Pierre, Sylvain Dreyfus dit Dreyfus-Schmidt
1902 - 1964
Un fonds Pierre et Michel Dreyfus-Schmidt de 12,96 mètres linéaires est conservé aux Archives départementales du Territoire de Belfort sous la cote 144 J. Il s’agit d’archives produites entre 1919 et 2008, et qui ont été déposées par la famille en 2008. En outre, des papiers relatifs à l’étude Dreyfus-Schmidt, ont été déposés aux Archives départementales entre 1993 et 1995. Ils représentent 66 mètres linéaires et sont consultables sous la cote 68 J. Des dossiers de clients du cabinet d'avocat de Pierre Dreyfus-Schmidt, produits entre 1927 et 1957, sont également conservés (129 J). Ils ont été déposés en 2005 par Michel Dreyfus-Schmidt et représentent 3,4 mètres linéaires. Enfin, quelques demandes d’interventions auprès du parlementaire Michel Dreyfus-Schmidt sont consultables sous la cote 130 J. Elles couvrent la période 1946-1953 et représentent 1,80 mètres linéaires. Ces papiers ont eux aussi été déposés en 2005 par Michel Dreyfus-Schmidt. Chacun des ces quatre fonds est décrit dans un répertoire numérique. Leur consultation est soumise à autorisation.
Né le 11 mai 1902 à Belfort
Décédé le 4 juillet 1964 à Belfort
Membre de la première Assemblée nationale Constituante (Territoire de Belfort)
Député du Territoire de Belfort de 1946 à 1951 et de 1956 à 1958
Pierre Dreyfus-Schmidt est issu d'une famille juive d'origine alsacienne. Après l'annexion de l'Alsace en 1871, elle quitte Mulhouse pour Belfort. Le père de Pierre Dreyfus-Schmidt, représentant en tissus de son état, est de sensibilité radicale et franc-maçon.
Les années vingt sont pour Pierre Dreyfus-Schmidt né en 1902 les années de formation, les années trente, celles de l'apprentissage des fonctions électives. En 1920, le diplôme du baccalauréat obtenu, il s'inscrit à Paris à la faculté de droit et à l'Ecole libre des Sciences politiques. Le 25 novembre 1925, il prête le serment d'avocat. Tout en faisant ses études universitaires, il participe aux travaux de la conférence d'éloquence Molé-Tocqueville par laquelle sont passés les hommes politiques les plus en vue de sa génération. Il y apprend à traiter des grandes questions nationales dans les formes de la délibération parlementaire. Le jeune Pierre Dreyfus-Schmidt collabore aussi au journal radical belfortain La Frontière.
Le maire de Belfort, Edouard Levy-Grunwald, ami de son père, lui demande de revenir dans sa ville natale pour recevoir le sacre du suffrage universel. C'est ainsi qu'en octobre 1928, aux élections cantonales, il est en position d'être élu mais se retire au profit de son aîné Lucien Gardey. En revanche, l'année suivante, il est élu conseiller municipal et adjoint au maire de Belfort. La même année, fort de l'appui du député Edouard Miellet, président de la fédération départementale du parti radical, il en devient secrétaire général. Aux élections législatives de 1932, Pierre Dreyfus-Schmidt est investi candidat radical dans la circonscription de Belfort-campagne nettement plus à droite que Belfort-ville. Cependant, le duel qui oppose le jeune espoir du parti radical au candidat conservateur prend une dimension nationale dans la mesure où il affronte le président André Tardieu. Celui-ci est facilement réélu. Quatre ans plus tard, Tardieu parti, Pierre Dreyfus-Schmidt se présente dans la même circonscription contre Emile Lardier président du Conseil général. Malgré son appel à l'union des gauches, il n'est pas élu. Parachevant dans l'intervalle son implantation locale, il devient conseiller général en 1934 et maire de Belfort en 1935 en s'appuyant sur la S.F.I.O.
