Fred Moore
1920 - 2017
Les Archives départementales de la Somme conservent la profession de foi de Fred Moore, candidat de l'UNR (Union pour la Nouvelle République) aux élections législatives de 1958 pour la première circonscription du département de la Somme sous la cote 23 W 8. On trouvera également des documents sur les élections législatives de 1958 au sein du versement cotés 975W
Le Musée de l’Ordre de la Libération conserve plusieurs documents relatifs à l’activité de Fred Moore au sein de l’Ordre dont il est chancelier avant de devenir délégué national du Conseil national des communes "Compagnon de la Libération, notamment son dossier individuel de compagnon de la Libération (Série A – n°710). On trouvera également parmi les archives du cabinet de l’établissement public du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » ses correspondances entrées et sorties, ses allocutions et discours (octobre 2011-janvier 2016). Le musée conserve aussi un album photographique personnel correspondant principalement à la période 1940-1945, et contenant aussi quelques photographies de la Guerre d’Algérie et quelques autres illustrant ses fonctions de chancelier et de délégué national.
Les archives audiovisuelles du musée contiennent l’enregistrement d’une conférence du colonel Moore à l’École militaire (trinôme académique - juin2014, durée : 2’36’’), ainsi que les rushes d’une interview d’Antoine Ferro (2003, durée : 3’55’’).
Enfin l’on pourra consulter les Mémoires de Fred Moore : « Toujours Français libre ! », Fred Moore, Elytis, Bordeaux 2014, 256 pages, préface du général Bruno Cuche.
MOORE (Fred)
Né le 8 avril 1920 à Brest (Finistère)
Décédé le 16 septembre 2017 à Paris
Député de la Somme de 1958 à 1962
Fred Moore naît le 8 avril 1920 à Brest. Son père, ancien officier de la Royal Navy, naturalisé français en 1926, avait rencontré celle qui allait devenir sa femme lors d’une escale en Bretagne, pendant la Première Guerre mondiale. Il s’installe ensuite comme commerçant à Amiens. Après des études secondaires au lycée d'Amiens, Fred Moore entre à l'École nationale d'optique à Morez dans le Jura. En mai 1940, il s'engage comme volontaire et tente de rejoindre le Bataillon de l'Air n° 117 stationné à Chartres mais ne peut atteindre son unité dans le chaos de la débâcle. Il retrouve finalement sa famille à Brest, où ses parents et son frère René se sont réfugiés après avoir évacué Amiens. Refusant l’armistice annoncé par Philippe Pétain et plus fondamentalement la défaite, il quitte la France en bateau à voile le 19 juin 1940 en compagnie de son jeune frère, et atteint l'Angleterre. Ayant la double nationalité, il peut s’engager dans l’armée britannique mais préfère, le 1er juillet 1940, rejoindre les Forces françaises libres (FFL) et intègre les Forces aériennes françaises libres (FAFL). « Nous étions alors désolés d’être si peu nombreux, se souvenait-il. Mais aujourd’hui, nous sommes fiers d’avoir été si peu nombreux. »
Titulaire d’un permis de conduire depuis 1938 (qualification encore relativement rare à l’époque), il est affecté à la 1ère Compagnie du Train, puis prend part à l'expédition de Dakar en septembre 1940 sur le même transport de troupes que de Gaulle (le Westernland). L’échec du ralliement du Sénégal le conduit finalement au Cameroun le 9 octobre 1940, où les gaullistes parviennent à prendre pied. Les deux frères se séparent alors. Fred Moore suit à partir de décembre 1940 les cours d'élève aspirant au camp Colonna d'Ornano à Brazzaville. Il traverse ensuite l’Afrique, remonte le Congo puis le Nil, rejoint enfin Le Caire. Le 14 juillet 1941, nommé aspirant, il est dirigé sur Beyrouth pour combattre avec les troupes du Levant.
