Bernard Lambert
1931 - 1984
LAMBERT (Bernard, Georges, Gabriel)
Né le 11 septembre 1931 à La Fournerie-Teillé (Loire-Atlantique)
Décédé le 24 juin 1984 à Bécon-les-Granits (Maine-et-Loire)
Député de la Loire-Atlantique de 1958 à 1962
Bernard Lambert est né le 11 septembre 1931, dans une famille de métayers de pères en fils, depuis plusieurs générations. C’est tout naturellement vers l’exercice de cette activité professionnelle qu’il oriente sa formation. Après son certificat d’études primaires, et l’obtention d’un brevet supérieur d’études agricoles et sociales, il devient exploitant d’une ferme de 35 hectares, à l’âge de 20 ans, en exerçant le métier de métayer, en association avec son frère. Très vite, en plus de sa profession, il exerce des responsabilités syndicales agricoles, aux plans départemental et national ; membre, puis secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de la Loire-Atlantique (1954-1958), il milite à la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), de 1953 à 1958. Il innove en insistant sur l’information, celle des paysans, des journalistes et des autres catégories professionnelles. Simultanément, de 1956 à 1958, il est secrétaire général adjoint du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). Ainsi, par l’influence acquise lors des luttes syndicales, dans le domaine de cette agriculture de l’Ouest qu’il estime « très contestataire », le jeune président de la FDSEA et du Cercle des jeunes agriculteurs est-il poussé vers le combat politique. Par ailleurs, les mois passés en Algérie, où il acquiert la croix de la valeur militaire, avec citation à l’ordre de la Brigade, « en raison de la peur » dit-il, ne l’en détourneront pas, bien au contraire.
Candidat aux premières élections législatives de la Cinquième République, au mois de novembre 1958, il expose les raisons de son engagement dans sa profession de foi : il a répondu à l’appel de ses amis, ouvriers, paysans, artisans qui ont insisté en ce sens, et ont levé les « sérieuses hésitations » que Bernard Lambert avait un temps émises. Secondé par son suppléant, le docteur Francis Le Doze, conseiller général et maire de Saint-Julien-de-Vouvantes, il reçoit l’investiture du Mouvement républicain populaire (MRP), dans la cinquième circonscription de Loire-Atlantique, qui regroupe les cantons de Blain, Châteaubriant, Derval, Guémené-Penfao, Moisdon-la-Rivière, Nozay, Rougé, Saint-Julien-de-Vouvantes et Saint-Mars-la-Jaille. Le 30 novembre, il est élu d’extrême justesse, en devançant son principal concurrent, le député sortant et ancien ministre André Morice, de 400 voix. Son programme électoral dénote une volonté très nette d’affirmer une approche humaniste, presque personnaliste, de l’action publique. Refusant « le monopole politique des puissances d’argent », il souhaite que les représentants soient choisis parmi ceux qui ont vécu « les mêmes difficultés, les mêmes souffrances » que leurs électeurs. Sans revenir sur le refus du mandat impératif, il souhaite néanmoins que le parlementaire soit « l’instrument à travers lequel les milieux populaires s’expriment », souhaitant ainsi une collaboration plus étroite entre le député et ses électeurs. En plus de la lutte contre le chômage, Bernard Lambert souhaite veiller à la défense de toutes les libertés humaines, notamment la liberté de l’enseignement, du travail et de la propriété, ne souhaitant pas confondre liberté et individualisme. Il consacre une large partie de sa profession de foi à proposer des améliorations à la vie des agriculteurs, et notamment en leur donnant le statut de l’exploitation familiale qu’ils réclament depuis longtemps. A l’heure de la modernisation rapide des méthodes de production, il suggère la création d’un véritable marché commun international.