La montée des périls allait donner à la vie de Pierre Dreyfus-Schmidt une nouvelle orientation. Les failles qui allaient décider d'une fracture de la fédération radicale du territoire de Belfort se dessinent dans les années trente. Non seulement, le jeune avocat a toujours plaidé la thèse de l'union des gauches contre les caciques locaux, mais il s'oppose violemment à eux à l'occasion de Munich. Tandis qu'Edmond Miellet approuve sans réserve la politique de Daladier, Dreyfus-Schmidt écrit le 11 octobre 1938 dans La Frontière un article dénonçant « les embusqués d'hier et les planqués de demain, les combattants en chambre et les stratèges en riz-pain-sel. »
Le 23 août 1939, Pierre Dreyfus-Schmidt est mobilisé avec le grade de capitaine dans le 171° régiment d'infanterie, il commande la première compagnie de mitrailleuses installée sur la ligne Maginot. Le 19 juin 1940, après une résistance héroïque sa compagnie est encerclée. Le maire de Belfort est fait prisonnier à Sentheim. L'annonce de la signature de la convention d'armistice, la défaite de la France le plongent dans une profonde tristesse dont on mesure l'étendue à la lecture de ses souvenirs de guerre, Captivités et Evasions, publiés en 1955. Détenu à Neuf-Brisach, il apprend le 27 juin que seront renvoyés vers Belfort, les communistes, les étrangers, les noirs et les juifs. Il décide alors de reprendre son nom qu'il avait en partie abandonné pour celui de Schmidt. Interné dans la ville dont il est le premier magistrat, il s'évade le 30 novembre avec la complicité de plusieurs de ses compatriotes, gagne Annemasse par la Suisse puis retrouve à Limoges son épouse et ses deux fils. En janvier 1941, il est démobilisé. Vichy l'a révoqué de son mandat de maire. A Castres, il appartient au groupe de résistance du général Royer. Quelques mois plus tard, après le débarquement allié en Afrique du Nord, le capitaine Dreyfus-Schmidt traverse les Pyrénées. Après avoir été retenu prisonnier en Espagne quatre mois, il prend un commandement au Maroc dans le 1er Régiment Etranger en souvenir de son père qui avait servi cinq ans dans la Légion. Après avoir participé à la campagne d'Italie et au débarquement en Provence, Pierre Dreyfus-Schmidt est appelé à l'Etat-major de de Lattre de Tassigny en prévision de la libération de sa ville natale. Le 21 novembre 1944, il entre à Belfort auréolé du prestige de la victoire. Il y retrouve le 25 mars 1945 son siège de premier magistrat, puis le cède à Hubert Metzger pour se consacrer à la fonction parlementaire. Son comportement durant la guerre lui vaut d'être fait chevalier de la Légion d'Honneur et titulaire de la Croix de guerre et de la Médaille de la Résistance.
Aux deux questions posées par référendum le 21 octobre 1945, Pierre Dreyfus-Schmidt appelle à répondre oui-non, ce qui revient à rejeter la Troisième République incompatible avec le projet du C.N.R. et à refuser la limitation des pouvoirs de la future Assemblée pour « écarter toute possiblité de dictature ». Si ce dernier point est en conformité avec l'expression du radicalisme parlementaire, le premier est en contradiction avec la ligne officielle de la Place de Valois. En fait, Dreyfus-Schmidt a la même position que le P.C.F. Du reste, il se présente sur une liste du Mouvement unifié de la résistance avec pour co-listier un candidat communiste, Fernand Bainier. L'élection à la représentation proportionnelle obligeait le secrétaire général de la fédération radicale bientôt indépendante à s'unir avec les gauches. C'est ainsi qu'avec 13 688 voix sur 40 309 suffrages exprimés, Pierre Dreyfus-Schmidt devient à la plus forte moyenne l'un des deux représentants du Territoire de Belfort.
A l'Assemblée Constituante, il est nommé membre de la Commission de l'Intérieur, de l'Algérie et de l'administration générale, départementale et communale. Il dépose sur le bureau de l'Assemblée deux propositions de loi en faveur de ses camarades prisonniers de guerre. Lors de la discussion du budget du ministère de l'Intérieur, Pierre Dreyfus-Schmidt insiste, comme il le fera à plusieurs reprises sous la première Assemblée de la IVe République, sur la nécessité de faire des économies et de ne pas gonfler outre-mesure le nombre de fonctionnaires. Le 22 mars 1946, en qualité de rapporteur, il plaide la thèse de la suppression des commissariats de la République et des directions régionales qui forment un écran entre le pouvoir central et l'administration départementale tout en renforçant la centralisation déjà excessive à ses yeux.
Au Congrès extraordinaire du parti radical qui se tient à Lyon du 4 au 7 avril 1946, Pierre Dreyfus-Schmidt est le porte-parole des « radicaux de gauche ». Au nom de la formule de Camille Pelletan, « Pas d'ennemi à gauche ! », il défend la thèse du « rassemblement populaire » avec toutes les forces de gauche sur la base du programme du C.N.R. Il s'oppose avec Pierre Cot, Robert Chambeiron, Pierre Meunier et Jacques Kayser à la formation du Rassemblement des Gauches Républicaines appelé à grouper le parti radical et des formations des centres. Battu sur ce terrain, Pierre Dreyfus-Schmidt constitue dès le 8 mai 1946 avec ses amis démissionnaires puis exclus « le regroupement des radicaux et résistants de gauche ». Le 9 décembre 1950, il est l'un des fondateurs et dirigeants de l'Union Progressiste.
