Jules Delahaye
1851 - 1925
Né à Angers le 5 mai 1851, mort à Paris le 18 avril 1925.
Député de l'Indre-et-Loire de 1889 à 1890 (invalidé) et de 1890 à 1893.
Député du Maine-et-Loire de 1907 à 1919.
Sénateur du Maine-et-Loire de 1920 à 1925.
Frère de Dominique-Julien Delahaye (1848-1932), sénateur du Maine-et-Loire de 1903 à 1932, Jules Delahaye fut reçu à l'Ecole des Chartes en 1873, licencié en droit en 1877, obtint la même année le diplôme d'archiviste-paléographe, avec un Essai sur la réforme ecclésiastique au XIe siècle. Il devint archiviste du département du Loir-et-Cher, mais, désireux de défendre des opinions monarchistes, ne tarda pas à quitter ce poste pour prendre à Tours, la direction du Journal d'Indre-et-Loire, « organe royaliste constitutionnel indépendant » - on peut ajouter : antisémite - direction qu'il assura jusqu'en 1895. Il se fit remarquer par la violence de ses polémiques et, notamment, par ses attaques contre le clergé libéral de Touraine ; il eut des démêlés avec Mgr. Meignan archevêque de Tours, qui mit son journal en interdit auprès de son clergé.
Devenu « boulangiste », c'est lui qui organisa à Tours, le 7 mars 1889, la manifestation au cours de laquelle le général Boulanger prononça son dernier discours avant de passer la frontière. En 1889, il se présenta à Chinon, en Indre-et-Loire, aux élections législatives, comme « seul candidat du parti national ». Le général Boulanger avait recommandé sa candidature par une lettre de Londres : « Votre programme est le mien et je demande à tous les électeurs partisans de la révision, qui veulent le relèvement de la France, de vous honorer de leurs suffrages ». Le 22 septembre, il fut élu député au premier tour de scrutin par 11.424 voix sur 22.750 votants, contre 11.071 à M. Joubert, républicain, député sortant. Mais son élection fut contestée, son adversaire estimant avoir été « odieusement calomnié par un placard de dernière heure » où Jules Delahaye - lui-même engagé volontaire en 1870 - l'accusait de s'être soustrait, à cette époque, à ses obligations militaires. La vérification des pouvoirs donna lieu à un débat très animé. Jules Delahaye se défendit longuement, s'employant à justifier ses allégations par des textes et des témoignages et tentant de ridiculiser son adversaire. Il donna, à la tribune, une première démonstration de ses talents de polémiste. Après un discours de Madier de Montjau qui ne cacha pas qu'il voterait son invalidation, parce qu'il était boulangiste, donc solidaire de toutes les calomnies de Boulanger contre la République, il fut invalidé par 286 voix contre 190, le 25 janvier 1890.
Réélu à l'élection partielle du 9 mars par 12.034 voix sur 23.018 votants, contre 10.865 à M. Joubert, il fut admis sans discussion le 27 mars.
« Elu sous le patronage du général Boulanger, Jules Delahaye était, écrit Barrès dans Leurs Figures, un des cinq ou six révisionnistes qui siégeaient à droite... Ces boulangistes, battus de tous les outrages, entretenaient à peine, dans la masse de leurs collègues, quelques relations de courtoisie ».
Jules Delahaye était resté fidèle au programme de Tours : « J'ai suivi Boulanger et je ne m'en repens que parce qu'il a manqué de foi en lui-même et en son pays ; mais, pour réaliser le programme de Tours, je suis décidé et prêt à tout. » Son caractère rude, ses fortes convictions de catholique anti-républicain, son isolement à la Chambre et aussi le désir de se venger de son invalidation, allaient déterminer son attitude au début de son mandat et l'amener, en particulier, à jouer un rôle important dans l'affaire de Panama. Sa première intervention en séance publique eut lieu en juin 1890, dans une discussion sur une pétition des actionnaires et obligataires de la Compagnie de Panama : dans un discours haché de nombreuses interruptions, il dénonça les majorations scandaleuses des factures des entrepreneurs, cita des chiffres et invita le Gouvernement à faire toute la lumière.
En mars 1892, par une question adressée au Ministre de l'Intérieur, il provoqua un vif débat sur les incidents auxquels avait donné lieu la prédication de carême d'un Jésuite à l'église Saint-Merri et dénonça la carence de la police.
