Alexandre Douala Manga Bell
1897 - 1966
Né le 3 décembre 1897 à Douala Bell (Cameroun)
Décédé le 19 septembre 1966.
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale Constituante (Cameroun)
Député du Cameroun de 1946 à 1958
Alexandre Douala Manga Bell est né le 3 décembre 1897 à Douala (Cameroun, colonie allemande depuis 1884). Le pays Douala correspond à la côte de l'Atlantique, entre l'embouchure de la Ntem et celle du Wouri et comprend notamment l'estuaire du Cameroun : il s'agit donc de la partie du pays la plus ouverte sur l'extérieur et où l'occidentalisation sera la plus prononcée.
Le jeune homme descend de la famille royale des Douala, dont son « bisaïeul Ndoumba Lobe fut le dernier roi ». Son père Rudolf Douala Manga, est à la tête de la résistance des chefs locaux à l'administration allemande lorsque celle-ci cherche à exproprier d'importants terrains (900 ha. au total) pour développer la ville de Douala. Il signe la pétition à la Diète de Berlin, le 8 mars 1912, mais est suspendu de ses fonctions de chef suprême par les Allemands le 4 août 1913, et emprisonné. Le 7 août 1914, Rudolf Douala Manga est condamné à la pendaison, sentence exécutée dès le lendemain. Le premier conflit mondial éclate peu après, et la ville de Douala tombe très rapidement aux mains des troupes franco-anglaises (28 septembre 1914).
Alexandre Douala Manga Bell, après son cursus secondaire, poursuit des études supérieures en Allemagne, où il est surpris et bloqué par le déclenchement de la guerre. « Il en rapporte une formation morale et intellectuelle rigide et froide, un sens absolu de l'honneur dont il se plait à exalter le témoignage dans ce que fut la vie de son père ». Revenu au Cameroun après la fin des hostilités, il y retrouve la traditionnelle position prépondérante de sa famille, dont il est le fils aîné. Cependant, les difficultés concernant les indemnités d'expropriation soulevées à l'encontre de l'administration allemande se poursuivent avec l'administration française, contre laquelle Alexandre Douala Manga Bell est engagé dans plusieurs très longs procès.
Etabli comme propriétaire planteur, il épouse, en 1921, une jeune fille originaire de Cuba. Le jeune couple séjourne alors un temps en France, mais, après trois ans de vie commune, le ménage se sépare, Alexandre Douala Manga Bell rentrant au Cameroun tandis que sa jeune femme reste à Paris avec leurs deux enfants en bas âge. Alexandre Douala Manga Bell, qui envoie plus ou moins régulièrement des fonds à sa femme, réussit enfin, en 1942, à faire venir son fils, José Manga Emmanuel, près de lui.
L'ordonnance du 22 août 1945 prévoyait, parmi les modalités de la représentation du Cameroun à l'Assemblée Constituante, la constitution d'un deuxième collège électoral rassemblant les « notables évolués ». Candidat au titre du M.R.P., devant le collège des « non-citoyens », aux élections du 21 octobre 1945, Alexandre Douala Manga Bell recueille 5 274 voix sur 12 468 votants et est élu au deuxième tour représentant du Cameroun (18 novembre 1945).
Il est nommé membre de la Commission des territoires d'outre-mer, et prend part à la discussion d'interpellations sur la situation de la France d'outre-mer. Favorable, le 28 mars 1946 à la nationalisation de l'électricité et du gaz, il se prononce, le 19 avril suivant, pour le projet de Constitution et, le 24, pour la nationalisation des assurances.
Alexandre Douala Manga Bell brigue le renouvellement de son mandat lors des élections du 2 juin 1946, pour la seconde Assemblée nationale Constituante, toujours au titre du M.R.P., devant le collège des « non-citoyens » du Cameroun. Avec 5 236 voix sur 9 988 suffrages exprimés, il est réélu et retrouve à l'Assemblée, la Commission des territoires d'outre-mer (1946). Le 28 septembre 1946, il soutient le projet de Constitution.
Lors des élections du 10 novembre 1946 pour la première législature de la IVe République, Alexandre Douala Manga Bell se présente, toujours comme candidat M.R.P., devant le collège des autochtones de la deuxième circonscription du Cameroun. Il est à nouveau réélu, avec 7 659 voix sur 11 058 suffrages exprimés. A nouveau nommé membre de la Commission des territoires d'outremer (1946, 1947, 1949), il siège également à la Commission des pensions (1948-1951) et intervient à plusieurs reprises dans les débats, notamment lorsque ceux-ci abordent les problèmes de l'outre-mer et les pouvoirs des Assemblées représentatives locales.
