Joannès, Pierre Dupraz-Bonsay dit Dupraz
1907 - 1995
Né le 3 juillet 1907 au Bois d'Oingt (Rhône)
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale Constituante (Indre et Loire)
Député de l'Indre et Loire de 1946 à 1958
Sous-secrétaire d'Etat à l'Armement du 31 octobre au 24 novembre 1947
Secrétaire d'Etat à la Marine du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948
Secrétaire d'Etat aux Forces armées du 26 juillet 1948 au 28 octobre 1949
Secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil du 10 janvier au 28 juin 1953
Joannès Dupraz est le fils d'Elie Dupraz-Bonsay, commerçant au Bois d'Oingt (Rhône) et de Françoise Brossette. Dès la fin de ses études secondaires, il entre à la rédaction de divers journaux, notamment La journée industrielle, Le salut public de Lyon et le Bulletin quotidien (1932-1939). Parallèlement, il a été le directeur du poste Radio Lyon (1928) et a suivi les travaux de la SDN de 1928 à 1931. Ses activités de publiciste l'amènent à effectuer de nombreux voyages d'études et d'information dans le monde entier, ce qui lui fournit la matière pour publier des enquêtes sur les Etats-Unis, l'Amérique du sud, l'Afrique et divers états européens. En 1939, il entame sa seconde carrière tournée vers la politique en devenant chef de cabinet du ministre du Commerce. De 1940 à 1944, Joannès Dupraz administre ou conseille diverses sociétés et est brièvement chargé de mission auprès de Paul Charbin, secrétaire d'Etat au ravitaillement, en 1941. A la Libération, le Gouvernement provisoire du général de Gaulle fait appel à lui pour être secrétaire général du ministère de l'Information, poste qu'il quitte en juillet 1945 pour devenir administrateur de l'agence Havas. Le 21 octobre 1945, il est placé à la tête de la liste du MRP aux élections pour la première Assemblée nationale constituante en Indre et Loire. Le nouveau parti remporte un beau succès puisqu'il arrive en tête avec 53 663 voix devant les listes de la SFIO (52 804), du parti communiste (35 585) et du parti radical (15 492). Joannès Dupraz et son colistier, le docteur vétérinaire Raymond Moussu, deviennent donc députés.
Dans la nouvelle assemblée, Joannès Dupraz siège à la Commission des finances et à celle de la presse. A ce titre, il dépose deux rapports, l'un sur le projet de loi créant des ressources pour la caisse de péréquation de la Guyane (17 avril 1946), l'autre sur la révision des crédits du budget des colonies. Il rédige également une proposition de loi tendant à retarder la date d'entrée en application de l'ordonnance du 4 octobre 1945 sur l'organisation administrative de la Sécurité sociale. Ses principales interventions orales traitent de problèmes similaires. Une première fois, le 29 décembre 1945, comme rapporteur spécial du budget civil des colonies, il propose un certain nombre de réductions de crédits sur des chapitres faisant double emploi. Le 12 février 1946, Joannès Dupraz approuve l'action courageuse de réduction du déficit budgétaire engagée par André Philip, le ministre des Finances, mais il critique le manque d'imagination de certaines mesures fiscales et réclame des réformes administratives plus ambitieuses. Il s'inquiète aussi des difficultés de mise en pratique des choix économiques du Gouvernement qui, du fait de la forte intervention de l'Etat, suppose de multiples outils statistiques et un service compétent de centralisation de l'information. Il affirme en conclusion son espoir d'une reprise et son soutien à la politique suivie.
Lors des élections à la Seconde constituante, Joannès Dupraz conduit de nouveau la liste du MRP en Indre et Loire. Les résultats sont assez similaires à ceux du scrutin précédent. Le MRP arrive en tête avec 53 577 suffrages devant la liste socialiste (45 124, en recul), communiste (38 748, en progrès), RGR (15 146, stable), PRL (12667) et une petite liste du parti républicain et social de la réconciliation française (5 133). Deux sièges reviennent au MRP, deux aux socialistes, un aux communistes. Pour ce nouveau bref mandat, Joannès Dupraz retrouve ses fonctions dans les mêmes commissions. Il dépose un avis au nom de la Commission des finances sur le projet de loi déterminant aux Antilles et à la Réunion les conditions dans lesquelles des facilités pourront être accordées aux chefs d'entreprise mobilisés en vue de leur permettre de reprendre leur activité. Il participe aussi à la discussion du projet de Constitution pour lequel il dépose un amendement concernant l'Union française et est rapporteur du budget de la France d'outre-mer.