En juin 1892, il interpella le Gouvernement sur les incidents provoqués par la condamnation de Drumont et de La libre parole par la Cour d'assises de la Seine, et accusa la magistrature de « varier la condamnation, non selon la gravité du délit, mais selon l'importance politique du plaideur ». Mais c'est la journée du 21 novembre 1892, celle que Barrès a nommée « la journée de l'Accusateur » et à laquelle il a consacré un chapitre de Leurs Figures, qui fit entrer Jules Delahaye dans l'histoire de la Troisième République.
Le scandale de Panama s'était aggravé ; Lesseps, Eiffel, le baron de Reinach, allaient comparaître devant la Cour d'appel, on savait que des parlementaires étaient compromis. Jules Delahaye avait demandé à interpeller sur « les lenteurs de la justice » et son interpellation, deux fois renvoyée, allait être discutée. Il préparait son discours et, selon Barrès, « si hardi de caractère, si désireux de frapper fort pour sa gloire et par haine des parlementaires, il se désolait de n'apporter que des allusions », quand il reçut la visite de deux hommes - des émissaires de la Compagnie - qu'il s'engagea à ne pas nommer et qui lui donnèrent des renseignements précis sur les fonds distribués aux parlementaires par l'intermédiaire du baron de Reinach et d'Arton, mais ne lui remirent aucun document. Il décida d'affirmer sans preuves, quitte à ne pas donner de noms.
Le 21 novembre, l'atmosphère était « lourde », on venait d'apprendre le suicide du baron de Reinach. « Quand Delahaye monta à la tribune, écrit encore Barrès, il était blême, avec ses lèvres retroussées qui laissaient voir, par éclairs, le luisant des dents, comme des crocs. » Dès la première phrase, il demanda la nomination d'une Commission d'enquête, ajoutant : « N'ayez crainte que j'abaisse ce débat à des questions de personnes, que je pourrais nommer. » A ces mots, les interruptions commencèrent, qui ne devaient plus cesser : « Nommez-les ! Les noms ! Les noms ! » Au milieu d'un tumulte grandissant, il affirma que trois millions avaient été distribués à des parlementaires, cita des faits précis, des cas particuliers, alla même jusqu'à désigner du doigt certains bancs, mais ne nomma personne. Aux cris répétés : « Les noms ! Les noms ! » aux interventions du président Charles Floquet, qui avait été mis en cause, Jules Delahaye répondait : « Votez l'enquête si vous voulez les noms. » « A chaque allégation de son réquisitoire, les pupitres soudain battus par cinq cents passionnés pour grossir leur clameur rappelaient le bruit de friture suivi d'un cri que fait le fer rouge sur l'épaule d'un galérien. » Jules Delahaye ne put terminer son intervention et quitta la tribune au milieu du vacarme, mais l'opération hardie avait réussi et, à la fin de la séance, la création d'une commission d'enquête, réclamée d'ailleurs par d'autres députés, fut décidée.
Comme il était normal, Jules Delahaye fut le premier à être entendu par la commission ; mais là encore, il dut s'en tenir à l'affirmation sans preuves et ne donna aucun nom, ce qui lui valut d'être pris à partie en séance publique, le 20 janvier 1893, par Paul Deschanel : « Qu'il se fasse délier de son serment de silence et qu'il parle. » A quoi Jules Delahaye ne put que répondre : « Je n'ai pas diffamé en désignant des noms que seule la magistrature a le devoir de découvrir ; elle les trouvera si elle veut. »
Mais, pas plus que le boulangisme, le scandale de Panama ne fut fatal à la République. Le régime tint bon et, aux élections de 1893, boulangistes et monarchistes essuyèrent une défaite. Dans l'Indre-et-Loire, alors que Daniel Wilson qui, dix ans plus tôt, avait compromis l'Elysée dans un autre scandale, retrouvait à Loches son siège de député, Jules Delahaye perdait le sien à Chinon, il était battu par M. Leffet, candidat républicain, n'obtenant que 10.784 voix contre 11.540 à son adversaire, sur 22.544 votants. Les 8 et 22 mai 1898, il ne se présenta pas. Le 27 avril 1902, il fut de nouveau battu, à Chinon, par M. Leffet, obtenant 9.052 voix contre 13.090 à son concurrent, sur 22.459 votants.
En 1896, le marquis de Morès, ami de Jules Delahaye et de Drumont, avait été assassiné par des Touareg dans le Sud-Tunisien, après une existence fort agitée, dont certains épisodes l'avaient rendu presque célèbre.
