Jacques Duhamel

1924 - 1977

Informations générales
  • Né le 24 septembre 1924 à Paris (Seine - France)
  • Décédé le 8 juillet 1977 à Paris (Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IIe législature
Mandat
Du 25 novembre 1962 au 2 avril 1967
Département
Jura
Groupe
Rassemblement démocratique
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 12 mars 1967 au 30 mai 1968
Département
Jura
Groupe
Progrès et démocratie moderne
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IVe législature
Mandat
Du 30 juin 1968 au 22 juillet 1969
Département
Jura
Groupe
Progrès et démocratie moderne
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Ve législature
Mandat
Du 2 avril 1973 au 8 juillet 1977
Département
Jura
Groupe
Union centriste

Biographies

Biographie de la Ve République

DUHAMEL (Jacques)
Né le 24 septembre 1924 à Paris
Décédé le 8 juillet 1977 à Paris

Député du Jura de 1962 à 1969 et de 1973 à 1977

Né dans une famille de la bonne bourgeoisie parisienne, fils de Jean Duhamel, délégué général du Comité des Houillères, Jacques Duhamel n’a pas seize ans lorsqu’il perd son père, grand mutilé de la Première guerre mondiale, en mai 1940, en pleine campagne de France. Orphelin, il fait montre d’une grande responsabilité et d’un esprit d’initiative qui force l’admiration, venant d’un enfant de son âge. Il interrompt sa scolarité au lycée Janson-de-Sailly pour rejoindre sa famille repliée à La Baule. Dans cette commune de la côte atlantique, il est frappé par le désordre dans lequel l’accueil des réfugiés est organisé. Il improvise, pour lui-même, une mission de commandement, et la Croix-Rouge fait du jeune adolescent, son commissaire aux réfugiés, en le désignant cette fois-ci de façon tout à fait officielle.

Jacques Duhamel revient à Paris, trois ans plus tard, et s’inscrit aux facultés de droit et de lettres, et à l’Ecole libre des sciences politiques. Il entre simultanément dans la Résistance ; en 1942, il fête ses dix-huit ans à la prison de Fresnes où ses initiatives courageuses l’ont conduit. Libéré, il poursuit ses études et continue le combat. À l’été de la Libération, il a vingt ans. La France le décore de la croix de guerre et de la médaille de la Résistance, alors qu’Edmond Michelet lui remet les insignes de la Légion d’honneur. Dans la foulée, son diplôme de la rue Saint-Guillaume en poche, licencié en droit et diplômé de sociologie, il entre à l’Ecole nationale d’administration (E.N.A.) fraîchement créée, dans la première promotion baptisée « France combattante ». Il en sort dans la botte et, un temps tenté par l’Inspection des finances, il choisit le Conseil d’Etat, sensible certainement au nom même de l’institution de la place du Palais-Royal et à la magie que son double substantif peut provoquer sur ceux qui ont choisi de servir la République.

Après son mariage en 1947 avec Colette Rousselot, union de laquelle naîssent quatre fils, Jérôme, Olivier, Stéphane, et Gilles, l’année 1948 marque une étape importante dans sa vie. Auditeur de 1ère classe au Conseil d’Etat, il fait la connaissance d’Edgar Faure qui, à n’en pas douter, devient son père en politique. D’ailleurs, à maintes reprises, les propos très affectifs du futur président du Conseil en porteront témoignage. Cette rencontre est aussi le moyen pour le jeune haut fonctionnaire de joindre durablement, pour ne plus les détacher, administration et politique, montrant par là qu’il est imprégné de cette conception romaine selon laquelle le même magistrat peut exercer successivement, dans le même cursus honorum, les responsabilités de l’exécution qualifiée et celles de l’arbitrage gouvernemental. C’est une des raisons pour lesquelles il décide d’entrer dans un cabinet ministériel et d’y passer plusieurs années à dispenser ses conseils avisés et précieux. En février 1949, il s’installe rue de Rivoli, comme conseiller officieux puis conseiller technique du nouveau secrétaire d’Etat aux finances que le président Henri Queuille a choisi en la personne d’Edgar Faure. Avec cette première nomination, Jacques Duhamel choisit l’option politique qui va désormais dominer sa carrière et, dans un sens, sa vie.