Le 1er septembre 1941, Fred Moore est affecté chez les Spahis Marocains à Damas, où il s'entraîne en vue de participer à la campagne de Libye. En avril 1942, il passe en Égypte avec son unité qui devient le 1er Régiment de Marche de Spahis Marocains. À la tête du 2ème peloton de reconnaissance, une unité d’automitrailleuses, il combat en Égypte puis en Libye, harcelant l’ennemi à la tête de ses colonnes volantes. Le 6 mars 1943, il se distingue en Tunisie, au combat de l'Oued Gragour, où il engage à deux reprises son peloton face à des engins blindés ennemis en nombre supérieur et, par cette action retardatrice, permet au gros des troupes de mettre en échec l'adversaire. Ayant dû ce jour-là changer trois fois de véhicule, chaque fois atteint par un coup au but des canons allemands, mais déplorer lui-même la moindre égratignure, il gagne auprès de ses hommes le surnom de « lieutenant baraka ». En avril, il participe aux combats autour du Djebel Fadeloun avec la Force L du général Leclerc. En juillet 1943, Fred Moore est affecté pendant un mois et demi à la Garde d'honneur du général de Gaulle à Alger, à la villa des Oliviers, dans le climat tendu de complot et de suspicion qui suit l’assassinat de l’amiral Darlan le 24 décembre 1942. Il rejoint ensuite le Maroc où se constitue la 2ème Division Blindée. Le 10 avril 1944, il embarque à Oran avec son unité à destination de la Grande-Bretagne.
Promu au grade de lieutenant en juin 1944, il débarque en Normandie, à Grandcamp, le 2 août 1944 avec la 2ème DB. Du 15 au 29 août 1944, il capture plus de cent prisonniers et s’empare d’un important matériel. Lors de la libération de Paris, le 25 août 1944, il prend part à la prise de l'École militaire, puis le 27 août à la bataille de Dugny-Le Bourget. S'ensuit la campagne des Vosges puis celle d'Alsace (il participe au combat de Mittelbronn devant Sarrebourg le 20 novembre et à la libération de Strasbourg le 23 novembre). En avril 1945, le lieutenant Moore prend part aux opérations sur le front de La Rochelle avant de rejoindre l’Allemagne pour les derniers combats.
Démobilisé en avril 1946, il crée une affaire d'optique à Amiens. Il préfère ne pas s’inscrire au Rassemblement du peuple français (RPF) pour conserver son indépendance politique, même s’il est gaulliste de cœur et reste en relation avec Lucien Neuwirth. Promu au grade de capitaine de réserve en 1950, Fred Moore est rappelé à l'activité en mai 1956 et affecté au 4e escadron du 6e Régiment de Spahis Marocains. Il sert en Algérie, dans les Aurès, jusqu'en novembre 1956. Ce qu’il découvre dans la région de Batna l’édifie sur les injustices et le mépris subis par la population musulmane. « On faisait suer le burnous. J’ai vu les Musulmans venir pour toucher leurs pensions chez l’administrateur, il en prenait quarante et renvoyait ensuite les autres chez eux alors qu’ils avaient parfois fait des heures de marche à pied. Le camion de l’action sanitaire et sociale était resté sur plots, cela faisait deux ans qu’il n’avait pas tourné » (témoignage de Fred Moore, revue Histoire@Politique, n° 12, septembre-octobre 2010). Quand Fred Moore veut organiser « une opération toubib » avec distribution de vivres aux plus nécessiteux, l’administration civile le considère avec méfiance, exige qu’il paie lui-même la nourriture et lui refuse un camion-citerne. L’officier doit menacer l’intendant pour obtenir satisfaction. Au demeurant, même si son initiative rencontre un certain succès dans les mechtas, elle suscite aussi une certaine réserve auprès de la population musulmane (deux automitrailleuses lui ont été affectées pour sécuriser le convoi). « On voyait qu’il y avait une réticence énorme, les Musulmans ne montraient pas leurs femmes, il fallait parler, obtenir la confiance, et alors certains ouvraient leurs djellabas et montraient leurs décorations de l’armée française. »
Promu chef d'escadron (dans la réserve) en octobre 1958, Fred Moore, satisfait du retour au pouvoir du général de Gaulle en juin 1958, se laisse convaincre par des responsables de la Convention républicaine (Léon Delbecque et Marie-Madeleine Fourcade) de se présenter aux législatives de novembre 1958. Sa candidature dans la nouvelle première circonscription de la Somme (Amiens), à tendance très communiste, semble promise à l’échec. Le premier tour est difficile, puisqu’il ne réunit que 10 682 voix et 19,98% des suffrages exprimés, derrière le candidat communiste, René Lamps, ancien instituteur, figure locale de la Résistance communiste et député sans interruption depuis 1945, qui obtient 17 18 voix, et Camille Goret, le maire SFIO d’Amiens, également conseiller général, qui en a rassemblé 14 760. Au second tour, Fred Moore gagne cependant la triangulaire, à la surprise générale avec 19 748 voix et 36,06% des suffrages exprimés, grâce à un très bon report des voix des candidats du Mouvement républicain populaire (MRP) et de l’Entente républicaine qui avaient réuni à eux deux plus de 9 000 suffrages au premier tour.
