Gaston Palewski
1901 - 1984
PALEWSKI (Gaston)
Né le 20 mars 1901 à Paris
Décédé le 3 septembre 1984 au Val-Saint-Germain (Essonne)
Député de la Seine de 1951 à 1955
Ministre délégué à la Présidence du Conseil du 23 février 1955 au 20 octobre 1955
Fils d’un ingénieur des Arts et Manufactures, frère cadet de Jean-Paul, Gaston Palewski effectue sa scolarité primaire et secondaire au collège Rollin, puis aux lycées Michelet (Vanves) et Henri IV (Paris). Il obtient sa licence ès lettres à la Sorbonne, suit les cours de l’école libre des sciences politiques et de l’école du Louvre, puis rejoint l’Université d’Oxford en qualité de « research student ».
Alors qu’il effectue son service militaire au Maroc en 1924, il est appelé au cabinet du résident général, le maréchal Lyautey, où il occupe les fonctions d’attaché politique. S’il ne reste qu’une année à ce poste, il doit, comme il l’écrit lui-même, sa formation à « cet illustre administrateur, figure légendaire de l’histoire de France ». Dans ses Mémoires d’action, 1924-1974 (Plon, 1988), il rapporte cet épisode déterminant de sa vie. Il conçoit, dès cette époque, une rancœur tenace à l’encontre du maréchal Pétain, lorsque ce dernier écrasa Abd el-Krim, en août 1925, avec les renforts que Lyautey avait vainement réclamés avant de se voir retirer le commandement des opérations militaires de la guerre du Rif.
Revenu en France avec le résident général démissionnaire en septembre 1925, il est, dans un premier temps, journaliste au Bulletin économique et financier avant d’intégrer, en 1928, l’entourage de Paul Reynaud, tour à tour ministre des colonies, de la justice puis des finances, en qualité d’attaché de presse, puis de chef de cabinet. Il reste l’un de ses principaux collaborateurs jusqu’en 1939.
En 1934, avec le colonel de Gaulle, il prépare les propositions parlementaires en vue de la création de corps autonomes de divisions blindées dans l’armée. Il est alors l’un des tout premiers à déceler, au cours d’une « demi-journée décisive, l’évidente supériorité de ce grand officier au visage sévère », doué, selon lui, d’une grande chaleur humaine. Repoussées par Pétain, alors ministre de la Guerre dans le cabinet Doumergue, ces propositions sont récupérées et mises à exécution par Hitler en Allemagne. A plusieurs reprises, aux côtés de Paul Reynaud, Palewski a également été attaché à la délégation française à la Conférence du désarmement organisée par la Société des Nations à Genève.
En 1938, il est nommé directeur de cabinet de Reynaud, alors ministre de la justice du gouvernement Daladier et conserve ces fonctions lorsque son mentor devient ministre des Finances en novembre 1938. A cette occasion, il prend une part éminente à l’œuvre de restauration du crédit français et de retour réussi des capitaux en France. Il continue d’échanger avec de Gaulle. Ils collaborent ensemble à l’organisation des brigades cuirassées.
A la suite d’une intrigue de cabinet, Palewski, mis à l’écart par Reynaud, abandonne volontairement ses fonctions, prend l’uniforme et part pour le front. Versé dans la 34ème escadre de bombardement de nuit, il opère dans la Ruhr. Il est cité à l’ordre de l’armée de l’air, durant la nuit de Sedan, le 12 mai. Il ne rompt cependant pas avec la politique et dispense ses conseils le jour. Depuis le front, il suggère en vain à Daladier de nommer de Gaulle à la tête d’un grand ministère de la défense nationale, puis convainc Reynaud, devenu entre-temps président du Conseil, d’octroyer au colonel ses deux étoiles à titre temporaire et de le faire entrer dans l’équipe gouvernementale. C’est chose faite le 5 juin 1940. Dans ses Mémoires, Palewski considère que « ce fut sans doute l’une des données qui lui ont permis de commencer cette extraordinaire épopée qui a abouti à la libération d’une France indépendante et victorieuse. »
L’aviateur, qui se retrouve au début du mois de juin avec son escadrille en Tunisie, tente vainement de persuader Marcel Peyrouton et le général Noguès, résidents généraux en Tunisie et au Maroc, de défendre l’Afrique du Nord et de poursuivre la lutte. Il y demeure quelque temps avant de s’envoler pour Londres à l’appel du général de Gaulle à la fin du mois d’août 1940.