Le 4 mai 1947, il vote pour la confiance au gouvernement, scrutin à la suite duquel Ramadier se sépare de ses ministres communistes. Il est également favorable au projet de loi sur le statut de l'Algérie (27 août 1947).
Cette période est cependant marquée par un très grave drame personnel : une procédure de divorce a en effet été engagée entre Alexandre Douala Manga Bell et son épouse. Le député s'oppose dès lors de plus en plus violemment à son fils, qui semble mener à Paris « une vie désordonnée » et a des besoins d'argent de plus en plus impérieux. « Las de répondre des dettes contractées dans les auberges et les milieux louches, Alexandre Douala Manga Bell décide de rompre toutes relations avec son fils, auquel il interdit formellement l'accès de la maison paternelle ». Celui-ci s'y présentera pourtant, et les heurts violents reprennent entre les deux hommes jusqu'à ce que, dans la nuit du 15 septembre 1947, Alexandre Douala Manga Bell abatte son fils de deux coups de fusil. Arrêté à la suite de cet assassinat, Alexandre Douala Manga Bell est mis en liberté provisoire le 19 novembre 1947. La Commission parlementaire chargée d'examiner la demande en autorisation de poursuites concluera au rejet de celle-ci (30 juillet 1948) et sera suivie par l'Assemblée (6 août 1948).
Opposé à la nationalisation des écoles des houillères (14 mai 1948), Alexandre Douala Manga Bell se prononce pour la ratification du plan Marshall (7 juillet 1948), pour la constitution du Conseil de l'Europe (9 juillet 1949) mais contre la ratification du pacte de l'Atlantique (26 juillet 1949). Enfin, il approuve la réforme électorale instituant le scrutin de liste majoritaire à un tour avec apparentements (7 mai 1951).
Alexandre Douala Manga Bell est à nouveau candidat M.R.P. devant le collège des citoyens de statut personnel de la deuxième circonscription du Cameroun lors des élections du 17 juin 1951 pour la deuxième législature. Dans ses engagements électoraux, il rappelle l'importance de la tradition d'engagement de sa famille « Je pense que ma ferme décision de vous défendre inébranlablement, ferme décision basée sur l'exemple donné par mon père qui, comme vous le savez, est allé jusqu'à sacrifier sa vie pour le pays, me donnera vos voix sur cette seule promesse de servir le Cameroun sans distinction aucune de religions, d'opinions politiques, de clans, de tribus ou de races. Tel est le but de ma candidature. A vous de décider du choix. J'ose espérer que, toute réflexion faite, votre choix tombera sur votre candidat qui vous apporte l'amour pour son pays et pour les enfants de ce pays... ». Avec 38 043 voix sur 76 950 suffrages exprimés, il est effectivement réélu, mais le prestige de son nom lui permet d'obtenir aussi, au même scrutin 4 515 voix sur 92 169 suffrages exprimés devant le même collège de la première circonscription du Cameroun, dont le siège est facilement conservé par le député S.F.I.O. sortant, Paul François Ninine.
Alexandre Douala Manga Bell retrouve, à l'Assemblée, la Commission des territoires d'outre-mer (1951, 1955) mais est également membre de celles de la justice et de la législation (1954-1955) et de la presse (1954). Il dépose, au cours de cette législature, deux textes dont sa proposition de loi en date du 19 janvier 1953 qui vise à instituer au Cameroun un collège électoral unique, et il reviendra à plusieurs reprises, dans les débats parlementaires, sur ces problèmes et ceux de l'érection de communes de plein exercice au Cameroun. Il est en outre délégué de la France à la septième session de l'O.N.U. (1952), où il a notamment en charge de défendre l'accord de tutelle de la France sur le Cameroun - ce qui l'éloignera du mouvement nationaliste naissant.
A partir de mars 1952, Alexandre Douala Manga Bell siège en outre à l'Assemblée territoriale camerounaise.