À ce ministère, il sert son mentor jusqu’en juillet 1950, avant de le suivre au ministère du budget, de juillet 1950 au mois d’août 1951, puis au ministère de la justice, d’août 1951 à janvier 1952. Lorsqu’Edgar Faure est appelé à diriger le gouvernement, au mois de janvier 1952, le jeune haut fonctionnaire rejoint Matignon et accepte la fonction de directeur adjoint de cabinet du nouveau président du Conseil. Il en sera de même l’année d’après, mais dans le sens inverse, alors qu’Edgar Faure quitte la rue de Varenne pour retrouver le Louvre comme ministre des finances et des affaires économiques, de juin à novembre 1953. Nommé Maître des requêtes au Conseil d’Etat, en 1954, il poursuit, en l’amplifiant, sa collaboration avec Edgar Faure. Il est directeur adjoint de son cabinet rue de Rivoli, au service du ministre des finances, des affaires économiques et du plan, le 19 juin 1954. Six mois plus tard, il suit le nouveau ministre des affaires étrangères au quai d’Orsay, à partir du 29 janvier 1955. Enfin, il retrouve ses fonctions de conseiller à Matignon, dès le 4 mars 1955, mais cette fois-ci comme directeur de cabinet. Il y reste jusqu’au 24 janvier 1956. Ces six années d’« assistant gouvernemental », comme les a qualifiées Edgar Faure, démontrent les dons et qualités de Jacques Duhamel en ce qu’il tint parfaitement ce rôle de confiance et de confidence, mais aussi de suggestion et d’impulsion, parfois de critique. À cet égard, il passe maître en matière d’élaboration de la décision politique, en « incomparable stratège », en « infatigable négociateur », dans « une passion presque sportive du succès ». Enfin, il ressort de son tempérament la perception qu’il est un conseiller heureux, parce que loyal ; il reçoit la confiance, parce qu’il use « de franchise ». Cette expérience, riche et rapidement acquise, est complétée par des fonctions exécutives au sein d’organismes publics et paragouvernementaux. De 1956 à 1959, il est commissaire général adjoint au Commissariat à la Production, après avoir été commissaire général adjoint à la productivité, quelques semaines à la fin de l’année 1953. En janvier 1960, il est délégué général, puis directeur général, nommé au mois de mai suivant, du Centre national du commerce extérieur et ce, jusqu’en 1962. Simultanément, à partir du 7 octobre 1961, il est membre du conseil d’administration du Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (S.E.I.T.A.). Entre-temps, il s’est inscrit au Parti radical et nul doute alors que sa première vie de conseiller du prince ne fût qu’une étape vers la seconde, celle qui devait le faire entrer au Parlement.

Edgar Faure va s’y employer, en le menant avec lui dans le Jura, accompagner les conseillers généraux dans leur tournée départementale. Parce qu’il avait « le don de la sympathie humaine », il parvient sans peine à se faire apprécier des citoyens de ce terroir. A la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, Jacques Duhamel est présenté par le Parti radical et le Parti socialiste, lors des élections législatives de novembre 1962, dans la deuxième circonscription du Jura. Outre la ville de Dôle qui la domine, cette partie du territoire jurassien rassemble les cantons d’Arbois, de Champagnole, de Chaumergy, de Chaussin, de Chemin, de Dampierre, de Gendrey, de Montbarrey, de Montmirey-le-Château, de Nozeroy, des Planches-en-Montagne, de Poligny, de Rochefort-sur-Nenon, de Salins-les-Bains et de Villers-Farlay. Secondé par son suppléant, Henri Jouffroy, agriculteur, maire de Chissey, conseiller général de Montbarrey et vice-président de l’Assemblée départementale, Jacques Duhamel obtient 11 858 des 46 345 suffrages exprimés, au premier tour de scrutin. La semaine d’après, il est victorieux de son principal concurrent, le député gaulliste sortant et maire de Syam, Max Montagne. Une mobilisation plus grande des électeurs au second tour, qui se traduit par un gain de plus de 3000 voix, et un bon report – non négocié - des voix communistes sur la candidature de Jacques Duhamel, participent de sa victoire. Le nouveau député du Jura a obtenu 25 920 voix, c’est-à-dire 2 500 voix d’avance sur celui qu’il s’apprête à remplacer au Palais-Bourbon. Dans sa campagne électorale, il ne fait aucune référence à la politique menée par Michel Debré, dont le député sortant de la première circonscription du Jura représente la culture politique. De surcroît, Jacques Duhamel a inscrit sa candidature dans une structure politique créée pour l’occasion, et qu’il veut largement consensuelle : il est le candidat de « l’expansion jurassienne et (de) la défense républicaine ». D’ailleurs, l’ensemble de son programme repose sur des propositions strictement locales : équipement scolaire, urbain, rural ou commercial. Il a pris le soin, précédemment, de se faire élire président de la Société pour l’expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires, la S.O.P.E.X.A.