Sa veuve ayant soupçonné certains représentants du Gouvernement français à Tunis de porter une responsabilité dans cet assassinat, Jules Delahaye entreprit de l'aider dans ses recherches, se rendant notamment en Afrique du Nord, et entama avec elle une procédure judiciaire, qui se termina par un échec. En 1903, tous deux furent condamnés à des dommages et intérêts envers un officier qu'ils avaient mis en cause. Convaincu que justice n'avait pas été rendue, estimant aussi que la famille du marquis de Morès ne s'était pas assez employée à venger sa mémoire, Jules Delahaye publia, de 1905 à 1907, un ouvrage en trois volumes, intitulé : Les assassins et les vengeurs de Morès, où il exposa en détail toute l'affaire et critiqua la politique coloniale de la Troisième République.
En 1906, il fut d'autre part, l'animateur de la « ligue de résistance des catholiques », un des groupements d'opposition qui s'efforçaient, sans grand succès, de rassembler les catholiques sur le plan politique.
En 1907, il se présenta à une élection législative partielle qui avait lieu en Maine-et-Loire, département dont son frère Dominique était sénateur, pour remplacer M. de Maillé, duc de Plaisance, décédé, et il fut élu au premier tour député de Cholet, par 9.605 voix sur 12.891 votants. Il fut réélu le 24 avril 1910 par 10.603 voix contre 2.362 à M. West, sur 14.490 votants et le 10 mai 1914, au deuxième tour, par 8.860 voix contre 809 à M. Manceau sur 11.406 votants.
Le 16 novembre 1919, les élections eurent lieu au scrutin de liste, avec représentation proportionnelle. Jules Delahaye figurait en deuxième position sur la « liste d'Union nationale » dont seul le premier candidat, M. Bougère, fut élu avec 23.831 voix sur 52.449 votants ; Jules Delahaye était battu de peu, puisqu'il obtenait 23.671 voix.
De 1907 à 1919, il fut membre de différentes Commissions, notamment celles de l'Enseignement et des Beaux-Arts, des Affaires extérieures, de la Réorganisation économique et de la Commission d'enquête sur l'affaire Rochette. Ses interventions à la tribune furent nombreuses et eurent presque toujours un caractère politique marqué. Maintes fois, il interpella le Gouvernement ou prit part à la discussion d'interpellations d'autres députés. Se proclamant « hautement » catholique et royaliste, comme son frère, ce fut un opposant obstiné. « J'ai foi, disait-il, dans l'efficacité des protestations inlassables : mon groupe à moi, c'est le groupe des révoltés. » Son langage était souvent d'une grande violence, il se livrait à des attaques personnelles très vives et la plupart de ses discours étaient hachés d'interruptions nombreuses, parfois de rappels à l'ordre. En 1907, il déclara que le projet de loi sur le transfert des biens de l'Eglise était « inconstitutionnel et malhonnête » et s'en prit à « M. le Ministre de la Destruction publique des cultes ».
En 1909, interpellant le Gouvernement sur sa politique générale, il prononça une longue et virulente diatribe, ironisant sur les membres du Gouvernement ( « quant à M. le Sous-Secrétaire d'Etat aux P.T.T., comme la Belle Hélène pendant le siège de Troie, c'est pour sa beauté qu'on se bat » ), dénonçant l'arrogance « aveugle et sourde d'un Gouvernement en décomposition » et annonçant la renaissance de la monarchie.
En 1910, à propos de la liquidation des biens des congrégations, il évoqua les scandales passés - Panama , Mme Humbert - constata qu'il y avait une seule nouveauté : « les ministres se lavent bien les mains, les uns après les autres, mais chacun dans sa cuvette et pour son propre compte », et affirma que ceux qui approuveraient le Gouvernement « prendraient le parti des voleurs contre les volés », ce qui lui valut un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal.
En 1912, il combattit le scrutin de liste avec représentation proportionnelle, « scrutin d'équivoque et de confusion ». Il interpella sur l'affaire Rochette (« Si on ne l'a pas filé, celui-là, c'était pour le laisser filer »), évoqua les pertes de l'épargne et, dans une de ses nombreuses diatribes, contre les financiers, réclama qu'on en établît une « anthropométrie ».
En 1913, interpellant le Gouvernement Briand, il évoqua un personnage d'une comédie, une américaine qui, pour exprimer son accablement, « exhale, dans une langue empruntée aux langues de l'Ancien et du Nouveau Monde, ce cri du cœur qui me paraît convenir à merveille à M. le Président du Conseil : « Je souis dans un état de complète prostitoution. »
Il critiqua vivement, dans une longue intervention, le projet de transfert du musée du Luxembourg à l'ancien séminaire Saint-Sulpice et attaqua le conservateur, Léonce Bénédite, « qui, en bon sémite, rêve d'un grand magasin, d'une sorte de Bon Marché, pour y entasser les produits les plus disparates ». Il combattit le projet de loi sur la défense de l'école laïque, s'écriant : « C'est un acte inhumain que de forcer les catholiques à fréquenter certaines de vos écoles ! »
En 1914, ayant démissionné de la Commission d'enquête sur l'affaire Rochette, dont il était membre depuis 1910, il en combattit les conclusions et déposa un contre projet selon lequel Monis et Caillaux, respectivement président du Conseil et Ministre des Finances au moment du scandale, « avaient commis le crime prévu par les articles 177 et 179 du Code pénal, en contraignant par menaces des magistrats à faire ou à ne pas faire des actes entrant dans l'exercice de leurs fonctions ».
