Roland, François, Roger de Moustier
1909 - 2001
Né le 30 octobre 1909 à Paris
Décédé le 13 mars 2001 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
Membre de première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Doubs)
Député du Doubs de 1946 à 1958
Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères du 3 septembre 1954 au 23 février 1955
Roland de Moustier, comme député du Doubs sous la Quatrième République, a ajouté une page à une histoire parlementaire familiale bien remplie. Son ancêtre Charles de Moustier avait en effet pris part aux Etats Généraux de 1789 ; le fils de celui-ci, Clément-Edouard de Moustier, avait quant à lui siégé dans la Chambre introuvable sous la Restauration, et fut plus tard nommé ambassadeur. Son fils Léonel l'imita : élu à l'Assemblée nationale de 1848, il devint également ambassadeur. Son fils et son petit-fils suivirent la voie tracée par leurs aînés : le premier, Pierre-René, fut député puis sénateur de 1889 à 1935 ; le second, prénommé Léonel lui aussi, fut élu député puis sénateur de 1928 à 1940. Père de Roland de Moustier, ce dernier était le seul sénateur présent le 10 juillet 1940 à voter contre le maréchal Pétain. Il mourut en déportation en 1943, au camp de Neuengamme, où il se trouvait en compagnie de plusieurs de ses fils et gendres, dont Roland de Moustier lui-même.
Ce dernier voit le jour à Paris en 1909. Il suit d'abord les cours de l'Ecole libre des sciences politiques, puis s'initie à diverses activités, industrielles comme agricoles, avant de débuter sa carrière politique par des fonctions locales et deux participations à des cabinets ministériels. Attaché à celui du ministre de la justice, Léon Bérard, en 1935 -36, il devient directeur de cabinet du ministre de la santé publique, Louis Nicolle, en 1936. Il est également élu conseiller général du canton de Rougemont et maire de Cubry (dans le Doubs, commune où se trouve le château familial) en 1935.
Quand survient la guerre, Roland de Moustier est mobilisé comme sous-lieutenant pilote de l'armée de l'air.
A la Libération, il retrouve son poste de conseiller général, et prend la présidence de cette assemblée départementale jusqu'en 1961. Il va également remporter plusieurs mandats nationaux successifs. Le 21 octobre 1945, il dirige la liste de droite qui se présente aux suffrages des électeurs du Doubs pour les élections à l'Assemblée nationale constituante. La liste qu'il conduit devance nettement celles présentées par les socialistes et les communistes, remportant deux des quatre mandats en jeu avec 46 759 des 136 796 suffrages exprimés (34,1 %). Le premier projet de Constitution ayant été rejeté par les Français le 5 mai 1946, l'élection d'une seconde Assemblée nationale constituante est nécessaire. Le 2 juin, la liste de Roland de Moustier, cette fois sous l'étiquette du Parti républicain de la liberté, perd un peu de terrain, obtenant 32 % des 141 063 suffrages exprimés, au profit du MRP qui, arrivé quatrième l'année précédente, dépasse cette fois les communistes et atteint presque le score de la SFIO, ce qui lui permet de conquérir un siège aux dépens d'Auguste Joubert, second sur la liste du PRL.
Dans les deux assemblées nationales constituantes, le marquis de Moustier est nommé membre de la Commission des affaires étrangères. Il dépose deux propositions de loi visant à modifier le Code général des impôts directs, et intervient à plusieurs reprises à la tribune, notamment lors de la discussion générale du projet de loi portant dissolution des biens d'entreprises de presse. Il s'oppose à la nationalisation de la Banque de France et d'autres banques, le 2 décembre 1945, ainsi qu'aux deux projets de Constitution soumis aux députés, les 19 avril et 28 septembre 1946 ; le second est cependant adopté par l'Assemblée nationale et par les Français (référendum du 13 octobre).
Le 10 novembre 1946, aux élections de la première législature de la Quatrième République, la liste PRL conduite par Roland de Moustier améliore son score, avec 51 399 des 135 963 suffrages exprimés (37,8 %), ce qui lui permet de récupérer le siège d'Auguste Joubert perdu en juin, aux dépens du parti communiste qui obtient un peu moins de la moitié du score du PRL (18,2 %), tandis que le MRP et la SFIO voient leurs résultats se tasser aux alentours de 22%.
De retour au Palais Bourbon, Roland de Moustier retrouve la Commission des affaires étrangères, dont il est élu secrétaire en janvier 1948. Cette Commission le désigne pour faire partie de la Sous-commission chargée de suivre et d'apprécier la mise en œuvre de la Convention économique européenne et du Programme de du relèvement européen (le Plan Marshall). Il y ajoute des nominations à la Commission de l'intérieur et à celle de la réforme administrative, et il est nommé juré à la Haute Cour de Justice. Le 26 juillet 1949, il est élu membre de l'Assemblée consultative européenne.