La deuxième vie de Jacques Duhamel dure autant que la première, sept années. Il y démontre la même capacité d’accomplissement et la même force d’exemplarité. À son arrivée à l’Assemblée nationale, il rejoint le groupe du Rassemblement démocratique. Malgré sa virginité parlementaire, il entre directement à la prestigieuse commission des finances, de l’économie générale et du plan. Il y siège durant toute la législature, et appartient également à la commission consultative du cinéma, à laquelle il est nommé le 7 février 1963. Au cours de ce premier mandat, il prend la parole en séance publique, à l’occasion de la discussion de vingt textes différents. Ses prises de position témoignent de son éclectisme ; il intervient aussi bien sur la prestation familiale d’éducation spécialisée pour les mineurs infirmes, le 27 juin 1963, dans la discussion de laquelle il dépose quatre amendements, que sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers municipaux des communes de plus de 30.000 habitants, le 21 mai 1964, ou sur la proposition de loi tendant à promouvoir et à réglementer le régime des accords interprofessionnels en matière de produits agricoles, le 4 juin suivant. Il explique le refus de son groupe d’adopter le projet de loi relatif au recrutement en vue de l’accomplissement du service national, le 28 juin 1965, et intervient dans le débat sur la réforme des greffes des juridictions civiles et pénales, le 30 juin 1965. Un débat semble l’avoir particulièrement occupé : la réforme des taxes sur le chiffre d’affaires. Le monde agricole est particulièrement concerné par ce texte, raison essentielle pour laquelle Jacques Duhamel y consacre plus de temps que pour un autre thème. Il défend huit sous-amendements et sept amendements tendant à améliorer la fiscalité des agriculteurs et à réduire, autant que faire se peut, le rendement de la taxe locale. Il apparaît aussi comme un expert des discussions budgétaires : il argumente et débat tous les ans, de 1962 à 1967, au chapitre des budgets de l’agriculture, du tourisme, des affaires étrangères, de la radiodiffusion et télévision française (R.T.F.) ou de l’intérieur. Il prend enfin une part active à la préparation du Vème plan. A cette occasion, il défend trois amendements tendant à ce que le gouvernement soit obligé, pour permettre la réalisation des objectifs prévus au rapport, d’aménager les structures, de garantir le financement des investissements, d’assurer l’équilibre financier, d’étendre le taux de croissance, de prévoir une amélioration des prestations sociales et de définir une politique de revenus. Finalement, Jacques Duhamel ne se démarque de la politique voulue par le général de Gaulle que dans un domaine : l’Europe politique, en insistant en faveur d’une mise en commun de l’armement nucléaire. Il n’y a pas au demeurant de sujet de conflit irréductible entre ses propres idées et la politique conduite par le Premier ministre Georges Pompidou. Au cours de cette période, il aura été un opposant modéré, dont la volonté constructive de discuter est aussi entretenue par son amitié personnelle pour le chef du gouvernement.

D’ailleurs, au cours de ses cinq premières années passées à l’Assemblée nationale, par les votes qu’il émet, Jacques Duhamel montre un tempérament singulier. Il choisit de s’abstenir volontairement, le 13 juin 1963, dans la discussion sur la ratification du traité de l’Elysée relatif à la coopération franco-allemande. Il s’oppose à l’ensemble du projet de loi relatif à certaines modalités de la grève dans les services publics, le 26 juillet 1963. Lors du vote sur le projet de loi constitutionnelle portant modification des dispositions de l’article 28 de la Constitution, à l’image de la représentation nationale à sa presque unanimité, il approuve le texte gouvernemental. En revanche, lorsque le 21 mai 1964, il s’agit de s’exprimer sur la réforme de l’élection des conseillers municipaux, il vote « contre » le texte du Premier ministre, à l’instar de ses collègues démocrates-chrétiens, en première et deuxième lectures. Enfin, sur le recrutement en vue de l’accomplissement du service national, le député du Jura vote « contre » le texte défendu par le ministre des armées, Pierre Messmer.

À l’occasion du scrutin législatif suivant, au mois de mars 1967, Jacques Duhamel est candidat à sa propre succession, dans la deuxième circonscription du département. Entre-temps, il a renforcé son ancrage local, en devenant conseiller général du canton de Dôle, en 1964, et premier adjoint au maire de la sous-préfecture jurassienne, l’année d’après. Accompagné du même suppléant, il mène une campagne au caractère national plus affirmé qu’en 1962. Certes, le Jura occupe une place importance, sinon la première, dans sa profession de foi, mais le programme très précis qu’il y présente en matière de politique générale laisse à penser que son opposition au gouvernement, pour mesurée qu’elle soit, n’en est pas moins solidement ancrée. Il souhaite d’abord « une démocratie stable » et ne veut pas de « retour aux erreurs du passé ». C’est ce qui le conduit à défendre l’équilibre des pouvoirs, en redonnant « au Parlement plus d’initiative législative ». Il souhaite également la suppression de l’article 16 de la Constitution qui, en cas de crise grave, donnerait de fait les pleins pouvoirs au président de la République, désormais élu au suffrage universel. Le programme qu’il présente et qu’il qualifie de « réaliste », fait « de progrès et de justice », est choisi par 23 665 des 56 440 suffrages exprimés au premier tour. Au second, 760 votants de plus se déplacent pour voter ; Jacques Duhamel est réélu avec 29 509 voix. Deux des trois autres candidats en lice au premier tour se maintiennent au deuxième : le communiste Maurice Faivre-Picon, et le candidat du Comité d’action et d’association pour la Vème République, Pierre Grosperrin. Leurs scores respectifs, 10 776 et 16 915 suffrages obtenus, sont très en dessous de celui réalisé par le député réélu.