Pendant la guerre de 1914-1918, il resta d'abord silencieux environ un an, « pour ne pas rompre l'union sacrée ». En 1915, il recommença à intervenir, mais soutint, par principe, le Gouvernement, même si cela revenait à « le porter comme une lourde croix ». Cela ne l'empêcha pas de critiquer, de dénoncer, par exemple, dans un discours qui suscita de nombreuses protestations « la maladie du sommeil bureaucratique » et la carence d'un Gouvernement « qui portera un jour le nom de ministère des munitions, parce qu'il en a trop longtemps laissé manquer à notre armée ». Et il réclama une République « aussi continue, aussi cohérente, aussi forte qu'une monarchie ».
En 1915 également, il déposa une proposition de loi tendant à l'emploi de 3.000 agents de la police parisienne pour la fabrication des munitions et, en 1917, deux propositions de loi relatives, l'une au calcul des bénéfices de guerre, l'autre à la répression des campagnes de nature à nuire à la bonne conduite de la guerre.
En 1919, il interpella le Gouvernement sur « l'impunité constante dont jouissent les journaux dans leurs appels à l'émeute et à la révolution sociale ». Polémiquant avec Marcel Cachin, il accusa le parti socialiste de recevoir des fonds de l'étranger pour alimenter la discorde en France.
Son dernier acte politique à la Chambre fut son refus d'approuver le Traité de Versailles : il ne voulut pas voter contre, mais, le 2 octobre 1919, il s'abstint dans le vote sur la ratification. Dans un discours d'un ton plus serein qu'à l'accoutumée, il expliqua qu'il ne pouvait approuver un Traité - déjà contesté, d'ailleurs - qui avait l'inconvénient capital de laisser à l'Allemagne son unité, c'est-à-dire le meilleur moyen de préparer sa revanche. Il dénonça le déséquilibre de la Société des Nations, « Société du tigre, du mouton et de la gazelle », et affirma que, non seulement l'Allemagne ne paierait pas les réparations, mais qu'elle deviendrait l'arbitre du continent, tandis que la sécurité de la France dépendrait exclusivement de ses alliés anglo-saxons. « Le Traité maintient la force militaire allemande, qui se cachera comme elle voudra ; il nous soumet à nos alliés et nous promet à nos ennemis. » Battu, comme on l'a vu, aux élections législatives de 1919, Jules Delahaye se présenta, dans le Maine-et-Loire, aux élections sénatoriales du 11 janvier 1920 et fut élu au deuxième tour de scrutin par 613 voix, sur 940 votants, en même temps que son frère Dominique et MM. Bodinier et de Rougé. Il fut réélu en 1924, avec 517 voix sur 931 votants, en même temps que M. de Rougé, le comte de Blois et son frère Dominique.
Au Sénat, comme à la Chambre, il intervint fréquemment, mais sur des sujets moins exclusivement politiques. Ni ses convictions, ni son tempérament n'ayant changé, il continua à critiquer vivement les Gouvernements successifs, mais dirigea plus particulièrement ses attaques contre les financiers. La longueur de ses discours lassa plus d'une fois son auditoire.
En 1920, il s'abstint, comme son frère, dans le vote sur le projet de loi créant de nouvelles ressources fiscales, le considérant comme l'expression d'une politique qu'il ne pouvait approuver. Il critiqua également les impôts proposés, s'en prit aux banquiers internationaux et déclara qu'il voterait un tel texte «quand il pourrait y voir un gage sur la fortune allemande plutôt que sur la fortune française ».