Durant cette législature, le député du Doubs ne dépose pas de propositions de loi ou de résolution, mais intervient à de nombreuses reprises dans les débats parlementaires, avant tout sur les questions internationales qui constituent sa spécialité. Il participe notamment aux interpellations de Louis Marin sur les préparatifs de la conférence de Moscou (février 1947), à la discussion du projet de loi portant approbation du traité de paix avec l'Italie (juin 1947), et aux débats sur la ratification du Pacte de l'Atlantique en juillet 1949. S'adressant à ses pairs, il explore les différentes voies qui permettent à la France de garantir sa sécurité : refusant « l'adhésion à l'enchevêtrement des pactes orientaux », qui impliquerait la soumission à Moscou et la perte des libertés publiques, refusant également « la neutralité désarmée », qui entraînerait l'abandon de l'Union française, ou « la neutralité armée », dont il raille la prétention déraisonnable, il défend le Pacte de l'Atlantique Nord comme une solution raisonnable et coopérative, un facteur de stabilité qui complète l'ONU, paralysée par le veto soviétique « qui couvre la totalité du monde » (26 juillet 1947). Roland de Moustier intervient moins fréquemment sur d'autres sujets à la tribune de l'Assemblée : toujours sur la question de la dévolution des biens des entreprises de presse (1947), mais aussi sur les questions fiscales et économiques, prenant ainsi part à la discussion du projet de loi relatif aux conventions collectives et au règlement des conflits du travail (8 février 1950).
En plus de son action politique (député, président du conseil général, et maire de Cubry), Roland de Moustier continue à exercer son activité professionnelle et à gérer ses affaires. Il est président directeur général la Société Industrielle, Financière et Forestière de Gérance (charbonnages, textile, banque), et administrateur de la Société Agricole et Industrielle du Sud-Algérien, ainsi que des établissements Normant. Il est également directeur de La République, quotidien régional de Besançon, d'où son vif intérêt pour les questions intéressant la presse. Enfin, sa vie familiale est tout aussi remplie, puisqu'il a six enfants.
A l'Assemblée, ses votes reflètent ceux de la droite pro-européenne : il accorde sa confiance à Paul Ramadier le 4 mai 1947, le jour où le Président du Conseil se sépare de ses ministres communistes ; il vote contre le projet de loi sur le statut de l'Algérie (27 août 1947), en faveur du plan Marshall (juillet 1948), et de la constitution du Conseil de l'Europe le 9 juillet 1949. Roland de Moustier vote en faveur de la ratification du Pacte de l'Atlantique quelques jours plus tard, et approuve le système des apparentements qui, le 7 mai 1951, modifie la loi électorale en faveur des partis de la Troisième force.
Mais dans le Doubs, cette loi ne change pas la donne le 17 juin 1951 : l'apparentement conclu entre les Indépendants - paysans conduits par Roland de Moustier et le MRP n'atteint pas la majorité des voix faute d'un accord avec la SFIO, et les sièges sont répartis à la proportionnelle comme en 1946. Certes, le parti communiste, dont le score continue à décliner (13,4 % des suffrages exprimés), ne parvient pas à enlever un siège à la liste de Roland de Moustier, qui tire son épingle du jeu en conservant ses deux mandats en dépit d'une érosion de dix points (27,9 % des suffrages exprimés). Mais le candidat RPF (18,9 %) est élu aux dépens du candidat MRP, qui n'obtient que 12,8 % des suffrages exprimés, tandis que le député socialiste est reconduit avec un score en baisse, à 20 %.
Le marquis de Moustier retrouve, à l'Assemblée nationale, sa fonction de secrétaire de la Commission des affaires étrangères. Il est aussi nommé membre de la Commission de la presse et, en 1955, de celle du suffrage universel, des lois constitutionnelles, du règlement et des pétitions. Son statut à l'Assemblée consultative européenne change : il est élu membre suppléant le 3 août 1951.
Si Roland de Moustier dépose seulement deux rapports - sur les questions de presse - et deux avis - sur les questions internationales - au cours de cette seconde législature, il est cependant très actif dans ces domaines, et apparaît comme une sorte de figure montante à l'Assemblée. Il est notamment rapporteur de la proposition de loi relative au transfert et à la dévolution des biens d'entreprise de presse au printemps et à l'été 1954 : expliquant la nécessité de modifier la loi de 1946, il souligne l'intérêt de constituer un service public d'impression. Répondant aux très nombreux amendements qui sont opposés au projet de loi, il contribue à obtenir le vote de cette loi sur la presse.