À son retour au Palais-Bourbon, Jacques Duhamel, membre du comité directeur du Centre démocrate depuis 1966, s’inscrit au groupe centriste nouvellement crée, baptisé Progrès et démocratie moderne (P.D.M.), et en prend la présidence. Malgré son amitié pour Edgar Faure et Georges Pompidou, il adopte une démarche critique de la politique gouvernementale. Il siège à la commission des affaires étrangères une année, avant de rejoindre la commission des finances, de l’économie générale et du plan, au mois d’avril 1968. Au cours de cette législature, écourtée par les événements du mois de mai 1968, il dépose une proposition de loi et deux propositions de résolution, la première relative à l’assurance logement, le 3 mai 1968. Par ses deux autres initiatives parlementaires, quelques jours plus tard, le 14 mai, il souhaite analyser les causes et les effets du mouvement étudiant. Aussi demande-t-il la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions de la répression des manifestations d’étudiants survenues à Paris, du 3 au 12 mai, et la création d’une commission de contrôle chargée d’examiner la gestion administrative et technique de l’Education nationale, en particulier, celle de l’enseignement supérieur, en vue de dégager les causes de l’inadaptation de l’Université française aux exigences de la fin des années soixante. Durant cette année de législature, le député du Jura intervient très fréquemment en séance publique, à l’occasion de trente débats différents, aux thèmes très variés. Il s’intéresse naturellement aux questions agricoles, en relation directe avec son département. Le 12 avril 1967, il s’intéresse au prix des produits laitiers et de la viande. À cette occasion, il défend directement le gruyère de Comté. Quelques semaines plus tard, le 2 juin, il renouvelle son soutien inconditionnel aux agriculteurs dans la réforme des taxes sur le chiffre d’affaires. Les 21 juin et 1er juillet, il se fait leur porte-parole dans le débat sur le projet de loi d’orientation foncière et urbaine. Il suit naturellement de près les discussions budgétaires concernant ce secteur ; à cet effet, le 8 novembre 1967, il défend l’augmentation des crédits agricoles.

Président de groupe parlementaire, et au nom de cet aréopage, il est conduit à donner un avis général sur la déclaration de politique générale du gouvernement. Il suggère, à cet égard, que le Parlement soit le centre d’une confrontation objective. Un de ses souhaits les plus chers, qu’incarne d’ailleurs la spécificité de son groupe au sein de la majorité, est la réalisation de l’Europe de la culture et de la technologie. Il soutient par ailleurs l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Marché commun. De manière plus politique, il est amené à expliquer le vote de son groupe, à chaque fois favorable, sur les quatre motions de censure déposées entre 1967 et 1968 ; le 20 mai 1967, il met en cause l’équilibre des pouvoirs constitutionnels, au vu de ceux que détient le Bundestag ; le 9 juin suivant, il maintient sa fermeté. Le 10 octobre enfin, il renforce les critiques déjà faites au gouvernement : il regrette ce qu’il estime être « les pleins pouvoirs accordés au gouvernement » ; il défend par ailleurs le développement de l’investissement public et la relance de la consommation. En matière de procédure parlementaire, toujours soucieux d’efficacité, il innove en proposant que les groupes parlementaires puissent prendre l’initiative, sous la forme de propositions de loi, des modifications à apporter à celles des ordonnances qui doivent être rectifiées. Il propose que ce rôle soit dévolu aux commissions parlementaires au cours de l’intersession. Pour justifier son soutien à la quatrième motion de censure, il souhaite conduire l’Etat à s’intéresser davantage à la jeunesse, et à réfléchir à son rôle futur au sein de la société française qu’il convient d’organiser différemmentt. Pour lui, discussion et autorité doivent absolument coexister, si le gouvernement ne veut pas perdre la confiance de la Nation. D’ailleurs, Jacques Duhamel obtient un net succès d’audience, en février 1968, dans un face-à-face télévisé, en expliquant pourquoi « il fallait le changement pour éviter l’aventure ». Enfin, plus avant, ses fonctions à l’Assemblée nationale, éminemment politiques, le poussent à définir clairement la position de son groupe sur les réformes en discussion. Il se montre très opposé, en particulier, au texte gouvernemental relatif au recrutement en vue de l’accomplissement du service national, le 15 novembre 1967.

