François de Menthon
1900 - 1984
Né le 8 janvier 1900 à Montmirey-le-Ville (Jura)
Décédé le 3 juin 1984 à Menthon-Saint-Bernard (Haute-Savoie)
Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Haute-Savoie)
Député de la Haute-Savoie de 1946 à 1958 Garde des Sceaux, ministre de la justice du 10 septembre 1944 au 30 mai 1945
Ministre de l'économie du 24 juin 1946 au 28 novembre 1946
Fils du comte Henri de Menthon, officier de marine qui fut député de la Haute-Savoie de 1919 à 1928, et de Marguerite Picot d'Aligny, François de Menthon est issu d'une vieille famille de noblesse provinciale ralliée à la République.
Après avoir fréquenté l'école Saint-François de Sales de Dijon, de 1910 à 1916, François de Menthon suit les cours de la Faculté de droit de cette ville jusqu'en 1920. Devenu professeur agrégé de droit et licencié ès lettres (histoire) en 1920, il fait son service militaire de 1920 à 1923. Démobilisé, il exerce comme chargé de cours puis comme professeur à la Faculté de droit de Nancy, où il enseigne, de 1929 à 1939, l'économie politique.
François de Menthon s'engage jeune. Il a adhéré à 19 ans à l'Association catholique de la Jeunesse française (ACJF). En 1922, il lance l'association au plan départemental en Haute-Savoie. Avec René Pleven et Georges Bidault, il appartient à la petite équipe réunie autour de Charles Flory, le futur président des Semaines sociales de France. Au temps du Cartel des gauches, en 1924, il fonde la Légion civique pour opposer une résistance passive aux expulsions d'ordres religieux que pourrait imposer le gouvernement Herriot. Désigné président national de l'ACJF en 1926, il est reconduit dans ses fonctions durant quatre années. Il collabore aux journaux de la jeunesse catholique et participe aux Semaines sociales de France. En 1930, il est élu conseiller municipal de Nancy et milite au Parti démocrate populaire (PDP) pour lequel il fonde avec Georges Bidault un mouve ment de jeunesse nationale, les Jeunesses démocrates populaires, en 1932.
Volontaire pour la ligne Maginot, comme officier d'infanterie, il est blessé le 18 juin 1940 dans les ultimes combats se déroulant dans les Vosges et fait prisonnier. Il s'évade de l'hôpital où il recevait des soins, rejoint la zone libre et obtient, non sans difficultés un poste d'enseignant d'économie politique à la Faculté de droit de Lyon où il exerce de 1940 à 1942. Dans cette ville, qui devient rapidement une capitale de la Résistance, l'universitaire parfaitement intégré dans la société entreprend de résister. Avec deux collègues compagnons de combat avant guerre, autres futurs parlementaires de la IVe République, Pierre-Henri Teitgen et Alfred Coste-Floret, François de Menthon est l'un des principaux fondateurs du mouvement Liberté qui s'implante aussi dans la région marseillaise et à Montpellier à l'automne 1940. Le journal du mouvement, qu'il rédige dans sa maison d'Annecy est tout d'abord ronéotypé sur place, avec l'aide de son cousin Gérard du Jeu, puis rapidement imprimé à Marseille, où il atteint un tirage de 45 000 exemplaires avant les arrestations marseillaises de fin 1941. Dans le premier numéro, François de Menthon écrit : « Rien n'est perdu. La guerre peut encore être gagnée. Nous refusons de nous avouer vaincus. Nous refusons plus encore d'aider l'Allemagne à nous vaincre indéfiniment. Nous pouvons contribuer à la défaite allemande et il n'est pas pour les Français de devoir plus impérieux... ». Il ménage alors le maréchal Pétain dans Liberté, mais le militant démocrate-chrétien dénonce les profiteurs de Vichy, les mensonges des services d'information officiels, et se fait un défenseur de la liberté de penser. Il refuse d'adhérer à la Légion des combattants et, son opposition à la collaboration étant connue. Un groupe de légionnaire du SOL (Service d'ordre légionnaire) l'attire à la mairie d'Annecy et le jette dans le bassin extérieur après que l'arbre planté pour commémorer la venue du maréchal Pétain dans la ville a été arraché. Arrêté, il a une entrevue avec le colonel Rollin, chef de la police politique de l'amiral Darlan qui cherche des contacts dans la Résistance et le remet en liberté.