A son arrivée au Palais-Bourbon, Bernard Lambert est nommé secrétaire d’âge, en raison de sa qualité de benjamin de l’Assemblée nationale : il n’a que 27 ans. Par ailleurs, il est élu secrétaire de l’Assemblée nationale, jusqu’en 1960. Il rejoint le groupe parlementaire des républicains populaires du Centre démocratique. Agriculteur, il choisit logiquement la Commission de la production des échanges, où il est nommé dès le 27 janvier 1959. Il y siège durant toute la législature. Au cours de son mandat, il n’appartient qu’à une commission spéciale, chargée d’examiner le projet de loi de finances rectificative pour 1961. Il consacre aux activités agricoles, l’unique proposition de loi qu’il dépose, le 19 mai 1961, en tentant de définir et de réglementer certains éléments de la propriété d’exploitation, fidèle aux engagements pris devant le corps électoral. Ses interventions en séance publique n’en sont guère éloignées. Il prend une part active à la discussion du projet de loi de programme relative à l’équipement agricole, le 25 juin 1959, en défendant la réforme des circuits de distribution de la viande. Dans la discussion générale commune sur les projets de loi concernant l’agriculture, le 4 mai 1960, il souligne la « disparité écrasante » entre le revenu du secteur agricole et le revenu du secteur industriel, faisant valoir ainsi les incidences de la crise agricole sur le reste de l’économie. Il souhaite que l’intérêt du gouvernement se porte aussi sur l’avenir des fils d’agriculteurs, et que l’effort en faveur des migrations rurales ne soit pas abandonné. Quinze jours plus tard, le 19 mai 1960, ses prises de position dans la discussion du projet de loi d’orientation agricole sont tranchées en plusieurs domaines, dont ceux de la propriété d’exploitation, de la réglementation nécessaire des prix payés lors des reprises de fermes, de la constitution de sociétés d’aménagement foncier pouvant acquérir des terres, dans le but de leur rétrocession ou de leur location, sous réserve d’une interdiction absolue qui leur serait appliquée de faire des bénéfices, et en échange d’un accord qu’elles recevraient de l’Etat d’un droit de préemption dans les zones spéciales d’action rurale. Il dépose quatre amendements en ce sens et défend un article additionnel. Dans la discussion de la loi d’orientation agricole pour 1962, il dépose six autres amendements sur le même thème, en insistant sur l’interdiction des cumuls de professions et sur la création souhaitable d’une carte professionnelle d’exploitant agricole. Entre-temps, il a posé une question orale avec débat au ministre de l’agriculture, Roger Houdet, relative à la fixation du prix du lait à la production, le 19 mai 1961. Le 9 juin 1959, le député de Châteaubriant se montre précurseur, en proposant l’autodétermination des habitants de l’Algérie, après avoir émis des réserves sur le caractère spontané des manifestations du 13 mai. Cette prise de position ne lui permet pas de terminer son discours devant une Assemblée nationale déchaînée.
Au cours de son mandat, le député démocrate-chrétien de Loire-Atlantique vote fidèlement les projets présentés par le gouvernement, à une exception près : il ne prend pas part, le 11 mai 1960, au vote du projet de loi constitutionnelle, relatif au titre XII de la Constitution concernant l’indépendance des Etats africains et les modifications des dispositions relatives à la Communauté. Il approuve la loi Debré sur l’enseignement privé, le 23 décembre 1959, et l’ensemble du projet de loi sur les pouvoirs spéciaux, le 2 février 1960. Comme ses collègues du MRP, il vote la motion de censure au gouvernement Pompidou nouvellement constitué, le 4 octobre 1962.
Devenu, en 1959, conseiller municipal de Teillé, sa ville natale, Bernard Lambert est à nouveau candidat à sa succession, aux élections législatives de 1962. Le plus jeune député de France élu en 1958 est désormais marié avec Marie-Paule Cassagne, et père de deux filles. Dans cette circonscription très rurale dominée par la ville de Châteaubriant, Bernard Lambert ne résiste pas à la candidature du premier magistrat de cette commune, l’huissier de justice Xavier Hunault, candidat gaulliste. Le député sortant est battu dès le premier tour, par 3 000 des 36 000 suffrages exprimés. A la suite des élections municipales de 1965, il ne dispose plus d’aucun mandat électif. En 1966, celui qui « travaille activement au développement de l’esprit et de l’action révolutionnaire en milieu paysan » adhère au Parti socialiste unifié (PSU) et devient membre de sa direction nationale aux côtés de Michel Rocard. Deux ans plus tard, son analyse du syndicalisme agricole s’éloigne de celle du syndicalisme majoritaire de la FNSEA et du CNJA. Il souhaite que l’agriculteur sorte de son corporatisme, et fasse alliance avec les étudiants, comme en mai 1968 à Nantes, sur le Larzac ou avec les Lip. Contestant la dérive capitaliste de la coopération et du mutualisme, il fait le choix de militer au sein du mouvement des travailleurs-paysans, qui ne se désolidarise du syndicalisme majoritaire qu’en 1970. En 1981, l’ancien député de la Loire-Atlantique fonde et anime la Confédération nationale des syndicats de travailleurs-paysans (CNSTP), qui est issue du regroupement des travailleurs-paysans, du mouvement syndical des travailleurs de la terre et de divers syndicats départementaux dissidents de la FNSEA. Cette structure syndicale n’obtiendra que 7,08% des voix lors des élections aux chambres d’agriculture, en 1983. A la tête de la CNSTP, Bernard Lambert, ancien président du groupe des coopératives agricoles de Challans de 1958 à 1978, retrouve Michel Rocard, cette fois-ci dans les fonctions de ministre de l’agriculture.
Bernard Lambert meurt dans un accident de voiture, le 24 juin 1984, à l’âge de 52 ans. Sur le statut paysan, la question foncière, la politique agricole commune (PAC), il aura marqué le syndicalisme agricole des trente premières années de la Cinquième République, par ses conceptions originales et avant-gardistes, comme son souhait d’aboutir à un « syndicalisme de personnes », par opposition aux groupes et aux produits. Il a été l’un des défenseurs les plus ardents de l’unité de la gauche paysanne.