Aux élections législatives du 2 novembre 1946, on retrouve la même configuration que précédemment. Les rapports de force se modifient légèrement du fait de la montée des abstentions, du tassement du MRP (49 307, soit 4 000 voix de moins), de la SFIO (38 208, soit 8 000 suffrages en moins) dépassée à présent par le parti communiste (41 151 voix) qui conquiert un second siège. Joannès Dupraz et Raymond Moussu conservent en revanche leurs mandats. Le député d'Indre et Loire siège à la Commission des finances et, à partir de 1951, à celle du suffrage universel. Ses travaux écrits sont surtout des rapports faits au nom de la Commission des finances concernant, soit la France d'outre-mer, soit la radiodiffusion française. Ses interventions orales se répartissent en deux ensembles : celles concernant le budget de la France d'outre-mer et celles tenant à ses fonctions de secrétaire d'Etat aux Forces armées qu'il exerce, malgré l'instabilité ministérielle, de façon ininterrompue pendant deux ans dans les cabinets qui se succèdent du 31 octobre 1947 au 28 octobre 1949 (cabinets Ramadier, Schuman, Marie, deuxième cabinet Schuman et cabinet Queuille).
Parmi ses exposés les plus importants relevant du premier ensemble, on peut citer sa prestation du 7 mars 1947 en tant que rapporteur sur les investissements dans l'Union française réalisés par le FIDES. Contre les critiques des députés d'outre-mer, il met en valeur l'importance des sommes débloquées pour certains grands travaux.
Ses fonctions de secrétaire d'Etat aux Forces armées l'amènent à défendre à plusieurs reprises le budget de la marine nationale dont il a la tutelle, notamment en juillet 1948 et en mars 1949, du fait du retard des votes des lois de finances à cette époque. Dans sa réponse aux rapporteurs, le 9 juillet 1948, il souligne la difficulté de sa tâche étant donné la politique de compression budgétaire d'une part, et la nécessité de l'autre de reconstituer la marine nationale dans le contexte aggravant de la guerre d'Indochine. Il plaide pour un programme d'investissements à long terme indispensable pour faire cesser la dépendance française à l'égard de ses alliés qui lui prêtent pour l'instant deux porte-avions, en attendant que la France en ait reconstruit un. Il souligne également l'importance de l'entretien et de la modernisation des bases navales réparties dans l'Union française. Il conclut en affirmant que la France possède déjà la capacité de faire face à ses obligations en cas de conflit mondial, tout en attirant l'attention des députés sur quelques faiblesses : manque de moyens aéronavals et de sous-marins, hétérogénéité d'une flotte composée en partie de bâtiments récupérés sur l'Allemagne et l'Italie au titre des réparations.
Les nouvelles compétences acquises par Joannès Dupraz après son passage au gouvernement expliquent que ses interventions de la fin de la législature soient centrées surtout sur les questions de défense nationale. Il participe notamment longuement à la discussion du programme de réarmement proposé par le Gouvernement le 27 décembre 1950, dans le contexte international de la guerre de Corée. Il déplore le manque de précision sur les projets d'emploi des crédits demandés et, au terme de calculs serrés, souligne que l'effort réalisé est beaucoup moins considérable que celui officiellement annoncé si l'on déduit l'augmentation des matières premières, l'aide américaine et les dépenses incompressibles de la guerre d'Indochine. Il souligne et critique aussi l'absence d'imagination de la partie recettes du budget demandé.
Aux élections du 17 juin 1951, Joannès Dupraz conduit une liste de coalition pour la défense républicaine, sociale et paysanne, soutenue par le MRP mais dont la composition est entièrement différente de celle des précédents scrutins. Cette liste est apparentée à celles de la SFIO, du parti radical, du RGR et des Indépendants paysans. Cet accord, dont sont exclus le PCF et le RPF, s'avère d'autant plus indispensable que ces deux partis avec, respectivement, 36 722 et 39 450 voix rassemblent au total 46,8 % des suffrages exprimés en Indre et Loire. Les listes apparentées ayant atteint la majorité absolue privent de toute représentation ces deux partis bien que la liste de Joannès Dupraz ne réalise qu'un score médiocre par rapport au précédent scrutin avec 21 803 voix soit 13,1 %. Elle ne compte qu'un élu comme les listes radicale et indépendante, la SFIO retrouvant deux sièges.