Avec seulement 364 voix d’avance sur le candidat communiste, Fred Moore l’emporte de peu. Roger Frey lui avait d’ailleurs demandé, avant le deuxième tour, de se retirer en faveur du socialiste pour éviter la victoire attendue du candidat communiste, mais il s’était maintenu, persuadé que la présence des deux candidats communiste et socialiste provoquerait la dispersion des voix de gauche.
Fred Moore rejoint le groupe Union pour la nouvelle République (UNR) et la commission de la production et des échanges, qu’il quitte en avril 1962 pour rejoindre celle de la défense nationale.
Le député accepte l’évolution de la politique gaullienne sur l’Algérie au long de l’année 1959. Alors qu’il est personnellement lié à des partisans de l’Algérie française comme Michel Debré, Marie-Madeleine Forcade et André Jarrot, Fred Moore est enthousiasmé par le discours gaullien du 16 septembre. Il apprécie d’autant mieux le virage de l’autodétermination qu’il a mesuré sur place l’impossibilité de la ligne intégrationniste. « On était passé à 13 départements en Algérie et qu’est-ce que cela avait changé ? Rien, c’était toujours une colonie. Ce n’était plus possible. Il y avait un vent d’indépendance qui soufflait de l’Est, depuis l’Indochine. L’Algérie avait une population très jeune, comment empêcher un petit gars qui voyait sourdre une révolution et qui était animé d’une volonté d’indépendance de prendre les armes et de rejoindre une katiba ? L’armée française n’aurait pas pu gagner, on ne peut pas préparer une armée à ça. » Selon le député UNR d’Amiens, le général de Gaulle n’a pas, dans son allocution du 16 septembre, trahi ses promesses mais simplement compris la nécessité de se replier sur le pré carré hexagonal. « Je crois que le général a été extrêmement sincère quand il a prononcé à Mostaganem sa formule sur l’Algérie française, il a réalisé ensuite que ce n’était pas possible. Ce qui comptait, c’était la France. C’était dommage, mais tant pis s’il fallait en sacrifier quelques-uns. » Gaulliste fidèle, Fred Moore ressent certes de la gêne lorsqu’il doit écarter du groupe parlementaire UNR deux députés qui « avaient vomi sur le général » à propos de l’affaire algérienne (« mais un compagnon de la Libération a des devoirs supplémentaires envers le général de Gaulle »). Il vote, en février 1960, le projet de loi autorisant le gouvernement à prendre certaines mesures relatives au maintien de l’ordre, à la sauvegarde de l’État, à la pacification et à l’administration de l’Algérie. Durant son mandat, il sera condamné à mort tant par le FLN que par l’OAS (au point d’avoir dû à l’époque ressortir un 7,65 datant de la Seconde Guerre mondiale.). À partir d’octobre 1959, il est membre de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi portant séparation du culte musulman et de l'État. En octobre 1961, il est rapporteur, au nom de la commission de la production et des échanges, du projet de loi portant ratification du décret n° 61-695 du 3 juillet 1961, modifiant les tarifs des droits de douane d'importation en ce qui concerne le café torréfié. En décembre 1961, lors de l’examen d'une proposition de loi relative à l'exercice de la profession d'opticien-lunetier détaillant, il présente un sous-amendement suggérant de prendre en considération les années de scolarité ou d'apprentissage. Sur le plan politique, il ne vote pas la motion de censure du 4 octobre 1962.
Lors des législatives de l’automne 1962, il est, sous l’étiquette gaulliste, candidat au renouvellement de son mandat. Il est battu par le communiste René Lamps, qui, candidat unique de la gauche cette fois-ci, prend sa revanche sur son élimination surprise de 1958 et sera constamment réélu jusqu’en 1978, avant de céder sa place au communiste Maxime Gremetz. Le ministre gaulliste de l’Industrie, Michel Maurice-Bokanowski, autre FFL (qui avait combattu lui aussi dans les chars en Afrique) et compagnon de la Libération, s’attache alors les services de Fred Moore devenu conseiller technique dans son cabinet, où il reste jusqu’en 1964. Il rejoint à cette date le Conseil économique et social et y siège jusqu’en 1966.