En novembre 1941, François de Menthon et Henri Frenay, décident la fusion de leurs mouvements, Liberté et Les Petites Ailes, pour donner naissance à Combat. Le premier numéro de l'organe du mouvement parait en décembre suivant. Il y joue un rôle assez effacé mais participe aux premières rencontres entre Frenay et d'Astier de la Vigerie de Libération et, lors du conflit qui oppose Jean Moulin à Henri Frenay, comme ses camarades chrétiens Georges Bidault et Teitgen, François de Menthon appuie le délégué du général de Gaulle. Sous la direction de ce dernier, avec Paul Bastid, Robert Lacoste et Alexandre Parodi, ses futurs collègues au Palais Bourbon, il est un des organisateurs du Comité général d'étude, sous le pseudonyme de Secundus, et participe à la fondation et au travail du Conseil national de la Résistance. Recherché par la Gestapo, il quitte la métropole fin 1942. Désigné comme représentant de la Résistance métropolitaine au Comité français de libération nationale, il est désigné commissaire à la justice du CFLN le 4 septembre 1943 puis au gouvernement provisoire d'Alger.
De retour à Paris, le général de Gaulle le confirme dans sa charge du ministère de la justice dans le gouvernement de la Libération le 5 puis le 10 septembre 1944. Il est chargé de la tâche redoutable d'organiser l'épuration, le châtiment des traîtres et de rétablir la légalité et la justice républicaines. Il met en place des cours spéciales de justice afin de supprimer les « tribunaux populaires » et de mettre fin à l'épuration sauvage. Mais les lenteurs de l'épuration sont vivement critiquées, principalement par les communistes, qui prennent de Menthon pour cible dans le ministère, mais aussi par les socialistes et les mouvements de Résistance. Ces critiques sont portées devant l'Assemblée consultative où, défendant le budget de son ministère le 20 février 1945, il affirme que le choix est entre « une répression rapide et aveugle, qui eût été une parodie de justice, et la justice tout court, avec des lenteurs inévitables ». Le général de Gaulle met brutalement fin à ses fonctions au ministère de la justice le 30 mai 1945, ainsi qu'à celle de Paul Ramadier, en charge du ravitaillement. Il conduit alors la délégation française à la commission des crimes de guerre puis est procureur général au Tribunal international de Nuremberg.
Lorsqu'il quitte le gouvernement du GPRF, François de Menthon dispose déjà d'une assise locale personnelle, contrairement à beaucoup de résistants. Récupérant l'héritage politique familial, il a été désigné comme maire de Menthon-Saint-Bernard en 1944 et réélu en avril 1945. Il dispose d'un prestige et de titres exceptionnels. Titulaire de la Croix de guerre 1939-1945 pour sa campagne de 1940, fondateur d'un des principaux mouvements de Résistance, membre du gouvernement de la France Libre et du Conseil national de la Résistance, il est en outre un des prestigieux Compagnon de la Libération, ce qui lui assure la sympathie des gaullistes.
Son départ et le mini-remaniement ministériel qui l'a suivi suscitent une grogne sensible du MRP, qui menace un temps de quitter le gouvernement. François de Menthon est en effet un des fondateurs principaux du Mouvement républicain populaire. Contre les tenants du maintien de l'ancien PDP, après avoir espéré fonder un parti travailliste avec les socialistes, il s'est rallié à l'idée d'un parti nouveau, dirigé par Georges Bidault et René Colin, son successeur à la direction de l'ACJF. Le 4 septembre 1944, avec Paul-Henri Teitgen autre ministre « démocrate chrétien », il a figuré aux côtés du président du CNR lors de la première réunion préparatoire à la constitution du MRP, rue de Rivoli. Le professeur de droit rédige en août 1945 une série d'articles dans L'Aube qui fixe le projet constitutionnel du MRP. C'est donc comme candidat de ce jeune parti qu'il conduit la liste MRP pour l'élection à la première Assemblée nationale constituante en Haute-Savoie en octobre 1945.
La liste de François de Menthon, où figure en deuxième position l'ancien député Louis Martel, arrive en tête du scrutin, avec 59 876 suffrages sur 160 415 inscrits et 123 752 exprimés. Ils sont tous deux élus, le premier au quotient, le second à la plus forte moyenne. Désigné à la commission de la Constitution le 29 novembre 1945, avec Paul Bacon et Pierre-Henri Teitgen pour le MRP, il s'y fait remarquer par sa compétence. Surtout, président du groupe parlementaire MRP, il intervient dans les grands débats politiques. En séance, il apporte ainsi le soutien du groupe MRP à la nationalisation des banques d'affaires. Dans la nuit du 31 décembre 1945 au 1er janvier 1946, il s'oppose, au nom de son parti, à l'amendement Capdeville, défendu par André Philip, visant à une diminution du budget militaire qui conduira peu après le général de Gaulle à quitter le gouvernement. Rapporteur général de la Constitution à l'Assemblée nationale constituante, au nom du MRP, il se prononce contre la ratification du texte qui est rejeté par la majorité du peuple français.