Dans le domaine de la politique étrangère, Roland de Moustier continue à intervenir fréquemment à la tribune de l'Assemblée pour faire valoir ses points de vue pro-européens : ainsi, le 6 décembre 1951, il défend la ratification de la CECA (communauté européenne du charbon et de l'acier), en faisant valoir l'importance de ce traité pour l'histoire des deux pays et de l'unification de l'Europe, la logique de l'accord en raison de la répartition des ressources, l'infériorité économique de la France dans ce secteur et la folie de vouloir contraindre l'Allemagne. En mai 1954, tout en rendant hommage aux soldats de Dien Bien Phu, il réclame des négociations sérieuses à Genève sur l'Indochine et une politique compréhensive en Afrique du Nord, ce qui le place naturellement sur la même ligne politique que celle de Pierre Mendès France, lequel lui offre quelques mois plus tard la fonction de Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères en remplacement de Jean-Michel Guérin de Beaumont.
Moins d'une semaine avant cette nomination qui montre l'ouverture du cabinet de Mendès France sur des formations politiques diverses et sur des jeunes talents, Roland de Moustier défend, à la tribune de l'Assemblée, le projet de loi relatif à la CED (communauté européenne de défense) auquel il est favorable. Ce soir-là, il vote en vain contre la question préalable opposée par Edouard Herriot et le général Aumeran à la discussion du projet.
Devenu secrétaire d'Etat, Roland de Moustier est le bras droit du ministre des affaires étrangères, c'est-à-dire Pierre Mendès France lui-même. Entre autres dossiers importants, il participe à la négociation des Accords de Londres qui mettent un terme à l'occupation de l'Allemagne, et des Accords de Paris, très controversés, qui permettent le réarmement de la RFA et son entrée dans l'OTAN. Il doit défendre la politique de son gouvernement face à une Assemblée de plus en plus hostile, par exemple lors de l'affaire des fuites (décembre 1954).
Roland de Moustier, qui siège au groupe parlementaire des Républicains indépendants dont il est le vice-président, vote en faveur de la loi Barangé - Marie sur l'école libre, qui divise la troisième force d'entrée de jeu, le 21 septembre 1951. Il accorde naturellement son investiture à Antoine Pinay (6 mars 1952) et à Joseph Laniel (26 juin 1953). Il soutient également l'investiture de Pierre Mendès France le 17 juin 1954. Le 12 octobre 1954, Roland de Moustier approuve bien sûr les accords de Londres qu'il a contribué à négocier, de même qu'il vote en faveur de la ratification des accords de Paris le 29 décembre. Il accorde sa confiance à Edgar Faure le 23 février 1955, mais la lui retire lors de la chute de son cabinet, le 29 novembre 1955, ce qui autorise le président du Conseil à appeler à des élections anticipées.
Ces élections du 2 janvier 1956 sont marquées, dans le Doubs, par une multiplication des listes et un éparpillement des voix, corrigés par un apparentement. En effet la liste de Roland de Moustier, présentée par le Centre National des Indépendants, poursuit son déclin (24,3 % des 155 795 suffrages exprimés), mais conserve néanmoins ses deux mandats grâce à un apparentement avec les républicains sociaux. Le score de cet apparentement, 31 %, permet au second de liste du marquis de Moustier, Auguste Joubert, d'être réélu. Le parti communiste, en faible progression, récupère un siège, tandis que la SFIO, avec 26,2 % des voix, conserve le sien mais n'en obtient pas un second en dépit d'une progression qui lui permet de doubler les Indépendants pour la première fois.
De retour à l'Assemblée nationale, Roland de Moustier retrouve sa Commission de prédilection, celle des affaires étrangères, et il est élu représentant titulaire de la France à l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe. Son activité parlementaire se réduit nettement lors de cette législature : il ne dépose par de propositions de loi ou de résolution, et n'intervient qu'à deux reprises à la tribune. Il s'abstient volontairement lors du vote d'investiture de Guy Mollet (31 janvier 1956), et refuse d'accorder sa confiance à Maurice Bourgès-Maunoury (12 juin 1957). Il vote pour la ratification des traités instituant la Communauté économique européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique (CEE et Euratom, 9 juillet 1957). Lors de la crise qui emporte la Quatrième République, il vote en faveur de l'investiture de Pierre Pflimlin (13 mai 1958), déclarant le lendemain que « dans les circonstances présentes, notre premier devoir est de défendre le pouvoir légal ». Plus tard, il vote en faveur d'une révision de la Constitution (27 mai 1958), et accorde sa confiance au général de Gaulle le 1er juin ; le lendemain, il lui accorde également les pleins pouvoirs et la révision constitutionnelle.
Roland de Moustier ne détiendra pas de mandat parlementaire national sous la Cinquième République.