Jean Durand
1865 - 1936
Né le 8 janvier 1865 aux Cammazes (Tarn), mort le 11 octobre 1936 à Castelnaudary (Aude).
Député de l'Aude de 1906 à 1921. Sénateur de l'Aude de 1921 à 1936.
Ministre de l'Agriculture du 17 avril 1925 au 10 avril 1926.
Ministre de l'Intérieur du 10 avril au 19 juillet 1926.
Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts du 21 février au 2 mars 1930. D'origine modeste, fils d'un boulanger des Cammazes, petit village situé dans le Tarn, à la limite de la Haute-Garonne et de l'Aude, Jean Durand eut une enfance imprégnée par le « charme austère » et la « vie simple » du pays de la Montagne noire. Il fit ses premières études à Castelnaudary, à 18 kilomètres de son bourg natal, puis les acheva à la Faculté de médecine de Toulouse et au Val de Grâce ; il fut interne des hôpitaux. Après un court passage dans l'armée, il revint s'établir médecin à Castelnaudary, mais, se faisant aussi agriculteur, il tint à pratiquer dans son domaine de Saint-Jean les méthodes les plus nouvelles.
Il fut attiré assez tôt par la politique : il fonda une association d'étudiants républicains à Toulouse et, dès l'âge de 27 ans, présidait le comité radical-socialiste de Castelnaudary, dont le Conseil municipal en 1902, puis la mairie, en 1904, s'ouvrirent à lui ; il devait conserver ses fonctions de maire pendant quinze ans. En octobre 1909, il entra au Conseil général, où il resta jusqu'à sa mort, et dont il fut durant longtemps le vice-président et le rapporteur permanent du budget départemental.
Il se présenta à la députation aux élections générales de 1906 et, le 20 mai, au second tour de scrutin, par 6.540 voix sur 12.000 votants, il battait le député sortant, marquis de Laurens-Castelet, qui n'obtenait que 5.273 suffrages. Il fut régulièrement réélu jusqu'en 1921 ; le 24 avril 1910, par 6.157 voix sur 11.634 votants, contre 5.159 à M. Faure ; le 26 avril 1914, par 6.362 suffrages sur 10.784 votants, contre 4.058 à M. Georgin ; le 16 novembre 1919, enfin, par 24.945 voix sur 57.548 votants, premier de la liste de la Fédération républicaine d'union économique, agricole, démocratique, qui devait emporter tous les sièges et comprenait en troisième position M. Albert Sarraut.
Inscrit au groupe radical-socialiste, le médecin, puis, surtout, l'agriculteur s'affirmèrent en lui au cours des quinze années qu'il passa au Palais-Bourbon. Il fit ses premières armes, en effet, dès 1906, en déposant une proposition de loi relative aux facilités à accorder aux femmes occupées dans l'industrie pour l'allaitement de leurs nourrissons ; en 1908, il demanda, dans une autre proposition de loi, l'autonomie pour les facultés et les écoles de médecine et rapporta, en 1910, un projet de loi, déjà adopté par le Sénat, interdisant la vente et l'importation du biberon à tube.
Il s'intéressa, en outre, aux questions financières, en participant, en 1908, à la discussion du projet de loi relatif à l'impôt sur le revenu, en intervenant dans celle des budgets des exercices 1907 à 1920, et ce à des titres variés (Agriculture, Hygiène, Postes et télégraphes, Travaux publics, Guerre, Colonies Beaux-arts, etc...), en déposant, en 1914, une proposition de résolution concernant le dégrèvement des cotes personnelles mobilières et des portes et fenêtres et, en 1920, en parlant dans la discussion du projet de loi, modifié par le Sénat, tendant à créer de nouvelles ressources fiscales.
La politique extérieure, en 1911, le mode d'élection des députés l'année suivante - il participa à la discussion des projets et propositions de loi tendant à instituer le scrutin de liste avec représentation proportionnelle - un projet concernant l'amnistie en 1913, retinrent aussi son attention.
