du ministre du Travail, de l’emploi et de la population dans le gouvernement Chaban-Delmas le 22 juin 1969. Il s’engage en faveur de la « nouvelle société » prônée par Jacques Chaban-Delmas et voit dans la participation l’argument idéologique essentiel du « nouveau contrat social ». À l’Assemblée nationale, il intervient en qualité de membre du gouvernement notamment dans la discussion des crédits du travail, dans le domaine des relations professionnelles et de l’inspection du travail. Il prend part à la discussion du projet de loi relatif aux délégués à la sécurité des ouvriers des mines et carrière et du projet de loi sur le travail temporaire.
Aux élections municipales de La Rochelle, auxquelles il se présente en mars 1971, confronté au maire sortant, il est battu par Michel Crépeau qui prend ainsi sa revanche sur les législatives de 1968.
Le 15 mai 1972, la carrière gouvernementale de Philippe Dechartre s’interrompt brutalement. Celui-ci doit démissionner de son poste ministériel en raison de ses ennuis judiciaires. Il est poursuivi par le promoteur Jacques Souchères qui l’accuse d’avoir bloqué illégalement un projet immobilier agréé - un village de vacances et un complexe touristique sur l’île de Ré – et exercé à son encontre des pressions par le biais d’une association qu’il préside, le comité pour l’aménagement et le développement (CADIR). D’abord innocenté par un jugement de 1971, il perd en 1972 devant la Cour d’appel de Poitiers qui dissout l’association et lui inflige une forte amende correctionnelle. Déstabilisé, Philippe Dechartre connaît une certaine traversée du désert. Il reste toutefois une figure du gaullisme de gauche. Membre du comité fédéral du Front travailliste en 1969, il est un des fondateurs avec Pierre Billotte, en novembre 1971, du Mouvement pour le socialisme par la participation (MSP) devenu, en 1983, Mouvement solidarité-participation. Secrétaire général du MSP, il figure au comité central de cette organisation. Après l’échec de Jacques Chaban-Delmas à l’élection présidentielle, il décide de suivre Jacques Chirac, lorsque ce dernier, succédant à Alexandre Sanguinetti, devient secrétaire général de l’UDR en décembre 1974, prenant de court les « barons » du gaullisme. Il rattache, dès la fin 1976, le MSP au parti gaulliste, nommé désormais le Rassemblement pour la République (RPR), rénové sur la base d'un « véritable travaillisme à la française » selon le programme annoncé en octobre par Jacques Chirac à Egletons, et dont le MSP constitue l’antenne gaulliste de gauche. Délégué général chargé de l’Action ouvrière et professionnelle (AOP) de 1976 à 1980, il devient en 1978 secrétaire général adjoint du Rassemblement chargé de la participation. Il rédige alors plusieurs brochures dont « Sur la Participation aux bénéfices, au capital et aux responsabilités des salariés dans les entreprises », « Transformer la condition ouvrière » et « La démocratie au quotidien par la Participation ». Exerçant une certaine influence au sein de Force ouvrière, il s’efforce dans la deuxième moitié des années 1970 d’orienter le syndicat vers les positions chiraquiennes. Membre du comité central (1977-1981) ainsi que du conseil politique du RPR (1979-1981), Philippe Dechartre devient à la fin des années 1970 une figure importante du Rassemblement et un proche du maire de Paris dont il est le conseiller en 1980-1981.
En mai 1981, gardant rancœur à l’encontre les giscardiens qu’il estime impliqués dans l’affaire du CADIR, il appelle à voter pour François Mitterrand au second tour de l’élection présidentielle d’abord dans les médias puis dans une lettre rédigée sur papier à en-tête du RPR et envoyée aux adhérents de la rue de Lille à partir du fichier du parti. Il reproche au président sortant d’être l’ennemi du gaullisme et de porter la responsabilité de l’affaiblissement de la France. François Mitterrand, qui apprécie par ailleurs Philippe Dechartre depuis leurs années communes de résistant même si les deux hommes n’ont jamais été proches, lui fait savoir qu’il n’est pas hostile à son entrée au gouvernement, perspective refusée par l’intéressé. Celui-ci s’éloigne à la fin novembre 1981 du RPR dont il craint la « droitisation » mais reste proche de Jacques Chirac. Il rejoint finalement le conseil national du RPR à la fin des années 1980. En 1990, il est vice-président de l’Union des anciens députés gaullistes. Il continue par ailleurs de s’intéresser au monde arabe et préside l’association France-Tunisie à partir de mai 1986.
En 1994, il entre au Conseil économique et social sur proposition du Premier ministre Edouard Balladur. L’ancien secrétaire d’Etat y reste seize ans, s’affirmant comme rapporteur de plusieurs grandes lois sociales et auteur de rapports notamment sur les questions culturelles. Il y préside à partir de septembre 1998 la section des économies régionales et de l’aménagement du territoire. Véritable pilier de cette assemblée dont il est le doyen, considéré comme un sage dans cette institution, il la quitte en 2010 à l’âge de 91 ans. Philippe Dechartre a profondément aimé cette instance de concertation socio-économique que de Gaulle, estimant que la démocratie avait besoin du concours des hommes en charge de son destin économique, social et culturel, avait voulu en 1969 dans un Sénat rénové comme « le conseil des forces vives de la nation ». Le gaulliste de gauche y apprécie l’écoute de l’autre, cette méthode pascalienne consistant, dit-il, à « s’asseoir dans le fauteuil de l’autre pour mieux le comprendre ». Par ailleurs, Philippe Dechartre fonde puis préside, entre 2001 et 2005, le club Nouveau Siècle, qui est associé à l’UMP et dont il est le directeur politique du journal. Dans les années 1990, il continue d’exercer une influence forte dans le monde franc-maçon. Vénérable d’honneur de la loge Paris, il prend en février 1997 la présidence de la « fraternelle parlementaire », cette association de 300 élus ou anciens élus, de collaborateurs de ministres et de fonctionnaires des assemblées appartenant aux différentes obédiences de la franc-maçonnerie et qui, au cours de réunions régulières, étudie les textes parlementaires en préparation, notamment ceux liés aux problèmes de société.
Philippe Dechartre, cet humaniste attachant, persuadé qu’une « société devait donner à chacun sa part de justice, de bien-être et de bonheur », meurt le 7 avril 2014 à l’hôpital Georges Pompidou dans le XVème arrondissement de Paris. Il avait été élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur et de grand-croix de l’ordre national du Mérite. Il avait reçu la croix de guerre avec palmes, la rosette de la Résistance. Il était enfin commandeur des Palmes académiques. Dans son éloge funèbre, Arnaud Montebourg, ministre de l’Economie, du redressement productif et du numérique, évoque à son égard « une dialectique de la volonté » et rappelle à propos de ce gaulliste de gauche cette formule d’Anatole France : « C’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore ».