Roger, Jean-Marie, Camille Delthil
1869 - 1951
Né le 11 mai 1869 à Moissac (Tarn-et-Garonne), mort le 12 décembre 1951 à Moissac.
Député du Tarn-et-Garonne de 1924 à 1927.
Sénateur du Tarn-et-Garonne de 1927 à 1944.
Sénateur, membre du Conseil de la République de 1948 à 1951.
Fils du précédent et, comme lui, doublement fidèle à son parti et à son terroir, Roger Delthil eut une carrière parlementaire un peu moins tardive et beaucoup plus longue que son père.
Né moins de deux ans avant le désastre militaire de Sedan, il fut élevé dans le culte de la patrie et de la république, que son père, adversaire acharné de l'Empire et admirateur de Gambetta, lui apprit à révérer également. Erudit et fin lettre, il lui enseigna encore l'amour de sa ville natale, considérée comme le trésor archéologique du Bas-Quercy, célèbre par son abbaye bénédictine, associant presque côte à côte l'extraordinaire portail du « Jugement dernier » et le cloître ogival, aux délicates arcatures, où le rose de la pierre s'allie délicieusement au bleu du ciel et au vert des cèdres et des magnolias. trente années durant, Roger Delthil porte l'austère robe de magistrat, avec une égale fierté, quelle fût noire ou rouge. « il trouvait une joie sereine et profonde, une sorte de plénitude spirituelle et morale à l'exercice de sa profession. Elle lui permettait de voir de plus près les misères ou les vices des hommes, de compatir aux unes et de peser les raisons des autres. Son sens de l'humain trouvait matière à s'employer. « J'ai été un très mauvais procureur », disait-il un jour au Ministre de la Justice, « j'envoyais toujours mes états en retard. Mais j'ai vécu ma vie de procureur et j'allais régulièrement voir mes prisonniers. » Et il ajoutait avec philosophie « quand je disparaîtrai un jour - le plus tôt sera le mieux - mon meilleur souvenir sera peut-être que, deux ou trois fois dans ma vie, j'aie pu ramener des hommes au bien qui, sans moi, eussent été perdus... » Substitut du procureur de la République, président de tribunal ou conseiller à là Cour d'appel, il avait surtout gardé, de ce qu'il appelait « sa modeste carrière de magistrat » le sens aigu de l'indépendance, vertu essentielle à l'œuvre de justice et critérium incontestable d'un Pays libre. » (Gaston Monnerville).
Son entrée dans l'arène politique, à 55 ans, coïncide sensiblement avec les bouleversements de la première guerre mondiale. Son état de magistrat ne l'avait pas empêché, prenant la relève de son père, de militer dans les rangs républicains, mais il n'avait jusqu'alors brigué aucun mandat électoral. Il est, pour la première fois, candidat aux élections générales législatives d u 16 novembre 1919 sur la liste de concentration républicaine où, inscrit en troisième position, il obtient, avec 15.609 suffrages, 86 voix de plus que le premier de liste, sur 42.258 votants. Il est néanmoins battu par les trois candidats de la liste républicaine d'union nationale, où figurait Auguste Puis, qui sera plus tard son colistier. Aux élections suivantes du 11 mai 1924, il obtient une éclatante revanche : inscrit numéro deux dans la liste d'union des gauches, après Auguste Puis, il est élu avec 24.523 voix sur 45.665 votants.
Dans l'action de Roger Delthil à la Chambre du Cartel, on sent encore le conseiller de la Cour d'appel d e Bordeaux qu'il était peu de temps auparavant. Il siège à la Commission du travail, à la Commission d'Alsace-Lorraine, il suit attentivement les travaux de l'austère et importante Commission de législation civile et criminelle. Mais c'est au sein de la Commission des marchés et des spéculations, dont il est élu président, qu'il révèle pleinement ses qualités de rigueur morale et de droiture, associées à une grande compréhension humaine.
Rapportant l'avis de la Commission sur l'article 181 de la loi de finances pour l'exercice 1925, qui interdit aux anciens fonctionnaires des administrations financières l'exercice de certaines fonctions, il définit ainsi sa doctrine : « Exiger de nos fonctionnaires, des plus élevés comme des plus modestes, quand ils désirent trouver dans une entreprise privée, un emploi plus rémunérateur de leur activité et de leur initiative, qu'ils n'abandonnent leurs fonctions que dans des conditions d'absolue correction, ne donnant prise à aucune critique, laissant ainsi intact à leurs collègues, qui restent au service de l'Etat, le haut renom d'honorabilité qui est comme leur patrimoine collectif. » Dans le même esprit, il stigmatisa les enrichissements scandaleux des profiteurs de guerre et demanda au Gouvernement de déposer un projet de loi ordonnant la révision des marchés passés pour la liquidation des stocks de guerre et de taxer plus vigoureusement les bénéfices des sociétés intéressées à ces marchés.
Entre temps, il consolidait sa situation sur le plan départemental : 1925 voit à la fois son élection comme conseiller général et comme maire de Moissac. Sa carrière locale, dès lors, ne connaîtra aucune interruption, aucun échec, jusqu'aux événements de 1940. Aux élections cantonales de 1931 et de 1937, il passera au premier tour, sans coup férir ; il deviendra président du Conseil général en 1937. Il restera à la tête de la municipalité de Moissac jusqu'en 1941, date à laquelle le Gouvernement de Vichy prononça sa démission d'office.
La période 1924-1927 fut, pour Roger Delthil, celle des succès les plus éclatants. Son entrée au Luxembourg, en 1927, représente, pour les contemporains, comme une manière de coup de théâtre. Le Tarn-et-Garonne était alors représenté à la Haute Assemblée par Henri Poittevin, professeur au Conservatoire des Arts-et-Métiers, président du Conseil général, et surtout par Justin de Selves, ancien préfet de la Seine, ancien Ministre des Affaires étrangères membre de l'Institut qui, ayant remplacé Gaston Doumergue à la présidence du Sénat, avait ressuscité dans l'hôtel du Petit Luxembourg tous les fastes de la Belle Epoque.
Pour deux sièges à pourvoir trois candidats sérieux étaient en lice. Trois candidats, c'est-à-dire trois caractères et trois tendances différentes : Justin de Selves, un grand commis promu aux plus hauts honneurs politiques, mondain, aristocratique, un homme du Second Empire attardé au XXe siècle, sans grandes attaches provinciales, étiquette « Union républicaine », c'est-à-dire représentant de la droite traditionnelle. Auguste Puis, politicien sans convictions profondes, aimable, disert, continuellement désargenté, cultivant l'oisiveté comme une forme des beaux-arts. Roger Delthil, paisible colosse, cachant derrière une démarche paysanne une grande finesse d'esprit, derrière une parfaite courtoisie, l'austérité du magistrat et la rigueur du militant attaché à ses convictions radicales.
Au scrutin du 9 janvier 1927, Auguste Puis est élu dès le premier tour, devançant le président de Selves (188 suffrages) et Roger Delthil (154 voix). Que se passe-t-il entre le premier et le second tour ? Nul témoin ne l'a rapporté. Toujours est-il que l'ordre des deux postulants au second siège était subitement renversé, Roger Delthil gagnant d'un coup 88 voix tandis que Justin de Selves en perdait 11. Le brillant président du Sénat était battu par un homme neuf, solide mais sans éclat, qui n'en conçut nulle fierté apparente.
Inscrit à la Commission sénatoriale de législation civile et criminelle, Roger Delthil y fit preuve d'un labeur acharné, comme en témoigne dans son éloquente sécheresse le compte rendu de ses activités par la « Table des Annales » : année 1927, dépose un projet de loi sur la réorganisation judiciaire ; année 1928, dépose un rapport sur le projet de loi ayant pour objet de modifier l'article 28 de la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, dépose un rapport sur la proposition- de ;loi relative à la sauvegarde des droits de la défense ; année 1929, dépose un projet de loi sur la réorganisation judiciaire ; année 1930, défend des amendements au projet de loi sur l'organisation des tribunaux de première instance ; année 1931, parle dans la discussion du projet de loi portant modification de la loi du 17 juillet 1915 sur l'expropriation pour cause d'insalubrité publique, dépose un rapport sur la proposition de loi réprimant la fraude en matière de divorce, etc. Jusqu'à la guerre de 1939, il n'est pas de question importante, en matière de droit civil ou de procédure, où l'opinion éclairée de Roger Delthil n'ait été sollicitée par ses collègues.