Pierre Dreyfus-Schmidt appelle à voter oui au référendum sur le premier projet constitutionnel pour sortir du provisoire bien qu'il ait voté contre le projet de l'Assemblée Constituante le 19 avril 1946 à l'instar du groupe radical en expliquant que « le vote à l'Assemblée est un vote de principe, le vote au référendum, un vote d'application ». Ajoutant à la confusion, lors des élections à la seconde Assemblée Constituante, par opposition au tripartisme, le talentueux avocat de Belfort se présente avec Hubert Metzger sur une liste radicale contre son ancien co-listier communiste Fernand Bainier. Avec 8 512 voix sur 41 376 suffrages exprimés, Pierre Dreyfus-Schmidt est battu. La preuve est à nouveau faite que son élection passe par l'union avec les communistes à défaut des socialistes qui s'y refusent. Il se consacre alors pleinement à son métier d'avocat qu'il ne cessa jamais d'exercer et devient bâtonnier du barreau de Belfort.
Le 10 novembre 1946, pour les élections de la première Assemblée législative de la IVe République, Pierre Dreyfus-Schmidt fusionne sa liste avec celle de Fernand Bainier et est élu bien que son score (11588 voix sur 39 462 suffrages exprimés) soit inférieur à la somme des voix obtenues par les listes radicale et communiste le 2 juin précédent.
Le maire de Belfort s'inscrit au groupe de l'Union des Républicains et Résistants apparenté le plus souvent au groupe communiste. Il est nommé membre de la Commission du règlement et du suffrage universel (1946-1948), de la Commission de la presse (1949-1951) et de la Commission de l'Intérieur. En 1949, il préside la Commission de la réforme administrative. En leur nom, il présente au cours de la législature de nombreux rapports. Le député du Territoire de Belfort a notamment très à cœur de faire aboutir les projets de loi sur l'organisation municipale et départementale. Ses talents d'orateur, sa capacité à dominer des dossiers techniques notamment juridiques font qu'il est souvent appelé à intervenir en séance au nom de son groupe ou en qualité de rapporteur. Il n'est pas davantage absent des grands débats politiques. Le 9 décembre 1947, au moment où la responsabilité des communistes dans l'agitation sociale est posée par le gouvernement Schuman, Dreyfus-Schmidt intervient dans la discussion du projet de loi portant réorganisation des compagnies républicaines de sécurité. Il dénonce la manœuvre qui vise à dissoudre après les événements de Marseille du 12 novembre des compagnies suspectées d'être dominées par les communistes. Il s'oppose à ce qui apparaît comme une sanction collective. Que le gouvernement prenne ses responsabilités en usant du pouvoir réglementaire ou bien qu'il accepte la formation d'une commission d'enquête parlementaire. Très applaudi par les communistes et ses amis progressistes, Pierre Dreyfus-Schmidt est accusé par la majorité d'être le porte-parole de Duclos. Le député du Territoire de Belfort exprime aussi souvent l'opinion de son groupe lors des débats d'investiture. En ces occasions, il manie le trait d'esprit comme une arme redoutable. Le 24 juillet 1948, lors du débat sur l'investiture du radical André Marie. « Je considère, déclare-t-il, qu'il représente, aux côtés du président Herriot et d'un certain nombre des hommes qui siègent sur ces bancs, ce qui reste de sain dans un parti populaire par ses origines et jacobin par ses traditions. » Mais l'anticommunisme ne saurait suffire à former avec Léon Blum et Paul Reynaud « un grand ministère » même si certains « s'obstinent, dans ce pays, à confondre la grandeur avec la gloire passée ». Aussi, refuse-t-il la confiance. De même, le 10 septembre 1948, s'adressant cette fois-ci à Henri Queuille, Pierre Dreyfus-Schmidt reproche au président désigné de vouloir former un gouvernement qui sera l'otage du R.P.F. en s'ouvrant sur sa droite. La dissolution réclamée par les gaullistes risque d'être prononcée : « elle vous conduira à l'émeute, et peut-être à la révolution. » Plutôt qu'une majorité de Troisième Force, Pierre Dreyfus-Schmidt propose au président de rechercher une majorité de gauche ayant pour programme celui du C.N.R. ; mais la S.F.I.O. accepte « que le gouvernement de ce pays soit soumis à la volonté des capitalistes étrangers. » « Mes amis radicaux de gauche, mes amis de l'U.R.R. et moi-même, poursuit-il, avons dans la lutte qui oppose le peuple et les puissances d'argent, choisi le peuple. » Le 27 octobre 1949, il récidive, lors du débat sur l'investiture de Georges Bidault. Il reproche aux radicaux d'avoir fait du mur d'argent « le rempart de la liberté », et à la majorité en général d'accepter la soumission de la France aux Etats-Unis d'Amérique. Il accuse Bidault de vouloir collaborer avec une Allemagne non-dénazifiée et d'être l'artisan d'une Europe allemande et divisée. D'une façon générale, avec ses amis, il réprouve la politique des blocs et la logique d'affrontement avec l'U.R.S.S. qu'elle induit. Aussi, en 1949 et 1950, s'oppose-t-il à l'augmentation des charges militaires et à la prolongation du service militaire à 18 mois.