Favorable au pool charbon-acier (13 décembre 1951), Alexandre Douala Manga Bell vote l'investiture à Antoine Pinay (6 mars 1952) puis à Joseph Laniel (26 juin 1953) mais se prononce contre le cessez-le-feu en Indochine (9 mars 1954) et s'abstient volontairement lors du vote du 13 mai sur le soutien au gouvernement après Diên-Biên-Phû. Enfin, il vote la confiance au gouvernement Laniel lors du scrutin du 12 juin ayant entraîné sa chute, puis l'investiture de Pierre Mendès-France (17 juin), et il approuve les accords de Genève mettant fin aux hostilités en Indochine (23 juillet). Dans la logique de ses positions antérieures, notamment exprimées lors de son intervention dans la séance du 26 janvier 1953, il se déclare opposé aux accords de Paris prévoyant le réarmement de l'Allemagne et son entrée dans l'O.T.A.N. (29 décembre 1954). Le 4 février 1955, il est partisan de la confiance à Pierre Mendès-France et soutient l'investiture d'Edgar Faure le 23 février.
L'année 1955 est très difficile au Cameroun, où la chute des prix des matières premières provoque une agitation diffuse, entretenue par l'U.P.C. (Union des peuples camerounais) et culminant avec la grave crise sociale et politique de mai : on enregistre plusieurs dizaines de morts à la suite des troubles à Douala même, le couvre-feu est instauré et, le 13 juillet, l'U.P.C. est dissoute par décret.
Lors des élections du 2 janvier 1956 pour la troisième législature, Alexandre Douala Manga Bell désigné officiellement comme « planteur et chef supérieur » faisant partie du Ngondo (l'assemblée traditionnelle du peuple douala), se présente au titre des Indépendants d'outre-mer devant le même collège du Cameroun. Ses engagements électoraux insistent tout particulièrement sur sa proposition de loi visant à établir le collège unique au Cameroun. Avec 41 365 voix sur 106 469 suffrages exprimés, il est à nouveau réélu. Son principal adversaire, Isaac Tchoumba-Nouangkeu, obtient quant à lui 20 979 voix et l'élection, qui aurait été entachée de nombreuses irrégularités, est suivie d'une longue enquête parlementaire. Devant le manque de preuves tangibles, la Commission conclut à la validité du scrutin, notant particulièrement que : « M. Alexandre Douala Manga Bell n'avait pas besoin d'une pression administrative pour se faire élire au Cameroun : si sa popularité a peut-être baissé dans de grands centres comme Douala, elle demeure entière dans le reste du pays... ». Suivant les conclusions de la Commission, l'Assemblée accepte la validation, le 6 juin 1956. Alexandre Douala Manga Bell est nommé membre de la Commission de la justice et de la législation (1956, 1957), de celle des territoires d'outre-mer (1956) et de celle de la presse (1957). Il dépose, au cours de cette législature, quatre textes relatifs à la situation et à l'administration du Cameroun : sa proposition de loi du 7 juin 1956 porte amnistie des condamnations prononcées sur le territoire du Cameroun, et vise à le rapprocher des indépendantistes. Partisan de la confiance à Guy Mollet (31 janvier 1956), il vote pour les pouvoirs spéciaux en Algérie (12 mars).
La loi-cadre promulguée sous l'impulsion de Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer dans le gouvernement Guy Mollet, le 23 juin 1956, en généralisant le collège unique et le suffrage universel direct, assure pratiquement l'autonomie des territoires d'Afrique noire et leur évolution vers l'indépendance. Après être intervenu dans la discussion sur le décret du 28 mars précédent portant statut du Cameroun, Alexandre Douala Manga Bell démissionne de son siège de député le 4 avril 1957. Candidat aux législatives partielles du 23 juin suivant, il insiste notamment, dans son « Appel à la nation camerounaise », sur la nécessité de l'indépendance, et de « l'unification des deux Cameroun ». Il est réélu, avec 54 942 voix sur 167 369 suffrages exprimés, son adversaire principal, Isaac Tchoumba-Nouangkeu, alors emprisonné au secret à Yaoundé, recueillant pourtant 50 023 voix. A la suite de cette réélection, validée le 24 juillet 1957, Alexandre Douala Manga Bell dépose, dès le 25 juillet, une proposition de loi tendant à interdire le cumul des mandats à l'Assemblée nationale française et à l'Assemblée législative de l'Etat sous tutelle du Cameroun.
Il intervient en outre à plusieurs reprises dans les discussions parlementaires sur la ratification des traités de la C.E.E. et de l'Euratom et la position de l'Afrique à cet égard.
Opposé à la prorogation des pouvoirs spéciaux en Algérie (19 juillet 1957), il ne prend pas part à la plupart des scrutins importants marquant la fin de la IVe République. Il est clair que, pour lui, l'avenir de sa carrière politique doit désormais se développer dans le cadre du Cameroun, qui ne tardera pas à devenir un Etat indépendant.