Au scrutin du printemps 1968, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, Jacques Duhamel est candidat à sa propre succession, dans la deuxième circonscription du Jura. Sans grande surprise, celui qui participe à la vie locale sous toutes ses formes, bien que sans attaches personnelles régionales, obtient sans peine, au fil de ses mandats, « cette primature conférée par les fonctions représentatives », qui donnait à des liens si récents la force qui s’attache à des filiations plus anciennes, est brillamment réélu au second tour du scrutin, devançant largement le candidat communiste de presque 30 000 voix. Il devient député pour la troisième fois, avec 37 531 des 48 177 suffrages exprimés. Dans cette conjoncture si favorable aux couleurs du gaullisme, le candidat s’en référant, Robert Grossmann, n’est pas présent au second tour et ce, en dépit d’un recul du taux de participation entre les deux tours : 8 000 personnes ne se sont pas déplacées une deuxième fois.

La campagne électorale a porté le témoignage que Jacques Duhamel inscrivait son action désormais - et nettement - dans les pas du centrisme politique français. Rejetant les contraintes diverses dont l’Etat grève la société des Trente glorieuses, le député du Jura souhaite un changement, mais un changement dans l’ordre. Il démontre que la France a besoin d’ « une majorité nouvelle, de forces nouvelles, d’une politique nouvelle et d’une démocratie nouvelle ». C’est précisément le rôle de la structure parlementaire qu’il préside que de tout mettre en œuvre pour y parvenir : Jacques Duhamel prend ainsi position pour « un centre puissant et efficace, qui associe l’ordre au mouvement, la stabilité à la réforme ».

Alors qu’il retrouve l’Assemblée nationale, il est réélu à la présidence du groupe qu’il a créé et rejoint la commission de la défense nationale et des forces armées, le 13 juillet 1968. Il dépose alors deux propositions de loi et une proposition de résolution. Les deux premières, datées du 19 juillet de la même année, visent, d’une part, à l’organisation administrative et financière de la sécurité sociale, d’autre part, à l’application du ticket modérateur d’ordre public relatif aux frais d’hospitalisation. Sa troisième initiative, défendue le 29 octobre 1968, concerne la procédure parlementaire : il s’agit de modifier et de compléter le règlement de l’Assemblée nationale. Dans ses fonctions de député, il intervient à neuf reprises en séance publique. Comme il le fait depuis qu’il préside le groupe centriste du Palais-Bourbon, et fidèle à ses professions de foi de 1967 et de 1968, il discute des grandes orientations de politique générale du gouvernement, notamment sur la politique de la jeunesse. Les hasards de la vie publique font que son mentor, Edgar Faure, a été nommé ministre d’Etat en charge de l’Education nationale, à la suite des événements de mai. L’un des hommes publics qu’il apprécie le plus est désormais son principal interlocuteur sur les questions qui sont au fondement de sa visibilité politique, en même temps que de son humanisme. Jacques Duhamel pointe notamment les possibilités d’un blocage des lycées et des universités par les étudiants, à la rentrée 1968. Le 17 juillet, il souligne, par ailleurs, la nécessité de donner des garanties plus réelles aux syndicats. Il prend la parole dans la discussion du projet de loi d’orientation de l’enseignement supérieur, qui vient en discussion au mois d’octobre 1968. Il dépose et défend sept amendements et six sous-amendements. Un des sept premiers est retiré, comme quatre des six seconds. Par ailleurs, dans ceux qui restent à l’ordre du jour de la discussion, Jacques Duhamel vise à répondre à un certain nombre de questions posées par la société, ou à défendre certains de ses choix culturels : choix entre l’université de masse et l’université de l’élite ; refus qu’il défend de la sélection à l’entrée à l’Université ; nécessité pour lui d’attirer les professeurs étrangers à l’université française ; donner la possibilité – mesure visionnaire – aux étudiants d’accomplir une année de leurs études supérieures dans les universités européennes. Il défend aussi l’organisation interne de l’université, de sa cogestion à la participation de personnes extérieures dans les conseils des unités d’enseignement et de recherche (U.E.R.). Il se bat également pour que le droit de suffrage soit réservé aux étudiants ayant satisfait aux exigences normales de la scolarité l’année précédente. Par ailleurs, le 4 décembre 1968, il approuve l’ensemble du projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical dans les entreprises. La même année, il est membre du groupe d’amitié France-République démocratique du Vietnam.