Le chef de la France Libre met rapidement en place une administration dans laquelle Palewski, fort de ses amitiés anglaises, de son expérience et de son habilité à faire pièce aux intrigues de Spears, est appelé à jouer un rôle primordial. Nommé, en décembre 1940, directeur des affaires politiques, chargé de l’action dans les territoires non occupés [non libérés], il est le premier à être nommé à ce poste. Il est en contact permanent avec Passy. Il supervise également l’hebdomadaire du mouvement, La Marseillaise. Il est aussi l’une des « voix » de la BBC Il abandonne ce poste-clé en mars 1941, à la suite de sa nomination de commandant des Forces françaises libres de l’Est africain. Il combat pendant près d’un an contre les Italiens en Ethiopie et représente la France libre auprès du Négus restauré. Il permet à la France, malgré l’inertie de Djibouti, de garder le contrôle du chemin de fer d’Addis-Abeba. Il regagne Londres en septembre 1942 où il est promu directeur du cabinet civil du général de Gaulle. Il ne cessera dès lors d’incarner, avec Billotte et Soustelle, un gaullisme intraitable, politique, méfiant envers les partis - les « féodaux » de la résistance -, et intransigeant avec les Anglais et les Américains.
Directeur de cabinet du président du Comité français de libération nationale à Londres, Alger et Paris, il prépare activement le retour du général de Gaulle en France, avec l’obsession de l’inscrire dans une ligne exclusivement nationale, de l’asseoir sur une administration provisoire strictement française.
Il conserve ses fonctions auprès du nouveau président du Gouvernement provisoire de la République française jusqu’à son retrait du pouvoir en janvier 1946. Il suggère, à la Libération, la création du Commissariat au Plan et la nomination de Jean Monnet à sa tête.
Il refuse tout poste et tout mandat électif pour rester aux côtés du général de Gaulle et participe activement à la création du Rassemblement du peuple français (RPF). Dès juillet 1947, il siège au sein de son comité exécutif, élargi et transformé en juin 1949 en conseil de direction. Il continue d’assumer, simultanément, les fonctions de directeur de cabinet du nouveau chef du RPF. En outre, il crée et pilote le comité national d’études, un organe parallèle de réflexion stratégique chargé de préparer le programme des réformes à réaliser dans la perspective du retour du général de Gaulle au pouvoir. Il réunit alors des personnalités telles qu’Aron, Malraux, Vallon, Debré, Soustelle ou Pompidou. Il assure également la liaison du RPF avec différents partis politiques étrangers. Orateur goûté du rassemblement, son éloquence et son aisance recueillent un franc succès dans les meetings gaullistes du Vel’ d’Hiv’ ou de la pelouse de Vincennes.
Il est candidat, pour la première fois, aux élections législatives de juin 1951 dans le sixième secteur de la Seine. Tête de la liste gaulliste, cet homme du monde, secondé par le maire de Vincennes, Antoine Quinson, mène une campagne difficile dans le bastion ouvrier de Jacques Duclos et de Charles Tillon. Ses réunions publiques, souvent houleuses, sont ponctuées par les nombreux horions des militants communistes.
Avec 88 497 des 298 719 suffrages exprimés, soit 29,6% des voix, sa liste, dont le bon score entame l’hégémonie communiste, obtient deux élus. Gaston Palewski abandonne alors ses fonctions de directeur de cabinet du général de Gaulle et recommande à ce dernier le nom de Georges Pompidou pour lui succéder à ce poste. « Il ne m’en a jamais voulu du service que je lui ai ainsi rendu » écrira-t-il, non sans humour, dans ses Mémoires.
L’élection de Palewski est validée le 6 juillet 1951. Le nouveau député de la Seine rejoint la commission des affaires étrangères. A partir de 1954, il investit celle du travail et de la sécurité sociale, avant d’opter, l’année d’après, pour la commission du suffrage universel, des lois constitutionnelles, du règlement et des pétitions. Il a appartenu, en outre, au comité directeur du FIDES (1951) et aux commissions de coordination chargées des questions relatives à la CECA (1953), puis à la commission de coordination pour l’examen des problèmes intéressant les États associés d’Indochine (1954). Il est désigné, dans ces trois dernières fonctions, par les commissions des finances, de la justice et de la législation et des affaires étrangères. Il est enfin élu vice-président du groupe gaulliste à l’Assemblée, dès 1951.