Pendant cette seconde législature, Joannès Dupraz reprend ses fonctions à la Commission des finances et y adjoint des fonctions à la Commission de la défense nationale, à partir de 1955. Il concentre son activité parlementaire sur la rédaction de rapports sur les crédits de la marine et sur les débats où ces questions sont traitées. Le 10 juin 1952 par exemple, Joannès Dupraz dresse un constat alarmant de l'évolution de la flotte de guerre française. Du fait des retards pris sur les programmes de renouvellement, la flotte est en voie de diminution surtout dans le domaine aéronaval et la France, dépendant d'achats à l'étranger ou de la fourniture de matériel par ses alliés, risque de ne plus pouvoir faire face à ses obligations internationales ni assurer la sécurité de l'Union française. Nommé secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil dans le cabinet de son ami René Mayer du 10 janvier au 28 juin 1953, Joannès Dupraz n'a pas l'occasion de prendre la parole à la tribune à ce titre. En revanche, il intervient longuement lors du vote des pouvoirs spéciaux en matière économique et sociale demandés par le gouvernement Mendès-France (10 août 1954). Il y rend hommage au programme et à la méthode d'un homme qui a longtemps prêché dans le désert avant d'accéder au pouvoir. Sa dernière intervention importante concerne le débat suscité par la décision du gouvernement Edgar Faure de dissoudre l'Assemblée nationale. Il conteste cette initiative qui ne peut qu'ajouter à la confusion politique et lui oppose la question préalable qu'il transforme en une motion préjudicielle : « l'Assemblée nationale discutera la proposition du Gouvernement d'abréger son mandat dès que celle-ci comportera une nouvelle disposition de loi électorale ». Il n'est pas suivi et conduit donc de nouveau la liste MRP lors du scrutin du 2 janvier 1956.
Comme son parti au plan national, Joannès Dupraz connaît un recul de son audience électorale. Sa liste ne recueille que 10,7 % des suffrages exprimés et est dépassée par celle du PCF (23,6 %), de la SFIO (15,4 %), du parti radical (11,3 %) et des poujadistes (11 %). Une fois réélu, Joannès Dupraz retrouve les mêmes fonctions que précédemment. Sa première longue intervention est suscitée par le débat agricole rendu nécessaire par les fortes gelées de l'hiver 1956 qui mettent en péril l'avenir de nombreuses exploitations familiales. Avec de nombreux collègues, il réclame du gouvernement Guy Mollet des mesures à court et à long terme pour maintenir la vocation agricole du pays en cette période de transformations rapides. Ses autres contributions aux débats sont l'examen détaillé des budgets militaires, sans cesse révisés en raison, soit des circonstances (guerre d'Algérie notamment), soit des ajustements budgétaires imposés par la crise financière. Sa grande compétence y apparaît notamment dans le fait que les réserves qu'il émet sur certains choix ou sous-évaluations volontaires apparaissent souvent confirmées après coup par les événements : retard de certaines fabrications dont le manque s'avère ensuite crucial, impossibilité de tenir des évaluations trop optimistes, multiples rectifications à la hausse ou à la baisse rendant impossible une véritable programmation militaire. A maintes reprises, Joannès Dupraz pose la question décisive et cruelle : la France a-t-elle encore les moyens des missions nombreuses et concurrentes qu'elle fixe à sa défense nationale ?
Joannès Dupraz soutient le retour au pouvoir du général de Gaulle qui placera cette question au centre de son action. En revanche, il ne se représente pas aux élections de 1958 et commence une nouvelle carrière d'homme d'affaires. Parallèlement à ses fonctions parlementaires, Joannès Dupraz a été conseiller général du canton de Tours-nord (1955-1961), délégué de la France à l'Assemblée générale des Nations Unies (1956, 1957, 1962, 1963, 1964) et président du comité de direction du journal Le Monde (juillet-décembre 1951).