Cerf Lurie
1897 - 1987
LURIE (Cerf)
Né le 31 mars 1897 à Sète (Hérault)
Décédé le 4 février 1987 à Sète
Député de l’Hérault de 1958 à 1962
Très attaché à sa ville natale de Sète, Cerf Lurie lui reste fidèle pendant l’essentiel de son existence. Il s’engage à 17 ans dans l’infanterie coloniale et est gravement blessé pendant la Première guerre mondiale. Il en revient mutilé. La France reconnaît le courage du jeune Sétois en le décorant de la Légion d’honneur, de la médaille militaire, de la croix de guerre 1914-1918 et de la croix du combattant volontaire. De retour à la vie civile, Cerf Lurie devient inspecteur des chemins de fer pour des compagnies privées, puis pour la SNCF après 1938. Les blessures qu’il a reçues expliquent qu’il ne soit pas mobilisé en septembre 1939. La vie de Cerf Lurie est mal connue entre 1940 et 1944. Il perd probablement son emploi en 1940, lorsque le régime de Vichy décide d’exclure les Juifs de la fonction publique. Pour les anciens combattants de confession juive qui ont, comme lui, versé leur sang pendant la Première guerre mondiale, l’antisémitisme d’Etat est particulièrement douloureux. Après l’occupation de la zone sud, Cerf Lurie fait sans doute l’expérience de la clandestinité. Il échappe à la déportation. A la Libération, il change d’activité professionnelle et devient négociant en vins à Sète.
Cerf Lurie entre en politique en 1947, à cinquante ans. Il adhère en effet au RPF dès sa création et cherche, avec d’autres, à implanter le mouvement gaulliste dans l’Hérault. Le département est très ancré à gauche sous la IVème République. La personnalité politique la plus marquante en est alors Jules Moch, élu SFIO et ministre à plusieurs reprises, notamment de l’Intérieur. Après le retour du général de Gaulle au pouvoir, le 1er juin 1958, c’est du reste Jules Moch qu’affronte Cerf Lurie aux élections législatives, dans la 3ème circonscription de l’Hérault. Le combat peut sembler inégal à première vue, d’autant que le gaulliste ne détient pas de mandat local, contrairement au modéré Emile Cazzani, adjoint au maire de Sète. L’hostilité des communistes à Jules Moch fait figure de clef du scrutin. Au 1er tour, Cerf Lurie n’obtient que 18,3% des suffrages exprimés, loin derrière Jules Moch (29,4%) et l’autre député sortant, le communiste Raoul Calas (29,3%). Il devance cependant Emile Cazzani (16,4%) grâce au soutien du canton de Sète : Cerf Lurie y rassemble 27,3% des voix, soit plus que Jules Moch (24,3%). Entre les deux tours, le candidat de l’Union pour la Nouvelle République (UNR) ne manque pas de rappeler dans ses documents électoraux que Jules Moch a « pris part au défilé de la Nation à la République aux côtés des anciens du système », pour la défense d’une République prétendument menacée par de Gaulle, le 28 mai 1958. Il présente également l’ancien ministre de l’Intérieur comme un « fanatique défenseur de la laïcité » ; lui s’engage au contraire à défendre les « libertés culturelles et confessionnelles ». Le maintien du communiste Raoul Calas permet à Cerf Lurie d’être élu député de l’Hérault le 30 novembre 1958. 36,9% des voix se portent en effet sur son nom, contre 33,2% pour Jules Moch et 29,9% pour Raoul Calas.
C’est donc sans véritable expérience des mandats électifs que le sexagénaire Cerf Lurie fait son entrée à l’Assemblée nationale. Il s’inscrit au groupe de l’UNR et siège à la Commission de la production et des échanges jusqu’en octobre 1960. Le député de l’Hérault est nommé membre du Comité national de propagande en faveur du vin à partir de juin 1959 et siège à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe à compter de décembre 1961. Il dépose une proposition de loi très technique sur le bureau de l’Assemblée nationale le 16 décembre 1960 : il s’agit d’accorder un nouveau délai de 6 mois aux marins de commerce et de pêche pour faire valoir au titre de leur pension de retraite le « temps passé dans certaines positions spéciales, par suite de circonstances dues à l’état de guerre ». La loi du 7 août 1957 prévoyait en effet qu’ils disposeraient d’un an pour effectuer les démarches nécessaires et faire reconnaître leur qualité de prisonniers de guerre, de déportés raciaux ou politiques ou de combattants de la France Libre. Or, Cerf Lurie juge que ce délai était trop court pour permettre à l’ensemble des marins intéressés de prendre les dispositions nécessaires.