Le 27 février 1951, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'élection des députés, Pierre Dreyfus-Schmidt au nom de ses amis progressistes se déclare « résolument et intégralement proportionnaliste » et partant opposé à tout scrutin majoritaire qui ne pourrait que servir les gaullistes. « Le R.P.F., déclare-t-il, surtout avec l'alliance qui semble s'affirmer chaque jour entre les amis du maréchal Pétain et ceux du général de Gaulle, c'est le fascisme au pouvoir. »
Avec la loi sur les apparentements, la conclusion d'alliances entre listes s'avère essentiel pour gagner. Dans le Territoire de Belfort, le candidat socialiste, Jean-Noël Bailly, propose un apparentement à la fédération radicale indépendante à condition que le candidat soit Hubert Metzger. L'exclusive est jetée contre Dreyfus-Schmidt pour avoir voté avec le groupe communiste dans la précédente législature. Le 19 mai les radicaux indépendants refusent les conditions du candidat S.F.I.O. qui conclut alors un apparentement avec le M.R.P. et les radicaux valoisiens. A cette occasion, l'ancien ministre radical Edmond Miellet fait renaître le temps de la campagne l'ancien journal La Frontière qui concentre ses attaques sur l'ancien maire de Belfort. Le 17 juin 1951, jour des élections législatives, Pierre Dreyfus-Schmidt est victime du R.P.F. et de l'apparentement des listes de la Troisième Force qui autorise l'élection du républicain populaire Dorey. L'avocat Pierre Dreyfus-Schmidt ne s'avoue pas vaincu. Il dépose un recours car la déclaration d'apparentement aurait été déposée avant que la S.F.I.O. ne fasse acte de candidature et n'aurait pas été revêtue des signatures des radicaux valoisiens. A la suite du débat de validation, l'élection du républicain populaire Dorey est confirmée malgré l'intervention de Pierre Cot et le soutien de Vincent de Moro-Giafferi.
Le 2 janvier 1956, Pierre Dreyfus-Schmidt se présente aux élections à la troisième Assemblée nationale de la Quatrième République à la tête d'une liste pour l'Union des forces de gauches présentée par le P.C.F. et la fédération radicale indépendante. Il améliore sensiblement son score. Avec 17 249 voix sur 48 979 suffrages exprimés, il est élu et devance de plus de cinq mille voix le candidat M.R.P. Aucun apparentement n'avait été conclu. Il s'inscrit au groupe des Républicains Progressistes qu'il préside en 1957.
Le député de Belfort est nommé membre de la Commission de la justice et de la législation et de la Commission de l'Intérieur. Il dépose au cours de la législature plusieurs propositions de loi et de résolution à caractère social. Aussi actif que sous la première législature, il multiplie les interventions. Ainsi, le 11 juillet 1956, il prend part à la discussion des interpellations sur l'Euratom. Après avoir souligné les dangers pour la France du marché commun, il renouvelle le témoignage de sa suspicion à l'égard d'une Allemagne qui risque d'installer son hégémonie sur l'Europe des six. « L'Euratom est comparable à la C.E.D. Comme elle, et par une autre forme de lutte, elle tend à donner nos armes à l'Allemagne. »
Le 17 juillet 1957, lors de la discussion du projet autorisant la reconduction des pouvoirs spéciaux, l'avocat Dreyfus-Schmidt insiste sur les atteintes portées à la liberté individuelle et sur l'insuffisance des garanties proposées contre l'arbitraire. Il regrette publiquement son vote du 16 mars 1956 autorisant les pleins pouvoirs, mais la présence de Pierre Mendès France l'avait alors rassuré. La rupture du député de Belfort avec le gouvernement Guy Mollet date de l'arraisonnement de l'avion transportant Ben Bella et ses amis. Pour répondre à la crise algérienne, les progressistes proposent de négocier de la solution fédérative avec le F.L.N.
Le 13 mai 1958, Pierre Dreyfus-Schmidt condamne le coup de force d'Alger. Il adhère à l'Union des Forces Démocratiques et s'oppose au retour au pouvoir du général de Gaulle. Le 1er juin, il lui refuse la confiance, et le 2 juin il vote contre les pleins pouvoirs et la réforme constitutionnelle.