Mais ce fut à tout ce qui touchait à l'agriculture qu'il se consacra particulièrement. En 1909, il déposa une proposition de loi tendant à accorder une bonification spéciale aux alcools de vin ; neuf ans plus tard, il intervint dans la discussion du projet et des propositions de loi concernant le monopole de l'alcool, et l'année suivante, en 1919, sur un nouveau régime temporaire de l'alcool. Ce fut particulièrement pendant les années de guerre qu'il marqua sa sollicitude pour les agriculteurs, et surtout plus spécialement pour ceux de sa région. Il ne manqua pas une occasion, dès 1913 et au cours des hostilités, de réclamer des mesures en leur faveur, lors des inondations ou autres calamités survenues dans la région de Castelnaudary et du Sud-Ouest. Il déposa, en 1916, une proposition de loi tendant à créer des chambres d'agriculture. Se penchant tout particulièrement sur le sort des classes anciennes, il demanda, en 1916, que les agriculteurs de la classe 1888 soient rappelés les derniers ; en 1917, que ceux des classes 1890 à 1892 soient mis à la disposition de leur ministre et qu'un sursis de deux mois soit accordé pour les emblavures à ceux des classes suivantes, 1893 à 1895 ; en 1918 et 1919, il attacha le plus grand prix à obtenir la libération rapide des vieilles classes, le renvoi immédiat des réservistes de l'armée territoriale et à faire reconnaître la nécessité de hâter la démobilisation. Dans le même esprit, il préconisa, en 1916, la mise en culture, par les pupilles de la Nation, des terres abandonnées et participa, en 1918, à la discussion d'une proposition de loi relative à l'acquisition de petites propriétés rurales par les pensionnés militaires et victimes civiles de la guerre. Aucune des discussions relatives aux questions de la taxation (1917) ou de la production du blé (1918) et du prix minimum pour les pommes de terre, au ravitaillement en 1918 et en 1919, aux bénéfices excessifs et à la spéculation, à la répartition du sucre et à la vie chère, et bien entendu à la politique agraire du Gouvernement ou à l'encouragement à la culture mécanique ou à la fabrication des fourrages mélassés ne lui resta étrangère, bien au contraire.
Certains droits d'octroi ou de douane, des mesures en faveur des commerçants, fabricants, artisans démobilisés, ou permettant à la ville de Paris d'emprunter 400 millions, des contingents spéciaux de décorations de la Légion d'honneur, l'utilisation de l'énergie hydraulique, l'attribution de majorations aux titulaires de pensions civiles ou militaires, les potasses d'Alsace occupèrent encore l'inlassable activité de Jean Durand. Il appartint en outre à de nombreuses Commissions, principalement à celles de l'hygiène et de l'agriculture, dont il fut vice-président.
Pendant dix années enfin, de 1910 à 1919, il fut en plus questeur de la Chambre.
Fidèle à son action en faveur de l'agriculture, il avait créé le groupe de défense paysanne.
Lors du renouvellement sénatorial du 9 janvier 1921, il se présenta dans son département et fut élu, par 499 voix sur 787 votants, en seconde position, derrière Maurice Sarraut : admis au Sénat le 20 janvier, le président de la Chambre donna acte de sa démission de député au cours de la séance du 27 janvier 1921. Il fut réélu, le 20 octobre 1929, pour le renouvellement du 14 janvier 1930, avec 599 voix sur 742 votants, derrière Maurice et Albert Sarraut, qui avaient obtenu, l'un et l'autre, 618 suffrages.
Au cours des quinze années qu'il passa à la Haute Assemblée, Jean Durand, membre de la gauche démocratique, présida le groupe agricole et appartint à diverses Commissions, dont celle de l'agriculture, celle de l'administration générale, départementale et communale et assuma, en 1933, la présidence de la Commission du vote des femmes.
S'il participa toujours activement à la discussion des divers budgets de 1921 à 1936 à des titres divers (Agriculture, Travaux publics, Beaux-arts, Guerre), il demeura avant tout le défenseur des causes agricoles. Sa sollicitude pour ses compatriotes du Sud-Ouest et du Midi, victimes d'inondations et autres calamités (1923, 1924, 1930) ne se relâcha pas. La question de l'approvisionnement en blé, céréales et farines panifiables (1924 et 1925), du commerce des blés (1929), de la régularisation des cours du blé (1933), de l'assainissement du marché du blé (1934), celle du marché du vin (1927), des vins en général (1929), du régime fiscal des spiritueux (1932), de l'assainissement du marché du vin (1934), de la taxe et des droits d'octroi sur les vins en bouteilles (1935 et 1936), la politique forestière (abattage des châtaigniers, 1925) ; recrutement des gardes des eaux-et-forêts, 1926 ; interpellation du sénateur Néron sur la politique forestière du Gouvernement (1929) ; Code forestier (1932) ; assiette des bénéfices agricoles (1933), les baux à ferme (1933), les permissions agricoles, l'organisation du marché aux bestiaux de La Villette (1924 et 1925) sont à citer parmi les multiples branches de son infatigable activité au service de l'agriculture.
Mais bien d'autres « rubriques » encore retiennent son attention, par exemple : la réforme du régime des pensions (1923), l'aménagement des fortifications déclassées de Paris (1930), les assurances sociales (1930), l'exercice de la médecine, le marché des traverses de chemins de fer (1931), le tarif douanier, le Conseil national économique, la gendarmerie (1936) et, enfin, l'adoption de la semaine de quarante heures, qu'il vota.
Jean Durand fut aussi appelé à diriger trois départements ministériels. En constituant son deuxième Cabinet, le 17 avril 1925, Paul Painlevé lui confia le portefeuille de l'agriculture, qu'il lui demanda de conserver dans son troisième Cabinet, le 29 octobre 1925 ; dans les huitième et neuvième Cabinets Briand qui suivirent, les 28 novembre 1925 et 9 mars 1926, Jean Durand conserva le Ministère de l'Agriculture, jusqu'au 10 avril suivant. Il se voulut, pendant ce passage au Gouvernement, le champion de la « politique de production », seule capable à ses yeux de développer cette branche importante de l'économie française.
Le 10 avril 1926, Aristide Briand remplaça Malvy au Ministère de l'Intérieur par Jean Durand, qu'il maintint à ce poste le 23 juin suivant, lorsqu'en formant son deuxième Cabinet, il se succéda à lui-même. Le 19 juillet 1926, à la démission de ce Cabinet, Jean Durand revint prendre sa place parmi les sénateurs. Il n'eut guère le temps de marquer son passage place Beauvau, mais demanda cependant la discussion rapide du projet de réforme électorale, qui devait ramener, pour les élections de 1928, le scrutin uninominal. Rentré dans le rang, d'ailleurs, le sénateur ne devait pas oublier le geste du ministre, puisqu'il déposait, en 1926, puis de nouveau l'année suivante, une demande d'interpellation sur cette importante réforme.
Lorsque, le 21 février 1930, Camille Chautemps constitua son premier et éphémère Cabinet, puisqu'il dut être démissionnaire quatre jours plus tard, il fit de lui le grand maître de l'Université, en lui confiant le portefeuille de l'instruction publique et des beaux-arts.
Jean Durand, dont l'activité ne s'était nullement ralentie avec les années, mourut subitement au retour d'une promenade dans sa propriété de Saint-Jean, près de Castelnaudary, le 11 octobre 1936, à l'âge de 71 ans.
Le président Jules Jeanneney, en prononçant son éloge funèbre dans la séance du 5 novembre 1936, put dire de lui, en parlant du médecin : « ce qu'il put être pour ses malades, ce qu'il dut leur apporter de bonté, de charité familière, d'optimisme souriant, nous le devinons sans peine, ayant vu tout cela rayonner en lui », et en évoquant l'homme politique « clairvoyant et vigoureux » : « son effort avait tendu spécialement à accroître le niveau de la vie de nos campagnes, à y hâter l'électrification, à y développer les allocations familiales et le reboisement. Au Gouvernement... il a justifié par sa sagacité fine et sa vigueur tranquille la confiance mise en lui. »