« Il s'intéresse avec passion et ténacité à la réforme judiciaire... s'attache à soutenir l'indépendance de la magistrature sans laquelle, disait-il, « il n'y a pas de vraie démocratie », le rapprochement du juge et du justiciable par le maintien des tribunaux d'arrondissement, le principe de la collégialité des tribunaux, seule susceptible d'assurer la sérénité et l'indépendance de la justice dans les petites villes de province. Il s'éleva contre les prisons communes, défendit le principe de l'isolement des détenus, réclama la diminution des frais de justice et le développement de l'assistance judiciaire. Démocrate d'action, Roger Delthil s'est toujours élevé contre les risques d'atteinte à la liberté individuelle. » (Gaston Monnerville).
Il fut réélu, aux élections du 20 octobre 1935, sans grande difficulté, par 269 voix sur 420 votants. Pressentant les menaces d'un nouveau conflit mondial, il milita, à la Commission de l'air, en faveur d'un armement efficace et moderne.
Le 10 juillet 1940, à Vichy, Roger Delthil fut des 569 parlementaires qui votèrent la révision constitutionnelle. Mais, choqué dans ses convictions républicaines par l'usage que fit le Gouvernement de Vichy des pouvoirs que le Parlement lui avait délégués, il manifesta rapidement son opposition au régime de l'Etat français, qui le destitue de ses foncions de maire. En raison de ses faits de résistance il put, en 1948, répondre aux sollicitations pressantes de ses concitoyens qui, durant vingt-cinq années, avaient apprécié ses qualités d'administrateur compétent et dévoué. Personne n'avait oublié son action durant les terribles inondations de 1930, ses efforts pour mettre en valeur l'admirable patrimoine artistique de Moissac et pour développer la culture de raisins de table mondialement renommés. Roger Delthil retrouve donc, à près de 80 ans, son fauteuil sénatorial. Mais l'âge et les épreuves avaient usé sa belle énergie de naguère. Respecté de tous et écouté en Commission, il n'intervint plus dans aucun débat public, jusqu'à sa mort, survenue à Moissac le 12 décembre 1952, à 83 ans Deux jours plus tard, le président Monnerville, sénateur du Lot, adressait au « patriarche républicain », au collègue du groupe, au voisin, à l'ami, un long et émouvant adieu. « Personnalité puissante et originale, Roger Delthil possédait, sous les dehors d'une trompeuse nonchalance, la ténacité silencieuse du paysan quercynois. Il observait les hommes plus qu'il n'étudiait les dossiers. Il méditait sur les problèmes plus qu'il n'en débattait, mais une fois que la réflexion avait mûri en lui la décision, il l'imposait autour de lui et en assurait lui-même l'exécution, pénétré de ce principe que l'autorité implique la responsabilité. Nous ne le verrons plus, méditatif et silencieux, entrant lentement dans l'hémicycle par la travée centrale, haute silhouette athlétique et sereine, au large front penché qu'illuminait, comme une auréole, une chevelure aux mèches crêtées de flamme qui eût tenté Fragonard. »
Né le 11 mai 1869 à Moissac (Tarn-et-Garonne)
Décédé le 12 décembre 1951 à Moissac
Député du Tarn-et-Garonne de 1924 à 1927
Sénateur du Tarn-et-Garonne de 1927 à 1944, puis de 1948 à 1951
(Voir première partie de la biographie dans le dictionnaire des parlementaires français, tome IV, pp. 1369 à 1371)
Roger Delthil renoue avec la vie publique nationale lors du scrutin au Conseil de la République du 7 novembre 1948 dans le Tarn-et-Garonne: la liste du RGR, menée par Frédéric Cayrou, remporte alors les deux sièges à pourvoir : Roger Delthil est élu au deuxième tour, par 282 voix sur 367 suffrages exprimés.
Membre du groupe du RGR, il siège à la Commission de la justice, et à celle de la famille.
Cependant, son grand âge ne lui permet guère d'exercer activement son mandat et il meurt le 12 décembre 1951 à son domicile de Moissac.