Avec le rejet du référendum sur les régions, en 1969, la troisième vie de Jacques Duhamel commence. Ce sera la dernière, tout entière structurée par son action gouvernementale, dans les mesures de ses forces physiques qui pour très grandes qu’elles fussent jusqu’alors, vont bientôt s’affaiblir, de manière cruellement irrémédiable. L’élection de son ami Georges Pompidou à la présidence de la République, lève l’interdit qu’il s’était posé à lui-même, celui d’une coopération plus proche d’avec l’exécutif, et pas seulement pour des raisons tactiques. En effet, il n’appartenait qu’à lui d’être nommé ministre rapidement ou plus tôt qu’il n’allait l’être ; il était d’ailleurs assuré de le devenir sans peine s’il le souhaitait, quelle que fût l’issue du scrutin présidentiel. Il s’agissait bien pour lui d’agréger aux soutiens du plus durable Premier ministre du général de Gaulle celui de l’aile gauche de la majorité : il fonde alors, avec nombre de ses collègues et amis du groupe Progrès et démocratie moderne (P.D.M.), à l’instar de Bernard Stasi, Joseph Fontanet ou Jacques Barrot, une structure partidaire chargée de remplir l’objectif précité : donner du corps au centre droit français. Il appelle « tous ceux qui se situent dans le sillon centriste » à rejoindre la majorité. Le Centre Démocratie et Progrès (C.D.P.) est né. Jacques Duhamel justifie sa création et son existence future par sa spécificité même, qu’il résumait en ces mots : « l’originalité du C.D.P. est d’être à la rencontre, sous une forme nouvelle, de trois courants permanents de la vie politique française : l’inspiration du libéralisme d’esprit, l’inspiration de la morale chrétienne, l’inspiration de la gauche réformiste ». Jacques Chaban-Delmas, avec lequel Jacques Duhamel restera toujours ami, lui propose alors son premier portefeuille ministériel, avec la charge de l’agriculture. Nul doute que son élection dans un département à dominante rurale y a été pour beaucoup ; il faut dire aussi que le nouveau ministre de l’agriculture a acquis, sur les problèmes de la production, notamment dans le domaine de l’élevage, une compétence largement reconnue de la profession et une compréhension réelle de la vie des hommes attachés à la terre. Jacques Duhamel semble avoir été heureux rue de Varenne, en développant les mesures sociales, en favorisant les groupements fonciers, en augmentant les crédits des bâtiments d’élevage, en assurant aux agriculteurs l’effet normal de la dévaluation et une évolution qualifiée de convenable de leurs revenus. De surcroît, lors de la grande crise de 1953, il avait contribué à la mise en œuvre du premier système de régulation des marchés, ce qui lui avait valu estime et reconnaissance. A son poste, en plus des discussions budgétaires pour 1970 et 1971, il défend trois grands projets de loi. Le premier d’entre eux arrive en discussion au mois de décembre 1969. Il concerne la protection des obtentions végétales. Il soutient, à cet effet, la création de nouvelles variétés végétales, et la contribution de la recherche agronomique à l’assistance technique aux pays en voie de développement. Dans cette discussion, il dépose sept amendements, dont le principal, sur l’article 1er, vise à ce que « toute obtention végétale répondant aux conditions de l’article précédent (soit) définie par un nom auquel correspondent une description et un exemplaire témoin conservé dans une collection ». En novembre 1970, il défend un autre texte dont il est à l’initiative, et qui touche à l’amélioration des structures forestières. Il met en évidence, comme fondement de son argumentation, la part des produits forestiers dans la balance commerciale de la France, après avoir montré le rôle de la forêt. Enfin, le mois suivant, il s’attache à la défense du bail rural à long terme. Le 11 décembre, il rappelle le problème du drainage des capitaux vers l’agriculture et propose une indemnité complémentaire de restructuration. Il suggère la possibilité de conclure au début du bail une interdiction de transmission de ce dernier au profit de la famille du preneur. Il veille ainsi à renforcer le statut juridique de la terre. Dans ce débat, le ministre de l’agriculture dépose et défend un sous-amendement et deux amendements. L’un de ces deux derniers vise à montrer son opposition à ce que le bailleur qui a consenti un bail ordinaire puisse unilatéralement décider d’offrir au preneur un bail de dix-huit ans. Avec le second amendement, il souhaite l’exonération des droits de mutation à titre gratuit, accordée aux biens qui ont été donnés à bail à long terme.