Son activité parlementaire est courte mais intense. En témoigne notamment le nombre de propositions de loi (3) ou de résolution (7) déposées, comme la fréquence de ses interventions en séance (27 comme député de base ; 23 comme vice-président de l’Assemblée nationale). Il s’intéresse volontiers aux questions économiques et sociales, à la fonction publique et aux allocations familiales.
Mais c’est aux questions diplomatiques et à la construction européenne qu’il consacre la plupart de son temps. Il participe à la discussion sur l’investiture de René Pleven, le 8 août 1951 et, à cette occasion, réclame un débat de politique étrangère sur les questions posées par la CECA, la situation stratégique de la France et l’éventualité d’une armée européenne à laquelle il s’oppose inlassablement, comme le RPF dans son ensemble, et dont l’institution justifierait, selon lui, un référendum. Le 29 décembre 1951, il signe une proposition de résolution sur l’organisation d’une confédération européenne, mais combat la voie conciliatrice dans laquelle les relations franco-allemandes se sont engagées. Il se veut vigilant, à cet égard, sur la Sarre, au cœur des discussions entre le gouvernement français et la chancellerie de Bonn et s’oppose à tout réarmement allemand sans l’accord et le contrôle de la France (séance du 17 novembre 1953). Par un ordre du jour blâmant (séance du 20 juin 1952), il critique fermement la politique tunisienne de Robert Schuman, chef de la diplomatie française et le ministre des Affaires étrangères lui-même qu’il ne considère pas qualifié pour ce type de négociations. Il intervient fréquemment sur l’Union française - notamment sur l’Indochine - dont il dénonce l’organisation et l’absence de perspectives. Il plaide pour l’ouverture de négociations avec l’URSS. Il prend la parole lors de la discussion relative à la Communauté européenne de défense (CED), lors de la séance du 28 août 1954, pour expliquer l’opposition des gaullistes. Il intervient également lors du débat relatif à la ratification des accords de Londres, le 12 octobre 1954. Redoutant un retour indirect du projet de CED par le canal des accords multilatéraux dont il ne faut pas « écouter les sirènes », il émet des réserves sur l’entrée de l’Allemagne dans l’OTAN et prône la construction d’une « véritable Europe », celle « de la géographie, de l’équilibre ». Il tient un discours similaire lors de la discussion des accords de Paris et expose son « dilemme angoissant entre [leur] rejet ou [leur] acceptation pure et simple », entraînant une « crise soit atlantique, soit internationale ». Après avoir qualifié d’ « inadmissible » le pacte franco-soviétique, il appelle finalement à un vote hostile, celui « de la raison et du courage » (séance du 22 décembre 1954).
Durant cet unique mandat parlementaire, Palewski s’abstient lors de l’investiture des cabinets Edgar Faure (janvier 1952), Antoine Pinay (6 mars 1952), René Mayer (janvier 1953) et Joseph Laniel (juin 1953), mais vote en faveur de Pierre Mendès France (17 juin 1954), y compris lors de sa première tentative infructueuse (4 juin 1953) et continue de le soutenir lors de sa chute (4 février 1955). S’il vote en faveur de la seconde investiture d’Edgar Faure le 23 février 1955, il lui refuse sa confiance le 29 novembre. Il vote la loi Marie-Barangé, les accords de Genève et de Londres, la proclamation de l’état d’urgence en Algérie, mais s’oppose donc à la CECA, à la CED et aux accords de Paris précités.
Son activité parlementaire aurait été plus soutenue encore si Palewski n’avait été élu vice-président de l’Assemblée nationale le 6 novembre 1952 et réélu en 1953, 1954 et 1955. Cette fonction renforce cependant la dimension parlementaire de sa carrière menée jusque-là. A ce titre, il a présidé un très grand nombre de séances (83) et conduit, en 1952, la délégation parlementaire française en Turquie où il a prononcé un discours devant le parlement d’Ankara sur la nécessité de soutenir son admission à l’OTAN.
Le 23 février 1955, Palewski accepte d’entrer dans le gouvernement dirigé par Edgar Faure en qualité de ministre délégué à la présidence du Conseil. Il prend part à la discussion des budgets militaires pour 1955 et 1956 et contribue à la création d’un secrétariat général permanent de la Défense nationale dont il précise longuement la mission de coordination et les attributions, lors de la séance du 22 juillet 1955. Se considérant lui-même comme le « second dans la hiérarchie gouvernementale », Palewski exerce la réalité du pouvoir en matière de Défense nationale, le détenteur en titre de ce portefeuille, le général Kœnig, relégué au rang de « demi-ministre », voyant échapper à sa décision certains des domaines les plus intéressants. Palewski a en effet la responsabilité de la coordination de la Défense nationale, de la recherche scientifique, des affaires sahariennes et atomiques. Ainsi lui est-il loisible de lancer le second plan atomique dont il revendique à bon droit la paternité.