François de Menthon est réélu à la deuxième Assemblée nationale constituante le 2 juin 1946. La liste qu'il conduit progresse de près de 5 000 voix, rassemblant 64 604 suffrages sur 161 815 inscrits et 125 441 exprimés et, dépassant les 50 % des votants, obtient un élu supplémentaire, Pierre Mouchet. Deux listes de droite n'ont rassemblé que 4 000 voix, le reste des suffrages se partagent entre les partis de gauche. Georges Bidault appelle son compagnon comme ministre de l'économie nationale, tandis que Robert Schuman hérite des finances. Il dirige la rue de Rivoli du 24 juin au 28 novembre 1946, période difficile durant laquelle les prix de détail doublent à Paris.
Après la difficile ratification de la Constitution à laquelle il a contribué en dépit de l'opposition du général de Gaulle, François de Menthon se fait élire député à la première Assemblée nationale de la IVe République. Sa liste maintient ses positions (64 864 voix sur 163 435 inscrits et 121 775 exprimés), mais sans concurrence à droite cette fois. Elle garde ses trois élus, sur les quatre que compte le département.
La liste MRP conduite par François de Menthon pour les élections législatives du 17 juin 1951 voit apparaître deux concurrentes à sa droite. D'une part une « liste d'union savoyarde indépendante et paysanne », présentée par l'Union des indépendants, des paysans et des Républicains nationaux, conduite par Georges Riond, conseiller de l'Union française. D'autre part, une liste du RPF, comprenant deux conseillers généraux et le maire d'Annecy. Le MRP de Haute-Savoie perd plus du tiers de ses électeurs, n'obtenant plus que 40 682 suffrages sur 160 435 inscrits et 114 702 exprimés. Mais l'apparentement conclu entre le MRP, une liste de la gauche démocratique (SFIO, radicaux socialistes et RGR) et les indépendants, obtient la majorité des suffrages et permet aux coalisés d'emporter tous les sièges. Sont donc reconduits les trois MRP sortants et le socialiste Henri Briffod. Réélu député dans ces conditions plus difficiles, François de Menthon réussit à consolider sa situation locale peu après. Elu conseiller général de 1952 à 1958, il est désigné président de l'Association départementale des maires de la Haute-Savoie en 1954. Il conserve cette fonction durant vingt-trois années.
Vice-président de la commission des affaires étrangères, membre de la direction nationale du MRP, président de son groupe parlementaire de 1950 à mai 1952, François de Menthon soutient tous les gouvernements de la législature, sauf le gouvernement Mendès France auquel il refuse l'investiture et à la chute duquel il contribue. Il lui reproche dans sa profession de foi d'avoir tenté de reconstituer le Front populaire, de s'être appuyé sur les communistes pour faire échec à la Communauté européenne de défense et d'avoir favorisé les troubles en Afrique du Nord. Après la dissolution de l'Assemblée nationale par Edgar Faure, François de Menthon, qui a appuyé le président du Conseil sortant, conduit de nouveau la liste du MRP, amputée de la candidature de Louis Martel. Si le RPF a disparu dans le département, les indépendants progressent à 21 % et des listes poujadistes apparentées rassemblent 16 % des voix. La liste du MRP reste en tête mais, alors que la participation augmente de vingt mille suffrages, elle perd sept mille voix, avec 33 320 suffrages, sur 174 278 inscrits et 134 441 exprimés.
François de Menthon est candidat à la présidence nationale du MRP en 1956. Mais Pierre Pflimlin le devance.
Le démocrate-chrétien François de Menthon se montre tout au long de la IVe République un européen militant. Il appartient au comité préparant la constitution du Conseil de l'Europe auquel il appartient de 1947 à 1958. Il est un des vice-présidents de cette assemblée de 1950 à 1952, la préside du 26 mai 1952 au 20 mai 1954. Il est par ailleurs membre de l'Assemblée de la Communauté européenne pour le charbon et l'acier (CECA) de 1951 à 1958.
François de Menthon, battu à l'élection cantonale du 20 avril 1958, vote le 1er juin suivant contre l'investiture du général de Gaulle, le lendemain il lui refuse les pleins pouvoirs mais s'abstient sur la révision constitutionnelle.
Il ne se représente pas aux législatives en novembre 1958, abandonne la vie politique nationale, mais conserve son mandat de maire de Menthon-Saint-Bernard. Il reprend ses fonctions de professeur à la Faculté de droit à Nancy de 1959 à 1962 et dirige la revue Droit social et le Centre européen universitaire de Nancy.
Marié avec Nicole de Saint-Seine, il est père de six garçons.