Le député de l’Hérault prend la parole à six reprises dans l’hémicycle du Palais-Bourbon lors de la 1ère législature de la Vème République. Il s’y affirme comme un défenseur attentif des intérêts du monde viticole. Les décrets des 16 mai et 30 octobre 1959, qui ont pour but de mieux organiser le marché du vin en France, recueillent son approbation, même s’il estime « excessive » la fiscalité pesant sur les produits de la vigne (séance du 13 novembre 1959). Il considère « la détresse et le mécontentement des (…) viticulteurs » au début des années 1960 comme « un problème national » et rappelle que les producteurs de vin utilisent « une quantité considérable de machines, d’engrais, de produits chimiques ». Il se montre notamment préoccupé par les conditions dans lesquelles du vin hongrois pourra être importé en France, au titre d’un accord paru au journal officiel du 11 juin 1961 (séance publique du 16 juin 1961). Cerf Lurie ne craint pas de s’engager dans des discussions très précises sur le marché viticole et son organisation, comme lors de la séance du 13 décembre 1961 ou dans les nombreux courriers qu’il adresse au ministre de l’Agriculture. Quelques mois plus tard, il proteste contre la réforme tarifaire décidée par la SNCF, estimant qu’elle aurait « une répercussion très grave, pour ne pas dire catastrophique, sur le port de Sète ». Il ajoute que « certains des trafics traditionnels » de Sète seraient « indubitablement détournés au bénéfice des trois ports voisins » de Marseille, de Port-Saint-Louis et de Port-la-Nouvelle au cas où ces nouveaux tarifs seraient appliqués (22 juin 1962).
Ayant eu à souffrir de la politique du régime de Vichy, il affirme que « l’équité commande de nouvelles mesures permettant la réintégration de fonctionnaires injustement licenciés » en raison de l’acte du 17 juillet 1940 « concernant le renvoi des fonctionnaires suspects au gouvernement » (1er décembre 1961). Cerf Lurie approuve le programme du gouvernement Debré (16 janvier 1959) comme le règlement définitif de l’Assemblée nationale (3 juin 1959). Il soutient la réforme du financement de l’enseignement privé (23 décembre 1959), accorde les pouvoirs spéciaux au gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie au lendemain de la semaine des barricades (2 février 1960) et se prononce en faveur du programme du gouvernement de Georges Pompidou (27 avril 1962). Il consent à la levée de l’immunité parlementaire du député de la Loire et ancien président du Conseil Georges Bidault (5 juillet 1962) et ne vote pas la motion de censure qui, adoptée, entraîne le renversement le gouvernement Pompidou le 4 octobre 1962.
Les élections législatives de novembre 1962 se présentent difficilement pour Cerf Lurie dans la 3ème circonscription de l’Hérault. Sur sa gauche, il retrouve les mêmes concurrents qu’en 1958 : le communiste Raoul Calas et le socialiste Jules Moch. Mais la direction de la SFIO, emmenée par Guy Mollet, s’est efforcée dans les premières années de la IVème République de rétablir le dialogue avec le PCF. Au 1er tour, le sortant gaulliste obtient 30,1% des suffrages exprimés, derrière les 34% de Raoul Calas. Jules Moch, qui n’a rassemblé que 28,3% des voix le 18 novembre 1962, bénéficie pourtant du retrait de son adversaire communiste entre les deux tours. La candidature du socialiste est en effet susceptible de rallier davantage d’électeurs centristes ou modérés, mais opposants à de Gaulle. Cerf Lurie est en outre handicapé par le maintien lors du scrutin décisif de la candidature du viticulteur Robert Thiéry, qui se dit « démocrate » et crique vivement la politique menée depuis 1958 en matière de vin. Le 25 novembre 1962, Jules Moch retrouve donc logiquement son siège de député de l’Hérault. Il l’emporte à la majorité absolue (57,3%) sur Cerf Lurie (39,8%) et Robert Thiéry (2,9%).
Cet échec n’éloigne pas vraiment Cerf Lurie de la vie publique. Les gaullistes cherchent cependant à « jouer » le renouvellement dans la 3ème circonscription de l’Hérault pour les législatives de mars 1967 et investissent l’agent d’assurances André Collière. Cerf Lurie, qui est de 18 ans son aîné, prend alors le risque de la dissidence et se présente sous l’étiquette du « Comité pour la République Nouvelle ». Curieusement, il ne met plus en avant la profession de marchand de vins dans ses documents électoraux mais se dit « Ingénieur honoraire des travaux publics de l’Etat ». Il n’est pas certain qu’il ait jamais exercé cette profession, mais ce titre d’ingénieur honoraire lui a peut-être été reconnu en considération de la mesure d’exclusion prise à son encontre par la SNCF en 1940. Toujours est-il qu’en mars 1967, seuls 4,4% des électeurs le soutiennent au 1er tour de scrutin. Une semaine plus tard, le communiste Pierre Arraut est élu face à André Collière. Ce dernier prend sa revanche lors des législatives des 23 et 30 juin 1968, sans que Cerf Lurie lui dispute cette fois les suffrages gaullistes.
L’ancien député effectue un retour inattendu à la politique en acceptant d’être le suppléant du gaulliste de gauche Gérard Bastide aux législatives de mars 1973, dans son ancienne circonscription d’élection. Investi par l’ « Union des gaullistes de progrès », le tandem Bastide-Lurie recueille seulement 1% des suffrages exprimés au 1er tour.
Au sein de la « famille gaulliste », Cerf Lurie offre donc l’exemple d’un militant qui, formé au RPF, dut à une poussée inattendue en faveur de la jeune UNR et à des circonstances très particulières d’être élu député en novembre 1958. L’ancien combattant de 1914-1918 s’éteint dans sa ville natale de Sète à près de 90 ans. Une avenue y porte désormais son nom.