La même année, il intervint à plusieurs reprises au sujet de la récupération des œuvres d'art appartenant à des particuliers et pillées par les Allemands, critiquant l'incurie du Gouvernement dans ce domaine. Il devait revenir sur ce sujet à différentes occasions au cours des années suivantes. En novembre 1921, il combattit le projet de loi sur la fréquentation scolaire et la prolongation de la scolarité obligatoire qui, selon lui, aggravait le statut des établissements catholiques. Un peu plus tard, à propos du rétablissement des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, il attaqua Briand, «avec son sourire toujours amical, toujours en biais et toujours, toujours décevant », se plaignit du mystère dans lequel il menait ses négociations, et critiqua ses « propositions insidieuses et ses exigences intransigeantes ». Evoquant la loi de séparation, « loi de vengeance qui a eu pour objet de détruire toute religion » et le système des associations culturelles, « intrusion des laïcs dans les affaires ecclésiastiques », il proposa un « concordat de séparation », ou, à défaut, un élargissement du système des fondations.
En 1922 et au début de 1923, il intervint à plusieurs reprises et très longuement à propos du renflouement de la Banque industrielle de Chine, dont le président était le frère de Philippe Berthelot, secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères. Il accusa le Gouvernement de chercher à « couvrir du nom de la France une cynique association de malfaiteurs », s'en prit aux financiers - et en particulier aux Rothschild - qui ruinaient la petite épargne et attaqua « Judas Berthelot », le « maire du palais de Briand ». A la fin de son dernier discours - d'une exceptionnelle longueur - il déclara : « Mon dernier mot sera, comme dans ma jeunesse : l'enquête, l'enquête ! »
A la suite de cette affaire, il déposa, le 26 mars 1923, une proposition de loi relative à la responsabilité personnelle des administrateurs et directeurs généraux de sociétés faisant appel à l'épargne.
En 1924, il émit des doutes sur l'opportunité de la translation des cendres de Jaurès au Panthéon, reconnaissant toutefois qu'il était « moins dangereux au Panthéon qu'à la tribune ». Quelques mois plus tard, dans la discussion de la loi d'amnistie, il défendit, sans succès, un amendement tendant à exclure des faits amnistiés les manquements à l'honneur visant expressément Caillaux, Malvy et Marty. En 1925, il intervint, avec son frère, dans la discussion d'un projet de loi sur la surveillance des établissements de bienfaisance privée. Il insista un peu plus tard, sur le danger que représentait le développement des taudis à la campagne.
Symboliquement, son dernier acte fut une protestation : le 9 avril 1925, il déposa une demande d'interpellation sur « la nomination d'un homme de lettres dans la Légion d'honneur dans des conditions manifestement contraires aux traditions de l'ordre et à la morale publique ». Il mourut à Paris le 18 avril 1925 à l'âge de 74 ans.
Au Sénat, il avait été membre successivement de la Commission d'intérêt local (1920), des Commissions de l'administration générale et de l'enseignement (1921), des Commissions des chemins de fer et du commerce (1922), de la Commission du commerce (1923), de la Commission de l'enseignement (1924) et de la Commission de législation (1925).
Cet homme de grande culture, de fortes convictions, de caractère passionné et hardi, d'incontestable talent, mais rude, âpre - c'est l'adjectif qui lui est souvent appliqué - hargneux même, et dont on a vu la violence du langage (il fut d'ailleurs condamné plusieurs fois pour diffamation et injures), n'avait rien de cette bonne humeur qui, chez son frère Dominique, tempérait la sévérité des critiques et la faisait accepter.
Dans l'éloge funèbre qu'il prononça le 21 avril, le président de Selves à tracé de lui ce portrait : « Quand, après avoir promené sa main sur sa barbe noire, et projeté sur ses adversaires un regard d'acier, il se dressait à la tribune et lançait sa voix cinglante, n'évoquait-il pas, en quelque manière, la vision d'un de ces preux à cotte de mailles, frappant à coups de hache la porte qu'il voulait enfoncer ?... Ses interventions étaient ardentes et âpres, il lui aurait paru être en faute avec sa propre conscience si quelque considération étrangère au but qu'il poursuivait avait atténué la force de son argumentation et la rudesse de ses coups. N'avait-il pas buriné lui-même son propre portrait dans la préface d'un de ses ouvrages ? « Voyez-vous cette pendule ? disait Lamennais, on lui dirait : si tu sonnes l'heure dans dix minutes, on te coupera la tête, que, dans dix minutes, elle ne sonnerait pas moins l'heure qu'elle doit sonner. Faites comme cette pendule : quoi qu'il puisse arriver, sonnez toujours votre heure ! » De tels caractères ne cherchent pas à provoquer là sympathie, mais imposent le respect.»
Outre son ouvrage sur le marquis de Morès, déjà cité, et celui qu'il écrivit en 1922 avec son frère Dominique, Jules Delahaye avait publié en 1888 : Nouveaux évêques, nouveaux diocèses, et en 1921, La reprise des relations avec le Vatican.