Fred Moore est à nouveau battu par le communiste René Lamps au second tour des législatives de mars 1967, en dépit du soutien que lui apporte le maire socialiste d’Amiens, Maurice Vast. Lors des législatives anticipées de juin 1968, l’ancien Français libre se présente à nouveau face au même député sortant. En dépit d’un contexte politique national très favorable à l’Union pour la défense de la République (UDR), Fred Moore ne parvient pas à l’emporter au second tour, victime autant de l’ancrage solide du communiste René Lamps que de la candidature du socialiste Maurice Vast (qui avait tenté d’obtenir l’investiture gaulliste et se venge ainsi du refus essuyé). Cette campagne se révèle par ailleurs très violente. Alors que Fred Moore surveille nuitamment, à bord de sa voiture, le travail de ses colleurs d'affiches, il est attaqué par trois individus à coups de matraque et de manivelle, et ne doit son salut qu'à l'intervention de sa femme. Deux heures plus tard, la vitrine du magasin d'optique qu'il tient rue des Trois-Cailloux est brisée. Ces pratiques surprennent les Amiénois, habitués depuis dix ans à des joutes politiques plutôt courtoises.
Après le départ du général de Gaulle au printemps 1969, le gaullien Fred Moore démissionne de toutes ses fonctions politiques pour se consacrer à son seul métier d'opticien (tout en continuant de progresser au sein de la réserve : chef de corps du 54e RID de l'Oise en 1962, lieutenant-colonel en 1966, colonel en 1971). Vice-président national de l'Ordre des opticiens, administrateur de sociétés et PDG de la Société industrielle de développement électronique et nucléaire (SIDEN) de 1969 à 1974, Fred Moore assure la fonction de délégué général du syndicat général de l'Optique française ainsi que de son équivalent à l'échelle européenne, l'Eurom, de 1977 à 1982.
À partir des années 2000, Fred Moore prend des responsabilités au sein de l’Ordre de la Libération. En mars 2004, il est nommé membre du Conseil de cet Ordre, puis par décret du 11 octobre 2011, chancelier de l’Ordre de la Libération, succédant au professeur François Jacob. Renouvelé en octobre 2015, il met fin à ses fonctions en janvier 2017 mais il est nommé, en avril 2017, chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération. Le 16 novembre 2012, il avait été nommé par décret Délégué national du Conseil national des Communes compagnons de la Libération (qui regroupe les communes de Grenoble, Île de Sein, Nantes, Paris et Vassieux-en-Vercors). Tous ceux qu’il recevait pour évoquer ses années de guerre étaient frappés par la précision des détails rapportés. Comme le note le journaliste du Monde dans un article hommage du 18 septembre 2017, le témoin se souvenait du prix d’un billet de train Paris-Brest en 1940, quand il rejoignit sa ville natale au début de l’offensive allemande : 207 francs en troisième classe. Il se souvenait de l’immatriculation du chalutier, le « Jean-Ribault », duquel il débarqua en Angleterre, à tout juste 20 ans : AD81. Il se souvenait du nom du tailleur qui lui fit, à Beyrouth, son uniforme de spahi du 1er régiment de marche : Manoukian.
Fred Moore qui, le 18 juin 2017, se trouvait encore aux côtés du président de la République, au Mont-Valérien, pour la cérémonie commémorative de l'Appel du général de Gaulle, décède le 16 septembre 2017 à Paris. Dans un communiqué, le chef de l’État, Emmanuel Macron, salue « la mémoire d’un homme exceptionnel qui a servi la France de toutes ses forces ». Sa disparition porte à 10 le nombre de compagnons de la Libération encore en vie à l’automne 2017, sur les 1 036 qui s'étaient engagés au sein de la France libre pendant l'Occupation allemande. Compagnon de la Libération (décret du 17 novembre 1945), Fred Moore était détenteur de nombreuses et prestigieuses décorations françaises et étrangères : Grand-Croix de la Légion d'Honneur, Croix de Guerre 39/45 (nombreuses citations), Médaille des Évadés, Médaille coloniale (avec agrafes Libye et Tunisie), Croix du combattant volontaire 39-45, Croix du combattant volontaire de la Résistance, Officier des Palmes académiques, Médaille des services militaires volontaires, Médaille commémorative des services volontaires dans la France Libre, Médaille commémorative des Opérations de sécurité et de maintien de l'ordre en Algérie, Presidential Unit Citation (USA), Officier du Nicham Iftikar (Tunisie), Officier du Ouissam Alaouite (Maroc). En 2014, le lieutenant « baraka » était revenu sur son parcours militaire dans un ouvrage de souvenirs écrit en collaboration avec Marc Bradfer, Toujours Français libre !, paru aux éditions Elytis à Bordeaux.