Victor, Louis Dejeante
1850 - 1927
Né le 28 décembre 1850 à Charonne (Paris, 20e), mort le 7 décembre 1927 à Paris (20e).
Député de la Seine de 1893 à 1919 et de 1924 à 1927.
Victor Dejeante naquit le 28 décembre 1850 dans l'ancienne commune de Charonne avant son rattachement à Paris, dans un milieu ouvrier. En 1870, il s'engage à Vervins, au 2e bataillon de Chasseurs à pied et prend part aux batailles de Bapaume et de Saint-Quentin. Ouvrier chapelier depuis l'âge de 9 ans, il va rapidement militer dans les rangs socialistes et, en 1876, adhère au parti ouvrier. En 1880, il fonde la Société générale des ouvriers chapeliers de France, puis appartient au Secrétariat national du Travail, première ébauche de ce qui deviendra le Comité confédéral de la Confédération générale des Travailleurs. Il essaya même de jeter les bases d'une association des ouvriers chapeliers du monde. La Chambre syndicale de la chapellerie le délégua dans toutes les grèves de la corporation.
Lors de l'élection législative partielle qui eut lieu le 16 novembre 1890 dans le 18e arrondissement de Paris pour remplacer Jules Joffrin, décédé le 15 septembre de la même année, Victor Dejeante se présenta pour la première fois aux suffrages des électeurs : tant au premier qu'au second tour, il ne put recueillir qu'environ 10 % des voix des votants.
Aux élections générales législatives des 20 août et 3 septembre 1893, il brigua avec succès les suffrages des électeurs de la première circonscription du 20e arrondissement de Paris, c'est-à-dire des quartiers de Belleville et de Saint-Fargeau qu'il représentera pendant trente années. Arrivé en seconde position, au premier tour de scrutin, avec 3.269 voix sur 9.855 votants, derrière le socialiste Camélinat qui en totalisait 3.618, il passa au second tour en obtenant 4.416 voix sur 8.861 votants, contre 4.127 à son adversaire.
Le 14 mars 1896, il donna sa démission de député à la suite d'une contestation avec le parti allémaniste qui prétendait retenir une somme de 5.000 francs sur ses émoluments, ce à quoi il refusa de se plier.
Il se succéda à lui-même lors de l'élection partielle du 7 juin 1896, en obtenant 5.817 voix sur 8.071 votants. Au renouvellement du 8 mai 1898, il passa dès le premier tour de scrutin avec, sur 11.450 votants, 7.081 voix contre 2.021 à Caron ; parmi ses autres adversaires malheureux, il y avait le chansonnier Bruant, du Chat Noir.
Aux élections générales de 1902, il l'emporta aussi dès le premier tour, le 27 avril, avec 8.621 voix sur 12.268 votants, contre 2.904 à Castillon de Saint-Victor. En 1906, il triompha encore, dès le 6 mai, de Castillon de Saint-Victor, qui ne compta que 3.749 voix, avec 8.455 suffrages sur 12.594 votants.
En 1910, il est élu le 24 avril, au premier tour, avec 7.763 voix sur 12.839 votants, contre 4.076 à Dellac, dit Cladel. Aux élections générales de 1914, il se présenta avec le titre de délégué cantonal et fut facilement élu au premier tour, le 26 avril, avec 7.729 voix sur 12.444 votants, contre 2.450 à Wagner et 1.482 au même Dellac-Cladel.
Les élections générales du 16 novembre 1919, qui se déroulèrent au scrutin de liste, lui furent fatales : second de la liste du Parti socialiste-Comité d'action socialiste, dans la deuxième circonscription de la Seine, il ne fut pas élu ; seul, Lauche, tête de cette liste, ayant eu la chance de passer ; il n'avait obtenu que 22.970 voix sur 168.047 votants.
L'élection partielle, qui eut lieu les 27 février et 13 mars 1921 pour remplacer le même Lauche, décédé, et Alexandre Millerand, élu Président de la République, démissionnaire de son mandat, ne lui fut pas plus favorable. Il obtint sous l'étiquette de la liste du parti socialiste français, 20.722 suffrages, sur 118.015 votants au premier tour de scrutin et 345 voix, sur 133.043 votants, au second tour. Il fut plus heureux en 1924 : il fut en effet élu le 11 mai, second de la liste du Cartel des gauches, avec 50.350 voix sur 171.927 votants, derrière Léon Blum et devant l'amiral Jaurès.
Si, en 1893, son programme électoral est plus une charge contre son adversaire qu'un véritable programme, il fait siennes, lors des législatures qui vont suivre, les professions de foi du parti ouvrier socialiste révolutionnaire, du parti socialiste de France et de la toute jeune Section française de l'Internationale ouvrière, la S.F.I.O.
Victor Dejeante, qui siégea à la Chambre avec les socialistes - il fut même secrétaire du Groupe- eut une activité considérable. Dès la seconde législature à laquelle il appartint, la Revue politique et parlementaire le range parmi les vingt députés qui ont déposé le plus grand nombre de propositions durant la législature précédente.
Il appartint à de nombreuses Commissions, spécialement à celle du Travail, où il siégea de 1898 à 1919, ainsi qu'à celle de l'Amnistie (1900), des Associations et des Congrégations (1902) et à celle relative à la séparation des Eglises et de l'Etat (1903). Adversaire résolu « du sabre et du goupillon » et champion du progrès social, il ne manqua aucune occasion d'affirmer et de défendre vigoureusement ses convictions. Parmi ses innombrables interventions ou interpellations, on peut retenir celles qu'il fit à propos de la discussion du projet de loi sur les associations de malfaiteurs (1893), de la loi sur les menées anarchistes (1894 et 1895, 1898), en faveur de l'abrogation de la peine de mort (1898, 1910); son antimilitarisme le conduisit à demander la suppression de toutes les écoles à caractère militaire (1903), et son anticléricalisme à réclamer la suppression des cérémonies religieuses à caractère public, comme celles qui intervenaient à l'occasion de la rentrée des Chambres (1901), et des aumôneries dans les hôpitaux militaires (1906). Depuis son arrivée à la Chambre, jusqu'en 1919, il n'est pas de budgets à la discussion desquels il n'ait pris part. À quelque titre qu'il intervienne, Intérieur, Justice, Guerre, Marine, Colonies, Travaux publics, Commerce et Industrie, etc., il saisira l'occasion de se faire le champion de l'amélioration du sort des petits et des humbles et tentera de faire une réalité de son programme de progrès social. En août 1919, à propos de la ratification du traité de Versailles, il interviendra pour la dernière fois de sa vie parlementaire à la tribune, non sans une certaine noblesse, et réaffirmera dans cet ultime discours les convictions de toute sa vie. Lorsqu'il revint, en 1924, il était en effet « déjà profondément atteint par l'âge et la maladie ».
Il mourut en cours de mandat, le 7 décembre 1927, à son domicile parisien de Belleville, à l'âge de 77 ans. Dans la deuxième séance du 8 décembre 1927, le président Fernand Bouisson célébra « la figure originale... de l'artisan parisien, passionné par toutes les grandes causes justes et humaines, nourri de notre histoire révolutionnaire... descendant direct de ces ouvriers du Faubourg Saint-Antoine qui se sont levés, groupés, disciplinés, et qui ont pris la Bastille ». On ne peut mieux résumer toute l'action de Victor Dejeante que le fit Fernand Bouisson en cette courte phrase : « Il a défendu avec son éloquence directe et si souvent savoureuse les intérêts ouvriers. »