S’il est élu maire de Dôle au printemps de 1971, son changement de ministère, au début de l’année 1971, est la conséquence de l’aggravation de son état de santé. Le ministre a été vu, au cours de 1970, s’appuyant sur une canne, conséquence, a-t-on dit alors, d’un accident de voiture. Mais la médecine aura tôt fait de démentir ce diagnostic hâtif. Les réunions harassantes des ministres de l’agriculture à Bruxelles ne lui sont plus vraiment recommandées. Jacques Duhamel devient ministre des affaires culturelles, le 7 janvier 1971. Ses fonctions, pour éminentes qu’elles apparaissent, lui permettent cependant d’éviter les fatigues excessives. Rue de Valois, il donne à nouveau, et peut-être plus encore, une mesure à la hauteur de ses talents. Secondé par le haut-fonctionnaire Jacques Rigaud, dont il fait son directeur de cabinet, il imprime une marque personnelle à la politique culturelle française, dont aujourd’hui encore la ferveur et l’humanisme qui ont prévalu à son élaboration sont salués. Au Palais-Royal, il s’est plu à dire que succédant à un génie, André Malraux, et à un saint, Edmond Michelet, il se fixait pour mission celle d’un administrateur. Il déclarait alors : « Je ne penserai pas au niveau de Malraux, je ne vivrai pas au niveau de Michelet, mais j’agirai en m’inspirant de l’un et de l’autre ». Au-delà, il entendait aussi être le concepteur et l’ordonnateur d’une politique, ce que, du reste, il fut. Très vite, avec sa discrétion légendaire, mais aussi avec une efficacité non moins ignorée, il séduit par ses méthodes, comme par ses initiatives. Il fonde son action sur une définition toute simple de la politique : « Ce qu’il faut pour qu’une journée de travail soit une vraie journée de vie », n’oubliant pas de rappeler non plus que « l’Etat doit se garder de décréter la culture ». Son action s’inscrit alors tous azimuts ; il s’efforce d’établir une coordination entre toutes les missions culturelles des différents ministères ; il entreprend la sauvegarde du patrimoine monumental par la priorité des actions essentielles de mise hors péril. Il résume cela dans une formule restée célèbre : « Mieux vaut dans l’immédiat sauver mille monuments pour cinquante ans que cinquante pour mille ans ». Jacques Duhamel aimait à dire : « Je connais des politiques sans chances ; je n’en connais pas sans risques ». A cet égard, il prouve sa libéralité dans le domaine de la censure cinématographique, amorce la réforme de l’opéra – Opéra de Paris et Opéra comique -, nomme Rolf Liebermann à Garnier, et mesure toute la nécessité d’une nouvelle loi sur l’architecture. Autre mesure emblématique, montrant aussi la capacité du ministre à reconnaître les talents au-delà de son bord politique, il nomme Jack Lang à la direction du théâtre de Chaillot, successeur de Vilar et de Wilson, confie à Roger Planchon, à Patrice Chéreau et à Roger Gilbert le T.N.P. de Lyon-Villeurbanne, et l’Opéra studio à Louis Erlo. Il rappelle Pierre Boulez des Etats-Unis, et crée avec Michel Guy le Festival d’automne à Paris. Il signe l’acceptation du projet définitif du centre Beaubourg. Il crée enfin le Fonds d’intervention culturelle (F.I.C.). Dans un autre domaine, il est le premier à refuser la construction de « tours ». A cet effet, il a demandé en vain à ce que leurs sommets soient arasés, pour celles dont la construction est en cours dans le quartier de la Défense.

Ainsi, en matière culturelle, « le terrain est déblayé, les voies sont tracées, la doctrine est démystifiée », témoigne Edgar Faure, qui a suivi de près l’action de son ancien collaborateur. Au Parlement, dans ses fonctions de ministre de la culture, Jacques Duhamel défend deux projets de loi de finances, pour 1972 et 1973. Après avoir rappelé les grandes lignes de son programme, notamment l’ « action d’éducation permanente » de son ministère, la politique d’expansion culturelle en France et à l’étranger ou la définition d’un statut social des créateurs, il met l’accent sur le droit à la culture de tout citoyen. Il crée une aide au fonds de soutien du cinéma, et prépare une large politique culturelle spécifique aux régions françaises. Dans la discussion du projet de loi de finances pour 1973, il souhaite, par exemple, que tous les départements contribuent aux frais de restauration des monuments classés. Enfin, celui qui a épousé la fondatrice des éditions de la Table ronde, grand lecteur et très érudit, directeur-gérant de la Société de presse et d’édition jurassienne dès novembre 1968, prévoit également de mettre en place un régime social des écrivains. La même année, il entre au comité de rédaction du bulletin Faits et causes.