Son expérience ministérielle s’achève avec la crise marocaine. Critiquant le manque de fermeté du président du Conseil face aux nationalistes et la politique du maréchal Juin, incapable d’enrayer les massacres, il démissionne de ses fonctions le 6 octobre 1955, en signe de protestation et de solidarité gaulliste. Raymond Triboulet et le général Kœnig en font de même. Gaston Palewski réclame alors la constitution d’un « gouvernement de salut public » et retourne dans l’opposition.
De nouveau candidat aux élections législatives du 2 janvier 1956, Gaston Palewski ne retrouve pas son siège de député. Il conduit la liste des républicains sociaux mais ne recueille, sur son nom, que 20 913 des 371 902 suffrages exprimés, soit 5,6% des voix.
Cet échec net, s’il met un terme définitif à sa brève expérience parlementaire - il ne se représentera jamais à aucune élection -, ne clôt cependant pas sa carrière politique. Nommé, en 1957, ambassadeur en Italie par le ministre des affaires étrangères Christian Pineau, il demeure au Palais Farnèse jusqu’en 1962, et y reçoit la haute société romaine. Il met également à profit cette ambassade pour animer la restauration de Florence, puis présider le Comité français pour la sauvegarde de Venise. L’ancien élève de l’école du Louvre, grand ami des arts et collectionneur averti, a été élu en 1968 à l’Académie des Beaux-arts. Il est, par ailleurs, vice-président du Conseil artistique des musées nationaux, directeur, puis président d’honneur de la Revue des Deux Mondes.
En avril 1962, rappelé de Rome, il est nommé ministre d’État chargé de la Recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales, par le nouveau chef du gouvernement, Georges Pompidou. Il conserve ce portefeuille dans le second cabinet Pompidou, jusqu’en février 1965. Il est alors l’un des principaux artisans du développement du plan atomique français et de la mise en œuvre de la force de frappe nucléaire. Il négocie à ce titre en 1964 à Madrid la construction d’une centrale nucléaire. Il développe la coopération internationale, renforce les liens entre industries et recherche. Il est aussi à l’origine de la base de Kourou, en Guyane. À la faveur d’une entrevue avec Khrouchtchev, il est l’initiateur de l’achat du procédé français de télévision en couleur SECAM par l’U.R.S.S. et le promoteur d’une coopération spatiale entre les deux pays. Resté très proche du général de Gaulle, il le convainc, après l’attentat du Petit Clamart, de proposer au pays, par référendum, l’élection du président de la République au suffrage universel.
Après trois années passées à ce poste ministériel, auprès de Georges Pompidou, il abandonne ses fonctions, pour succéder à Léon Noël à la présidence du Conseil constitutionnel. Gardien du secret du roi pendant neuf ans, il veille avec intransigeance à la régularité des lois. Il doit enregistrer les résultats du référendum de 1969 qui provoque la démission du général de Gaulle et valider l’élection de son successeur. En d’autres termes, il contribue à tourner la page du gaullisme. Il est enfin à l’initiative de la décision du 16 juillet 1971 qui renforce l’autorité de la haute juridiction dans la balance des pouvoirs en matière de défense des libertés.
Il est, en 1971, président-fondateur de l’Institut Charles de Gaulle où il se fait le gardien vigilant du souvenir. Grand-croix de la Légion d’honneur, Compagnon de la Libération, il a également reçu la Croix de guerre 1939-1945, la Médaille coloniale (Ethiopie), les grands-croix de la couronne de Belgique et de l’ordre du Mérite de la République italienne, ainsi que diverses autres distinctions étrangères.
Figure majeure du « gaullisme historique », « premier des gaullistes par l’ancienneté » (Michel Debré), Gaston Palewski en accompagne et incarne toutes les étapes, les échecs comme les succès. Homme du monde, grand ami des arts, des artistes et des princes, conservateur éclairé, personnalité attachante, il représente remarquablement cette tradition de l’aristocratie libérale à laquelle le gaullisme fut si redevable.