Très fatigué et affaibli, Jacques Duhamel quitte son ministère, en accord avec le président de la République, au moment des élections législatives du printemps 1973. Comme il l’a promis, il est quand même candidat à sa succession dans la deuxième circonscription du Jura. Il manque de peu une élection au premier tour, obtenant 49,3% des suffrages exprimés. La semaine suivante, le 11 mars, il est député de Dôle pour la quatrième fois. La présence de six autres candidats conduit à un second tour de scrutin, au terme duquel l’adversaire socialiste de Jacques Duhamel est devancé de presque 10 000 des 60 125 suffrages exprimés. Jacques Duhamel a mené une campagne électorale en grande partie polarisée sur la vie politique nationale. Les communistes, leur alliance avec les socialistes depuis le programme commun de 1972, et donc la singularité française d’un tel accord en Europe de l’Ouest, sont présentés comme un risque pour le pays. A son retour à l’Assemblée nationale, le député du Jura s’inscrit au groupe centriste, et en devient le président, le 26 avril 1973. Il en est ainsi jusqu’au 2 avril 1974, date de la mort du Président Georges Pompidou. Jacques Duhamel devient alors membre du groupe parlementaire des réformateurs, des centristes et des démocrates sociaux, le 10 juillet 1974, mais ne rejoint pas le Centre des démocrates sociaux (C.D.S.), fondé par Jean Lecanuet, et auquel se rallient nombre de ses collègues et amis du C.D.P. Il préfère constituer son propre « centre d’études ». Au cours de ce nouveau mandat, il appartient à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, d’avril à décembre 1973. A cette date, il rejoint la commission de la production et des échanges, jusqu’au mois d’avril 1975. Enfin, il siège à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. S’il ne prend plus part aux discussions en séance publique, Jacques Duhamel dépose deux propositions de loi, la première relative à l’institution d’un médiateur, la seconde, de nature constitutionnelle, portant modification de l’article 35 de la Constitution. Enfin, le 30 mai 1974, il signe une proposition de loi organique relative à la réforme du Code électoral et à l’application de l’article 23 de la Constitution.

Au cours de ce dernier mandat, Jacques Duhamel ne manque pas un vote. Ainsi, il continue à démontrer l’originalité de son positionnement centriste sur l’échiquier politique français. Le 12 avril 1973, il approuve la déclaration de politique générale du deuxième gouvernement Messmer. Le 16 octobre suivant, il soutient la réforme constitutionnelle relative à l’article 6 de la Constitution. Il apporte sa voix à Jacques Chirac lorsque ce dernier, nommé Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, présente la déclaration politique de son gouvernement. De même, il apporte son soutien à la deuxième réforme constitutionnelle de la législature, celle portant révision de l’article 25 de la Constitution, le 10 octobre 1974. Sans surprise, il soutient la ministre de la Santé, Simone Veil, lors du vote du projet de loi relatif à l’interruption volontaire de grossesse, le 28 novembre 1974. Quelques mois plus tard, il en fait de même avec la réforme du divorce, le 4 juin 1975. Il approuve, le 8 juin 1976, la troisième réforme constitutionnelle votée au cours de son dernier mandat, et modifiant l’article 7 de la Constitution. Le 28 avril 1977, il s’exprime en faveur du programme du gouvernement de Raymond Barre. Enfin, son dernier vote intervient sur l’ensemble du projet de loi relatif à l’élection des représentants à l’Assemblée des communautés européennes : il est favorable.

Finalement, ce qui passionnait Jacques Duhamel, dira de lui Edgar Faure, « c’était la possibilité de façonner dans la pâte de la vie ce qu’il avait conçu dans la clairvoyance et dans la générosité de l’âme ». Lorsque le député en exercice du Jura et maire de Dôle disparaît, le 8 juillet 1977, après plusieurs années de tentatives d’apprivoisement de la maladie qui progressivement s’attaquait aux organes de la locomotion, ce n’est pas tant l’homme politique et acteur national de la vie publique qui est regretté. C’est cela, naturellement, mais bien plus : ce qu’il était, pensait, professait et qui irradiait de sa personne et de son humanisme aura marqué, à n’en pas douter, une génération d’hommes et de femmes, au point d’évoquer l’existence d’héritiers politiques d’un homme âgé seulement de 52 ans. Depuis plusieurs années, meurtri, davantage encore dans son âme que ce que la maladie avait entraîné dans sa chair, Jacques Duhamel restait bouleversé par la perte de son fils aîné, Jérôme, en 1971, dans un accident de la route qui priva de la vie un jeune homme de 31 ans. Aussi, aux observateurs qui l’avaient paradoxalement qualifié d’homme « heureux sans mesure », Jacques Duhamel montra-t-il jusqu’aux derniers moments de sa vie que « rien n’est jamais achevé ».